Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

25.06.2013 Views

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 16 la communauté des intérêts et, par suite, la solidarité entre le capitaliste et le travailleur... Ces homélies trouvent encore des dupes, mais peu. Chaque jour fait plus vive la lumière sur cette prétendue association du parasite et de sa victime. Les faits ont leur éloquence ; ils prouvent le duel, le duel à mort entre le revenu et le salaire. Blanqui est convaincu que, au bout de cette lutte, la victoire restera non aux oisifs, mais aux travailleurs. Oui, ajoute-t-il, le droit de propriété décline... Il disparaîtra un jour avec les derniers privilèges qui lui servent de refuge et de réduit... L'humanité n'est jamais stationnaire. Elle avance ou recule. La marche rétrograde remonterait jusqu'à l'esclavage personnel, dernier mot du droit de propriété. La marche progressive la conduit à l'égalité. Disons tout de suite, explique Blanqui en conclusion de cet article, que l'égalité n'est pas le partage agraire. Le morcellement infini du sol ne changerait rien, dans le fond, au droit de propriété... La richesse provenant de la possession des instruments de travail plutôt que du travail lui-même, le génie de l'exploitation resté debout saurait bientôt, par la reconstruction des grandes fortunes, restaurer l'inégalité sociale. L'association, substituée à la propriété individuelle, fondera seule le règne de la justice par l'égalité 1 . On distingue, dans cet article, une certaine influence de la théorie saintsimonienne sur Blanqui. Principalement, l'idée que le progrès consiste dans la substitution des formes d'exploitation. Il est possible que la notion de la société future présentée sous l'aspect de l'association relève aussi de cette influence, bien que la propagande de Fourier et de ses disciples ait joué un rôle important dans la diffusion de l'idée d'association. Tout en notant les influences des écoles utopiques du début du XIX e siècle qui ont pu s'exercer sur Blanqui, il est indispensable d'indiquer immédiatement qu'il est toujours resté étranger à l'utopisme pacifique, à la teinte religieuse de ces théories. En assimilant telle ou telle idée de Saint-Simon ou de Fourier, il les reliait aux traditions révolutionnaires du babouvisme. Dans ce même article de 1834, il est encore un trait qui mérite d'être souligné : c'est la façon de présenter le travailleur salarié dans le régime capitaliste. La caractéristique est évidemment très abstraite. Nous pouvons en trouver de semblables, dès le XVIII e siècle (par exemple, chez Linguet). Toutefois, Blanqui fait un certain pas en avant. Il en vient à préciser la notion de « prolétaire » ; il tend à comprendre lele de la véritable force sociale qui porte en elle la société future. Comme nous l'avons remarqué, Blanqui n'est jamais parvenu à la pleine clarté sur cette question. Nul doute que ce pas en avant dans le développement de ses 1 BLANQUI : Critique sociale, t. II, p. 118-127.

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 17 opinions sociales, il l'effectua sous la pression de la réalité environnante, sous l'impulsion qu'il reçut du développement de la lutte de classe du prolétariat français, de la lutte des ouvriers lyonnais dont il parle dans son article. L'année 1834 peut être considérée comme l'année tournante de la France révolutionnaire sous la monarchie de Juillet. En 1834, après l'écrasement des insurrections lyonnaise et parisienne, sous l'oppression accrue de l'État, les représentants de la bourgeoisie et des intellectuels bourgeois, qui avaient joué un rôle important dans les sociétés secrètes de la période précédente, s'écartèrent des organisations révolutionnaires. Les sociétés secrètes qui se reforment alors recrutent leurs membres, presque exclusivement, dans les milieux ouvriers et de la petite bourgeoisie, les plus proches du prolétariat. Dans ces nouvelles sociétés secrètes, les Familles, les Saisons, Blanqui est porté aux postes dirigeants. Nous ne pouvons connaître les opinions professées par Blanqui que par les formulaires d'initiation de ces sociétés. Sans doute, il n'était pas le seul à participer à leur rédaction, mais il en acceptait assurément les idées fondamentales. Ces documents exposent d'abord que le gouvernement cristant « fonctionne dans l'intérêt d'un petit nombre de privilégiés ». Avant 1830, c'était l'aristocratie de naissance ; lorsque celle-ci fut renversée en 1830, ce fut l'aristocratie des riches qui prit sa place : Hommes d'argent, banquiers, fournisseurs, monopoleurs... en un mot les exploiteurs qui s'engraissaient aux dépens du peuple. ... Le peuple, c'est-à-dire l'ensemble de ceux qui travaillent, comment est-il traité par les lois ? Il est traité en esclave... Le sort du prolétaire est semblable à celui du serf et du nègre ; sa vie n'est qu'un long tissu de misères, de fatigues et de souffrances. Renverser le gouvernement en place doit être le but final de l'organisation. Faut-il faire une révolution politique ou une révolution sociale ? Il faut faire une révolution sociale. Faut-il se contenter de renverser la royauté ? Il faut détruire les aristocraties quelconques, les privilèges quelconques ; autrement ce ne serait rien faire. Que devons-nous mettre à sa place ? Le gouvernement du peuple par lui-même, c'est-à-dire la république. Mais le peuple ne peut prendre le pouvoir en main

