Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras
Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras Auguste Blanqui, Textes choisis - le cras
Retour à la table des matières Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 116 III LA CRITIQUE SOCIALE 1 1. – L'USURE Le sacrifice de l'indépendance individuelle, conséquence forcée de la division du travail, a-t-il été brusque ? Non ! Personne ne l'aurait consenti. Il y a dans le sentiment de la liberté personnelle une si âpre saveur de jouissance, que pas un homme ne l'eût échangée contre le collier doré de la civilisation. Cela se voit bien par les sauvages que le monde européen tente d'apprivoiser. Les pauvres gens s'enveloppent dans leur linceul, en pleurant la liberté perdue, et préfèrent la mort à la servitude. Les merveilles du luxe, qui nous paraissent si éblouissantes, ne les séduisent pas. Elles dépassent la portée de leur esprit et de leurs besoins. Elles bouleversent leur existence. Ils les sentent seulement comme des étrangetés ennemies qui enfoncent une pointe acérée dans leur chair et dans leur âme. Les peuplades infortunées que notre irruption a surprises ans les solitudes américaines ou dans les archipels perdus du Pacifique vont disparaître à ce contact mortel. Depuis bientôt quatre siècles, notre détestable race détruit sans pitié tout ce qu'elle rencontre, hommes, animaux, végétaux, minéraux. La baleine va s'éteindre, anéantie par une poursuite aveugle. Les forêts de quinquina tombent l'une après l'autre. La hache abat, personne ne replante. On se soucie peu que l'avenir ait la fièvre. Les gisements de houille sont gaspillés avec une incurie sauvage. Des hommes étaient apparus soudain, nous racontant par leur seul aspect les premiers temps de notre séjour sur la terre. Il fallait conserver avec un soin filial, ne fût-ce qu'au nom de la science, ces échantillons survivants de nos ancêtres, ces précieux spécimens des âges primitifs. Nous les avons assassinés. Parmi les puissances chrétiennes, c'est à qui les achèvera. 1 La Critique sociale, recueil en 2 volumes des travaux de Blanqui édité en 1885 chez Alcan, comprend des articles sur des questions politiques et sociales, ainsi que plusieurs notes sur des sujets divers.
Auguste Blanqui, Textes choisis (1971) 117 Nous répondrons du meurtre devant l'histoire. Bientôt, elle nous reprochera ce crime avec toute la véhémence d'une moralité bien supérieure à la nôtre. Il n'y aura pas assez de haines ni de malédictions contre le christianisme qui a tué, sous prétexte de les convertir, ces créatures sans armes, contre le mercantilisme qui les massacre et les empoisonne, contre les nations qui assistent d'un œil sec à ces agonies. Les malheureux n'ont pu s'assimiler à nous. Est-ce leur faute ? L'humanité n'a franchi que par des transitions insensibles les étapes sans nombre qui séparent son berceau de son âge viril. Des milliers de siècles dorment entre ces deux moments. Rien ne s'est improvisé chez les hommes, pas plus que dans la nature, si ce n'est les catastrophes qui détruisent et ne fondent jamais. Les révolutions elles-mêmes, avec leurs apparences si brusques, ne sont que la délivrance d'une chrysalide. Elles avaient grandi lentement sous l'enveloppe rompue. On ne les voit jamais qu'autonomes, bien différentes de la conquête, invasion brutale d'une force extérieure qui brise et bouleverse sans améliorer. L'évolution spontanée d'une race, d'une peuplade, n'offre rien de pareil. Elle s'accomplit par degrés, sans trouble sensible, comme le développement d'une plante. Le régime de la division du travail n'a dû remplacer l'isolement individuel que par une série de transformations, réparties sur une période immense. Chaque pas dans cette voie était applaudi comme une victoire attendue, désirée, et le changement s'est ainsi opéré peu à peu, à travers une longue suite de générations, sans froissement de mœurs, d'habitudes, ni même de préjugés. C'était un progrès décisif sans doute... mais le prix ? abandon complet de l'indépendance personnelle ; esclavage réciproque sous l'apparence de solidarité ; les liens de l'association serrés jusqu'au garottement. Nul ne peut désormais pourvoir seul à ses besoins. Son existence tombe à la merci de ses semblables. Il doit en attendre son pain quotidien, presque toutes les choses de la vie. Car il ne peut se livrer qu'à une industrie unique. La qualité du produit est à cette condition qui asservit, et, à mesure que la division du travail s'accentue par les perfectionnements de l'outillage, l'homme se trouve plus étroitement rivé à son métier. On sait où en sont venues les choses aujourd'hui. Des êtres humains passent leur existence à faire des pointes d'aiguille et des têtes d'épingle. Certes, une telle situation crée des devoirs impérieux entre les citoyens. Chacun étant voué à une occupation simple, la presque totalité de son produit lui est parfaitement inutile. Ce produit servira par quantités infinitésimales à une foule d'autres individus. L'ensemble de ces consommateurs est donc tenu de fournir aux besoins de celui qui a travaillé pour eux.
