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<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 163<br />
La police avait jeté dans <strong>le</strong>s prisons quatre-vingts malheureux qui attendaient<br />
<strong>le</strong>s sentences iniques des conseils de guerre. Les témoins reconnaissaient<br />
invariab<strong>le</strong>ment tous <strong>le</strong>s accusés qu'on amenait devant eux. On ne peut savoir<br />
jusqu'où seraient allées ces fureurs sanguinaires contre des innocents, si la<br />
Révolution du 4 septembre n'y avait coupé court.<br />
... Tous <strong>le</strong>s hommes, sans exception, qui, dans la presse ou à la tribune, ont<br />
lancé aux révoltés de La Vil<strong>le</strong>tte <strong>le</strong> nom d'agents prussiens, mentaient sciemment,<br />
car ils étaient certains du contraire, et tel d'entre eux, renseigné de bonne source,<br />
connaissait fort bien <strong>le</strong>s chefs du mouvement. ... Non, Basi<strong>le</strong>, ce n'est pas la<br />
Prusse, c'est <strong>le</strong> citoyen Granger qui a donné pour ces achats [d'armes] 18 000<br />
francs, toute sa fortune, sans se réserver un centime.<br />
C'est un idiot sans doute, puisqu'il a sacrifié son modeste patrimoine et s'est<br />
mis sur la pail<strong>le</strong>, pour courir cette agréab<strong>le</strong> chance : « Être fusillé comme traître. »<br />
Souhaitons cependant à la patrie beaucoup de ces idiots désintéressés, et aussi peu<br />
que possib<strong>le</strong> de <strong>le</strong>urs calomniateurs rapaces.<br />
Le temps et <strong>le</strong>s événements ont fait justice de ces turpitudes. Eudes a été élu<br />
chef de bataillon de la garde nationa<strong>le</strong> au faubourg Antoine, et l'affaire de La<br />
Vil<strong>le</strong>tte était son seul titre au choix de ses concitoyens. À Montmartre, <strong>Blanqui</strong><br />
aussi a été appelé par acclamation au même grade.<br />
Paris comprend que ces hommes ont voulu faire <strong>le</strong> 14 août ce qui s'est<br />
accompli <strong>le</strong> 4 septembre. Ils se sont trompés sans doute, l'heure n'était pas venue ;<br />
il faut savoir la deviner, et, dans des questions si redoutab<strong>le</strong>s, la méprise, l'erreur<br />
de calcul, devient une lourde responsabilité. « J'ai cru » n'est jamais une<br />
justification.<br />
Jouer à faux, de son chef, la partie de la liberté peut-être d'une nation tout<br />
entière est une faute, souvent irréparab<strong>le</strong>, dont rien ne saurait absoudre.<br />
Heureusement, cette faute n'était ici qu'un simp<strong>le</strong> incident, bientôt disparu dans la<br />
tourmente.<br />
... On peut justement reprocher aux insurgés de La Vil<strong>le</strong>tte un retard de huit<br />
jours. C'est <strong>le</strong> dimanche, 7 août, au <strong>le</strong>ndemain du désastre de Reischoffen qui avait<br />
sou<strong>le</strong>vé Paris, qu'il fallait se précipiter sur l'empire.<br />
Le 14, il était trop tard ou trop tôt. La seu<strong>le</strong> réponse possib<strong>le</strong>, c'est que <strong>le</strong> chef<br />
de l'entreprise, surpris à Bruxel<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s foudroyantes de l'Alsace et<br />
dépourvu de passeport, a dû franchir à pied la frontière dans la nuit du 11 au 12<br />
août. Cette excuse n'est pas valab<strong>le</strong>. Quand on se mê<strong>le</strong> de politique sérieuse, on ne<br />
doit pas se laisser surprendre.