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- 155 - Les industries textiles se sont mises en place ... - Laines.be

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- <strong>155</strong> -<br />

<strong>Les</strong> <strong>industries</strong> <strong>textiles</strong> <strong>se</strong> <strong>sont</strong> mi<strong>se</strong>s <strong>en</strong> <strong>place</strong> progressivem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant<br />

le dix-neuvième siècle, époque où, comme on l'a vu, le travatl des fibres<br />

<strong>textiles</strong> a été affecté <strong>en</strong> Europe Contin<strong>en</strong>tale par ce qu'il est conv<strong>en</strong>u d'appeler<br />

la "Révolution Industrielle". <strong>Les</strong> caractéristiques techniques et économiques spécifiques<br />

du textile aurai<strong>en</strong>t été compatibles avec plusieurs modèles de répartition<br />

géographique. Le but de ce chapitre est d'essayer de préci<strong>se</strong>r par quel<br />

cheminem<strong>en</strong>t on est arrivé à la conc<strong>en</strong>tration décrite précédemm<strong>en</strong>t.<br />

Pour cela il est nécessaire de faire appel aux travaux des histori<strong>en</strong>s.<br />

Ces derniers r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t des difficultés pour étudier 1 'in~ustrie textile nais-<br />

sante, car il s'agit d'une activité éparpillée géographiquem<strong>en</strong>t et dont les struc<br />

tures de production <strong>sont</strong> très morcelées. Des données de ba<strong>se</strong>, comme le nombre<br />

des actifs, <strong>sont</strong> très difficiles à déterminer quand de multiples opérations <strong>se</strong><br />

réali<strong>se</strong>nt <strong>en</strong>core à domicile; par ailleurs, des phénomènes conjoncturels extré-<br />

mem<strong>en</strong>t brutaux font varier l'emploi de façon énorme <strong>en</strong> des laps de temps très<br />

brefs. Il est de ce fait difficile de suivre avec précision le processus par<br />

lequel un c<strong>en</strong>tre supplante peu à peu les autres. Rares <strong>sont</strong> les oeuvres qui,<br />

comme la thè<strong>se</strong> de Cl. Fohl<strong>en</strong>, réali<strong>se</strong>nt un travail original concernant la quasi<br />

totalité du textile français (<strong>se</strong>ule la soie n'est pas pri<strong>se</strong> <strong>en</strong> considération<br />

dans cet ouvrage).<br />

Pour essayer d'expliquer le dynamisme d'un foyer textile, il faudrait<br />

pouvoir analy<strong>se</strong>r de façon préci<strong>se</strong> les comportem<strong>en</strong>ts des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s et de leurs<br />

dirigeants. Pour des raisons faciles à compr<strong>en</strong>dre, ces études <strong>sont</strong> très rares<br />

(un très bon exemple a été réalisé par Cl. Fohl<strong>en</strong> dans sa thè<strong>se</strong> <strong>se</strong>condaire, mais<br />

elle ne porte malheureu<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t pas sur la région étudiée). <strong>Les</strong> quelques r<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>ts<br />

disponibles suggèr<strong>en</strong>t des hypothè<strong>se</strong>s; ils ne <strong>sont</strong> pas as<strong>se</strong>z nombreux<br />

pour fournir des certitudes.<br />

Par ailleurs, la lecture des études réc<strong>en</strong>tes d'histoire économique<br />

donne l'impression que le problème de la conc<strong>en</strong>tration spatiale des activités<br />

n'est pas celui qui intéres<strong>se</strong> le plus les histori<strong>en</strong>s de l'économie. Leur att<strong>en</strong>tion<br />

est davantage accaparée par la question du rythme de la croissance au<br />

cours du dix-neuvième siècle (.).<br />

(.) Texte de la note page suivante.


- 156 -<br />

Le schèma exposé ci-dessous conti<strong>en</strong>t, par conséqu<strong>en</strong>t, des élém<strong>en</strong>ts qui<br />

ne <strong>sont</strong> pas aussi solidem<strong>en</strong>t étayés qu'on le souhaiterait. En particulier, il est<br />

très difficile de quantifier. <strong>Les</strong> chiffres cités par les ouvrages provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

souv<strong>en</strong>t de recoupem<strong>en</strong>ts complexes, comme l'expliqu<strong>en</strong>t les auteurs eux-mêmes.<br />

(..)<br />

L'essor du textile dans la région du Nord-Pas-de-Calais au cours du<br />

dix-neuvième siècle n'est pas un phénomène isolé: ce <strong>sont</strong> toutes les <strong>industries</strong><br />

de cette époque qui s'épanouis<strong>se</strong>nt alors dans ces deux départem<strong>en</strong>ts. Ces der-<br />

niers bénéfici<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet d'un <strong>en</strong><strong>se</strong>mble de conditions propices à la croissance<br />

économique <strong>en</strong> général. Tous les facteurs qui vont être évoqués n'ont pas joué<br />

<strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveur du textile, mais ils ne <strong>se</strong>ront <strong>en</strong>visagés que par rapport<br />

à cette <strong>se</strong>ule industrie.<br />

LES CONDITIONS GENERALES QUI FAVORISENT AU DIX-NEUVIEME SIEGLE L'ESSOR DES<br />

INDUSTRIES TEXTILES DANS LA REGION NORD-PAS-DE-CALAIS<br />

Proximité de la Grande-Bretagne.<br />

(.) Il s'agit <strong>en</strong> particulier de <strong>se</strong> demander si la notion de "take off n de<br />

l'économiste W. Rostowa correspondu ou non à une réalité dans la France du<br />

dix-neuvième siècle. Sur ce sujet on peut consulter notamm<strong>en</strong>t : Cl. Fahi<strong>en</strong><br />

"Qu'est ce que la Révolution Industrielle" (ouvrage cité). F. Crouzet "Encore<br />

la croissance économique françai<strong>se</strong> au XIX ème ll (Revue du Nord, jt.-<strong>se</strong>pt. 1972).<br />

M. Gillet "Au XIX ème, industrialisation linéaire ou industrialisation par<br />

bonds ?" (Revue Economique, <strong>se</strong>pt. 1972). De nombreu<strong>se</strong>s indications bibliogra-<br />

phiques accompagn<strong>en</strong>t ces études.<br />

(..) L'auteur nia pas cherché à <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre des recherches personnelles im-<br />

portantes <strong>en</strong> ce domaine, car pour faire progres<strong>se</strong>r véritablem<strong>en</strong>t l'état de la<br />

question, il faudrait procéder à des dépouillem<strong>en</strong>ts systématiques qui pour-<br />

rai<strong>en</strong>t être à eux <strong>se</strong>uls l'objet d'une ou plusieurs thè<strong>se</strong>s.


- 157 -<br />

Le voisinage de la Grande-Bretagne est un élém<strong>en</strong>t favorable. C'est<br />

dans ce pays, <strong>en</strong> effet, qu'ont été réalisés presque tous les progrès décisifs<br />

pour l'industrialisation du textile. Non <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t les brevets y ont été déposés<br />

mais c'est là que <strong>sont</strong> construits les meilleurs matériels.<br />

L'exemple de la filature de lin est typique à cet égard (.) : le<br />

premier métier vraim<strong>en</strong>t efficace fut réalisé par le Français Philippe de Girard<br />

à la suite d'un concours lancé, <strong>en</strong> 1810, par le gouvernem<strong>en</strong>t impérial pour<br />

promouvoir l'utilisation de cette fibre susceptible de réduire la demande de<br />

coton (c'est l'époque du "Blocus Contin<strong>en</strong>tal"). Ce métier, mis au point au<br />

mom<strong>en</strong>t de la chute de l'Empire, ne r<strong>en</strong>contre guère de succès <strong>en</strong> France et son<br />

utilisation comm<strong>en</strong>ce véritablem<strong>en</strong>t, après son transfert, plus ou moins légal,<br />

<strong>en</strong> Angleterre, à Leeds. Quelques années plus tard, les industriels français<br />

pour développer cette activité chez eux doiv<strong>en</strong>t <strong>se</strong> procurer, clandestinem<strong>en</strong>t<br />

(..),du matériel anglais; car la technique mi<strong>se</strong> au point par Philippe de Girard<br />

a r<strong>en</strong>contré, <strong>en</strong> Grande-Bretagne, un terrain avide de nouveautés et les matériels<br />

ont reçu des améliorations qui r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les installations robustes et bi<strong>en</strong> au<br />

point. En 1860 <strong>en</strong>core (..) un industriel déclare qu'il préfère commander son<br />

matériel de filature <strong>en</strong> Angleterre, <strong>en</strong> dépit des droits de douane qui subsistai<strong>en</strong>t<br />

(on était juste avant la signature du traité commercial).<br />

Dans les premières déc<strong>en</strong>nies du siècle, les Britanniques, pour pré-<br />

<strong>se</strong>rver leur avance technique, interdi<strong>se</strong>nt l'exportation du matériel. Il faut<br />

(.) cf. Paul Billaux, ouvrage cité.<br />

(..) cf. Louis Merchier, ouvrage cité.


- 158 -<br />

souv<strong>en</strong>t le faire v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> fraude plece par pièce, ce qui suppo<strong>se</strong> un grand nombre<br />

de voyages. Il est commode de <strong>se</strong> trouver à <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t quelques dizaines de<br />

kilomètres des rivages anglais. Même <strong>en</strong> dehors de ces cas extrêmes, séjourner<br />

<strong>en</strong> Grande-Bretagne est considéré comme la meilleure forme d'appr<strong>en</strong>tissage pour<br />

les jeunes responsables économiques. Faire v<strong>en</strong>ir des technici<strong>en</strong>s britanniques<br />

est souv<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong>sable pour acclimater les nouvelles technologies (.).<br />

Le voisinage d'une industrie plus développée pourrait être un danger,<br />

dans la mesure où <strong>se</strong>s produits supplanterai<strong>en</strong>t les fabrications françai<strong>se</strong>s même<br />

sur le marché intérieur. Cette m<strong>en</strong>ace ne <strong>se</strong> concréti<strong>se</strong> guère <strong>en</strong> raison de la<br />

pré<strong>se</strong>nce de barrières douanières élevées jusqu'<strong>en</strong> 1860, c'est-à-dire p<strong>en</strong>dant<br />

la période cruciale où nais<strong>se</strong>nt les <strong>industries</strong> <strong>textiles</strong> régionales.<br />

La plupart des patrons du textile <strong>sont</strong> à cette époque farouchem<strong>en</strong>t pro-<br />

tectionnistes et ce n'est pas un hasard si l'un des animateurs de la "Ligue pour<br />

la Déf<strong>en</strong><strong>se</strong> du Travail National" <strong>se</strong>ra l'industriel roubaisi<strong>en</strong> A. t~imerel (..).<br />

L'exist<strong>en</strong>ce de ces droits de douane incite des Britanniques à v<strong>en</strong>ir s'installer<br />

<strong>en</strong> France pour avoir librem<strong>en</strong>t accès à ce marché. En Grande-Bretagne les structures<br />

de production <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core très morcelées et les industriels qui débarqu<strong>en</strong>t<br />

à Calais ou à Dunkerque n'ont pas la puissance financière ou commerciale qui<br />

leur permettrait de monter des usines <strong>be</strong>aucoup plus puissantes que celles de<br />

la bourgeoisie locale. Ces investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts britanniques ne risqu<strong>en</strong>t pas d'étouffer<br />

les initiatives régionales; au contraire, ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une valeur d'exemple,<br />

ils form<strong>en</strong>t de la main-d'oeuvre, et prouv<strong>en</strong>t la r<strong>en</strong>tabilité des nouvelles tech-<br />

niques, incitant par là les <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs locaux à les imiter.<br />

La région Nord-Pas-de-Calais est évidemm<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> placée pour accueillir<br />

ces Britanniques qui désir<strong>en</strong>t rester à proximité de leur pays d'où ils font <strong>en</strong>-<br />

(.) Cette empreinte s'est longtemps marquée par l'utilisation de mesures bri-<br />

tanniques (<strong>en</strong> 1974, les filteries D.M.C. continu<strong>en</strong>t à v<strong>en</strong>dre, <strong>en</strong> France, des<br />

bobines de fil de 100 yards) ou l'emploi de termes empruntés à la langue an-<br />

glai<strong>se</strong>: à Calais, par exemple, de nos jours <strong>en</strong>core, on appelle "wheeleu<strong>se</strong>s" les<br />

ouvrières qui bobin<strong>en</strong>t le fil destiné au métier à d<strong>en</strong>telle.<br />

(..) Des diverg<strong>en</strong>ces de vue s'ob<strong>se</strong>rv<strong>en</strong>t parfois: les petits tis<strong>se</strong>urs du Cam-<br />

brésis, par exemple, souhait<strong>en</strong>t importer le moins cher possible les filés qu'ils<br />

consomm<strong>en</strong>t.


- 159 -<br />

core souv<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir des pièces détachées ou certains produits <strong>textiles</strong>.<br />

En Grande-Bretagne, égalem<strong>en</strong>t, <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t de grandes <strong>place</strong>s de commercialisation<br />

des matières premières. Or le développem<strong>en</strong>t de l'industrie textile<br />

<strong>en</strong>traîne l'obligation de <strong>se</strong> procurer des matiéres brutes d'origine de plus<br />

<strong>en</strong> plus lointaine. <strong>Les</strong> nouveaux grands producteurs de laine <strong>sont</strong>, après 1850,<br />

des territoires britanniques de l 'hémisphère sud ou un pays dans lequel l'influ<strong>en</strong>ce<br />

britannique est forte, l'Arg<strong>en</strong>tine. <strong>Les</strong> premières quantités de laine<br />

qui arriv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Europe de ces lointaines contrées <strong>sont</strong> commercialisées à Londres.<br />

Quand, après 1860, les négociants régionaux ont eu le mérite d'aller<br />

acheter sur <strong>place</strong> ces matières premières pour court-circuiter le marché londo-<br />

ni<strong>en</strong>, ils ont dû s'adapter aux pratiques commerciales et à la langue des Britanniques<br />

: ils devai<strong>en</strong>t les posséder parfaitem<strong>en</strong>t pour <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> compétition<br />

avec les négociants d'outre-Manche. Le coton aussi vi<strong>en</strong>t principalem<strong>en</strong>t de pays<br />

de langue anglai<strong>se</strong> (U.S.A. notamm<strong>en</strong>t) ou sous influ<strong>en</strong>ce économique britannique<br />

(après 1860, Egypte, Soudan, Inde parfois). Une nouvelle matière textile fait<br />

son apparition <strong>en</strong> Europe, au cours de cette période: le jute, il est cultivé<br />

uniquem<strong>en</strong>t dans le B<strong>en</strong>gale et les Ecossais mett<strong>en</strong>t au point sa filature: ils<br />

diffu<strong>se</strong>ront cette activité <strong>en</strong> France à Dunkerque, ou dans la vallée de la<br />

Somme (le nom des Etablis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts "Carmichaël", installés à Ailly, Y perpétue<br />

<strong>en</strong>core de nos jours cette influ<strong>en</strong>ce), c'est-à-dire dans des régions proches des<br />

itinéraires des cargos apportant la matière première.<br />

La Grande-Bretagne pouvait fournir égalem<strong>en</strong>t du charbon mais cela n'a<br />

eu qu'un intérêt très limité pour la région qui disposait d'autres sources de<br />

ravitaillem<strong>en</strong>t très abondantes.<br />

Le voisinage de la Belgique a été un avantage fort appréciable. Cet<br />

aspect a été étudié de façon très préci<strong>se</strong> par F. L<strong>en</strong>tacker, dans sa thè<strong>se</strong> à<br />

laquelle <strong>sont</strong> empruntées la plupart des remarques qui suiv<strong>en</strong>t. Le fait que les<br />

territoires situés au nord de la région étudiée ai<strong>en</strong>t appart<strong>en</strong>u à un autre Etat,


- 160 -<br />

a permis de protéger le Nord-Pas-de-Calais contre la concurr<strong>en</strong>ce des <strong>industries</strong><br />

<strong>textiles</strong> <strong>be</strong>lges. Il est aisé d'apporter la preuve de ce fait, car il s'est trouvé<br />

que, p<strong>en</strong>dant quelques années, cette frontière a été abolie: de 1795 à 1814,<br />

les territoires de l'actuelle Belgique <strong>sont</strong> annexés à la France. Cette période<br />

voit l'apparition de l'industrie textile sur le contin<strong>en</strong>t et tous les témoignage~<br />

des contemporains et les études des histori<strong>en</strong>s montr<strong>en</strong>t que le textile de la<br />

région Nord-Pas-de-Calais est alors moins dynamique que celui des départem<strong>en</strong>ts<br />

récemm<strong>en</strong>t annexés: le Préfet Dieudonné, dans sa célèbre statistique du Nord<br />

publiée <strong>en</strong> 1804, constate le déclin de la bonneterie de Saint-Amand-les-Eaux<br />

et l'explique par le développem<strong>en</strong>t de la production des régions <strong>be</strong>lges de Tournai<br />

et de Pérulwez. Ceci n'est pas le plus grave, car il s'agit somme toute d'une<br />

activité <strong>en</strong>core artisanale appelée à <strong>se</strong> modifier profondém<strong>en</strong>t. Il est frappant<br />

de constater, par contre, que dans la filature de coton, <strong>se</strong>ule branche employant<br />

alors des techniques industrielles, c'est Gand qui devi<strong>en</strong>t le c<strong>en</strong>tre le plus<br />

important et le plus dynamique (.).<br />

Liévins Bauw<strong>en</strong>s, l'un des plus remarquables capitaines d'industrie de<br />

toute l'époque impériale, introduit sur le contin<strong>en</strong>t les premiers métiers à<br />

filer le coton mécaniquem<strong>en</strong>t. Il monte son premier établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t à Paris, <strong>en</strong><br />

1800, et <strong>en</strong> installe aussitôt un autre, à Gand, sa ville d'origine, <strong>en</strong> 1801.<br />

Un mouvem<strong>en</strong>t d'émulation <strong>se</strong> décl<strong>en</strong>che, dû <strong>en</strong> partie à Bauw<strong>en</strong>s lui-mème qui incite<br />

les membres de sa nombreu<strong>se</strong> famille à <strong>se</strong> lancer dans l'industrie.<br />

En quelques années, un c<strong>en</strong>tre complet s'édifie à Gand: 8 filatures<br />

mécaniques fonctionn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1808, avec 88.702 broches et 2.783 ouvriers; la<br />

machine à vapeur est utilisée. Le tissage à main <strong>se</strong> développe dans cette même<br />

ville et, de plus, <strong>se</strong>s <strong>industries</strong> font tis<strong>se</strong>r à domicile jusqu'à Arras, Avesnes<br />

et Saint-Qu<strong>en</strong>tin, incorporant dans leur orbite économique une partie de la région<br />

(.) cf. R. Blanchard, thè<strong>se</strong> citée, et J. D'hondt "L'industrie cotonnière gan-<br />

toi<strong>se</strong> à l'époque françai<strong>se</strong> ll , Revue d'histoire moderne et contemporaine 1955,<br />

pp. 232-279. On peut consulter égalem<strong>en</strong>t: F. Leleux "Liévin Bauw<strong>en</strong>s industriel<br />

gantois". S.E.V.P.E.N. 1969, 371 pages.


- IGI -<br />

du Nord-Pas-de-Calais. Bauw<strong>en</strong>s fabrique des métiers à filer et t<strong>en</strong>te d'adapter<br />

les nouvelles techniques à la laine et au lin dont il a, le premier, l'idée de<br />

mouiller les fibres pour faciliter la filature. Si l'on songe que la plus grande<br />

partie de cette production s'écoulait sur les marchés de la France actuelle, on<br />

compr<strong>en</strong>d à quel concurr<strong>en</strong>t redoutable <strong>se</strong> trouvait confrontée la région lilloi<strong>se</strong><br />

notamm<strong>en</strong>t, où la filature de coton débutait alors timidem<strong>en</strong>t (cf. ci-dessous).<br />

Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s gantoi<strong>se</strong>s <strong>sont</strong> certes fragiles sur le plan financier<br />

la chute de l'Empire, précédée par la faillite de Bauw<strong>en</strong>s lui-même, les soumet<br />

à rude épreuve, mais il <strong>en</strong> reste un acquit technologique considérable et une<br />

main-d'oeuvre expérim<strong>en</strong>tée. A partir de 1815, une politiqué douanière constamm<strong>en</strong>t<br />

protectionniste libère la région du Nord-Pas-de-Calais de cette concurr<strong>en</strong>ce<br />

pratiquem<strong>en</strong>t jusqu'<strong>en</strong> 1860, tandis que l'industrie textile <strong>be</strong>lge ne dispo<strong>se</strong> plus<br />

que d'un marché considérablem<strong>en</strong>t réduit, surtout après 1830, lorsque la séparation<br />

d'avec les Pays-Bas la prive des débouchés offerts par ce pays et <strong>se</strong>s co-<br />

lonies. La pré<strong>se</strong>nce de la frontière <strong>be</strong>lge ne suffit pas à décl<strong>en</strong>cher la croissance<br />

de l'industrie textile du Nord qui avait <strong>se</strong>s racines sur <strong>place</strong>, mais elle<br />

handicape gravem<strong>en</strong>t des rivaux dangereux.<br />

L'exist<strong>en</strong>ce de la Belgique a pré<strong>se</strong>nté d'autres avantages pour l'in-<br />

dustrie textile de la région Nord-Pas-de-Calais. Ce pays a mis à sa disposition<br />

de l'énergie et un peu de matières premières, des ré<strong>se</strong>aux de voies de communi-<br />

cation et surtout des hommes.<br />

Sans repré<strong>se</strong>nter une part considérable des coûts de production, l'éner-<br />

gie était un élém<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong>sable pour l'industrialisation du textile. La région<br />

ne pouvait guère compter sur l'utilisation de la force hydraulique, <strong>en</strong> raison de<br />

la faibles<strong>se</strong> d'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble de son relief et de l'ab<strong>se</strong>nce de rivières aux débits<br />

notables.<br />

Le charbon apportait une solution idéale à ce problème. La Belgique<br />

<strong>en</strong> fut le principal fournis<strong>se</strong>ur étranger p<strong>en</strong>dant tout le dix-neuvième siècle.<br />

Son rôle a été important pour la région du Nord, car la mi<strong>se</strong> <strong>en</strong> valeur int<strong>en</strong>sive<br />

des bassins <strong>be</strong>lges a démarré plus tôt que celle des gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts français situés<br />

dans les départem<strong>en</strong>ts du Nord et du Pas-de-Calais. <strong>Les</strong> chiffres cités par<br />

F. L<strong>en</strong>tacker <strong>sont</strong> éloqu<strong>en</strong>ts: <strong>en</strong> 1855, le bassin du Nord produit 600.000 tonnes


- 162 -<br />

alors que la Belgique expédie 610.000 tonnes <strong>en</strong> France. En 1859, les chiffres<br />

<strong>sont</strong> respectivem<strong>en</strong>t de 1.530.000 et de 3.300.000 tonnes. C'est <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t vers<br />

1870, grâce à la mi<strong>se</strong> <strong>en</strong> valeur des gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts du Pas-de-Calais, que la production<br />

régionale dépas<strong>se</strong> les importations <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance de Belgique. Ceci signifie<br />

que, p<strong>en</strong>dant des déc<strong>en</strong>nies, l'industrie textile du Nord a utilisé <strong>en</strong> partie des<br />

charbons <strong>be</strong>lges dont les principaux puits étai<strong>en</strong>t dans le Borinage, c'est-à-dire<br />

à proximité de la frontière françai<strong>se</strong>. Le ré<strong>se</strong>au de voies navigables permettait<br />

un transport commode, notamm<strong>en</strong>t vers la région de Roubaix-Tourcoing. La proximité<br />

de la Belgique a, de cette façon, permis à l'industrie régionale de dispo-<br />

<strong>se</strong>r de charbon <strong>en</strong> abondance, avant même que le gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t du Nord-Pas-de-Calais<br />

connais<strong>se</strong> sa pleine mi<strong>se</strong> <strong>en</strong> valeur.<br />

L'avantage ne portait pas <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t sur les quantités disponibles mais<br />

aussi sur les prix. L'industriel pouvait faire jouer à son profit la concurr<strong>en</strong>ce<br />

<strong>en</strong>tre les divers charbonnages. Jusque vers 1880, cela contraint les compagnies<br />

du Nord à aligner leurs tarifs sur ceux des produits <strong>be</strong>lges, <strong>en</strong> dépit des droits<br />

de douane qui les frappai<strong>en</strong>t nos voisins ayant <strong>be</strong>soin d'exporter ori<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t<br />

leurs prix de v<strong>en</strong>te plutôt à la bais<strong>se</strong>.<br />

Cet état de cho<strong>se</strong>s fut lourd de conséqu<strong>en</strong>ces sur le plan des localisations<br />

de l'industrie textile, à l'intérieur même de la région (.). La meilleure<br />

situation n'était pas nécessairem<strong>en</strong>t la proximité des gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts français, car<br />

pour comp<strong>en</strong><strong>se</strong>r les moindres bénéfices faits sur les marchés extérieurs à la ré-<br />

gion, où la concurr<strong>en</strong>ce étrangère était vive (par exemple lorsqu'arriv<strong>en</strong>t les<br />

charbons britanniques acheminés par voie maritime) les sociétés minières ré<strong>se</strong>rvai<strong>en</strong>t<br />

le tarif le plus élevé possible à leurs cli<strong>en</strong>ts les plus proches. Ceux-ci<br />

ne bénéficiai<strong>en</strong>t donc pas pleinem<strong>en</strong>t de la r<strong>en</strong>te de situation qu'aurait pu leur<br />

procurer la proximité de la mine. La localisation la plus avantageu<strong>se</strong> est celle<br />

(.) cf. la thè<strong>se</strong> citée de M. Gillet, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce qui concerne la politique<br />

tarifaire pratiquée par les différ<strong>en</strong>ts charbonnages du Nord et du Pas-de-Calais.


- 163 -<br />

où il est possible de mettre constamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> concurr<strong>en</strong>ce les fournis<strong>se</strong>urs français<br />

et <strong>be</strong>lges, car cela garantit un approvisionnem<strong>en</strong>t plus sûr et au moindre<br />

coût. <strong>Les</strong> régions frontalières <strong>se</strong> trouvai<strong>en</strong>t de cette façon particulièrem<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong> placées et notamm<strong>en</strong>t l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille qui dispo<strong>se</strong> rapidem<strong>en</strong>t de<br />

liaisons fluviales avec tous ces bassins.<br />

La Belgique pouvait égalem<strong>en</strong>t fournir un autre produit utile à l'industrie<br />

textile: le lin. Ces livraisons, à vrai dire, ne concernèr<strong>en</strong>t pas tel-<br />

lem<strong>en</strong>t les lins bruts mais surtout les lins teillés (.). Courtrai devint, après<br />

1850, le principal c<strong>en</strong>tre d'Europe Occid<strong>en</strong>tale pour le rouis$age-teillage de cette<br />

fibre, travaillant même la majeure partie des lins bruts français.<br />

La proximité de ce foyer de négoce et de première transformation de la<br />

matière première était un avantage pour les filateurs de la région lilloi<strong>se</strong>, qui<br />

pouvai<strong>en</strong>t s'y ravitailler aisém<strong>en</strong>t (il n'y avait plus de droits de douane après<br />

1860 sur ces produits), <strong>en</strong> dépit des protestations des cultivateurs français. <strong>Les</strong><br />

fabricants d'ailleurs sout<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t, cette fois, les réductions tarifaires, affir-<br />

mant que sans elles ils ne <strong>se</strong>rai<strong>en</strong>t plus compétitifs. De fait, les déc<strong>en</strong>nies<br />

1860-1880 <strong>sont</strong> à la fois celles où s'affirme l'essor du marché de Courtrai et où<br />

la région du Nord-Pas-de-Calais acquiert une supériorité écrasante, <strong>en</strong> France,<br />

dans la filature du lin (..) puisque, <strong>en</strong> 1870, elle dispo<strong>se</strong>, à elle <strong>se</strong>ule, des<br />

trois quarts des broches, contre à peine 50 % <strong>en</strong> 1851.<br />

Au fur et à mesure de sa croissance, l'industrie textile va chercher<br />

<strong>se</strong>s matières premières et livre <strong>se</strong>s produits finis de plus <strong>en</strong> plus loin. Il lui<br />

est par conséqu<strong>en</strong>t très utile de dispo<strong>se</strong>r des meilleurs ré<strong>se</strong>aux de communication<br />

possibles. Là <strong>en</strong>core la pré<strong>se</strong>nce de la Belgique est un avantage: elle permet<br />

par exemple de choisir <strong>en</strong>tre Dunkerque et Anvers (... ) pour faire v<strong>en</strong>ir les<br />

(.) F. L<strong>en</strong>tacker m<strong>en</strong>tionne qu'<strong>en</strong> 1870, la moitié des lins préparés utilisés par<br />

la filature françai<strong>se</strong> prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de Belgique.<br />

(..) cf. L. Merchier, ouvrage cité, et Cl. Fohl<strong>en</strong> "La conc<strong>en</strong>tration dans l'in-<br />

dustrie textile françai<strong>se</strong> au milieu du dix-neuvième siècle", article cité.<br />

(...) cf. la citation particulièrem<strong>en</strong>t significative d'un contemporain, rappor-<br />

tée par F. L<strong>en</strong>tacker dans sa thè<strong>se</strong>: ilLeport <strong>be</strong>lge (Anvers) repré<strong>se</strong>ntait une<br />

véritable provid<strong>en</strong>ce par <strong>se</strong>s <strong>se</strong>rvices de steamers".


- 164 -<br />

laines d'outre-mer. Pour les liaisons avec l'Est de la France, on pouvait utili<strong>se</strong>r<br />

les ré<strong>se</strong>aux ferrés français ou <strong>be</strong>lges etc ... Même s'il y recourt fort peu,<br />

cette li<strong>be</strong>rté de choix est un atout précieux pour l'industriel, qui s'<strong>en</strong> <strong>se</strong>rt<br />

pour faire pression sur les transporteurs nationaux de tous ordres, qui ne <strong>sont</strong><br />

plus <strong>en</strong> position de monopole.<br />

La Belgique a été <strong>en</strong>fin une source considérable de main-d'oeuvre, et<br />

c'est probablem<strong>en</strong>t par ce biais que sa pré<strong>se</strong>nce a le plus favorisé l'épanouis<strong>se</strong>-<br />

m<strong>en</strong>t de l'industrie textile du Nord-Pas-de-Calais. Au cours du temps, ce courant<br />

migratoire a intéressé des catégories différ<strong>en</strong>tes de population et s'est fait<br />

suivant des modalités variées.<br />

L'apport <strong>en</strong> dirigeants et <strong>en</strong> capitaux reste relativem<strong>en</strong>t limité (.),<br />

<strong>be</strong>aucoup moins important que dans la métallurgie par exemple. Certes, <strong>en</strong> 1828,<br />

12 % des familles patronales établies à Lille-Roubaix-Tourcoing provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de<br />

Belgique, mais la moitié d'<strong>en</strong>tre elles résidai<strong>en</strong>t initialem<strong>en</strong>t dans des communes<br />

situées <strong>en</strong>tre Mouscron et M<strong>en</strong>in, c'est-à-dire à proximité immédiate de la Fron-<br />

tière : il n'était pas étonnant que certains de leurs membres s'install<strong>en</strong>t à<br />

quelques kilomètres de là, <strong>en</strong> France, d'autant que les patrimoines fonciers <strong>se</strong><br />

répartissai<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z souv<strong>en</strong>t de part et d'autre d'une ligne de séparation politique<br />

finalem<strong>en</strong>t relativem<strong>en</strong>t réc<strong>en</strong>te. D'autres familles, comme les Wallaert<br />

arrivés vers 1750 de Courtrai, étai<strong>en</strong>t fixées depuis longtemps. Au total, on<br />

peut considérer que cet apport n'a intéressé qu'une fraction très minoritaire<br />

de la clas<strong>se</strong> dirigeante, même si ces mouvem<strong>en</strong>ts <strong>se</strong> <strong>sont</strong> traduits par un solde<br />

positif <strong>en</strong> faveur du Nord.<br />

La Belgique a fourni, par contre, une part fort appréciable de la main-<br />

d'oeuvre salariée. Ces travailleurs quittai<strong>en</strong>t leur pays <strong>en</strong> raison des difficultés<br />

économiques graves que connais<strong>se</strong>nt p<strong>en</strong>dant tout le dix-neuvième siècle les<br />

Flandres et le Hainaut Occid<strong>en</strong>tal Belges. Après la chute de l'Empire, des ou-<br />

(.) Pour tout ce développem<strong>en</strong>t cf. la thè<strong>se</strong> de F. L<strong>en</strong>tacker à laquelle <strong>sont</strong><br />

empruntées notamm<strong>en</strong>t toutes les données chiffrées. La thè<strong>se</strong> de R. Blanchard<br />

conti<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t des remarques intéressantes sur ce thème.


- 165 -<br />

vriers gantois émigr<strong>en</strong>t à Lille qui profite ainsi des connaissances techniques<br />

qu'ils ont de l'industrie moderne. Cep<strong>en</strong>dant, la plupart des émigrants apparte-<br />

nai<strong>en</strong>t au <strong>se</strong>cteur artisanal. Dans la Belgique de 1819, sur 400.000 emplois rattachés<br />

à ce que l'on appelerait de nos jours le <strong>se</strong>cteur <strong>se</strong>condaire, 300.000<br />

étai<strong>en</strong>t occupés par des travailleurs à domicile dont l'imm<strong>en</strong><strong>se</strong> majorité s'adonnait<br />

à la filature et au tissage du lin. La mécanisation de ces activités, qui<br />

<strong>se</strong> <strong>place</strong>, <strong>en</strong> Belgique, surtout dans la <strong>se</strong>conde moitié du siècle, va libérer des<br />

effectifs considérables. Une part de ces actifs vi<strong>en</strong>dra chercher du travail dans<br />

le textile du Nord.<br />

C'est un apport extrêmem<strong>en</strong>t précieux pour les industriels de la région,<br />

car, au mom<strong>en</strong>t où leurs activités connais<strong>se</strong>nt une pha<strong>se</strong> de croissance, ils trouv<strong>en</strong>t<br />

une main-d'oeuvre as<strong>se</strong>z peu exigeante, <strong>en</strong> raison de la modicité des salaires<br />

pratiqués dans son pays d'origine. De plus, leur statut d'étrangers les contraint<br />

à faire preuve de modération sur le plan social. Leur pré<strong>se</strong>nce permet au patro-<br />

nat de pe<strong>se</strong>r sur le niveau des salaires de l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble des travailleurs. Il est<br />

égalem<strong>en</strong>t plus facile de lic<strong>en</strong>cier ces immigrés <strong>en</strong> cas de ral<strong>en</strong>tis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t économique.<br />

Par ailleurs, cette main-d'oeuvre est as<strong>se</strong>z compét<strong>en</strong>te car elle a souv<strong>en</strong>t<br />

une certaine pratique du travail artisanal textile, surtout <strong>en</strong> tissage. Son<br />

niveau de formation de départ est, <strong>en</strong> fait, le même que celui des salariés fran-<br />

çais qui provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t fréquemm<strong>en</strong>t de localités où le travail manuel est <strong>en</strong> déclin.<br />

Le nombre des Belges qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>se</strong> fixer dans la région est considérable. <strong>Les</strong><br />

différ<strong>en</strong>tes estimations faites par F. L<strong>en</strong>tacker <strong>sont</strong> très éloqu<strong>en</strong>tes: <strong>en</strong>tre<br />

1871 et 1892, 28,6 % de la population de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille <strong>sont</strong> nés <strong>en</strong><br />

Belgique. Au cours des déc<strong>en</strong>nies 1860-1880, des communes telles que Roubaix,<br />

Wattrelos, Halluin ont une population originaire <strong>en</strong> majorité de Belgique. Il est<br />

évid<strong>en</strong>t que ce mouvem<strong>en</strong>t a particulièrem<strong>en</strong>t profité aux <strong>industries</strong> étudiées, car<br />

ce <strong>sont</strong> les communes de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille où la monoactivité textile est<br />

la plus prononcée, qui pré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t les plus forts pourc<strong>en</strong>tages de Belges.<br />

Ce ré<strong>se</strong>rvoir de main-d'oeuvre était d'autant plus précieux que le Nord-<br />

Pas-de-Calais ne disposait pas d'autre source extérieure de cette importance.<br />

En effet, les principaux foyers d'émigration français, comme l'Ouest, étai<strong>en</strong>t


- 166 -<br />

<strong>be</strong>aucoup plus éloignés et, surtout, subissai<strong>en</strong>t avant tout l'attraction de la<br />

région parisi<strong>en</strong>ne qui constituait <strong>en</strong>tre eux et le Nord un écran infranchissable.<br />

Même dans une région aussi proche que la Picardie, l'attrait de Paris était<br />

difficile à contre balancer; il s'exerçait d'ailleurs sur les habitants du<br />

Nord-Pas-de-Calais eux-mêmes.<br />

A partir des années 1880-1890, le mouvem<strong>en</strong>t d'émigration des Belges<br />

<strong>se</strong> ral<strong>en</strong>tit sérieu<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t. Le textile n'<strong>en</strong> perd pas pour autant cette catégorie de<br />

travailleurs car les migrants devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t Frontaliers, c'est-à-dire qu'ils rest<strong>en</strong>t<br />

domiciliés dans leur pays d'origine mais occup<strong>en</strong>t un emploi dans les usines<br />

françai<strong>se</strong>s. C'est le résultat de l'essor des moy<strong>en</strong>s de communication: ré<strong>se</strong>aux<br />

de chemin de fer de banlieue, tramways, bicyclettes, autocars à partir de 1920.<br />

Le coût de la vie est moins cher <strong>en</strong> Belgique, le taux de change est favorable<br />

au franc français. L'industrie textile du Nord continue ainsi à utili<strong>se</strong>r des<br />

dizaines de milliers de travailleurs, avec la plupart des avantages r<strong>en</strong>contrés<br />

précédemm<strong>en</strong>t,<br />

Ce mouvem<strong>en</strong>t a atteint son apogée <strong>en</strong>tre 1925 et 1930, Ces salariés<br />

vont <strong>en</strong> France chercher du travail <strong>en</strong> partie parce que les grands c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong><br />

<strong>sont</strong> proches de la frontière, mais, inver<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t, la persistance de ce<br />

flux justifie le mainti<strong>en</strong> de ces <strong>industries</strong> dans les localisations héritées des<br />

années 1850-1890, Il est clair que la région de Roubaix-Tourcoing et l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble<br />

de la Vallée de la Lys textile, du fait du tracé de la frontière et de leur<br />

position au contact du Hainaut Occid<strong>en</strong>tal et de la Flandre, étai<strong>en</strong>t particulièrem<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong> placés pour tirer partie au maximum de cette situation,<br />

Il est as<strong>se</strong>z difficile d'évaluer l'influ<strong>en</strong>ce réelle de la proximité de<br />

la région parisi<strong>en</strong>ne. Cette dernière n'a guère fourni de capitaux, contrairem<strong>en</strong>t<br />

à ce qui s'est passé dans les chemins de fer par exemple, et les sociétés tex-<br />

tiles familiales n'ont pas de li<strong>en</strong>s de dép<strong>en</strong>dance vis-à-vis des grandes banques<br />

nationales; il arrive que celles-ci fournis<strong>se</strong>nt des crédits à court terme pour<br />

couvrir le financem<strong>en</strong>t des achats de matières premières, mais elles ne <strong>sont</strong>


- 167 -<br />

guère pré<strong>se</strong>ntes dans le capital des firmes (.). Paris prive le Nord des grands<br />

courants de migration, mais offre un marché de consommation et de commercialisation<br />

important, d'autant que l'industrie de la confection s'y développe. De ce<br />

point de vue, la relative proximité de la capitale peut être utile à l'industrie1.<br />

<strong>Les</strong> ressources matérielles.<br />

La région, on l'a déjà évoqué, a bénéficié au dix-neuvième siècle de<br />

la mi<strong>se</strong> <strong>en</strong> exploitation, sur une grande échelle, de son gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t houiller. Celui-ci,<br />

toutefois ne devi<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t important qu'après 1860 : au cours de<br />

la période 1843-1847, la région n'extrait que le quart de la production nationale<br />

; après 1886, ce pourc<strong>en</strong>tage atteint 50 % et <strong>en</strong> 1908-1912, 66 %. F. L<strong>en</strong>tacker<br />

constate, dans sa thè<strong>se</strong>, qu'après 1885, l'abondance des charbons du Pas-de-Calais<br />

pè<strong>se</strong>, à Roubaix-Tourcoing, sur les prix des charbons <strong>be</strong>lges importés. Ceci est<br />

intéressant dans la mesure où les métiers <strong>textiles</strong> plus complexes et plus rapide<br />

nécessit<strong>en</strong>t à la fin du siècle proportionnellem<strong>en</strong>t plus d'énergie (..).<br />

Pourtant le Bassin Houiller n'a pas été un noyau de fixation de l'in-<br />

dustrie textile: le charbon n'y était qu'un peu moins coûteux par rapport au<br />

reste de la région; différ<strong>en</strong>ce trop faible pour attirer à elle <strong>se</strong>ule le textile<br />

pour lequel le prix de l'énergie n'est pas un élém<strong>en</strong>t fondam<strong>en</strong>tal. Mais, surtout,<br />

le travail de la mine nécessitait <strong>be</strong>aucoup de main-d'oeuvre au point qu'il fallait<br />

<strong>en</strong> faire v<strong>en</strong>ir du reste de la région ou même de l'extérieur. Cette situation<br />

(.) cf. J. Laloux, thè<strong>se</strong> citée.<br />

(..) Cl. Fahi<strong>en</strong> estime que, vers 1830, un cheval-vapeur faisait mouvoir <strong>en</strong><br />

moy<strong>en</strong>ne 700 broches de filature, contre 100 à 120 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t vers les années<br />

1870.


