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<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 81<br />
un hôpital, fournir son cadavre à la science, comme moyen d'études, pour guérir<br />
ses maîtres.<br />
Voilà <strong>le</strong>s fruits de l'appropriation des instruments de travail ! Pour <strong>le</strong>s masses,<br />
des labeurs incessants, à peine l'obo<strong>le</strong> de la journée, jamais de <strong>le</strong>ndemain sûr, et la<br />
famine, si un caprice de colère ou de peur retire ces instruments ! Pour <strong>le</strong>s<br />
privilégiés, l'autocratie absolue, <strong>le</strong> droit de vie et de mort ! car ils ont <strong>le</strong>s mains<br />
p<strong>le</strong>ines, ils peuvent attendre. Avant que l'épuisement de <strong>le</strong>ur réserve <strong>le</strong>s contraigne<br />
à capitu<strong>le</strong>r, <strong>le</strong> dernier plébéien serait mort.<br />
Qui ne se rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s misères de 1831, quand <strong>le</strong> capital s'est caché par crainte<br />
ou par vengeance ? Du fond de <strong>le</strong>ur fromage de Hollande <strong>le</strong>s barons du coffre-fort<br />
contemplaient froidement <strong>le</strong>s angoisses de ce peup<strong>le</strong> décimé par la faim, en<br />
récompense de son sang versé au service de <strong>le</strong>urs vanités bourgeoises. Les<br />
représail<strong>le</strong>s de la grève sont impossib<strong>le</strong>s.<br />
Les ouvriers de Lyon viennent de <strong>le</strong>s tenter 1 . Mais à quel prix ! Soixante mil<strong>le</strong><br />
hommes ont dû fléchir devant quelques douzaines de fabricants et demander grâce.<br />
La faim a dompté la révolte. Et n'est-ce pas un mirac<strong>le</strong> même que cette velléité de<br />
résistance ? Que de souffrances n'a-t-il pas fallu pour lasser la patience de ce<br />
peup<strong>le</strong> et <strong>le</strong> raidir enfin contre l'oppression !<br />
Le pauvre ne connaît pas la source de ses maux. L'ignorance, fil<strong>le</strong> de<br />
l'asservissement, fait de lui un instrument doci<strong>le</strong> des privilégiés. É<strong>cras</strong>é de labeur,<br />
étranger à la vie intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, que peut-il savoir de ces phénomènes sociaux où il<br />
joue <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de bête de somme ? Il accepte comme un bienfait ce qu'on daigne lui<br />
laisser du fruit de ses sueurs, et ne voit dans la main qui l'exploite que la main qui<br />
<strong>le</strong> nourrit, toujours prêt, sur un signe du maître, à déchirer <strong>le</strong> téméraire qui essaie<br />
de lui montrer une destinée meil<strong>le</strong>ure.<br />
Hélas ! l'humanité marche avec un bandeau sur <strong>le</strong>s yeux, et ne <strong>le</strong> soulève qu'à<br />
de longs interval<strong>le</strong>s pour entrevoir sa route. Chacun de ses pas dans la voie du<br />
progrès é<strong>cras</strong>e <strong>le</strong> guide qui <strong>le</strong> lui fait faire. Toujours ses héros ont commencé par<br />
être ses victimes. Les Gracques sont mis en pièces par une tourbe ameutée à la<br />
voix des patriciens. Le Christ expire sur la croix, aux hur<strong>le</strong>ments de joie de la<br />
populace juive excitée par <strong>le</strong>s Pharisiens et <strong>le</strong>s prêtres et, naguère, <strong>le</strong>s défenseurs<br />
de l'égalité sont morts sur l'échafaud de la Révolution par l'ingratitude et la<br />
stupidité du peup<strong>le</strong>, qui a laissé la calomnie vouer <strong>le</strong>ur mémoire à l'exécration.<br />
Aujourd'hui encore, <strong>le</strong>s stipendiés du privilège enseignent chaque matin aux<br />
Français à cracher sur la tombe de ces martyrs.<br />
Qu'il est diffici<strong>le</strong> au prolétariat d'ouvrir <strong>le</strong>s yeux sur ses oppresseurs ! Si à Lyon<br />
il s'est <strong>le</strong>vé comme un seul homme, c'est que l'antagonisme flagrant des intérêts ne<br />
1 Il s'agit de la révolte des canuts du mois d'avril 1834.