Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

25.06.2013 Views

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 148 quelques semblants de loques proudhoniennes. On colporte partout l'idole en triomphe, la larme à l'œil, avec de grands cris de joie : « Voici la bonne nouvelle ! Voici le vrai, le bon socialisme ! Le mauvais est mort. Ses forfaits l'ont tué. Le peuple lui dit : Raca ! et abjure ses vieilles erreurs. Il renie ses extravagances de 48 et pousse même le repentir jusqu'à jeter aux ordures le mot : association, en châtiment de ses crimes. Il remplace ce mot coupable par l'humble terme de coopération, qui exclut toute intrusion de la pensée et ne comporte que la notion d'attelage, plus conforme à la modestie de ses aspirations. Dignes et excellentes basses classes ! » Erreur, messieurs ! Le peuple n'a rien renié, rien abjuré, rien jeté à l'égout. Le socialisme de 48 a été proscrit, voilà tout, et ce n'est point par le peuple. La proscription n'est pas un argument, et le libéralisme, en trépignant avec tant de mépris le corps d'un supplicié politique, montre seulement toute sa joie d'avoir été débarrassé d'un ennemi par la main d'un adversaire. Hum ! il lui a bien donné un petit coup d'épaule à cet ex-allié. Patience ! ces morts-là ressuscitent quelquefois. Mais, pour le quart d'heure, c'est vrai, le socialisme de 48 est toujours dans son sépulcre. On ne lui a jamais permis d'en soulever la pierre. Ses gardes ne s'endorment point. Depuis seize ans, il est muet comme la tombe, et il n'a pas mis un seul de ses cheveux dans la toilette du coopératif. Toute la place demeure au socialisme proudhonien qui fait beaucoup moins peur, surtout depuis qu'on voit comment l'entendent et l'appliquent ses prétendus adeptes. Pauvre Proudhon ! Eût-il jamais soupçonné qu'un enfant, son fils putatif, emmailloté de ses doctrines, serait tenu au baptême, choyé, baisé, éduqué et prôné par l'économie politique de Malthus et Cie ? Il faut s'entendre pourtant. Oui, en 1848, il y avait en présence et aux prises deux socialismes : l'un, celui de Proudhon 2 , fondé sur l'individualisme tempéré de mutualité gratuite ; l'autre, anonyme, basé sur l'association générale progressive. Ni l'un ni l'autre ne pouvaient triompher alors. Ces victoires-là ne sont pas l'affaire d'un jour. Ils ont succombé également. C'étaient des frères ennemis. Mais ces frères, au milieu de leurs hostilités acharnées, n'en conservaient pas moins une ressemblance essentielle qui attestait la communauté d'origine, et qui leur a toujours permis de porter le même nom. Tous deux faisaient une guerre sans 1 MALTHUS (1766-1834) : Économiste bourgeois, pasteur anglican, adversaire déclaré des travailleurs. Prétendait que la misère des classes laborieuses dans les conditions du capitalisme était une conséquence de l'accroissement de la population. Selon la doctrine antiscientifique et réactionnaire de Malthus, la population tendrait à s'accroître suivant les termes d'une progression géométrique, alors que les moyens d'existence ne s'accroîtraient que suivant les termes d'une progression arithmétique. Blanqui, en parlant de Malthus, envisage l'économie politique bourgeoise en général. 2 Il est significatif que Blanqui ne comprenne pas l'étendue de l'abîme qui sépare la doctrine de Proudhon du communisme révolutionnaire.

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 149 quartier à la tyrannie capitaliste et proclamaient l'illégitimité de l'intérêt sous toutes ses formes, rente, loyer, fermage, primes, etc. Ils ne reconnaissaient de droit qu'au travail. Ils n'en accordaient aucun au capital. Cette doctrine n'est pas seulement la vérité scientifique, mais encore la plus haute morale. En effet, le travail, c'est l'homme ; le capital, c'est la matière. L'homme seul agit, le capital n'agit pas. Il n'est qu'un instrument inerte entre les mains du travailleur. Il n'y a donc aucune part à lui faire dans le produit. Ce n'est point ici le lieu de réfuter les sophismes de l'économie politique en faveur de la rémunération du capital. Ce serait un hors-d'œuvre qui déborderait mon cadre. Il suffit de rappeler que les deux socialismes en lutte, le mutuellisme et l'association, malgré leur divergence radicale, s'accordaient néanmoins sur le point décisif, l'illégitimité de l'intérêt. Ce n'est pas tout sans doute. Mais qu'on demande si c'est peu aux propriétaires, aux hommes de finance, d'industrie et de négoce. Sans méconnaître les difficultés de l'organisation du travail dans les deux systèmes socialistes, et c'est précisément à propos de cette organisation qu'éclate leur antagonisme, on peut avancer hardiment que l'essence même du socialisme gît dans la formule : Illégitimité de l'intérêt du capital. Si donc, comme s'en vantent ses fondateurs, comme le répètent avec complaisance ses journaux, la coopération est une fille bien élevée du socialisme proudhonien, c'est bien le moins qu'elle eût dû choisir pour assise le seul point de doctrine qui fasse Proudhon socialiste. Loin de là, le tant pour cent est son dieu et le capital son souverain seigneur. Elle repose sur la même base que toutes les sociétés commerciales possibles -anonyme – en participation – en commandite. Qu'on lise ses statuts, ses comptes rendus, tous ses manifestes, c'est l'argot de la finance, sans un point de plus, sans une virgule de moins. Amende honorable aux pieds du laisser faire et du laisser passer ; triomphe complet de cette économie politique sans entrailles qui jette les victimes par millions dans l'engrenage dévorant de la concurrence..., et l'on peut bien ajouter, de l'offre et de la demande ; car il y a des auxiliaires dans la coopération. Auxiliaires ! mot pudique pour déguiser salariés. Et qui sait si les patrons à plusieurs têtes ne seraient pas plus durs que les patrons monocrânes ? Qu'on s'étonne, après cela, des tendresses malthusiennes pour le poupon coopératif ! Ses parrains disent aux prolétaires : « Ne vous inquiétez pas du gouvernement. Vous n'avez nul besoin de son aide. Ne lui demandez pas l'aumône de ses millions. Vous n'en avez pas le droit, et, d'ailleurs, ils vous seraient plus nuisibles qu'utiles. Tirez, sou par sou, de votre pauvre bourse, pour vous créer un capital, un instrument de travail, et, de ce jour, vous cesserez d'être des salariés, des exploités, pour devenir des capitalistes, cumulant le double profit de l'intérêt d'abord, puis de la main-d'œuvre, sans prélibation. Voilà le vrai chemin de l'affranchissement et du bien-être ! Laissez donc là le gouvernement, et, loin de solliciter son intervention, faites plutôt des vœux pour qu'il ne se mêle pas de vos affaires ! »

