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Colimon Hall, Marie-Thérèse, « Bonjour, Maman, Bonne fête ...

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<strong>Colimon</strong> <strong>Hall</strong>, <strong>Marie</strong>-<strong>Thérèse</strong>, <strong>«</strong> <strong>Bonjour</strong>, <strong>Maman</strong>, <strong>Bonne</strong> <strong>fête</strong>... http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/colimon_bonne...<br />

comme si je connaissais le pays où tu vis. Tu portes de belles robes avec des boutons dorés. Tu<br />

portes des souliers à semelles épaisses et des hauts talons qui font du bruit en marchant. Tu portes<br />

au poignet une grosse montre en or et aux bras beaucoup de bracelets en or et de toutes les<br />

couleurs. Tu portes une grosse chaîne à ton cou, en or aussi, avec une large médaille. Et puis, sur<br />

ta tête, tu portes une perruque de beaux cheveux blonds coiffés en un énorme chignon. Ton visage<br />

est maquillé avec des fards bleus, verts, rouges et noirs. Que tu es belle maman ! Tu fermes la<br />

porte de ta maison. Tu te mets au volant de ta machine. Et Rran ! Rran ! te voilà partie. Tu t'arrêtes<br />

au centre-d'achat. Oh ! que de belles choses tu vas acheter ! Ici, on ne va pas au centre-d'achat, on<br />

achète à manger au marché en fer et les marchandes vous injurient quand vous touchez à leurs<br />

affaires. Toi, tu choisis, là-bas, au super-market, ce que tu veux. On m'a dit qu'on vend de tout<br />

dans ces magasins-là : de la viande rouge, rouge et du pain blanc, blanc, des assiettes en<br />

porcelaine, des tasses et aussi des robes, des bas de soie, des culottes, des jouets de toutes sortes,<br />

du savon de toutes les couleurs, des parfums et même, même des automobiles. Quel pays béni,<br />

bon Dieu ! Ici, rien de tout cela ! Tiens : tu t'arrêtes au premier comptoir, tu achètes un cornet de<br />

crème à la glace. Oh ! comme elle est grosse et abondante cette crème ! oh ! oh !... Mais qu'est-ce<br />

qu'elle a à parler comme cela, la dame du comptoir ? Je l'entends et je la vois comme dans un<br />

brouillard. Ah ! ce n'est pas la dame du comptoir ! Je reconnais la voix, c'est encore Madame la<br />

Directrice. C'est vrai, je suis toujours ici, en Haïti, moi. Perdue dans mon rêve, je me croyais<br />

auprès de toi. Que dit-elle ?<br />

– <strong>«</strong> Dolcina, écoutez-moi bien ! Vous vous faites des illusions, ma petite ! Votre mère et votre<br />

père ne sont pas sur un lit de roses ! Ils triment dur, là-bas. Ce sont de pauvres gens qui gagnent<br />

péniblement leur vie. Ne vous imaginez pas qu'ils se la coulent douce. Votre père est un garçon<br />

d'hôtel, il doit servir sans répit les gens, soulever de gros sacs de voyage, dix fois par jour, ouvrir<br />

des portières et se tenir respectueusement devant les clients pour les laisser passer, obéir à tous<br />

leurs caprices en disant sans cesse, <strong>«</strong> yes sir », et la nuit, il se couche très tard, votre père. Votre<br />

mère n'est qu'une humble travailleuse qui va de porte en porte faire le ménage chez les gens,<br />

nettoyer chaque jour des appartements entiers, votre mère n'est pas une belle dame riche ;<br />

comprenez donc, mon enfant, que vous devez bien vous conduire, bien travailler en classe pour<br />

leur rendre un peu... Cessez de vous leurrer ».<br />

Que dit-elle ? Je ne l'écoute plus. Elle fait exprès, pour m'humilier, me faire de la peine. Elle<br />

croit que je ne sais pas. Elle croit que j'ignore combien la vie est douce, là-bas. Elle me prend pour<br />

une idiote. Si la vie est aussi dure qu'elle le dit, pourquoi les personnes qui rentrent ici en voyage<br />

sont-elles toujours et toutes aussi chics et élégantes ? Les dames portent de beaux pantalons et des<br />

quantités de bijoux. Leur teint est frais, pas fatigué du tout : Ah ! ah ! je trouve cela drôle pour des<br />

gens qui travaillent si durement ! Et puis, à la pension où je suis, les parents envoient tout le temps<br />

des tas de jolies choses pour leurs enfants. Il y en a qui reçoivent deux, trois paires de chaussures à<br />

la fois ; d'autres reçoivent de gros jouets, jamais des petits riens ; ce ne sont que tricycles, poupées<br />

aux cheveux soyeux, autos. Et les sacs d'école donc, et les couvre-cahiers, les plumiers de toutes<br />

les couleurs !<br />

Oui, oui, tu peux parler, ma vieille, je ne t'écoute pas ! Un jour, maman enverra toutes ces<br />

choses pour moi aussi. Si je ne suis pas aussi gâtée que ces enfants là, c'est parce que mon papa et<br />

ma maman rassemblent leur argent pour me faire chercher l'année prochaine. Ah ! c'est alors que<br />

tout le monde sera bien attrapé ! Quand ce sera mon tour d'aller là-bas, dans ce beau Paradis sur<br />

terre ! Oh ! plus de pension avec une dame hargneuse toujours à vous lancer à la tête des injures et<br />

des reproches : <strong>«</strong> Dolcina, voilà trois mois que vos parents n'ont pas donné signe de vie ; si je vous<br />

supporte c'est par charité chrétienne... Dolcina, rendez-vous utile, allez jeter les "fatras" pour<br />

payer le pain que vous mangez »... Finie l'école, terminés les sermons interminables de la<br />

directrice. Un bel avion m'emportera haut, haut dans le ciel. Oh ! mon Dieu ! Arrivée là-bas je<br />

vous verrai tous, m'attendant à l'aéroport. Tous réunis devant la grande auto rouge de mon papa<br />

(car sûrement mon papa possède une grosse auto rouge). Il y aura mes quatre petits frères et<br />

sœurs : Eddy, Betty, Jeff et Daisy et puis, ma tante et mon oncle, et puis mon papa, et puis toi,<br />

maman chérie. Je me précipiterai dans vos bras. Je vous reconnaîtrai tous, tout de suite, bien que<br />

2 sur 6 5/14/12 11:59 PM

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