Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras

25.06.2013 Views

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 14 La classe moyenne qui s'est cachée pendant le combat et qui l'a désapprouvé... a escamoté le fruit de la victoire remportée malgré elle. Le peuple, qui a tout fait, reste zéro comme devant. [Mais il est entré malgré tout sur la scène] il n'en a pas moins fait acte de maître... C'est désormais entre la classe moyenne et lui que va se livrer une guerre acharnée. Ce n'est plus entre les hautes classes et les bourgeois ; ceux-ci auront même besoin d'appeler à leur aide leurs anciens ennemis pour mieux lui résister, pour résister à l'offensive menaçante des prolétaires. La peur du peuple, le désir de trouver un soutien dans l'aristocratie déterminent toute la politique du gouvernement de Louis-Philippe ; réactionnaire en toutes ses manifestations, ce gouvernement « copie la Restauration ». « Deux principes divisent la France, le principe de la légitimité et celui de la souveraineté du peuple », déclare Blanqui, en conclusion de son aperçu historique. « Il n'y a pas de troisième drapeau, de terme moyen. » Tous ceux qui dénoncent « l'anarchie » et qui soutiennent « la vieille organisation du passé » se groupent autour du drapeau de la légitimité. Le principe de la souveraineté du peuple rallie tous les hommes d'avenir, les masses qui, fatiguées d'être exploitées, cherchent à briser ces cadres clans lesquels elles se sentent étouffer 1 . Comme nous le voyons, dans ce discours aussi, les groupes sociaux sont assez mal définis ; et on n'y rencontre pas non plus un exposé des mesures concrètes qui permettraient aux masses de se libérer de l'exploitation. À défaut, l'attention de Blanqui se concentre sur le but politique de la lutte : l'établissement de la souveraineté du peuple. Mais les tendances égalitaires, communes à presque tous les démocrates de cette époque, étaient aussi celles de Blanqui ; il est très probable que, dès 1832, il avait une certaine sympathie pour le socialisme. Il n'est pas douteux qu'il ait connu, avant même la Révolution de 1830, les œuvres des saintsimoniens et le livre de Buonarroti : La Conspiration pour l'Égalité. En tout cas, au début de 1834, ses convictions socialistes avaient déjà pris forme. Dans un article écrit cette même année, et qu'il avait destiné au journal Le Libérateur, Blanqui se prononce non seulement contre l'inégalité, mais aussi contre les grossières recettes de l'égalitarisme pour lutter contre le mal social ; il leur oppose le principe de l'association. Il existe deux sources de la richesse : l'intelligence et le travail, l'âme et la vie de l'humanité, écrit-il. Mais ces deux forces ne peuvent agir qu'à l'aide d'un élément passif, le sol, qu'elles mettent en 1 Discours du 2 février 1832, manuscrits de Blanqui, Bibliothèque nationale, acquisitions nouvelles, cote 9591-I, feuillets 314 et suivants. (Voir R. GARAUDY ; Les sources françaises du socialisme scientifique, p. 222-232, Paris, Hier et aujourd'hui, 1948).

Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 15 œuvre par leurs efforts combinés... Cet instrument indispensable devrait appartenir à tous les hommes. Il n'en est rien. La terre est devenue propriété particulière. Des individus se sont emparés par ruse ou par violence de la terre commune, et, s'en déclarant les possesseurs, ils ont établi par des lois qu'elle serait à jamais leur propriété... Ce droit de propriété s'est étendu... du sol à d'autres instruments, produits accumulés du travail désignés par le nom générique de capitaux. L'établissement de la propriété a engendré un conflit entre « les droits humains même celui de vivre » et « le privilège du petit nombre ... » Comme les capitaux stériles d'eux-mêmes ne fructifient que par la maind'œuvre et que, d'un autre côté, ils sont nécessairement la matière première œuvrée par les forces sociales, la majorité, exclue de leur possession, se trouve condamnée aux travaux forcés, au profit de la minorité possédante... La conséquence logique d'une telle organisation, c'est l'esclavage. Cependant, le principe d'égalité, gravé au fond des cœurs et qui conspire, avec les siècles, à détruire sous toutes ses formes l'exploitation de l'homme par l'homme, porta le premier coup au droit sacrilège de propriété, en brisant l'esclavage domestique. Les esclaves, propriété « à titre de meuble », ont été transformés en serfs, « propriété immeuble annexe et inséparable de l'immeuble territorial ». Mais l'esclavage existe encore de nos jours. La servitude, en effet, ne consiste pas seulement à être la chose de l'homme, ou le serf de la glèbe. Celui-là n'est pas libre qui, privé des instruments de travail, demeure à la merci des privilégiés qui en sont détenteurs... « La transmission héréditaire du sol et des capitaux place les citoyens sous le joug des propriétaires. » La condition de l'ouvrier est pire que celle des nègres esclaves dans les plantations. Car l'ouvrier n'est pas un capital à ménager comme l'esclave ; sa mort n'est pas une perte, il y a toujours concurrence pour le remplacer. Le pauvre, poursuit Blanqui, ne connaît pas la source de ses maux. L'ignorance, fille de l'asservissement, fait de lui un instrument docile des privilégiés... Si à Lyon il [le prolétariat] s'est levé comme un seul homme, c'est que l'antagonisme flagrant des intérêts ne permettait plus l'illusion à l'aveuglement même le plus obstiné. La situation est grosse de révoltes. Le sentant bien, les défenseurs de l'ordre s'évertuent à prêcher

