1414 Magazine des donateurs de la Garde aérienne suisse ... - Rega

Voler seul mais en équipe
Voler sans autre assistance qu’une aile sur le
dos et une poignée de gaz. Voler en se dirigeant
uniquement par les mouvements de son corps.
Voler à 250 kilomètres à l’heure, avec pour seule
limite la quantité de carburant…
Pour beaucoup, ce qui est parfaitement
naturel chez un oiseau semble dangereux, à la
limite de l’inconscience voire même fou pour un
homme. Nombreux sont ceux qui considèrent
que je prends des risques inconsidérés, risquant
ma vie à chaque envol.
Bien sûr, ma passion m’éloigne de la pétanque
dominicale ou du jeu de cartes ! Mais le sentiment
de sécurité qui m’habite lors de mes vols est le
fruit d’un ensemble de précautions : des études,
évaluations et préparation de plans me permettent
de strictement définir et limiter le danger. Et surtout,
d’une équipe technique qui met tout en
œuvre pour prévenir les éventuels problèmes et
y remédier s’ils surviennent.
Impossible, même pour le meilleur des pilotes,
de prendre place sous mon aile sans une
préparation spécifique. Avant de voler, il faut
savoir atterrir en parachute. Equipé de mon aile,
même vide de tout carburant, je pèse 50 kilos
de plus qu’un parachutiste normal. Il est donc
primordial de bénéficier d’une solide expérience
en la matière. L’aile – après une dizaine d’années
d’expérimentations empiriques – a été développée
en soufflerie chez RUAG, entreprise suisse
d’aéronautique, ce qui lui donne une stabilité
garante de sécurité. Finies les oscillations et les
vibrations parasites qui demandaient toute ma
concentration et toute mon énergie il y a quelques
années. Avant le décollage, tous les paramètres
sont auscultés, et la moindre hésitation d’un
réacteur interrompt ma tentative.
Lorsque j’évolue, tout paraît facile. Un mouvement
de la tête et je tourne, monte ou descends.
Mais la faible force d’inertie de l’aile implique
des réactions très vives à toutes les sollicitations.
Elle réagit au moindre mouvement et peut devenir
incontrôlable.
Il n’est pas rare que je sois parti en vrille,
en particulier avec les prototypes précédents.
Mais là encore, les mesures de sécurité sont très
strictes. Je dispose de 3 parachutes. Deux pour
moi et un réservé à l’aile pour le cas où je devrais
la larguer. Ce qui est arrivé plusieurs fois, lorsque
instable à mon altitude de sécurité, j’ai dû abandonner
l’aile et me poser en urgence. C’est un
altimètre sonore qui m’indique l’altitude critique
à laquelle je parviens. Et là encore – mesure
sécuritaire essentielle – il arrive un moment où il
n’est plus question de réfléchir : seul un réflexe
salvateur, répété des centaines de fois, évite de
mettre ma vie en danger.
L’imprévu, je l’ai connu de nombreuses fois.
Certains très cruels, comme lors de la préparation
d’un grand airshow à Al-Ain lorsque la
sangle du parachute de mon aile a cédé, et qu’elle
s’est écrasée. Détruite. Mais celui où l’importance
de la préparation et des professionnels dont
je m’entoure a été la plus vitale est certainement
la tentative de traversée du détroit de Gibraltar
par la partie océanique. Gêné par une visibilité
médiocre, incapable de remonter au-dessus des
nuages, j’ai dû mon salut aux hélicoptères de la
marine espagnole qui veillaient sur moi : ils
m’ont retrouvé grâce au SOS de ma Breitling
Emergency. Cette montre a la particularité d’être
dotée d’un émetteur capable de lancer un signal
de détresse aux aéronefs et bateaux des environs.
Le premier homme à avoir bénéficié de cette
technologie dans une opération de sauvetage est
par ailleurs un parachutiste suisse. Ce jour-là,
tiré d’une eau à 12 degrés dans des vagues de
plus d’un mètre, j’ai pensé aux sauveteurs de la
Rega qui, en quelques minutes, apportent la
médecine d’urgence sur le lieu d’intervention,
quelle que soit la nature du problème à prendre
en charge.
Grand amateur de sports de glisse, grand
voyageur à travers le monde, j’ai alors eu une
pensée pour tous ceux qui me permettent d’écrire
aujourd’hui ces lignes et sur lesquels – même si
j’espère ne jamais en avoir besoin – je sais pouvoir
compter.
Yves « Jetman » Rossy
Homme volant
Invité
27