- 168 -<br />

r<strong>en</strong>dait les régions houillères peu attractives pour la plupart des autres <strong>industries</strong>.<br />

M. Gillet y voit la raison es<strong>se</strong>ntielle du mainti<strong>en</strong> de la monoactivité<br />

houillère dans tout l'ouest du bassin. Il <strong>se</strong>mblerait que le textile puis<strong>se</strong> échapper<br />

à cette répulsion puisqu'il emploie, dans certaines branches tout au moins,<br />

une grande quantité de main-d'oeuvre féminine que les mines n'étai<strong>en</strong>t pas susceptibles<br />

d'occuper. Il faut <strong>se</strong> souv<strong>en</strong>ir toutefois que, même <strong>en</strong> filature, les<br />

ag<strong>en</strong>ts de maîtri<strong>se</strong>, les régleurs, les mécanici<strong>en</strong>s et l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble du personnel<br />

d'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>sont</strong> des hommes. Leur pré<strong>se</strong>nce et leur compét<strong>en</strong>ce <strong>sont</strong> indisp<strong>en</strong>sables<br />

Il aurait été difficile de les recruter dans le Bassin Minier car les sociétés<br />

houillères offrai<strong>en</strong>t des salaires honorables et surtout une grande stabilité<br />

de l'emploi, ce qui n'était guère le cas dans le textile. Il était plus intéressant<br />

pour cette dernière industrie d'être à proximité de la Belgique qui fournissait<br />

des travailleurs d~s deux <strong>se</strong>xes.<br />

Le Nord-Pas-de-Calais fournit du lin. C~te culture, au début du<br />

dix-neuvième siècle, était <strong>be</strong>aucoup plus largem<strong>en</strong>t répandue à travers la région<br />

que de nos jours. Dans sa statistique de 1804, le Préfet du Nord, Dieudonné,<br />

m<strong>en</strong>tionne la production de lins fins notamm<strong>en</strong>t dans le Douaisis, la région de<br />

Saint-Amand-les-Eaux et le Cambrésis. Le lin est aussi largem<strong>en</strong>t cultivé dans<br />

le Pas-de-Calais. Cette culture est diffusée égalem<strong>en</strong>t dans tout le quart<br />

Nord-Ouest de la France ou elle est parfois associée au chanvre. La plupart de<br />

ces régions ne réussiront pas à pas<strong>se</strong>r du stade artisanal à celui de la grande<br />

industrie.<br />

L'essor de la filature mécanique, va correspondre à un déclin de la<br />

culture du lin <strong>en</strong> France, y compris dans le Nord-Pas-de-Calais. <strong>Les</strong> industriels<br />

souhait<strong>en</strong>t dispo<strong>se</strong>r de la matière première la moins chère possible, alors que<br />

le cultivateur réclame un prix d'autant plus élevé que de nouvelles spéculations<br />

rémunératrices s'offr<strong>en</strong>t à lui, grâce, par exemple, à l'ext<strong>en</strong>sion de la culture<br />

de la <strong>be</strong>tterave à sucre dans le Nord-Pas-de-Calais. De plus <strong>en</strong> plus, l'industrie<br />

<strong>se</strong> tourne vers les lins d'importation: la Russie grâce à <strong>se</strong>s provinces baltes,<br />

au climat favorable et à la main-d'oeuvre abondante, devi<strong>en</strong>t, à partir du Second<br />

Empire, un fournis<strong>se</strong>ur important. En 1889, le Nord possède 89 % du total des


- 169 -<br />

broches françai<strong>se</strong>s et les lins v<strong>en</strong>us de Russie repré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t 85 % de l'approvisionnem<strong>en</strong>t<br />

de l'industrie françai<strong>se</strong> (.). Cette matière transitait souv<strong>en</strong>t<br />

par la Belgique et était préparée à Courtrai. Le développem<strong>en</strong>t de l'industrie<br />

a donc été facilité par le fait qu'elle a su <strong>se</strong> pas<strong>se</strong>r de la production régionale.<br />

Il est significatif, à cet égard, de constater qu'<strong>en</strong> 1887 le Nord<br />

a moins du huitième de la superficie françai<strong>se</strong> consacrée au lin.<br />

Il faut évoquer rapidem<strong>en</strong>t le problème de l'eau. Ce ne fut certainem<strong>en</strong>t<br />

pas un atout pour la région, dépourvue de rivières importantes ou de<br />

grandes nappes non-calcaires. <strong>Les</strong> dérivations réalisées à parti! de la Lys<br />

pour ravitailler Roubaix-Tourcoing, puis les forages opérés dans la nappe<br />

du calcaire carbonifère tradui<strong>se</strong>nt les difficultés r<strong>en</strong>contrées par le principal<br />

foyer textile du Nord. La région de Fourmies elle-même, au climat plus humide,<br />

ne dispo<strong>se</strong> pas de nappes aux ré<strong>se</strong>rves abondantes. L'eau n'a été qu'un facteur<br />

de localisation de <strong>se</strong>cond ordre, c'est-à-dire qu'à l'intérieur d'un foyer<br />

textile, les activités les plus exigeantes <strong>en</strong> eau <strong>se</strong> disposai<strong>en</strong>t plutôt à<br />

proximité des rivières: c'est ainsi que la Marque, dans l'agglomération de<br />

Roubaix-Tourcoing, a été un lieu de conc<strong>en</strong>tration de blanchis<strong>se</strong>ries et de<br />

teintureries. Ce fut la même cho<strong>se</strong> pour la Vallée de la Lys, à l'intérieur<br />

de l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille. Toutefois ces implantations n'ont<br />

pas été systématiques. <strong>Les</strong> peignages, dont les <strong>be</strong>soins <strong>en</strong> eau <strong>sont</strong> pourtant considérables,<br />

n'ont pas été attirés par les rivières qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'être m<strong>en</strong>tionnées.<br />

L'anci<strong>en</strong>neté et l'importance du travail textile dans le Nord-Pas-de-<br />

Calais <strong>sont</strong> un fait bi<strong>en</strong> connu ( ..). Il est <strong>be</strong>aucoup plus difficile de détermi-<br />

(.) cf. L. Merchier,ouvrage cité.<br />

(..) Voir notamm<strong>en</strong>t la réc<strong>en</strong>te IIHistoire des Pays-Bas Français" ouv. cité.


- PO -<br />

ner qu'elle était exactem<strong>en</strong>t, à la veille de l'industrialisation, la <strong>place</strong><br />

occupée par la région, par rapport au reste de la France. Dans son étude sur<br />

l'industrie lainière au dix-huitième siècle, T. J. Markovitch a dû r<strong>en</strong>oncer,<br />

faute de docum<strong>en</strong>ts précis, à évaluer la part de cette activité localisée <strong>en</strong><br />

Flandre et au Hainaut. Il <strong>se</strong>mble d'après les quelques élém<strong>en</strong>ts dont il a pu<br />

dispo<strong>se</strong>r qu'elle ne devait pas s'élever à plus de quelques pour c<strong>en</strong>t.<br />

<strong>Les</strong> premières données sérieu<strong>se</strong>s dat<strong>en</strong>t du début du dix-neuvième<br />

siècle, lorsque Dieudonné élabore sa statistique, mais alors, la révolution<br />

industrielle est déjà <strong>en</strong> marche. La situation des différ<strong>en</strong>ts foyers à cette<br />

époque <strong>se</strong>ra évoquée ci-dessous. D'une façon générale, on constate que l'on file<br />

et tis<strong>se</strong> un peu partout dans les deux départem<strong>en</strong>ts. Cela suppo<strong>se</strong> la pré<strong>se</strong>nce de<br />

toute une population habituée au maniem<strong>en</strong>t des fibres et au travail minutieux<br />

qu' e 11es exi g<strong>en</strong>t. Toutefoi sil n'<strong>en</strong> résu1 te pas que des avantages : l' industri e<br />

naissante doit s'efforcer d'élaborer des articles aussi bons que ceux produits<br />

à la main, dont la qualité était déjà fort honorable. Plus les artisans <strong>sont</strong><br />

habiles et plus il <strong>se</strong>ra difficile de les supplanter. Par ailleurs, la pré<strong>se</strong>nce<br />

d'un grand nombre de travailleurs très qualifiés peut <strong>en</strong>traîner des réactions<br />

hostiles de leur part, vis-à-vis de toute forme de mécanisation, comme ce fut<br />

souv<strong>en</strong>t le cas <strong>en</strong> Angleterre ou dans la région lyonnai<strong>se</strong>. Si de multiples<br />

plaintes fur<strong>en</strong>t émi<strong>se</strong>s dans le Nord contre les "mécaniques" et la "grande in-<br />

dustrie", elles ne <strong>se</strong> transformèr<strong>en</strong>t guère <strong>en</strong> manifestations viol<strong>en</strong>tes car<br />

il s'agissait surtout de ruraux as<strong>se</strong>z mal organisés sur le plan social (.).<br />

L'exist<strong>en</strong>ce d'une tradition textile antérieure à la révolution indus-<br />

trielle a pré<strong>se</strong>nté deux avantages principaux: le processus d'industrialisation<br />

s'est étalé sur plusieurs déc<strong>en</strong>nies. La filature <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong> <strong>en</strong> général 20 ou 30<br />

ans avant le tissage. De ce fait, il arrive un mom<strong>en</strong>t où la production des filés<br />

devi<strong>en</strong>t surabondante, car les tis<strong>se</strong>rands n'ont pas accru dans la même propor-<br />

(.) cf. par exemple la thè<strong>se</strong> citée de C. Blai<strong>se</strong> sur le tissage à main dans le<br />

Cambrésis.


- 171 -<br />

tion leur capacité de fabrication et ceci constitue un frein au développem<strong>en</strong>t<br />

de l'industrie. La pré<strong>se</strong>nce d'un grand nombre de tis<strong>se</strong>rands à main est alors<br />

un avantage pour l'industriel qui trouve sur <strong>place</strong> un marché intéressant.<br />

<strong>Les</strong> filatures mécaniques du Nord ont bénéficié de cet atout; elles ont<br />

rapidem<strong>en</strong>t éliminé la production manuelle des filés, car l'ouvrier d'usine<br />

avait une productivité plusieurs dizaines de fois supérieures à celle de<br />

l'artisan. Cette main-d'oeuvre r<strong>en</strong>due disponible et habituée au travail textile<br />

s'est alors tournée vers le tissage.<br />

Jusqu'aux <strong>en</strong>virons de 1850, les métiers à tis<strong>se</strong>r manuels <strong>se</strong> multipli<strong>en</strong>t<br />

dans la région (.) et constitu<strong>en</strong>t un débouché très appréciable pour la<br />

filature locale. <strong>Les</strong> industriels les plus dynamiques <strong>sont</strong> d'ailleurs les pre-<br />

miers à favori<strong>se</strong>r ce mouvem<strong>en</strong>t, allant parfois jusqu'à installer eux-mêmes des<br />

métiers chez des artisans à domicile auxquels ils fournis<strong>se</strong>nt les filés. La<br />

possibilité donnée à l'industriel de réali<strong>se</strong>r ce g<strong>en</strong>re d'opérations est double-<br />

m<strong>en</strong>t avantageu<strong>se</strong> pour lui, car il peut produire des fils sur une plus grande<br />

échelle et <strong>en</strong> même temps retirer un bénéfice de la rev<strong>en</strong>te de ces tissus dont<br />

il assure lui-même la commercialisation. En offrant un contexte favorable au<br />

développem<strong>en</strong>t de ce g<strong>en</strong>re d'activité, la région a facilité la croissance des<br />

<strong>industries</strong> <strong>textiles</strong> naissantes, c'est-à-dire au mom<strong>en</strong>t où elles étai<strong>en</strong>t les<br />

plus vulnérables.<br />

Après 1850-1860, l'importance du tissage manuel est plutôt un obstacle<br />

à l'industrialisation. Ces artisans habiles <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de prix de façon<br />

très faibles, car ils aécept<strong>en</strong>t des journées de travail très longues et ont peu<br />

de matériel à amortir. Cela contribue à r<strong>en</strong>dre leurs produits plus longtemps<br />

compétitifs par rapport à ceux de l'industrie.<br />

Le <strong>se</strong>cond avantage procuré par la tradition textile a été l'exist<strong>en</strong>ce<br />

d'une clas<strong>se</strong> de négociants ou de marchands-transformateurs. Ces derniers v<strong>en</strong>-<br />

dai<strong>en</strong>t à l'extérieur les produits des artisans ou les faisai<strong>en</strong>t travailler<br />

(.) L'essor du tissage manuel est favorisé égalem<strong>en</strong>t par la diffusion dans la<br />

région, à partir du dix-neuvième siècle <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, de la navette volante qui<br />

améliore <strong>be</strong>aucoup la productivité de ce tissage.<br />

Dans la Vallée de la Lys notamm<strong>en</strong>t, il arrive que les logem<strong>en</strong>ts eux-mêmes<br />

soi<strong>en</strong>t fournis pour attirer des tis<strong>se</strong>rands v<strong>en</strong>ant de la Flandre <strong>be</strong>lge.


! :<br />

1<br />

"<br />

- 172 -<br />

à façon. Ce groupe a joué un rôle important car, dans <strong>se</strong>s rangs, <strong>se</strong> <strong>sont</strong><br />

recrutés nombre d'industriels (.). On considère souv<strong>en</strong>t que l'atout décisif<br />

fut pour eux d'investir les capitaux tirés du négoce. Ce n'est probablem<strong>en</strong>t<br />

pas cet aspect qui a été es<strong>se</strong>ntiel. On ne dispo<strong>se</strong> guère d'états de fortunes<br />

de ces négociants mais les quelques exemples qui <strong>se</strong>ront donnés ci-dessous<br />

montr<strong>en</strong>t que, souv<strong>en</strong>t, ils ne possédai<strong>en</strong>t pas de capitaux considérables.<br />

Et, de toute façon, au début, l'industrie textile n'était pas très exigeante<br />

sur ce plan.<br />

Le principal avantage des négociants fut surtout une bonne connais-<br />

sance du marché et de <strong>se</strong>s exig<strong>en</strong>ces; ils <strong>sont</strong> capables de choisir les matières<br />

premières, de <strong>se</strong> livrer à des calculs de r<strong>en</strong>tabilité et de s'adapter à la<br />

versatilité de leurs cli<strong>en</strong>ts. Toutes ces qualités <strong>se</strong>ront particulièrem<strong>en</strong>t<br />

nécessaires à l'industriel. De plus, le négociant doit <strong>se</strong> dé<strong>place</strong>r fréquemm<strong>en</strong>t<br />

pour <strong>se</strong>s affaires ( ..) ; dès la fin du dix-huitième siècle <strong>be</strong>aucoup circul<strong>en</strong>t<br />

à cheval à travers toute la France, la Belgique et la Hollande notamm<strong>en</strong>t. Ils<br />

<strong>se</strong> r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t fréquemm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Grande-Bretagne. Ceci améliore leurs connaissances,<br />

les informe des dernières nouveautés techniques et commerciales. Ce type d'ac-<br />

tivités fut souv<strong>en</strong>t une excell<strong>en</strong>te école de formation au métier d'industriel,<br />

et c'était d'autant plus précieux qu'il n'existait aucune autre forme d'<strong>en</strong><strong>se</strong>i-<br />

gnem<strong>en</strong>t organisé <strong>en</strong> ce domaine.<br />

Cette tradition textile a comporté des élém<strong>en</strong>ts favorables, mais il<br />

ne faut pas exagérer son rôle, car elle existait égalem<strong>en</strong>t dans d'autres régions<br />

de France qui ont vu leur importance décroître au cours du dix-neuvième siècle.<br />

Inver<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t, un c<strong>en</strong>tre comme Calais ignorait le travail textile et allait pour-<br />

tant connaître une brillante réussite dans cette branche industrielle.<br />

(.) cf. l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble des publications citées de J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte.<br />

(.. ) cf. J. Toulemonde • ouvrage ci té.


- 173 -<br />

Au début de la révolution industrielle, la région Nord-Pas-de-Calais<br />

est déjà fortem<strong>en</strong>t peuplée: sa d<strong>en</strong>sité, <strong>en</strong> 1801, 100 habitants au kilomètre<br />

carré, est supérieure à celle de la France de 1974. Dans les <strong>se</strong>cteurs où vont<br />

<strong>se</strong> développer les plus grands c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong>, cette accumulation de population<br />

était <strong>en</strong>core plus considérable: la d<strong>en</strong>sité du départem<strong>en</strong>t du Nord s'élève a-<br />

lors à 132 et celle de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille à 250 (.).<br />

Pour qu'un grand c<strong>en</strong>tre textile s'édifie, il était nécessaire de dis-<br />

po<strong>se</strong>r de ressources notables <strong>en</strong> main-d'oeuvre, car la mécanisation était <strong>en</strong>core<br />

relativem<strong>en</strong>t peu poussée dans cette branche. Toutefois une surabondance de<br />

travailleurs pouvait constituer un frein dans la mesure où des salaires très<br />

bas n'incitai<strong>en</strong>t pas les responsables économiques à rechercher les techniques<br />

les plus productives. L'étude citée de F. Dornic sur la famille Cohin, grands<br />

~égociants <strong>en</strong> toile sarthois du dix-neuvième siècle, est typique à cet égard;<br />

l'auteur montre comm<strong>en</strong>t les faibles prix de façon payés aux artisans à domicile<br />

expliqu<strong>en</strong>t que ces <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs install<strong>en</strong>t tardivem<strong>en</strong>t des tissages mécaniques,<br />

alors que leur puissance financière leur aurait permis de le faire bi<strong>en</strong> plus<br />

tôt. Il est évid<strong>en</strong>t que si l'abondance de la main-d'oeuvre avait été le facteur<br />

décisif, l'Ouest de la France, dans son <strong>en</strong><strong>se</strong>mble, <strong>se</strong>rait dev<strong>en</strong>u un grand foyer<br />

textile.<br />

Dans la région du Nord-Pas-de-Calais, la situation a été favorable<br />

à l'industrialisation du textile, car, s'il était possible de recruter des travailleurs,<br />

le développem<strong>en</strong>t simultané d'autres activités, extraction houillère,<br />

métallurgie, <strong>industries</strong> alim<strong>en</strong>taires comme la bras<strong>se</strong>rie ou la sucrerie etc ... ,<br />

créait une certaine pression sur le marché de l'emploi.<br />

Si les salaires restai<strong>en</strong>t trop bas, le personnel le plus qualifié<br />

pouvait <strong>se</strong> tourner vers d'autres branches. L'industriel était incité à mécani<strong>se</strong>r,<br />

(.) Source Annuaire statistique régional. INSEE, Lille 1951.


- 174 -<br />

ne <strong>se</strong>rait-ce qu'<strong>en</strong> raison de la m<strong>en</strong>ace qu'il devinait à terme. Pour attirer<br />

les Belges eux-mêmes il fallait leur offrir des rémunérations plus élevées<br />

que dans leur pays et les dissuader de choisir les travaux agricoles, le<br />

bâtim<strong>en</strong>t etc .•. De ce point de vue, ce n'est pas un hasard si les industrles<br />

<strong>textiles</strong> les plus fortem<strong>en</strong>t mécanisées <strong>se</strong> <strong>sont</strong> épanouies dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

de Lille où exist<strong>en</strong>t des branches industrielles variées. Au contraire, <strong>en</strong><br />

Flandre Intérieure, l'ab<strong>se</strong>nce d'activités concurr<strong>en</strong>tes et la surcharge démo-<br />

graphique ont retardé la mécanisation. Lorsque l'industrie textile y débute<br />

vraim<strong>en</strong>t, il lui est alons difficile de rivali<strong>se</strong>r avec les c<strong>en</strong>tres modernes<br />

et puissants édifiés <strong>en</strong>tre temps ailleurs. La situation, bi<strong>en</strong> que diamétralem<strong>en</strong>t<br />

opposée à celle du Bassin Minier y aboutissait à un résultat final<br />

similaire.<br />

Le Nord-Pas-de-Calais a égalem<strong>en</strong>t eu la chance<br />

de dispo<strong>se</strong>r de très nombreux "<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs" de tal<strong>en</strong>t, c'est-à-dire de g<strong>en</strong>s<br />

ayant le goût du risque économique et l'aptitude à transpo<strong>se</strong>r sur le plan<br />

industriel les derniers perfectionnem<strong>en</strong>ts de la technologie. L'action de ces<br />

hommes s'est d'ailleurs manifestée dans la plupart des branches industrielles<br />

qui <strong>se</strong> <strong>sont</strong> créées dans la région au cours de la première moitié du dix-neuvième<br />

siècle, et pas <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t dans les activités <strong>textiles</strong>. C'est cep<strong>en</strong>dant<br />

dans celles-ci que leur rôle a été particulièrem<strong>en</strong>t important <strong>en</strong> raison du<br />

contexte général de l'époque: l'Etat français n'intervi<strong>en</strong>t guère directem<strong>en</strong>t<br />

pour promouvoir telle ou telle branche de l'économie. Lorsque sa sollicitude<br />

<strong>se</strong> manifeste, c'est <strong>en</strong> faveur de <strong>se</strong>cteurs bi<strong>en</strong> précis : les chemins de fer,<br />

par exemple, qui bri<strong>se</strong>nt les cadres de la vie économique traditionnelle.<br />

Pour le textile, l'Etat <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>te de faire jouer les tarifs doua-<br />

niers ou d'appliquer des lois sociales à caractère général (celle de 1841 sur<br />

la réglem<strong>en</strong>tation du travail des <strong>en</strong>fants, par exemple). Seule l'action des<br />

particuliers à l'esprit <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ant amorce le processus d'industrialisation<br />

et permet ainsi de concréti<strong>se</strong>r les pot<strong>en</strong>tialités d'un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t géographique<br />

favorable.<br />

Le volume de capitaux nécessaires pour <strong>se</strong> lancer dans l'industrie tex-<br />

tile naissante est bi<strong>en</strong> plus faible que dans la sidérurgie ou les chemins de fer.


- 175-<br />

Un peu partout, de nombreu<strong>se</strong>s personnes ont la possibilité matérielle de monter<br />

une <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> textile, car celui qui possède quelques métiers mécaniques<br />

est déjà un producteur notable, à un mom<strong>en</strong>t où une part appréciable de la production<br />

est <strong>en</strong>core assurée par les artisans mais cette situation ne dure pas,<br />

et une sélection impitoyable va éliminer ceux qui ne <strong>se</strong> moderni<strong>se</strong>nt pas régulièrem<strong>en</strong>t.<br />

C'est par ce processus que le textile s'est conc<strong>en</strong>tré géographiquem<strong>en</strong>t<br />

là où <strong>se</strong> trouvai<strong>en</strong>t le plus d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs dynamiques. Cette évolution s'étale<br />

sur plusieurs déc<strong>en</strong>nies. Comme cette jeune industrie est susceptible de fournir<br />

des profits très appréciables, celui qui a débuté modestem<strong>en</strong>t peut fort bi<strong>en</strong><br />

résister s'il réinvestit systématiquem<strong>en</strong>t <strong>se</strong>s bénéfices. L'article industriel<br />

dispo<strong>se</strong> <strong>en</strong> effet d'un marché <strong>en</strong> voie d'expansion très rapide: le produit artisanal<br />

de qualité, très l<strong>en</strong>t à fabriquer, était coûteux et ré<strong>se</strong>rvé de ce fait à<br />

une minorité de la population. L'abais<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t des prix consécutif à l'industria-<br />

lisation, permet à de larges couches de consommateurs de <strong>se</strong> porter acquéreurs<br />

des nouveaux articles <strong>textiles</strong>. A cela il faut ajouter la croissance générale<br />

de la population. Toutes proportions gardées, l'industriel <strong>se</strong> trouve dans une<br />

situation proche de celle des fabricants d'appareils d'électro-ménager, dans les<br />

années 1950 : un marché qui s'ét<strong>en</strong>d à mesure que la production <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong>.<br />

<strong>Les</strong> quelques exemples précis dont on dispo<strong>se</strong> montr<strong>en</strong>t qu'effectivem<strong>en</strong>t<br />

l'accumulation du capital pouvait <strong>se</strong> faire à une allure rapide. L'ouvrage déjà<br />

cité de J. Toulemonde conti<strong>en</strong>t un graphique (page 233) retraçant, à l'époque où<br />

naissait l'industrie, l'évolution de la fortune de Floris Toulemonde, membre de<br />

l'une des grandes familles industrielles <strong>textiles</strong> de la région roubai sf <strong>en</strong>ne : de<br />

moins de 50.000 francs <strong>en</strong> 1833, elle s'élève à plus d'un million, 25 ans plus<br />

tard. J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte avance, dans sa thè<strong>se</strong>, pour les années 1850-1870, des<br />

taux de profit de l'ordre de la à 20 % du capital investi dans le tissage arm<strong>en</strong>-<br />

tièrois, époque à laquelle il <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong> (.). Cela ne signifie pas que la tâche<br />

(.) D'autres exemples <strong>se</strong>ront cités ci-dessous (cf. notamm<strong>en</strong>t l'analy<strong>se</strong> des débuts<br />

des firmes Agache, Prouvost et Thiriez). On manque toutefois d'analy<strong>se</strong>s systéma-<br />

tiques pour voir s'il s'agissait ou non de cas exceptionnels. Cette situation<br />

n'était évidemm<strong>en</strong>t pas propre au Nord: l'ouvrage de D.C. Coleman (Courtaulds,<br />

an economic and social history i Oxford, Clar<strong>en</strong>don Press, 1965 T. l 274 p.) fait<br />

à partir d'une docum<strong>en</strong>tation préci<strong>se</strong>, montre que, <strong>en</strong>tre 1830 et 1848, les profits<br />

<strong>sont</strong> <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne, chaque année, de 26 % du capital investi. Courtaulds est alors<br />

une <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> purem<strong>en</strong>t textile spécialisée dans le,travail de la soie.


- 175 bis -<br />

de l'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur soit aisée à cette époque: il devait choisir les métiers<br />

parmi un foisonnem<strong>en</strong>t de types de matériels, réussir à former la main-d'oeuvre,<br />

résister aux très brutales et très fréqu<strong>en</strong>tes cri<strong>se</strong>s économiques. <strong>Les</strong> tal<strong>en</strong>ts<br />

propres de l'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur étai<strong>en</strong>t plus décisifs que la pos<strong>se</strong>ssion initiale de<br />

quelques dizaines de milliers de francs <strong>en</strong> plus ou <strong>en</strong> moins.<br />

La nécessité de réinvestir les bénéfices pour rester compétitif <strong>en</strong><br />

dépit de la rapidité des progrès techniques, <strong>en</strong>traîne une situation apparemm<strong>en</strong>t<br />

paradoxale: l'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur textile fait des profits élevés, doit consacrer <strong>be</strong>au-<br />

coup de temps à une activité difficile et limiter son train de vie par rapport<br />

à son niveau de fortune réel. La situation <strong>se</strong> complique si, comme cela est fréqu<strong>en</strong>t,<br />

l'affaire a été fondée par plusieurs personnes physiques car il faut que<br />

.chacun des associés accepte cet état de cho<strong>se</strong>s. Dans ce contexte, la forte cohé-<br />

r<strong>en</strong>ce des structures familiales devi<strong>en</strong>t un atout: les li<strong>en</strong>s créés <strong>en</strong>tre les<br />

individus aid<strong>en</strong>t à supporter les t<strong>en</strong>sions qui surgis<strong>se</strong>nt dans la gestion des<br />

affa ires. Le <strong>se</strong>ntim<strong>en</strong>t que la réussite de l'<strong>en</strong>trepri <strong>se</strong> <strong>se</strong>ra celle de la famill e<br />

à laquelle on <strong>se</strong> <strong>se</strong>nt profondém<strong>en</strong>t attachée, permet de compr<strong>en</strong>dre que l'individu<br />

accepte de restreindre son niveau de vie: il a consci<strong>en</strong>ce d'ètre au <strong>se</strong>rvice de<br />

quelque cho<strong>se</strong> qui dépas<strong>se</strong> sa simple personne. Si l'asc<strong>en</strong>sion sociale est réc<strong>en</strong>te,<br />

il est d'ailleurs plus facile de con<strong>se</strong>rver un style de vie pas trop éloigné de<br />

celui des origines. Dans ces conditions, la volonté farouche de ce patronat de<br />

pré<strong>se</strong>rver son indép<strong>en</strong>dance <strong>se</strong> compr<strong>en</strong>d mieux (.)<br />

La joie d'être l'artisan principal de sa réussite et le maître d'une<br />

<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> dynamique est <strong>en</strong> quelque sorte une comp<strong>en</strong>sation psychologique à la<br />

(.) La plupart des études historiques et des témoignages publiés concern<strong>en</strong>t le<br />

patronat de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille, dont le comportem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> rapproche le plus<br />

de celui décrit ici. CL. Fohl<strong>en</strong> montre la différ<strong>en</strong>ce avec le patronat de la Nor-<br />

mandie qui consacre une part importante de <strong>se</strong>s profits <strong>en</strong> achat de bi<strong>en</strong>s fonciers<br />

et qui a un train de vie plus fastueux. Cela explique le déclin relatif de cette<br />

région après 1860.


- 176 -<br />

relative austérité des moeurs (.). La pratique religieu<strong>se</strong> catholique rigoureu<strong>se</strong><br />

dans cette bourgeoisie devi<strong>en</strong>t elle aussi un élém<strong>en</strong>t favorable car elle r<strong>en</strong>force<br />

la cohésion de la famille. De même la grande fécondité de ce patronat<br />

n'est pas une gêne lors de la période d'expansion, car les postes de direction<br />

<strong>se</strong> multipli<strong>en</strong>t avec le développem<strong>en</strong>t de la firme et l'essaimage de <strong>se</strong>s filiales.<br />

La pré<strong>se</strong>nce de ce type d'hommes a donc revêtu une importance décisive<br />

<strong>en</strong> raison du contexte socio-économique de cette période (..). L'essor de l'in-<br />

dustrie textile dans le Nord-Pas-de-Calais au dix-neuvième siècle s'explique<br />

<strong>en</strong> bonne partie par un concours de circonstances. Il n'est guère possible de<br />

do<strong>se</strong>r la part relative de chacune d'elles. Ce qui importe surtout au géographe,<br />

c'est de constater que presque toutes étai<strong>en</strong>t liées à un certain contexte historique<br />

et que par conséqu<strong>en</strong>t leurs effets fur<strong>en</strong>t limités à une certaine période.<br />

La région du Nord-Pas-de-Calais n'avait pas une vocation "naturelle"<br />

à être une grande région textile. Ce <strong>sont</strong> des événem<strong>en</strong>ts conting<strong>en</strong>ts qui ont<br />

redonné un lustre particulier à cette activité. Ceci montre immédiatem<strong>en</strong>t la<br />

fragilité relative de cette conc<strong>en</strong>tration géographique. Il convi<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ant<br />

de voir comm<strong>en</strong>t ces différ<strong>en</strong>ts facteurs <strong>se</strong> <strong>sont</strong> combinés pour donner à chaque<br />

foyer textile la spécialisation, le poids et le rayonnem<strong>en</strong>t constatés dans le<br />

chapitre précéd<strong>en</strong>t.<br />

(.) Lorsque le grand industriel roubaisi<strong>en</strong>, Alfred Motte, donne à <strong>se</strong>s usines<br />

des signes particuliers (cheminées et murs crénelés), ne signifie-t-il pas que<br />

ce <strong>sont</strong> elles qui doiv<strong>en</strong>t témoigner aux yeux du public de sa puissance ? un peu<br />

comme ces princes de la R<strong>en</strong>aissance qui voulai<strong>en</strong>t que leurs châteaux soi<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>-<br />

tifiables <strong>en</strong>tre tous, mais ici c'est l'outil de production lui-même qui devi<strong>en</strong>t<br />

objet de gloire.<br />

(..) Des études de psycho-sociologie historique comparées <strong>se</strong>rai<strong>en</strong>t nécessaires<br />

pour expliquer pourquoi ce type de comportem<strong>en</strong>t a été particulièrem<strong>en</strong>t répandu<br />

dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille <strong>en</strong> particulier. Des réflexions intéressantes sur<br />

ce thème peuv<strong>en</strong>t être glanées dans le colloque réuni par le C.N.R.S. <strong>en</strong> 1970 sur<br />

"L'industrialisation <strong>en</strong> Europe au cours du dix-neuvieme siecle", cf. notamm<strong>en</strong>t<br />

les réflexions de P. Chaunu sur l'échec industriel de la Normandie.


- 177 -<br />

b~_EQ~~~IIQ~_Q~~_Q!EE~~~~I~_Ç~~I~~~_I~~IIb~~_Q~<br />

~Q~Q:E~~:Q~:Ç~b~I~·<br />

Avant la Révolution Industrielle, ces deux communes ont un chiffre<br />

de population qui les <strong>place</strong> parmi les villes moy<strong>en</strong>nes du départem<strong>en</strong>t du Nord<br />

<strong>en</strong> 1801, Roubaix compte 8.700 habitants et Tourcoing 12.000 (.). L'importance<br />

plus grande de Tourcoing n'est pas surpr<strong>en</strong>ante car cette localité <strong>se</strong> trouve à<br />

proximité de la route qui, par Roncq et Halluin, relie Lille à Courtrai et à<br />

Gand, tandis que Roubaix <strong>se</strong> trouve complétem<strong>en</strong>t à l'écart de toute voie de<br />

circulation notable.<br />

Lille, au même mom<strong>en</strong>t, avec <strong>se</strong>s 60.000 habitants, les surpas<strong>se</strong> très<br />

nettem<strong>en</strong>t; et pourtant, la capitale des Flandres Françai<strong>se</strong>s ne les domine pas<br />

à proprem<strong>en</strong>t parler. Roubaix et Tourcoing constitu<strong>en</strong>t des c<strong>en</strong>tres de production<br />

<strong>textiles</strong> autonomes sur les plans techniques, financiers et commerciaux. Cette<br />

indép<strong>en</strong>dance avait été rev<strong>en</strong>diquée depuis des siècles et acqui<strong>se</strong> progressivem<strong>en</strong>t<br />

Elle est dev<strong>en</strong>ue totale au cours de la <strong>se</strong>conde moitié du dix-huitième siècle (..)<br />

<strong>Les</strong> deux villes travaill<strong>en</strong>t la laine mais <strong>se</strong> situ<strong>en</strong>t à des stades différ<strong>en</strong>ts du<br />

(.) Source: Cl. Fohl<strong>en</strong> "Roubaix au XIXèrne", article cité.<br />

(..) La rivalité <strong>en</strong>tre Lille et Roubaix-Tourcoing <strong>se</strong> manifeste dès la fin du<br />

Moy<strong>en</strong>-Age. <strong>Les</strong> différ<strong>en</strong>tes chartes et statuts accordés par les autorités donn<strong>en</strong>t<br />

lieu à des contestations incessantes <strong>en</strong>tre les bourgeoisies des trois villes. En<br />

1762, <strong>en</strong>core, les Lillois bataill<strong>en</strong>t pour obt<strong>en</strong>ir la susp<strong>en</strong>sion de llédit libé-<br />

rant le travail textile. <strong>Les</strong> g<strong>en</strong>s de Roubaix-Tourcoing obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pleinem<strong>en</strong>t sa-<br />

tisfaction <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1776. Ils form<strong>en</strong>t alors juridiquem<strong>en</strong>t un c<strong>en</strong>tre pleine-<br />

m<strong>en</strong>t autonome et rival de Lille, ce Qu'ils etai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fait depuis bi<strong>en</strong> longtemps.<br />

Sur ce point, consulter notamm<strong>en</strong>t la rec<strong>en</strong>te "Histoire des Pays-Bas Fr-ança.i a'",


- 178 -<br />

cycle de transformation: Tourcoing <strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong> dans le lavage et le peignage<br />

(.), tandis que Roubaix <strong>se</strong> consacre au tissage et à la finition des étoffes.<br />

Toutes deux ne ras<strong>se</strong>mbl<strong>en</strong>t pas sur leur territoire la totalité des<br />

ouvriers; elles <strong>sont</strong> surtout le siège des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s qui anim<strong>en</strong>t cette activité.<br />

De ce fait, l'importance réelle de Roubaix et de Tourcoing est plus grande<br />

que ne le fait apparaître le volume limité de leur population. Le marchand tourqu<strong>en</strong>nois<br />

achète lui-mème de la laine brute, la fait peigner dans son atelier ar-<br />

tisanal ou dans les campagnes <strong>en</strong>vironnantes par des g<strong>en</strong>s, qui peuv<strong>en</strong>t ètre de<br />

simples façonniers, ou travailler pour leur propre compte. De toute façon, la<br />

rev<strong>en</strong>te du ruban de peigné <strong>se</strong> fait. par l'intermédiaire d'un négociant de la ville<br />

De même le "fabricant" roubaisi<strong>en</strong> <strong>se</strong> procure des fils de laine élaborés dans les<br />

communes rurales et les fait tis<strong>se</strong>r dans sa ville ou dans les campagnes. Seuls<br />

les teintures et apprêts <strong>se</strong> font presque toujours à Roubaix dans des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s<br />

spécialisées et généralem<strong>en</strong>t façonnières (..).<br />

Ce schéma est évidemm<strong>en</strong>t très simpliste et la réalité offre une gamme<br />

de situations très variées, depuis celle du négociant pur, <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>tant de re-<br />

v<strong>en</strong>dre les tissus réalisés par les artisans, jusqu'au cas du marchand-transformateur<br />

qui acquiert de la laine et rev<strong>en</strong>d des étoffes achevées. Il faut souli-<br />

gner que ce "fabricant" ne possède, au mieux, qu'une petite partie des moy<strong>en</strong>s<br />

de production. C'est de sa fonction de négociant qu'il tire l'es<strong>se</strong>ntiel de son<br />

profit. Pour lui, le principal est de savoir choisir <strong>se</strong>s matières premières et<br />

<strong>en</strong>suite de v<strong>en</strong>dre au meilleur compte. Même lorsqu'il a un atelier de transfor-<br />

mation, il s'<strong>en</strong> ab<strong>se</strong>nte souv<strong>en</strong>t, car il ti<strong>en</strong>t à faire <strong>se</strong>s achats et <strong>se</strong>s v<strong>en</strong>tes<br />

lui-même (...). Pour réussir une meilleure opération, il n'hésite pas à <strong>se</strong> r<strong>en</strong>dre<br />

(.) Sans avoir l'exclusivité de cette fonction, Tourcoing assure <strong>en</strong>viron les<br />

quatre cinquièmes du peignage dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille. La moitié de sa<br />

production est v<strong>en</strong>due <strong>en</strong> l'état, au dehors (d'après Dieudonné).<br />

(..) Cf. notamm<strong>en</strong>t les ouvrages cités de P. Maurer et J. Van d<strong>en</strong> Driessche.<br />

(...) P<strong>en</strong>dant l'ab<strong>se</strong>nce du négociant, l'épou<strong>se</strong> assure la surveillance de l'ate-<br />

lier et la gestion courante de l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>. Ceci acc<strong>en</strong>tue l'aspect familial de<br />

la firme et accroît l'intérêt que pr<strong>en</strong>d la femme au succès de l'affaire.


- 179 -<br />

as<strong>se</strong>z loin de son domicile, au <strong>be</strong>soin à l'étranger. Dès la fin du dix-huitième<br />

siècle, une grande partie des laines travaillées <strong>sont</strong> achetées dans les Provinces<br />

Unies. La laine n'est d'ailleurs pas la <strong>se</strong>ule matière utilisée <strong>en</strong> tissage: le<br />

lin l'est aussi (.). D'une façon générale ce qui caractéri<strong>se</strong> ce fabricant, qui<br />

a peu d'immobilisations, c'est sa grande souples<strong>se</strong>. Il cherche avant tout à saisir<br />

les opportunités offertes par le marché. Il modifie facilem<strong>en</strong>t sa gamme<br />

d'articles et n'hésite pas à réorgani<strong>se</strong>r son activité.<br />

Ces marchands apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à des familles installées dans ces locali-<br />

tés depuis très longtemps, des siècles parfois (..). P. Maurer, dans son étude<br />

citée, relève un aspect très typique de cette situation: à Roubaix, <strong>en</strong>tre 1750<br />

et 1760, 187 <strong>en</strong>trées ont lieu dans le corps de métier des fabricants de tissus<br />

78 % des nouveaux maîtres ne font que succéder à leur propre père. Ceci n'est<br />

pas très étonnant dans la mesure où Roubaix-Tourcoing, placées à l'écart des<br />

grandes voies de passage, n'attir<strong>en</strong>t pas les g<strong>en</strong>s v<strong>en</strong>us de l'extérieur.<br />

Toutesces familles <strong>se</strong> livrant aux mêmes activités, dans un espace géo-<br />

graphique restreint, ont eu largem<strong>en</strong>t le temps de contracter de multiples alliances<br />

matrimoniales, avant même la Révolution Industrielle. Il s'agit, par conséqu<strong>en</strong>t,<br />

d'une bourgeoisie qui <strong>se</strong> dé<strong>place</strong> <strong>be</strong>aucoup pour des motifs professionnels<br />

tout <strong>en</strong> étant profondém<strong>en</strong>t <strong>en</strong>racinée sur le plan familial.<br />

Ces négociants, ces marchands-transformateurs domin<strong>en</strong>t sans conteste<br />

leurs villes. <strong>Les</strong> édiles <strong>se</strong> recrut<strong>en</strong>t parmi eux. L'ab<strong>se</strong>nce de toute fonction administrative<br />

ou judiciaire empêche l'apparition d'un autre type de bourgeoisie,<br />

et à fortiori d'une nobles<strong>se</strong> de ro<strong>be</strong>. <strong>Les</strong> propriétaires fonciers eux-mêmes ne<br />

(.) P. Maurer considère que, <strong>en</strong> 1789, la laine repré<strong>se</strong>nte les trois quarts des<br />

matières premières utilisées à Roubaix.<br />

(..) Nombreux exemples dans les ouvrages et articles cités de J. Lam<strong>be</strong>rt-<br />

Dan<strong>se</strong>tte, J. Toulemonde et J. Van D<strong>en</strong> Driessche.


