Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

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25.06.2013 Views

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 70 2. – RAPPORT SUR LA SITUATION INTÉRIEURE, ET EXTÉRIEURE DE LA FRANCE DEPUIS LA RÉVOLUTION DE JUILLET Retour à la table des matières (DISCOURS PRONONCÉ À LA SÉANCE DU 2 FÉVRIER 1832 DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DU PEUPLE) 1 Il ne faut pas se dissimuler qu'il y a guerre à mort entre les classes qui composent la nation. Cette vérité étant bien reconnue, le parti vraiment national, celui auquel les patriotes doivent se rallier, c'est le parti des masses. Il y a eu jusqu'ici trois intérêts en France, celui de la classe dite très élevée, celui de la classe moyenne ou bourgeoise, enfin celui du peuple. Je place le peuple en dernier parce qu'il a toujours été le dernier et que je compte sur une prochaine application de la maxime de l'évangile : les derniers seront les premiers. En 1814 et 1815, la classe bourgeoise fatiguée de Napoléon, non pas à cause du despotisme (elle se soucie peu de la liberté qui ne vaut pas à ses yeux une livre de bonne cannelle ou un billet bien endossé), mais parce que, le sang du peuple épuisé, la guerre commençait à lui prendre ses enfants, et surtout parce qu'elle nuisait à sa tranquillité et empêchait le commerce d'aller, la classe bourgeoise, donc, reçut les soldats étrangers en libérateurs, et les Bourbons comme les envoyés de Dieu. Ce fut elle qui ouvrit les portes de Paris, qui traita de brigands les soldats de Waterloo, qui encouragea les sanglantes réactions de 1815 ! Louis XVIII l'en récompensa par la Charte 2 . Cette Charte constituait les hautes classes en aristocratie et donnait aux bourgeois la Chambre des députés, dite Chambre démocratique. Par là, les émigrés, les nobles et les grands propriétaires, partisans fanatiques des Bourbons, et la classe moyenne qui les acceptait par intérêt se trouvaient maîtres, par portions égales, du gouvernement. Le peuple fut mis de côté. Privé de chefs, démoralisé par l'invasion étrangère, n'ayant plus foi à la liberté, il se tut et subit le joug, en faisant ses réserves. Vous savez l'appui constant que la classe bourgeoise a prêté à la Restauration jusqu'en 1825. Elle 1 Manuscrits de Blanqui, Bibl. Nat. NAF 9591-I, feuillet 314 et sq. 2 Après la chute de Napoléon, Louis XVIII fut obligé d'octroyer une Constitution ou Charte (le 4 juin 1814). La Charte transformait la France en une monarchie constitutionnellele pouvoir du roi était limité par la Chambre des pairs et par la Chambre des députés qui, à elles deux, représentaient les intérêts des propriétaires fonciers et de la couche supérieure de la bourgeoisie. Un cens élevé limitait le droit de vote à 100 000 personnes, le droit à l'éligibilité à 15 ou 16 000.

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 71 prêta les mains aux massacres de 1815 et 1816 1 , aux échafauds de Borie et de Berton 2 , à la guerre d'Espagne, à l'avènement de Villèle 3 et au changement de la loi d'élection ; elle ne cessa d'envoyer des majorités dévouées au pouvoir, jusqu'en 1827. Dans l'intervalle de 1825 à 1827, Charles X, voyant que tout lui réussissait et se croyant assez fort sans les bourgeois, voulut procéder à leur exclusion, comme on avait fait pour le peuple en 1815 ; il fit un pas hardi vers l'ancien régime et déclara la guerre à la classe moyenne en proclamant la domination exclusive de la noblesse, et du clergé sous la bannière du jésuitisme. La bourgeoisie est essentiellement antispirituelle, elle déteste les églises, ne croit qu'aux registres en partie double. Les prêtres l'irritèrent ; elle avait bien consenti à opprimer le peuple de moitié avec les classes supérieures, mais voyant son tour venu aussi, pleine de ressentiment et de jalousie contre la haute aristocratie, elle se rallia à cette minorité de la classe moyenne qui avait combattu les Bourbons depuis 1815 et qu'elle avait sacrifiée jusque-là. Alors commença cette guerre de journaux et d'élections menée avec tant de constance et d'acharnement. Mais les bourgeois combattaient au nom de la Charte, rien que pour la Charte. La Charte, en effet, assurait leur puissance ; fidèlement exécutée, elle leur donnait la suprématie dans l'État. La légalité fut inventée pour représenter cet intérêt de la bourgeoisie et lui servir de drapeau. L'ordre légal devint comme une divinité devant laquelle les opposants constitutionnels brûlaient leur encens quotidien. Cette lutte se poursuivit de 1825 à 1830, toujours plus favorable aux bourgeois qui gagnaient rapidement du terrain et qui, maîtres de la Chambre des députés, menacèrent bientôt le gouvernement d'une complète défaite. Que faisait cependant le peuple au milieu de ce conflit ? Rien. Il restait spectateur silencieux de la querelle et chacun sait bien que ses intérêts ne comptaient pas dans les débats survenus entre ses oppresseurs. Certes, les bourgeois se souciaient peu de lui et de sa cause, qu'on regardait comme perdue depuis quinze ans. Vous vous souvenez que les feuilles les plus dévouées aux constitutionnels répétaient à l'envi que le peuple avait donné sa démission entre les mains des électeurs, seuls organes de la France. Ce n'était pas seulement le gouvernement qui considérait les masses comme indifférentes au débat ; la classe moyenne les méprisait peut-être plus encore et certainement elle comptait recueillir seule les fruits de la victoire. Cette victoire n'allait pas au-delà de la Charte. Charles X et la Charte avec une bourgeoisie toute puissante, tel était le but des constitutionnels. Oui, mais le peuple entendait autrement la question ; le peuple se moquait de la Charte et exécrait les Bourbons et, voyant ses maîtres se 1 Il s'agit de la terreur blanche en France, après les Cent-Jours. 2 BORIE et BERTON. Le général Berton fit, avec le concours de Carbonari, le 24 février 1822, une tentative de renverser les Bourbons. Le coup de force échoua, Berton et quelques autres Carbonari furent exécutés. 3 VILLÈLE : Ultra-royaliste, chef du cabinet de 1821 à1828.

