Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

25.06.2013 Views

Retour à la table des matières Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 160 IV LA PATRIE EN DANGER 1 1 – L'AFFAIRE DE LA VILLETTE 16 septembre 1870. Il y a aujourd'hui un mois, une centaine d'hommes se réunissaient lentement sur le boulevard de La Villette, près du pont du canal. C'était un dimanche, par un beau soleil. De nombreux promeneurs, répandus sur les contre-allées, dissimulaient la formation du rassemblement. Un bateleur, à quelques pas de la caserne des pompiers, était le centre de quelques curieux attirés par ses tours. Le chef du mouvement projeté, qui avait précédé sûr les lieux les citoyens engagés dans cette entreprise, les fit avertir de se joindre à l'auditoire réuni autour du jongleur. Le groupe put ainsi se concentrer sans éveiller les soupçons des sergents de ville. Vers trois heures et demie, Blanqui donna le signal, et le rassemblement se dirigea au petit pas, sans tumulte, vers la caserne des pompiers. On suivait une contre-allée, et il fallut descendre sur la chaussée pour arriver au corps de garde. Ce brusque détour à angle droit donna l'alarme à la sentinelle et aux soldats du poste, qui coururent à leurs fusils. Ce fut un cruel mécompte. 1 La Patrie en danger, journal fondé par Blanqui après la proclamation de la République, le 4 septembre 1870. Son existence fut brève : du 7 septembre au 8 décembre, 89 numéros. Blanqui écrivait dans chaque numéro. Ses articles ont été réunis en volume dès 1871.

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 161 On avait espéré se saisir des armes par surprise, sans collision. Il était convenu de ne faire aucun mal aux pompiers, corps aimé et estimé des Parisiens, étranger aux lunes civiles, et réputé même pour ses idées démocratiques. Le factionnaire fut blessé d'un coup de revolver en se débattant, et le corps de garde fut le théâtre d'une lutte assez vive pour l'enlèvement des armes. Les insurgés répugnaient profondément à l'emploi de la violence. Ils ne voulurent pas abuser de leur nombre pour s'emparer des fusils de vive force. On parlementa pour les obtenir de bon gré. Ces pourparlers firent perdre du temps. Un poste de sergents de ville, situé dans le voisinage, accourut au bruit et se précipita, l'épée à la main, sur les insurgés. Au cri : « Les sergents de ville ! » Blanqui, Eudes et Granger sortirent de la cour intérieure, et une courte et rude mêlée s'engagea aussitôt. Les hommes de police s'enfuirent, laissant sur la place un mort et deux blessés. Restés maîtres du terrain, les insurgés firent de nouveaux efforts pour avoir les armes des pompiers. Ces moyens de douceur ne pouvaient qu'échouer. Mais les citoyens ne voulaient à aucun prix user de la force brutale contre ce corps d'élite. La surprise était manquée. Après ces inutiles pourparlers, les insurgés abandonnèrent la caserne et se mirent en marche vers Belleville par le boulevard extérieur. Il fut alors évident pour eux que leur projet n'avait aucune chance de réussite. La population paraissait frappée de stupeur. Attirée tout à la fois par la curiosité et retenue par la crainte, elle se tenait, immobile et muette, adossée des deux côtés aux maisons. Le boulevard parcouru par les insurgés restait complètement désert. En vain ils faisaient appel aux spectateurs par les cris : « Vive la République ! Mort aux Prussiens ! Aux armes ! » Pas un mot, pas un geste ne répondaient à ces excitations. Les chefs de l'entreprise avaient supposé que la gravité de la situation et les tumultes des jours précédents seraient des motifs suffisants pour rallier les masses. Mais un certain découragement avait succédé aux émotions impuissantes des premiers jours. Les idées prenaient un autre courant. Elles tournaient au soupçon, à la crainte exagérée de l'espionnage prussien.

<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 161<br />

On avait espéré se saisir des armes par surprise, sans collision. Il était convenu<br />

de ne faire aucun mal aux pompiers, corps aimé et estimé des Parisiens, étranger<br />

aux lunes civi<strong>le</strong>s, et réputé même pour ses idées démocratiques. Le factionnaire fut<br />

b<strong>le</strong>ssé d'un coup de revolver en se débattant, et <strong>le</strong> corps de garde fut <strong>le</strong> théâtre<br />

d'une lutte assez vive pour l'enlèvement des armes.<br />

Les insurgés répugnaient profondément à l'emploi de la vio<strong>le</strong>nce. Ils ne<br />

voulurent pas abuser de <strong>le</strong>ur nombre pour s'emparer des fusils de vive force. On<br />

par<strong>le</strong>menta pour <strong>le</strong>s obtenir de bon gré. Ces pourpar<strong>le</strong>rs firent perdre du temps.<br />

Un poste de sergents de vil<strong>le</strong>, situé dans <strong>le</strong> voisinage, accourut au bruit et se<br />

précipita, l'épée à la main, sur <strong>le</strong>s insurgés. Au cri : « Les sergents de vil<strong>le</strong> ! »<br />

<strong>Blanqui</strong>, Eudes et Granger sortirent de la cour intérieure, et une courte et rude<br />

mêlée s'engagea aussitôt.<br />

Les hommes de police s'enfuirent, laissant sur la place un mort et deux b<strong>le</strong>ssés.<br />

Restés maîtres du terrain, <strong>le</strong>s insurgés firent de nouveaux efforts pour avoir <strong>le</strong>s<br />

armes des pompiers.<br />

Ces moyens de douceur ne pouvaient qu'échouer. Mais <strong>le</strong>s citoyens ne<br />

voulaient à aucun prix user de la force bruta<strong>le</strong> contre ce corps d'élite. La surprise<br />

était manquée.<br />

Après ces inuti<strong>le</strong>s pourpar<strong>le</strong>rs, <strong>le</strong>s insurgés abandonnèrent la caserne et se<br />

mirent en marche vers Bel<strong>le</strong>vil<strong>le</strong> par <strong>le</strong> bou<strong>le</strong>vard extérieur. Il fut alors évident<br />

pour eux que <strong>le</strong>ur projet n'avait aucune chance de réussite. La population paraissait<br />

frappée de stupeur.<br />

Attirée tout à la fois par la curiosité et retenue par la crainte, el<strong>le</strong> se tenait,<br />

immobi<strong>le</strong> et muette, adossée des deux côtés aux maisons. Le bou<strong>le</strong>vard parcouru<br />

par <strong>le</strong>s insurgés restait complètement désert. En vain ils faisaient appel aux<br />

spectateurs par <strong>le</strong>s cris : « Vive la République ! Mort aux Prussiens ! Aux<br />

armes ! »<br />

Pas un mot, pas un geste ne répondaient à ces excitations.<br />

Les chefs de l'entreprise avaient supposé que la gravité de la situation et <strong>le</strong>s<br />

tumultes des jours précédents seraient des motifs suffisants pour rallier <strong>le</strong>s masses.<br />

Mais un certain découragement avait succédé aux émotions impuissantes des<br />

premiers jours. Les idées prenaient un autre courant. El<strong>le</strong>s tournaient au soupçon, à<br />

la crainte exagérée de l'espionnage prussien.

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