- 180 -<br />

form<strong>en</strong>t pas un groupe vraim<strong>en</strong>t distinct. Le marchand dont les affaires prospèr<strong>en</strong>t<br />

achète facilem<strong>en</strong>t des terres. Le "laboureur" aisé organi<strong>se</strong> la v<strong>en</strong>te des<br />

produits de sa ferme, qui peuv<strong>en</strong>t ètre des fibres de lin, prête de l'arg<strong>en</strong>t à<br />

un par<strong>en</strong>t qui réali<strong>se</strong> des opérations de négoce, à moins qu'il ne décide de<br />

s'y livrer lui-même, si les circonstances <strong>sont</strong> favorables (.).<br />

La réussite dans les affaires est le meilleur moy<strong>en</strong>, dans ces villes,<br />

pour acquérir la considération générale et montrer que l'on est digne d'accéder<br />

aux plus hautes fonctions municipales. Il règne un climat psycho-social favora-<br />

ble à l'épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de l'esprit d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>. Ceci <strong>se</strong> traduit de façon manifeste<br />

sur le plan des institutions: alors qu'à Lille cohabit<strong>en</strong>t plusieurs cor-<br />

porations <strong>textiles</strong> qui <strong>se</strong> querell<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre elles et <strong>sont</strong> régies par des dispositions<br />

tatillonnes, parfois hostiles à l'expansion des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s, puisqu'il<br />

ne faut pas, par exemple, posséder plus de six métiers à tis<strong>se</strong>r; ri<strong>en</strong> de <strong>se</strong>mblable<br />

n'existe à Tourcoing ou à Roubaix. Dans cette dernière ville, on trouve<br />

un <strong>se</strong>ul corps de métier organisé <strong>en</strong> jurandes, celui des fabricants de tissus, et<br />

les réglem<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> fixés, <strong>en</strong> accord avec les marchands, au cours d'as<strong>se</strong>mblées<br />

pleinières. Aucune mesure ne limite le nombre de métiers dont peut dispo<strong>se</strong>r un<br />

fabricant. Dans ce contexte, il est facile de créer de nouveaux types d'étoffes,<br />

et d'utili<strong>se</strong>r les procédés de fabrication modernes. A Lille, par contre, on <strong>se</strong><br />

heurtera aux règles anci<strong>en</strong>nes et aux fréqu<strong>en</strong>tes récriminations des membres des<br />

corporations voisines considérant que le produit nouveau empiète sur le domaine<br />

de leurs fabrications.<br />

<strong>Les</strong> marchands-transformateurs de Roubaix-Tourcoing ne <strong>se</strong>mbl<strong>en</strong>t pas<br />

avoir eu des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s très puissantes: <strong>en</strong> 1774, les frères Delaoutre dispo<strong>se</strong>nt<br />

d'un atelier employant 16 ouvriers et possédant 16 métiers; ils appa-<br />

(.) <strong>Les</strong> deux activités, l'exploitation de la terre, et le négoce <strong>sont</strong> dans la<br />

pratique <strong>be</strong>aucoup moins séparées que l'on pourrait l'imaginer. J. Toulemonde<br />

cite notamm<strong>en</strong>t le cas de marchands acquérant des moutons, <strong>en</strong> Hollande, utilisant<br />

leur laine, et mettant <strong>en</strong>suite les bêtes à l'embouche dans la région de<br />

Roubaix-Tourcoing avant d'aller les rev<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> tant qu'animaux de boucherie.


- 181 -<br />

rais<strong>se</strong>nt comme des fabricants très importants (cf. P. Maurer). En 1806, les<br />

principaux peigneurs de laine tourqu<strong>en</strong>nois : Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong>, Motte-Claris<strong>se</strong>, Masurel,<br />

Desurmont occup<strong>en</strong>t <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t de 20 à 40 ouvriers (cf. J. Toulemonde). Certes,<br />

cela ne r<strong>en</strong><strong>se</strong>igne pas sur l'état exact des patrimoines. Toutefois, ceux-ci<br />

étai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t morcelés, car ces familles étai<strong>en</strong>t très prolifiques. La rlches<strong>se</strong><br />

véritable du jeune bourgeois, c'est plutôt son ré<strong>se</strong>au d'alliances familiales<br />

même s'il n'a pas personnellem<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup de fortune, il peut bénéficier du<br />

souti<strong>en</strong> financier et des con<strong>se</strong>ils pratiques des nombreux membres de sa famille.<br />

Roubaix et Tourcoing abord<strong>en</strong>t avec prud<strong>en</strong>ce la Révolution Industrielle<br />

(.). Tourcoing est durem<strong>en</strong>t touchée, car les fils de coton produits mécaniquem<strong>en</strong>t<br />

concurr<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t la laine dont le peignage manuel est très coûteux. Dieudonné remarque<br />

que l'ouvrier tourqu<strong>en</strong>nois ne peigne <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne que trois kilos de laine<br />

par jour. En 1801, le Préfet considère que cette activité s'est réduite de moi-<br />

tié par rapport à 1789. <strong>Les</strong> laines à l'état brut provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> majeure partie<br />

de l'étranger: Hollande, Italie, Espagne. Roubaix s'est adaptée avec plus de<br />

facilité et tis<strong>se</strong> de plus <strong>en</strong> plus de coton (..). La filature est effectuée dans<br />

(.) Il est remarquable que, dans ces deux villes, ne <strong>se</strong>ra réalisée aucune inv<strong>en</strong>-<br />

tion fondam<strong>en</strong>tale à l'inver<strong>se</strong> de ce qui s'est passé à Bradford, Mulhou<strong>se</strong> ou Lyon.<br />

L'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur de Roubaix-Tourcoing <strong>se</strong> comporte comme un gestionnaire avisé cher-<br />

chant, parmi ce qui existe, le matériel offrant les conditions de production<br />

les plus économiques. Au <strong>be</strong>soin, il s'efforce de l'améliorer pour épargner de<br />

la matière première ou augm<strong>en</strong>ter la productivité. On ne r<strong>en</strong>contre pas d'inv<strong>en</strong>teur<br />

concevant une nouvelle technique pour répondre à un concours, comme Philippe de<br />

Girard (quitte <strong>en</strong>suite à exploiter avec difficultés leurs brillantes inv<strong>en</strong>tions)<br />

ou d'industriel fondant sa réussite sur la mi<strong>se</strong> au point d'une nouvelle .techni-<br />

que, CGmme le Britannique Hold<strong>en</strong> avec sa peigneu<strong>se</strong>.<br />

En schématisant on pourrait dire que la m<strong>en</strong>talité du négociant qui s'intéres<strong>se</strong><br />

d'abord à l'aspect financier des cho<strong>se</strong>s s'oppo<strong>se</strong> à celle de l'ingénieur qui ima-<br />

gine le matériel techniquem<strong>en</strong>t le plus évolué. De plus, le travail des métaux est<br />

traditionnellem<strong>en</strong>t ab<strong>se</strong>nt de la région de Roubaix-Tourcoing. Ce contexte explique<br />

sans doute une certaine l<strong>en</strong>teur, au début, dans l'adoption des "mécaniques Il et,<br />

par la suite, le médiocre développem<strong>en</strong>t de l'industrie de la construction du<br />

matériel textile.<br />

(..) Pour tout ce développem<strong>en</strong>t cf. l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble de la bibliographie citée à pro-<br />

pos de ces deux villes, et particulièrem<strong>en</strong>t les écrits de Cl. Fahi<strong>en</strong>.


- 182 -<br />

la région lilloi<strong>se</strong>, ou dans les campagnes, a l'aide des "petites mécaniques<br />

anglai<strong>se</strong>s" (les j<strong>en</strong>nies), comme les appe11e Dieudonné. Il s'agit de matériels<br />

simples, peu coûteux, qui remplac<strong>en</strong>t le rouet. Roubaix produit des étoffes<br />

d'habillem<strong>en</strong>t fantaisie, les "nankinets". "Chaque année, on voit sortir des<br />

tissus d'une nouvelle inv<strong>en</strong>tion", remarque le Préfet du Nord, ce quj montre<br />

bi<strong>en</strong> le souci des fabricants de suivre les évolutions du marché. En 1801, ces<br />

métiers a tis<strong>se</strong>r le coton <strong>sont</strong> dix fois plus nombreux a Roubaix (1.100) qu'a<br />

Tourcoing qui <strong>se</strong> lance moins vite dans une fabrication plus éloignée de sa<br />

spécialité traditionnelle.<br />

A partir du Premier Empire, la reglon de Roubaix-Tourcoing s'ori<strong>en</strong>te<br />

vers le travail du coton qui va dev<strong>en</strong>ir la fibre la plus utilisée jusque vers<br />

1850 (.). <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs de cette région cherch<strong>en</strong>t a rester pré<strong>se</strong>nts sur<br />

le marché des articles d'habillem<strong>en</strong>t et, par conséqu<strong>en</strong>t, adopt<strong>en</strong>t toutes les<br />

nouveautés au fur et a mesure que le progrès technique les r<strong>en</strong>d possibles.<br />

Pour alim<strong>en</strong>ter les métiers manuels, apparais<strong>se</strong>nt des filatures de coton. Celles-<br />

ci <strong>se</strong> cré<strong>en</strong>t dans les premières déc<strong>en</strong>nies ; la première machine a vapeur est<br />

signalée <strong>en</strong> 1818. Quelques années plus tard, on assiste a la multiplication des<br />

métiers jacquard. Ils <strong>sont</strong> intéressants puisqu'ils permett<strong>en</strong>t d'élaborer des<br />

étoffes très variées. Ils <strong>sont</strong> répartis dans les campagnes ou ras<strong>se</strong>mblés dans<br />

des ateliers qui n'utili<strong>se</strong>nt pas <strong>en</strong>core la vapeur. Jusque vers 1840, <strong>se</strong>ule la<br />

filature de coton s'est véritablem<strong>en</strong>t industrialisée. Roubaix dispo<strong>se</strong> d'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts<br />

qui <strong>sont</strong> parmi les plus grands de la région: une unité de 40.000 broches<br />

est édifiée <strong>en</strong> 1842. Cette évolution <strong>se</strong> fait surtout au profit de Roubaix<br />

dont la population surpas<strong>se</strong> nettem<strong>en</strong>t celle de Tourcoing: <strong>en</strong> 1851, les chiffres<br />

<strong>sont</strong> respectivem<strong>en</strong>t de 34.700 habitants et de 27.600.<br />

Le travail de la laine n'avait pas disparu complètem<strong>en</strong>t. A partir de<br />

(.) R. Blanchard, dans sa thè<strong>se</strong>, <strong>en</strong> 1906, avait bi<strong>en</strong> souligné cette rupture<br />

dans la tradition du travail de la laine, au cours des premières déc<strong>en</strong>nies<br />

du dix-neuvième siècle: "11 <strong>se</strong>mblerait que le travail de la laine à Roubaix<br />

fût une survivance directe de la plus anci<strong>en</strong>ne des <strong>industries</strong> flamandes ...<br />

La fabrication actuelle est d'origine réc<strong>en</strong>te." (cf. page 404).


- 183 -<br />

1830, on comm<strong>en</strong>ce à la filer mécaniquem<strong>en</strong>t. Le tissage des tapis et moquettes<br />

apparaît à Tourcoing; les fabricants utili<strong>se</strong>nt notamm<strong>en</strong>t les <strong>se</strong>rvices de<br />

Belges v<strong>en</strong>us de Tournai où cette activité périclitait.<br />

A partir de 1835, dans les tissages, on lance des étoffes mélangées,<br />

laine et coton: le <strong>se</strong>cond réduit le prix, la première améliore la qualité.<br />

L'utilisation de la laine est freinée par le coût trop élevé du peignage manuel<br />

(.). Cette hypothèque est levée, à partir des années 1850, grâce aux peigneu<strong>se</strong>s<br />

de l'alsaci<strong>en</strong> Heilmann et du britannique Hold<strong>en</strong>. La période 1850-1870 <strong>se</strong> carac-<br />

téri<strong>se</strong> par un retour massif vers la laine. Avec l'industrialisation du peignage<br />

et de la filature, cette fibre s'impo<strong>se</strong> pour la production des articles de<br />

qualité dans lesquels <strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong>nt Roubaix et Tourcoing, qu'il s'agis<strong>se</strong> de<br />

tissus d'habillem<strong>en</strong>t ou de tapis (..).<br />

De plus, les laines de l'hémisphère sud comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à arriver <strong>en</strong> quan-<br />

tités notables. La guerre de Sécession provoque, p<strong>en</strong>dant quelques années, un<br />

r<strong>en</strong>chéris<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t considérable du coton. Au cours de ces deux déc<strong>en</strong>nies, le tissage<br />

mécanique <strong>en</strong> usine devi<strong>en</strong>t compétitif par rapport au travail manuel. La région<br />

recrute une main-d'oeuvre abondante parmi les anci<strong>en</strong>s artisans. Le flot<br />

<strong>be</strong>lge atteint son maximum d'int<strong>en</strong>sité, car les tis<strong>se</strong>urs manuels de lin subis<strong>se</strong>nt<br />

eux aussi la concurr<strong>en</strong>ce des machines qui <strong>se</strong> mont<strong>en</strong>t dans les c<strong>en</strong>tres indus-<br />

triels de la Belgique. C'est la période où la croissance démographique de Roubaix<br />

est la plus rapide: <strong>en</strong>tre 1851 et 1872, la ville fait plus que doubler <strong>en</strong><br />

atteignant 76.000 habitants, au lieu de 34.000 au début de l'Empire. Le dévelop-<br />

pem<strong>en</strong>t de Tourcoing est un peu moins rapide (+ 57 %). Après 1870, la croissance<br />

<strong>se</strong> poursuit; les spécialisations acqui<strong>se</strong>nt <strong>se</strong> mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ou <strong>se</strong> r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t.<br />

(.) Des essais <strong>sont</strong> faits sur <strong>place</strong> pour mettre au point des machines satisfai-<br />

santes; les réalisations les plus intéressantes <strong>sont</strong> faites par Morel et Binet<br />

qui, fait significatif, ne <strong>sont</strong> pas originaires de la région mais vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des<br />

Ard<strong>en</strong>nes où ils s'étai<strong>en</strong>t d'abord livrés au travail des métaux.<br />

(..) Cette évolution est favorisée par la mi<strong>se</strong> au point, sous le Second Empire,<br />

par le Roubaisi<strong>en</strong> Vandamme, d'une machine à <strong>en</strong>coller automatique. Cette opéra-<br />

tion consiste à <strong>en</strong>duire les fils de chaîne pour qulils support<strong>en</strong>t la t<strong>en</strong>sion<br />

lorsqu'ils <strong>sont</strong> mis sur le métier à tis<strong>se</strong>r.


- 184 -<br />

Le succès de l'industrie textile dans cette agglomération s'explique<br />

par l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble des facteurs évoqués dans la première partie de ce chapitre.<br />

Deux d'<strong>en</strong>tre eux ont joué tout particulièrem<strong>en</strong>t: la proximité de la Belgique,<br />

d'où v<strong>en</strong>ait la plus grande partie de la main-d'oeuvre et le dynamisme de la<br />

bourgeoisie textile traditionnelle. J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte estime que plus de la<br />

moitié des familles patronales de Roubaix-Tourcoing étai<strong>en</strong>t déjà domiciliées<br />

dans ces villes <strong>en</strong> 1789, et s'y consacrai<strong>en</strong>t au travail et au négoce des fibres,<br />

C'est une proportion plus forte que partout ailleurs, surtout si l'on songe que<br />

presque toutes les firmes importantes ont été fondées par ces vieilles dynasties<br />

<strong>textiles</strong> ou avec leur appui.<br />

De par sa formation et sa m<strong>en</strong>talité, cette bourgeoisie était très bi<strong>en</strong><br />

adaptée aux conditions économiques de cette période. La forte solidarité qui<br />

existait <strong>en</strong>tre tous <strong>se</strong>s membres était particulièrem<strong>en</strong>t précieu<strong>se</strong>: l'industrie<br />

textile était une activité hasardeu<strong>se</strong>. L'appui financier ou le souti<strong>en</strong> écono-<br />

mique (commandes, assistance technique, fournitures de matières premières etc ... )<br />

accordés par la famille <strong>en</strong> cas de difficultés ont permis de surmonter bi<strong>en</strong> des<br />

cri<strong>se</strong>s (.). Quelques exemples précis aideront à compr<strong>en</strong>dre le rôle de ces groupes<br />

famil iaux (..).<br />

<strong>Les</strong> Motte ont constitué la famille sans doute la plus prolifique et<br />

la plus puissante industriellem<strong>en</strong>t, au cours du dix-neuvième siècle. En 1784,<br />

un marchand peigneur, de vieille souche tourqu<strong>en</strong>noi<strong>se</strong>, épou<strong>se</strong> une demoi<strong>se</strong>lle<br />

Claris<strong>se</strong> originaire de cette même ville (... ). Son dernier fils, né <strong>en</strong> 1796,<br />

poursuit <strong>se</strong>s études, jusqu'à 20 ans, dans un collège de Cambrai et épou<strong>se</strong> la<br />

(.) Encore fallait-il que l'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur <strong>en</strong> question soit jugé sérieux et compé-<br />

t<strong>en</strong>t par les membres des familles appar<strong>en</strong>tées. Ceci l'<strong>en</strong>courageait à s'implanter<br />

à Roubaix-Tourcoing où il gardait plus facilem<strong>en</strong>t le contact avec <strong>se</strong>s bailleurs<br />

de fonds ou <strong>se</strong>s con<strong>se</strong>illers familiaux.<br />

(..) Sources: <strong>en</strong><strong>se</strong>mble des ouvrages cités et <strong>en</strong>quêtes personnelles.<br />

(... ) En 1962, J. Toulemonde estimait le nombre des desc<strong>en</strong>dants de ce couple à<br />

8.344, dont 1.869 prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de mariages consanguins.


, ,<br />

, ,<br />

- 185 -<br />

fi~le d'un anci<strong>en</strong> maire de Roubaix. Il assure alors la gestion d'une filature de<br />

coton ouverte par son <strong>be</strong>au-père. Il a 14 <strong>en</strong>fants dont 10 atteign<strong>en</strong>t l'âge adulte<br />

tous ne peuv<strong>en</strong>t être employés dans l'affaire. Le troisième fils épou<strong>se</strong> une Dewavrin<br />

appart<strong>en</strong>ant à une famille de statut social comparable. Etant cadet, il<br />

ne peut espérer obt<strong>en</strong>ir la direction de l'usine de son père; c'est pourquoi il<br />

fonde sa propre <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> qui <strong>se</strong>ra le noyau du groupe t4otte-Dewavrin (.).<br />

Plusieurs de <strong>se</strong>s frères <strong>se</strong> lanc<strong>en</strong>t aussi dans l'industrie, aidés par<br />

leur famille: favori<strong>se</strong>r l'installation d'un cadet, rermet d'éviter<br />

les disputes lors du partage de l'héritage; cela est possible car l'on est dans<br />

une période d'expansion où les capitaux nécessaires pour fonder une affaire ne<br />

<strong>sont</strong> pas <strong>en</strong>core très élevés. Parmi cette génération, le plus brillant est d'abord<br />

Louis Motte-Bossut. Il s'installe à Roubaix et, avec l'aide de sa mère, de<br />

plusieurs frères, oncles et <strong>be</strong>aux-frères, monte la plus vaste filature de coton<br />

existant dans toute la région du Nord à cette époque (..). Son <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> réussit<br />

(... ) et, à son tour, il installe un <strong>be</strong>au-frère, <strong>en</strong> 1857, <strong>en</strong> lui rachetant<br />

une filature installée à Auchy-les-Hesdin, dans le Pas-de-Calais. Son plus jeune<br />

frère, Alfred, bénéficie aussi de l'appui familial, lorsqu'il t<strong>en</strong>te la construction<br />

d'une grande usine intégrée: filature, tissage, teinture. C'est un échec,<br />

mais, grâce au souti<strong>en</strong> de <strong>se</strong>s proches, il surmonte cette épreuve et emploie<br />

alors un autre système: il crée des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts spécialisés auxquels il associe,<br />

<strong>en</strong> qualité de gérants, des hommes choisis <strong>en</strong> raison de leurs compét<strong>en</strong>ces,<br />

même s'ils n'apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas à une famille patronale. C'est ainsi qu'une filature<br />

de laine peignée est fondée, <strong>en</strong> 1872, <strong>en</strong> association avec un Poris<strong>se</strong><br />

(.) La répétition des mêmes patronymes à créé l'habitude d'associer le nom du ma-<br />

ri et celui de l'épou<strong>se</strong> pour distinguer les différ<strong>en</strong>ts membre d'une même famille.<br />

(..) La famille Motte, avant son accession à l'industrie moderne, n'a pas une<br />

puissance financière comparable à celle de la grande bourgeoisie mulhousi<strong>en</strong>ne,<br />

conune les Dollfus, que Cl. Fahi<strong>en</strong> range dans le "patriciat" de cette ville.<br />

L'accession à un niveau de riches<strong>se</strong> comparable <strong>se</strong> <strong>place</strong> après 1850 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t.<br />

(...) La liste des filateurs de coton de Roubaix-Tourcoing établie par Cl. Fahi<strong>en</strong><br />

dans sa thè<strong>se</strong>, montre que Motte-Bossut, <strong>en</strong> 1862, dispo<strong>se</strong> de 40 % du total des<br />

broches installées à Roubaix. L'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble du pot<strong>en</strong>tiel des Motte repré<strong>se</strong>nte le<br />

tiers de celui de toute l'agglomération.


- 186 -<br />

dont le père était simple trieur de laine. Une teinturerie est créée avec des<br />

Mei11assoux, technici<strong>en</strong>s compét<strong>en</strong>ts dans cette spécialité, et originaires de la<br />

Creu<strong>se</strong>. Ils avai<strong>en</strong>t auparavant prouvé leurs tal<strong>en</strong>ts dans un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de<br />

Suresnes où Alfred Motte les recruta.<br />

La grande famille patronale apparaît, dans ces conditions, comme une<br />

sorte de banque d'affaires qui souti<strong>en</strong>t les initiatives des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs jugés<br />

sérieux et compét<strong>en</strong>ts, même s'ils ont peu de fortune personnelle. La <strong>se</strong>ule exig<strong>en</strong>ce<br />

est qu'ils adopt<strong>en</strong>t un comportem<strong>en</strong>t conforme à ce que les bailleurs de<br />

fonds estim<strong>en</strong>t devoir être celui d'un industriel. Ce milieu patronal n'est pas<br />

<strong>en</strong>core fermé, mais les multiples solidarités qui exist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les hommes et<br />

les firmes contribu<strong>en</strong>t à lui donner une forte homogénéité et à uniformi<strong>se</strong>r les<br />

attitudes. Toutes ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ont t<strong>en</strong>dance égalem<strong>en</strong>t à faire bloc pour<br />

lutter contre la concurr<strong>en</strong>ce des c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong> extérieurs et cela favori<strong>se</strong><br />

<strong>be</strong>aucoup le développem<strong>en</strong>t de Roubaix-Tourcoing.<br />

La plupart des autres familles accêd<strong>en</strong>t moins rapidem<strong>en</strong>t que les Motte<br />

à la puissance industrielle. Charles Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> débute <strong>en</strong> 1858. Son père était<br />

négociant <strong>en</strong> laine à Tourcoing; il triait lui-même avec <strong>se</strong>s cinq ouvriers. Il<br />

avait perdu une partie de sa fortune <strong>en</strong> sout<strong>en</strong>ant un neveu. Son fils, au com-<br />

m<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t, travaille de <strong>se</strong>s propres mains dans son usine. Il parvi<strong>en</strong>t à monter,<br />

<strong>en</strong> 1860, un tissage mécanique de 100 métiers, <strong>en</strong> s'associant avec <strong>se</strong>s deux<br />

frères et grâce à l'appui de Jules Joire, banquier à Tourcoing et ami personnel<br />

de la famille. Par la suite, il contribue à sauver l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> pourtant concurr<strong>en</strong>te<br />

d'un de <strong>se</strong>s <strong>be</strong>aux-frères, un Lepoutre. Le groupe familial connaît une<br />

première scission <strong>en</strong> 1894 : les desc<strong>en</strong>dants de Charles et ceux de son frère<br />

Louis <strong>se</strong> sépar<strong>en</strong>t et constitu<strong>en</strong>t deux <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s distinctes.<br />

Ce phénomène comm<strong>en</strong>ce à être fréqu<strong>en</strong>t à cette époque, car la multiplication<br />

des héritiers incite à la fragm<strong>en</strong>tation des firmes. Ceci n'est pas<br />

très grave, car l'expansion générale de la production permet aux établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts<br />

issus de ces démembrem<strong>en</strong>ts de retrouver une taille suffisante. Toutefois, il<br />

est certain que, dès cette époque, le mainti<strong>en</strong> de la structure familiale des<br />

<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s freine la constitution de très grands groupes intégrés. La solidarité


- 187 -<br />

familiale n'évite pas la création de firmes indép<strong>en</strong>dantes dans leur gestion<br />

quotidi<strong>en</strong>ne.<br />

<strong>Les</strong> Lorthiois <strong>sont</strong> peigneurs de laine à Tourcoing au cours du dixhuitième<br />

siècle. Un membre de cette famille <strong>se</strong> lance, <strong>en</strong> 1838, dans le tissage<br />

du tapis. Il utili<strong>se</strong> <strong>en</strong>core des métiers manuels; il crée même une unité à<br />

Tournai, ville r<strong>en</strong>ommée pour la fabrication de ce g<strong>en</strong>re d'articles. Vers 1880,<br />

<strong>se</strong>s desc<strong>en</strong>dants adopt<strong>en</strong>t, parmi les premiers, les métiers mécaniques anglais<br />

Wilton. En 1882, on ajoute un départem<strong>en</strong>t tissage et ameublem<strong>en</strong>t. Une scission<br />

s'opère peu après avec la constitution d'une autre société spécialisée dans le<br />

négoce de la laine, une autre <strong>en</strong>core regroupe bi<strong>en</strong>tôt l'activité tissage ameu-<br />

blem<strong>en</strong>t.<br />

<strong>Les</strong> Prouvost apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t à l'une des plus anci<strong>en</strong>nes fa- !<br />

milles de négociants implantées à Roubaix; <strong>en</strong> 1795, l'un des leurs est maire<br />

de la commune. Ils ne début<strong>en</strong>t dans l'industrie qu'<strong>en</strong> 1851, lorsque Amédée<br />

Prouvost crée un peignage mécanique dans sa ville natale. Pour réali<strong>se</strong>r cette<br />

opération, il s'est associé à trois frères Lefebvre, âgés, comme lui, d'une<br />

tr<strong>en</strong>taine d'années et qui possèd<strong>en</strong>t déjà un tissage de coton de plusieurs c<strong>en</strong>taines<br />

de salariés. Il a fallu, <strong>en</strong> outre, contracter un emprunt auprès d'un<br />

financier lillois. L'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t compte à l'origine <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t 21 peigneu<strong>se</strong>s<br />

sa production atteint tout juste 90 tonnes <strong>en</strong> 1853.<br />

Il est significatif de constater que l'héritier d'une famille impor-<br />

tante a eu <strong>be</strong>soin de nombreux concours pour monter une unité de taille modeste.<br />

En cette période favorable, la croissance est rapide (.) et les bénéfices <strong>se</strong>r-<br />

v<strong>en</strong>t à rembour<strong>se</strong>r rapidem<strong>en</strong>t le prêt et à assurer l'autofinancem<strong>en</strong>t. En 1867,<br />

la production est de 4.000 tonnes. Dans les années suivantes, l'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

poursuit son expansion et devi<strong>en</strong>t le <strong>se</strong>cond peignage de cette région, juste<br />

après l'unité implantée à Croix par l'industriel et inv<strong>en</strong>teur britannique,<br />

(.) Ceci <strong>en</strong>traîne des déménagem<strong>en</strong>ts successifs à l'intérieur de Roubaix.<br />

Pour plus de précisions, cf. notre article sur le groupe Prouvost-Masurel.


Isaac Hold<strong>en</strong>.<br />

- 188 -<br />

La famille tourqu<strong>en</strong>noi<strong>se</strong> des Masurel ne s'intéres<strong>se</strong> à l'industrie<br />

proprem<strong>en</strong>t dite qu'à partir de 1851, <strong>en</strong> montant un atelier de retordage; elle<br />

<strong>se</strong> limite longtemps à ce <strong>se</strong>ul stade, puis, <strong>en</strong> 1884, réali<strong>se</strong> une intégration vers<br />

l'amont <strong>en</strong> <strong>se</strong> mettant à produire elle-même les fils qu'elle as<strong>se</strong>mblait dans sa<br />

retorderie.<br />

Ainsi qu'on le constate, la période p<strong>en</strong>dant laquelle les firmes les<br />

plus importantes id<strong>en</strong>tifiées vers 1950 pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur essor, s'ét<strong>en</strong>d schématique-<br />

m<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre 1850 et 1890. Dans quelques cas, la pha<strong>se</strong> de croissance principale<br />

<strong>se</strong> <strong>place</strong> vers 1880-1914, lorsque des familles puissantes peuv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core financer<br />

de nouvelles implantations (.) : le groupe Lepoutre, par exemple, ne <strong>se</strong> <strong>place</strong><br />

aux tout premiers rangs des firmes lainières qu'à partir des années 1900.<br />

Cep<strong>en</strong>dant toutes les firmes industrielles <strong>textiles</strong> de Roubaix-Tourcoing<br />

n'ont pas été fondées par des membres des vieilles familles bourgeoi<strong>se</strong>s.<br />

Des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs d'origine <strong>be</strong>aucoup plus modeste ont réussi à accéder à la<br />

fonction patronale, spécialem<strong>en</strong>t dans deux cas:<br />

1) ils exerc<strong>en</strong>t leurs tal<strong>en</strong>ts dans des branches qui <strong>se</strong> <strong>sont</strong> industrialisées<br />

l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t ou tardivem<strong>en</strong>t; la teinturerie <strong>en</strong> est peut-être le meilleur<br />

exemple, car la multiplicité de <strong>se</strong>s traitem<strong>en</strong>ts, restés souv<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z empiriques,<br />

lais<strong>se</strong> des chances de succès à l 'habile pratici<strong>en</strong> ( ..). L'industrie du<br />

tissage d'ameublem<strong>en</strong>t et du tapis offre des situations analogues. Il ne faut<br />

pas oublier d'ailleurs que ce grand c<strong>en</strong>tre, aux productions abondantes et variées,<br />

offre un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t favorable à l'épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de firmes moy<strong>en</strong>nes<br />

ou petites aux activités très spécialisées.<br />

(.) Parfois aussi, il s'agit de firmes de négoce qui abord<strong>en</strong>t très tardivem<strong>en</strong>t<br />

l'activité industrielle. Leur réussite dans le commerce de la laine leur a<br />

fourni les capitaux suffisants. C'est ainsi que le groupe Vandeputte devi<strong>en</strong>t<br />

filateur au l<strong>en</strong>demain de la Première Guerre Mondiale <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t.<br />

(..) <strong>Les</strong> établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts Derache-Constant ont été fondés au début du XXème siècle<br />

par un simple artisan installant quelques métiers dans une vieille ferme située<br />

à l'em<strong>place</strong>m<strong>en</strong>t de l'usine édifiée par la suite. En teinturerie un certain nom-<br />

bre de réussites de ce g<strong>en</strong>re fur<strong>en</strong>t l'oeuvre de Belges, les Browaeys, par exem-<br />

ple. Cf. à ce sujet la thè<strong>se</strong> de F. L<strong>en</strong>tacker.


li sation (.).<br />

- 189 -<br />

II) ils cré<strong>en</strong>t leurs usines au mom<strong>en</strong>t du démarrage de l'industria-<br />

Dans les années 1890-1900, la plupart des groupes <strong>textiles</strong> importants<br />

<strong>sont</strong> déjà pré<strong>se</strong>nts; les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s créées par la suite, <strong>se</strong>ront des émanations<br />

de familles ou de firmes déjà <strong>en</strong> <strong>place</strong>. Entre 1890 et 1914, la croissance de ce<br />

foyer industriel <strong>se</strong> poursuit mais à un rythme moins rapide. Dans la mesure où<br />

l'on peut l'évaluer (..), la conc<strong>en</strong>tration technique ne <strong>se</strong>mble pas progres<strong>se</strong>r<br />

dans les branches les plus mécanisées (peignage de la laine et filature). Elle<br />

<strong>se</strong> poursuit certainem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tissage où disparais<strong>se</strong>nt les derniers ateliers<br />

ruraux cont<strong>en</strong>ant des métiers manuels (... ). Une nette t<strong>en</strong>dance à l'intégration<br />

<strong>se</strong> manifeste et l'on voit apparaître des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s regroupant plusieurs<br />

opérations du cycle de transformation ou méme l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble de celui-ci.<br />

Dans le domaine de l'industrie lainière, Roubaix et Tourcoing affir-<br />

m<strong>en</strong>t leur suprématie car elles contrôl<strong>en</strong>t le négoce des matières premières.<br />

L'ouverture, <strong>en</strong> 1883, à Roubaix, du <strong>se</strong>ul marché à terme de laines peignées de<br />

France consacre cette préémin<strong>en</strong>ce. Cette fonction est dev<strong>en</strong>ue capitale car l'industrie<br />

lainière françai<strong>se</strong>, à partir des années 1880, doit faire v<strong>en</strong>ir les trois<br />

quarts de <strong>se</strong>s fibres de l'étranger. <strong>Les</strong> négociants de Roubaix-Tourcoing ont<br />

été les premiers à <strong>se</strong> procurer la laine directem<strong>en</strong>t dans les nouveaux pays<br />

producteurs (Arg<strong>en</strong>tine et Australie notamm<strong>en</strong>t). <strong>Les</strong> autres c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong><br />

français doiv<strong>en</strong>t, par conséqu<strong>en</strong>t, recourir de plus <strong>en</strong> plus à leurs <strong>se</strong>rvices<br />

(.) La société Hannart Frères, la plus importante unité de teinture <strong>en</strong> 1910,<br />

avait été créée, <strong>en</strong> 1819, par un simple artisan roubaisi<strong>en</strong>. Même dans le pei-<br />

gnage, où lion r<strong>en</strong>contre des usines de vastes dim<strong>en</strong>sions, dès les années 1900,<br />

certaines ont été fondées par des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs sans grande fortune personnelle<br />

on peut citer le peignage Malard créé par un ingénieur, et les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts<br />

Léon Binet (actuel Peignage de la Tossée) édifiés par un habile mécanici<strong>en</strong>.<br />

(..) Cf. H<strong>en</strong>nebicque, article cité. D'après l'auteur le pourc<strong>en</strong>tage des broches,<br />

<strong>en</strong> filature de laine peignée, situées à Roubaix-Tourcoing, dans des grandes usi-<br />

nes (plus de 20.000 broches) reste constant <strong>en</strong>tre 1896 et 1914.<br />

( ... ) J. Toulemonde estime que, pour la <strong>se</strong>ule ville de Roubaix, <strong>en</strong>tre 1894 et<br />

1914, 45 fabricants repré<strong>se</strong>ntant 9.862 métiers à tis<strong>se</strong>r ces<strong>se</strong>nt leurs activités.


- 190 -<br />

pour leur approvisionnem<strong>en</strong>t, surtout s'ils font des articles <strong>en</strong> laine peignée.<br />

Le cycle cardé peut utili<strong>se</strong>r plus facilem<strong>en</strong>t les laines de France. Cette situation<br />

est évidemm<strong>en</strong>t profitable aux firmes industrielles de Roubaix-Tourcoing<br />

qui <strong>sont</strong> proches géographiquem<strong>en</strong>t de ces maisons de négoce auxquelles les<br />

rattach<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t des li<strong>en</strong>s de par<strong>en</strong>té (.).<br />

A la veille de la Première Guerre Mondiale (..), l'agglomération de<br />

Roubaix-Tourcoing compr<strong>en</strong>d 16 peignages avec <strong>en</strong>viron 1.900 peigneu<strong>se</strong>s et 12<br />

à 13.000 ouvriers ; 60 % de ce matériel <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t à Roubaix. En filature de<br />

laine peignée, on dénombre 821.000 broches réparties <strong>en</strong> 87 unités occupant<br />

18.000 ouvriers. Le pot<strong>en</strong>tiel de production est comparable à celui de la ré-<br />

gion de Fourmies dont les broches, toutefois, <strong>sont</strong> plus anci<strong>en</strong>nes. La filature<br />

cardée compte cinq fois moins de broches et ne repré<strong>se</strong>nte qu'une faible<br />

part du matériel français (le quart, Alsace exclue) alors que la peignée re-<br />

pré<strong>se</strong>nte 40 % des broches nationales (... ). La filature de coton utili<strong>se</strong> plus<br />

d'un million de broches (1.156.000) et occupe 8.000 ouvriers. On voit que cette<br />

activité est loin d'avoir disparu de Roubaix-Tourcoing et, <strong>en</strong> même temps,<br />

qu'elle est <strong>be</strong>aucoup plus mécanisée que la filature de la laine qui emploie<br />

deux fois plus de main-d'oeuvre avec un nombre de broches inférieur. Dans<br />

ce domaine, ce foyer dispo<strong>se</strong> du sixième du pot<strong>en</strong>tiel frança is (Alsace exclue).<br />

En tissage, les données chiffrées <strong>sont</strong> plus incertaines. <strong>Les</strong> fabrica-<br />

tions et les types de métiers <strong>sont</strong> <strong>be</strong>aucoup plus variés qu'<strong>en</strong> filature. Le<br />

(.) Certains peignages <strong>sont</strong> associés directem<strong>en</strong>t à des maisons de négoce<br />

la famille Prouvost crée, par exemple, sa propre firme de négoce au début du<br />

vingtième siècle.<br />

(..) Sources es<strong>se</strong>ntielles: ouvrages cités de G. Sayet et R. Pierreu<strong>se</strong> et<br />

annuaire statistique régional de l'I.N.S.E.E., édition de 1951.<br />

(...) Au total, le Nord dispo<strong>se</strong> alors d'<strong>en</strong>viron 80 % des broches de filature<br />

peignée françai<strong>se</strong>, c'est-à-dire qu'il a déjà une <strong>place</strong> <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t comparable<br />

à celle qu'il occupera vers 1950. En peignage, sa part est du même ordre<br />

(le c<strong>en</strong>tre rémois n'a que 200 peigneu<strong>se</strong>s).


- 191 -<br />

tissage manuel a comp1étem<strong>en</strong>t disparu ou presque (.). On estime que, <strong>en</strong> 1914,<br />

une c<strong>en</strong>taine de tissages de laine pour habillem<strong>en</strong>t occupe près de 25.000<br />

personnes. <strong>Les</strong> deux tiers <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t à Roubaix. Vingt établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts possèd<strong>en</strong>t<br />

moins de 50 métiers, mais 12 <strong>en</strong> ont plus de 500 ; cette activité compr<strong>en</strong>d<br />

ainsi des unités de taille extrêmem<strong>en</strong>t variée. Il y a une quinzaine d'usines<br />

d'étoffes pour ameublem<strong>en</strong>t et <strong>en</strong>viron autant pour les tapis. Enfin on compte<br />

une quarantaine d'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts non-intégrés que l'on peut rattacher à l'in-<br />

dustrie de l'<strong>en</strong>noblis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t (blanchim<strong>en</strong>t, teinture et apprêts).<br />

Il est frappant d'ob<strong>se</strong>rver déjà l'exist<strong>en</strong>ce de quelques grandes<br />

firmes. Elles jou<strong>en</strong>t un rôle moteur; les plus petites doiv<strong>en</strong>t <strong>se</strong> moderni<strong>se</strong>r<br />

pour résister à leur concurr<strong>en</strong>ce ou dev<strong>en</strong>ir leurs façonnières (..).<br />

En peignage de laine, quatre <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s (Isaac Hold<strong>en</strong>, Amédée<br />

Prouvost, Peignage de la Tossée, Alfred Motte et Cie) ont plus de 1.000 sa-<br />

lariés. <strong>Les</strong> Filatures François Masurel compt<strong>en</strong>t 100.000 broches à filer et<br />

à retordre; la société Caul1iez-Delaoutre 75.000. <strong>Les</strong> filatures J. Desurmont<br />

et Charles Pollet ont chacune plus de 1.000 salariés. <strong>Les</strong> firmes <strong>sont</strong> plus<br />

petites <strong>en</strong> filature cardée: aucune n'atteint le millier d'ouvriers, <strong>se</strong>ule la<br />

maison Lemaire et Dillies <strong>se</strong> rapproche de ce <strong>se</strong>uil, grâce à une autre usine<br />

dans les Ard<strong>en</strong>nes.<br />

En tissage, certaines sociétés emploi<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup de salariés car<br />

elles <strong>sont</strong> intégrées et produi<strong>se</strong>nt leurs propres fils: Charles Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong>,<br />

Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> Frères, Leclercq-Dupire, Auguste et Louis Lepoutre, <strong>sont</strong> dans ce<br />

cas et dépas<strong>se</strong>nt les 2.000 personnes. Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ne <strong>se</strong> cantonn<strong>en</strong>t pas<br />

(.) R. Pierreu<strong>se</strong> signale <strong>en</strong>core 200 métiers manuels pour les étoffes d'ameuble-<br />

m<strong>en</strong>t à Roubaix. Dans ces fabrications les matériels <strong>sont</strong> plus complexes, les<br />

séries plus courtes i le travail avec des moy<strong>en</strong>s artisanaux siest maint<strong>en</strong>u plus<br />

longtemps.<br />

(..) L'ouvrage de G. Sayet est la source es<strong>se</strong>ntielle sur ce point: il a été<br />

rédigé à l'occasion d'une exposition internationale t<strong>en</strong>ue, <strong>en</strong> 1911, à Roubaix.<br />

Il pré<strong>se</strong>nte une notice descriptive as<strong>se</strong>z détaillée des différ<strong>en</strong>tes firmes par-<br />

ticipantes. Il est peu probable que des firmes importantes de Roubaix-Tourcoing<br />

<strong>se</strong> soi<strong>en</strong>t abst<strong>en</strong>ues de participer à une manifestation de ce g<strong>en</strong>re.


