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Au bout d’un quart d’heure, j’ai posé la main sur le genou de Willa pour attirer
son attention et l’arracher à sa logorrhée. Elle n’aurait pas davantage tressailli si je
lui avais enfoncé une aiguille dans la cuisse.
Lentement, j’ai entrepris de lui expliquer que nous venions la récupérer, et que
d’ici trois heures sa vie aurait changé. J’ai parlé du cabinet Stanley-Mitchell, de L.A.,
sans trop m’appesantir sur ce qu’on attendait d’elle. De toute manière, Silas serait
surpris quand il découvrirait la tête de sa protégée. S’il comptait l’exhiber à la télé
dans son état actuel, les cours de l’action Zufrau-Clarkson Industries plongeraient en
chute libre. Pour les actionnaires, ce serait comme si on leur proposait d’installer
Cheetah, la guenon de Tarzan, aux commandes de la boîte.
Willa m’écoutait, l’air hagarde, à croire que je m’exprimais en klingon.
- Tout ça, c’est bien gentil, est intervenue Evita, mais faut y aller.
J’ai allumé la radio et tenté d’établir le contact avec Stanley-Mitchell. Hélas,
l’émission ne passait pas. Il fallait sortir de la faille. J’ai demandé à Willa si elle
désirait emporter quelque chose. Elle a secoué négativement la tête. Nous avons
quitté la tanière à la queue leu leu. Evita avait pris la tête de la colonne, pressée d’en
finir.
Tout à coup, Willa a glissé sa main dans la mienne.
- Tu sais, a-t-elle murmuré, j’ai eu un enfant…
Comme je restais interdite, elle a ajouté :
- C’est Burt qui m’a accouchée. Le bébé était mort-né. On l’a enterré au sud de
la faille, là-bas… mais quand j’ai voulu me rendre sur sa tombe, elle était vide… les
coyotes l’avaient déjà emporté. Ils l’ont mangé. Ils ont mangé mon petit garçon.
Après, ils l’ont chié, un peu partout… Mon bébé s’est changé en merde… et la pluie
l’a délayé. Je ne le retrouverai jamais.
Je n’ai rien dit mais j’ai serré sa paume dans la mienne. Je me demandais si
Willa pourrait un jour effacer de sa mémoire ces deux années de folie. J’ai essayé de
l’imaginer en tailleur Armani, executive woman dirigeant d’une main de fer
l’entreprise léguée par Tobbey.
Une fois sorties de la lézarde, nous avons eu une autre mauvaise surprise.
L’émission ne passait toujours pas, la colline créant ce que les spécialistes appellent
une zone d’ombre. Peut-être était-elle bourrée de minerai de fer, ce qui n’arrangeait
rien.
- Il faut gagner le sommet, carajo ! A juré Evita. Ici on était à l’abri des robots, làhaut
on sera exposées.
Je n’étais pas plus emballée qu’elle mais j’ai entamé l’escalade sans perdre de
temps. Willa s’est révélée en meilleure forme physique que nous. Elle grimpait sans
s’essouffler, avec aisance. La sauvagerie, parfois, ça aide.
J’ai pensé à Vince Vaughan. Je le voyais très bien assassinant son rival après
lui avoir mené une guerre d’escarmouches pendant un an. Le cadavre de Burton
MacGraw devait se décomposer au fond d’une caverne, quelque part en un lieu
inaccessible. Son crime accompli, Vince avait alors renoncé à s’emparer de Willa…
soit parce qu’elle avait enlaidi, soit parce qu’il avait déjà commencé à fantasmer sur
Sarah Jane. Elle était sans doute encore trop jeune pour lui, alors. Il avait attendu
qu’elle grandisse, qu’elle s’apprivoise. Il lui avait fallu du temps pour domestiquer la
gosse, l’attirer dans ses filets. Je ne savais pas grand-chose des relations
qu’entretenait Sarah Jane avec Vaughan. Probablement ne m’avait-elle pas tout dit.
Les choses avaient pu aller plus loin qu’elle ne consentait à l’avouer. Avec les
adolescentes, tout est possible. Avait-elle trouvé excitant de devenir l’égérie d’un