Dossier pédagogique Dans la solitude des champs de coton

NOTES D’INTENTION DU METTEUR EN SCENE
« On ne s’affronte pas directement à trop d’étrangeté »
Je n’ai jamais aimé les histoires d’amour... Si on veut raconter d’une manière un peu plus
fine, on est obligé de prendre d’autres chemins. Je trouve que le deal est un moyen sublime.
Ca recouvre vraiment tout le reste. Ce serait bien de pouvoir écrire une pièce entre un homme
et une femme où il soit question de business.
Bernard-Marie Koltès, Une part de ma vie
Vous observez l’inexplicable corps à corps de deux hommes... Ne vous cassez pas la tête sur
les motifs de ce combat, mais intéressez-vous aux enjeux humains, jugez sans parti pris de la
forme des adversaires et portez votre attention sur le dernier match.
Bertolt Brecht, Dans la jungle des villes
Une trilogie
Il y a dans L’échange de Claudel cette scène où Thomas Pollock propose un paquet de dollars à Louis
Laine en échange de sa femme : « tout vaut tant ! ». Puis cette autre scène de la pièce du jeune Brecht,
Dans la jungle des villes, où Schlink le négociant Malais prétend acheter au jeune libraire Garga son
opinion sur un livre, contre des dollars encore. Entre ces deux pièces que j’ai déjà mises en scène, une
fulgurante résonance : la même violence d’un combat sans motif et sans raison entre deux hommes, mais
aussi bien la métaphore théâtrale de toute relation entre les humains, le même commerce entendu aussi
bien dans son acception moderne d’échange commercial qu’au sens des relations qu’on entretient (et où
l’on s’entretient avec l’autre) dans la société ou dans l’intimité. Aujourd’hui, avec Dans la solitude des
champs de coton c’est comme si j’ouvrais le troisième volet d’une trilogie sur l’échange, l’entretien, le
désir, le combat, la haine, sur le temps et l’espace du théâtre : le deal.
Les comédiens
Aujourd’hui je mets en scène Dans la solitude des champs de coton parce que j’ai trouvé les deux
comédiens, Adama Diop et Bastien Bouillon, qui vont donner chair au Dealer et au Client imaginés par
Koltès, et tels que je les imagine à mon tour, dans un espace qui sera plus proche de l’espace vide, d’une
théâtralité frontale.
Bastien Bouillon, avec qui j’ai travaillé pour la première fois dans Kids de Fabrice Melquiot la saison
dernière. C’est un acteur capable de donner au Client l’effet de réel inquiétant d’un personnage qui vous
arrêterait cette nuit au coin de votre rue, sur la dalle entre les tours d’une cité de banlieue, ou au sortir
d’un café ; capable d’assumer aussi bien la violence du combat que la danse de séduction ou l’entretien
quasiment philosophique avec le Dealer.
Le Dealer, ce sera Adama Diop. Parce qu’il est « black » et que Koltès veut un black dans ce rôle (ils
seront inévitablement présents dans tout ce que j’écris, dit-il), et surtout parce que je sais qu’il peut
incarner avec force l’altérité, qui fascinait Koltès, et son humour : un comique direct revendiquait-il.
Etrangeté
Dans la solitude des champs de coton suscite en moi un sentiment à la fois de puissance et d’étrangeté.
Etrangeté de l’heure : un crépuscule qui ouvre sur la violence de ténèbres aussi bien morales que
physiques. Etrangeté du lieu : une zone indéterminée, hostile, péri-urbaine, une jungle de l’asphalte
réinterprétée par la scénographe Nathalie Holt : un espace qui rassemble et qui sépare : vaste espace
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