- 192 -<br />

dans les tissus pure laine, mais font des articles laine et soie, et cherch<strong>en</strong>t<br />

ainsi à concurr<strong>en</strong>cer, plus ou moins, les fabricants lyonnais.<br />

L'<strong>en</strong>noblis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t est dominé par la société Hannart Frères qui occupe<br />

2.400 salariés et possède deux usines, l'une à Roubaix, l'autre à Wasquehal;<br />

la Marque ne suffit plus à l'approvisionnem<strong>en</strong>t de ces établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> eau et<br />

on a recours à des forages. <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s Motte jou<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t un rôle de<br />

premier plan dans cette branche: Motte et Delesclu<strong>se</strong>, Motte et Meillassoux,<br />

Motte et Marquette emploi<strong>en</strong>t au total <strong>en</strong>viron 2.000 ouvriers (.).<br />

La bonneterie comm<strong>en</strong>ce à <strong>se</strong> développer de manière industrielle à<br />

Tourcoing et à Roubaix. Cette dernière ville compte neuf établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts appart<strong>en</strong>ant<br />

à cette branche <strong>en</strong> 1900. Il convi<strong>en</strong>t de remarquer le rôle joué par les<br />

grandes firmes lainières <strong>en</strong> ce domaine: la société André Lepoutre contrôle<br />

trois bonneteries <strong>en</strong> 1913. L'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> Jules Desurmont élabore aussi, à<br />

Tourcoing, des étoffes tricotées <strong>en</strong> quantités considérables.<br />

<strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de Roubaix-Tourcoing tout <strong>en</strong> investissant un peu<br />

dans la région de Fourmies s'intéres<strong>se</strong>nt surtout à l'étranger. Des implantations<br />

ont' eu lieu <strong>en</strong> Belgique, les principales <strong>sont</strong>: un peignage de laine<br />

Motte à Estaimpuis, une filature et un tissage de laine à Dottignies (Motte<br />

égalem<strong>en</strong>t). Un tissage de tapis Lorthiois à Mouscron. Ces créations de pro-<br />

ximité <strong>sont</strong> finalem<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z limitées et ne concern<strong>en</strong>t que la Belgique francophone.<br />

Des réalisations <strong>be</strong>aucoup plus considérables ont été effectuées <strong>en</strong><br />

(.) Bi<strong>en</strong> qu'elles soi<strong>en</strong>t juridiquem<strong>en</strong>t distinctes, l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s<br />

de la famille Motte de Roubaix doiv<strong>en</strong>t alors employer 6.000 salariés <strong>en</strong>viron<br />

et constituer le groupe le plus puissant de cette agglomération, sans même<br />

t<strong>en</strong>ir compte des implantations situées à l'étranger. L'originalité de cet <strong>en</strong>-<br />

<strong>se</strong>mble est de travailler à la fois le coton et la laine bi<strong>en</strong> qu'il <strong>se</strong> consacre<br />

surtout à cette dernière fibre. En outre, s'il est pré<strong>se</strong>nt à tous les stades de<br />

transformation, sa <strong>place</strong> est surtout notable au début et à la fin du cycle,<br />

c'est-à-dire <strong>en</strong> peignage et <strong>en</strong> teinture. Cette situation un peu curieu<strong>se</strong> signi-<br />

fie qu'il n'y a pas intégration technique. Peignage et unités qe teinture tra-<br />

vaill<strong>en</strong>t à façon, es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t pour des firmes extérieures au groupe.


- 193 -<br />

Europe c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale; cette aire géographique <strong>se</strong>mblant être celle<br />

qui a reçu le plus d'investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>textiles</strong> originaires de Roubaix-Tourcoing<br />

(.). En 1913, dans la Pologne sous contrôle rus<strong>se</strong>, on dénombre, à Lodz, un<br />

peignage-filature de laine (Motte et Desurmont) et une filature de laine peignée<br />

(Société Allart et Rous<strong>se</strong>au) ; à proximité de cette ville on r<strong>en</strong>contre<br />

un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t Motte et Meillassoux de filature-tissage-teinture de coton;<br />

à Czestochowa, une usine intégrée de laine, peignage, filature, tissage et<br />

teinture (Motte et Meillassoux et Caulliez-Delaoutre). La famille Motte contrôle<br />

<strong>en</strong> outre une filature de laine à Lublinic, <strong>en</strong> Haute-Silésie; <strong>en</strong> Russie, les<br />

Motte ont une filature et un tissage de jute à Odessa et, dans la région de<br />

Moscou, un tissage de laine intégré (<strong>en</strong> association avec Desurmont et Meillassoux),<br />

une teinturerie et une filature de coton. A Aix-la-Chapelle, la société<br />

André et Louis Lepoutre d un tissage de 300 salariés. <strong>Les</strong> établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts<br />

Charles Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> possèd<strong>en</strong>t une filiale industrielle <strong>en</strong> Hongrie; la société<br />

Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> Frères une grande usine intégrée de filature-tissage de laine à<br />

Vérone.<br />

Des implantations plus lointaines ont été effectuées: des Lepautre<br />

ont créé un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Arg<strong>en</strong>tine et des usines appart<strong>en</strong>ant égalem<strong>en</strong>t à<br />

l'industrie lainière ont été implantées aux U.S.A., dans le Rhode-Island, par<br />

des Masurel, des Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> et des Lepautre, à la suite notamm<strong>en</strong>t des relèvem<strong>en</strong>ts<br />

de droits de douane effectués par le présid<strong>en</strong>t Mac Kinley <strong>en</strong> 1890.<br />

La motivation es<strong>se</strong>ntielle de ces investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts est le désir de<br />

v<strong>en</strong>dre sur des marchés prct.éqés . <strong>Les</strong> firmes responsables témoign<strong>en</strong>t de leur vo-<br />

lonté de mieux résister aux variations conjoncturelles, <strong>en</strong> multipliant les lieux<br />

de v<strong>en</strong>te. C'est un comportem<strong>en</strong>t logique qui prouve leur puissance: elles ne <strong>se</strong><br />

cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t pas de subir passivem<strong>en</strong>t l'élévation des tarifs douaniers. Toutes<br />

(.) En plus des ouvrages m<strong>en</strong>tionnés ci-dessus, cf. sur ce point l'étude citée<br />

de P. Catrice et de J. et F. Meillassoux.


- 194 -<br />

ces implantations <strong>sont</strong> le fait du groupe Motte ou de familles ou d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s<br />

lainières, ce qui confirme que ce <strong>sont</strong> bi<strong>en</strong> ces milieux qui domin<strong>en</strong>t le monde<br />

économique de Roubaix-Tourcoing. Il est remarquable que ces créations extérieures<br />

<strong>se</strong> font souv<strong>en</strong>t grâce à l'association de plusieurs firmes de Roubaix-Tourcoing,<br />

ou tout au moins qu'elles <strong>se</strong> regroup<strong>en</strong>t dans les mêmes c<strong>en</strong>tres étrangers.<br />

Dans ce domaine-là, égalem<strong>en</strong>t, les familles de la bourgeoisie textile de<br />

Roubaix-Tourcoing font preuve de leur solidarité habituelle.<br />

En 1914, Roubaix et Tourcoing form<strong>en</strong>t incontestablem<strong>en</strong>t le c<strong>en</strong>tre<br />

textile le plus puissant du Nord, celui dont le rayonnem<strong>en</strong>t est le plus consi-<br />

dérable. Tout ceci s'est produit <strong>en</strong> dehors de l'interv<strong>en</strong>tion lilloi<strong>se</strong>. Ces<br />

villes constituai<strong>en</strong>t deux foyers indép<strong>en</strong>dants de Lille ; elles le <strong>sont</strong> restées<br />

et ont acquis dans le textile une importance ~i<strong>en</strong> plus grande que le chef-lieu<br />

du Nord. Leur essor industriel a provoqué une vive croissance démographique.<br />

plus vive que celle de Lille même: <strong>en</strong> 1801, la population de Roubaix et de<br />

Tourcoing réunies repré<strong>se</strong>nte le tiers de celle du chef-lieu, <strong>en</strong> 1911, 94 %.<br />

Cette évolution a contribué à compliquer la structure du re<strong>se</strong>au urbain de<br />

l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t: Roubaix, métropole lainière de rayonnem<strong>en</strong>t mondial, est un<br />

simple chef-lieu de canton.<br />

Lors de la Première Guerre Mondiale, les Allemands mett<strong>en</strong>t hors d'état<br />

de fonctionner le matériel de production qu'ils démont<strong>en</strong>t et dont ils récupèr<strong>en</strong>t<br />

les métaux. La reconstitution de l'outil de travail <strong>se</strong> fait sans modification<br />

des structures professionnelles.<br />

Entre les deux guerres, on n'ob<strong>se</strong>rve pas de modifications profondes<br />

mais une continuation des t<strong>en</strong>dances précéd<strong>en</strong>tes: réduction du nombre des producteurs<br />

<strong>en</strong> tissage habillem<strong>en</strong>t, 13 <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s disparais<strong>se</strong>nt au cours de cet-<br />

te période; <strong>en</strong> 1938, il subsiste 75 unités avec 25.000 métiers, c'est-à-dire<br />

un nombre de matériels comparable à celui de 1913 (cf. J. Toulemonde). <strong>Les</strong> autres<br />

branches du tissage ne connais<strong>se</strong>nt pas d'évolution <strong>se</strong>nsible du nombre des firmes.


- 195 -<br />

En filature, le nombre de broches ne varie guère pour le coton mais<br />

s'accroît <strong>en</strong> laine peignée où il dépas<strong>se</strong>, <strong>en</strong> 1938, le million d'unités. Il est<br />

alors nettem<strong>en</strong>t supérieur à celui de la région de Fourmies où, de plus, le<br />

matériel est un peu moins moderne, mais le déclin relatif de celle-ci n'est<br />

pas un fait nouveau: c'est une évolution qui <strong>se</strong> poursuit depuis 1890 (cf. ci-<br />

dessous).<br />

La grande cri<strong>se</strong> des années 1930 n'épargne pas Roubaix-Tourcoing: la<br />

production des filés de coton, <strong>en</strong> 1932, année la plus médiocre, repré<strong>se</strong>nte 60 %<br />

de celle de 1929 ; <strong>en</strong> 1938, le tonnage produit repré<strong>se</strong>nte plus de 80 % de celui<br />

d'avant la cri<strong>se</strong>. Si l'on <strong>en</strong> juge par le poids des matières traitées dans les<br />

établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de conditionnem<strong>en</strong>t (.), la production de laines peignées diminue<br />

de près de 50 % au cours de la cri<strong>se</strong> et ne <strong>se</strong> rétablit pas par la suite; le<br />

peignage est moins affecté: la réduction est <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t d'un tiers car cette<br />

activité est peu répandue à l'étranger et des exportations <strong>se</strong> poursuiv<strong>en</strong>t vers<br />

les pays où les peignages ne suffi<strong>se</strong>nt pas à couvrir les <strong>be</strong>soins nationaux.<br />

La bonneterie connaît un essor incontestable: elle compte une cin-<br />

quantaine d'unités à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Ce développerr<strong>en</strong>t<br />

concerne surtout les articles chaussants, la chaus<strong>se</strong>tte d'hommes <strong>en</strong> particulier.<br />

Le mouvem<strong>en</strong>t frontalier s'est poursuivi et amplifié jusqu'à la Cri<strong>se</strong><br />

car le progrès des moy<strong>en</strong>s de transport permettait de recruter des travailleurs<br />

résidant de plus <strong>en</strong> plus loin de Roubaix-Tourcoing. Leur effectif s'éleva à<br />

plusieurs dizaines de milliers <strong>en</strong> 1930 (..). Il diminue très <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t<br />

avec les difficultés économiques. <strong>Les</strong> dévaluations du franc français, à partir<br />

(.) <strong>Les</strong> données chiffrées de ce paragraphe <strong>sont</strong> empruntées à l'annuaire sta-<br />

tistique régional de l'I.N.S.E.E. de 1951 qui conti<strong>en</strong>t une partie rétrospective<br />

importante.<br />

(..) Cf. les thè<strong>se</strong>s de F. L<strong>en</strong>tacker et de G. Vand<strong>en</strong>broucke.


- 196 -<br />

de 1936, acc<strong>en</strong>tuèr<strong>en</strong>t ce déclin, car elles pénalisai<strong>en</strong>t les ouvriers vivant <strong>en</strong><br />

Belgique.<br />

Au cours de cette période, des groupes familiaux déjà puissants r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t<br />

leurs positions. <strong>Les</strong> Lorthiois, par exemple, construi<strong>se</strong>nt deux usines<br />

de tapis, l'une à Tourcoing et l'autre à Halluin, tout <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant le contrôle<br />

d'une filature de coton à Roubaix. <strong>Les</strong> familles Toulemonde et Mulliez cré<strong>en</strong>t<br />

les filatures de Saint-Lièvin à Wattrelos qui devi<strong>en</strong>dront importantes, surtout<br />

après 1945. En liaison plus ou moins étroite avec la cri<strong>se</strong>, deux vieilles fi-<br />

latures de laine peignée comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à organi<strong>se</strong>r de manière systématique la<br />

v<strong>en</strong>te par correspondance de leurs articles, ce <strong>sont</strong> "les Trois Suis<strong>se</strong>s" et<br />

"la Redoute". Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core de taille modeste, quelques c<strong>en</strong>taines<br />

de salariés <strong>en</strong> 1938, mais les dirigeants qui les conduiront, par la suite, au<br />

succès <strong>sont</strong> déjà <strong>en</strong> <strong>place</strong>.<br />

Le rayonnem<strong>en</strong>t du c<strong>en</strong>tre de Roubaix-Tourcoing continue de s'ét<strong>en</strong>dre<br />

par l'implantation d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s à l'étranger, particulièrem<strong>en</strong>t après 1930,<br />

lorsque tous les marchés d'exportation <strong>se</strong> héris<strong>se</strong>nt de barrières douanières (.).<br />

La famille Leclercq-Dupire crée une grande unité, filature, tissage et teinture<br />

de la laine, à Ypres, <strong>en</strong> Belgique. L'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> Paul et Jean Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong>, issue<br />

d'une scission interv<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> 1921 au <strong>se</strong>in des Etablis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts Charles Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong>,<br />

(.) Des pri<strong>se</strong>s de participation <strong>se</strong> produi<strong>se</strong>nt égalem<strong>en</strong>t dans d1autres régions<br />

<strong>textiles</strong> françai<strong>se</strong>s. Toutes n'ont pas été détectées. <strong>Les</strong> faits cités ici pro-<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'<strong>en</strong>quêtes directes m<strong>en</strong>ées auprès d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ou d'anci<strong>en</strong>s respon-<br />

sables économiques. Quelques firmes de Roubaix-Tourcoing pas<strong>se</strong>nt sous contrôle<br />

extérieur, deux usines de tapis, par exemple, <strong>sont</strong> repri<strong>se</strong>s par la puissante<br />

société de Beauvais, la M.F.T.C .. Ces cas <strong>sont</strong> rares. <strong>Les</strong> groupes prépondérants<br />

au début du siècle, t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à accroître leur importance mais les rapports de<br />

force respectifs <strong>en</strong>tre les uns et les autres évolu<strong>en</strong>t suivant les tal<strong>en</strong>ts de<br />

leurs dirigeants. <strong>Les</strong> créations de filiales ou les pri<strong>se</strong>s de participation <strong>sont</strong><br />

la plupart du temps de simples opérations financières, c'est-à-dire qu'il n'y<br />

a pas spécialisation des unités et échanges de produits <strong>en</strong>tre elles. De ce point<br />

de vue, on n'assiste pas à une véritable restructuration industrielle.


- 197 -<br />

implante, après 1930, des unités de tissage d'habillem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Belgique, aux<br />

Pays-Bas et <strong>en</strong> Grande-Bretagne. La société Motte-Dewavrin,branche de la famille<br />

Motte demeurée à Tourcoing, intalle à Roschdale, <strong>en</strong> Angleterre, une filature<br />

et un peignage.<br />

L'un des faits les plus marquants, au cours de cette période, est<br />

l'asc<strong>en</strong>sion du groupe Prouvost. Après 1918, le peignage Hold<strong>en</strong> disparaît;<br />

celui de la famille Prouvost acquiert alors la première <strong>place</strong> <strong>en</strong> France. Plusieurs<br />

jeunes dirigeants, repré<strong>se</strong>ntant la troisième génération d'industriels,<br />

avai<strong>en</strong>t fondé, <strong>en</strong> 1912, une filature de laine (.). Cette unité pr<strong>en</strong>d son essor<br />

à partir de 1926, avec le lancem<strong>en</strong>t d'un fil à tricoter v<strong>en</strong>du sous sa propre<br />

marque, le "Pingouin", et distribué <strong>en</strong> partie par des détaillants qui lui<br />

étai<strong>en</strong>t liés par des contrats d'exclusivité. En 1938, la société assure 8,1 %<br />

de la production françai<strong>se</strong> de laine peignée et occupe la première <strong>place</strong> dans<br />

cette spécialité. P<strong>en</strong>dant ces mêmes déc<strong>en</strong>nies, le groupe avait pris le contrôle<br />

d'une filature de laine <strong>en</strong> Tchécoslovaquie et créé un peignage aux U.S.A.,<br />

dans le Rhode Island, à proximité des autres usines montées par les g<strong>en</strong>s de<br />

Roubaix-Tourcoing, mais la si<strong>en</strong>ne <strong>se</strong>ra la <strong>se</strong>ule à survivre à la cri<strong>se</strong> de 1929.<br />

En 1939, le groupe Prouvost est l'un des plus dynamiques, et il est fortem<strong>en</strong>t<br />

intégré sur le plan industriel.<br />

La Seconde Guerre Mondiale ne provoque pas de destructions notables ( ..)<br />

(.) <strong>Les</strong> trois instigateurs de cette création avai<strong>en</strong>t alors moins de 30 ans et<br />

aspirai<strong>en</strong>t accéd:r ainsi plus rapidem<strong>en</strong>t à de véritables postes de responsabi-<br />

lité. Il Y avait là poursuite de la tradition <strong>se</strong>lon laquelle le fils de famille<br />

digne de ce nom doit prouver sa valeur <strong>en</strong> développant sa propre affaire. C'était<br />

aussi une évolution logique qui complétait l'intégration du groupe. Le peignage<br />

fournit des cadres à la nouvelle usine mais une partie des capitaux fut empruntée<br />

à l'extérieur de la famille (cf. notre étude de ce groupe citée <strong>en</strong> bibliographie).<br />

(..) <strong>Les</strong> filiales situées dans les pays d'Europe Ori<strong>en</strong>tale <strong>sont</strong> évidemm<strong>en</strong>t na-<br />

tionalisées après 1945, comme l'avai<strong>en</strong>t été celles situées <strong>en</strong> Russie après 1918.<br />

De nouveaux investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> effectués à l'étranger <strong>en</strong>tre 1945 et 1954,<br />

principalem<strong>en</strong>t sur le contin<strong>en</strong>t américain (Colombie, Brésil et U.S.A.) et <strong>en</strong><br />

AfriQue du Sud. Ils <strong>sont</strong> surtout le fait du groupe Prouvost (cf. châpitre précé-<br />

d<strong>en</strong>t la liste des implantations étrangères des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de Roubaix-Tourcoing).


- 198 -<br />

La période de l'après-guerre est marquée par une vigoureu<strong>se</strong> demande intérieure<br />

qui permet le mainti<strong>en</strong> <strong>en</strong> activité de presque toutes les firmes existantes. Il<br />

faudra att<strong>en</strong>dre les années 1950 pour que s'amorce une remi<strong>se</strong> <strong>en</strong> cau<strong>se</strong> profonde<br />

qui <strong>se</strong>ra évoquée dans les chapîtres ultérieurs.<br />

L'industrie textile a trouvé à Roubaix-Tourcoing un milieu particulièrem<strong>en</strong>t<br />

propice à son épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t. Ce qui frappe le géographe, c'est l'accu-<br />

mulation, sur le territoire même de ces communes, de la quasi-totalité des usines<br />

de ce complexe: la répartition spatiale est exactem<strong>en</strong>t à l'opposée de celle de<br />

la région lyonnai<strong>se</strong>. Cela est dû aux conditions particulières de l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t<br />

géographique: la frontière <strong>be</strong>lge empêchait une dissémination aisée des<br />

usines au Nord, à l'Ouest et à l'Est. Au Sud, l'agglomération lilloi<strong>se</strong> interdisait<br />

égalem<strong>en</strong>t toute implantation. Des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de production aurai<strong>en</strong>t<br />

pu être créés ailleurs, <strong>en</strong> Flandre Intérieure, par exemple; mais il aurait<br />

fallu s'installer à 30 ou 40 kilomètres, au delà de la zone d'influ<strong>en</strong>ce de la<br />

Vallée de la Lys, dans des régions souv<strong>en</strong>t mal des<strong>se</strong>rvies <strong>en</strong> voies de communication<br />

avec Roubaix-Tourcoing. Il était <strong>be</strong>aucoup plus commode de rester sur<br />

<strong>place</strong> et de profiter du ré<strong>se</strong>rvoir de main-d'oeuvre <strong>be</strong>lge (,).<br />

Si le textile est dev<strong>en</strong>u l'activité es<strong>se</strong>ntielle d'une agglomération<br />

de plus de 300.000 habitants, <strong>en</strong> 1954, c'est aussi <strong>en</strong> raison du faible développem<strong>en</strong>t<br />

des autres branches de l'économie: Lille groupe toutes les fonctions<br />

administratives et militaires ainsi que l'<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>t supérieur. Le rayonne-<br />

(.) L'attraction de la frontière <strong>se</strong> marque, à l'intérieur même de l'aggloméra-<br />

tion : <strong>en</strong> dépit de l'imbrication des espaces urbanisés et des usines, on cons-<br />

tate une plus grande importance des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts industriels dans les parties<br />

les plus proches de la Belgique: le Nord de Roubaix et Wattrelos, par exemple,<br />

conc<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup d'unités importantes (Peignage Motte, Prouvost, Filatures<br />

Prouvost ...) construite après 1880, c'est-à-dire lorsque débute le mouvem<strong>en</strong>t<br />

frontalier.


- 199 -<br />

m<strong>en</strong>t commercial de Roubaix-Tourcoing est égalem<strong>en</strong>t très limité. Lille exerce<br />

son attraction sur la population de cette agglomération et fait écran <strong>en</strong>tre<br />

cette dernière et le reste de la France. De l'autre côté de la frontière,<br />

Ypres, Courtrai, Tournai constitu<strong>en</strong>t des c<strong>en</strong>tres anci<strong>en</strong>s bi<strong>en</strong> équipés et leur<br />

aire d'influ<strong>en</strong>ce est <strong>be</strong>aucoup plus considérable que ne le lais<strong>se</strong>rait suppo<strong>se</strong>r<br />

le chiffre de leur population (.).<br />

Dans le domaine industriel, les investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts extérieurs à la région<br />

étai<strong>en</strong>t naturellem<strong>en</strong>t plus attirés par Lille que par Roubaix-Tourcoing.<br />

Or, les <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs de ces deux villes <strong>se</strong> tournai<strong>en</strong>t presque tous vers le<br />

textile, car les succès initiaux r<strong>en</strong>contrés dans ce domaine incitai<strong>en</strong>t les<br />

autres à faire de même. Le textile est, on l'a vu, peu susceptible d'attirer<br />

d'autres activités. De plus, le patronat local ne souhaitait pas tellem<strong>en</strong>t<br />

voir <strong>se</strong> développer des branches qui aurai<strong>en</strong>t offert des salaires plus élevés.<br />

La crainte d'une raréfaction de la main-d'oeuvre était constamm<strong>en</strong>t pré<strong>se</strong>nte<br />

dans les milieux dirigeants.<br />

C'est un <strong>en</strong><strong>se</strong>mble complexe de facteurs qui explique le rôle écrasant<br />

du textile dans cette agglomération. Leur caractère <strong>en</strong> bonne partie accid<strong>en</strong>-<br />

tel ne fut pas souv<strong>en</strong>t perçu ; la conc<strong>en</strong>tration géographique frappait par son<br />

aspect exceptionnel, <strong>be</strong>aucoup <strong>en</strong> ont conclu, plus ou moins confusèm<strong>en</strong>t, que<br />

cela découlait de qualités particulières, mal définies mais inimitables, propres<br />

à cette agglomération. Celle-ci, <strong>en</strong> quelque sorte, aurait été prédestinée à <strong>se</strong><br />

consacrer au textile. Ce mythe dev<strong>en</strong>ait à son tour un facteur psychologique<br />

favorisant le mainti<strong>en</strong> sur <strong>place</strong> du textile.<br />

(.) De plus, p<strong>en</strong>dant très longtemps, pour des raisons de change <strong>en</strong> particulier,<br />

les Frontaliers effectuai<strong>en</strong>t tous leurs achats <strong>en</strong> Belgique, si bi<strong>en</strong> que le<br />

commerce de Roubaix et de Tourcoing ne bénéficiai<strong>en</strong>t même pas de la totalité<br />

des salaires distribués par l'industrie de ces deux villes.


- 200 -<br />

Au dix-huitième siècle, Lille est un c<strong>en</strong>tre textile au passé glorieux,<br />

dont les activités <strong>sont</strong> variées et la plupart du temps <strong>en</strong> déclin. La célébrité<br />

de la ville avait reposé sur la production d'étoffes de laine. Celle-ci diminue<br />

d'abord devant la concurr<strong>en</strong>ce de foyers plus dynamiques comme Roubaix ( ..).<br />

Par la suite, le développem<strong>en</strong>t du coton <strong>en</strong>traîne la quasi-disparition de la<br />

laine, avant méme le début véritable de la Révolution Industrielle. Dieudonné<br />

estime que, <strong>en</strong> 1789, 120 métiers à tis<strong>se</strong>r <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t utilisai<strong>en</strong>t cette fibre<br />

<strong>en</strong> 1801, il n'<strong>en</strong> dénombrait plus que 35 ; subsistai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> outre, quelques<br />

fabricants de couvertures (9 <strong>en</strong> 1801).<br />

Le coton apparaît dans le courant du dix-huitième siècle. Sa filature<br />

<strong>se</strong> faisait d'abord dans les campagnes à l'aide de rouets. Vers 1770-1780, la<br />

"j<strong>en</strong>ny", matériel peu coûteux <strong>se</strong> substitue à lui et reste diffusêedans les villages.<br />

Dieudonné signale que, <strong>en</strong> 1801, "A pré<strong>se</strong>nt presque tout <strong>se</strong> file à la<br />

mécanique" .<br />

En filature, le travail <strong>en</strong> atelier <strong>se</strong> manifeste timidem<strong>en</strong>t à cette<br />

époque. Le Préfet du Nord considère qu'une <strong>se</strong>ule véritable manufacture existe<br />

<strong>en</strong> 1801, celle de Lefebvre-Bourghelle, à Seclin: elle compte 90 ouvriers,<br />

occupe un anci<strong>en</strong> bâtim<strong>en</strong>t religieux et n'utili<strong>se</strong> pas la vapeur. C'est par conséqu<strong>en</strong>t<br />

un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core bi<strong>en</strong> modeste. Un cinquième des fils de coton<br />

est v<strong>en</strong>du <strong>en</strong> dehors du départem<strong>en</strong>t, le reste <strong>se</strong>rt à produire des étoffes mixtes<br />

(chaine lin, trame coton), par exemple des toiles à carreaux. Dieudonné estime<br />

que, au début de l'Empire, 100 métiers <strong>se</strong> consacr<strong>en</strong>t à cette activité, soit la<br />

moitié de ceux qu'il dénombre dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t.<br />

(.) <strong>Les</strong> sources es<strong>se</strong>ntielles <strong>sont</strong> les thè<strong>se</strong>s de Cl. Fohl<strong>en</strong>, J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte<br />

et P. Pierrard i lorsqu'il est fait référ<strong>en</strong>ce à ces ouvrages, les noms des au-<br />

teurs <strong>sont</strong> simplem<strong>en</strong>t cités.<br />

(..) P. Maurer montre dans son diplôme, précédemm<strong>en</strong>t évoqué, que, à partir de<br />

la déc<strong>en</strong>nie 1750-1760, la production de pièces de tissus <strong>en</strong> laine de la <strong>place</strong><br />

de Lille est inférieure à celle de Roubaix.


- 201 -<br />

Lille dispo<strong>se</strong> de trois des quatre manufactures d'impression de<br />

toiles de coton <strong>en</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t dans le départem<strong>en</strong>t du Nord, <strong>en</strong> 1801. Le<br />

coton n'est pas, à cette époque, la branche principale du textile lillois<br />

mais c'est cette ville qui, à l'intérieur de son arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t, est la<br />

première à s'y lancer; elle forme un c<strong>en</strong>tre complet et autonome. P<strong>en</strong>dant<br />

tout l'Empire, le développem<strong>en</strong>t de cette activité est l<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> partie à<br />

cau<strong>se</strong> de la concurr<strong>en</strong>ce <strong>be</strong>lge dont Dieudonné soulignait déjà la vigueur,<br />

dans sa description du départem<strong>en</strong>t.<br />

La fibre qui, au début du dix-neuvième siècle, occupe le plus de<br />

travailleurs est le lin: il est filé dans les campagnes. Lille <strong>en</strong> tis<strong>se</strong> pour<br />

produire des étoffes as<strong>se</strong>z grossières, du g<strong>en</strong>re notamm<strong>en</strong>t toile à matelas.<br />

La ville compte 320 métiers de ce type, <strong>en</strong> 1801. La spécialité véritable du<br />

chef-lieu du Nord est la filterie : les filés <strong>sont</strong> as<strong>se</strong>mblés dans de petits<br />

ateliers de retordage artisanaux ayant, à l'époque de Dieudonné, cinq ouvriers<br />

<strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne et produisant cinq kilos de fils par jour. C'est une activité an-<br />

ci<strong>en</strong>ne à Lille. <strong>Les</strong> fils conditionnés <strong>sont</strong> <strong>en</strong> grande partie v<strong>en</strong>dus et utilisés<br />

sur <strong>place</strong> car cette ville est dev<strong>en</strong>ue, dans la <strong>se</strong>conde moitié du dix-huitième<br />

siècle, un grand c<strong>en</strong>tre de d<strong>en</strong>telles à la main, surclassant <strong>en</strong> particulier<br />

Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes, où s'élabor<strong>en</strong>t des produits plus fins. Plus de 10.000 d<strong>en</strong>tel-<br />

lières viv<strong>en</strong>t à Lille, <strong>en</strong> 1801.<br />

Le textile lillois, dans son <strong>en</strong><strong>se</strong>mble, reste caractérisé, jusqu'<strong>en</strong><br />

1815 au moins, par des structures de production très artisanales; il n'est<br />

pas ori<strong>en</strong>té es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t vers la mode comme Roubaix, ou vers la très haute<br />

qualité comme le Cambrésis. Toutes ces branches, à l'exception du coton, <strong>sont</strong>,<br />

ainsi que le montre les évaluations de Dieudonné, plus ou moins <strong>en</strong> déclin ou<br />

stagnantes.<br />

Le travail textile traditionnel n'a pas <strong>en</strong>traîné la formation d'une<br />

clas<strong>se</strong> de négociants ou de fabricants puissants: les réglem<strong>en</strong>ts malthusi<strong>en</strong>s<br />

des corporations, les rivalités qui éclatai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre elles ont empêché le dé-


- 202 -<br />

ve10ppem<strong>en</strong>t d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de grande ampleur (.). Le lin est acquis sur <strong>place</strong>;<br />

le coton est <strong>en</strong>core acheté <strong>en</strong> petites quantités et ne donne pas lieu à <strong>be</strong>aucoup<br />

d'opérations de négoce à Lille même. C'est une situation différ<strong>en</strong>te de celle de<br />

la laine qui avait provoqué à Roubaix-Tourcoing, on l'a vu, l'exist<strong>en</strong>ce d'un<br />

véritable commerce international. <strong>Les</strong> produits finis lillois, <strong>en</strong> raison de leur<br />

médiocre qualité ne <strong>se</strong> diffu<strong>se</strong>nt pas très loin. En 1815, il n'y a pas à Lille<br />

de firmes possédant la puissance financière d'un Do11fus-Mieg à Mulhou<strong>se</strong> (cf.<br />

Cl. Foh1<strong>en</strong>) ni non plus de groupe homogène et solidaire de négociants-transformateurs,<br />

comme à Roubaix-Tourcoing.<br />

L'industrialisation du textile <strong>se</strong> manifeste d'abord par le dévelop-<br />

pem<strong>en</strong>t de la filature de coton. De très nombreu<strong>se</strong>s <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s <strong>se</strong> <strong>sont</strong> créées<br />

et ont disparu par la suite. Celles qui ont subsisté ont généralem<strong>en</strong>t pris<br />

naissance très tôt, <strong>en</strong>tre 1815 et 1848, et connu une croissance progressive.<br />

Elles n'atteign<strong>en</strong>t une puissance véritable qu'à partir du Second Empire, alors<br />

qu'<strong>en</strong> Alsace le processus avait été plus précoce.<br />

L'usage de la machine à vapeur est relativem<strong>en</strong>t tardif: <strong>en</strong> 1818,<br />

Auguste Mille est le premier à <strong>en</strong> introduire une à Lille. En 1832, (cf. Lam<strong>be</strong>rt-<br />

Dan<strong>se</strong>tte) sur 50 établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de filature de coton 1i110ls, la moitié <strong>se</strong>ule-<br />

m<strong>en</strong>t disposait d'installations de ce g<strong>en</strong>re. L'usine moy<strong>en</strong>ne n'a que 3.600 broches<br />

mais certaines dépas<strong>se</strong>nt les 10.000. <strong>Les</strong> différ<strong>en</strong>tes cri<strong>se</strong>s économiques qui ponctu<strong>en</strong>t<br />

les déc<strong>en</strong>nies suivantes <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t la disparition de la plupart des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s<br />

créées dans le premier tiers du siècle.<br />

La conc<strong>en</strong>tration technique progres<strong>se</strong> inexorablem<strong>en</strong>t :le nombre.moy<strong>en</strong> de<br />

broches par filature double <strong>en</strong>tre 1832 et 1849, puis <strong>en</strong>tre cette année et 1869.<br />

Il est alors de 16.000 <strong>en</strong>viron, et atteindra 30.000 <strong>en</strong> 1900 (..). A cette date,<br />

(.) En 1776, un Lillois, Cuvelier-Brame, avait été autorisé à créer une manufac-<br />

ture royale de tissus de soie. Ce privilège permettait de dépas<strong>se</strong>r la taille<br />

autorisée par les réglem<strong>en</strong>ts corporatifs. La famille resta dans le textile au<br />

dix-neuvième siècle, mais l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> ne connut pas de développem<strong>en</strong>t à l'épo-<br />

que industrielle et disparut.<br />

(..) La progression de la conc<strong>en</strong>tration est <strong>en</strong>core plus forte que ne le font<br />

apparaître ces chiffres, car la capacité de production d'une broche <strong>en</strong> 1900 est<br />

bi<strong>en</strong> supérieure à ce qu'elle était <strong>en</strong> 1832.


- 203 -<br />

subsist<strong>en</strong>t 20 filatures de coton dans l'agglomération lilloi<strong>se</strong>; une dizaine<br />

d'<strong>en</strong>tre elles, généralem<strong>en</strong>t les plus grandes, existai<strong>en</strong>t déjà <strong>en</strong> 1833. Elles<br />

dominai<strong>en</strong>t ce foyer depuis 1870 et <strong>se</strong>ront <strong>en</strong>core pré<strong>se</strong>ntes <strong>en</strong> 1954. <strong>Les</strong> études<br />

préci<strong>se</strong>s faites dans cette branches montr<strong>en</strong>t clairem<strong>en</strong>t que si le textile a<br />

permis des réussites éclatantes, le métier d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur y fut néanmoins très<br />

aléatoire, jusque vers 1870.<br />

La famille Le Blan (.) <strong>se</strong> lance dans l'industrie vers 1816-1817. Ori-<br />

ginaire de Solre-le-Château, dans l'Avesnois, elle <strong>se</strong> livrait au négoce des<br />

toiles à la fin du dix-huitième siècle. La fortune de Juli<strong>en</strong>, lorsqu'il monte<br />

sa première usine, est certainem<strong>en</strong>t modeste, car il doit s'associer successi-<br />

vem<strong>en</strong>t avec plusieurs bailleurs de fonds, dont l'un est directeur de la monnaie<br />

à Lille. Il <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>te au début de travailler à façon. En 1832, il ne produit<br />

que 50 tonnes de filés par an et essaie de faire un peu de négoce de tissus. <strong>Les</strong><br />

années bénéficiaires succèd<strong>en</strong>t à des périodes de difficultés graves.<br />

En 1836, lassé de ne pas connaître une véritable réussite dans le<br />

coton, Juli<strong>en</strong> Le Blan t<strong>en</strong>te une opération de grande ampleur dans le lin: il<br />

investit sa fortune et emprunte pour édifier une usine de 6.000 broches accom-<br />

pagnée d'un tissage de 100 métiers, exemple rare d'intégration à cette époque.<br />

L'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t est construit à quelques kilomètres de Lille, à Pér<strong>en</strong>chies.<br />

Par sa conception et son mode de financem<strong>en</strong>t, cette unité est <strong>en</strong> avance sur les<br />

autres firmes existant à cette époque.<br />

La cri<strong>se</strong> qui culmine, <strong>en</strong> 1848, provoque la faillite de l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong><br />

Le Blan, rachetée par Droulers et Agache (cf. ci-dessous). Après cette épreuve,<br />

Juli<strong>en</strong> doit att<strong>en</strong>dre 1855 pour monter, à Lille, une nouvelle filature de lin<br />

<strong>be</strong>aucoup plus modeste puisqu'elle ne comporte que 1.300 broches. La conjoncture<br />

plus favorable permet des bénéfices plus réguliers qui <strong>sont</strong> utilisés pour édi-<br />

fier une filature de coton de 20.000 broches dans les dernières années du Second<br />

(.) Ces diver<strong>se</strong>s monographies provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t des indications col-<br />

lectées dans la thè<strong>se</strong> de J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte, qui a procédé à des <strong>en</strong>quêtes<br />

directes auprès des firmes et des familles intéressées.


- 204 -<br />

Empire. La famille dès lors accède à la puissance financière. En 1888, une<br />

scission familiale <strong>se</strong> produit. F. Codacionni signale, dans sa thè<strong>se</strong>, que, <strong>en</strong><br />

1911, l'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t Le Blan est l'une des deux <strong>se</strong>ules usines <strong>textiles</strong> installées<br />

à Lille même, ayant plus de mille salariés.<br />

La famille Wallaert est fixée à Lille depuis 1750 et apparti<strong>en</strong>t à<br />

la petite bourgeoisie. Le père de celui qui <strong>se</strong> lance dans la filature du coton<br />

est négociant <strong>en</strong> épicerie, son frère orfèvre. Plusieurs membres de ce<br />

groupe familial vont faire successivem<strong>en</strong>t leur <strong>en</strong>trée dans l'industrie <strong>en</strong><br />

s'appuyant les uns les autres. En 1815, J.B. Wallaert-Desmons crée un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

qui connaît une croissance régulière: 10.000 broches <strong>en</strong> 1832, ce qui<br />

<strong>en</strong> fait l'un des plus importants de la <strong>place</strong> de Lille; 15.000 <strong>en</strong> 1850, 22.000<br />

<strong>en</strong> 1860.<br />

Entre temps, ava it été fondée une autre fi lature de coton ("Wa 11aert<br />

Frères et Soeurs" dev<strong>en</strong>ue <strong>en</strong>suite "Wa11aert Frères et Desmedt") qui <strong>se</strong> développe<br />

plus l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t: 2.800 broches <strong>en</strong> 1832, 11.000 <strong>en</strong> 1850. En 1863, après<br />

avoir affirmé sa position dans la filature, le groupe monte un tissage à<br />

Lille. En 1869, les diver<strong>se</strong>s sociétés fusionn<strong>en</strong>t sous la raison sociale<br />

"Wa 11aert Frères". La nouvelle fi rme possède alors 50.000 broches de fi la ture.<br />

Quelques années plus tard, comm<strong>en</strong>ce la production de fil à coudre sous<br />

une marque propre à l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> (fil "au louis d'or"). La croissance <strong>se</strong> pour-<br />

suit sous la Troisième République. En 1911, Wallaert Frères dispo<strong>se</strong> de trois<br />

filatures, avec 105.000 broches (soit <strong>en</strong>viron 5 % du pot<strong>en</strong>tiel de la région<br />

lilloi<strong>se</strong>), et de deux retorderies avec 70.000 broches (<strong>en</strong>viron 10 % du pot<strong>en</strong>-<br />

tiel lillois). La société réali<strong>se</strong> <strong>en</strong> outre le blanchim<strong>en</strong>t et la teinture. Son<br />

départem<strong>en</strong>t tissage compr<strong>en</strong>d 500 métiers répartis pour moitié à Lille et à<br />

Halluin, où elle est pré<strong>se</strong>nte depuis 1895.<br />

La famille Thiriez <strong>se</strong> lance, plus tardivem<strong>en</strong>t que les deux précéd<strong>en</strong>tes,<br />

dans l'industrie textile. Originaire de Lorraine, elle s'est fixée au Quesnoy,<br />

dans le Nord, vers 1750. François-Jo<strong>se</strong>ph, un maître-tailleur, s'installe à<br />

Lille vers la fin du dix-huitième siècle. Son fils exerce notamm<strong>en</strong>t les fonctions<br />

de courtier <strong>en</strong> coton; son petit-fils, Juli<strong>en</strong>-Romuald, crée sa propre


- 205 -<br />

<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> <strong>en</strong> 1833. Il s'associe avec un fonctionnaire, <strong>en</strong>core <strong>en</strong> activité,<br />

car il dispo<strong>se</strong> de très peu de capitaux; il apporte surtout sa compét<strong>en</strong>ce<br />

technique acqui<strong>se</strong> <strong>en</strong> travaillant comme salarié dans une filature. La nouvelle<br />

usine est modeste avec, au début, 2.300 broches et elle comm<strong>en</strong>ce par uti1'<strong>se</strong>r<br />

un manège à chevaux comme force motrice. L'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> <strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong> dans les<br />

filés fins. pour tulle notamm<strong>en</strong>t. En 1845, elle s'agrandit car J.R. Thiriez<br />

monte une usine plus vaste dans la banlieue de Lille, à Esquermes (commune<br />

absorbée par Lille <strong>en</strong> 1858). Il s'associe, à égalité, avec la famille d'un<br />

constructeur de matériel. <strong>Les</strong> apports Thiriez <strong>se</strong> mont<strong>en</strong>t à 49.000 F. au lieu<br />

de 2.000 <strong>en</strong> 1833 : exemple frappant de l'accumulation à cette époque, du<br />

capital au <strong>se</strong>in d'une <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> bi<strong>en</strong> gérée.<br />

En 1853, Alfred, fils ainé de J.R. Thiriez, avait fondé sa propre<br />

affaire, à l'âge de vingt ans. <strong>Les</strong> deux sociétés fusionn<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1857, et dis-<br />

po<strong>se</strong>nt de 17.000 broches, ce qui n'est pas <strong>en</strong>core très considérable; c'est<br />

à partir du mom<strong>en</strong>t où l'affaire n'est plus dirigée que par les membres d'une<br />

<strong>se</strong>ule famille qu'elle connaît le succès véritable. En 1860, la firme perd une<br />

partie de <strong>se</strong>s cli<strong>en</strong>ts car la concurr<strong>en</strong>ce des filés fins britanniques est dev<strong>en</strong>ue<br />

plus vive à la suite du traité de libre-échange signé cette année-là.<br />

La société <strong>se</strong> tourne alors vers la production de fils à coudre <strong>en</strong><br />

coton. Ce type d'articles n'est pas <strong>en</strong>core très répandu car, traditionnellem<strong>en</strong>t<br />

les fi1tiers utili<strong>se</strong>nt le lin. Toute la famille unit <strong>se</strong>s efforts pour améliorer<br />

les procédés de finition du fil et lui donner une plus <strong>be</strong>lle appar<strong>en</strong>ce. La<br />

réussite technique <strong>se</strong>ra couronnée par le succès commercial car, au cours de<br />

cette déc<strong>en</strong>nie, le début de la diffusion de la machine à coudre favori<strong>se</strong> le fil<br />

de coton plus souple et moins cassant que son rival. Il s'<strong>en</strong>suit une période<br />

de grand essor au cours de laquelle la famille s'intègre aux couches supérieures<br />

de la bourgeoisie lilloi<strong>se</strong>. En 1889, la firme à 90.000 broches de filature et<br />

50.000 de retordage. Toutes les opérations <strong>sont</strong> intégrées, y compris la confection<br />

des bobines <strong>en</strong> bois sur lesquelles est pré<strong>se</strong>nté le fil. 1.535 travailleurs<br />

<strong>sont</strong> employés par l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> qui a lancé tout un programme de logem<strong>en</strong>ts et<br />

d'oeuvres sociales.<br />

<strong>Les</strong> trois exemples qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'être décrits <strong>sont</strong> significatifs de


- 206 -<br />

l'évolution du coton dans la région lilloi<strong>se</strong> la plupart des firmes ont été<br />

fondées par des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs peu fortunés qui ont accumulé progressivem<strong>en</strong>t<br />

leurs capitaux par autofinancem<strong>en</strong>t, au prix de <strong>be</strong>aucoup d'obstination et d'habileté.<br />

<strong>Les</strong> firmes lilloi<strong>se</strong>s accèd<strong>en</strong>t à la puissance véritable quelques déc<strong>en</strong>nies<br />

après celles de l'Alsace (.).<br />

Rares <strong>sont</strong> les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s notables nées après 1850. On peut citer<br />

la société Crépy créée, <strong>en</strong> 1860, par une famille aux moy<strong>en</strong>s importants, car<br />

elle s'adonnait depuis longtemps à l'industrie des huiles et des grais<strong>se</strong>s qui<br />

s'était <strong>be</strong>aucoup développée dans la région lilloi<strong>se</strong>, au cours du dix-neuvième<br />

siècle. La filature de coton n'a reçu de l'anci<strong>en</strong>ne activité textile ni <strong>se</strong>s<br />

capitaux, ni <strong>se</strong>s dirigeants. Le retard initial des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s lilloi<strong>se</strong>s, par<br />

rapport à celles de l'Est, explique que, <strong>en</strong> 1914, le chef-lieu du Nord ne dis-<br />

po<strong>se</strong> que du quart du matériel de production de la France d'alors, c'est-à-dire<br />

<strong>en</strong> excluant l'Alsace sous occupation allemande.<br />

Au début du vingtième siècle, des capitaux anglais mont<strong>en</strong>t une fila-<br />

ture à Hellemmes; d'emblée" une installation de 180.000 broches est mi<strong>se</strong> <strong>en</strong><br />

<strong>se</strong>rvice. Avant 1914, la firme lilloi<strong>se</strong> Delebart-Mallet, l'une des quatre premières<br />

de la <strong>place</strong>, fondée <strong>en</strong> 1830, pas<strong>se</strong> sous contrôle britannique. Ceci montre<br />

clairem<strong>en</strong>t les limites du rayonnem<strong>en</strong>t lillois.<br />

Le travail du lin est la <strong>se</strong>conde activité textile lilloi<strong>se</strong> a être<br />

affectée par l'industrialisation. Dès 1829, on dénombre une douzaine de filatures<br />

mécaniques, ce chiffre est d'autant plus remarquable que le matériel uti-<br />

lisé n'est pas <strong>en</strong>core au point. En 1832, 1.500 ouvriers <strong>sont</strong> employés dans cette<br />

branche. <strong>Les</strong> résultats économiques <strong>sont</strong> médiocres car l'on obti<strong>en</strong>t <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t<br />

des filés très grossiers. Cette situation révèle deux faits significatifs<br />

1) la faibles<strong>se</strong> technologique des constructeurs de métiers régionaux,<br />

(.) Un Schlum<strong>be</strong>rger, par exemple, pcssède, <strong>en</strong> 1835, une filature de 37.500 bro-<br />

ches. Cl. Fohl<strong>en</strong> a bi<strong>en</strong> montré comm<strong>en</strong>t, dès 1850, le patriciat mulhousi<strong>en</strong> a<br />

accédé à la puissance. Cf. <strong>en</strong> particulier les indications concernant la firme<br />

Dollfus-Mieg : <strong>en</strong> 1839, elle est complètem<strong>en</strong>t intégrée (possédant même un char-<br />

bonnage) et emploie 4.200 personnes (y compris toutefois un "certain nombre de<br />

tis<strong>se</strong>rands à main) .


