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Les bras chargés de nourriture, j’ai parcouru l’hacienda. J’ai fini par découvrir, au<br />

deuxième étage, un boudoir très Laura Ash<strong>le</strong>y dont la porte en chêne était équipée<br />

d’une solide serrure. Un sofa, des fauteuils encadraient une cheminée en marbre,<br />

tota<strong>le</strong>ment incongrue dans <strong>le</strong> décor hispano-texan du ranch. Le pique-feu et <strong>le</strong>s<br />

pincettes en fer forgé constitueraient, <strong>le</strong> cas échéant, de bonnes armes de défense.<br />

J’ai décidé que nous « planquerions » là. Tant pis si <strong>le</strong>s f<strong>le</strong>urettes du papier peint<br />

me flanquaient de l’urticaire. Ne restait plus qu’à attendre la nuit. J’ai trompé l’attente<br />

en lisant la paperasse entassée dans <strong>le</strong> bureau de Tobbey. Mais il s’agissait surtout<br />

de rapports d’activités pétrolifères, terrib<strong>le</strong>ment techniques, auxquels je ne<br />

comprenais goutte. Les documents « sensib<strong>le</strong>s » se trouvaient à l’abri des placards<br />

blindés.<br />

J’ai pris mon mal en patience.<br />

Evita a fini par se réveil<strong>le</strong>r. Nous avons bavardé à voix basse, chacune essayant<br />

de mieux connaître son interlocutrice, mais nous restions l’une et l’autre sur la<br />

défensive. Dès que j’abordais <strong>le</strong> sujet de l’occultisme, de la superstition, Evita se<br />

fermait. C’était son territoire secret, son domaine d’expertise, el<strong>le</strong> ne tolérait pas<br />

qu’on y pose <strong>le</strong> pied. El<strong>le</strong> semblait croire à tout ça. J’ai cru comprendre qu’el<strong>le</strong> avait<br />

connu, el<strong>le</strong> aussi, une enfance des plus bizarres. De cel<strong>le</strong>s qui vous transforment en<br />

extraterrestre pour <strong>le</strong> reste de votre existence. Comme el<strong>le</strong>, je m’étais toujours sentie<br />

étrangère au milieu des gens dits normaux. Leurs va<strong>le</strong>urs me paraissaient artificiel<strong>le</strong>s<br />

et stupides, <strong>le</strong>urs centres d’intérêt incompréhensib<strong>le</strong>s. J’avais beaucoup de mal à me<br />

faire des ami(e)s. On disait de moi que j’étais « décalée », « schizo »… Aux USA, <strong>le</strong>s<br />

solitaires sont considérés comme suspects : il convient avant tout de s’intégrer, de<br />

militer dans une association, n’importe laquel<strong>le</strong>. J’en étais incapab<strong>le</strong>, et cela m’avait<br />

valu bien des déboires. Par tous ces côtés, Evita me ressemblait. El<strong>le</strong> ne pouvait se<br />

rapprocher des humains qu’au travers de son métier.<br />

Nous avons joué au petit jeu des miroirs jusqu’au coucher du so<strong>le</strong>il, puis<br />

l’angoisse nous a reprises.<br />

Nous avons émigré au deuxième étage après avoir décidé de monter la garde à<br />

tour de rô<strong>le</strong>, deux heures chacune. L’hacienda était à présent plongée dans <strong>le</strong> noir,<br />

toutes <strong>le</strong>s lumières éteintes. Evita s’est allongée sur <strong>le</strong> sofa pendant que je<br />

m’embusquais près de la porte entrouverte, <strong>le</strong> pique-feu à portée de main. Je me<br />

sentais un peu ridicu<strong>le</strong>, mais je ne parvenais pas à me désintéresser de Sarah Jane.<br />

Je voulais lui éviter de connaître <strong>le</strong> même sort que Willa.<br />

- Tu sais, a chuchoté Evita dans mon dos, on se trompe peut-être. Si ça se<br />

trouve, ça lui plaît, à la gamine. El<strong>le</strong> a l’impression de vivre un truc super excitant, et<br />

el<strong>le</strong> kiffe Vaughan à mort. El<strong>le</strong> va nous en vouloir un max de lui casser son rêve.<br />

- Possib<strong>le</strong>, ai-je soupiré. À cet âge-là, on est très conne. Mais ce type a<br />

massacré toute sa famil<strong>le</strong>, ou presque. Tu crois qu’on peut la laisser en sa<br />

compagnie ?<br />

El<strong>le</strong> n’a pas répondu.<br />

Pour abréger, je dirai que la nuit a été sans surprise. Nous avons monté la garde<br />

en vain. Enfin, surtout moi, parce que Evita a beaucoup dormi à partir de quatre<br />

heures et qu’il m’a été impossib<strong>le</strong> de la réveil<strong>le</strong>r.<br />

La journée du <strong>le</strong>ndemain a été maussade. Interminab<strong>le</strong> et ennuyeuse. Evita<br />

avait <strong>le</strong> plus grand mal à rester en place. N’y tenant plus, el<strong>le</strong> est partie du côté des<br />

écuries, pour flirter avec <strong>le</strong> pa<strong>le</strong>frenier. Je l’ai vue passer, chevauchant un andalou<br />

qui valait une fortune. El<strong>le</strong> m’a adressé un petit signe moqueur avant de prendre la<br />

direction de l’aérodrome où el<strong>le</strong> a trotté sur la piste deux heures durant.

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