- Page 65 and 66: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 67 and 68: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 69 and 70: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 71 and 72: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 73 and 74: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 75 and 76: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 77 and 78: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 79 and 80: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 81 and 82: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 83 and 84: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 85 and 86: Retour à la table des matières Au
- Page 87 and 88: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 89 and 90: Retour à la table des matières Au
- Page 91 and 92: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 93 and 94: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 95 and 96: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 97 and 98: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 99 and 100: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 101 and 102: Retour à la table des matières Au
- Page 103 and 104: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 105 and 106: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 107 and 108: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 109 and 110: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 111 and 112: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 113 and 114: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 115: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 119 and 120: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 121 and 122: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 123 and 124: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 125 and 126: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 127 and 128: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 129 and 130: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 131 and 132: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 133 and 134: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 135 and 136: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 137 and 138: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 139 and 140: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 141 and 142: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 143 and 144: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 145 and 146: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 147 and 148: Retour à la table des matières Au
- Page 149 and 150: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 151 and 152: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 153 and 154: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 155 and 156: Retour à la table des matières Au
- Page 157 and 158: Retour à la table des matières Au
- Page 159 and 160: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 161 and 162: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 163 and 164: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
- Page 165 and 166: Auguste Blanqui, Textes choisis (19
<strong>Auguste</strong> <strong>Blanqui</strong>, <strong>Textes</strong> <strong>choisis</strong> (1971) 117<br />
Nous répondrons du meurtre devant l'histoire. Bientôt, el<strong>le</strong> nous reprochera ce<br />
crime avec toute la véhémence d'une moralité bien supérieure à la nôtre. Il n'y aura<br />
pas assez de haines ni de malédictions contre <strong>le</strong> christianisme qui a tué, sous<br />
prétexte de <strong>le</strong>s convertir, ces créatures sans armes, contre <strong>le</strong> mercantilisme qui <strong>le</strong>s<br />
massacre et <strong>le</strong>s empoisonne, contre <strong>le</strong>s nations qui assistent d'un œil sec à ces<br />
agonies.<br />
Les malheureux n'ont pu s'assimi<strong>le</strong>r à nous. Est-ce <strong>le</strong>ur faute ? L'humanité n'a<br />
franchi que par des transitions insensib<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s étapes sans nombre qui séparent son<br />
berceau de son âge viril. Des milliers de sièc<strong>le</strong>s dorment entre ces deux moments.<br />
Rien ne s'est improvisé chez <strong>le</strong>s hommes, pas plus que dans la nature, si ce n'est <strong>le</strong>s<br />
catastrophes qui détruisent et ne fondent jamais.<br />
Les révolutions el<strong>le</strong>s-mêmes, avec <strong>le</strong>urs apparences si brusques, ne sont que la<br />
délivrance d'une chrysalide. El<strong>le</strong>s avaient grandi <strong>le</strong>ntement sous l'enveloppe<br />
rompue. On ne <strong>le</strong>s voit jamais qu'autonomes, bien différentes de la conquête,<br />
invasion bruta<strong>le</strong> d'une force extérieure qui brise et bou<strong>le</strong>verse sans améliorer.<br />
L'évolution spontanée d'une race, d'une peuplade, n'offre rien de pareil. El<strong>le</strong><br />
s'accomplit par degrés, sans troub<strong>le</strong> sensib<strong>le</strong>, comme <strong>le</strong> développement d'une<br />
plante.<br />
Le régime de la division du travail n'a dû remplacer l'iso<strong>le</strong>ment individuel que<br />
par une série de transformations, réparties sur une période immense. Chaque pas<br />
dans cette voie était applaudi comme une victoire attendue, désirée, et <strong>le</strong><br />
changement s'est ainsi opéré peu à peu, à travers une longue suite de générations,<br />
sans froissement de mœurs, d'habitudes, ni même de préjugés.<br />
C'était un progrès décisif sans doute... mais <strong>le</strong> prix ? abandon comp<strong>le</strong>t de<br />
l'indépendance personnel<strong>le</strong> ; esclavage réciproque sous l'apparence de solidarité ;<br />
<strong>le</strong>s liens de l'association serrés jusqu'au garottement. Nul ne peut désormais<br />
pourvoir seul à ses besoins. Son existence tombe à la merci de ses semblab<strong>le</strong>s. Il<br />
doit en attendre son pain quotidien, presque toutes <strong>le</strong>s choses de la vie. Car il ne<br />
peut se livrer qu'à une industrie unique. La qualité du produit est à cette condition<br />
qui asservit, et, à mesure que la division du travail s'accentue par <strong>le</strong>s<br />
perfectionnements de l'outillage, l'homme se trouve plus étroitement rivé à son<br />
métier.<br />
On sait où en sont venues <strong>le</strong>s choses aujourd'hui. Des êtres humains passent<br />
<strong>le</strong>ur existence à faire des pointes d'aiguil<strong>le</strong> et des têtes d'éping<strong>le</strong>.<br />
Certes, une tel<strong>le</strong> situation crée des devoirs impérieux entre <strong>le</strong>s citoyens.<br />
Chacun étant voué à une occupation simp<strong>le</strong>, la presque totalité de son produit lui<br />
est parfaitement inuti<strong>le</strong>. Ce produit servira par quantités infinitésima<strong>le</strong>s à une fou<strong>le</strong><br />
d'autres individus. L'ensemb<strong>le</strong> de ces consommateurs est donc tenu de fournir aux<br />
besoins de celui qui a travaillé pour eux.