25.06.2013 Views

Dossier pédagogique Dans la solitude des champs de coton

Dossier pédagogique Dans la solitude des champs de coton

Dossier pédagogique Dans la solitude des champs de coton

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>coton</strong><br />

De Bernard-Marie Koltès<br />

mise en scène Gilles Bouillon<br />

Photos : Holt et Carmit.<br />

Durée - 1h30


SOMMAIRE<br />

1. Notes d’intention ………………………………………………………………..……….…...p4<br />

2. L’auteur....…………………………………………………………………………….…......…p6<br />

3. Le théâtre <strong>de</strong> Koltès ……………………………………………………...…………….....…p7<br />

4. Présentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce…………………………………………...………………..……..…p9<br />

5. Bibliographie …………………………………………………...………………...............…p11<br />

6. Textes complémentaires ……………………………………………………………......…p12<br />

7. Pistes <strong>pédagogique</strong>s ………………………………………………………………….......…p14<br />

2


<strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong><br />

<strong>de</strong> Bernard-Marie Koltès<br />

mise en scène Gilles Bouillon<br />

Dramaturgie Bernard Pico<br />

Scénographie et Costumes Nathalie Holt<br />

Lumières Nico<strong>la</strong>s Guellier<br />

Sons A<strong>la</strong>in Bruel<br />

Assistante mise en scène Albane Aubry<br />

Régie Générale Laurent Choquet<br />

Construction du décor, réalisée par l'équipe technique du CDR <strong>de</strong> Tours sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> Pierre-<br />

Alexandre Siméon<br />

avec<br />

Bastien Bouillon<br />

Adama Diop<br />

3


NOTES D’INTENTION DU METTEUR EN SCENE<br />

« On ne s’affronte pas directement à trop d’étrangeté »<br />

Je n’ai jamais aimé les histoires d’amour... Si on veut raconter d’une manière un peu plus<br />

fine, on est obligé <strong>de</strong> prendre d’autres chemins. Je trouve que le <strong>de</strong>al est un moyen sublime.<br />

Ca recouvre vraiment tout le reste. Ce serait bien <strong>de</strong> pouvoir écrire une pièce entre un homme<br />

et une femme où il soit question <strong>de</strong> business.<br />

Bernard-Marie Koltès, Une part <strong>de</strong> ma vie<br />

Vous observez l’inexplicable corps à corps <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux hommes... Ne vous cassez pas <strong>la</strong> tête sur<br />

les motifs <strong>de</strong> ce combat, mais intéressez-vous aux enjeux humains, jugez sans parti pris <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

forme <strong><strong>de</strong>s</strong> adversaires et portez votre attention sur le <strong>de</strong>rnier match.<br />

Bertolt Brecht, <strong>Dans</strong> <strong>la</strong> jungle <strong><strong>de</strong>s</strong> villes<br />

Une trilogie<br />

Il y a dans L’échange <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong>l cette scène où Thomas Pollock propose un paquet <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs à Louis<br />

Laine en échange <strong>de</strong> sa femme : « tout vaut tant ! ». Puis cette autre scène <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce du jeune Brecht,<br />

<strong>Dans</strong> <strong>la</strong> jungle <strong><strong>de</strong>s</strong> villes, où Schlink le négociant Ma<strong>la</strong>is prétend acheter au jeune libraire Garga son<br />

opinion sur un livre, contre <strong><strong>de</strong>s</strong> dol<strong>la</strong>rs encore. Entre ces <strong>de</strong>ux pièces que j’ai déjà mises en scène, une<br />

fulgurante résonance : <strong>la</strong> même violence d’un combat sans motif et sans raison entre <strong>de</strong>ux hommes, mais<br />

aussi bien <strong>la</strong> métaphore théâtrale <strong>de</strong> toute re<strong>la</strong>tion entre les humains, le même commerce entendu aussi<br />

bien dans son acception mo<strong>de</strong>rne d’échange commercial qu’au sens <strong><strong>de</strong>s</strong> re<strong>la</strong>tions qu’on entretient (et où<br />

l’on s’entretient avec l’autre) dans <strong>la</strong> société ou dans l’intimité. Aujourd’hui, avec <strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

<strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong> c’est comme si j’ouvrais le troisième volet d’une trilogie sur l’échange, l’entretien, le<br />

désir, le combat, <strong>la</strong> haine, sur le temps et l’espace du théâtre : le <strong>de</strong>al.<br />

Les comédiens<br />

Aujourd’hui je mets en scène <strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong> parce que j’ai trouvé les <strong>de</strong>ux<br />

comédiens, Adama Diop et Bastien Bouillon, qui vont donner chair au Dealer et au Client imaginés par<br />

Koltès, et tels que je les imagine à mon tour, dans un espace qui sera plus proche <strong>de</strong> l’espace vi<strong>de</strong>, d’une<br />

théâtralité frontale.<br />

Bastien Bouillon, avec qui j’ai travaillé pour <strong>la</strong> première fois dans Kids <strong>de</strong> Fabrice Melquiot <strong>la</strong> saison<br />

<strong>de</strong>rnière. C’est un acteur capable <strong>de</strong> donner au Client l’effet <strong>de</strong> réel inquiétant d’un personnage qui vous<br />

arrêterait cette nuit au coin <strong>de</strong> votre rue, sur <strong>la</strong> dalle entre les tours d’une cité <strong>de</strong> banlieue, ou au sortir<br />

d’un café ; capable d’assumer aussi bien <strong>la</strong> violence du combat que <strong>la</strong> danse <strong>de</strong> séduction ou l’entretien<br />

quasiment philosophique avec le Dealer.<br />

Le Dealer, ce sera Adama Diop. Parce qu’il est « b<strong>la</strong>ck » et que Koltès veut un b<strong>la</strong>ck dans ce rôle (ils<br />

seront inévitablement présents dans tout ce que j’écris, dit-il), et surtout parce que je sais qu’il peut<br />

incarner avec force l’altérité, qui fascinait Koltès, et son humour : un comique direct revendiquait-il.<br />

Etrangeté<br />

<strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong> suscite en moi un sentiment à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong> puissance et d’étrangeté.<br />