- 207 -<br />

incapables de mettre au point un matériel comparable à celui dont dispo<strong>se</strong>nt<br />

les Britanniques.<br />

ration.<br />

II) Le vif désir des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs lillois de mécani<strong>se</strong>r cette opé-<br />

Parmi ces firmes pionnières <strong>se</strong> trouve l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> Agache et Drou1ers.<br />

En 1829, Donat Agache, fils d'une famille d'agriculteurs d'Hem, qui cultivait<br />

le lin, et 1ui-mème négociant <strong>en</strong> lins bruts, s'associe avec Flor<strong>en</strong>tin Drou1ers.<br />

Ce dernier est originaire de Wattrelos où son père était distillateur. Depuis<br />

1820, il s'efforçait de filer du lin sur des métiers <strong>en</strong> bois rudim<strong>en</strong>taires fabriqués<br />

par le constructeur David Van de Weghe v<strong>en</strong>u s'installer à Lille, après<br />

avoir quitté sa Belgique natale. Comme toutes <strong>se</strong>s concurr<strong>en</strong>tes, la firme Agache<br />

utili<strong>se</strong> à cette époque l'énergie animale.<br />

L'industriel Scrive-Labbé va permettre le démarrage véritable de<br />

cette industrie. Il avait pris la succession de son père, négociant lillois fon-<br />

dateur d'une fabrique de cardes <strong>en</strong> 1795. Ne parv<strong>en</strong>ant pas 1ui-méme à mettre au<br />

point des métiers à filer le lin, il <strong>se</strong> r<strong>en</strong>d <strong>en</strong> Angleterre, <strong>se</strong> fait embaucher<br />

comme ouvrier chez un constructeur britannique et rapporte clandestinem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong><br />

1834, des dessins et des pièces dont l'exportation était toujours interdite (.).<br />

Rapidem<strong>en</strong>t des firmes françai<strong>se</strong>s copi<strong>en</strong>t ces métiers, <strong>en</strong> faisant appel, au <strong>be</strong>-<br />

soin, à des ouvriers spécialisés d'outre-Manche. Ceci est intéressant, car la<br />

nécessité de recourir à la fraude élevait <strong>be</strong>aucoup le prix de revi<strong>en</strong>t du maté-<br />

riel importé.<br />

Très rapidem<strong>en</strong>t les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s achèt<strong>en</strong>t ces machines. Des contruc-<br />

teurs de métiers comme Scrive-Labbé et Van de Weghe devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t eux-mémes industriels<br />

<strong>textiles</strong>, situation peu fréqu<strong>en</strong>te dans la région du Nord. En 1840,<br />

plus de 100.000 broches <strong>sont</strong> <strong>en</strong> activité. Cet <strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> compr<strong>en</strong>d, car<br />

les très nombreux tis<strong>se</strong>rands manuels qui existai<strong>en</strong>t dans <strong>be</strong>aucoup de régions<br />

de France, et notamm<strong>en</strong>t dans le Nord, offrai<strong>en</strong>t un débouché considérable.<br />

Des difficultés subsistai<strong>en</strong>t pourtant <strong>en</strong> raison de la concurr<strong>en</strong>ce des filés<br />

(.) Il s'agissait de matériels construits suivant les principes établis <strong>en</strong><br />

France, vingt ans plus tôt, par Philippe de Girard.


- 208 -<br />

britanniques; celle-ci fut r<strong>en</strong>due inoff<strong>en</strong>sive par le relèvem<strong>en</strong>t des tarifs<br />

douaniers français, <strong>en</strong> 1842.<br />

L. Merchier, dans son étude citée, a dressé la liste des filatures de<br />

lin qui, <strong>en</strong> France, avai<strong>en</strong>t plus de 5.000 broches, <strong>en</strong> 1840. Le <strong>se</strong>uil choisi est<br />

élevé si l'on songe que, <strong>en</strong> raison de sa plus grande complexité, le coût d'installation<br />

d'une broche à filer le lin et quatre à cinq fois plus élevé que s'il<br />

s'agissait de travailler le coton (.). Sur 13 établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de ce type, six <strong>se</strong><br />

trouv<strong>en</strong>t dans le Nord-Pas-de-Calais, dont quatre à Lille ou dans <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons.<br />

Scrive-Labbé a une unité de 10.000 broches. Agache et Drou1ers une de 6.000, de<br />

même que Le Blan à Pér<strong>en</strong>chies. La dernière a été fondée par un membre de la famille<br />

Wa11aert. Cette fois, contrairem<strong>en</strong>t à ce qui s'est passé pour le coton, le<br />

Nord devi<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t le c<strong>en</strong>tre principal de la nouvelle activité. C'est un<br />

avantage considérable, car les autres grandes usines <strong>sont</strong> géographiquem<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z<br />

dispersées (Ami<strong>en</strong>s, Rou<strong>en</strong>, Bol<strong>be</strong>c, Cho1et ... ). La pré<strong>se</strong>nce d'un grand foyer<br />

attire les constructeurs de matériel et les technici<strong>en</strong>s britanniques.<br />

<strong>Les</strong> deux autres grandes filatures du Nord-Pas-de-Calais <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t à<br />

Frèv<strong>en</strong>t et à Boulogne-sur-Mer. La Vallée de la Lys ne <strong>se</strong> lance que timidem<strong>en</strong>t<br />

dans cette nouvelle production; l'avantage initial 1i11ois"est, par conséqu<strong>en</strong>t,<br />

considérable. Il convi<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t de remarquer que ces grands industriels<br />

n'apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas à des familles de maître-fi1tiers ou de g<strong>en</strong>s qui travai11a~nt<br />

le lin sous l'Anci<strong>en</strong> Régime. Des desc<strong>en</strong>dants de fi1tiers, comme les Descamps,<br />

ont monté des petites unités, dès 1802, à Lin<strong>se</strong>lles dans le cas de la famille<br />

citée; mais la fi1terie proprem<strong>en</strong>t dite (retordage, apprêt et conditionnem<strong>en</strong>t<br />

des fils) reste très artisanale. <strong>Les</strong> firmes qui s'y livr<strong>en</strong>t ont des ressources<br />

limitées, il ne leur est guère facile de monter rapidem<strong>en</strong>t des usines modernes.<br />

(.) Estimations prov<strong>en</strong>ant des calculs établis, dans leurs ouvrages cités, par<br />

L. Merchier et Aftalion.


- 209 -<br />

La position de la région sur le plan national s'améliore régulièrem<strong>en</strong>t,<br />

au cours des déc<strong>en</strong>nies suivantes: <strong>en</strong> 1857, le Nord conc<strong>en</strong>tre les deux tiers<br />

du pot<strong>en</strong>tiel de production national au lieu de 40 % dix ans plus tôt. L'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

de Lille, c'est-à-dire es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t le chef-lieu, dispo<strong>se</strong> à lui<br />

<strong>se</strong>ul de 60 % des broches françai<strong>se</strong>s. Ce dernier pourc<strong>en</strong>tage décro't au cours<br />

des années suivantes, car la Guerre de Sécession ouvre une ère de facilité pour<br />

la filature du lin qui pr<strong>en</strong>d mom<strong>en</strong>taném<strong>en</strong>t sa revanche sur le coton partout<br />

des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts installés à la hâte, surgis<strong>se</strong>nt dans les régions aptes à la<br />

culture du lin.<br />

En 1867, la région du Nord-Pas de Calais, pri<strong>se</strong> dans son <strong>en</strong><strong>se</strong>mble,<br />

a con<strong>se</strong>rvé son importance relative, mais celle de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille a<br />

diminué <strong>en</strong> raison de l'expansion très rapide de c<strong>en</strong>tres comme Dunkerque (cf.C1.<br />

Foh1<strong>en</strong>) <strong>be</strong>aucoup de ces firmes disparais<strong>se</strong>nt dans les années qui suiv<strong>en</strong>t le<br />

retour à un ravitaillem<strong>en</strong>t normal <strong>en</strong> coton. Cette fibre continue par la suite<br />

à conquérir, peu à peu, les marchés traditionnels du lin comme, par exemple,<br />

celui de la fi1terie (.).<br />

Cette situation provoque une contraction de l'appareil de production<br />

qui <strong>se</strong> fait aux dép<strong>en</strong>s des firmes les plus réc<strong>en</strong>tes et les plus petites. En<br />

outre, la région lilloi<strong>se</strong> est bi<strong>en</strong> placée pour <strong>se</strong> ravitailler <strong>en</strong> lins d'impor-<br />

tation.<br />

En 1899, le Nord-Pas de Calais possède 90 % des broches françai<strong>se</strong>s<br />

(95 % <strong>en</strong> 1914). <strong>Les</strong> neuf dixièmes du pot<strong>en</strong>tiel régional <strong>se</strong> locali<strong>se</strong>nt dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

de Lille. <strong>Les</strong> cantons lillois, à eux <strong>se</strong>uls, <strong>en</strong> ont 40 % et, <strong>en</strong> incluant<br />

des communes comme Pér<strong>en</strong>chies et Seclin qui dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t de ce c<strong>en</strong>tre textile.<br />

on atteint 70 %.<br />

(.) Des industriels (cf. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte), desc<strong>en</strong>dant <strong>en</strong> droite ligne de<br />

maître-filtiers du dix-huitième siècle, subsist<strong>en</strong>t dans cette branche jusqu'au<br />

vingtième siècle, comme les Descamps et les Crespel. Très attachés au lin, ce ne<br />

<strong>sont</strong> pas eux qui lanc<strong>en</strong>t le fil de coton ; si bi<strong>en</strong> que la filterie de coton ne<br />

repré<strong>se</strong>nte pas, <strong>en</strong> fait, une conversion de l'activité linière traditionnelle,<br />

comme on pourrait le p<strong>en</strong><strong>se</strong>r. Le r<strong>en</strong>ouveau a été l'oeuvre es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t de<br />

groupes industriels réc<strong>en</strong>ts d'origine cotonnière.


- 210 -<br />

Au cours de cette période, la firme Agache a conquis la premlere <strong>place</strong><br />

<strong>en</strong> France. En 1848, elle avait repris la grande usine Le Blan de Pér<strong>en</strong>chies et<br />

l'avait développée. En 1860, elle emploie 1.200 salariés. <strong>Les</strong> deux familles,<br />

Drou1ers et Agache, <strong>se</strong> sépar<strong>en</strong>t au cours de l'année 1872. Agache obti<strong>en</strong>t, par<br />

tirage au sort l'usine de Pér<strong>en</strong>chies ; celle de Lille restant a l'autre famille.<br />

La société Agache rachète des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts concurr<strong>en</strong>ts et remporte des succès<br />

économiques dans le travail des étoupes de lin qui donn<strong>en</strong>t des fils grossiers,<br />

mais bon marché, trés demandés par le tissage arm<strong>en</strong>tièrois, pour les toiles a<br />

usage militaire. En 1914, la société a 55.000 broches (10 % du total français)<br />

320 métiers a tis<strong>se</strong>r et 3.500 salariés. C'est la firme la plus puissante de la<br />

région lilloi<strong>se</strong> (.).<br />

Le tissage du lin n'est pas trés important a Lille; cette ville, <strong>en</strong><br />

1900, compte trois a quatre fois moins de métiers qu'Arm<strong>en</strong>tières. <strong>Les</strong> métiers<br />

ré<strong>se</strong>rvés uniquem<strong>en</strong>t au coton <strong>sont</strong> <strong>en</strong> plus petit nombre <strong>en</strong>core dans le chef-lieu<br />

du Nord. <strong>Les</strong> tissages ont été implantés par des filateurs désireux de réali<strong>se</strong>r<br />

une intégration verticale.<br />

<strong>Les</strong> exemples de négociants-transformateurs de toiles montant des<br />

tissages mécaniques ont été <strong>be</strong>aucoup plus rares qu'a Arm<strong>en</strong>tières. On peut citer<br />

la famille Huet qui crée un tissage a La Madeleine, <strong>en</strong> 1904, mais elle <strong>en</strong> avait<br />

d'abord implanté un à Halluin, <strong>en</strong> 1879. Une autre unité importante est développée<br />

a Lille <strong>en</strong> 1890, par les Frémaux ; c'est un cas intéressant car il s'agit d'une<br />

<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> de négoce de toiles arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong> qui a d'ailleurs déja créé des<br />

unités dans sa ville d'origine. Elle installe à Lille d'abord <strong>se</strong>s <strong>se</strong>rvices<br />

(.) La famille est probablem<strong>en</strong>t la plus puissante de toute la région du Nord<br />

Edouard Agache avait épousé la fille du grand industriel et chimiste Kuhlmann,<br />

ce'qui lui avait permis de cumuler la direction de ces deux <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s impor-<br />

tantes. Il siégeait <strong>en</strong> outre dans des con<strong>se</strong>ils d'administration de sociétés de<br />

charbonnages (cf.J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte et M. Gillet).


- 211 -<br />

commerciaux et, peu à peu, l'appareil de production (.).<br />

Le tissage ne trouVE pas son terrain d'élection dans l'agglomération<br />

lilloi<strong>se</strong>; le tulle qui s'étaH un mom<strong>en</strong>t développé, disparaît après 1860, devant<br />

la concurr<strong>en</strong>ce britannique et celle de Calais (..). La fabrication des tissus<br />

exige une main-d'oeuvre es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t masculine dont le recrutem<strong>en</strong>t devi<strong>en</strong>t<br />

relativem<strong>en</strong>t plus difficile par suite de l'essor d'<strong>industries</strong> comme l'impt'imerie<br />

ou la métallurgie, avec les ateliers de construction mécanique de Fives, par<br />

exemple.<br />

La disparition complète de la d<strong>en</strong>telle à main, vers 1850, supprime<br />

un grand nombre d'emplois féminins, ce qui crée une situation favorable pour<br />

la filature qui emploie plus de femmes que d'hommes (...). Il <strong>se</strong>rait possible<br />

de faire v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> ville les tis<strong>se</strong>rands à main des régions rurales voisines,<br />

cela <strong>se</strong> produit parfois, mais il est aussi t<strong>en</strong>tant de les regrouper <strong>en</strong> ateliers<br />

implantés dans leurs communes de résid<strong>en</strong>ce les terrains y <strong>sont</strong> moins ch=rs<br />

qu'à Lille et il arrive que l'on puis<strong>se</strong> réutili<strong>se</strong>r des locaux où avai<strong>en</strong>t été<br />

ras<strong>se</strong>mblés des métiers manuels. La Vallée de la Lys offre à cet égard bi<strong>en</strong> des<br />

avantages et bénéficie de nombreux investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts lillois (.... ).<br />

(.) Pour tout ce développem<strong>en</strong>t cf. J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte.<br />

(..) Le tissage à main disparaît aussi définitivem<strong>en</strong>t à cette époque. Ce <strong>sont</strong><br />

les condltlons de vie de ces artisans, travaillant dans des caves pour rechercher<br />

l'humidité, qui ont inspiré la pathétique et célèbre description du médecin<br />

Villermé.<br />

(...) Une autre forme de conversion existe pour les d<strong>en</strong>telllères ou leurs fliles:<br />

la confection (cf. sur ce point la thè<strong>se</strong> de R. Blanchard). Cette activité pr<strong>en</strong>d<br />

son essor, après 1860, et <strong>se</strong> conc<strong>en</strong>tre l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ateliers. <strong>Les</strong> industrlels<br />

<strong>textiles</strong> intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t peu dans cette branche. Seuls les fabricants de linge de<br />

malson organi<strong>se</strong>nt eux-mêmes la confection d'une partie de leurs articles.<br />

(.... ) La situation avait été différ<strong>en</strong>te à Roubaix-Tourcolng, car la métallur-<br />

gie s'y développait peu et ces villes disposai<strong>en</strong>t de <strong>be</strong>aucoup d'espaces libres.<br />

On fabriquait des étoffes d'habillem<strong>en</strong>t et d'ameublem<strong>en</strong>t, articles très variés,<br />

nécessitant une surveillance constante de l'industriel pour vérifier les dessins<br />

faire les échantillons etc ... à Lille, on fait faire des tissus de grande <strong>se</strong>rie.


- 212 -<br />

En définitive, Lille a dû pour l'es<strong>se</strong>ntiel son essor textile, moins<br />

à sa tradition dans ce domaine, qu'au fait d'avoir été une grande ville dès le<br />

début du dix-neuvième siècle. C<strong>en</strong>tre important aux activités multiples, la ville<br />

disposait d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs aux origines professionnelles et géographiques <strong>be</strong>aucoup<br />

plus variées qu'à Roubaix-Tourcoing. Noeud de communications as<strong>se</strong>z bi<strong>en</strong><br />

équipée, elle attire les technici<strong>en</strong>s et constructeurs de matériel britanniques,<br />

comme le montre éloquemm<strong>en</strong>t la liste dressée par P. Pierrard pour les années 1860,<br />

Lille a égalem<strong>en</strong>t bénéficié, jusqu'<strong>en</strong> 1870, d'un apport considérable de <strong>be</strong>lges:<br />

F. Codacionni signale, dans sa thè<strong>se</strong>, que, <strong>en</strong> 1872, sur une population de 158.000<br />

habitants, on compte 29,4 % d'étrangers originaires de ce pays (.).<br />

En 1914, le c<strong>en</strong>tre textile lillois a acquis <strong>se</strong>s caractéristiques de<br />

1954. Une bourgeoisie s'est constituée qui contracte des alliances matrimoniales<br />

de plus <strong>en</strong> plus nombreu<strong>se</strong>s avec son homologue de Roubaix-Tourcoing; un milieu<br />

patronal homogène <strong>se</strong> forme, bi<strong>en</strong> que les activités des deux c<strong>en</strong>tres rest<strong>en</strong>t très<br />

différ<strong>en</strong>tes.<br />

La première Guerre Mondiale <strong>en</strong>traîne de nombreu<strong>se</strong>s destructions de<br />

matériel <strong>en</strong> raison de l'occupation allemande et parfois des combats: par exemple,<br />

il ne reste plus ri<strong>en</strong> de la grande usine Agache, à Pér<strong>en</strong>chies. Au cours des hostilités,<br />

certains fabricants ont monté des installations de production provisoires<br />

dans le reste de la France. La société Thiriez <strong>en</strong> a con<strong>se</strong>rvé une usine à Doull<strong>en</strong>s,<br />

dans le départem<strong>en</strong>t de la Somme et la firme Le Blan un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t à Mantes.<br />

Des firmes <strong>en</strong> ont profité pour s'intéres<strong>se</strong>r à l'industrie cotonnière normande.<br />

Le mouvem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> poursuivra lors de la cri<strong>se</strong> économique des années 1930 (.. J.<br />

guerre<br />

La filature de lin avait perdu 88 % de son matériel au cours de la<br />

toutes les broches ne <strong>sont</strong> pas remplacées après la fin des hostilités,<br />

(.) Cet auteur signale égalem<strong>en</strong>t la pré<strong>se</strong>nce, <strong>en</strong> 1886, de 1.086 Britanniques.<br />

L'importance de cette colonie est à mettre <strong>en</strong> rapport avec leur rôle dans l'in-<br />

dustrie, mis <strong>en</strong> valeur par P. Pierrard.<br />

(..) Il est as<strong>se</strong>z difficile de <strong>se</strong> r<strong>en</strong><strong>se</strong>igner exactem<strong>en</strong>t sur cet aspect: la pé-<br />

riode est trop proche pour avoir susciter <strong>be</strong>aucoup d'études historiques. L'<strong>en</strong>-<br />

quête directe est difficile, <strong>be</strong>aucoup de ces firmes ayant disparu <strong>en</strong>tre 1954<br />

et 1965. <strong>Les</strong> donnees citees à propos d'Agache <strong>sont</strong> tire,es directem<strong>en</strong>t des rap-<br />

ports d'activité de cette société, aimablem<strong>en</strong>t mis à la disposition de l'auteur.


- 213 -<br />

car c'est déjà une activité <strong>en</strong> difficultés.<br />

La cri<strong>se</strong> des années 1930 amène une quasi-disparition des exportations<br />

de nombreu<strong>se</strong>s firmes ces<strong>se</strong>nt de produire. Dans son étude citée, J. Malézieux<br />

dénombre dix fermetures, dans l'agglomération lilloi<strong>se</strong>, <strong>en</strong>tre 1930 et 1935. La<br />

société Agache, par contre, améliore <strong>en</strong>core sa position au cours de cette période:<br />

l'usine de Pér<strong>en</strong>chies est reconstruite et agrandie; une filature de coton est<br />

rachetée à La Madeleine, une de lin à Seclin. Elle pr<strong>en</strong>d le contrôle d'un tissage<br />

à Arm<strong>en</strong>tières, d'une blanchis<strong>se</strong>rie au Pont de Nieppe. En 1928, la firme occupe<br />

plus de 4.000 salariés. En 1931, elle possède 73.000 broches à filer le lin,<br />

soit 15 % du total français. Elle est égalem<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ue une importante <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong><br />

de filature de coton. En 1934, elle comm<strong>en</strong>ce à faire de la ficelle agricole <strong>en</strong><br />

sisal, à Seclin.<br />

L'industrie du coton aussi est touchée par la cri<strong>se</strong> ( .) : <strong>en</strong> 1935, la<br />

moitié des broches de filature <strong>sont</strong> arrêtées. En 1938, la production n'atteint<br />

pas <strong>en</strong>core le niveau de 1913 ; ces difficultés permett<strong>en</strong>t aux firmes importantes<br />

de r<strong>en</strong>forcer leur préémin<strong>en</strong>ce, sans que les structures de production <strong>en</strong> soi<strong>en</strong>t<br />

pour autant bouleversées. C'est ainsi que la société Thiriez absor<strong>be</strong> la firme<br />

parisi<strong>en</strong>ne Cartier-Bresson dont les moy<strong>en</strong>s de production <strong>sont</strong> conc<strong>en</strong>trés dans<br />

l'usine lilloi<strong>se</strong>.<br />

Au cours de la déc<strong>en</strong>nie qui précède l~ Seconde Guerre Mondiale, les<br />

usines de l'agglomération lilloi<strong>se</strong>, les filatures <strong>en</strong> particulier, comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à<br />

organi<strong>se</strong>r le ramassage, par Cir, de la main-d'oeuvre féminine de la région des<br />

mines. L'industrie textile, ivec <strong>se</strong>s périodes de chômage et son ambiance de<br />

travail pénible, attire de moins <strong>en</strong> moins la popul~tion résid<strong>en</strong>te. Ce phénomène<br />

( .) cf. Baracca, Bonnot, Dozier, Vermeul<strong>en</strong>, étude citée.


- 214 -<br />

TABLEAU N° 19<br />

EVOLUTION DU NOMBRE DE BROCHES A FILER LE LIN EN FRANCE<br />

ET DANS LA REGION NORD -PAS DE CALAIS<br />

Sources P. Billaux, L. Merchier, Annuaire statistique régional (édition 1951)<br />

Année France <strong>en</strong>tière Nord-Pas de Calais Arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de<br />

Lill e<br />

1847 282.000 118.000<br />

1857 452.000 304.000 272.000<br />

1867 625.000 415.000<br />

1899 485.000 444.000 399.000<br />

1914 577 .000 552.000<br />

1927 490.000 471.000<br />

1950 439.000 415.000<br />

(N.B. Il s'agit du nombre de broches <strong>en</strong> activité.)


- 215 -<br />

TABLEAU W 20<br />

EVOLUTION DE LA SURFACE PLANTEE EN LIN EN FRANCE ET DANS LE NORD-PAS DE CALAIS<br />

Unité : hectare<br />

Sources : P. Billaux, L. Merchier, Annuaire statistique régional (édition 1951)<br />

Année France <strong>en</strong>tière Nord Pas-de-Calais<br />

IB42 98.600 10.226 7.521<br />

1862 105.455 9.640 17.380<br />

1877 71.163 9.648<br />

1899 17.594 1.361 1.038<br />

1902 21. 996 7.538<br />

1929 28.200 6.700 3.100<br />

1938 38.400 4.600 2.100<br />

1948 30.800 3.500 2.600


- 216 -<br />

affecte as<strong>se</strong>z peu des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts tels que ceux d'Agache à Pér<strong>en</strong>chies ou de<br />

Thiriez à Loos, qui log<strong>en</strong>t une grande partie de leur personnel et dispo<strong>se</strong>nt de<br />

salariés travaillant pour eux depuis parfois plus d'une génération. <strong>Les</strong> oeuvres<br />

sociales mi<strong>se</strong>s <strong>en</strong> <strong>place</strong>, dès le dix-neuvième siècle, et la puissance des firmes<br />

contribu<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t à créer un climat de sécurité qui leur donne une bonne<br />

image de marque et facilite le recrutem<strong>en</strong>t de leur main-d'oeuvre.<br />

La Seconde Guerre Mondiale n'<strong>en</strong>tra1ne pas de grandes destructions<br />

elle est suivie par la pri<strong>se</strong> de contrôle de la • Cotonnière de Fives' par le<br />

groupe Boussac, première <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> textile françai<strong>se</strong> à cette époque.<br />

L'industrie textile lilloi<strong>se</strong> n'a pas acquis le méme rayonnem<strong>en</strong>t que<br />

celle de Roubaix-Tourcoing, mais l'économie de la ville ne repo<strong>se</strong> pas es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t<br />

sur elle. En dépit de leur proximité géographique, ces deux grands foyers<br />

ont con<strong>se</strong>rvé leur autonomie. Par la nature de leu~ activités <strong>textiles</strong>, leur<br />

différ<strong>en</strong>ciation s'est même acc<strong>en</strong>tuée au cours de la Révolution industrielle.<br />

Dans toute cette région, le textile est très répandu à la veille de la<br />

Révolution industrielle. Il constitue probablem<strong>en</strong>t la ressource principale de<br />

la majeure partie de la population. Cette activité est surtout ori<strong>en</strong>tée vers<br />

le travail du lin. La plupart des paysans le cultive et valori<strong>se</strong> leurs récoltes<br />

par le tissage de toiles ordinaires. Le textile est pré<strong>se</strong>nt dans toutes les<br />

communes et les structures de production <strong>sont</strong> très artisanales: <strong>be</strong>aucoup de<br />

tis<strong>se</strong>rands ne <strong>se</strong> livr<strong>en</strong>t à cette occupation que p<strong>en</strong>dant la morte-saison.<br />

Presque tous <strong>sont</strong> des travailleurs indép<strong>en</strong>dants. Ils vont eux-mêmes<br />

v<strong>en</strong>dre leurs toiles dans des foires qui <strong>se</strong> ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à intervalles réguliers;<br />

ce mode de commercialisation est tout à fait analogue à celui des produits agricoles.<br />

L'émiettem<strong>en</strong>t géographique et technique de la production est d'autant plus<br />

poussé qu'il n'y a jamais eu de corps de métiers ou de jurandes. Au dix-huitième<br />

siècle, <strong>en</strong> fait, sinon <strong>en</strong> droit, la fabrication est libre dans toute la Vallée<br />

de la Lys.


- 217 -<br />

La v<strong>en</strong>te des toiles au consommateur <strong>se</strong> fait par l'intermédiaire de<br />

négociants qui effectu<strong>en</strong>t eux-mêmes, ou par l'<strong>en</strong>tremi<strong>se</strong> de faconniers, le blanchim<strong>en</strong>t.<br />

Au début du dix-neuvième siècle, rares <strong>sont</strong> les <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs qui ont<br />

un atelier de tissage et ce dernier est toujours de dim<strong>en</strong>sion modeste: J.Lam<strong>be</strong>rt·<br />

Dan<strong>se</strong>tte <strong>en</strong> dénombre six, <strong>en</strong> 1806, à Arm<strong>en</strong>tières; ils emploi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne 14<br />

salariés.<br />

Même sur le plan commercial, cette activité n'est pas conc<strong>en</strong>trée géo-<br />

graphiquem<strong>en</strong>t: au moins <strong>se</strong>pt ou huit localités <strong>sont</strong> le théâtre de foires animées,<br />

y compris des petits c<strong>en</strong>tres comme La Gorgue ou Estaires. Aucune ville ne dépas<strong>se</strong><br />

les 8.000 habitants. Arm<strong>en</strong>tières <strong>se</strong>ule avoisine ce chiffre. Ces divers foyers<br />

ne <strong>sont</strong> pas hiérarchisés <strong>en</strong>tre eux. La finition, elle aussi, est répartie<br />

<strong>en</strong>tre de nombreu<strong>se</strong>s communes: le blanchim<strong>en</strong>t <strong>se</strong> réali<strong>se</strong> par exposition des<br />

toiles que l'on humidifie souv<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> ét<strong>en</strong>dues planes qui bord<strong>en</strong>t les rives<br />

de la Lys <strong>se</strong> prêt<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> à cette opération. Ces blanchis<strong>se</strong>ries <strong>en</strong>tourées de<br />

prairies s'égrèn<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t le long du fleuve dans un cadre tout à fait<br />

rural. Dieudonné <strong>en</strong> dénombre 13 à Estaires, 10 à La Gorgue, 15 à Ste<strong>en</strong>werck,<br />

7 à Arm<strong>en</strong>tières etc Le blanchim<strong>en</strong>t est une spécialité de la vallée de la<br />

Lys à l'échelle régionale, mais Arm<strong>en</strong>tières ne le contrôle pas.<br />

Le <strong>se</strong>cteur de Comines-Wervicq s'individuali<strong>se</strong> déjà par la pré<strong>se</strong>nce de<br />

quelques productions spécifiques: la filterie à Wervicq et surtout la rubanerie<br />

à Comines (.). Cette activité était repré<strong>se</strong>ntée dès le dix-huitième siècle<br />

où un atelier avait été monté par un marchand d'Ypres coupé d'une partie de sa<br />

cli<strong>en</strong>tèle par la fixation de la frontière <strong>en</strong>tre la France et les Pays-Bas<br />

Autrichi<strong>en</strong>s. Le travail <strong>se</strong> fait à domicile, la finition <strong>en</strong> atelier. On utili<strong>se</strong><br />

uniquem<strong>en</strong>t du lin ( et non pas la soie comme à Saint-Eti<strong>en</strong>ne) et élabore plutôt<br />

des cordons que des rubans proprem<strong>en</strong>t dits. En 1801, Dieudonné dénombre 100<br />

(.) cf. E. Flam<strong>en</strong>t, article cité.


- 218 -<br />

métiers à Comines, plus des trois quarts de tous ceux du départem<strong>en</strong>t. En 1805,<br />

les 25 fabricants cominois emploi<strong>en</strong>t 100 ouvriers <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, et le plus important<br />

d'<strong>en</strong>tre eux, 15. Là <strong>en</strong>core il ne s'agit que d'un artisanat. La m<strong>en</strong>talité<br />

est as<strong>se</strong>z con<strong>se</strong>rvatrice sur le plan technique: il faut att<strong>en</strong>dre 1815 pour que<br />

le coton comm<strong>en</strong>ce à être utilisé.<br />

La Vallée de la Lys ne dispo<strong>se</strong> pas d'un c<strong>en</strong>tre urbain et attractif<br />

comme la région lilloi<strong>se</strong>; <strong>se</strong>s négociants <strong>sont</strong> moins puissants financièrem<strong>en</strong>t<br />

que ceux de Roubaix-Tourcoing et n'ont pas leur habitude du commerce à longue<br />

distance sur des marchés difficiles comme ceux de la mode. <strong>Les</strong> artisans de<br />

cette région n'ont pas la grande habilité technique de ceux du Cambrésis. Par<br />

conséqu<strong>en</strong>t la Vallée de la Lys n'offre pas, à priori, des conditions très favorables<br />

à l'industrialisation du textile. Sa situation n'est pas tellem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>te<br />

de celle de la Flandre Intérieure qui connaîtra plus d'échecs que de succès.<br />

En raison de ce contexte, la modernisation du textile dans la Vallée de la Lys<br />

<strong>se</strong> caractéri<strong>se</strong> par deux faits fondam<strong>en</strong>taux<br />

1) La mécanisation <strong>se</strong> produit plus tardivem<strong>en</strong>t que dans le reste de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

de Lille.<br />

II) <strong>Les</strong> activités qui <strong>se</strong> développ<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t <strong>sont</strong> celles qui nécessit<strong>en</strong>t le<br />

moins de capitaux.<br />

Comme toujours, c'est par la filature de coton que comm<strong>en</strong>ce l'industrialisation.<br />

De petits établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts apparais<strong>se</strong>nt sous le Premier Empire, à Arm<strong>en</strong>tières<br />

notamm<strong>en</strong>t. La ville (cf.J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte) compte 53 ouvriers dans<br />

cette branche, <strong>en</strong> 1812, et 440, <strong>en</strong> 1824. Le rôle es<strong>se</strong>ntiel revi<strong>en</strong>t alors à la<br />

famille Dan<strong>se</strong>tte, dont les membres étai<strong>en</strong>t à l'origine des propriétaires terri<strong>en</strong>s<br />

d'Halluin. Ils <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans le textile <strong>en</strong> <strong>se</strong> livrant au négoce des toiles et<br />

s'intéres<strong>se</strong>nt à la filature pour <strong>se</strong> procurer les filés nécessaires aux tis<strong>se</strong>rands<br />

à domicile qu'ils faisai<strong>en</strong>t travailler.<br />

Ceci est la règle générale dans la Vallée de la Lys: la filature n'est<br />

pas développée pour elle-même mais uniquem<strong>en</strong>t par souci d'intégration; l'activité<br />

principale des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s reste le tissage ou parfois l'<strong>en</strong>noblis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t des<br />

toiles. <strong>Les</strong> conséqu<strong>en</strong>ces de cette situation <strong>sont</strong> graves: la filature ne reçoit<br />

pas systématiquem<strong>en</strong>t tous les investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts puisqu'elle a une <strong>place</strong> subordonnée,


- 219 -<br />

En 1847, la plus grande usine n'a que 6.000 broches, ce qui est peu par rapport<br />

à Roubaix ou à Lille.<br />

Lorsque, à partir de 1850, le tissage de cette reglon s'ori<strong>en</strong>te de<br />

nouveau vers le lin, la filature du coton décline dans la Vallée de la Lys, qui<br />

pr<strong>en</strong>d un retard considérable dans cette branche. Cette activité ne connaîtra une<br />

<strong>se</strong>conde pha<strong>se</strong> d'expansion que vers la fin du dix-neuvième siècle, à un mom<strong>en</strong>t<br />

où le marché est déjà <strong>en</strong> grande partie occupé par des firmes puissantes. La<br />

Vallée de la Lys est dès lors condamnée à jouer un rôle de <strong>se</strong>cond plan: 100.000<br />

broches de filature de coton <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t exist<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1900, dans la région arm<strong>en</strong>-<br />

tièroi<strong>se</strong>.<br />

La filature mécanique du lin débute très timidem<strong>en</strong>t dans la Vallée de<br />

la Lys. Après quelques t<strong>en</strong>tatives avortées au début du siècle, le premier établis-<br />

<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t arm<strong>en</strong>tièrois est créé <strong>en</strong> 1840 ; mais, dans cette ville, il reste le <strong>se</strong>ul<br />

p<strong>en</strong>dant une dizaine d'années. Cette activité ne pr<strong>en</strong>d son essor qu'à partir de<br />

1860, dans l'euphorie provoquée par la Guerre de Sécession. Des firmes lilloi<strong>se</strong>s<br />

puissantes exist<strong>en</strong>t déjà et, dès les années 1880, la concurr<strong>en</strong>ce du coton <strong>en</strong>traîne<br />

une contraction de l'appareil de production (cf. A. Aftalion). <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s<br />

de la Vallée de la Lys ne bénéfici<strong>en</strong>t que d'une période as<strong>se</strong>z courte pour assurer<br />

leur développem<strong>en</strong>t.<br />

La filterie égalem<strong>en</strong>t ne <strong>se</strong> moderni<strong>se</strong> que très tardivem<strong>en</strong>t. La firme<br />

cominoi<strong>se</strong> la plus importante, Cousin Frères, a été créée, <strong>en</strong> 1848, par une famille<br />

locale; la première machine à vapeur n'est installée qu'<strong>en</strong> 1860 ; la société<br />

reste très longtemps fidèle au lin. Cette évolution explique que la Vallée de la<br />

Lys, <strong>en</strong> 1899 (cf. L. Merchier) ne dispo<strong>se</strong> que du quart des broches à filer le<br />

lin du Nord-Pas de Calais; le principal foyer est Arm<strong>en</strong>tières, suivi de Halluin<br />

et des communes <strong>en</strong>vironnantes.<br />

L'activité es<strong>se</strong>ntielle de la Vallée de la Lys reste le tissage, celui-<br />

ci connaît une indiscutable expansion p<strong>en</strong>dant la première moitié du dix-neuvième<br />

siècle: les progrès de la filature mécanique fournis<strong>se</strong>nt une matière première<br />

abondante dont la distribution est assurée par les marchands-transformateurs,<br />

ce qui r<strong>en</strong>force la position de ces derniers vis-à-vis des artisans. Certains<br />

négociants cré<strong>en</strong>t de petits ateliers où <strong>sont</strong> ras<strong>se</strong>mblés des métiers manuels.


