Le diable en gris - Free
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sur la planche à découper en bois de chêne, il y avait un amas pâle et luisant. Decker ne comprit pas tout de suite ce qu’il regardait, puis, avec un sentiment grandissant de désarroi, il réalisa que c’était un visage, aux yeux grands ouverts et aux dents inégales. Ce n’était pas un vrai visage, mais un visage qui avait été confectionné avec des tranches de poulet cru, un bréchet pointu en guise de nez, deux rondelles de banane pour les yeux, et des dents faites avec une pomme coupée en cubes. Le visage avait une apparence de vie troublante, et la façon dont il le regardait donnait l’impression qu’il allait parler. Mais qui avait créé ce visage, et pourquoi, et comment ? Un petit couteau affilé était posé à côté de la planche à découper, mais celui qui l’avait utilisé avait complètement disparu. Decker arpenta lentement la cuisine, en agitant sa batte de base-ball d’un côté et de l’autre, comme si elle pouvait toucher quelqu’un d’invisible. De nouveau, il chuchota : — Cathy ? Tu es ici, ma chérie ? Parle-moi, Cathy. Mais il n’y eut toujours pas de réponse, seulement la sirène lugubre d’un bateau sur la rivière. Il retourna dans le séjour et jeta un coup d’œil derrière les rideaux. Les fenêtres étaient fermées et verrouillées, donc personne n’avait pu prendre la fuite en sortant par là. Qui plus est, il y avait un à-pic de vingt mètres jusqu’à la rue. Il alla dans la chambre et ouvrit toutes les portes de la penderie. Personne. Il regarda en fronçant les sourcils la photo de Cathy à côté du lit. — C’était toi ? Ou bien est-ce que je perds la raison ?
Il retourna dans la cuisine. Il considéra pendant un moment le visage façonné avec des blancs de poulet, mais il n’avait aucune idée de sa signification. Il pensa à Jerry Maitland déclarant : «Il n’y avait personne là-bas… Ça nous a tailladés continuellement, mais il n’y avait personne làbas. » Il se demanda s’il devait appeler Hicks pour qu’il vienne jeter un coup d’œil, mais décida de n’en rien faire. Hicks avait besoin de dormir et, de surcroît, Decker ne voulait pas donner l’impression qu’il perdait la boule. Il avait vu cela se produire trop souvent, des policiers qui s’effondraient petit à petit. La plupart du temps, leur dépression nerveuse était causée par l’érosion persistante d’un chagrin refoulé, après que l’un de leurs coéquipiers avait été tué, ou après que leur mariage était parti à vaul’eau et qu’ils n’avaient pas obtenu la garde de leurs enfants, ou après qu’ils avaient été appelés une fois de trop pour examiner un corps horriblement mutilé. Ils pensaient toujours qu’ils contrôlaient parfaitement leurs émotions, alors que tous leurs collègues se rendaient compte qu’ils étaient aussi fragiles qu’une automobile dont la carrosserie est rouillée jusqu’à la peinture. Decker prit son Polaroid sur l’une des étagères de la bibliothèque, mit un film, et prit six ou sept clichés du plan de travail. Puis il mit les morceaux de poulet et les fruits dans l’évier, et les poussa dans le broyeur. Quant au couteau, il le saisit par la pointe et le fit tomber dans un sachet en plastique. Il parcourut la cuisine du regard une fois encore. Il
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Mais il n’y eut toujours pas de réponse, seulem<strong>en</strong>t la<br />
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— C’était toi ? Ou bi<strong>en</strong> est-ce que je perds la raison ?