Etrangeté <strong>de</strong> l’heure : un crépuscule qui ouvre sur <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> ténèbres aussi bien morales que<br />

physiques. Etrangeté du lieu : une zone indéterminée, hostile, péri-urbaine, une jungle <strong>de</strong> l’asphalte<br />

réinterprétée par <strong>la</strong> scénographe Nathalie Holt : un espace qui rassemble et qui sépare : vaste espace<br />

4


projeté par l’avant-scène vers le public, espace cadré bas, balles <strong>de</strong> papiers récupérés au lointain, abribus<br />

condamné, sièges urbains, p<strong>la</strong>ques d’aluminium au sol et papiers ....<br />

Etrangeté <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages désignés par les seules fonctions <strong>de</strong> « <strong>de</strong>aler » et <strong>de</strong> « client », dont on ne saura<br />

jamais que ce qu’ils veulent bien révéler d’eux-mêmes et que Koltès imaginait comme un bluesman qui<br />

ne s’énerve jamais et un punk <strong>de</strong> l’East Si<strong>de</strong> écorché agressif. Ils se parlent ou ils se tuent.<br />

Etrangeté <strong>de</strong> l’action : à <strong>la</strong> fois combat sans merci et entretien amoureux.<br />

Un échange, un <strong>de</strong>al, mais un <strong>de</strong>al dont on ne saura jamais l’objet, ni ce que désire le quéman<strong>de</strong>ur, ni ce<br />

que propose le fournisseur. Affrontement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>solitu<strong>de</strong></strong>s, mouvements d’approche et d’esquive, poker<br />

menteur dont l’art consisterait pour l’un à faire dire à l’autre ce qu’il désire, pour l’autre à obliger l’un à<br />

montrer ce qu’il vend. Sans succès. Quel désir les meut et les émeut, qui ne sera jamais nommé ? On ne<br />

parle PAS <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong>...C’est une absence <strong>de</strong> quelque chose...<br />

Ténèbres <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes qui s’abor<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> nuit<br />

Et en même temps puissance <strong>de</strong> ce texte. Au théâtre l’essentiel, disait Koltès, est ce qui se passe dans ce<br />

que disent les gens. Comme dans Shakespeare, Racine, et les plus grands. La <strong>la</strong>ngue <strong>de</strong> Koltès est théâtre<br />

dans sa quintessence, elle convoque <strong>la</strong> présence physique <strong>de</strong> l’acteur sur <strong>la</strong> scène. Les mots, le souffle,<br />

font l’acteur se lever, l’espace traverser, le temps <strong>de</strong>venir matière visible, dans l’esquive, le dé<strong>la</strong>i, tout un<br />

jeu <strong>de</strong> patience ou d’impatience, et le corps à corps <strong>de</strong> corps en souffrance.<br />

Ecriture <strong>de</strong>nse, poétique, concrète et lyrique qui raconterait en une heure <strong>de</strong> temps un regard échangé en<br />

un éc<strong>la</strong>ir entre <strong>de</strong>ux hommes une nuit ou con<strong>de</strong>nserait l’expérience humaine <strong>de</strong> toute une vie : <strong>la</strong> présence<br />

à soi, l’irruption <strong>de</strong> l’autre, <strong>la</strong> violence, le désir, l’affrontement, l’amour, <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong>, <strong>la</strong> mort. Rarement<br />

texte <strong>de</strong> théâtre aura touché à ce qui fait justement le nerf du théâtre, avec autant <strong>de</strong> violence, <strong>de</strong> beauté et<br />

<strong>de</strong> précision chirurgicale.<br />

J’admire dans l’écriture <strong>de</strong> Koltès à <strong>la</strong> fois son emprise sur le mon<strong>de</strong> contemporain, sa réalité urbaine,<br />

nocturne, marginale, inquiétante, son effet <strong>de</strong> réel, et sa capacité <strong>de</strong> créer métaphoriquement <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces<br />

étranges comme lignes <strong>de</strong> fuite, jungles et déserts, pour qu’on ne s’affronte pas directement à trop<br />

d’étrangeté au <strong>de</strong>dans <strong>de</strong> soi. Une écriture et un univers qui entrent fraternellement en résonance avec<br />

ceux <strong>de</strong> Rimbaud, <strong>de</strong> Conrad ou <strong>de</strong> Faulkner. Géniale métaphore d’une vision du mon<strong>de</strong>, outil optique<br />

pour son<strong>de</strong>r les ténèbres <strong>de</strong> <strong>la</strong> psyché humaine, <strong>la</strong> face cachée <strong>de</strong> nos engagements, les enjeux <strong>de</strong> l’amour,<br />

<strong>de</strong> l’amitié, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vocation d’artiste ou d’écrivain, tout ce qui nous fait sortir <strong>de</strong> nous-même au risque <strong>de</strong><br />

voir s’infléchir <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> nos vies, <strong>de</strong> se perdre peut-être.<br />

Gilles Bouillon , juin 2012<br />

5


BERNARD-MARIE KOLTES<br />

Bernard-Marie Koltès est né en 1948 dans une famille bourgeoise <strong>de</strong> Metz. En 1969, après un voyage<br />

aux Etats-Unis et au Canada, il déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> quitter sa ville natale pour s’installer à Strasbourg où il assiste à<br />

une représentation <strong>de</strong> Médée <strong>de</strong> Sénèque mise en scène par Jorge Lavelli avec Maria Casarès. « Un coup<br />

<strong>de</strong> foudre ! Avec Casarès … S’il n’y avait pas eu ça, dira-t-il plus tard, j’aurais jamais fait <strong>de</strong> théâtre ».<br />

A l’âge <strong>de</strong> vingt ans, Hubert Gignoux lui propose d’intégrer le TNS ; il y entre en section scénographie,<br />

puis y réalise une dizaine <strong>de</strong> mises en scène. Il commence entre 1970 et 1973 à écrire pour le théâtre <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

pièces d’inspiration biblique et russe comme Les Amertumes (d’après Enfance <strong>de</strong> Gogol), La Marche<br />

(d’après Le Cantique <strong><strong>de</strong>s</strong> Cantiques), Procès ivre (d’après Crime et Châtiment <strong>de</strong> Dostoïevski), ainsi que<br />

L’héritage et Récits morts. Parallèlement, il fon<strong>de</strong> sa troupe <strong>de</strong> théâtre : Le Théâtre du Quai.<br />

