Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

25.06.2013 Views

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 28 pas dans cette voie était applaudi comme une victoire attendue, désirée, et le changement s'est ainsi opéré peu à peu, à travers une longue suite de générations sans froissement de mœurs, d'habitudes, ni même de préjugés. Avec la consolidation du principe de la division du travail, La société repose sur l'échange... Or, si le troc en nature suffisait aux temps primitifs, alors que la consommation portait sur un très petit nombre d'objets, tous de nécessité absolue, il devenait radicalement impossible entre les milliers de produits d'une industrie perfectionnée. Un intermédiaire était donc indispensable. Les qualités spéciales des métaux précieux ont dû les désigner de bonne heure à l'attention publique. Car l'origine de la monnaie remonte à des époques inconnues. Ce qui nous touche c'est l'expérience acquise que les services rendus par le numéraire ont été payés bien cher. [Car] la condition fondamentale de l'échange, c'est l'équivalence des objets échangés ; [c'est la loi même de l'échange]. Si cette loi avait été observée, l'usage de la monnaie eût été fécond en bienfaits. [Au contraire, cet usage] a enfanté un cruel abus... Il a créé l'usure, l'exploitation capitaliste et ses fines sinistres, l'inégalité, la misère 1 . Quand naquit la monnaie, déclare Blanqui, deux procédés s'offraient aux hommes pour l'emploi de ce moyen d'échange : la fraternité, l'égoïsme. La droiture eût conduit rapidement à l'association intégrale... Bientôt les exigences d'une industrie plus avancée auraient déterminé la coopération des activités particulières. Mais les égoïstes, les hommes de rapine ont rapidement compris la puissance de l'argent ; ils ont saisi l'importance que pouvait avoir la possession « de cette lampe merveilleuse ». Le « vampirisme » de ces hommes a conduit la société sur la voie de l'égoïsme. L'accumulation du capital s'est opérée non par l'association, mais par l'accaparement individuel, aux dépens de la masse, au profit du petit nombre. Quelques-uns se trouvèrent possesseurs des instruments de travail et le plus grand nombre fut obligé de travailler pour eux. Pouvait-il en être autrement, « dans les âges de ténèbres et de sauvagerie » ? alors que les hommes « ne connaissaient d'autre droit que la force, d'autre morale que le succès ». C'est ainsi que s'est établi, comme le dit Blanqui, le pouvoir de l'Empereur Écu et que « l'usure est devenue la plaie universelle » 2 . 1 Critique sociale, t. I, p. 3-5, 42-43. 2 Ibidem, t. I, p. 43-45.

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 29 Nous ne rencontrons pas, chez Blanqui, une analyse fouillée du capitalisme. Dans sa conception du capital et de l'exploitation capitaliste, il reste au niveau des utopistes petits-bourgeois de la première moitié du XIX e siècle. Pour lui, le capital est synonyme d'usure ; il voit la source du profit capitaliste dans la nonéquivalence de l'échange. Sa critique du capitalisme repose principalement sur un jugement de caractère moral et rationnel. L'ordre existant ne répond pas aux exigences de la justice, de la logique, du bon sens. Or « la justice, déclare-t-il, est le seul critérium vrai applicable aux choses humaines ». Son application conduit inévitablement au socialisme. L'économie politique bourgeoise est indifférente à la morale, et « son indifférence morale lui ôte toute puissance de critique, son scepticisme la frappe d'impuissance » 1 . Blanqui accuse l'économie politique bourgeoise de violer le principe de l'équivalence des objets échangés, axiome qu'elle-même a posé, reconnu et proclamé, en justifiant le prêt à intérêt. Il est naturel que Blanqui se plaçant sur des positions petites-bourgeoises, au sujet de la nature de l'exploitation capitaliste, ne soit pas en mesure de comprendre la structure de classe de la société capitaliste. Il n'est pas douteux que sa conception petite-bourgeoise de l'exploitation capitaliste est liée à ce fait qu'il assimile le prolétariat à tout l'ensemble des groupes sociaux vivant de leur travail sans exploiter le travail d'autrui. Cette même théorie, profondément erronée, concernant l'exploitation capitaliste le conduit à déformer la perspective historique et à mêler, dans son esprit, les formes diverses de l'exploitation. Pour lui, le pouvoir despotique de l'Empereur Écu a commencé dès les temps les plus reculés : avant même que le rideau de l'histoire se lève, sa majesté l'Empereur Écu gouverne en despote l'Europe, l'Asie et l'Afrique. [Le capital règne] sur l'Égypte, la Phénicie, la Grèce, Carthage. Il trône dans Rome républicaine. Les patriciens ... sont des usuriers, maîtres à la fois par le glaive et par le sesterce.... Tous les grands hommes classiques [de la République romaine] Scipion, Pompée, Lucullus, Caton, Brutus, Cassius, etc., [étaient] prêteurs sur gages, pressureurs impitoyables... Cinq cents années durant, Patriciat et Prolétariat sont aux prises sur la question politique et sociale. Et, déclare Blanqui : « L'histoire romaine n'est qu'un long récit de la lutte entre le Capital et le Travail. » Bien que dans cette lutte la défaite ait réduit les créanciers insolvables à la condition d'esclaves, la situation du prolétariat à Rome est au fond analogue, suppose Blanqui, « à la situation du travailleur européen » ; mais, dans la République romaine, les trois instruments de tyrannie, le sacerdoce, la monnaie et le sabre, sont réunis dans les mêmes mains... 1 Critique sociale, t. I, p. II et t. II, p. 58.

