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<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 68<br />
peup<strong>le</strong> la servitude et la misère au-dedans, au-dehors l'infamie. Les prolétaires ne<br />
se sont-ils donc battus que pour un changement d'effigie sur ces monnaies qu'ils<br />
voient si rarement ? Sommes-nous à ce point curieux de médail<strong>le</strong>s neuves, que<br />
nous renversions des trônes pour nous passer cette fantaisie ? C'est l'opinion d'un<br />
publiciste ministériel qui assure qu'en juil<strong>le</strong>t nous avons persisté à vouloir la<br />
monarchie constitutionnel<strong>le</strong>, avec la variante de Louis-Philippe à la place de<br />
Char<strong>le</strong>s X. Le peup<strong>le</strong>, selon lui, n'a pris part à la lutte que comme instrument des<br />
classes moyennes ; c'est-à-dire que <strong>le</strong>s prolétaires sont des gladiateurs qui tuent et<br />
se font tuer pour l'amusement et <strong>le</strong> profit des privilégiés, <strong>le</strong>squels applaudissent des<br />
fenêtres... bien entendu la batail<strong>le</strong> finie. La brochure qui contient ces bel<strong>le</strong>s<br />
théories de gouvernement représentatif a paru <strong>le</strong> 20 novembre ; Lyon a répondu <strong>le</strong><br />
21 1 . La réplique des Lyonnais a paru si péremptoire, que personne n'a plus dit un<br />
mot de l'œuvre du publiciste.<br />
Quel abîme <strong>le</strong>s événements de Lyon viennent de dévoi<strong>le</strong>r aux yeux ! Le pays<br />
entier s'est ému de pitié à la vue de cette armée de spectres à demi consumés par la<br />
faim, courant sur la mitrail<strong>le</strong> pour mourir au moins d'un seul coup.<br />
Et ce n'est pas seu<strong>le</strong>ment à Lyon, c'est partout que <strong>le</strong>s ouvriers meurent é<strong>cras</strong>és<br />
par l'impôt. Ces hommes, si fiers naguère d'une victoire qui liait <strong>le</strong>ur avènement<br />
sur la scène politique au triomphe de la liberté ; ces hommes auxquels il fallait<br />
toute l'Europe à régénérer, ils se débattent contre la faim, qui ne <strong>le</strong>ur laisse plus<br />
assez de force pour s'indigner de tant de déshonneur ajouté au déshonneur de la<br />
Restauration. Le cri de la Pologne expirante n'a pu même détourner de la<br />
contemplation de <strong>le</strong>urs propres misères, et ils ont gardé ce qui <strong>le</strong>ur reste de larmes<br />
pour p<strong>le</strong>urer sur eux et sur <strong>le</strong>urs enfants. Quel<strong>le</strong>s souffrances que cel<strong>le</strong>s qui ont pu<br />
faire oublier si vite <strong>le</strong>s Polonais exterminés !<br />
Voilà la France de juil<strong>le</strong>t tel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s doctrinaires nous l'ont faite. Qui l'eût<br />
dit ! dans ces jours d'enivrement, lorsque nous errions machina<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> fusil sur<br />
l'épau<strong>le</strong>, au travers des rues dépavées et des barricades, tout étourdis de notre<br />
triomphe, la poitrine gonflée de bonheur, rêvant la pâ<strong>le</strong>ur des rois et la joie des<br />
peup<strong>le</strong>s quand viendrait à <strong>le</strong>urs oreil<strong>le</strong>s <strong>le</strong> mugissement lointain de notre<br />
Marseillaise ; qui l'eût dit que tant de joie et de gloire se changerait en un tel<br />
deuil ! Qui eût pensé en voyant ces ouvriers grands de six pieds, dont <strong>le</strong>s<br />
bourgeois, sortis tremblants de <strong>le</strong>urs caves, baisaient à l'envi <strong>le</strong>s haillons, et<br />
redisaient <strong>le</strong> désintéressement et <strong>le</strong> courage avec des sanglots d'admiration, qui eût<br />
pensé qu'ils mourraient de misère sur ce pavé, <strong>le</strong>ur conquête, et que <strong>le</strong>urs<br />
admirateurs <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong>raient la plaie de la société !<br />
Ombres magnanimes ! glorieux ouvriers, dont ma main a serré la main<br />
mourante en signe d'adieu, sur <strong>le</strong> champ de batail<strong>le</strong>, dont j'ai voilé avec des<br />
haillons <strong>le</strong> visage agonisant, vous mouriez heureux au sein d'une victoire qui<br />
1 Il s'agit de la révolte des canuts du 21 novembre 1831, étouffée <strong>le</strong> 3 décembre par l'armée.