Mais le théâtre ne lui suffit pas et, après un séjour en Russie, il adhère au parti communiste qu’il quittera<br />

cinq ans plus tard, en 1979. Cet engagement théâtral et politique correspond aussi à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

drogue pour Koltès qui, après une tentative <strong>de</strong> suici<strong>de</strong>, suivra une cure <strong>de</strong> désintoxication avant <strong>de</strong> partir<br />

définitivement pour Paris.<br />

1977 est l’année charnière dans <strong>la</strong> carrière du dramaturge qui se <strong>la</strong>nce véritablement dans l’écriture<br />

théâtrale avec Sallinger et La Nuit juste avant les forêts, <strong>de</strong>ux pièces mises en scène par Bruno Boëglin. A<br />

partir <strong>de</strong> cette date, Bernard-Marie Koltès renie ses premières pièces qu’il ne souhaite pas voir publier <strong>de</strong><br />

son vivant.<br />

En 1979, il rencontre Patrick Chéreau et souhaite que celui-ci monte désormais ses pièces, ce qui se<br />

réalisera à partir <strong>de</strong> 1983 avec Combat <strong>de</strong> nègre et <strong>de</strong> chiens interprété par Michel Piccoli et Philippe<br />

Léotard. Les comman<strong><strong>de</strong>s</strong> et les créations s’enchaînent avec Quai Ouest à <strong>la</strong> Comédie Française, La Nuit<br />

juste avant les forêts mise en scène par Jean-Luc Boutté avec Richard Fontana au Petit Odéon, et <strong>Dans</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong> mise en scène par Patrice Chéreau. Après avoir traduit Le conte d’hiver <strong>de</strong><br />

Shakespeare, Bernard-Marie Koltès écrit en 1988 Le retour au désert, un vau<strong>de</strong>ville créé sur mesure pour<br />

Jacqueline Mail<strong>la</strong>nt et Michel Piccoli. La pièce est saluée mais le public ne cautionne pas <strong>la</strong> mise en<br />

scène <strong>de</strong> Patrick Chéreau. Le dramaturge rédige sa <strong>de</strong>rnière pièce Roberto Zucco en 1989, avant <strong>de</strong><br />

mourir <strong><strong>de</strong>s</strong> suites du SIDA à l’Hôpital Laennec, à Paris. Il est enterré au cimetière Montmartre. « On<br />

meurt et on vit seul. C’est une banalité… Je trouve que <strong>la</strong> vie est une petite chose minuscule… C’est <strong>la</strong><br />

chose <strong>la</strong> plus futile ! » Bernard-Marie Koltès.<br />

6


LE THEATRE DE KOLTES<br />

En six pièces, Bernard-Marie Koltès opère ce que Jean-Pierre Sarrazac a très justement désigné comme<br />

une « traversée du théâtre ».<br />

Avec La Nuit juste avant les forêts, il s’agit <strong>de</strong> prendre <strong>la</strong> parole. Un errant trempé <strong>de</strong> pluie s’adresse à un<br />

passant, qui n’est pas là et qui pourrait du coup être nous le public. Cette parole sort en un flot<br />

irrépressible ; immense phrase sans points qui commence : « tu tournais le coin <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue lorsque je t’ai vu<br />

», et s’achève une soixantaine <strong>de</strong> pages plus loin : « … <strong>la</strong> pluie <strong>la</strong> pluie <strong>la</strong> pluie <strong>la</strong> pluie ».<br />

<strong>Dans</strong> Combat <strong>de</strong> nègre et <strong>de</strong> chiens, il y a confrontation, « agôn », dans un chantier en Afrique entre<br />

Alboury qui vient chercher le corps <strong>de</strong> son frère et trois B<strong>la</strong>ncs, le chef <strong>de</strong> chantier Horn, l’ingénieur Cal<br />

et Léone qui vient d’arriver. Attaques, disputes, échanges et un rapport à l’espace très fort, magnifié par<br />

un usage étonnant <strong><strong>de</strong>s</strong> didascalies : « Tout à coup un tourbillon <strong>de</strong> sable rouge portant <strong><strong>de</strong>s</strong> cris <strong>de</strong> chien<br />

couche les herbes et plie les branches, tandis que monte du sol, comme une pluie à l’envers, une nuée<br />

d’éphémères suicidaires et affolés qui voile toute c<strong>la</strong>rté ».<br />

<strong>Dans</strong> Quai Ouest, il y a huit personnages à égalité, même si l'un d'eux ne parle pas, et un hangar dans une<br />

ville portuaire. « Et maintenant : où ? par où ? comment ? », C’est le début <strong>de</strong> cette errance initiatique, <strong>de</strong><br />

ce voyage vers <strong>la</strong> mort.<br />

<strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong> est une variation éblouissante sur <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> dialogue se heurtant<br />

au monologue. Deux personnages, trente-six répliques, dix-huit chacun dans un mouvement rhétorique<br />

qui va s'accélérant. Le temps est di<strong>la</strong>té entre <strong>la</strong> minute que dure <strong>la</strong> transaction entre un Dealer et un Client<br />

et ce long détour <strong>de</strong> plus d'une heure où se dit le désir. Quand tous les mots sont épuisés arrive une fin<br />

brutale : « Alors quelle arme ? ».<br />

Avec Le retour au désert, Koltès abor<strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie. Il situe son histoire dans une pério<strong>de</strong> précise : <strong>la</strong><br />

province française au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre d'Algérie, ce qui ajoute une composante autobiographique au<br />

sujet. Il fait circuler l'action dans une maison familiale et dans une ville. Il entrecroise avec habileté les<br />

fils d'une intrigue complexe fondée sur le projet <strong>de</strong> vengeance <strong>de</strong> Mathil<strong>de</strong> qui voile son but ultime :<br />

repartir avec son frère Adrien.<br />

Roberto Zucco suit le trajet haletant d'un personnage central avec plusieurs cercles <strong>de</strong> figures qui évoluent<br />

autour <strong>de</strong> lui. La <strong>la</strong>ngue est plus concise ; <strong>la</strong> construction en courts tableaux donne <strong>de</strong> l'énergie. Ce n'est<br />

pas le portrait d'un tueur mais l'observation passionnée d'un <strong><strong>de</strong>s</strong>tin fatal.<br />