<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 29<br />

Nous ne rencontrons pas, chez <strong>Blanqui</strong>, une analyse fouillée du capitalisme.<br />

Dans sa conception du capital et de l'exploitation capitaliste, il reste au niveau des<br />

utopistes petits-bourgeois de la première moitié du XIX e sièc<strong>le</strong>. Pour lui, <strong>le</strong> capital<br />

est synonyme d'usure ; il voit la source du profit capitaliste dans la nonéquiva<strong>le</strong>nce<br />

de l'échange. Sa critique du capitalisme repose principa<strong>le</strong>ment sur un<br />

jugement de caractère moral et rationnel. L'ordre existant ne répond pas aux<br />

exigences de la justice, de la logique, du bon sens. Or « la justice, déclare-t-il, est<br />

<strong>le</strong> seul critérium vrai applicab<strong>le</strong> aux choses humaines ». Son application conduit<br />

inévitab<strong>le</strong>ment au socialisme. L'économie politique bourgeoise est indifférente à la<br />

mora<strong>le</strong>, et « son indifférence mora<strong>le</strong> lui ôte toute puissance de critique, son<br />

scepticisme la frappe d'impuissance » 1 . <strong>Blanqui</strong> accuse l'économie politique<br />

bourgeoise de vio<strong>le</strong>r <strong>le</strong> principe de<br />

l'équiva<strong>le</strong>nce des objets échangés, axiome qu'el<strong>le</strong>-même a posé, reconnu et<br />

proclamé, en justifiant <strong>le</strong> prêt à intérêt.<br />

Il est naturel que <strong>Blanqui</strong> se plaçant sur des positions petites-bourgeoises, au<br />

sujet de la nature de l'exploitation capitaliste, ne soit pas en mesure de comprendre<br />

la structure de classe de la société capitaliste. Il n'est pas douteux que sa<br />

conception petite-bourgeoise de l'exploitation capitaliste est liée à ce fait qu'il<br />

assimi<strong>le</strong> <strong>le</strong> prolétariat à tout l'ensemb<strong>le</strong> des groupes sociaux vivant de <strong>le</strong>ur travail<br />

sans exploiter <strong>le</strong> travail d'autrui.<br />

Cette même théorie, profondément erronée, concernant l'exploitation capitaliste<br />

<strong>le</strong> conduit à déformer la perspective historique et à mê<strong>le</strong>r, dans son esprit, <strong>le</strong>s<br />

formes diverses de l'exploitation. Pour lui, <strong>le</strong> pouvoir despotique de l'Empereur<br />

Écu a commencé dès <strong>le</strong>s temps <strong>le</strong>s plus reculés :<br />

avant même que <strong>le</strong> rideau de l'histoire se lève, sa majesté l'Empereur Écu<br />

gouverne en despote l'Europe, l'Asie et l'Afrique. [Le capital règne] sur l'Égypte,<br />

la Phénicie, la Grèce, Carthage. Il trône dans Rome républicaine. Les patriciens<br />

... sont des usuriers, maîtres à la fois par <strong>le</strong> glaive et par <strong>le</strong> sesterce.... Tous <strong>le</strong>s<br />

grands hommes classiques [de la République romaine] Scipion, Pompée,<br />

Lucullus, Caton, Brutus, Cassius, etc., [étaient] prêteurs sur gages, pressureurs<br />

impitoyab<strong>le</strong>s... Cinq cents années durant, Patriciat et Prolétariat sont aux prises<br />

sur la question politique et socia<strong>le</strong>.<br />

Et, déclare <strong>Blanqui</strong> : « L'histoire romaine n'est qu'un long récit de la lutte entre<br />

<strong>le</strong> Capital et <strong>le</strong> Travail. » Bien que dans cette lutte la défaite ait réduit <strong>le</strong>s<br />

créanciers insolvab<strong>le</strong>s à la condition d'esclaves, la situation du prolétariat à Rome<br />

est au fond analogue, suppose <strong>Blanqui</strong>, « à la situation du travail<strong>le</strong>ur européen » ;<br />

mais, dans la République romaine, <strong>le</strong>s trois instruments de tyrannie, <strong>le</strong> sacerdoce,<br />

la monnaie et <strong>le</strong> sabre, sont réunis dans <strong>le</strong>s mêmes mains...<br />

1 Critique socia<strong>le</strong>, t. I, p. II et t. II, p. 58.

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