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<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 118<br />
La société, dès lors, repose sur l'échange. La loi, qui en règ<strong>le</strong> <strong>le</strong>s conditions,<br />
doit être une loi d'assistance mutuel<strong>le</strong>, strictement conforme à la justice. Car cette<br />
aide réciproque est maintenant une question de vie ou de mort pour tous et pour<br />
chacun. Or, si <strong>le</strong> troc en nature suffisait aux temps primitifs, alors que la<br />
consommation portait sur un très petit nombre d'objets, tous de nécessité absolue,<br />
il devenait radica<strong>le</strong>ment impossib<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>s milliers de produits d'une industrie<br />
perfectionnée.<br />
Un intermédiaire était donc indispensab<strong>le</strong>. Les qualités spécia<strong>le</strong>s des métaux<br />
précieux ont dû <strong>le</strong>s désigner de bonne heure à l'attention publique. Car l'origine de<br />
la monnaie remonte à des époques inconnues. On la suppose née à peu près avec<br />
l'âge de bronze. Du reste, ceci n'a aucune importance économique et n'intéresse<br />
que l'archéologie. Ce qui nous touche, c'est l'expérience, acquise depuis trop<br />
longtemps, que <strong>le</strong>s services rendus par <strong>le</strong> numéraire ont été payés bien cher. Il a<br />
créé l'usure, l'exploitation capitaliste et ses fil<strong>le</strong>s sinistres, l'inégalité, la misère.<br />
L'idée de Dieu seu<strong>le</strong> lui dispute la palme du mal.<br />
En pouvait-il être autrement ? Quand naquit la monnaie, deux procédés<br />
s'offraient aux hommes pour l'emploi de ce moyen d'échange, la fraternité,<br />
l'égoïsme. La droiture eût conduit rapidement à l'association intégra<strong>le</strong>. L'esprit de<br />
rapine a créé l'interminab<strong>le</strong> série de calamités qui sillonne l'histoire du genre<br />
humain. Entre ces deux routes, pas même un sentier. Car, avec <strong>le</strong> maintien du<br />
régime individualiste, l'échange honnête au pair, sans <strong>le</strong> dîmage des écus, aurait<br />
castorisé notre espèce, en la figeant dans l'immobilisme. Maintenant encore, il<br />
amènerait <strong>le</strong> même résultat.<br />
Il est permis de supposer que <strong>le</strong>s hommes auraient senti la nécessité de<br />
combiner <strong>le</strong>urs efforts pour la production compliquée, qui exige une quantité<br />
considérab<strong>le</strong> de matériaux de provisions et d'instruments. Tant que la simplicité de<br />
l'outillage eût permis au producteur d'obtenir par l'échange ce qui suffit pour<br />
travail<strong>le</strong>r et pour vivre, on s'en serait tenu là. Mais l'homme est perfectionneur par<br />
nature. Bientôt, <strong>le</strong>s exigences d'une industrie plus avancée auraient déterminé la<br />
coopération des activités particulières et, <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs recueillant <strong>le</strong> fruit intégral<br />
de <strong>le</strong>ur labeur, la prospérité généra<strong>le</strong> aurait pris un rapide essor. Par suite,<br />
accroissement progressif de la population, du bien-être, des lumières, réseau de<br />
plus en plus développé des divers groupes, et enfin aboutissement assez prompt à<br />
l'association complète, sans despotisme, ni contrainte, ni oppression quelconque.<br />
Le vampirisme a fait évanouir un si beau rêve. L'accumulation du capital s'est<br />
opérée non par l'association, mais par l'accaparement individuel, aux dépens de la<br />
masse, au profit du petit nombre.<br />
En conscience, ce rêve de fraternité, au temps jadis, n'eut-il pas été une<br />
illusion, une utopie ? Entre la loyauté et la trahison, <strong>le</strong>s âges de ténèbres et de<br />
sauvagerie pouvaient-ils hésiter ? Ils ne connaissaient d'autre droit que la force,