Koltès se bat avec le théâtre pour trouver comment écrire. « Ce qui est difficile, ce qu'il faut apprendre, ce<br />

qu'on met du temps à apprendre, et qu'on rate, et qu'on recommence, qu'on ne réussit jamais tout à fait et<br />

qui empêche <strong>de</strong> dormir, ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> choses comme : faire entrer quelqu'un sur un p<strong>la</strong>teau, lui donner une<br />

raison <strong>de</strong> sortir, et voir à quel point cette raison modifie <strong>la</strong> scène qu'on imaginait d'abord ; maîtriser les<br />

personnages même quand ils sont hors scène, pour savoir comment on va les retrouver. »<br />

Ce faisant, il entraîne avec lui toute une génération <strong>de</strong> lecteurs, <strong>de</strong> spectateurs et <strong>de</strong> metteurs en scène. Sa<br />

carrière brève et fulgurante est liée à celle <strong>de</strong> Patrice Chéreau qui, jusqu'alors, se déc<strong>la</strong>rait indifférent aux<br />

contemporains. Fasciné par <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et l'univers <strong>de</strong> Koltès, il cherche à résoudre sur scène les énigmes<br />

que posent ses pièces. « Avec lui, j'ai vécu une expérience incroyable : avoir ce lien durable avec un<br />

auteur vivant, et ce<strong>la</strong> a changé ma vie. Au fond, c'est dans ce lien qu'un metteur en scène <strong>de</strong> théâtre trouve<br />

sa légitimité finale. »<br />

7


« J'ai toujours un peu détesté le théâtre, parce que le théâtre, c'est le contraire <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ; mais j'y<br />

reviens toujours et je l'aime parce que c'est le seul endroit où l'on dit que ce n'est pas <strong>la</strong> vie. »<br />

Ce paradoxe, très précisément, fon<strong>de</strong> l'œuvre. Car Koltès engage avec le théâtre un véritable combat.<br />

Pour ce qu'il porte, pour ce qu'il perçoit <strong>de</strong> son temps, le théâtre vient à lui comme une obligation : « Il<br />

m'arrive parfois, lorsque je suis avec une personne dont rien, je dis bien : rien – sauf le fait <strong>de</strong> manger, <strong>de</strong><br />

dormir et <strong>de</strong> marcher – ne ressemble à telle autre, il m'arrive <strong>de</strong> me dire : et si je les présentais l'un à<br />

l'autre, qu'arriverait-il ? <strong>Dans</strong> <strong>la</strong> vie, bien sûr, il n'arriverait rien ; les chiens s'accommo<strong>de</strong>nt bien <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

humains sans être quotidiennement stupéfaits <strong><strong>de</strong>s</strong> différences. Il faut <strong><strong>de</strong>s</strong> circonstances, <strong><strong>de</strong>s</strong> événements,<br />

ou <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux bien précis pour les obliger à se regar<strong>de</strong>r et à se parler ; <strong>la</strong> guerre, <strong>la</strong> prison en sont, je<br />

suppose ; ce hangar en était un ; le p<strong>la</strong>teau <strong>de</strong> théâtre en est un, certainement. »<br />

Parce que le théâtre est convention, Koltès sait qu'il peut y déployer une parole souveraine. Il situe ainsi<br />

le p<strong>la</strong>teau comme un lieu provisoire où l'attention s'arrête sur une di<strong>la</strong>tation profuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole, où<br />

l'écho <strong><strong>de</strong>s</strong> « pensées <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière », vertigineuses, <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages résonne et prend forme. Seul lieu où<br />

les paroles souterraines longtemps contenues peuvent, comme <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>la</strong>ques tectoniques à <strong>la</strong> dérive, se<br />

rencontrer là, sous l'effet d'une contrainte provoquée, et produire par leur frottement en surface les plus<br />

violents séismes, avec <strong><strong>de</strong>s</strong> épanchements éruptifs <strong>de</strong> matière verbale comique ou tragique – qui se<br />

recouvrent sans se confondre. Chaque personnage gar<strong>de</strong> en effet, enclos dans sa parole, un mon<strong>de</strong><br />

minéral secret : toute rencontre avec l'autre ne peut être qu'une catastrophe imprévue, qu'une zone <strong>de</strong><br />

plissures et <strong>de</strong> tremblements sans fusion possible. Koltès secoue <strong>la</strong> scène avec une telle puissance<br />

tellurique que le théâtre, les personnages – comme les spectateurs – ne sauraient en sortir in<strong>de</strong>mnes !<br />

Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Lallias, Théâtre Aujourd'hui n° 5<br />

« Pour ma part, j'ai seulement envie <strong>de</strong> raconter bien, un jour, avec les mots les plus simples, <strong>la</strong><br />

chose <strong>la</strong> plus importante que je connaisse et qui soit racontable, un désir, une émotion, un lieu, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

lumière et <strong><strong>de</strong>s</strong> bruits, n'importe quoi qui soit un bout <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> et qui appartienne à tous. »<br />

Presque toutes ses pièces mettent en scène le mon<strong>de</strong> d'aujourd'hui, racontent une histoire, offrent une<br />

action dramatique, voire une progression – tout ce dont le « nouveau théâtre » <strong><strong>de</strong>s</strong> années 50 semb<strong>la</strong>it<br />

avoir sonné le <strong>de</strong>uil. Ce c<strong>la</strong>ssicisme pourtant n'est qu'apparent. Comme le savent tous ceux qui ont pris <strong>la</strong><br />

peine <strong>de</strong> pénétrer dans l'œuvre, les problèmes que pose sa forme sont multiples et nouveaux : ainsi <strong>de</strong> ces<br />

espaces prétendument conformes à l'unité <strong>de</strong> lieu mais qui sont en fait d'insolubles casse-tête pour les<br />

metteurs en scène (comme le hangar <strong>de</strong> Quai Ouest qu'il faudrait pouvoir voir <strong>de</strong> l'extérieur, <strong>de</strong><br />

l'intérieur, <strong>de</strong> près, <strong>de</strong> loin, <strong>de</strong> côté, etc.) ; ainsi <strong>de</strong> ces personnages dont le « roman » est si <strong>la</strong>cunaire que<br />

les trous <strong>de</strong> leur biographie finissent par <strong>de</strong>venir plus significatifs que ce qu'on sait d'eux ; ainsi <strong>de</strong> ces<br />

longues répliques dans lesquelles les protagonistes feignent <strong>de</strong> s'expliquer mais qui leur servent en réalité<br />

