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qu’un accessoire. Le prétexte de la querel<strong>le</strong>. Officiel<strong>le</strong>ment, Vince et Burt<br />
s’affrontaient pour ma possession, mais c’était un écran de fumée. Vince ne s’en<br />
remettait pas d’avoir été écarté à la dernière minute. Il se voulait l’unique discip<strong>le</strong> de<br />
Tobbey Zufrau-Clarkson, l’héritier de sa pensée, <strong>le</strong> continuateur de son œuvre. Il n’a<br />
pas supporté d’être rétrogradé, d’apprendre qu’on lui préférait Burton MacGraw. Moi,<br />
dans toute cette histoire, je n’étais qu’une figurante… D’ail<strong>le</strong>urs, Burt ne s’est jamais<br />
intéressé à moi. Oh ! il me baisait, ça oui, mais pas tant que ça quand on y pense.<br />
Son vrai truc, c’était la guerre. Le grand pied.<br />
- Vince l’aurait donc assassiné…, ai-je souligné, craignant qu’el<strong>le</strong> ne s’embarque<br />
dans une digression.<br />
- Oui, il a fini par l’avoir au bout d’un an et demi. Je ne sais pas comment. Il a<br />
caché <strong>le</strong> corps quelque part. Peut-être même l’a-t-il dévoré, bout par bout. Il était<br />
assez cinglé pour al<strong>le</strong>r jusque-là. Ces deux mecs avaient la tête farcie de légendes.<br />
Les héros grecs, <strong>le</strong>s chevaliers Teutoniques, <strong>le</strong>s Vikings… toutes ces foutaises dont<br />
mon père <strong>le</strong>s abreuvait. Alors, manger <strong>le</strong> cœur et <strong>le</strong> foie d’un ennemi, ça <strong>le</strong>ur<br />
paraissait presque normal. La preuve que Vince se fichait pas mal de moi, c’est qu’il<br />
n’est pas venu me chercher après avoir liquidé Burt. S’il avait été si amoureux que<br />
ça, c’est la première chose qu’il aurait faite, non ?<br />
El<strong>le</strong> s’exprimait d’une voix apeurée d’ado<strong>le</strong>scente et crachait ses invectives<br />
comme une collégienne qui craint de se faire surprendre par un surveillant.<br />
- Burton vous maltraitait ? Ai-je chuchoté.<br />
- Oui. Il disait que ça m’endurcirait. Il m’expliquait qu’il était passé par là lui aussi,<br />
qu’on l’avait entraîné à résister à la torture, qu’il fallait domestiquer la dou<strong>le</strong>ur. Il<br />
parlait tout <strong>le</strong> temps de la guerre qui s’annonçait, de notre vie future dans l’abri.<br />
- Et vous, quels étaient vos sentiments à son égard ?<br />
- Je ne sais pas. Au début, j’étais flattée. Il était beau garçon, et fort. Nos parents<br />
nous avaient é<strong>le</strong>vées, mes sœurs en moi, dans l’idée que nous serions la femel<strong>le</strong> du<br />
mâ<strong>le</strong> alpha, <strong>le</strong> dominant de la meute. C’était notre destin. Ça me paraissait normal…<br />
et puis j’avais envie de faire plaisir à mon père. Puisque je ne pouvais pas devenir<br />
soldat, je lui devais au moins ça, à titre de dédommagement. Pour me faire<br />
pardonner de n’être qu’une fil<strong>le</strong>… C’était assez confus dans mon esprit. Merde ! Je<br />
n’avais que seize ans ! Les premiers temps, c’était comme un grand jeu de piste… et<br />
puis, très vite, c’est devenu beaucoup moins amusant. Cette vie de bête traquée. La<br />
crasse. La peur.<br />
Derrière moi, Evita s’impatientait. El<strong>le</strong> devait trouver que j’en faisais trop dans <strong>le</strong><br />
genre assistance psychologique. El<strong>le</strong> avait hâte de charger Willa dans l’hélico et de<br />
toucher son chèque. L’empathie, ce n’était pas son sty<strong>le</strong>.<br />
- Vous êtes restée six mois toute seu<strong>le</strong>, ai-je observé.<br />
- Oui. Je me cachais. J’avais peur des autres soldats. Je ne voulais pas <strong>le</strong>ur<br />
servir de femme. Quand je pense que mes sœurs meurent d’envie d’être à ma<br />
place ! Sarah Jane surtout. Mon père l’a complètement endoctrinée. El<strong>le</strong> n’a qu’une<br />
hâte, atteindre l’âge d’être attribuée en récompense au major de la promotion.<br />
Pauvre petite conne ! Si el<strong>le</strong> savait ce qui l’attend…<br />
El<strong>le</strong> s’est tue, réalisant sans doute que <strong>le</strong> système mis en place par Tobbey<br />
n’avait plus de raison d’être. Manifestement, el<strong>le</strong> avait du mal à se persuader que<br />
son calvaire touchait à sa fin. Puis, comme cela se produit souvent avec <strong>le</strong>s gens<br />
pris dans une spira<strong>le</strong> obsessionnel<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> a commencé à ressasser, répétant ce<br />
qu’el<strong>le</strong> venait de nous raconter. Evita a poussé un soupir d’irritation.