<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 148<br />

quelques semblants de loques proudhoniennes. On colporte partout l'ido<strong>le</strong> en<br />

triomphe, la larme à l'œil, avec de grands cris de joie : « Voici la bonne nouvel<strong>le</strong> !<br />

Voici <strong>le</strong> vrai, <strong>le</strong> bon socialisme ! Le mauvais est mort. Ses forfaits l'ont tué. Le<br />

peup<strong>le</strong> lui dit : Raca ! et abjure ses vieil<strong>le</strong>s erreurs. Il renie ses extravagances de 48<br />

et pousse même <strong>le</strong> repentir jusqu'à jeter aux ordures <strong>le</strong> mot : association, en<br />

châtiment de ses crimes. Il remplace ce mot coupab<strong>le</strong> par l'humb<strong>le</strong> terme de<br />

coopération, qui exclut toute intrusion de la pensée et ne comporte que la notion<br />

d'attelage, plus conforme à la modestie de ses aspirations. Dignes et excel<strong>le</strong>ntes<br />

basses classes ! »<br />

Erreur, messieurs ! Le peup<strong>le</strong> n'a rien renié, rien abjuré, rien jeté à l'égout. Le<br />

socialisme de 48 a été proscrit, voilà tout, et ce n'est point par <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>. La<br />

proscription n'est pas un argument, et <strong>le</strong> libéralisme, en trépignant avec tant de<br />

mépris <strong>le</strong> corps d'un supplicié politique, montre seu<strong>le</strong>ment toute sa joie d'avoir été<br />

débarrassé d'un ennemi par la main d'un adversaire. Hum ! il lui a bien donné un<br />

petit coup d'épau<strong>le</strong> à cet ex-allié.<br />

Patience ! ces morts-là ressuscitent quelquefois. Mais, pour <strong>le</strong> quart d'heure,<br />

c'est vrai, <strong>le</strong> socialisme de 48 est toujours dans son sépulcre. On ne lui a jamais<br />

permis d'en sou<strong>le</strong>ver la pierre. Ses gardes ne s'endorment point. Depuis seize ans,<br />

il est muet comme la tombe, et il n'a pas mis un seul de ses cheveux dans la toi<strong>le</strong>tte<br />

du coopératif. Toute la place demeure au socialisme proudhonien qui fait<br />

beaucoup moins peur, surtout depuis qu'on voit comment l'entendent et<br />

l'appliquent ses prétendus adeptes. Pauvre Proudhon ! Eût-il jamais soupçonné<br />

qu'un enfant, son fils putatif, emmailloté de ses doctrines, serait tenu au baptême,<br />

choyé, baisé, éduqué et prôné par l'économie politique de Malthus et Cie ?<br />

Il faut s'entendre pourtant. Oui, en 1848, il y avait en présence et aux prises<br />

deux socialismes : l'un, celui de Proudhon 2 , fondé sur l'individualisme tempéré de<br />

mutualité gratuite ; l'autre, anonyme, basé sur l'association généra<strong>le</strong> progressive.<br />

Ni l'un ni l'autre ne pouvaient triompher alors. Ces victoires-là ne sont pas l'affaire<br />

d'un jour. Ils ont succombé éga<strong>le</strong>ment. C'étaient des frères ennemis. Mais ces<br />

frères, au milieu de <strong>le</strong>urs hostilités acharnées, n'en conservaient pas moins une<br />

ressemblance essentiel<strong>le</strong> qui attestait la communauté d'origine, et qui <strong>le</strong>ur a<br />

toujours permis de porter <strong>le</strong> même nom. Tous deux faisaient une guerre sans<br />

1 MALTHUS (1766-1834) : Économiste bourgeois, pasteur anglican, adversaire déclaré des<br />

travail<strong>le</strong>urs. Prétendait que la misère des classes laborieuses dans <strong>le</strong>s conditions du capitalisme<br />

était une conséquence de l'accroissement de la population. Selon la doctrine antiscientifique et<br />

réactionnaire de Malthus, la population tendrait à s'accroître suivant <strong>le</strong>s termes d'une<br />

progression géométrique, alors que <strong>le</strong>s moyens d'existence ne s'accroîtraient que suivant <strong>le</strong>s<br />

termes d'une progression arithmétique.<br />

<strong>Blanqui</strong>, en parlant de Malthus, envisage l'économie politique bourgeoise en général.<br />

2 Il est significatif que <strong>Blanqui</strong> ne comprenne pas l'étendue de l'abîme qui sépare la doctrine de<br />

Proudhon du communisme révolutionnaire.

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