<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 14<br />

La classe moyenne qui s'est cachée pendant <strong>le</strong> combat et qui l'a<br />

désapprouvé... a escamoté <strong>le</strong> fruit de la victoire remportée malgré el<strong>le</strong>. Le<br />

peup<strong>le</strong>, qui a tout fait, reste zéro comme devant. [Mais il est entré malgré tout<br />

sur la scène] il n'en a pas moins fait acte de maître... C'est désormais entre la<br />

classe moyenne et lui que va se livrer une guerre acharnée. Ce n'est plus entre <strong>le</strong>s<br />

hautes classes et <strong>le</strong>s bourgeois ; ceux-ci auront même besoin d'appe<strong>le</strong>r à <strong>le</strong>ur aide<br />

<strong>le</strong>urs anciens ennemis pour mieux lui résister, pour résister à l'offensive<br />

menaçante des prolétaires.<br />

La peur du peup<strong>le</strong>, <strong>le</strong> désir de trouver un soutien dans l'aristocratie déterminent<br />

toute la politique du gouvernement de Louis-Philippe ; réactionnaire en toutes ses<br />

manifestations, ce gouvernement « copie la Restauration ».<br />

« Deux principes divisent la France, <strong>le</strong> principe de la légitimité et celui de la<br />

souveraineté du peup<strong>le</strong> », déclare <strong>Blanqui</strong>, en conclusion de son aperçu historique.<br />

« Il n'y a pas de troisième drapeau, de terme moyen. » Tous ceux qui dénoncent<br />

« l'anarchie » et qui soutiennent « la vieil<strong>le</strong> organisation du passé » se groupent<br />

autour du drapeau de la légitimité.<br />

Le principe de la souveraineté du peup<strong>le</strong> rallie tous <strong>le</strong>s hommes d'avenir, <strong>le</strong>s<br />

masses qui, fatiguées d'être exploitées, cherchent à briser ces cadres clans<br />

<strong>le</strong>squels el<strong>le</strong>s se sentent étouffer 1 .<br />

Comme nous <strong>le</strong> voyons, dans ce discours aussi, <strong>le</strong>s groupes sociaux sont assez<br />

mal définis ; et on n'y rencontre pas non plus un exposé des mesures concrètes qui<br />

permettraient aux masses de se libérer de l'exploitation. À défaut, l'attention de<br />

<strong>Blanqui</strong> se concentre sur <strong>le</strong> but politique de la lutte : l'établissement de la<br />

souveraineté du peup<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s tendances égalitaires, communes à presque tous<br />

<strong>le</strong>s démocrates de cette époque, étaient aussi cel<strong>le</strong>s de <strong>Blanqui</strong> ; il est très probab<strong>le</strong><br />

que, dès 1832, il avait une certaine sympathie pour <strong>le</strong> socialisme. Il n'est pas<br />

douteux qu'il ait connu, avant même la Révolution de 1830, <strong>le</strong>s œuvres des saintsimoniens<br />

et <strong>le</strong> livre de Buonarroti : La Conspiration pour l'Égalité. En tout cas,<br />

au début de 1834, ses convictions socialistes avaient déjà pris forme. Dans un<br />

artic<strong>le</strong> écrit cette même année, et qu'il avait destiné au journal Le Libérateur,<br />

<strong>Blanqui</strong> se prononce non seu<strong>le</strong>ment contre l'inégalité, mais aussi contre <strong>le</strong>s<br />

grossières recettes de l'égalitarisme pour lutter contre <strong>le</strong> mal social ; il <strong>le</strong>ur oppose<br />

<strong>le</strong> principe de l'association.<br />

Il existe deux sources de la richesse :<br />

l'intelligence et <strong>le</strong> travail, l'âme et la vie de l'humanité, écrit-il. Mais ces deux<br />

forces ne peuvent agir qu'à l'aide d'un élément passif, <strong>le</strong> sol, qu'el<strong>le</strong>s mettent en<br />

1 Discours du 2 février 1832, manuscrits de <strong>Blanqui</strong>, Bibliothèque nationa<strong>le</strong>, acquisitions<br />

nouvel<strong>le</strong>s, cote 9591-I, feuil<strong>le</strong>ts 314 et suivants. (Voir R. GARAUDY ; Les sources françaises<br />

du socialisme scientifique, p. 222-232, Paris, Hier et aujourd'hui, 1948).

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