à masquer leurs véritables objectifs ; ainsi <strong>de</strong> ces intrigues dont les péripéties les plus marquantes, les<br />

retournements les plus lourds <strong>de</strong> conséquence, loin d'éc<strong>la</strong>irer les enjeux <strong>de</strong> chacun, ouvrent bien souvent<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> « question [s] posée [s], et non résolue [s] » ; bref tout ce qui paraît s'inspirer d'une forme c<strong>la</strong>ssique<br />

est détourné, subverti, on aurait presque envie <strong>de</strong> dire : perverti. Non, Koltès n'est pas un auteur<br />

« dramaturgiquement correct ».<br />

Anne-Françoise Benhamou, Théâtre Aujourd'hui n° 5.<br />

8


PRESENTATION DE LA PIECE<br />

<strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong> n’est composé que d’une seule scène dans <strong>la</strong>quelle on assiste à <strong>la</strong><br />

rencontre et à <strong>la</strong> discussion que vont avoir les <strong>de</strong>ux personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce : Le Dealer et Le Client.<br />

L’action se situe dans un lieu désert et indéterminé à une heure elle aussi indéterminée <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit. Les<br />

<strong>de</strong>ux protagonistes dialoguent par le biais <strong>de</strong> longues tira<strong><strong>de</strong>s</strong>, sauf à <strong>la</strong> fin où le dialogue s’accélère.<br />

La pièce se donne pour but <strong>de</strong> décrire les rapports humains en partant d’une action spécifique : le <strong>de</strong>al :<br />

« Un <strong>de</strong>al est une transaction commerciale portant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs prohibées ou strictement contrôlées, et<br />

qui se conclut, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces neutres, indéfinis, et non prévus à cet usage, entre pourvoyeurs et<br />

quéman<strong>de</strong>urs, par entente tacite, signes conventionnels ou conversation à double sens - dans le but <strong>de</strong><br />

contourner les risques <strong>de</strong> trahison et d’escroquerie qu’une telle opération implique - , à n’importe quelle<br />

heure du jour ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, indépendamment <strong><strong>de</strong>s</strong> heures d’ouverture réglementaires <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux <strong>de</strong><br />

commerce homologués, mais plutôt aux heures <strong>de</strong> fermeture <strong>de</strong> ceux-ci. ».<br />

KOLTES a une vision très pessimiste <strong><strong>de</strong>s</strong> rapports humains qui ne peuvent aboutir qu’au conflit comme il<br />

le dit dans Prologue (Editions <strong>de</strong> Minuit) mais aussi à <strong>de</strong> nombreuses reprises dans <strong>la</strong> pièce.<br />

« Si un chien rencontre un chat - par hasard, ou tout simplement par probabilité, parce qu'il y a tant <strong>de</strong><br />

chiens et <strong>de</strong> chats sur un même territoire qu'ils ne peuvent pas, à <strong>la</strong> fin, ne pas se croiser ; si <strong>de</strong>ux<br />

hommes, <strong>de</strong>ux espèces contraires, sans histoire commune, sans <strong>la</strong>ngage familier, se trouvent par fatalité<br />

face à face - non pas dans <strong>la</strong> foule ni en pleine lumière, car <strong>la</strong> foule et <strong>la</strong> lumière dissimulent les visages et<br />

les natures, mais sur un terrain neutre et désert, p<strong>la</strong>t, silencieux, où l'on se voit <strong>de</strong> loin, où l'on s'entend<br />

marcher, un lieu qui interdit l'indifférence, ou le détour, ou <strong>la</strong> fuite ; lorsqu'ils s'arrêtent l'un en face <strong>de</strong><br />

l'autre, il n'existe rien d'autre entre eux que <strong>de</strong> l'hostilité - qui n'est pas un sentiment, mais un acte, un acte<br />

d'ennemis, un acte <strong>de</strong> guerre sans motif. ».(Prologue, Editions <strong>de</strong> Minuit).<br />

« Le Dealer<br />

[…]Et cette correction, nécessaire mais gratuite, que je vous ai offerte, vous lie à moi, ne serait-ce que<br />

parce que j’aurais pu, par orgueil, marcher sur vous comme une botte écrase un papier gras, car je savais,<br />

à cause <strong>de</strong> cette taille qui fait notre différence première - et à cette heure et en ce lieu seule <strong>la</strong> taille fait <strong>la</strong><br />

différence -, nous savons tous <strong>de</strong>ux qui est <strong>la</strong> botte et qui, le papier gras. ».<br />

« Le Dealer<br />

[…] Deux hommes qui se croisent n’ont pas d’autre choix que <strong>de</strong> se frapper, avec <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> l’ennemi<br />

ou <strong>la</strong> douceur <strong>de</strong> <strong>la</strong> fraternité. […] ».<br />

La diplomatie ne serait donc qu’un gain <strong>de</strong> temps avant d’arriver à l’inévitable confit, on peut donc dire<br />

que cette pièce est une pièce <strong>de</strong> <strong>la</strong> diplomatie.<br />

« Le premier acte <strong>de</strong> l’hostilité, juste avant le coup, c’est <strong>la</strong> diplomatie, qui est le commerce du temps.<br />

Elle joue l’amour en l’absence <strong>de</strong> l’amour, le désir par répulsion. Mais c’est comme une forêt en f<strong>la</strong>mmes<br />

traversée par une rivière : l’eau et le feu se lèchent, mais l’eau est condamnée à noyer le feu, et le feu<br />

forcé <strong>de</strong> vo<strong>la</strong>tiliser l’eau. L’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> mots ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> coups,<br />

parce que personne n’aime recevoir <strong>de</strong> coups et tout le mon<strong>de</strong> aime gagner du temps. Selon <strong>la</strong> raison, il<br />

est <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces qui ne <strong>de</strong>vraient jamais, dans <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong>, se trouver face à face. Mais notre territoire est<br />

9


trop petit, les hommes trop nombreux, les incompatibilités trop fréquentes, les heures et les lieux obscurs<br />

et déserts trop innombrables pour qu’il y ait encore <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce pour <strong>la</strong> raison. ». (Prologue, Editions <strong>de</strong><br />