- 220 -<br />

Le tissage <strong>se</strong> développe sans <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong>r car le métier mécanique<br />

n'est pas tellem<strong>en</strong>t plus rapide et coûte plus cher (.). Le prix de façon<br />

des artisans <strong>sont</strong> bas car ils <strong>sont</strong> nombreux. Lorsque, vers 1850, l'essor industriel<br />

de Lille, Roubaix, Tourcoing crée un appel de main-d'oeuvre qui pourrait<br />

les raréfier, l'arrivée massive des Belges permet de comp<strong>en</strong><strong>se</strong>r cette influ<strong>en</strong>ce.<br />

Dans ce domaine ci <strong>en</strong>core, la mécanisation <strong>se</strong>ra tardive. Une autre caractéristique<br />

importante est à signaler: le retour vers le tissage du lin à partir des<br />

années 1840, alors que depuis l'Empire le coton t<strong>en</strong>dait à pr<strong>en</strong>dre la première<br />

<strong>place</strong>. La raison économique <strong>en</strong> est simple: la mi<strong>se</strong> au point de la filature<br />

mécanique du lin abais<strong>se</strong> le prix de revi<strong>en</strong>t de fils qui avai<strong>en</strong>t con<strong>se</strong>rvé tout<br />

leur prestige pour l'élaboration des toiles destinées au linge de maison, spécialité<br />

traditionnelle de la Vallée de la Lys (..). Ce r<strong>en</strong>ouveau a eu <strong>be</strong>aucoup<br />

de conséqu<strong>en</strong>ces car il cantonnait les firmes sur un marché dont les débouchés<br />

allai<strong>en</strong>t <strong>se</strong> restreindre après 1880 les obligeant à opérer une conversion vers<br />

les tissus métis.<br />

Le tissage manuel connaît son apogée à Arm<strong>en</strong>tières vers 1860 (...). Le<br />

premier établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t mécanisé n'apparaît qu'<strong>en</strong> 1848, dix ans après Lille. En<br />

1870, subsist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core plusieurs milliers de métiers à mai~, tandis que 3.000<br />

métiers mécaniques fonctionn<strong>en</strong>t. C'est au cours de la déc<strong>en</strong>nie 1860-1870 que<br />

s'édifi<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup de fortunes patronales, car la " famine de coton" a permis<br />

d'amortir rapidem<strong>en</strong>t le matériel et d'accumuler les capitaux.<br />

Le négoce de toile avait suscité des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s puissantes faisant<br />

travailler parfois des c<strong>en</strong>taines de tis<strong>se</strong>rands. La plupart pourtant ne réus-<br />

sis<strong>se</strong>nt pas à pas<strong>se</strong>r au stade industriel. Un rec<strong>en</strong><strong>se</strong>m<strong>en</strong>t précis, effectué par<br />

J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte, montre que le quart <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t des négociants-transformateurs<br />

(.) En 1860, J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte, estime le rapport de un à dix.<br />

(.. ) Le travaIl des fils de lin, moins souples que ceux dp coton, n'incitait pas<br />

à utili<strong>se</strong>r des métiers mécaniques dont la rapidité accroissaIt le rIsque de cas<strong>se</strong>.<br />

( ... ) J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte estime que, <strong>en</strong> 1860 1 le tissage manuel emploie dans<br />

la région d'Arm<strong>en</strong>tières 21.000 personnes et le mécanique gOQ. cf.la thè<strong>se</strong> de cet<br />

auteur pour tout ce développem<strong>en</strong>t et notamm<strong>en</strong>t l'étude préci<strong>se</strong> des orIgines de<br />

la firme Coisne et Lam<strong>be</strong>rt.


de toiles réussit cette conversion.<br />

- 221 -<br />

L'exemple de la firme Coisne et Lam<strong>be</strong>rt permet de bi<strong>en</strong> saisir le méca-<br />

nisme de l'asc<strong>en</strong>sion des firmes modernes. En 1853, H<strong>en</strong>ri Coisne, fils d'une fa-<br />

mille de propriétaires terri<strong>en</strong>s de Lomme, repr<strong>en</strong>d une <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> de tissage<br />

manuel à Arm<strong>en</strong>tières. L'actif total de celle-ci, marchandi<strong>se</strong>s et matériel compris<br />

<strong>se</strong> monte à 60.000 francs <strong>en</strong> 1854. En 1856, la firme s'agrandit d'une blanchis<strong>se</strong>-<br />

rie. En 1862, Léopold Lam<strong>be</strong>rt, jeune <strong>be</strong>lge dynamique, est associé à l'affaire.<br />

Il apportait peu de capitaux (50.000 F) mais avait prouvé sa compét<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> travaillant<br />

comme salarié dans l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> qui compr<strong>en</strong>ait alors 150 métiers à main.<br />

De 1862 à 1866, la moy<strong>en</strong>ne des bénéfices d'exploitation <strong>se</strong> monte à 40.000 francs<br />

par an ; cette somme permet de financer, <strong>en</strong> 1865, la construction d'un tissage<br />

mécanique qui emploie 200 ouvriers. Le contrat d'association avait prévu que les<br />

associés ne pouvai<strong>en</strong>t toucher que 3.000 francs par an plus un intérêt de 5 % du<br />

montant de leurs apports; le reste du bénéfice d'exploitation étant obligatoi-<br />

rem<strong>en</strong>t laissé à la disposition de l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>.<br />

Il <strong>se</strong>rait hasardeux de prét<strong>en</strong>dre qu'Arm<strong>en</strong>tières devait nécessairem<strong>en</strong>t<br />

dev<strong>en</strong>ir le principal foyer textile de la Vallée de la Lys, surtout si l'on <strong>se</strong><br />

souvi<strong>en</strong>t que <strong>be</strong>aucoup des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs qui ont su tirer partie de la période<br />

favorable, n'étai<strong>en</strong>t pas originaires de cette ville; il y avait même quelques<br />

britanniques. Cet essor industriel <strong>se</strong> traduit de façon très nette dans l'évolution<br />

démographique : <strong>en</strong> 1850, la ville a <strong>en</strong>viron 8.000 habitants, chiffre compa-<br />

rable à celui du début du dix-neuvième siècle; on atteint 11.900 <strong>en</strong> 1861 et<br />

19.000 <strong>en</strong> 1872. Par la suite la croissance <strong>se</strong> poursuit à un rythme moins rapide:<br />

29.000 <strong>en</strong> 1900, puis c'est la stagnation due au développem<strong>en</strong>t du mouvem<strong>en</strong>t fron-<br />

talier et aux problèmes que connaît l'industrie linière.<br />

Dès 1890, 20 % des filés utilisés par le tissage <strong>sont</strong> <strong>en</strong> coton et une<br />

firme comme Coisne et Lam<strong>be</strong>rt a 150 métiers ré<strong>se</strong>rvés uniquem<strong>en</strong>t à cette fibre.<br />

Un regain d'activité <strong>se</strong> manifeste après 1900 grâce aux commandes militaires


- 222 -<br />

qui devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t un des principaux débouchés de l'industrie linière. Cela pré<strong>se</strong>nte<br />

l'avantage d'apporter des ordres importants, mais la branche <strong>se</strong> trouve cantonnée<br />

dans un marché trés spécifique et aléatoire à long terme.<br />

La plupart des autres communes de la vallée de la Lys, situées <strong>en</strong> aval<br />

d'Arm<strong>en</strong>tières, connais<strong>se</strong>nt une période d'industrialisation du tissage du lin<br />

<strong>en</strong>core plus tardive: à Halluin, Lemaitre- Demeestère, fondée <strong>en</strong> 1837, <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong><br />

<strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1870. A Roncq, les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts Delahous<strong>se</strong> réali<strong>se</strong>nt cette opé-<br />

ration <strong>en</strong> 1891. Il s'agit de firmes créées par des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs locaux. Mais<br />

toutes ces communes offrai<strong>en</strong>t un terrain favorable aux grandes <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de<br />

Lille, Roubaix et Tourcoing. Ces localités <strong>sont</strong> d'autant plus attractives qu'elles<br />

<strong>sont</strong> jumelées avec des cités <strong>be</strong>lges qui <strong>se</strong> transform<strong>en</strong>t <strong>en</strong> communes-dortoir et<br />

accrois<strong>se</strong>nt <strong>be</strong>aucoup les disponibilités <strong>en</strong> main-d'oeuvre (.). Ceci <strong>en</strong>traîne dans<br />

<strong>be</strong>aucoup de cas la perte de l'autonomie d'une bonne partie des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts.<br />

Le travail de la laine est introduit à Halluin, Lin<strong>se</strong>lles et Roncq par des g<strong>en</strong>s<br />

de Roubaix-Tourcoing.<br />

Une exception notable à ce processus de subordination s'ob<strong>se</strong>rve, toutefois,<br />

dans la rubanerie (..), à Comines et à Wervicq. Cette activité évolue as<strong>se</strong>z<br />

peu jusqu'<strong>en</strong> 1850. Certes, une conc<strong>en</strong>tration s'est opérée: 8 fabricants au lieu<br />

de 25, mais la technique de production reste artisanale; le travail <strong>se</strong> fait à<br />

domicile dans de petites maisons édifiées par les patrons pour accueillir la<br />

main-d'oeuvre, notamm<strong>en</strong>t les Belges.<br />

En 1852, la première activité de Comines reste la filterie avec 655<br />

salariés tandis que le tissage de rubans ne procure du travail qu'à 545 personnes.<br />

L'industrialisation s'effectue sous le Second Empire: la première machine<br />

à vapeur est installée vers 1850. Des perfectionnem<strong>en</strong>ts réalisés <strong>en</strong> partie à<br />

Comines même par H<strong>en</strong>ri Gallant accrois<strong>se</strong>nt très <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t la productivité<br />

des métiers mécaniques. Le travail <strong>se</strong> conc<strong>en</strong>tre <strong>en</strong> ateliers et l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong><br />

(.) L'immigration <strong>be</strong>lge avait déjà <strong>be</strong>aucoup gonflé leur population, l'exemple<br />

le plus spectaculaire est celui d'Halluin: <strong>en</strong> 1900, sur 16.600 habitants, 9.000<br />

<strong>sont</strong> <strong>be</strong>lges; <strong>en</strong> 1872, la proportion de ces derniers atteignait les trois quarts<br />

(cf. D. Vermander, D.E.S. cité).<br />

(..) cf. E. Flam<strong>en</strong>t et J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte.


- 223 -<br />

Lauwicq, repri<strong>se</strong> <strong>en</strong>suite par la famille de l 'habile technici<strong>en</strong> H. Gallant,<br />

devi<strong>en</strong>t la première <strong>en</strong> France dans cette spècialité, avec 400 salariés, <strong>en</strong> 1875.<br />

La mécanisation a été tardive, mais Comines est parmi les premiers c<strong>en</strong>tres à<br />

l'adopter; pour une fois la Vallée de la Lys n'est pas <strong>en</strong> retard et s'est résolum<strong>en</strong>t<br />

tournée vers l'utilisation du coton. Cette réussite provoque l'ext<strong>en</strong>sion<br />

de la branche et, <strong>en</strong> 1914, 11 établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> <strong>en</strong> activité dans les deux<br />

communes employant 860 rubaniers, sans compter le personnel auxiliaire et les<br />

établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de teinture. <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s <strong>sont</strong> de taille moy<strong>en</strong>ne mais con<strong>se</strong>rv<strong>en</strong>t<br />

leur indép<strong>en</strong>dance, car les grandes firmes <strong>textiles</strong> de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de<br />

Lille n'o<strong>se</strong>nt pas s'av<strong>en</strong>turer dans ce <strong>se</strong>cteur très spécialisé.<br />

A la veille de la Première Guerre Mondiale, les <strong>industries</strong> <strong>textiles</strong> de<br />

la Vallée de la Lys pré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t déjà la répartition spatiale qui <strong>se</strong>ra <strong>en</strong>core la<br />

leur dans les années 1950. La guerre fut particulièrem<strong>en</strong>t destructrice dans ce<br />

<strong>se</strong>cteur, car, aux déprédations commi<strong>se</strong>s par l'occupant, s'ajoutèr<strong>en</strong>t des dégâts<br />

causés par les opérations militaires proprem<strong>en</strong>t dites.<br />

Entre les deux Guerres Mondiales, on n'ob<strong>se</strong>rve pas de transformation<br />

radicale mais une poursuite de l'accrois<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t du rôle des firmes principales<br />

et l'acc<strong>en</strong>tuation de l'empri<strong>se</strong> de Lille, Roubaix et Tourcoing sur toute la partie<br />

aval de la Vallée de la Lys. Dans la région arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong> des filatures de lin<br />

ferm<strong>en</strong>t, dont cinq <strong>en</strong>tre 1930 et 1935, et le glis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t vers le coton s'acc<strong>en</strong>tue.<br />

Une firme comme Coisne et Lam<strong>be</strong>rt <strong>se</strong> consacre désormais uniquem<strong>en</strong>t à cette fibre.<br />

Elle crée une filature à Bailleul et ouvre un nouvel établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t à La Chapelle<br />

d'Arm<strong>en</strong>tières (filature, retorderie, tissage) (.).<br />

Entre les deux Guerres des <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> prodigués par les autorités<br />

françai<strong>se</strong>s pour favori<strong>se</strong>r le développem<strong>en</strong>t d'une industrie nationale du<br />

(.) Entre 1945 et 1954, la firme installe des unités cotonnières au Maroc, au<br />

Sénégal et <strong>en</strong> Afrique du Sud, confirmant ainsi de façon indiscutable sa <strong>place</strong><br />

de première <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> textile d'Arm<strong>en</strong>tières et de toute la Vallée de la Lys.


- 224 -<br />

teillage du lin; ceci <strong>en</strong>traîne l'arrivée d'un certain nombre de producteurs<br />

<strong>be</strong>lges. La Vallée de la Lys proche de la Belgique et des filatures de lin est<br />

évidemm<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> placée pour accueillir ces implantations,(sans oublier que l'on<br />

y cultive toujours cette fibre). Il faut noter, toutefois (Cf. P. Billaux), qu'<strong>en</strong><br />

1939 50 à 65 % des lins français étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core teillés à Courtrai.<br />

Le caractère généralem<strong>en</strong>t tardif de l'industrialisation textile dans<br />

la Vallée de la Lys et sa spécialisation dans le tissage, activité la moins<br />

conc<strong>en</strong>trée sur le plan géographique et technique, n'ont pas permis la constitu-<br />

tion d'un c<strong>en</strong>tre de grande importance et aucune ville n'a eu le temps de polari<strong>se</strong>r<br />

à son profit tout cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble.<br />

On a assisté à une différ<strong>en</strong>ciation croissante des divers <strong>se</strong>cteurs de<br />

la Vallée de la Lys, au cours de l'industrialisation: la partie amont, de Merville<br />

à Arm<strong>en</strong>tières, a connu la stagnation ou même parfois le déclin (.), la disparition<br />

du tissage manuel n'ayant été comp<strong>en</strong>sée que par quelques implantations<br />

réalisées par des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong>s.<br />

La " Cité de la toile" a acquis une importance et un rayonnem<strong>en</strong>t<br />

qu'elle n'avait pas avant la Révolution Industrielle. S<strong>en</strong>sible déjà dans cette<br />

ville, le rôle de la frontière a été considérable <strong>en</strong> aval car c'est elle, <strong>en</strong><br />

grande partie, qui r<strong>en</strong>dait ces communes attractives pour les investis<strong>se</strong>urs de<br />

Roubaix-Tourcoing ou de Lille. <strong>Les</strong> créations qui ne pouvai<strong>en</strong>t <strong>se</strong> faire <strong>en</strong> Flandre<br />

<strong>be</strong>lge <strong>se</strong> localisai<strong>en</strong>t là, <strong>en</strong>traînant une ségrégation <strong>en</strong>tre la rive françai<strong>se</strong> où<br />

<strong>se</strong> conc<strong>en</strong>trai<strong>en</strong>t les usines et la rive <strong>be</strong>lge où s'installai<strong>en</strong>t les travailleurs.<br />

Halluin, proche de Roubaix-Tourcoing <strong>en</strong> a reçu des activités nouvelles.<br />

(.) Entre 1801 et 1954, la population de la plupart de ces communes augm<strong>en</strong>te<br />

fort peu et parfois décllne comme à Estaires. Cf. N. Despringhère, D.E.S. cité.


- 225 -<br />

Cbmines et Wervicq ont acc<strong>en</strong>tué leur originalité, d'autant que la frontière,<br />

sans l'empêcher complétem<strong>en</strong>t, a freiné considérablem<strong>en</strong>t la diffusion de la ruba-<br />

nerie dans les communes <strong>be</strong>lges voisines.<br />

Cette partie du Nord-Pas de Calais est l'une de celles où la tradition<br />

textile fut la plus brillante et où le travail textile était <strong>en</strong>core le plus répandu<br />

au début du dix-neuvième siècle. Le r<strong>en</strong>om du Cambrésis était fondé sur la<br />

production de toiles de lin trés fines, appelées" batiste ", du nom de leur<br />

inv<strong>en</strong>teur supposé. Au dix-<strong>se</strong>ptième et dix-huitième siècles ces articles étai<strong>en</strong>t<br />

appréciés dans toute l'Europe Occid<strong>en</strong>tale et <strong>en</strong> Grande-Bretagne notamm<strong>en</strong>t( ..).<br />

On utilisait le lin d'origine locale.<br />

Initialem<strong>en</strong>t réalisé dans les villes, le tissage s'était, au cours du<br />

dix-huitième siècle, trés largem<strong>en</strong>t diffusé dans les campagnes. A la veille de<br />

la Révolution, les métiers <strong>sont</strong> presque tous installés dans les zones rurales<br />

de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Cambrai. Dieudonné évalue, <strong>en</strong> 1801, leur nombre à 13.286,<br />

soit <strong>en</strong>viron 90 % de tous ceux du départem<strong>en</strong>t du Nord. Cambrai et <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons<br />

immédiats possèd<strong>en</strong>t moins de 5 % du total des métiers de leur arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t,<br />

qui <strong>se</strong> <strong>sont</strong> surtout diffusés au sud et à l'est du chef-lieu. Toutes les communes<br />

<strong>en</strong> ont, aucune ne domine les autres les plus importantes <strong>en</strong> abrit<strong>en</strong>t plusieurs<br />

c<strong>en</strong>taines. <strong>Les</strong> deux principaux <strong>en</strong><strong>se</strong>mbles <strong>sont</strong> le canton de Clary (27 % de l'arron,<br />

dis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t) et celui de Marcoing au sud (25 %). Ces communes rurales ne constituem<br />

pas des c<strong>en</strong>tres autonomes car la finition et le négoce <strong>se</strong> conc<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans trois<br />

villes périphériques: Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes, Saint-Qu<strong>en</strong>tin et Cambrai. Cette dernière,<br />

<strong>en</strong> dépit de sa proximité des zones de production, ne joue pas le rôle principal :<br />

(.) <strong>Les</strong> sources es<strong>se</strong>ntielles <strong>sont</strong> Dieudonné pour la situation au début du dix-<br />

neuvième siècle; L. Bajart et surtout R. Bricout pour l'évolution ultérieure.<br />

(.. ) En Anglais, <strong>en</strong>core de nos jours, le t.erme de Il Cambric II désigne les batis-<br />

tes et les toiles très fines de lin. Le fait que ce nom soit dev<strong>en</strong>u un terme du<br />

langage courant indique à la fois le prestige et la diffusion des articles du<br />

Cambrésis.


- 226 -<br />

Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes, <strong>en</strong> 1789, a quatre fois plus d'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de blanchîm<strong>en</strong>t que<br />

Cambrai. Saint-Qu<strong>en</strong>tin, dont l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t produit moitié moins de pièces<br />

que celui de Cambrai, a un négoce <strong>be</strong>aucoup plus important (.). Le Cambrésis <strong>se</strong><br />

pré<strong>se</strong>nte, à cette époque, comme une région d'artisanat textile diffus et spécialisé<br />

; il est as<strong>se</strong>z mal polarisé par les villes voisines.<br />

Le Cambrésis connaît des difficultés croissantes à partir de la <strong>se</strong>conde<br />

moitié du dix-huitième siècle. La concurr<strong>en</strong>ce des étoffes fines de coton, mous<strong>se</strong>lines<br />

et tulles, <strong>en</strong> est la raison fondam<strong>en</strong>tale. Au début, ces articles bénéfici<strong>en</strong>t<br />

d'un <strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t dû à la mode. Sur le marché des produits de luxe, la nou-<br />

veauté attire toujours <strong>be</strong>aucoup. Mais bi<strong>en</strong>tôt ce <strong>sont</strong> des cau<strong>se</strong>s économiques<br />

profondes qui favori<strong>se</strong>nt l'essor du coton: cette fibre <strong>se</strong> file mécaniquem<strong>en</strong>t,<br />

ce qui n'est pas <strong>en</strong>core le cas du lin et le tissage mécanique du tulle est mis<br />

au point <strong>en</strong> Grande-Bretagne, dans la première déc<strong>en</strong>nie du dix-neuvième siècle.<br />

La concurr<strong>en</strong>ce britannique devi<strong>en</strong>t irrésistible, mème si le gouvernem<strong>en</strong>t français<br />

prohi<strong>be</strong> l'introduction de ces articles <strong>en</strong> France. Dès 1801, Dieudonné constate<br />

que le nombre des métiers à tis<strong>se</strong>r les toiles de lin a diminué, dans le Cambrésis.<br />

de près de 30 % par rapport à 1789 ; cette réduction a affecté à peu près égalem<strong>en</strong>t<br />

les divers foyers de production.<br />

Cette reglon dispo<strong>se</strong> d'une main-d'oeuvre habile et abondante (la d<strong>en</strong>sité<br />

de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Cambrai atteint 147 habitants au kilomètre carré <strong>en</strong><br />

1821) dont l'activité principale est condamnée à un dépéris<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t irrémédiable.<br />

Une conversion économique s'impo<strong>se</strong>. L'impulsion peut difficilem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir des<br />

communes rurales où <strong>se</strong> r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t presque uniquem<strong>en</strong>t des artisans peu <strong>en</strong>traînés<br />

au calcul économique et appauvris par les difficultés du mom<strong>en</strong>t.<br />

(.) Au début du dix-hultième siècle, par exemple, un négociant de Salnt-Qu<strong>en</strong>tin t<br />

L. Crommelin, qui avait émigré à la suite de la révocation de l'Edit de Nantes,<br />

contribua <strong>be</strong>aucoup à développer le travail du lin <strong>en</strong> Ulster. Il fut aidé par des<br />

tis<strong>se</strong>urs du Cambrésis (Cf. P. Billaux).


- 227 -<br />

On pourrait imaginer que les villes voisines soi<strong>en</strong>t les instigatrices<br />

du r<strong>en</strong>ouveau, car elles dispo<strong>se</strong>nt d'un certain nombre de négociants. Ce ne <strong>se</strong>ra<br />

pas le cas. Cambrai, qui ne t<strong>en</strong>ait déjà plus qu'un rôle limité à la fin du dixhuitième<br />

siècle, stagne et devi<strong>en</strong>t un foyer textile de plus <strong>en</strong> plus <strong>se</strong>condaire.<br />

Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes perd d'abord, au début du dix-neuvième siècle, son activité de fabrication<br />

de la d<strong>en</strong>telle au profit de Lille, elle est <strong>en</strong>suite rapidem<strong>en</strong>t accaparée<br />

par le développem<strong>en</strong>t des activités minièr,~s et métallurgiques.Saint-Qu<strong>en</strong>tin<br />

connaît un certain essor de la filature du coton dans les premières déc<strong>en</strong>nies<br />

du dix-neuvième siècle, mais celui-ci est bi<strong>en</strong>tôt freiné par la concurr<strong>en</strong>ce des<br />

régions de Mulhou<strong>se</strong> et de Lille. Saint-Qu<strong>en</strong>tin aura, au début, un rôle non-négli-<br />

geable comme <strong>place</strong> de négoce et contribuera à diffu<strong>se</strong>r la broderie à la fin du<br />

dix-neuvième siècle, mais son influ<strong>en</strong>ce <strong>se</strong>ra <strong>en</strong> définitive as<strong>se</strong>z limitée (.).<br />

Le r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>t des activités <strong>textiles</strong> <strong>se</strong> fait très l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, à la<br />

suite d'initiative isolées v<strong>en</strong>ues souv<strong>en</strong>t de l'extérieur. De notre point de vue,<br />

il est surtout intéressant d'essayer de compr<strong>en</strong>dre pourquoi la production des<br />

tulles et d<strong>en</strong>telles devi<strong>en</strong>t prépondérante et comm<strong>en</strong>t Caudry va progressivem<strong>en</strong>t<br />

dominer cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble. Au début du dix-neuvième siècle, <strong>en</strong> effet, cette localité<br />

ne <strong>se</strong> distingue guère des autres: <strong>en</strong> 1804, elle a moins de 2.000 habitants<br />

(1.926), alors que Le Cateau atteint 4.000. A 100 ou 200 unités près, <strong>en</strong> plus ou<br />

<strong>en</strong> moins, Villers-Outréaux, Clary, Busigny, Quiévy, ont une importance comparable<br />

et des spécialisations <strong>textiles</strong> id<strong>en</strong>tiques. <strong>Les</strong> jeux <strong>sont</strong> donc loin d'être faits<br />

d'avance.<br />

Vers 1820, les premiers élém<strong>en</strong>ts de r<strong>en</strong>ouveau <strong>se</strong> manifest<strong>en</strong>t, Au Cateau<br />

apparaît la filature de la laine mais l'époque n'est pas <strong>en</strong>core propice à l'ex-<br />

pansion de cette activité. Comme à Roubaix-Tourcoing, son développem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> <strong>place</strong><br />

après 1850. Cette évolution <strong>se</strong> fait parallèlem<strong>en</strong>t à celle de la région voisine<br />

(.) Cf. la thè<strong>se</strong> d'A. Demangeon. L'auteur m<strong>en</strong>tionne l'exist<strong>en</strong>ce de <strong>se</strong>pt filatures<br />

mécaniques de coton <strong>en</strong> 1810 et leur déclin après 1840.


- 228 -<br />

de Fourmies. Toutefois Le Cateau constitue toujours un c<strong>en</strong>tre distinct de celui<br />

de l'Avesnois et <strong>be</strong>aucoup plus ori<strong>en</strong>té vers le tissage.<br />

Vers 1823-1825, des Britanniques introdui<strong>se</strong>nt dans la région des métiers<br />

mécaniques à tulle qui ne <strong>sont</strong> pas <strong>en</strong>core mus par la vapeur. Comme les<br />

Anglais interdi<strong>se</strong>nt l'exportation de ces matériels et que les Français prohib<strong>en</strong>t<br />

les importations de tulle, tous les échanges <strong>se</strong> font clandestinem<strong>en</strong>t, ce qui ne<br />

facilite pas le travail des histori<strong>en</strong>s. Dès 1815-1816, des métiers arriv<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

France, non <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t à Calais, mais aussi à Lille, Saint-Qu<strong>en</strong>tin, Douai, Ca<strong>en</strong>,<br />

Rou<strong>en</strong> même.<br />

<strong>Les</strong> motifs de ces implantations n'étai<strong>en</strong>t peut-être pas toujours industriels<br />

: elles pouvai<strong>en</strong>t <strong>se</strong>rvir de • couverture· à des importations fraudu-<br />

leu<strong>se</strong>s de tulles anglais que l'on <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>tait de finir <strong>en</strong> France pour maquiller<br />

leur prov<strong>en</strong>ance. Le Cambrésis n'est pas la première région à recevoir ces maté-<br />

riels, mais il était normal que, tôt ou tard, les mécanici<strong>en</strong>s anglais vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

dans ce <strong>se</strong>cteur dont ils connaissai<strong>en</strong>t la réputation d'habilité de la main-<br />

d'oeuvre. Le premier métier fut installé non à Caudry mais à Beauvois par un<br />

Belge, Carpriau, assisté de mécanici<strong>en</strong>s britanniques (.).Cambrai <strong>en</strong> reçoit<br />

quelques uns, <strong>en</strong> 1835 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t.<br />

L'arrivée de ce matériel suscite l'intérêt des tis<strong>se</strong>rands les plus<br />

dynamiques mais il n'y a pas d'<strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t général: il faut appr<strong>en</strong>dre une nouvelle<br />

technique et cet équipem<strong>en</strong>t est plus coûteux que les métiers traditionnels.<br />

Par ailleurs, si l'artisan connaît des difficultés, lui-même ou des membres<br />

de sa famille ont souv<strong>en</strong>t des activités autres, le travail des champs notamm<strong>en</strong>t.<br />

Habitué aux fluctuations conjoncturelles, il espère toujours qu'une brusque<br />

flambée de la demande lui fournira l'occasion de retrouver des gains substantiels<br />

( ..)<br />

La production du tulle <strong>se</strong> diffu<strong>se</strong> progressivem<strong>en</strong>t 10 ans plus tard,<br />

(.) La proximité des c<strong>en</strong>tres de blanchim<strong>en</strong>t de Saint-Qu<strong>en</strong>tin et de Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes,<br />

pouvait faciliter le maquillage év<strong>en</strong>tuel des tulles v<strong>en</strong>us d'Angleterre. On<br />

connaît peu de cho<strong>se</strong>s sur Carpriau et R. Bricout <strong>se</strong> demande, non sans vrai<strong>se</strong>m-<br />

blance, s'il ne s'agissait pas d'une prête-nom utilisé par des Britanniques pour<br />

ne pas attirer l'att<strong>en</strong>tion sur leurs activités.<br />

(..) Pour la description et la persistance de cette m<strong>en</strong>talité, jusqu'à la fin<br />

du dix-neuvième siècle, cf. la thè<strong>se</strong> de C. Blai<strong>se</strong>, qui date de 1899.


- 229 -<br />

<strong>en</strong> 1833, l'annuaire statistique du départem<strong>en</strong>t du Nord signale la pré<strong>se</strong>nce<br />

d'une vingtaine d'ateliers dans cette région: quatre <strong>sont</strong> à Beauvois, trois<br />

à Cambrai, <strong>se</strong>pt à Caudry. Cette dernière localité est la <strong>se</strong>ule à posséder <strong>en</strong><br />

plus une usine de construction de métiers à tulle. En dehors de Cambrai et du<br />

Cateau, c'est la <strong>se</strong>ule commune ayant plus de 3.000 habitants (3.343). On constate<br />

que Caudry comm<strong>en</strong>ce à pr<strong>en</strong>dre un léger avantage à l'intérieur de cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble<br />

textile. Au total (cf. carte n° 8), 11 communes, contigües pour la plu-<br />

part, font du tulle.<br />

Cette activité ne repré<strong>se</strong>nte pas la <strong>se</strong>ule forme de conversion et<br />

<strong>be</strong>aucoup de tis<strong>se</strong>rands <strong>se</strong> <strong>sont</strong> mis à produire de nouveaux g<strong>en</strong>res d'étoffes sur<br />

leurs métiers traditionnels. Schématiquem<strong>en</strong>t, et pour autant que les sources<br />

soi<strong>en</strong>t préci<strong>se</strong>s, on peut dire que le nord de la région (Avesnes-les-Au<strong>be</strong>rt,<br />

Saint-Hilaire, Viesly) reste plutôt fidèle au lin; tandis que l'ouest (Le<br />

Cateau, Briastre, Haussy) <strong>se</strong> tourne vers la laine. Le sud (Maurois, Maretz,<br />

Villers-Outréaux) travaille le coton, peut-être sous l'influ<strong>en</strong>ce du négoce de<br />

Saint-Qu<strong>en</strong>tin. Ces contrastes ne <strong>sont</strong> pas <strong>en</strong>core trés tranchés mais une différ<strong>en</strong>ciation<br />

s'amorce. Il est clair qu'il <strong>se</strong>rait difficile de chercher des cau<strong>se</strong>s<br />

générales systématiques; le choix heureux de quelques individus <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ants<br />

pouvant à lui <strong>se</strong>ul, par effet d'incitation, modifier l'ori<strong>en</strong>tation de la production<br />

de ces communes qui rest<strong>en</strong>t petites. Il est certain que le tulle demeure<br />

une activité globalem<strong>en</strong>t très minoritaire dans l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble du Cambrésis textile.<br />

L'évolution constatée <strong>se</strong> produit très l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> raison des structures<br />

artisanales de la production. La première machine à vapeur apparaît à<br />

Caudry, <strong>en</strong> 1852, <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, lorsque la ville a tout juste 3.500 habitants. Alors<br />

que Calais est déjà dev<strong>en</strong>u un c<strong>en</strong>tre d<strong>en</strong>tellier, toute cette région <strong>en</strong> est<br />

restée es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t au tulle uni et ne contrôle guère la commercialisation<br />

de <strong>se</strong>s articles. Cl. Fohl<strong>en</strong> a publié, dans sa thè<strong>se</strong>, un tableau très signifi-<br />

catif de la répartition des métiers à tulle dans le départem<strong>en</strong>t du Nord, <strong>en</strong> 1860:<br />

sur 478 unités dénombrées dans le Cambrésis, les deux tiers <strong>sont</strong> à Caudry, ce<br />

qui montre que cette ville joue maint<strong>en</strong>ant le rôle principal dans sa région pour<br />

cette activité. L'autre c<strong>en</strong>tre important du départem<strong>en</strong>t est Lille avec 284 méûe~


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- 230 -<br />

dans cette ville, un fabricant possède <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne 10 métiers contre 2,5 dans<br />

le Cambrésis. Même pour l'époque, Caudry et <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons ont des structures de<br />

production très émiettées.<br />

<strong>Les</strong> années 1860 <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t une période de cri<strong>se</strong> générale dans le<br />

Cambrésis l'ouverture des frontières aux articles britanniques est catastrophique<br />

pour les producteurs de tulle uni français, car les anglais ont des fils<br />

de coton moins cher et surtout un matériel <strong>be</strong>aucoup plus moderne. En 1867, les<br />

deux tiers des métiers <strong>en</strong> <strong>se</strong>rvice <strong>se</strong>pt ans plus tôt ont disparu.<br />

Par ailleurs, au cours de ces années, le tissage <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong> vraim<strong>en</strong>t<br />

et comm<strong>en</strong>ce à être effectué dans des usines équipées de machines à vapeur ; ceci<br />

crée une rude concurr<strong>en</strong>ce pour les nombreux tis<strong>se</strong>rands à main qui constitu<strong>en</strong>t<br />

alors l'es<strong>se</strong>ntiel de la main-d'oeuvre textile de cette région, et nécessite une<br />

réorganisation des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s. Mais, pour les mêmes raisons que précédemm<strong>en</strong>t,<br />

cette évolution est as<strong>se</strong>z l<strong>en</strong>te: vers 1900, il reste <strong>en</strong>core plusieurs milliers<br />

de tis<strong>se</strong>rands à la main dans l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble du Cambrésis.<br />

La première solution apportée aux difficultés que connaissait le<br />

Cambrésis consista à <strong>se</strong> lancer dans la fabrication de la d<strong>en</strong>telle, qui procurait<br />

à Calais, au même mom<strong>en</strong>t, une grande prospérité. Cette implantation va faire de<br />

Caudry la principale ville du Cambrésis textile. Plusieurs raisons expliqu<strong>en</strong>t<br />

cette promotion: la ville occupe déjà la première <strong>place</strong> pour le tulle; elle<br />

attire les activités annexes (maisons de négoce, teintureries, dessinateurs etc ..<br />

La gamme de <strong>se</strong>s articles comporte des tulles fantaisie nécessitant une plus<br />

grande technicité: le passage à la d<strong>en</strong>telle <strong>en</strong> est r<strong>en</strong>du plus facile.<br />

Le démarrage véritable de cette pha<strong>se</strong> de prospérité <strong>se</strong> <strong>place</strong> vers 1880.<br />

Il fut favorisé au début par l'installation de bureaux de négociants étrangers,<br />

Anglais souv<strong>en</strong>t, qui, <strong>en</strong> raison de la demande générale de d<strong>en</strong>telle <strong>en</strong> Europe,<br />

cherchai<strong>en</strong>t à s'assurer un approvisionnem<strong>en</strong>t sûr auprès des nouveaux producteurs.<br />

L'achat de matériel fut facilité par l'interv<strong>en</strong>tion de petites banques locales<br />

(Debail et Co, par exemple) qui <strong>se</strong>rvai<strong>en</strong>t d'organismes prêteurs sans pour autant<br />

contrôler les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s car celles-ci remboursai<strong>en</strong>t le plus rapidem<strong>en</strong>t<br />

possible ces crédits pour sauvegarder leur indép<strong>en</strong>dance.<br />

Entre 1880 et 1885, 300 métiers Leavers neufs <strong>sont</strong> installés.


- 231 -<br />

En 1914, ils <strong>sont</strong> 600 au total dans la région de Caudry, répartis <strong>en</strong>tre 177<br />

fabricants. Un grand nombre de petites firmes subsist<strong>en</strong>t: la prospérité permettait<br />

aux petits artisans ou au habiles contrema'tres d'acheter un métier<br />

a crédit, et cela suffisait pour dev<strong>en</strong>ir un producteur indép<strong>en</strong>dant; les principaux<br />

fabricants, <strong>en</strong> effet, disposai<strong>en</strong>t d'usines plus vastes que ne l'aurait<br />

nécessité leur propre parc de matériel, ils louai<strong>en</strong>t les <strong>place</strong>s disponibles a<br />

ces artisans. La commercialisation pouvait <strong>se</strong> faire par l'intermédiaire des<br />

maisons de commission. Cette structure freine le développem<strong>en</strong>t des firmes importantes<br />

puisque les commissionnaires peuv<strong>en</strong>t s'appuyer sur les artisans, a<br />

l'équilibre financier fragile, pour concurr<strong>en</strong>cer les fabricants susceptibles<br />

de v<strong>en</strong>dre eux-mémes leurs articles.<br />

L'essor de cette région, à la fin du dix-neuvième siècle, est favorisé<br />

par un r<strong>en</strong>ouveau du tulle uni. La demande porte sur les articles destinés<br />

aux moustiquaires; elle s'explique aussi par l'apparition de la broderie méca-<br />

nique pour laquelle le tulle <strong>se</strong>rt de support. Grâce à cela, on dénombre 550<br />

métiers modernes à tulle <strong>en</strong> 1913.<br />

La broderie à la main avait persisté dans la région de Saint-Qu<strong>en</strong>tin<br />

vers 1870 y apparais<strong>se</strong>nt des machines importées de Suis<strong>se</strong> àù elles avai<strong>en</strong>t été<br />

mi<strong>se</strong>s au point. Le progrès décisif <strong>se</strong> <strong>place</strong>, toutefois, plus tardivem<strong>en</strong>t: <strong>en</strong><br />

1893, les Suis<strong>se</strong>s adapt<strong>en</strong>t le système jacquard au métier et les ornem<strong>en</strong>ts les<br />

plus complexes <strong>sont</strong> dès lors réalisables mécaniquem<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> premières machines<br />

de ce type <strong>sont</strong> installées a Caudry <strong>en</strong> 1906. En 1913, la région <strong>en</strong> possédait<br />

<strong>en</strong>viron 35. Cette activité réc<strong>en</strong>te qui exige moins d'investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts que la<br />

d<strong>en</strong>telle est extrêmem<strong>en</strong>t morcelée: la moitié des producteurs <strong>sont</strong> des artisans<br />

disposant d'un <strong>se</strong>ul métier; un tout petit nombre de firmes <strong>en</strong> ont plus de deux<br />

au total, on dénombre 630 métiers pour 248 firmes.<br />

Au cours de ces déc<strong>en</strong>nies, l'essor de Caudry est trés rapide. De 1860<br />

à 1880, la population oscille aux al<strong>en</strong>tours de 4.500 habitants. En 1901, elle<br />

a doublé et, <strong>en</strong> 1911, atteint 13.400, dépassant de plus de 3.000 unités celle<br />

du Cateau, alors que cette dernière commune était deux fois plus peuplée que<br />

Caudry <strong>en</strong> 1870. Cambrai reste, avec 28.000 habitants, la ville la plus impor-<br />

tante de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> qu'elle n'ait pas profité du r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>t<br />

textile. Toutefois, <strong>en</strong> valeur absolue, son accrois<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre 1872 et 1913,


- 232 -<br />

qui est de 6.000 unités, est inférieur à celui de Caudry qui s'est élevé à<br />

9.000 (.).<br />

Caudry affirme son rôle de capitale car elle pré<strong>se</strong>nte déjà la situa-<br />

tion ob<strong>se</strong>rvée <strong>en</strong> 1954 : les activités et <strong>se</strong>rvices annexes <strong>se</strong> group<strong>en</strong>t sur son<br />

territoire et elle conc<strong>en</strong>tre la majeure partie des métiers à d<strong>en</strong>telle. Son im-<br />

portance est moins grande dans la broderie qui a rayonné à partir de Saint-<br />

Qu<strong>en</strong>tin et a attiré davantage les artisans du sud de la région, notamm<strong>en</strong>t ceux<br />

de Villers-Outréaux; cette commune est déjà le principal c<strong>en</strong>tre après Caudry.<br />

La prospérité de la d<strong>en</strong>telle n'incitait pas les caudrési<strong>en</strong>s à <strong>se</strong> consacrer <strong>en</strong><br />

grand nombre à la broderie. Cambrai compte, au total, moins de vingt métiers<br />

à tulle ou à broder et ne joue qu'un rôle négligeable.<br />

L'essor de Caudry n'a pas provoqué, comme à Calais, la conc<strong>en</strong>tration<br />

des activités <strong>en</strong> une <strong>se</strong>ule ville. Le r<strong>en</strong>ouveau du tulle, le succès de la d<strong>en</strong>-<br />

telle ont favorisé leur diffusion spatiale, comme le montre la carte n° 8 <strong>en</strong><br />

comparant l'ext<strong>en</strong>sion géographique de ces activités <strong>en</strong> 1833 et à la fin du dixneuvième<br />

siècle; des artisans <strong>en</strong> difficultés ont trouvé dans ces productions<br />

un moy<strong>en</strong> de <strong>se</strong> convertir tout <strong>en</strong> restant dans leur commune d'origine.<br />

En 1913, ces fabrications connais<strong>se</strong>nt leur plus large implantation<br />

géographique, atteignant même deux communes de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Avesnes<br />

(Poix du Nord et Bavai). La carte n° 8 montre que ces localités form<strong>en</strong>t presque<br />

toutes un bloc compact autour de Caudry. Comme cette ville <strong>en</strong> est le c<strong>en</strong>tre<br />

d'animation principal, on peut parler d'une" région de Caudry" qui atteint<br />

alors sa plus grande ampleur.<br />

L'autre source de r<strong>en</strong>ouveau pour l'industrie textile du Cambrésis,<br />

(.) Cette population est de recrutem<strong>en</strong>t es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t local: R. Bricout<br />

relève que, <strong>en</strong> 1906, 70 % des habitants v<strong>en</strong>us de l'extérieur <strong>sont</strong> nés à moins<br />

de 40 kilomètres de la ville. <strong>Les</strong> étrangers repré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t moins de 1 % du total,<br />

ce <strong>sont</strong> surtout des Belges. L'homogénéité de la population est telle que 15<br />

patronymes <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>sont</strong> portés alors par 43 % des habitants.


