Le diable en gris - Free

dégager une énergie extraordinaire, et, lorsqu’il fit un pas
vers elle, il sentit les petits cheveux sur sa nuque se
dresser, comme s’il se tenait à côté d’un transformateur
électrique. Elle tourna la tête pour le regarder, et, bien
qu’elle fût toujours Reine Aché, avec ce front haut, ces
paupières abaissées de façon érotique, et ces lèvres
pulpeuses légèrement entrouvertes, il y avait un autre
visage à l’intérieur de son visage, un visage au regard
glacial, qui était serein et infiniment ancien.
Decker réalisa que, par l’entremise d’un tiers, il regardait
le visage d’un orisha, une déesse des temps les plus
reculés de la civilisation africaine, créatrice de dynasties et
de magie. Il avait déjà été effrayé. Ses cauchemars sur la
bataille du Wilderness l’avaient terrifié. Mais rien ne l’avait
encore jamais terrifié à ce point : il réalisait qu’il y avait un
monde où les morts pouvaient vivre pour toujours, que des
hommes pouvaient passer à travers des murs, et que
toutes les lois de la possibilité ne signifiaient absolument
rien.
Il se remémora brusquement Le Cri d’Edvard Munch – la
terreur absolue de découvrir que la vie n’a pas de limites.
— Et maintenant, que faisons-nous ? demanda-t-il à
Reine Aché.
— Nous cherchons où se cache votre Homme Très
Effrayant.
Elle prit les pommes une à une et les posa sur les
pierres-tonnerre brûlantes. Elles grésillèrent et se
boursouflèrent, et dégagèrent une épaisse fumée à l’odeur
de caramel.