Lire le livre - Bibliothèque

précaution de les essuyer, on les retrouvera grâce au Luminol. Ce qui me gêne dans
votre petite histoire, c’est que je vois mal un type blessé se lancer dans la pose d’un
panneau de plâtre et fignoler le tout par des travaux de peinture…
- Burton MacGraw était un ancien béret vert, ai-je objecté. Un homme formé à
ignorer la souffrance, à conserver son sang-froid en toute circonstance. Une machine
de guerre. Il a pu bander sa blessure et s’injecter une dose de morphine. Lorsqu’il
est venu ici pour liquider Vaughan, il savait qu’il s’attaquait à forte partie et pouvait
être blessé ; en prévision, il a emporté une trousse de secours pour faire face à toute
éventualité. À cause de la morphine, il ne s’est pas rendu compte de la gravité de
son état. Il a travaillé jusqu’à la limite de ses forces… qui l’ont abandonné un peu
plus tard, dans la forêt.
- Présenté de cette manière, ça s’emboîte à merveille. Mais c’est trop beau. Trop
logique. Dans la réalité, ça ne marche jamais comme ça. La réalité est merdique.
Il était mauvais joueur. Il me contrariait à plaisir, pour m’amener à regretter de
l’avoir mis en difficulté. Il allait se faire taper sur les doigts pour la fouille bâclée de
l’aérodrome.
En vérité, j’essayais de garder bonne figure mais j’avais la tête vide et les
genoux en coton. J’ai dû le suivre dans une pièce attenante, où l’on avait rassemblé
deux chaises et un bureau bancal. C’est là qu’un auxiliaire a enregistré ma
déposition à l’aide d’une caméra vidéo.
- Vous nous avez foutus dans une belle merde, a murmuré Dogson une fois
l’appareil éteint. Si Vaughan n’est pas le ravisseur, n’importe qui peut avoir fait le
coup. L’un ou l’autre des soldats qui campaient ici. On en dénombre deux cents ! Ça
signifie qu’il va nous falloir retrouver leurs traces et les interroger. Une vraie chierie !
Sur cet ultime reproche, il m’a froidement congédiée, et je suis allée récupérer le
cheval dans le hangar, pour rentrer au ranch où d’autres flics achevaient d’interroger
Evita.
Quand tout ce beau monde a enfin levé le camp, nous nous sommes retrouvées
seules et désemparées dans le salon-musée, au milieu des vitrines remplies de
pistolets rouillés.
- Bon, a lâché Evita. Voilà qui tire un trait sur l’hypothèse Vaughan. Je te
propose de rentrer à L.A., je n’ai aucune envie de continuer à jouer les sentinelles, et
je suppose que toi non plus. Peut-être faudrait-il commencer à te dire que cette
histoire ne te regarde pas ? Sarah Jane n’est pas seule au monde. Ce n’est pas une
pauvre orpheline. Elle a une sœur, elle est milliardaire en dollars, et secondée par un
avocat qui peut mobiliser une armée de détectives pour la retrouver. Qu’est-ce que
tu pèses en face de ça, hein ?
Elle avait raison, mais c’était plus fort que moi, je ne pouvais me résoudre à
lâcher prise.
- Mais toi, ai-je lancé, prisonnière de mon idée fixe, tu m’avais pourtant assuré
avoir aperçu Vaughan sur le toit des bâtiments, et cela il y a moins de six mois, alors
qu’il était déjà mort. Comment expliques-tu ça ?
- Non, a corrigé Evita, tu déformes mes propos. J’ai dit que j’avais vu une
silhouette. Ce pouvait être n’importe qui. De toute manière, je n’ai jamais su à quoi
ressemblait Vaughan de son vivant. Je ne fréquentais pas encore Tobbey à l’époque
de la fameuse algarade avec Burton. J’ai en effet surpris une ombre se faufilant au
sommet des anciens hangars. J’en ai déduit qu’il s’agissait de Vaughan parce que
Sarah Jane n’arrêtait pas de répéter qu’il vivait là, en passager clandestin.