- 233 -<br />

dans la <strong>se</strong>conde moitié du dix-neuvième siècle a été le développem<strong>en</strong>t du travail<br />

de la laine, Le Cateau devint un c<strong>en</strong>tre complet pratiquant peignage, filature<br />

et tissage, Vers 1860, ces trois activités <strong>sont</strong> parfois réunies au <strong>se</strong>in d'une<br />

même <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> comme celle de Paturle Lupin (,) qui possède notamm<strong>en</strong>t 400 métiers<br />

à tis<strong>se</strong>r (tous ne <strong>sont</strong> pas <strong>en</strong>core ras<strong>se</strong>mblés <strong>en</strong> atelier).<br />

A la veille de la Première Guerre Mondiale ( .) on peut estimer à<br />

<strong>en</strong>viron 10.000 le nombre de métiers à tis<strong>se</strong>r la laine <strong>en</strong> <strong>se</strong>rvice dans cette<br />

région. La filature est peu importante; lorsqu'elle existe, c'est intégrée<br />

au tissage, si bi<strong>en</strong> qu'il ya très peu de v<strong>en</strong>tes. En 1910, pour toutes ces raisons,<br />

le bureau de conditionnem<strong>en</strong>t du Cateau traite un tonnage de fils de laine<br />

inférieur au dixième de celui de Fourmies<br />

Dans cette branche industrielle, on note la pré<strong>se</strong>nce d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s<br />

de taille importante: <strong>en</strong> 1910, la firme Th Michau et C", dont l'usine est à<br />

Beduvois, possède 2.000 métiers et procure du travail à 2 500 personnes, parfois<br />

dispersées dans de petits ateliers ruraux La société Seydoux et Co réali<strong>se</strong><br />

toutes les pha<strong>se</strong>s du cycle de transformation de la laine et dispo<strong>se</strong> d'unités<br />

de production au Cateau, à Bousies et à Maurois ainsi qu'à Sabadell, <strong>en</strong> Espagne.<br />

Elle a, au total 2.400 salariés (...). <strong>Les</strong> intérêts de Roubaix-Tourcoing ne <strong>sont</strong><br />

pas ab<strong>se</strong>nts dans cette activité, et la firme roubaisi<strong>en</strong>ne d'Halluin-Lepers possède,<br />

par exemple, un tissage de 350 métiers au Cateau. La ville principale<br />

du Cambrésis lainier est incontestablem<strong>en</strong>t cette dernière localité qui a <strong>en</strong>viron<br />

11.000 habitants, <strong>en</strong> 1911. Elle ne domine pourtant pas sa branche comme Caudry<br />

le fait dans la si<strong>en</strong>ne: par exemple, les deux grandes sociétés m<strong>en</strong>tionnées<br />

ci-dessus ont leurs <strong>se</strong>rvices commerciaux et leurs sièges sociaux à Paris.<br />

(.) diaprés A. Falleur, thè<strong>se</strong> citée.<br />

(.. ) Ces r<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> tirés de l'ouvrage cité de G. Sayet.<br />

(...) Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ont un nombre de salariés considérable, supérieur à celui<br />

de la plupart des firmes de Roubaix-Tourcoing. Ceci s'explique <strong>en</strong> partie par<br />

une mécanisation <strong>be</strong>aucoup moins poussée: la société Seydoux, par exemple, <strong>se</strong><br />

livre <strong>en</strong>core au tissage manuel, tout <strong>en</strong> disposant de plusieurs dizaines de<br />

milliers de broches de filature.


- 234 -<br />

Le travail du lin n'a pas disparu du nord du Cambrésis, notamm<strong>en</strong>t dans<br />

le <strong>se</strong>cteur Haspres-Avesnes lez Au<strong>be</strong>rt. A la veille de 1914, une fois <strong>en</strong>core, les<br />

grands traits de la répartition géographique ob<strong>se</strong>rvée <strong>en</strong> 1955, <strong>sont</strong> déjà <strong>en</strong><br />

<strong>place</strong>. Des conversions successives et incomplètes ont diversifié la région. La<br />

plus <strong>be</strong>lle réussite a été celle des d<strong>en</strong>telles, tulles et broderies, activités<br />

bi<strong>en</strong> adaptées à la nature d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s qui rest<strong>en</strong>t proches de l'artisanat.<br />

le caractère tardif de cet essor n'a guère donné le temps aux firmes de cette<br />

branche d'accéder à une taille importante, d'autant plus que leur asc<strong>en</strong>sion<br />

était freinée par l'émiettem<strong>en</strong>t des structures professionnelles et l'exist<strong>en</strong>ce,<br />

même <strong>en</strong>tre 1880 et 1914, de cri<strong>se</strong>s conjoncturelles brutales.<br />

La Guerre de 1914-1918 <strong>se</strong> traduit, comme dans tous les territoires<br />

occupés par la mi<strong>se</strong> hors d'usage de tout le matériel textile. La reconstruction<br />

voit quelques producteurs de tulles, d<strong>en</strong>telles ou broderies, ces<strong>se</strong>r leur activité<br />

dans des communes situées sur les marges du foyer principal : c'est le cas de<br />

Cambrai, Briastre, Bavai notamm<strong>en</strong>t (cf. carte n° 8) ; cette contraction est<br />

légère. La rénovation du matériel ne s'accompagne pas d'une modification notable<br />

des structures de production. En 1922, la Chambre de Commerce de Cambrai dénombre<br />

273 fabricants de tulles et d<strong>en</strong>telles dont les trois quarts <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t à<br />

Caudry et 197 producteurs de broderies qui pour le tiers d'<strong>en</strong>tre-eux <strong>sont</strong> implan-<br />

tés à Caudry (.).<br />

La cri<strong>se</strong> de 1929 touche très durem<strong>en</strong>t une activité qui exportait,<br />

(.) <strong>Les</strong> relevés effectués par R. Bricout dans les archives du syndicat des ou-<br />

vrlers tullistes, indiqu<strong>en</strong>t plutôt une t<strong>en</strong>dance à l'accrois<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de l'émiette-<br />

m<strong>en</strong>t: <strong>en</strong> 1909-1912, les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts occupant moins de 10 tullistes regrou-<br />

pai<strong>en</strong>t 55 % de ces ouvriers. Après 1920, ce pourc<strong>en</strong>tage s'élève à 80 % et ne<br />

diminue que légèrem<strong>en</strong>t vers 1931 (71 %). Ces résultats peuv<strong>en</strong>t avoir été affec-<br />

tés par une variation du taux de syndicalisation (mais celui-ci était déjà<br />

élevé chez ces ouvriers qualifiés avant la Guerre). Ces données confirm<strong>en</strong>t, pour<br />

le moins, le mainti<strong>en</strong> du morcellem<strong>en</strong>t de la production.


- 235 -<br />

directem<strong>en</strong>t ou indirectem<strong>en</strong>t, la majeure partie de <strong>se</strong>s articles vers les grands<br />

pays industrialisés,U.S.A. et Allemagne notamm<strong>en</strong>t. Ces difficultés ne modifi<strong>en</strong>t<br />

pas profondèm<strong>en</strong>t les structures de la profession. Toutes les firmes <strong>sont</strong> atteinœ~<br />

la plupart <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t d'att<strong>en</strong>dre des jours meilleurs. Patrons et ouvriers ont<br />

toujours connu des périodes de difficultés et font preuve, <strong>en</strong> définitive, de<br />

<strong>be</strong>aucoup de pati<strong>en</strong>ce, d'autant que les premiers ont peu de frais fixes <strong>en</strong> raison<br />

de la petite taille de leurs firmes. <strong>Les</strong> <strong>se</strong>conds n'ont pas perdu tout contact<br />

avec la terre. On constate des cessations d'activité et des v<strong>en</strong>tes de métiers<br />

(.) ; les faillites, par contre, rest<strong>en</strong>t exceptionnelles. La broderie, aux productions<br />

plus variées, est moins touchée; des métiers <strong>sont</strong> acquis par des artisans<br />

pour cette raison. La population de Caudry ne varie pratiquem<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>tre<br />

1911 et 1936 (..). Une fois de plus, cette région témoigne de son aptitude à supporter<br />

les cri<strong>se</strong>s.<br />

<strong>Les</strong> autres activités <strong>textiles</strong> du Cambrésis connais<strong>se</strong>nt égalem<strong>en</strong>t des<br />

difficultés économiques. La reconstruction s'était traduite par la diminution<br />

de moitié du nombre des métiers à tis<strong>se</strong>r la laine. Ceci n'<strong>en</strong>traînait pas nécessairem<strong>en</strong>t<br />

une bais<strong>se</strong> de la capacité de production car il s'agissait de métiers<br />

modernes, mais cela réduit toutefois <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t le nombre des emplois. La<br />

cri<strong>se</strong> des années 1930 provoque la disparition des grandes maisons ou leur pri<strong>se</strong><br />

de contrôle par des firmes de Roubaix-Tourcoing. La plus grande partie du matériel<br />

reste inoccupée. Il est frappant de constater que, <strong>en</strong> 1937 <strong>en</strong>core, même<br />

s'ils <strong>sont</strong> souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chomâge, des tis<strong>se</strong>urs <strong>se</strong> <strong>se</strong>rv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core de métiers manuels<br />

pour produire des toiles fines <strong>en</strong> lin ( ...).<br />

(.) <strong>Les</strong> achats de métiers à d<strong>en</strong>telle ces<strong>se</strong>nt complètem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant cette période<br />

le parc diminue de 300 unités <strong>en</strong>viron par obsol<strong>en</strong>ce, destruction ou v<strong>en</strong>te.<br />

(,.) P<strong>en</strong>dant cette même période, la population de Calais régres<strong>se</strong> <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t<br />

bi<strong>en</strong> que cette ville dispo<strong>se</strong> d'activités portuaires et de quelques <strong>industries</strong><br />

non-<strong>textiles</strong>. Par contre, Caudry est purem<strong>en</strong>t textile.<br />

(...) L. Bajart estime que, pour tout le Cambrésis, 1.200 métiers manuels <strong>sont</strong><br />

<strong>en</strong>core <strong>en</strong> état de marche <strong>en</strong> 1937.


- 236 -<br />

La Seconde Guerre Mondiale ne provoque que fort peu de destructions et<br />

ne remet pas <strong>en</strong> cau<strong>se</strong>, par consèqu<strong>en</strong>t, les structures de production tradition-<br />

nelles.<br />

Le Cambrèsis textile a connu la même èvo1ution d'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble que les<br />

autres foyers de la règion du Nord mais à un rythme <strong>be</strong>aucoup plus l<strong>en</strong>t, de telle<br />

sorte que les structures de production <strong>sont</strong> restèes plus proches des formes<br />

anci<strong>en</strong>nes. Cela <strong>se</strong> traduit èga1em<strong>en</strong>t sur le plan gèographique : <strong>se</strong>s limites,<br />

au dèbut dèS annèes 1950, ne <strong>sont</strong> pas très différ<strong>en</strong>tes de celles qui existai<strong>en</strong>t<br />

au temps du Prèfet Oieudonnè. Le <strong>se</strong>ul fait nouveau a étè l'apparition d'un pôle<br />

d'animation, Caudry, au milieu de cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble rural peu diffèr<strong>en</strong>ciè antèrieurem<strong>en</strong>t.<br />

~1ais là <strong>en</strong>core, 1 'èvo1ution n'a pas è tê poussée jusqu'à son terme, puis-<br />

que Caudry ne domine pas toutes les activitès <strong>textiles</strong> et que son rayonnem<strong>en</strong>t<br />

n'affecte pas toutes les communes de cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble.<br />

La req ion de Fourmies et d'Avesnes, à l'au<strong>be</strong> de la Rèvo1ution industri-<br />

elle, ne joue pas un grand rôle dans la production des articles <strong>textiles</strong>. Cette<br />

situation n'est d'ailleurs pas nouvelle et si l'on remonte le cours de 1 'histoire<br />

on constate que c'est la fabrique de draperie de Mau<strong>be</strong>uge qui fut le c<strong>en</strong>tre le<br />

plus notable de cette règion jusqu'au dix-huitième siècle. Au dèbut du dix-neuvième<br />

siècle, Fourmies n'est, à vrai dire, qu'un gros bourg n'atteignant pas<br />

3.000 habitants, donc moins peup1è qu'Avesnes. Ce fut l'une des raisons du choix<br />

de cette dernière comme sous-prèfecture.<br />

La statistique de Oieudonnè montre des activitès varièes, peu importantes<br />

à 1 'èche11e du dèpartem<strong>en</strong>t et ori<strong>en</strong>tèe vers la confection d'objets de qua-<br />

1itè mèdiocre. Le contexte est très différ<strong>en</strong>t de celui du Cambrésis voisin: <strong>en</strong><br />

1801, on travaille un peu la laine des Ard<strong>en</strong>nes pour faire des ètoffes grossières<br />

(.) La source principale est la thè<strong>se</strong> de A. Falleur. Elle a été écrite <strong>en</strong> 1930 ;<br />

de ce fait, son auteur a <strong>en</strong>core pu r<strong>en</strong>contrer et interroger des témoins oculaires<br />

des années 1890 dont on verra llimportance ci-dessous.


- 237 -<br />

tout le cycle de transformation est <strong>en</strong>core manuel ; le Préfet du Nord estime<br />

que cette production a diminué de moitié depuis la période pré-révolutionnaire.<br />

Le travail du lin est, au début du dix-neuvième siècle, la principale branche<br />

textile de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Avesnes, qui ne dispo<strong>se</strong> pourtant que de 7 à 8 %<br />

des rouets et des métiers à tis<strong>se</strong>r les gros fils de lin du départem<strong>en</strong>t. On y<br />

produit très peu de fils fins. <strong>Les</strong> deux dernières retorderies élaborant ce type<br />

d'articles fermeront à Fourmies <strong>en</strong> 1833. En 1801, 240 métiers à tis<strong>se</strong>r les toiles<br />

fines <strong>sont</strong> dénombrés, soit à peine 3 % du pot<strong>en</strong>tiel de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t voisin de<br />

Cambrai.<br />

Dieudonné signale <strong>en</strong>core la pré<strong>se</strong>nce d'un peu de bonneterie: quelques<br />

dizaines d'artisans, au total, à Fourmies et à Sains-du-Nord; mais leur nombre<br />

est <strong>en</strong> diminution car ils résist<strong>en</strong>t mal à la concurr<strong>en</strong>ce <strong>be</strong>lge. Le développem<strong>en</strong>t<br />

industriel ne pourra guère s'appuyer sur une tradition textile vêritable. En<br />

outre, la population n'est pas très abondante: la d<strong>en</strong>sité de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

d'Avesnes est <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1801, de 72 habitants au kilomètre carré, chiffre<br />

as<strong>se</strong>z faible pour la région du Nord. Ri<strong>en</strong> ne prédispo<strong>se</strong> vraim<strong>en</strong>t l'Avesnois à<br />

<strong>se</strong> lancer dans le travail d'une fibre textile particulière.<br />

L'industrie pr<strong>en</strong>d naissance à Fourmies un peu plûs tardivem<strong>en</strong>t que<br />

dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille. En 1810, une filature de coton est montée par<br />

un habitant de la bourgade, Louis Jo<strong>se</strong>ph Legrand; les métiers <strong>sont</strong> mus par<br />

les eaux de l'Helpe. L'énergie du relief est suffisante, <strong>en</strong> effet, dans ce <strong>se</strong>cteur<br />

pour permettre l'utilisation de la force hydraulique. Cette création reste<br />

isolée: le travail d'une fibre nouvelle, le coton, suscite peut d'intérêt dans<br />

une région où il n'était guère apparu jusque-là. Louis Jo<strong>se</strong>ph Legrand, lui-même,<br />

installe, <strong>en</strong> 1825, une filature de laine mécanique, imitant <strong>en</strong> cela Paturle<br />

Lupin qui avait créé son unité, <strong>en</strong> 1818, au Cateau. La matière première utilisée<br />

est de prov<strong>en</strong>ance es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t françai<strong>se</strong>.<br />

L'époque n'est pas <strong>en</strong>core très favorable à l'essor de la filature de<br />

la laine peignée <strong>en</strong> raison de la non-mécanisation du peignage. <strong>Les</strong> deux industriels<br />

cités font preuve pourtant d'un réel dynamisme dans le travail de la<br />

laine: ils adopt<strong>en</strong>t la machine à vapeur vers 1840. Legrand complète sa filature<br />

par des ateliers où est pratiqué le peignage à main. Dès les années 1850,


- 238 -<br />

ils acquièr<strong>en</strong>t des premleres peigneu<strong>se</strong>s mécaniques. Le tissage mécanique apparaît<br />

<strong>en</strong> 1853, chez Paturle Lupin, au Cateau. L'exemple de Louis Jo<strong>se</strong>ph Legrand<br />

a été suivi à Fourmies même où d'autres filatures fur<strong>en</strong>t crêées. En 1844,<br />

51.000 broches <strong>sont</strong> <strong>en</strong> activité dans les arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de Cambrai et d'Avesnes,<br />

ce dernier <strong>en</strong> regroupe la grande majorité. Ce nombre double au cours des dix<br />

années suivantes pour s'élever à 112.000 <strong>en</strong> 1855. <strong>Les</strong> capitaux investis dans ces<br />

installations prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t des rev<strong>en</strong>us de la terre.<br />

La filature de la laine peignée connaît son véritable essor après les<br />

années 1850. De 1855 à 1890, la région de Fourmies bénéficie d'une expansion<br />

remarquable: le nombre de broches à filer atteint 651.000 <strong>en</strong> 1867 ( pour les<br />

c<strong>en</strong>tres de Fourmies, le Cateau et Vervins) et 930.000 <strong>en</strong> 1890. Pour autant que<br />

l'on puis<strong>se</strong> comparer les broches <strong>en</strong>tre elles, cela repré<strong>se</strong>nte un pot<strong>en</strong>tiel de<br />

production comparable à celui de l'agglomération de Roubaix-Tourcoing. En même<br />

temps, les autres branches de l'industrie lainière <strong>se</strong> <strong>sont</strong> mécanisées et développées<br />

: <strong>en</strong> 1890, le <strong>se</strong>cteur de Fourmies-Le Cateau compté 630 peigneu<strong>se</strong>s répar-<br />

ties <strong>en</strong> 26 usines dont 21 apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à des filatures. Le tissage s'est égalem<strong>en</strong>t<br />

répandu: on dénombre 16.000 métiers mécaniques, dont un quart <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t<br />

pour l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Avesnes.<br />

Au cours de cette pha<strong>se</strong> de croissance, Fourmies affirme sa primauté:<br />

c'est non <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t le premier c<strong>en</strong>tre de production mais aussi la ville où <strong>se</strong><br />

crée, <strong>en</strong> 1874, la " Société du Commerce et de l'Industrie Lainière de Fourmies"<br />

Cette association rayonne sur les arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts d'Avesnes et de Vervins et<br />

suscite l'installation, <strong>en</strong> 1875, à Fourmies même, d'un bureau de conditionnem<strong>en</strong>t<br />

des fils de laine peignée. Elle organi<strong>se</strong> à partir de 1885 des cours de peignage<br />

et de filature, toujours dans cette même localité (.).<br />

(.) La Société Industrielle de Lille est créée <strong>en</strong> 1873. Ces groupem<strong>en</strong>ts, syndi-<br />

cats patronaux avant la lettre, étai<strong>en</strong>t fondés à l'imitation de la Société<br />

Industrielle de Mulhou<strong>se</strong>, qui avait joué un rôle si important dans le développe-<br />

m<strong>en</strong>t des activités de cette ville.


- 239 -<br />

Fourmies qui avai<strong>en</strong>t <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t 3.400 habitants <strong>en</strong> 1851, dépas<strong>se</strong> Avesnes<br />

<strong>en</strong> 1860, atteint l'effectif de 10.000 <strong>en</strong> 1872 et approche celui de 15.000 <strong>en</strong><br />

1890. Elle n'est surpassée dans son arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t que par Mau<strong>be</strong>uge qui, elle,<br />

ne doit ri<strong>en</strong> au textile. En 1846, la population de Fourmies repré<strong>se</strong>nte le tiers<br />

<strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t de celle des communes <strong>en</strong>vironnantes (.). En 1890, ces dernières <strong>se</strong> <strong>sont</strong><br />

accrues <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne de 60 %, grâce à l'essor du textile, mais la <strong>se</strong>ule ville de<br />

Fourmies a un nombre d'habitants égal à 83 % du leur. Le phénomène de polarisation<br />

est par conséqu<strong>en</strong>t incontestable.<br />

En dépit de son expansion, cette région textile pré<strong>se</strong>nte des faible<strong>se</strong>s:<br />

la croissance s'est réalisée par la multiplication de petites <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s sans<br />

que nais<strong>se</strong>nt de très grandes firmes: <strong>en</strong> 1890, on compte 83 filatures. Entre<br />

1855 et 1867, <strong>en</strong>viron 500.000 nouvelles broches ont été installées, mais réparties<br />

<strong>en</strong>tre 38 usines. Il <strong>se</strong>mble bi<strong>en</strong> que le nombre de broches par filature n'ait<br />

guère progressé <strong>en</strong> quarante ans. Ce foyer industriel n'est pas vraim<strong>en</strong>t complet,<br />

car l'<strong>en</strong>noblis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t n'y est pas repré<strong>se</strong>nté. On continue es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t à travailler<br />

des laines v<strong>en</strong>ant de France ou achetées à des négociants de Roubaix-<br />

Tourcoing qui, eux, depuis parfois des déc<strong>en</strong>nies, vont les chercher directem<strong>en</strong>t<br />

chez les nouveaux grands producteurs de l 'hémisphère sud.<br />

A. Falleur remarque fort justem<strong>en</strong>t que Fourmies est un c<strong>en</strong>tre industriel<br />

et non pas un marché, c'est-à-dire une <strong>place</strong> animée par tout un <strong>en</strong><strong>se</strong>mble<br />

de négociants.<br />

<strong>Les</strong> firmes fourmi si<strong>en</strong>nes, face à la concurr<strong>en</strong>ce des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de<br />

Roubaix-Tourcoing, <strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong>nt dans l'élaboration des filés les plus fins<br />

ces articles <strong>sont</strong> <strong>en</strong> grande partie exportés vers les U.S.A. ou l'Allemagne et<br />

leur v<strong>en</strong>te est étroitem<strong>en</strong>t soumi<strong>se</strong> aux moindres variations des tarifs douaniers<br />

et de la mode. Il est difficile d'expliquer de façon complète les raisons de ces<br />

faibles<strong>se</strong>s. A. Falleur oppo<strong>se</strong> le caractère" joueur" et audacieux de l'industriel<br />

de Roubaix-Tourcoing à la prud<strong>en</strong>ce de celui de Fourmies. Cela demanderait<br />

(.) Anor, Féron, Glageon, Ohain, Trélon, Wignehies.


- 240 -<br />

à être précisé par l'analy<strong>se</strong> de la gestion des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s. Il <strong>se</strong>rait intéressant,<br />

<strong>en</strong> particulier, de savoir si, lors des pha<strong>se</strong>s d'expansion, le taux de<br />

profit a été aussi élevé que dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille et si le réinvestis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

des bénéfices a été suffisamm<strong>en</strong>t pratiqué. D'après A. Falleur, <strong>be</strong>aucoup<br />

de ces industriels <strong>sont</strong> restés <strong>en</strong> même temps des propriétaires herbagers.<br />

Une partie du bénéfice tiré du travail de la laine a peut-être été détourné<br />

par ce biais de l'industrie (.).<br />

La fragilité des structures industrielles ne permet pas à la région<br />

de surmonter les difficultés conjoncturelles qu'elle r<strong>en</strong>contre à partir de<br />

1890, notamm<strong>en</strong>t lorsque le Bill Mac Kinley lui fait perdre <strong>se</strong>s débouchés sur<br />

le marché américain et que le protectionisme <strong>se</strong> r<strong>en</strong>force égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Allemagne<br />

(..). Entre 1890 et les années 1910-1914, le nombre de broches de filature<br />

diminue de 10 % celui des métiers à tis<strong>se</strong>r stagne et le peignage décline <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t<br />

: 80 % des peigneu<strong>se</strong>s disparais<strong>se</strong>nt au cours de cette période. Le bureau<br />

de conditionnem<strong>en</strong>t de Fourmies voit pas<strong>se</strong>r 2.174 tonnes de filés de laine peignéE<br />

<strong>en</strong> 1900, contre 1.987 <strong>en</strong> 1910, alors qu'<strong>en</strong>tre ces deux dates, les tonnages traités<br />

par ceux de Roubaix et de Tourcoing crois<strong>se</strong>nt de 14 %. Certes, <strong>en</strong> 1910, le<br />

Cambrésis la région de Vervins et l'Avesnois produi<strong>se</strong>nt 23.000 tonnes de filés<br />

de laine, contre <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t 20.000 à Roubaix-Tourcoing. L'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Avesnes<br />

à lui <strong>se</strong>ul, fournit 15.000 tonnes. Ces chiffres ne doiv<strong>en</strong>t pas faire illusion:<br />

la région de Fourmies devi<strong>en</strong>t un c<strong>en</strong>tre économiquem<strong>en</strong>t subordonné à l'autre grand<br />

foyer lainier du Nord ( ... ).<br />

<strong>Les</strong> industriels de Fourmies ont r<strong>en</strong>oncé peu à peu au peignage, à partir<br />

du mom<strong>en</strong>t où ils devai<strong>en</strong>t faire v<strong>en</strong>ir leurs matières premières d'outre-mer:<br />

ils <strong>sont</strong> plus loin des ports maritimes que Roubaix-Tourcoing et <strong>be</strong>aucoup plus<br />

(.) On sait que Cl. Fohl<strong>en</strong> a vu dans un mécanisme de ce g<strong>en</strong>re l'une des raisons<br />

de la décad<strong>en</strong>ce d'une partie du textile normand après 1860.<br />

(..) Ce contexte de cri<strong>se</strong> est <strong>en</strong> partie responsable de la tragique fusillade<br />

du premier Mai 1891 au cours de laquelle neuf ouvriers <strong>sont</strong> tués par la troupe<br />

am<strong>en</strong>ée pour maint<strong>en</strong>ir l'ordre.<br />

(...) Tous ces chiffres provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de l'ouvrage cité de G. Sayet.


- 241 -<br />

mal reliés à Anvers ou à Dunkerque, et, surtout, il leur fallait pas<strong>se</strong>r par l'intermédiaire<br />

des négociants du c<strong>en</strong>tre concurr<strong>en</strong>t. Ces derniers préfèr<strong>en</strong>t voir<br />

traiter leurs laines là où ils ont leurs <strong>en</strong>trepôts et où <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t des installations<br />

plus modernes; <strong>en</strong> outre, on l'a vu, des li<strong>en</strong>s de famille exist<strong>en</strong>t<br />

souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les négociants et les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de peignage de Roubaix-Tourcoing.<br />

Il n'est pas étonnant que Fourmies ne dispo<strong>se</strong> plus, <strong>en</strong> 1910, que de moins de 5 %<br />

des peigneu<strong>se</strong>s du départem<strong>en</strong>t du Nord.<br />

<strong>Les</strong> filateurs qui connais<strong>se</strong>nt des difficultés d'écoulem<strong>en</strong>t de leur production<br />

r<strong>en</strong>onc<strong>en</strong>t progressivem<strong>en</strong>t à travailler pour leur propre compte et <strong>se</strong><br />

cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de filer à façon pour les maisons de Roubaix-Tourcoing, auxquelles<br />

de toute façon, ils doiv<strong>en</strong>t acheter leurs rubans de peignés. <strong>Les</strong> producteurs<br />

de la région de Fourmies nombreux et peu puissants <strong>sont</strong> <strong>en</strong> position de faibles<strong>se</strong><br />

lors de la négociation de ces contrats avec les donneurs d'ordres (.). Certaines<br />

usines, à partir de cette époque pas<strong>se</strong>nt sous le contrôle direct de firmes de<br />

Roubaix-Tourcoing. 27 filatures disparais<strong>se</strong>nt <strong>en</strong>tre 1890 et 1914.<br />

Dans les années 1910-1914, la reglon de Fourmies a acquis son caractère<br />

es<strong>se</strong>ntiel, une forte spécialisation dans la <strong>se</strong>ule filature de la laine<br />

peignée. <strong>Les</strong> difficultés r<strong>en</strong>contrées après 1890 <strong>se</strong> <strong>sont</strong> traduites par une dimi-<br />

nution de près de 4.000 habitants de l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble Fourmies-Wignehies-Trélon-Glageon<br />

Anor-Avesnes. En 1914, dans les limites fixées au chapitre deux, la région de<br />

Fourmies compr<strong>en</strong>d 640.000 broches à filer et à retordre la laine peignée, réparties<br />

<strong>en</strong>tre 50 <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s. Aucune n'a plus de 27.000 broches, les plus petites<br />

<strong>en</strong> possèd<strong>en</strong>t 7 à 8.000. C'est dire que les fermetures ob<strong>se</strong>rvées n'ont pas abouti<br />

à une conc<strong>en</strong>tration du pot<strong>en</strong>tiel de production <strong>en</strong> quelques unités importantes.<br />

(.) D'aprés A. Falleur les prix de façon bais<strong>se</strong>nt de 30 %, <strong>en</strong>tre 1890 et 1900<br />

et les donnAurs d'ordres impo<strong>se</strong>nt des conditions draconni<strong>en</strong>n~s ; c'est ainsi<br />

que la façonnier doit rembour<strong>se</strong>r la différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>trp le poids total des matières<br />

livrées et celui des produits finis. Si, par exemple, 100 klJOS de rubans de<br />

peignés donn<strong>en</strong>t 95 kilos de fils, il doit payer le prix de cinq kilos de peignés.<br />

Ces pratiques ces<strong>se</strong>nt après 1918.


- 242 -<br />

Cette région compte, <strong>en</strong> outre, 3.500 métiers à tis<strong>se</strong>r et à peine<br />

4.500 broches de filature cardée. Fourmies ras<strong>se</strong>mble sur son <strong>se</strong>ul territoire<br />

28 % des métiers et 37 % des broches. Sains, Wignehies, Glageon et Avesnes ont<br />

chacune <strong>en</strong>tre 11 et 12 % des broches (Wignehies a de plus 30 % des métiers).<br />

Le noyau formé par Fourmies, Wignehies et Glageon conti<strong>en</strong>t la majeure partie<br />

du pot<strong>en</strong>tiel de production, les deux tiers des broches notamm<strong>en</strong>t.<br />

Cette conc<strong>en</strong>tration géographique n'est pas remi<strong>se</strong> <strong>en</strong> cau<strong>se</strong> par la Pre-<br />

mière Guerre Mondiale qui acc<strong>en</strong>tue la spécialisation du c<strong>en</strong>tre. <strong>Les</strong> dégâts causés<br />

par l'occupation <strong>sont</strong>, comme toujours, considérables. Pratiquem<strong>en</strong>t tout le<br />

matériel de tissage est détruit, ainsi que 88 % de celui de la filature. Après<br />

1918, les branches les moins importantes ne <strong>sont</strong> pas reconstituées dans leur<br />

état antérieur: un <strong>se</strong>ul peignage est remonté (il disparaîtra après 1930). Le<br />

nombre des métiers à tis<strong>se</strong>r est réduit de moitié.<br />

Par contre, le pot<strong>en</strong>tiel de la filature peignée est rétabli et cela<br />

s'accompagne d'une opération de restructuration d'une ampleur unique dans la<br />

région à cette époque: 25 sociétés qui, avant la Guerre, contrôlai<strong>en</strong>t 350.000<br />

broches, près des trois cinquièmes du total régional, fusionn<strong>en</strong>t pour former<br />

la Société des Filatures de la Région de Fourmies. <strong>Les</strong> actions de cette firme<br />

<strong>sont</strong> introduites à la Bour<strong>se</strong> des Valeurs de Paris <strong>en</strong> 1928. La restructuration<br />

des usines est limitée puisque l'on remet <strong>en</strong> activité 12 filatures, qui rest<strong>en</strong>t<br />

des unités de taille moy<strong>en</strong>ne.<br />

D'autres efforts <strong>sont</strong> t<strong>en</strong>tés pour r<strong>en</strong>dre le c<strong>en</strong>tre de Fourmies plus<br />

autonome: une teinturerie pour peignés et fils est créée à Fourmies; une<br />

autre destinée aux tissus l'est à Anor. En 1926, est fondé un comptoir de filateurs<br />

pour t<strong>en</strong>ter d'uniformi<strong>se</strong>r les prix de façon. Une <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> de bonneterie<br />

ouvre <strong>se</strong>s portes à Trélon, <strong>en</strong> 1925. Ces t<strong>en</strong>tatives vont être plus ou moins<br />

complètem<strong>en</strong>t brisées par la cri<strong>se</strong> économique qui surgit quelques années plus<br />

tard. Elles n'avai<strong>en</strong>t eu, d'ailleurs, qu'une portée limitée; il est significatif<br />

de constater que la S.F.R.F. continuait de travailler à façon. Au cours des<br />

années 1930, des petites firmes <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core repri<strong>se</strong>s par des sociétés de<br />

Roubaix-Tourcoing. En 1938 (.), 44 % <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t des broches de filature <strong>sont</strong><br />

(.) D'après J. Bernard, ouvrage cité.


- 243 -<br />

<strong>en</strong> activité. La Seconde Guerre Mondiale est suivie, on l'a vu, dès le début<br />

des années 1950, par des difficultés sérieu<strong>se</strong>s.<br />

La région de Fourmies est dev<strong>en</strong>ue rapidem<strong>en</strong>t un grand c<strong>en</strong>tre industriel<br />

textile, spécialisé, comme l'agglomération de Roubaix-Tourcoing, dans<br />

l'une des branches les plus mécanisées. Mais, région rurale sans grande ville,<br />

elle a, comme le Cambrésis, con<strong>se</strong>rvé des structures de production trop longtemps<br />

morcelées. Elle fut <strong>en</strong>suite contrainte d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre une rénovation particulièrem<strong>en</strong>t<br />

délicate car il lui fallait <strong>en</strong> même temps subir la concurr<strong>en</strong>ce d'un<br />

c<strong>en</strong>tre <strong>be</strong>aucoup plus puissant: il ya ici dysharmonie <strong>en</strong>tre le type d'activité<br />

textile choisie et les structures sociales.<br />

En 1801, cette localité n'atteint pas les 10.000 habitants; <strong>en</strong> 1821,<br />

ce chiffre dépas<strong>se</strong> à peine 12.000. Le port fournit alors à la ville la plus<br />

grande partie de <strong>se</strong>s activités Dès 1815, près de 30.000 voyageurs le fréqu<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

et, <strong>en</strong> 1819, un premier bateau à vapeur est mis <strong>en</strong> <strong>se</strong>rvice sur la ligne Calais<br />

Douvres. Cette facilité des relations incite trois Anglais de Nottingham,<br />

Clarck, Webster et Bonnington à introduire, <strong>en</strong> 1816, l'un des premiers métiers<br />

mécaniques à tulle sur le contin<strong>en</strong>t. L'opération est difficile puisqu'elle doit<br />

<strong>se</strong> faire clandestinem<strong>en</strong>t. Le matériel est démonté et les pièces détachées <strong>sont</strong><br />

expédiées, les unes après les autres, grâce à la complicité de marins français.<br />

(.) La source es<strong>se</strong>ntiellp est la thè<strong>se</strong> citée de G. Dubroeucq. On a utilisé<br />

égalem<strong>en</strong>t les D.E.S. de F. Jacob et l 1 ouvrage de F. L<strong>en</strong>nel. Au mom<strong>en</strong>t de la<br />

Révolution, la ville de Calais a eté morce}pe <strong>en</strong> deux communes : Calais et<br />

Saint-Plerre qUi fusionnèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 188~. Tous les chiffres cités concern<strong>en</strong>t<br />

la ville dans <strong>se</strong>s llmites actuelles.


- 244 -<br />

<strong>Les</strong> motivations exactes de ces Britanniques ne <strong>sont</strong> pas connues. Ils<br />

désirai<strong>en</strong>t certainem<strong>en</strong>t profiter du débouché offert par le marché français où<br />

le tulle était à la mode alors que son importation était interdite. Peut-être<br />

aussi, voulai<strong>en</strong>t-ils exploiter des métiers mécaniques sans devoir payer de re-<br />

devances aux auteurs des brevets et notamm<strong>en</strong>t à Heathcoat. Leur situation est<br />

<strong>en</strong> fait un peu ambigue : ils ont <strong>en</strong>freint les lois britanniques et <strong>se</strong> <strong>sont</strong><br />

théoriquem<strong>en</strong>t déconsidérés aux yeux des producteurs de Nottingham. Pourtant, ils<br />

continu<strong>en</strong>t à <strong>se</strong> procurer, sans grandes difficultés appar<strong>en</strong>tes, des pièces détachées<br />

et les fins filés de coton dont ils avai<strong>en</strong>t <strong>be</strong>soin. L'importation de<br />

ces derniers était pourtant interdite par les autorités françai<strong>se</strong>s qui voulai<strong>en</strong>t<br />

protéger l'industrie naissante de la filature.<br />

Il ne faut pas s'étonner de voir toutes ces interdictions dépourvues<br />

d'effets pratiques; elles r<strong>en</strong>chéris<strong>se</strong>nt simplem<strong>en</strong>t le prix des produits: les<br />

traditions de fraude, nées du Blocus Contin<strong>en</strong>tal, <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core vivantes et le<br />

trafis <strong>en</strong>tre les deux pays est déjà trop important pour permettre un contrôle<br />

vraim<strong>en</strong>t efficace, si tant est que les autorités l'ai<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t souhaité.<br />

<strong>Les</strong> moy<strong>en</strong>s dont dispo<strong>se</strong>nt ces trois Britanniques <strong>sont</strong> limités et, dès<br />

le début, ils recrut<strong>en</strong>t sur <strong>place</strong> des ouvriers pour remonter et faire fonction-<br />

ner les métiers.<br />

Ils cherch<strong>en</strong>t à faire fabriquer à Calais même une grande partie des<br />

pièces et tout d'abord le bâti, élém<strong>en</strong>t le plus <strong>en</strong>combrant et, par conséqu<strong>en</strong>t,<br />

le plus difficile à dissimuler à la douane. C'est cho<strong>se</strong> faite vers 1820. <strong>Les</strong><br />

artisans calai si<strong>en</strong>s responsables de cette opération souhait<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite, as<strong>se</strong>z<br />

logiquem<strong>en</strong>t, produire eux-mêmes la totalité du métier. Ceci <strong>se</strong> réali<strong>se</strong> pour<br />

la première fois, <strong>en</strong> 1823, dans l'atelier du Calaisi<strong>en</strong> Dubout.<br />

<strong>Les</strong> conditions historiques très particulières du mom<strong>en</strong>t ont ainsi<br />

favorisé l'assimilation de cette technique par les Français, d'autant que l'écoulem<strong>en</strong>t<br />

de cette production sur le marché intérieur est aisé. Dès 1825, une<br />

cinquantaine de métiers fonctionn<strong>en</strong>t à Calais et dans <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons. Cette ville<br />

n'est pas la <strong>se</strong>ule dans le Nord-Pas-de-Calais ou même le reste de la France,<br />

où s'implante le tissage mécanique du tulle. Toutefois, elle devi<strong>en</strong>t immêdiateme~


- 245 -<br />

le c<strong>en</strong>tre le plus important et le plus moderne. La production a débuté une dizaine<br />

d'années plus tôt que dans le Cambrésis. La main-d'oeuvre, sans aucune<br />

tradition textile, adopte d'emblée toute les nouveautés, alors que, dans le<br />

Cambrésis <strong>be</strong>aucoup d'artisans tis<strong>se</strong>rands ne le font que contraints par l'évolution<br />

économique; ils répugn<strong>en</strong>t à devoir abandonner le savoir-faire acquis<br />

dans la fabrication des toiles de lin.<br />

Calais bénéficie égalem<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup de la fréqu<strong>en</strong>ce des contacts avec<br />

l'Angleterre et de la pré<strong>se</strong>nce d'un certain nombre de Britanniques. Il est difficile<br />

de cerner avec précision ce phénomène mais sa réalité ne fait pas de doute<br />

(.).<br />

Le métier à tulle reçoit, à Calais, des améliorations qui l'allèg<strong>en</strong>t,<br />

le r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t moins coûteux et favori<strong>se</strong>nt sa diffusion. Dès les années 1830-1835,<br />

Calais est dev<strong>en</strong>u un c<strong>en</strong>tre de production techniquem<strong>en</strong>t aussi moderne que Nottin-<br />

gham. A partit de 1834, la prohibition sur les filés britanniques de coton est<br />

levée et remplacée par un droit ad valorem de 35 %. Ceci facilite l'approvisionnem<strong>en</strong>t<br />

de la <strong>place</strong> <strong>en</strong> matières premières, sans compter que la filature francai<strong>se</strong><br />

est désormais capable de fournir des articles répondant aux exig<strong>en</strong>ces des<br />

producteurs de tulle.<br />

L'expansion de cette activité est trés rapide au cours des premleres<br />

déc<strong>en</strong>nies: 514 métiers fonctionn<strong>en</strong>t dès 1832, sur le territoire actuel de la<br />

ville de Calais. Leur d<strong>en</strong>sité et la fièvre de production <strong>sont</strong> telles que le<br />

travail de nuit doit être interdit, <strong>en</strong> 1832, par le maire ce qui incite l'industrie<br />

à émigrer vers la commune de Saint-Pierre, moins d<strong>en</strong>sém<strong>en</strong>t peuplée.<br />

En 1841, la population totale a doublé par rapport à 1821.<br />

Tous les métiers ne <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t pas à Calais ou à Saint-Pierre. Ce<br />

(.) En 1860, les archives municipales révèl<strong>en</strong>t la pré<strong>se</strong>nce de 1.618 étrangers<br />

dont, 90 % <strong>sont</strong> Britanniques. Tous n'ont certainem<strong>en</strong>t pas des li<strong>en</strong>s avec le tex-<br />

tile ; le port provoqu<strong>en</strong>t aussi des courants d'échange <strong>en</strong>tre les deux pays. Il<br />

est toutefois invrai<strong>se</strong>mblable que <strong>be</strong>aucoup d'<strong>en</strong>tre eux n'ai<strong>en</strong>t pas travaillé<br />

dans la de~telle, car c'est déjà l'activité qui domine de façon écrasante toutes<br />

les autres. De plus, au cours des déc<strong>en</strong>nies suivantes, alors que le port pr<strong>en</strong>d<br />

son essor, on ob<strong>se</strong>rve un déclin rapide de cette communauté britannique qui, <strong>en</strong><br />

1860, repré<strong>se</strong>ntait <strong>en</strong>viron 6 % de la population de la ville.


