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Lire le livre - Bibliothèque

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Agacée par tant de désinvolture, je me suis plongée dans la <strong>le</strong>cture des journaux<br />

intimes de Sarah Jane que j’avais découverts dans sa chambre, dissimulés dans une<br />

boîte à chaussures. J’espérais y trouver quelque chose d’utilisab<strong>le</strong>, un détail sur ses<br />

relations avec Vaughan qui m’aurait permis de localiser <strong>le</strong>ur cachette.<br />

Le ton était gothique en diab<strong>le</strong>. Il y était surtout question de la guerre civi<strong>le</strong><br />

inévitab<strong>le</strong>. La lucidité de Tobbey y était célébrée en des termes dithyrambiques, ainsi<br />

que <strong>le</strong> havre de paix du bunker, arche de la nouvel<strong>le</strong> humanité. Sarah Jane se<br />

réjouissait de faire partie du troupeau des futures génitrices. El<strong>le</strong> imaginait sa vie à<br />

l’intérieur de l’abri, et cela donnait lieu à une espèce de roman élégiaque inachevé.<br />

La communauté enterrée retrouvait <strong>le</strong> sens des va<strong>le</strong>urs humaines, de la cordialité, de<br />

l’entraide. Tout n’y était qu’amour et fraternité. Bref, des délires de fil<strong>le</strong>tte endoctrinée<br />

qui a perdu <strong>le</strong> sens du réel. Les feuil<strong>le</strong>ts, couverts d’une grosse écriture ronde,<br />

encore enfantine, s’agrémentaient de dessins biscornus, la plupart représentant<br />

l’Amérique au <strong>le</strong>ndemain de la guerre atomique. Un territoire d’épouvante hanté par<br />

des mutants à tête de crapaud.<br />

De toute évidence, Sarah Jane n’avait jamais porté <strong>le</strong> moindre regard critique<br />

sur <strong>le</strong>s théories de son paternel. On la sentait flattée de faire partie des élus. À<br />

plusieurs reprises, el<strong>le</strong> avouait même sa hâte de voir éclater <strong>le</strong> conflit qui <strong>le</strong>s forcerait<br />

à descendre dans l’abri. El<strong>le</strong> s’y voyait en tant que responsab<strong>le</strong> des « activités<br />

culturel<strong>le</strong>s », théâtreuse, poétesse, et tout ce qui s’ensuit.<br />

Une tel<strong>le</strong> naïveté avait quelque chose de navrant. Chaque fois que l’on se<br />

retrouve en présence d’une mécanique sectaire, on s’étonne de la crédulité de ses<br />

membres. Hélas, c’est ainsi que <strong>le</strong>s choses fonctionnent. Ce constat m’a déprimée,<br />

et je me suis demandé comment réagirait Sarah Jane si nous parvenions à la<br />

récupérer. Il n’était pas certain qu’el<strong>le</strong> nous remercie.<br />

Une nouvel<strong>le</strong> nuit s’est écoulée sans rien apporter de neuf. Comme Evita<br />

manifestait son impatience, j’ai répliqué :<br />

- Vaughan ne va pas venir se réapprovisionner toutes <strong>le</strong>s vingt-quatre heures,<br />

c’est évident ! Il faut attendre qu’il ait besoin de quelque chose. Ça peut prendre du<br />

temps mais, si tu t’ennuies tel<strong>le</strong>ment, je ne te retiens pas. Je me débrouil<strong>le</strong>rai seu<strong>le</strong>.<br />

- C’est ça ! A-t-el<strong>le</strong> sifflé. Comme ça, si tu te fais assassiner, je me sentirai<br />

coupab<strong>le</strong> jusqu’à ma mort. Merci bien.<br />

Nous nous engueulions, comme de vraies copines. Ça m’a fait chaud au cœur,<br />

mais je n’étais pas dupe. Sans doute en rajoutions-nous pour rendre la cohabitation<br />

supportab<strong>le</strong>. En réalité, nous étions l’une et l’autre des solitaires peu disposées à<br />

partager <strong>le</strong>ur espace vital.<br />

J’avoue qu’après la troisième nuit blanche j’étais près de jeter l’éponge. Mon<br />

plan se révélait foireux. Ou Vince Vaughan était plus patient que nous, ou il ne s’était<br />

pas réfugié à l’hacienda, et je faisais fausse route.<br />

En ayant assez de la claustration, je suis allée à l’écurie emprunter un cheval et<br />

j’ai pris, au petit trot, <strong>le</strong> chemin du vieil aérodrome. Le grand air m’a fait du bien. Les<br />

sabots de l’animal résonnaient curieusement sur <strong>le</strong> tarmac, puis <strong>le</strong> bruit s’envolait<br />

pour ricocher sur la façade des bâtiments. Le so<strong>le</strong>il tapait fort et j’ai éprouvé <strong>le</strong><br />

besoin de me réfugier à l’ombre d’un hangar. Pendant que je m’épongeais <strong>le</strong> front,<br />

une idée m’a traversé la cervel<strong>le</strong> : « Et si Vaughan, au lieu d’élire domici<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s<br />

collines, s’était installé dans la tour de contrô<strong>le</strong> surplombant la piste ? »<br />

Sarah Jane ne m’avait-el<strong>le</strong> pas révélé que Vince s’y était embusqué deux<br />

années durant, se nourrissant de serpents et de coyotes ? Il connaissait donc<br />

merveil<strong>le</strong>usement <strong>le</strong>s lieux. Rien d’étonnant à ce que <strong>le</strong>s flics ne l’aient pas trouvé<br />

lorsqu’ils avaient fouillé l’endroit. Ce genre de bâtiment fourmil<strong>le</strong> de recoins qu’avec

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