Minuit).<br />

« Le Dealer<br />

[…] On ne peut revenir sur l’insulte, alors qu’on peut revenir <strong>de</strong> sa gentillesse, et il vaut mieux abuser <strong>de</strong><br />

celle-ci que d’user une seule fois <strong>de</strong> l’autre. C’est pourquoi je ne me fâcherais pas encore, parce que j’ai<br />

le temps <strong>de</strong> ne pas me fâcher, et j’ai le temps pour me fâcher, et que je me fâcherai peut-être quand tout<br />

ce temps-là sera écoulé. »<br />

Il y a donc une certaine volonté d’éviter le conflit <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes mais sans gran<strong>de</strong> conviction.<br />

Retour à l’action : Le Dealer abor<strong>de</strong> Le Client en lui proposant d’acheter ce qu’il veut, il peut tout lui<br />

vendre. Mais le Client ne veut rien, ne désire rien. Ec<strong>la</strong>te alors une dispute sur ce malentendu. S’ensuit<br />

une réflexion sur le désir et <strong>la</strong> satisfaction <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier (comme Le Client ne désire rien, Le Dealer lui<br />

propose <strong>de</strong> voler le désir <strong>de</strong> quelqu’un d’autre afin d’avoir enfin un désir à satisfaire), sur le commerce et<br />

l’injustice <strong>de</strong> celui qui a (et vend) contre celui qui n’a pas (donc qui achète), pourtant le client reste<br />

toujours le maître du jeu car il peut ne pas acheter. La souffrance est aussi abordée comme passage obligé<br />

dans les rapports humains.<br />

« Le Dealer<br />

[…] parce qu’on n’inflige que les souffrances que l’on peut soi-même supporter, et que l’on ne craint que<br />

les souffrance qu’on n'est pas soi-même capable d’infliger.[…] ».<br />

Après toutes ces digressions diplomatiques (qui paraissent pourtant logiques à <strong>la</strong> lecture), on finit par<br />

arriver au conflit.<br />

« Le Dealer<br />

S’il vous p<strong>la</strong>ît, dans le vacarme <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit, n’avez-vous rien dit que vous désiriez <strong>de</strong> moi, et que je<br />

n’aurais pas entendu ?<br />

Le Client<br />

Je n’ai rien dit ; je n’ai rien dit. Et vous, ne m’avez-vous rien, dans <strong>la</strong> nuit, dans l’obscurité si profon<strong>de</strong><br />

qu’elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> trop <strong>de</strong> temps pour qu’on s’y habitue, proposé, que je n’aie pas <strong>de</strong>viné ?<br />

Le Dealer<br />

Rien.<br />

Le Client<br />

Alors, quelle arme ? »<br />

Cette pièce est donc construite sur une série d’oppositions :<br />

Le ven<strong>de</strong>ur et le client<br />

Le fort et le faible<br />

Le légal et l’illégal<br />

Le jour et <strong>la</strong> nuit<br />

L’homme et l’animal : l’heure <strong>de</strong> cette rencontre étant celle <strong>de</strong> l’affrontement entre les <strong>de</strong>ux<br />

Le noir et le b<strong>la</strong>nc : dans <strong><strong>de</strong>s</strong> conseils <strong>de</strong> mise en scène, KOLTES expliquait qu’il vou<strong>la</strong>it que le <strong>de</strong>aler<br />

soit noir (ou vêtu <strong>de</strong> noir) afin que l’on puisse distinguer nettement les <strong>de</strong>ux personnages mais aussi<br />

exacerber leurs différences entre le <strong>de</strong>aler qui vit <strong>la</strong> nuit d’un commerce illégal et le client qui vit <strong>de</strong> jour<br />

dans un contexte légal.<br />

10


Le style est un mé<strong>la</strong>nge très musical d’oralité et <strong>de</strong> syntaxe recherchée, parfois même trop musical car on<br />

se retrouve entraîné sans avoir le temps <strong>de</strong> bien se rendre compte du sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase.<br />

A noter que Patrice CHEREAU a mis en scène cette pièce trois fois. D’abord au Théâtre <strong><strong>de</strong>s</strong> Amandiers à<br />

Nanterre en 1987 avec Laurent MALET (le client) et Isaac DE BANKOLE (le <strong>de</strong>aler). Puis en 1990 il<br />

reprend lui-même le rôle du <strong>de</strong>aler, et enfin en 1995 où Pascal GREGGORY prend le rôle du client<br />

(Molière <strong>de</strong> meilleure mise en scène en 1996).<br />

BIBLIOGRAPHIE (TRES) SUCCINTE<br />

Le texte : <strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong>, éditions <strong>de</strong> minuit<br />

Tous les textes <strong>de</strong> Koltès sont aux éditions <strong>de</strong> minuit, notamment les entretiens (passionnants) que<br />

l’auteur a accordés et qui sont publiés sous le titre : Une part <strong>de</strong> ma vie<br />

Sur Koltès :<br />

Anne Ubersfeld, Bernard-Marie Koltès, Actes Sud-Papiers<br />

Collectif, Koltès, Combats avec <strong>la</strong> scène, Théâtre aujourd’hui N°5<br />

Collectif, KOLTES, revue Alternatives Théâtrales N°35-36<br />

11


Prologue<br />

TEXTES COMPLEMENTAIRES<br />

« Si un chien rencontre un chat – par hasard, ou tout simplement par probabilité,<br />

parce qu’il y autant <strong>de</strong> chiens et <strong>de</strong> chats sur un même territoire qu’ils ne peuvent pas, à <strong>la</strong><br />

fin, ne pas se croiser - ; si <strong>de</strong>ux hommes, <strong>de</strong>ux espèces contraires, sans histoire commune,<br />

sans <strong>la</strong>ngage familier, se trouvent par fatalité face à face – non pas dans une foule ni en<br />

pleine lumière, car <strong>la</strong> foule et <strong>la</strong> lumière dissimulent les visages et les natures, mais sur un<br />

terrain neutre et désert, p<strong>la</strong>t, silencieux, où l’on se voit <strong>de</strong> loin, où l’on s’entend marcher,<br />

un lieu qui interdit l’indifférence, ou le détour, ou <strong>la</strong> fuite - ; lorsqu’ ils s’arrêtent l’un en<br />

face <strong>de</strong> l’autre, il n’existe rien d’autre entre eux que <strong>de</strong> l’hostilité, qui n’est pas un<br />

sentiment, mais un acte, un acte d’ennemis, un acte <strong>de</strong> guerre sans motif.<br />