<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 70<br />

2. – RAPPORT SUR LA SITUATION INTÉRIEURE,<br />

ET EXTÉRIEURE DE LA FRANCE<br />

DEPUIS LA RÉVOLUTION DE JUILLET<br />

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(DISCOURS PRONONCÉ À LA SÉANCE DU 2 FÉVRIER<br />

1832 DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DU PEUPLE) 1<br />

Il ne faut pas se dissimu<strong>le</strong>r qu'il y a guerre à mort entre <strong>le</strong>s classes qui<br />

composent la nation. Cette vérité étant bien reconnue, <strong>le</strong> parti vraiment national,<br />

celui auquel <strong>le</strong>s patriotes doivent se rallier, c'est <strong>le</strong> parti des masses.<br />

Il y a eu jusqu'ici trois intérêts en France, celui de la classe dite très é<strong>le</strong>vée,<br />

celui de la classe moyenne ou bourgeoise, enfin celui du peup<strong>le</strong>. Je place <strong>le</strong> peup<strong>le</strong><br />

en dernier parce qu'il a toujours été <strong>le</strong> dernier et que je compte sur une prochaine<br />

application de la maxime de l'évangi<strong>le</strong> : <strong>le</strong>s derniers seront <strong>le</strong>s premiers.<br />

En 1814 et 1815, la classe bourgeoise fatiguée de Napoléon, non pas à cause du<br />

despotisme (el<strong>le</strong> se soucie peu de la liberté qui ne vaut pas à ses yeux une livre de<br />

bonne cannel<strong>le</strong> ou un bil<strong>le</strong>t bien endossé), mais parce que, <strong>le</strong> sang du peup<strong>le</strong><br />

épuisé, la guerre commençait à lui prendre ses enfants, et surtout parce qu'el<strong>le</strong><br />

nuisait à sa tranquillité et empêchait <strong>le</strong> commerce d'al<strong>le</strong>r, la classe bourgeoise,<br />

donc, reçut <strong>le</strong>s soldats étrangers en libérateurs, et <strong>le</strong>s Bourbons comme <strong>le</strong>s envoyés<br />

de Dieu. Ce fut el<strong>le</strong> qui ouvrit <strong>le</strong>s portes de Paris, qui traita de brigands <strong>le</strong>s soldats<br />

de Waterloo, qui encouragea <strong>le</strong>s sanglantes réactions de 1815 !<br />

Louis XVIII l'en récompensa par la Charte 2 . Cette Charte constituait <strong>le</strong>s hautes<br />

classes en aristocratie et donnait aux bourgeois la Chambre des députés, dite<br />

Chambre démocratique. Par là, <strong>le</strong>s émigrés, <strong>le</strong>s nob<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s grands propriétaires,<br />

partisans fanatiques des Bourbons, et la classe moyenne qui <strong>le</strong>s acceptait par<br />

intérêt se trouvaient maîtres, par portions éga<strong>le</strong>s, du gouvernement. Le peup<strong>le</strong> fut<br />

mis de côté. Privé de chefs, démoralisé par l'invasion étrangère, n'ayant plus foi à<br />

la liberté, il se tut et subit <strong>le</strong> joug, en faisant ses réserves. Vous savez l'appui<br />

constant que la classe bourgeoise a prêté à la Restauration jusqu'en 1825. El<strong>le</strong><br />

1 Manuscrits de <strong>Blanqui</strong>, Bibl. Nat. NAF 9591-I, feuil<strong>le</strong>t 314 et sq.<br />

2 Après la chute de Napoléon, Louis XVIII fut obligé d'octroyer une Constitution ou Charte (<strong>le</strong> 4<br />

juin 1814). La Charte transformait la France en une monarchie constitutionnel<strong>le</strong> où <strong>le</strong> pouvoir<br />

du roi était limité par la Chambre des pairs et par la Chambre des députés qui, à el<strong>le</strong>s deux,<br />

représentaient <strong>le</strong>s intérêts des propriétaires fonciers et de la couche supérieure de la bourgeoisie.<br />

Un cens é<strong>le</strong>vé limitait <strong>le</strong> droit de vote à 100 000 personnes, <strong>le</strong> droit à l'éligibilité à 15 ou 16 000.

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