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J’ai pensé : « L’œuf de plomb… » Dans la folie des événements, j’avais fini par
oublier l’existence prétendue de cette cachette secrète installée dans le bunker.
Cette cellule de sécurité, où les officiers participant à l’expérience avaient soi-disant
trouvé refuge lorsque les choses avaient mal tourné.
Sarah Jane m’en avait souvent parlé. Ce repaire clandestin la fascinait, elle en
avait fait le sujet principal de ses rêveries gothiques, l’imaginant peuplé de débiles
consanguins aux appétits cannibales, dans la plus pure tradition des films d’horreur
pour ados.
Je ne l’avais jamais prise au sérieux. Aujourd’hui, toutefois, à la lueur des
derniers rebondissements, je commençais à me demander si je n’avais pas fait
preuve de légèreté en refusant d’examiner cette hypothèse.
Et si… Et si l’œuf de plomb était bel et bien habité ?
Sarah Jane s’était vantée de monologuer à haute voix au cœur du bunker dans
l’espoir d’établir un contact avec ceux qui vivaient à l’intérieur des murs. Et si… Et si
son appel avait été entendu ?
Les joues en feu, je suis allée me passer la tête sous l’eau.
Ayant avalé trois comprimés d’aspirine, j’improvisai une hypothétique
reconstitution des événements.
Sarah Jane avait-elle fini par séduire les mystérieux troglodytes au point
d’éveiller chez eux le besoin de la kidnapper ?
Peut-être manquaient-ils cruellement de compagnes ? Dans ce cas, comment
résister aux appels d’une jeune fille sur laquelle ils exerçaient un tel pouvoir de
fascination ? Avaient-ils estimé qu’elle mourait d’envie de les rejoindre et qu’il fallait
exaucer ses souhaits ?
Une nuit, après s’être concertés, ils avaient décidé de passer à l’action. Ayant
ouvert le passage secret, ils avaient traversé le bunker pour gagner la vieille piste
d’envol. Là, ils avaient hésité sur la conduite à tenir. Combien étaient-ils ? Trois,
quatre ? Un seul, peut-être. Un unique survivant éperdu de solitude, prêt à tout pour
ne pas finir ses jours dans la déréliction. Il avait décidé de s’offrir Sarah Jane comme
on prend un animal de compagnie.
Au travers des monologues de l’adolescente, il était parvenu à se faire une idée
assez précise de son cadre de vie. Il savait qu’elle habitait un ranch, qu’elle avait une
famille, qu’on la destinait au major de la prochaine promotion… mais le survivant ne
voulait pas de ça. Il n’entendait pas se laisser flouer par Tobbey, comme l’avait été
Vince Vaughan avant lui. Il estimait qu’elle lui revenait de droit, à titre de
dédommagement. Au fil des semaines, il avait conçu une haine féroce à l’endroit de
cette famille tyrannique, de ce père qui distribuait ses filles comme des jouets en
peluche.
Lentement, parce qu’il n’avait pas l’habitude de marcher sur d’aussi longues
distances, il avait gravi la côte en direction de l’hacienda. Il avait emporté une arme
automatique. Un pistolet-mitrailleur ou un fusil d’assaut tiré de l’arsenal du refuge
secret.
Ce qui avait suivi n’était pas difficile à imaginer. L’homme avait fait irruption dans
le ranch, fusillant tous ceux qui lui barraient le chemin. Il n’avait épargné que Sarah
Jane.
La gosse avait sans doute perdu connaissance, ou bien elle avait été à tel point
traumatisée qu’elle n’avait opposé aucune résistance lorsque le survivant l’avait
empoignée.