Les vrais ennemis le sont <strong>de</strong> nature, et ils se reconnaissent comme les bêtes se<br />

reconnaissent à l’o<strong>de</strong>ur. Il n’y a pas <strong>de</strong> raison à ce que le chat hérisse le poil et crache<br />

<strong>de</strong>vant un chien inconnu, ni à ce que le chien montre les <strong>de</strong>nts et grogne. Si c’était <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

haine, il faudrait qu’il y ait eu quelque chose avant, <strong>la</strong> trahison <strong>de</strong> l’un, <strong>la</strong> perfidie <strong>de</strong><br />

l’autre, un sale coup quelque part ; mais il n’y a pas <strong>de</strong> passé commun entre les chiens et<br />

les chats, pas <strong>de</strong> sale coup, pas <strong>de</strong> souvenir, rien que du désert et du froid. On peut être<br />

irréconciliables sans qu’il y ait eu <strong>de</strong> brouille ; on peut ter sans raison ; l’hostilité est<br />

déraisonnable.<br />

Le premier acte <strong>de</strong> l’hostilité, juste avant le coup, c’est <strong>la</strong> diplomatie, qui est le<br />

commerce du temps. Elle joue l’amour en l’absence <strong>de</strong> l’amour, le désir par répulsion.<br />

Mais c’est comme une forêt en f<strong>la</strong>mme traversée par une rivière : l’eau et le feu se lèchent,<br />

mais l’eau est condamnée à noyer le feu, et le feu forcé <strong>de</strong> vo<strong>la</strong>tiliser l’eau. L’échange <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

mots ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange <strong><strong>de</strong>s</strong> coups, parce que personne n’aime<br />

recevoir <strong><strong>de</strong>s</strong> coups et tout le mon<strong>de</strong> aime gagner du temps.<br />

Selon <strong>la</strong> raison, il est <strong><strong>de</strong>s</strong> espèces qui ne <strong>de</strong>vraient jamais, dans <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong>, se<br />

trouver face çà face. Mais notre territoire est trop petit, les hommes trop nombreux, les<br />

incompatibilités trop fréquentes, les heures et les lieux obscurs et déserts trop<br />

innombrables pour qu’il y ait encore <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce pour <strong>la</strong> raison. »<br />

BMK, Courts textes, in Prologue, p.122-123<br />

12


Entretien<br />

DECLARATION. Propension du sujet amoureux à entretenir abondamment, avec une<br />

émotion contenue, l’être aimé, <strong>de</strong> son amour <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong> soi, d’eux : <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration ne porte<br />

pas sur l’aveu <strong>de</strong> l’amour, mais sur <strong>la</strong> forme, infiniment commentée, <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion<br />

amoureuse<br />

1. Le <strong>la</strong>ngage est une peau : je frotte mon <strong>la</strong>ngage contre l’autre. C’est comme si j’avais<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> mots en guise <strong>de</strong> doigts, ou <strong><strong>de</strong>s</strong> doigts au bout <strong>de</strong> mes mots. Mon <strong>la</strong>ngage tremble <strong>de</strong><br />

désir. L’émoi vient d’un double contact : d’une part, toute une activité <strong>de</strong> discours vient<br />

relever discrètement indirectement, un signifié unique, qui est « je te désire », et le libère,<br />

l’alimente, le ramifie, le fait exploser (le <strong>la</strong>ngage jouit <strong>de</strong> se toucher lui-même) ; d’autre<br />

part, j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j’entretiens ce frô<strong>la</strong>ge, je me<br />

dépense à faire durer le commentaire auquel je soumets <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion.<br />

(Parler amoureusement, c’est dépenser sans terme, sans crise ; c’est pratiquer un rapport<br />

sans orgasme. Il existe peut-être une forme littéraire <strong>de</strong> ce coïtus reservatus : c’est le<br />

marivaudage.)<br />

2. La pulsion <strong>de</strong> commentaire se dép<strong>la</strong>ce, suit <strong>la</strong> voie <strong><strong>de</strong>s</strong> substitutions. C’est, au départ,<br />

pour l’autre que je discours sur <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion ; mais ce peut être aussi <strong>de</strong>vant le confi<strong>de</strong>nt : <strong>de</strong><br />

tu, je passe à il. Et puis, <strong>de</strong> il, je passe à on : j’é<strong>la</strong>bore un discours abstrait sur l’amour, une<br />

philosophie <strong>de</strong> <strong>la</strong> chose, qui ne serait donc, en somme, qu’un baratin généralisé. Refaisant<br />

<strong>de</strong> là le chemin inverse, on pourra dire que tout propos qui a pour objet l’amour (quelle<br />

qu’en soit l’allure détachée) comporte fatalement une allocution secrète (je m’adresse à<br />

quelqu’un, que vous ne savez pas, mais qui est là, au bout <strong>de</strong> mes maximes). <strong>Dans</strong> Le<br />

Banquet, cette allocution existe peut-être : ce serait Agathon qu’Alcibia<strong>de</strong> interpellerait et<br />

désirerait, sous l’écoute d’un analyste, Socrate<br />

(L’atopie <strong>de</strong> l’amour, le propre qui le fait échapper à toutes les dissertations, ce serait<br />

qu’en <strong>de</strong>rnière instance, il n’est possible d’en parler que selon une stricte détermination<br />

allocutoire ; qu’il soit philosophique, gnomique, lyrique ou romanesque, il y a toujours<br />

dans le discours sur l’amour, une personne à qui l’on s’adresse, cette personne passât-elle à<br />

l’état <strong>de</strong> fantôme ou <strong>de</strong> créature à venir. Personne n’a envie <strong>de</strong> parler d’amour, si ce n’est<br />

pour quelqu’un.)<br />

Barthes, Fragments d’un discours amoureux p.87-<br />

L’entretien<br />

13


1 - LE TEXTE<br />

La pièce : Le titre ?<br />

Présentation du texte ?<br />

QUELQUES PISTES PEDAGOGIQUES<br />

Lecture du texte intégral :<br />

- Résumé en 10 lignes<br />

- Quel est le sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce ?<br />

- Quelles informations le texte donne-t-il sur les personnages ?<br />

- Quel est l’enjeu du dialogue ?<br />

- Impressions <strong>de</strong> lecture : positives ? négatives ? Difficulté, c<strong>la</strong>rté, niveaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngue, intérêt…<br />