<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 16<br />

la communauté des intérêts et, par suite, la solidarité entre <strong>le</strong> capitaliste et <strong>le</strong><br />

travail<strong>le</strong>ur... Ces homélies trouvent encore des dupes, mais peu. Chaque jour fait<br />

plus vive la lumière sur cette prétendue association du parasite et de sa victime.<br />

Les faits ont <strong>le</strong>ur éloquence ; ils prouvent <strong>le</strong> duel, <strong>le</strong> duel à mort entre <strong>le</strong> revenu<br />

et <strong>le</strong> salaire.<br />

<strong>Blanqui</strong> est convaincu que, au bout de cette lutte, la victoire restera non aux<br />

oisifs, mais aux travail<strong>le</strong>urs.<br />

Oui, ajoute-t-il, <strong>le</strong> droit de propriété décline... Il disparaîtra un jour avec <strong>le</strong>s<br />

derniers privilèges qui lui servent de refuge et de réduit... L'humanité n'est<br />

jamais stationnaire. El<strong>le</strong> avance ou recu<strong>le</strong>.<br />

La marche rétrograde remonterait jusqu'à l'esclavage personnel, dernier mot du<br />

droit de propriété. La marche progressive la conduit à l'égalité.<br />

Disons tout de suite, explique <strong>Blanqui</strong> en conclusion de cet artic<strong>le</strong>, que<br />

l'égalité n'est pas <strong>le</strong> partage agraire. Le morcel<strong>le</strong>ment infini du sol ne changerait<br />

rien, dans <strong>le</strong> fond, au droit de propriété... La richesse provenant de la possession<br />

des instruments de travail plutôt que du travail lui-même, <strong>le</strong> génie de<br />

l'exploitation resté debout saurait bientôt, par la reconstruction des grandes<br />

fortunes, restaurer l'inégalité socia<strong>le</strong>. L'association, substituée à la propriété<br />

individuel<strong>le</strong>, fondera seu<strong>le</strong> <strong>le</strong> règne de la justice par l'égalité 1 .<br />

On distingue, dans cet artic<strong>le</strong>, une certaine influence de la théorie saintsimonienne<br />

sur <strong>Blanqui</strong>. Principa<strong>le</strong>ment, l'idée que <strong>le</strong> progrès consiste dans la<br />

substitution des formes d'exploitation. Il est possib<strong>le</strong> que la notion de la société<br />

future présentée sous l'aspect de l'association relève aussi de cette influence, bien<br />

que la propagande de Fourier et de ses discip<strong>le</strong>s ait joué un rô<strong>le</strong> important dans la<br />

diffusion de l'idée d'association. Tout en notant <strong>le</strong>s influences des éco<strong>le</strong>s utopiques<br />

du début du XIX e sièc<strong>le</strong> qui ont pu s'exercer sur <strong>Blanqui</strong>, il est indispensab<strong>le</strong><br />

d'indiquer immédiatement qu'il est toujours resté étranger à l'utopisme pacifique, à<br />

la teinte religieuse de ces théories. En assimilant tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> idée de Saint-Simon<br />

ou de Fourier, il <strong>le</strong>s reliait aux traditions révolutionnaires du babouvisme.<br />

Dans ce même artic<strong>le</strong> de 1834, il est encore un trait qui mérite d'être souligné :<br />

c'est la façon de présenter <strong>le</strong> travail<strong>le</strong>ur salarié dans <strong>le</strong> régime capitaliste. La<br />

caractéristique est évidemment très abstraite. Nous pouvons en trouver de<br />

semblab<strong>le</strong>s, dès <strong>le</strong> XVIII e sièc<strong>le</strong> (par exemp<strong>le</strong>, chez Linguet). Toutefois, <strong>Blanqui</strong><br />

fait un certain pas en avant. Il en vient à préciser la notion de « prolétaire » ; il tend<br />

à comprendre <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de la véritab<strong>le</strong> force socia<strong>le</strong> qui porte en el<strong>le</strong> la société future.<br />

Comme nous l'avons remarqué, <strong>Blanqui</strong> n'est jamais parvenu à la p<strong>le</strong>ine clarté<br />

sur cette question. Nul doute que ce pas en avant dans <strong>le</strong> développement de ses<br />

1 BLANQUI : Critique socia<strong>le</strong>, t. II, p. 118-127.

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