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Mais j’étais également la fille de mon père, et mon père n’aurait pas baissé les
bras. N’ayant aucune confiance en une police qu’il estimait corrompue et au service
d’un pouvoir fasciste, il aurait mené sa propre enquête, démasqué les coupables…
et les aurait exécutés séance tenante.
Le sort de Sarah Jane m’inquiétait. Dogson semblait près de s’avouer vaincu,
Stanley-Mitchell avait récupéré Willa… Les conditions paraissaient réunies pour que
le dossier se couvre de poussière. Je n’avais aucun mal à imaginer ce que Dogson
aurait dit si je l’avais interrogé à ce sujet :
- Plus le temps passe, plus il devient difficile de retrouver la trace de Vaughan.
Vous savez comme moi que les affaires qui ne sont pas résolues en quarante-huit
heures ne le sont jamais. C’est une réalité statistique. Dès lors, trois possibilités
s’offrent à nous. Un : Sarah Jane est morte. Elle a résisté à son agresseur, a tenté
de s’enfuir, il l’a tuée. Son corps est enterré quelque part. On le retrouvera par
hasard, dans dix ans ou jamais. Deux : Sarah Jane se montre docile. Soit parce
qu’elle a peur de Vaughan, soit parce qu’elle se laisse séduire par lui. Syndrome de
Stockholm classique. Elle devient sa compagne. Elle s’habitue à cette vie. Dans ce
cas de figure, on ne les localisera que s’ils commettent une erreur de parcours :
attaque de station-service, d’épicerie, vol de voiture… Mais ça n’a rien d’obligatoire.
Ce pays est immense, des légions de marginaux y vivent et s’y déplacent à l’insu des
autorités. Le couple peut s’installer dans une région reculée montagne, forêt de
préférence inaccessible, et y vieillir en paix. Cela s’est vu. Troisième possibilité, de
loin la plus optimiste : Sarah Jane finit par échapper à son geôlier. Cela peut se
produire dans les semaines qui viennent, comme dans plusieurs années. On a déjà
récupéré des filles qui vivaient prisonnières depuis dix ans, enchaînées au fond
d’une cave. Notre seul véritable espoir, c’est que Vaughan soit reconnu par un
épicier, un pompiste, un postier, un retraité qui prend le soleil sur le pas de sa
porte… Un avis de recherche a été diffusé à travers le pays. Un miracle n’est pas à
écarter.
Oui, il me semblait entendre sa voix, si raisonnable, résonner à mon oreille.
Comme tous les flics, c’était un homme de procédures, de statistiques, détestant les
initiatives et les extrapolations… et puis des dizaines d’autres affaires s’entassaient
déjà sur son bureau, réclamant ses lumières.
Si j’insistais, il dirait :
- Voyez avec Stanley-Mitchell, les Zufrau-Clarkson étaient pétés de thunes, Willa
peut s’offrir les services d’un enquêteur privé. Il y a d’excellentes agences qui
emploient d’anciens membres des Services secrets ou du F.B.I. De toute manière,
vous n’êtes pas de la famille. En quoi cela vous regarde-t-il ?
Je n’avais pas envie de me résigner, sans doute parce que je n’avais pas vu
défiler des dizaines d’affaires analogues. J’étais neuve. Naïve. Voire un peu idiote,
et, comme toutes les petites filles, j’avais trop lu de Nancy Drew.
Assommée par l’alcool, j’ai dormi.
Je me suis réveillée en sursaut, électrifiée par une idée qui venait de me
traverser l’esprit.
« Et si, au lieu de fuir au hasard, Vaughan était tout bonnement revenu se
cacher à l’hacienda ? »
Ne connaissait-il pas le terrain comme sa poche ? En ce moment même, il se
dissimulait peut-être au fond d’une caverne, au milieu d’un territoire sillonné par les
robots. Pourquoi, en effet, aurait-il commis l’erreur de quitter le domaine ? Partir sur
les routes, à l’aventure, c’était courir le risque d’être identifié, arrêté par une