- Interprétation(s) du sens <strong>de</strong> l’œuvre ?<br />

Le Deal<br />

Un <strong>de</strong>al est une transaction commerciale portant sur <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs prohibées ou strictement<br />

contrôlées, et qui se conclut, dans <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces neutres, indéfinis, et non prévus à cet<br />

usage, entre pourvoyeurs et quéman<strong>de</strong>urs, par entente tacite, signes conventionnels ou<br />

conversation à double sens – dans le but <strong>de</strong> contourner les risques <strong>de</strong> trahison et<br />

d’escroquerie qu’une telle opération implique -, et à n’importe quelle heure du jour et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> nuit, indépendamment <strong><strong>de</strong>s</strong> heures d’ouverture réglementaires <strong><strong>de</strong>s</strong> lieux <strong>de</strong> commerce<br />

homologués, mais plutôt aux heures <strong>de</strong> fermeture <strong>de</strong> ceux-ci.<br />

- Quel est l’objet du <strong>de</strong>al ?<br />

- De quoi le <strong>de</strong>al peut-il être <strong>la</strong> métaphore ?<br />

- Interprétations du sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce. Hypothèses. (Pour mémoire, les trois mises en scène<br />

successives <strong>de</strong> Patrice Chéreau : <strong>la</strong> drague homosexuelle, <strong>la</strong> drogue, le désir)<br />

Les Personnages<br />

Koltès présente ainsi, non sans humour, sa vision <strong>de</strong> <strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong>, et notamment<br />

celle <strong><strong>de</strong>s</strong> personnages :<br />

« Il y a un bluesman imperturbablement gentil, doux, un <strong>de</strong> ces types qui ne s’énervent jamais, qui<br />

ne revendique jamais. Je les trouve fascinants. L’autre est un agressif écorché, un punk <strong>de</strong> l’East<br />

Si<strong>de</strong>, imprévisible, quelqu’un qui me terrifie. Ils se rencontrent, chacun attend en vain quelque<br />

chose <strong>de</strong> l’autre. Ils finissent par se taper <strong><strong>de</strong>s</strong>sus, mais c’est une histoire drôle»<br />

« Un dialogue, ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> visages. Un acteur c’est d’abord un visage. Le visage et le <strong>la</strong>ngage sont<br />

les marques <strong>de</strong> reconnaissance d’une personne ; on reconnaît quelqu’un à sa voix ou à sa gueule…<br />

<strong>Dans</strong> ce spectacle tout le concret <strong>de</strong>vrait être dans ce qu’ils se disent, dans <strong>la</strong> manière dont ils se<br />

dép<strong>la</strong>cent, dans <strong>la</strong> manière dont ils se regar<strong>de</strong>nt ou ne se regar<strong>de</strong>nt pas. Le fait que le dialogue<br />

existe tient à <strong><strong>de</strong>s</strong> petits riens : l’un est b<strong>la</strong>nc, l’autre est noir, l’un est plus massif, l’autre plus<br />

soucieux <strong>de</strong> son apparence… » BMK à propos d’une photo du spectacle<br />

Rechercher dans le texte les éléments permettant d’analyser les personnages (Fiche synthétique)<br />

- Qu’est-ce qui caractérise les personnages ? Qu’est-ce qui les « distingue » ? Qui les rapproche ?<br />

- Deux styles <strong>de</strong> parole, <strong>de</strong>ux styles <strong>de</strong> jeu ?<br />

14


2 - LA REPRESENTATION<br />

L’affiche ?<br />

La scénographie ?<br />

Les costumes ?<br />

La lumière ?<br />

Le son, <strong>la</strong> musique ?<br />

Le jeu <strong><strong>de</strong>s</strong> comédiens ? (le corps en jeu, les mouvements, les attitu<strong><strong>de</strong>s</strong>, <strong>la</strong> voix, <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion à l’espace, etc.)<br />

Interprétation <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce par le metteur en scène ?<br />

Après <strong>la</strong> représentation<br />

La représentation confirme-t-elle ou infirme-t-elle les hypothèses formulées à partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture du<br />

texte ?<br />

Rédiger un article critique qui ren<strong>de</strong> compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> représentation, en un nombre <strong>de</strong> signes limité (1500<br />

signes = 1 feuillet)<br />

3 - LE JEU DRAMATIQUE<br />

Lecture à haute voix<br />

La ponctuation, le tempo, <strong>la</strong> rythmique, le(s) volume(s) sonore(s), l’intensité, les nuances.<br />

Soliloque et adresse<br />

<strong>Dans</strong> <strong>la</strong> <strong>solitu<strong>de</strong></strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>champs</strong> <strong>de</strong> <strong>coton</strong> n’est pas un monologue, c’est une suite <strong>de</strong> soliloques qui se<br />

répon<strong>de</strong>nt, mais jamais directement, <strong>de</strong> biais, dans l’esquive.<br />

Il y a donc toujours quelqu’un qui parle et quelqu’un qui écoute et se tait.<br />

- S’adresser à l’autre. Le silence. L’écoute<br />

- Les mouvements du texte, qu’est-ce qui dans le texte fait bouger l’acteur, le locuteur, l’auditeur ?<br />

- Les stratégies <strong>de</strong> parole : intimidation, séduction. Les coups et les caresses. Menaces et aveux.<br />

Voir sur internet le site www.philophil.com/philosophe/loltes/<strong>coton</strong>.htm<br />

Travail d’interprétation<br />

Trois fragments (le début et <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce)<br />

- les 3 premiers paragraphes <strong>de</strong> <strong>la</strong> première réplique du <strong>de</strong>aler (1)<br />

- le <strong>de</strong>rnier paragraphe <strong>de</strong> <strong>la</strong> première réplique du client (2)<br />

- les <strong>de</strong>rnières pages (57-61) à partir <strong>de</strong> : DEALER : « Il y a cette veste que vous n’avez pas<br />

prise… »<br />

Quel est le rapport <strong>de</strong> forces entre les <strong>de</strong>ux personnages au début ? Quel est le nouveau rapport <strong>de</strong> force à<br />

<strong>la</strong> fin ?<br />

15

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!