- 246 -<br />

<strong>sont</strong> des machines légères, <strong>en</strong>core mues à la main qui <strong>se</strong> diffu<strong>se</strong>nt aisèm<strong>en</strong>t dans<br />

les campagnes <strong>en</strong>vironnantes; on <strong>en</strong> r<strong>en</strong>contre jusqu'à Saint-Omer et Boulogne.<br />

Cette activité devi<strong>en</strong>t prépondérante dans le Ca1aisis car elle nécessite <strong>be</strong>aucoup<br />

de main-d'oeuvre: il ne faut pas oublier que la d<strong>en</strong>telle proprem<strong>en</strong>t dite<br />

est <strong>en</strong>core obt<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> ornant, à la main, le tulle mécanique. <strong>Les</strong> structures de<br />

production rest<strong>en</strong>t très morcelées. Un grand nombre de petits artisans apparais<strong>se</strong>nt;<br />

<strong>be</strong>aucoup ne commerciali<strong>se</strong>nt pas eux-mêmes leurs produits et pas<strong>se</strong>nt par<br />

l'intermédiaire de commissionnaires qui les font parfois travailler à façon.<br />

Grâce à la modicité du coat du matériel et aux possibilités d'écoulem<strong>en</strong>t de la<br />

marchandi<strong>se</strong>, les ouvriers habiles s'install<strong>en</strong>t facilem<strong>en</strong>t à leur compte. Il n'y<br />

a pas <strong>en</strong>core d'usines à proprem<strong>en</strong>t parler. <strong>Les</strong> commissionnaires eux-mêmes ne <strong>sont</strong><br />

pas très puissants: ils <strong>sont</strong> nouveaux v<strong>en</strong>us dans cette activité et on ne trou-<br />

vait pas, au départ, de grands capitalistes capables d'accaparer la fonction.<br />

Après 1840, les données techniques <strong>se</strong> transform<strong>en</strong>t: la production<br />

mécanique de la d<strong>en</strong>telle devi<strong>en</strong>t possible. Un calaisi<strong>en</strong> réussit, à peu près<br />

<strong>en</strong> même temps que l'Anglais Ferguson, à adapter le système jacquard au métier<br />

à tulle, pour tis<strong>se</strong>r la d<strong>en</strong>telle. Ceci confirme le bon niveau technique du c<strong>en</strong>tre<br />

calaisi<strong>en</strong> à l'époque. Le métier à tulle surtout utilisé jusque là n'était pas<br />

apte à recevoir ce perfectionnem<strong>en</strong>t; il faut r<strong>en</strong>ouveler complètem<strong>en</strong>t le maté-<br />

riel et acheter des métiers Leavers, plus lourds (jusqu'à 10 et 12 tonnes) et<br />

plus chers. <strong>Les</strong> vieilles machines <strong>sont</strong> souv<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>dues dans le Cambrésis.<br />

Ces nouveaux outils de production ne peuv<strong>en</strong>t plus être mus à la main<br />

la modernisation s'accompagne de l'adoption de la machine à vapeur. <strong>Les</strong> nombreux<br />

artisans répartis dans les campagnes <strong>en</strong>vironnantes ne <strong>sont</strong> pas capables individuellem<strong>en</strong>t<br />

de construire un atelier de ce type: le progrès technique <strong>en</strong>traîne<br />

la conc<strong>en</strong>tration géographique des moy<strong>en</strong>s de production. A partir de 1850~ 1860,<br />

la fabrication ne <strong>se</strong> réali<strong>se</strong> pratiquem<strong>en</strong>t plus que dans les usines calaisi<strong>en</strong>nes;<br />

<strong>se</strong>uls les travaux de finition <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core effectués par des travailleu<strong>se</strong>s à domicile,<br />

résidant parfois dans des communes rurales <strong>en</strong>vironnantes. Ces femmes ne<br />

<strong>sont</strong> pas toujours directem<strong>en</strong>t employées par le producteur car des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s<br />

assur<strong>en</strong>t la redistribution de ces travaux dans les campagnes.


- 247 -<br />

Cette remi<strong>se</strong> <strong>en</strong> cau<strong>se</strong> des structures de production sous l'effet de la<br />

mécanisation est classique. La pha<strong>se</strong> de modernisation <strong>se</strong> <strong>place</strong> schématiquem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>tre 1844 et 1860 : <strong>en</strong> 1844, 393 métiers Leavers <strong>sont</strong> <strong>en</strong> activité contre 606<br />

<strong>en</strong> 1854. En 1851, on dénombre 7 usines utilisant la machine à vapeur, contre 37<br />

<strong>en</strong> 1860. Quand comm<strong>en</strong>ce cette industrialisation le nombre des producteurs <strong>se</strong><br />

réduit d'abord: il diminue de moitié <strong>en</strong>tre 1844 et 1854. Ils <strong>sont</strong> alors 135<br />

et possèd<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne <strong>en</strong>viron quatre métiers. Vers 1860, des fabricants plus<br />

importants <strong>se</strong> dégag<strong>en</strong>t du lot et essay<strong>en</strong>t de commerciali<strong>se</strong>r eux-mémes leurs<br />

produits.<br />

Le traité de commerce franco-britannique de 1860 est très favorable<br />

à l'industrie calaisi<strong>en</strong>ne : le c<strong>en</strong>tre est moderne et les salaires français <strong>sont</strong><br />

moins élevés qu'à Nottingham. Calais <strong>se</strong> met à exporter vers la Grande-Bretagne<br />

ainsi que vers les U.S.A. qui vont progressivem<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ir le principal débouché.<br />

Au début du vingtième siècle, les <strong>se</strong>ules exportations directes, par mer, vers<br />

ce pays repré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t 40 % du chiffre d'affaires de la <strong>place</strong>. D'une façon générale,<br />

et <strong>en</strong> dépit de cri<strong>se</strong>s conjoncturelles, la période de 1860-1914 constitue<br />

une longue pha<strong>se</strong> d'expansion: <strong>en</strong> 1906, on compte 2.700 métiers. La population<br />

de Calais atteint 72.000 habitants, <strong>en</strong> 1911, six fois plus qu'un siècle plus tôt.<br />

L3 prospérité de la cité repo<strong>se</strong> es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t sur la d<strong>en</strong>têlle qui, d'après F.<br />

L<strong>en</strong>nel, occupe dans la ville et <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons 30.000 personnes dont 7.500 ouvriers<br />

masculins de plus de 18 ans (.).<br />

En dépit de l'évolution initialem<strong>en</strong>t constatée, cette croissance s'est<br />

accompagnée d'un mainti<strong>en</strong> de l'émiettem<strong>en</strong>t des structures de production: <strong>en</strong><br />

1906, le nombre moy<strong>en</strong> de métiers par producteur est pratiquem<strong>en</strong>t le même qu'<strong>en</strong><br />

1854. Si quelques <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s importantes <strong>sont</strong> apparues, on r<strong>en</strong>contre toujours<br />

(.) Dans les années 1880-1890, Calais a même bénéficié d'une certaine immigra-<br />

tion <strong>be</strong>lge dont l'importance culmine <strong>en</strong> 1886. <strong>Les</strong> <strong>be</strong>lges constitu<strong>en</strong>t alors 6 %<br />

de la population et supplant<strong>en</strong>t les Britanniques.


- 248 -<br />

une foule d'artisans n'ayant qu'un <strong>se</strong>ul métier. En effet, pour dev<strong>en</strong>ir producteur,<br />

il suffit d'acheter un métier; qu'il soit au <strong>be</strong>soin d'occasion importe<br />

peu car l'ab<strong>se</strong>nce de progrès technique important empêche le matériel de <strong>se</strong> démoder.<br />

Des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s extérieures peuv<strong>en</strong>t assurer la finition ou la v<strong>en</strong>te.<br />

Le problème des locaux lui-même et celui de la force motrice ne <strong>se</strong> po<strong>se</strong>nt pas,<br />

car apparais<strong>se</strong>nt ceux que l'on a appelés, dans le vocabulaire local, les "usiniers<br />

". Ce <strong>sont</strong> des g<strong>en</strong>s qui, à partir du Second Empire, font construire et<br />

aménager des bâtim<strong>en</strong>ts industriels as<strong>se</strong>z vastes, dans lesquels les fabricants<br />

s'install<strong>en</strong>t <strong>en</strong> payant un simple loyer pour l'utilisation des locaux et de la<br />

force motrice. Ce type de <strong>place</strong>m<strong>en</strong>t connaît un vif succès dans la bourgeoisie<br />

calaisi<strong>en</strong>ne : le loyer est relativem<strong>en</strong>t élevé et, comme un même bâtim<strong>en</strong>t est<br />

occupé par plusieurs producteurs, cela répartit les risques pour le propriétaire.<br />

C'est <strong>en</strong> 1900 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, qu'est bâtie la première usine individuelle. En 1912,<br />

12 % des fabricants <strong>sont</strong> installés dans des locaux leur appart<strong>en</strong>ant. <strong>Les</strong> mai-<br />

sons de commission aurai<strong>en</strong>t pu amorcer la conc<strong>en</strong>tration industrielle <strong>en</strong> dev<strong>en</strong>ant<br />

producteurs, <strong>se</strong>lon le méme processus que celui ob<strong>se</strong>rvé, par exemple, dans la<br />

Vallée de la Lys. De fait, on constate que des commissionnaires achèt<strong>en</strong>t des<br />

dessins et les font <strong>en</strong>suite reproduire à façon par des artisans. Cette évolution<br />

est progressivem<strong>en</strong>t bloquée par l'action des petits producteurs qui obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

même, <strong>en</strong> 1897, que les commissionnaires s'<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t officiellem<strong>en</strong>t à <strong>se</strong> cantonner<br />

dans leur rôle de négociant. Si des firmes disposant de plusieurs dizaines de<br />

métiers apparais<strong>se</strong>nt peu à peu, elles <strong>sont</strong> constamm<strong>en</strong>t confrontées à la concurr<strong>en</strong>ce<br />

d'artisans faisant des articles similaires à des prix compétitifs. Cela<br />

freine éfficacem<strong>en</strong>t la conc<strong>en</strong>tration industrielle.<br />

Le ras<strong>se</strong>mblem<strong>en</strong>t de petits producteurs <strong>en</strong> un même lieu a certainem<strong>en</strong>t<br />

favorisé la pri<strong>se</strong> de consci<strong>en</strong>ce, par ces derniers, d'intérêts communs à déf<strong>en</strong>dre.<br />

Ce n'est qu'au début du vingtième siècle qu'apparaît le véritable industriel<br />

possédant son matériel, <strong>se</strong>s locaux, concevant et commercialisant lui-même <strong>se</strong>s<br />

produits. La période de prospérité touche alors à sa fin. Ces firmes n'auront<br />

plus guère le temps de grandir <strong>be</strong>aucoup, d'autant que les cri<strong>se</strong>s les affect<strong>en</strong>t<br />

autant que les autres. <strong>Les</strong> difficultés <strong>sont</strong> généralem<strong>en</strong>t provoquées par la perte<br />

de débouchés extérieurs, et les producteurs importants eux-mêmes ne <strong>sont</strong> pas<br />

as<strong>se</strong>z puissants pour contourner l'obstacle douanier <strong>en</strong> s'implantant à l'étranger<br />

(.). Comme dans le Cambrésis, le caractère toujours aléatoire des v<strong>en</strong>tes gênait


- 249 -<br />

les investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts à long terme dans d'autres activités. Par ailleurs, le souv<strong>en</strong>ir<br />

des années exceptionnelles offrant des chances de promotion à l'habile<br />

conducteur de métier, <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ait le prestige de la d<strong>en</strong>telle. Il aurait été de<br />

ce fait psychologiquem<strong>en</strong>t difficile (..) d'implanter d'autres branches <strong>textiles</strong><br />

qui n'aurai<strong>en</strong>t pu offrir les mêmes espoirs de gains. A la fin du dix-neuvième<br />

siècle, apparais<strong>se</strong>nt, toutefois, quelques métiers à broder. Calais a finalem<strong>en</strong>t<br />

acquis rapidem<strong>en</strong>t, plus vite que la région de Caudry, les caractéristiques<br />

ob<strong>se</strong>rvées dans le chapitre précéd<strong>en</strong>t.<br />

La Guerre de 1914-1918 ne remet pas <strong>en</strong> cau<strong>se</strong> les structures de produc-<br />

tion : Calais est le <strong>se</strong>ul grand c<strong>en</strong>tre textile du Nord-Pas de Calais à échapper<br />

à l'occupation et aux destructions. L'activité, freinée par les hostilités,<br />

repr<strong>en</strong>d avec le retour à la paix. Par contre, la ville est frappée de façon particulièrem<strong>en</strong>t<br />

cruelle par la cri<strong>se</strong> de 1929, puisque son principal cli<strong>en</strong>t était<br />

les U.S.A. Ces derniers instaur<strong>en</strong>t des droits de douane de 130 % sur la d<strong>en</strong>telle<br />

et <strong>sont</strong> peu à peu imités par les autres pays. Un chômage énorme <strong>se</strong> développe<br />

à Calais : il intéres<strong>se</strong> <strong>en</strong>viron 5.000 personnes <strong>en</strong> janvier 1936, où ne fonctionn<strong>en</strong>t<br />

plus que 200 métiers. Le nombre des habitants de la ville diminue de<br />

5.800 <strong>en</strong>tre 1921 et 1936.<br />

Cette cri<strong>se</strong> amène une réduction considérable du nombre des produc-<br />

teurs <strong>en</strong> 1936, ils <strong>sont</strong> moins de 200, avec <strong>en</strong>viron 2.100 métiers (... ).<br />

Comme toutes les firmes <strong>sont</strong> touchées, cette diminution résulte <strong>be</strong>aucoup plus<br />

(.) Des pays etrangers ont parfois recrute des spécialistes calaisi<strong>en</strong>s pour dé-<br />

velopper la d<strong>en</strong>telle chez eux, ce fut le cas aux U.S.A., par exemple. Des fir-<br />

mes calaisi<strong>en</strong>nes, <strong>en</strong> tant que telles, ne l'ont jamais fait.<br />

( .. ) En outre, lors des pha<strong>se</strong>s de prosperite, la d<strong>en</strong>telle accaparait toute la<br />

main-d'oeuvre disponible.<br />

( ... ) Certains producteurs avai<strong>en</strong>t voulu v<strong>en</strong>dre à l'étranger des métiers inem-<br />

ployés ; des manifestations groupant des ouvriers et des fabricants empêchèr<strong>en</strong>t<br />

ces v<strong>en</strong>tes; un décret gouvernem<strong>en</strong>tal finit par les interdire. Des manifesta-<br />

tions similaires avai<strong>en</strong>t eu lieu à Caudry. Ne pouvant récupéré le capital re-<br />

pré<strong>se</strong>nté par leur matériel, les firmes étai<strong>en</strong>t d'autant moins t<strong>en</strong>tées d'<strong>en</strong>tre-<br />

pr<strong>en</strong>dre une conversion. Un fabricant réussit quand même à <strong>se</strong> créer un nouveau<br />

débouche <strong>en</strong> mettant au point une d<strong>en</strong>telle elastique pour cor<strong>se</strong>terie.


- 250 -<br />

d'arrêts d'activité que d'une conc<strong>en</strong>tration au profit des firmes les plus importantes;<br />

on remarque quand même que le nombre moy<strong>en</strong> de métiers par producteur<br />

s'est <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t élevé au cours de cette période: il double par rapport au<br />

début du siècle. Des métiers <strong>sont</strong> purem<strong>en</strong>t et simplem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>dus à la ferraille<br />

et plus aucun matériel neuf n'est acquis p<strong>en</strong>dant toutes ces années (.). On <strong>se</strong><br />

cont<strong>en</strong>te d'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> état de marche une partie du matériel. En fait, on a<br />

assisté à l'abandon d'un millier de métiers <strong>en</strong>viron sans que cela <strong>se</strong> soit accom-<br />

pagné d'une restructuration véritable ou d'un comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t de diversification.<br />

La deuxième Guerre Mondiale provoque des destructions notables (..).<br />

312 métiers <strong>sont</strong> détruits. <strong>Les</strong> dommages de guerre <strong>sont</strong> l'occasion pour quelques<br />

firmes d'acheter un peu de matériel de bonneterie. Initiative heureu<strong>se</strong> puisque<br />

cette branche était appelée à un brillant av<strong>en</strong>ir. Cette nouvelle activité reste<br />

toutefois trés marginale, jusque dans les années 1950, car l'après Guerre est<br />

marqué, comme dans le reste du textile, par une prospérité relative.<br />

Cette région a disposé, au cours des siècles de c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong><br />

(.) La plupart des producteurs qui subsist<strong>en</strong>t devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t propriétaires de leurs<br />

bâtim<strong>en</strong>ts au cours de cette période.<br />

(..) <strong>Les</strong> usines <strong>sont</strong> proportionnellem<strong>en</strong>t moins touchées que la ville car<br />

elles étai<strong>en</strong>t ab<strong>se</strong>ntes de Calais-Nord, quartier qui fut rasé à près de 100 %.


- 251 -<br />

notables, le plus brillant étant sans doute Hondschoote qui, au <strong>se</strong>izième siècle,<br />

s'était spécialisé dans la sayetterie, c'est-à-dire dans les étoffes <strong>en</strong> laine<br />

peignée ( . ). A la veille de l'industrialisation, la Flandre Maritime et Intérieure<br />

<strong>se</strong> consacre uniquem<strong>en</strong>t au travail du lin. Cette fibre locale est filée<br />

et tissée dans les campagnes; on y produit uniquem<strong>en</strong>t des toiles grossières.<br />

D'aprés la statistique de Dieudonné, cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble, <strong>en</strong> 1789 comme <strong>en</strong> 1801, dispo<strong>se</strong><br />

de la moitié des métiers et du quart des rouets du départem<strong>en</strong>t qui utili<strong>se</strong>nt<br />

les" lins de gros ". Il s'agit par conséqu<strong>en</strong>t d'une région spécialisée<br />

dans la production d'étoffes communes distinées aux usagers locaux ou v<strong>en</strong>dues<br />

à l'extérieur par des négociants installés, la plupart du temps, dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

de Lille.<br />

Bailleul, <strong>se</strong>ule, témoigne d'une certaine originalité: elle dispo<strong>se</strong><br />

de 15 % des moulins à retordre les fils de lin et, pour cette activité, occupe<br />

la <strong>se</strong>conde <strong>place</strong> dans le départem<strong>en</strong>t, juste après Lille. La d<strong>en</strong>telle s'y déve-<br />

loppe égalem<strong>en</strong>t depuis la fin du dix-huitième siècle, parallèlem<strong>en</strong>t au déclin<br />

de Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes. Dieudonné estime que, <strong>en</strong> 1801, 1.000 d<strong>en</strong>tellières travaill<strong>en</strong>t<br />

à Bailleul et dans les campagnes <strong>en</strong>vironnantes, jusqu'à Cas<strong>se</strong>l. C'est 10 fois<br />

plus qu'<strong>en</strong> 1789, mais dix fois moins qu'à Lille, au début du dix-neuvième siècle.<br />

La population de cette reglon est d<strong>en</strong><strong>se</strong>: (120 habitants au kilomètre<br />

carré <strong>en</strong> 1801,130 <strong>en</strong> 1821 ) ( ..), surtout si l'on ti<strong>en</strong>t compte de l'ab<strong>se</strong>nce<br />

d'organismes urbains très importants; l'accrois<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t naturel est <strong>se</strong>nsible.<br />

C'est une situation qui <strong>se</strong>mble, à priori, plutôt favorable à l'expansion du<br />

textile d'autant que cette région bénéficie de la pré<strong>se</strong>nce de Dunkerque qui,<br />

aprés 1815, importe une partie des matières premières utilisées par l'industrie<br />

textile du Nord-Pas de Calais (...)<br />

(.) Cf. notamm<strong>en</strong>t les travaux d'Emile Coornaert sur ce sujet. L'ouvrage cité<br />

de cet auteur conti<strong>en</strong>t de nombreu<strong>se</strong>s indications préci<strong>se</strong>s sur l'évolution du<br />

textilp de cette région au cours du dix-neuvième siècle.<br />

(._) Cette d<strong>en</strong>sité a été calculée <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant comme limites, celles de l'arron-<br />

dis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Dunkerque telles qu'elles exist<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t; jusqu'<strong>en</strong> 1926,<br />

<strong>en</strong> effet, Hazebrouck s'est trouvé à la tête d'un arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t séparé.<br />

(.•.) Ce rôle fut limité par le fait que Dunkerque ne pr<strong>en</strong>d vraim<strong>en</strong>t son essor<br />

que sous la Troisième République (Cf. la thè<strong>se</strong> de F. L<strong>en</strong>tacker). Dieudonne ne<br />

fait pas figurer ce port parmi les grands fournis<strong>se</strong>urs de coton du Nord.


- 252 -<br />

La rareté des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs dans cette région ne va pas permettre à<br />

l'industrialisation du textile de <strong>se</strong> produire sur une grande échelle; il faudra,<br />

pour l'es<strong>se</strong>ntiel, compter sur des initiatives extérieures. Le tissage manuel<br />

<strong>se</strong> mainti<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant la première moitié du dix-neuvième siècle : E. Coornaert<br />

considère que, <strong>en</strong> 1866, 10.000 métiers <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core utilisés, au moins à temps<br />

partiel, par des artisans qui associ<strong>en</strong>t cette activité à l'agriculture. Le tissage<br />

de lin est, peu après, durem<strong>en</strong>t touché, car la mécanisation affecte d'abord<br />

les toiles ordinaires, spécialité de cette région. La d<strong>en</strong>telle disparaît peu à<br />

peu <strong>en</strong> raison du développem<strong>en</strong>t des c<strong>en</strong>tres de Calais et de Caudry. Le retordage<br />

de Bailleul est éclipsé rapidem<strong>en</strong>t par celui de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille.<br />

Dunkerque fut le principal foyer de rénovation du textile dans cette<br />

région, <strong>en</strong> partie grâce à l'influ<strong>en</strong>ce britannique: au début du dix-neuvième<br />

siècle, un Anglais, David Dickson, apporte des plans de métiers à filer le coton<br />

et s'associe à un armateur dunkerquois, Gaspard Malo, qui fournit les capitaux.<br />

Une usine est montée à Coudekerque, et l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> prospère sous la direction<br />

du Britannique qui <strong>se</strong> fixe définitivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France. En 1837, une machine à<br />

vapeur est installée, un tissage s'ajoute à la filature; on travaille le lin,<br />

le coton et le chanvre. En 1843, Dickson introduit, le premier dans le dépar-<br />

tem<strong>en</strong>t du Nord, le travail du jute. La firme compte 900 salariés <strong>en</strong> 1860.<br />

Le jute pré<strong>se</strong>nte <strong>be</strong>aucoup d'intérêt pour cette région car il <strong>se</strong>rt<br />

à faire des toiles très communes; le tis<strong>se</strong>rand manuel, habitué aux gros fils<br />

de lin, s'adapte bi<strong>en</strong> à cette production. Des· fabricants· vont continuer à<br />

distribuer du travail aux artisans des campagnes, jusqu'au l<strong>en</strong>demain de la Pre-<br />

mière Guerre Mondiale. Un des rares <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs originaires de cette région,<br />

Vandesmet, monte, <strong>en</strong> 1852, une filature de jute à Watt<strong>en</strong>, localité située au<br />

contact de la Flandre Intérieure et Maritime, à 30 kilomètres de Dunkerque,


- 253 -<br />

et reliée à ce port par un canal et une voie ferrée.<br />

Un mouvem<strong>en</strong>t d'industrialisation s'amorce au cours de la déc<strong>en</strong>nie 1860:<br />

<strong>en</strong> raison de la haus<strong>se</strong> des prix du coton, le lin régional retrouve de l'intérêt,<br />

le jute aussi profite de cette situation, car <strong>se</strong>s cours rest<strong>en</strong>t relativem<strong>en</strong>t<br />

stables. Plus d'une dizaine de filature <strong>se</strong> cré<strong>en</strong>t dans la région, notamm<strong>en</strong>t à<br />

Dunkerque. Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ont des ba<strong>se</strong>s financières fragiles et périclit<strong>en</strong>t<br />

presque toutes vers 1867-1870. Il n'y a pas de banques locales pour les sout<strong>en</strong>ir<br />

(.). <strong>Les</strong> plus importants dét<strong>en</strong>teurs de capitaux <strong>sont</strong> les armateurs et négociants<br />

dunkerquois qui <strong>sont</strong> peu intéressés par l'investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t industriel proprem<strong>en</strong>t<br />

dit. Ils préfèr<strong>en</strong>t rester dans le domaine d'activité qui était le leur, et dont<br />

l'évolution devi<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z brillante après l'avènem<strong>en</strong>t de la Troisième République.<br />

C'est <strong>en</strong> bonne partie pour cette raison que ne <strong>se</strong> créera pas un foyer textile<br />

puissant, associant un port fournis<strong>se</strong>ur de matières premières et de capitaux<br />

et un arrière-pays riche <strong>en</strong> main-d'oeuvre.<br />

Dans le dernier tiers du dix-neuvième siècle, des usines importantes<br />

<strong>se</strong> cré<strong>en</strong>t pour travailler le jute, mais elles <strong>sont</strong> l'oeuvre de firmes extérieures<br />

qui estimai<strong>en</strong>t plus rationnel de v<strong>en</strong>ir transformer une fibre bon marché dans son<br />

principal port d'importation. Le comptoir linier s'implante·<strong>en</strong> 1898, suivi par<br />

la société Weill. Cette dernière, d'origine alsaci<strong>en</strong>ne, s'installe d'abord <strong>en</strong><br />

Lorraine, après 1870, mais s'y trouvant mal reliée aux grands ports importateurs,<br />

elle préfère finalem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> locali<strong>se</strong>r à Dunkerque où existe de plus une maind'oeuvre<br />

formée à ce g<strong>en</strong>re d'activités. Au cours de la première moitié de vingtième<br />

siècle, ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t leurs positions dans cette région <strong>en</strong><br />

repr<strong>en</strong>ant ou créant des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts à Hazebrouck et même à Arm<strong>en</strong>tières, dans<br />

la Vallée de la Lys. Toutes ces villes <strong>sont</strong> reliées par une voie de chemin de<br />

fer directe à Dunkerque.<br />

(.) Sur cet épisode significatif de l'échec du développem<strong>en</strong>t textile dans cette<br />

région, cf. notamm<strong>en</strong>t la thè<strong>se</strong> de Cl. Fahi<strong>en</strong>.


- 254 -<br />

Dans cette agglomération portuaire, <strong>en</strong> 1913, le textile emploie 5 à<br />

6.000 personnes (.), es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t dans le travail du jute; <strong>en</strong> dehors de ce<br />

dernier on compte quelques voileries et bâcheries et l'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t Malo-<br />

Dickson qui est multi-fibres. La Flandre Maritime et Intérieure conc<strong>en</strong>tre alors<br />

<strong>en</strong>viron la moitié de l'industrie jutière du départem<strong>en</strong>t. Cette mème année, Dunkerque<br />

importe 60.000 tonnes de cette matière première. Hazebrouck regroupe,<br />

pour sa part, de 1.000 à 1.100 travailleurs <strong>textiles</strong> dans quatre tissages et une<br />

filature. Bailleul dispo<strong>se</strong> de trois usines, tandis que subsist<strong>en</strong>t 900 tis<strong>se</strong>rands<br />

à domicile travaillant le jute ou le lin.<br />

L'industrialisation du textile ne s'achève qu'<strong>en</strong>tre les Deux Guerres<br />

Mondiales : à Godewaersvelde et à Boeschepe, <strong>en</strong>tre 1920 et 1930, les derniers<br />

tis<strong>se</strong>rands à domicile <strong>sont</strong> remplacés par des ateliers mécanisés sous l'influ<strong>en</strong>ce<br />

d'une firme régionale (Vandesmet) ou d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s locales qui, jusqu'à cette<br />

époque, étai<strong>en</strong>t des donneurs d'ordres. Ce <strong>sont</strong> les <strong>se</strong>cteurs les plus éloignés<br />

des villes principales qui ont con<strong>se</strong>rvé le plus longtemps les anci<strong>en</strong>nes formes<br />

de production. Bailleul, pour sa part, bénéficie, <strong>en</strong> 1927, de la création d'une<br />

filature de coton par la firme arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong> Coisne et Lam<strong>be</strong>rt. La destruction<br />

de la ville au cours de la Guerre 1914-1918 avait provoqué la disparition des<br />

petits ateliers.<br />

La Seconde Guerre Mondiale <strong>en</strong>traîne un amoindris<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t du pot<strong>en</strong>tiel<br />

dunkerquois : toutes les usines <strong>en</strong>dommagées ne <strong>sont</strong> pas reconstruites car, <strong>en</strong>tre-<br />

temps, une partie de leur cli<strong>en</strong>tèle s'est tournée vers les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de<br />

la Somme qui n'ont guère été affectés par ces évènem<strong>en</strong>ts.<br />

L'évolution de cette région, depuis le début du dix-neuvième siècle<br />

( ..) <strong>se</strong> caractéri<strong>se</strong>, <strong>en</strong> définitive, par l'échec de la formation de ce qui aurait<br />

(.) Cf. E. Thelliez, article cité.<br />

(..) La vallée de la Somme ne bénéficiait pourtant pas de la proximité d'un port<br />

de l'importance de Dunkerque par contre elle a profité de l'action d'<strong>en</strong>trepre-<br />

neurs locaux très dynamiques la famille Saint a directem<strong>en</strong>t créé au moins<br />

la moitié du pot<strong>en</strong>tiel de production de ce <strong>se</strong>cteur. Cet exemple illustre, à<br />

l'évid<strong>en</strong>ce, le rôle déterminant qui revi<strong>en</strong>t, à cette époque, à l'action de quel-<br />

ques responsables économiques.


- 255 -<br />

pu être un grand foyer textile, Il est frappant de remarquer que, initialem<strong>en</strong>t,<br />

la Flandre Maritime et Intérieure n'offrait pas des conditions três différ<strong>en</strong>tes<br />

de celles des Vallées de la Somme et de <strong>se</strong>s afflu<strong>en</strong>ts, comme la Nièvre, où<br />

s'est implantée une puissante industrie basée sur le jute et située <strong>en</strong> plein<br />

milieu rural.<br />

Le c<strong>en</strong>tre textile de Saint-Amand-les-Eaux a une origine très anci<strong>en</strong>ne<br />

(,). Dès le dix-huitiême siècle, la bonneterie est la principale activité de<br />

cette région. Le lin, bi<strong>en</strong> qu'il y soit cultivé, n'occupe qu'une <strong>place</strong> limitée,<br />

et les fils produits <strong>sont</strong> <strong>en</strong> général utilisés dans le Cambrésis. La laine est<br />

filée à domicile par des travailleurs indép<strong>en</strong>dants; une partie de ces fils est<br />

achetée par les" fabricants" de Roubaix-Tourcoing, mais l'es<strong>se</strong>ntiel est<br />

destiné aux bonnetiers locaux. A la veille de la Révolution, il s'agit d'un<br />

c<strong>en</strong>tre autonome animé par une vingtaine de marchands-transformateurs installés<br />

dans la ville même; ces ateliers urbains emploi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne <strong>se</strong>pt à huit personnes;<br />

dix fois plus travaill<strong>en</strong>t à domicile dans les <strong>en</strong>virons. On <strong>se</strong> <strong>se</strong>rt<br />

toujours d'une machine à tricoter rudim<strong>en</strong>taire, très proche de celle inv<strong>en</strong>tée<br />

par l'Anglais William Lee, aux dix-<strong>se</strong>ptième siècle. On prodûit des articles<br />

chaussant <strong>en</strong> laine uniquem<strong>en</strong>t.<br />

Dieudonné considérait que ce foyer était, <strong>en</strong> 1789, le <strong>se</strong>cond du départem<strong>en</strong>t,<br />

v<strong>en</strong>ant juste après celui de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille et ayant une capa-<br />

cité de production égale à la moitié de celle de ce dernier. <strong>Les</strong> bas tricotés<br />

à Saint-Amand les Eaux <strong>se</strong> v<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t jusqu'<strong>en</strong> Bas<strong>se</strong>-Normandie. Ce c<strong>en</strong>tre décline<br />

par la suite devant la concurr<strong>en</strong>ce <strong>be</strong>lge; <strong>en</strong> 1801, son importance a diminué<br />

des deux tiers par rapport à ce qu'elle était à la veille de la Révolution.<br />

La situation de Saint-Amand-les-Eaux s'améliore après 1815.<br />

(.) Cf. la Thè<strong>se</strong> de R. Frult, ouvrage cité.


- 256 -<br />

Cette branche textile <strong>se</strong> moderni<strong>se</strong> très l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> métiers mécani-<br />

ques rapides et le travail <strong>en</strong> atelier ne <strong>se</strong> répand<strong>en</strong>t véritablem<strong>en</strong>t que dans<br />

la <strong>se</strong>conde moitié du dix-neuvième siècle (.). <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s locales ont la<br />

possibilité de <strong>se</strong> rééquiper progressivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> matériel. <strong>Les</strong> autres activités<br />

<strong>textiles</strong>, comme le travail du lin, ne résist<strong>en</strong>t pas à la concurr<strong>en</strong>ce des c<strong>en</strong>tres<br />

modernisés.<br />

Avant 1850, quelques <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de bonneterie mont<strong>en</strong>t des filatures<br />

intégrées de laine et même quelques peignages manuels. C'est une initiative sans<br />

l<strong>en</strong>demain: toutes ces installations disparais<strong>se</strong>nt rapidem<strong>en</strong>t et cette région<br />

<strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong> exclusivem<strong>en</strong>t dans la bonneterie. <strong>Les</strong> travaux de R. Fruit montr<strong>en</strong>t<br />

que l'effectif global des actifs de cette branche reste as<strong>se</strong>z constant au cours<br />

du dix-neuvième siècle: <strong>en</strong> 1839, 25 <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s offr<strong>en</strong>t 1.300 emplois dont 150<br />

à 200 <strong>en</strong> ateliers. En 1873, 14 subsist<strong>en</strong>t avec 1.000 ouvriers <strong>en</strong> usines et quel-<br />

ques c<strong>en</strong>taines à domicile. En 1865, ce c<strong>en</strong>tre, par le nombre de personnes employées,<br />

est le plus important du Nord. L'évolution ultérieure <strong>se</strong> caractéri<strong>se</strong> par<br />

une réduction progressive du nombre des producteurs : 8 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1900, à<br />

Saint-Amand les Eaux et dans <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons. Le travail à domicile disparaît pro-<br />

gressivem<strong>en</strong>t vers 1914.<br />

Finalem<strong>en</strong>t, on constate la survivance et la rénovation d'une activité<br />

née avant la Révolution Industrielle diffusée dans toute la région de Saint-<br />

Amand les Eaux, à cette époque, elle s'est conc<strong>en</strong>trée géographiquem<strong>en</strong>t dans la<br />

ville principale. Le c<strong>en</strong>tre a con<strong>se</strong>rvé son autonomie mais son rôle relatif dans<br />

le Nord est <strong>en</strong> diminution régulière depuis la fin du dix-neuvième siècle,<br />

(.) Même dans la région troy<strong>en</strong>ne, pourtant la plus moderne de France, les con-<br />

ditions de production rest<strong>en</strong>t artisanale jusqu'<strong>en</strong> 1850 ; le métier Cotton ne<br />

devi<strong>en</strong>t majoritaire qu'après 1880. (Cf. " <strong>Les</strong> <strong>industries</strong> de la maille dans l'Au-<br />

<strong>be</strong> ", étude réalisée, <strong>en</strong> 1970, par la Banque de France de Troyes).


- 257 -<br />

Dans le chapitre précèd<strong>en</strong>t, on avait relevé la pré<strong>se</strong>nce d'une série de<br />

très petits c<strong>en</strong>tres, notamm<strong>en</strong>t dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Arras. Il <strong>se</strong>rait fastidieux<br />

et disproportionné par rapport à leur importance de retracer l'évolution<br />

de chacun d'<strong>en</strong>tre eux. Il convi<strong>en</strong>t toutefois de relever qu'ils constitu<strong>en</strong>t les<br />

vestiges d'une vaste zone où le travail textile était fort répandu avant la<br />

Révolution (.). Ce dernier reposait sur le lin, comme il était fréqu<strong>en</strong>t à cette<br />

époque. En 1842, au mom<strong>en</strong>t où débute l'industrialisation de la filature, le Pas<br />

de Calais compte 7.200 hectares consacrés au lin (le Nord, 10.200), ce qui lui<br />

donne la troisième <strong>place</strong> <strong>en</strong> France (..). En 1898, au mom<strong>en</strong>t du grand déclin de<br />

cette culture <strong>en</strong> France, A.Demangeon remarque que l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Arras consa-<br />

cre <strong>en</strong>core 530 hectares au lin, ce qui lui donne la première <strong>place</strong> dans la ré-<br />

gion.<br />

Un début d'industrialisation (... ) apparaît vers 1840; il est dû<br />

es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t à des initiatives extérieures à cette région. la réalisation la<br />

plus remarquable est l'édification, <strong>en</strong> 1840, d'une filature à Frév<strong>en</strong>t ; avec<br />

10.000 broches, cette unité est, à ce mom<strong>en</strong>t-là, l'une des plus importantes de<br />

France. Elle a été montée par un négociant, Mi11escamps, qui, très rapidem<strong>en</strong>t,<br />

l'intègre au Comptoir linier, société fondée, <strong>en</strong> 1846, par des négociants originaires<br />

du Nord et de la Sarthe. le siège est installée à Paris. la firme acquiert<br />

outre l'unité de Frév<strong>en</strong>t, une filature de jute et de lin à Ailly-sur-Somme et<br />

un tissage mécanique à Cambrai. C'est un cas as<strong>se</strong>z exceptionnel, à cette époque,<br />

d'une firme ayant des implantations mu1tirégiona1es : c'est ainsi que les filés<br />

de lin de Frèv<strong>en</strong>t <strong>sont</strong> distribués aux tis<strong>se</strong>rands à domicile puis aux petits<br />

ateliers sarthois.<br />

Si le Comptoir linier con<strong>se</strong>rve <strong>se</strong>s établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts dans le Pas-de-Calais<br />

(.) Dieudonné signale que, <strong>en</strong> 1801, des rouets fil<strong>en</strong>t le coton à Frèv<strong>en</strong>t et à<br />

Saint-Pol sur Ternoi<strong>se</strong> pour des Lillois; cette région <strong>en</strong> fait ne travaille que<br />

pour des c<strong>en</strong>tres extérieurs.<br />

(..) Source: P. Billaux, ouvrage cité.<br />

(...) D1après F. Dornic et L. Merchier études citées.


- 258 -<br />

(il s'incorpore <strong>en</strong>suite la filature de Bou<strong>be</strong>rs-sur-Canche), il ne les multiplie<br />

pas dans une région qui perd son principal attrait après 1870, lorsqu'il devi<strong>en</strong>t<br />

préférable d'utili<strong>se</strong>r des lins importés. Comme ce <strong>se</strong>cteur du Pas-de-Calais ne<br />

dispo<strong>se</strong> pas d'un très bon ré<strong>se</strong>au de voies de communication, le Comptoir Linier<br />

préfère réali<strong>se</strong>r <strong>se</strong>s investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts ultérieurs dans des c<strong>en</strong>tres mieux situés<br />

comme Dunkerque, Hazebrouck ou Arm<strong>en</strong>tières. Toute cette région avait, <strong>en</strong> défini-<br />

tive, des pot<strong>en</strong>tialités qui n'ont guère été utilisées, dès lors que les implantations<br />

dép<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t de firmes dont les c<strong>en</strong>tres de décision <strong>se</strong> trouvai<strong>en</strong>t à l'ex-<br />

térieur.<br />

les différ<strong>en</strong>ts facteurs favorables à l'épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t du textile dans<br />

le Nord-Pas de Calais n'ont pas joué partout avec une égale int<strong>en</strong>sité; de ce<br />

fait, chaque c<strong>en</strong>tre a acquis des caractéristiques propres. Dans tous les cas,<br />

pourtant, s'est manifestée une t<strong>en</strong>dance à la conc<strong>en</strong>tration de chaque branche<br />

à l'intérieur d'un ou deux foyers: les peignages de laine <strong>se</strong> <strong>sont</strong> agglutinés<br />

à Roubaix-Tourcoing de même que les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de d<strong>en</strong>telle <strong>se</strong> <strong>sont</strong> ras<strong>se</strong>mblés<br />

à Calais et à Caudry ou dans <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons immédiats. Ceci a <strong>en</strong>traîné progressivem<strong>en</strong>t<br />

une grande spécialisation des villes <strong>textiles</strong>. Ce phénomène s'explique<br />

es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t par une série de facteurs propres à cette époque: la réussite<br />

de quelques <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs locaux dans une activité déterminée incite les autres<br />

à choisir la même spécialité. Ce phénomène d'imitation peut <strong>se</strong> produire car,<br />

à cau<strong>se</strong> du faible volume de capitaux nécessaires, on r<strong>en</strong>contre toujours, au début<br />

de l'industrialisation, un nombre élevé de personnes susceptibles de <strong>se</strong> lan-<br />

cer dans les affaires.<br />

Le développem<strong>en</strong>t de plusieurs <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s id<strong>en</strong>tiques <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre peu à peu<br />

une situation favorable à la poursuite de l'expansion de cette branche <strong>en</strong> raison<br />

de<br />

1) La pré<strong>se</strong>nce d'un noyau de main-d'oeuvre formée à la pratique des nouvelles<br />

techniques. Ceci est important car il n'y a pas d'<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>t professionnel<br />

organisé; la formation <strong>se</strong> fait" sur le tas" et comporte <strong>en</strong>core <strong>be</strong>aucoup


259 -<br />

de" Tours de main" dont l'acquisition suppo<strong>se</strong> une longue pratique (.).<br />

II) <strong>Les</strong> activités complém<strong>en</strong>taires t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à <strong>se</strong> locali<strong>se</strong>r là où elles dispo<strong>se</strong>nt<br />

d'un marché important. La pré<strong>se</strong>nce de nombreux producteurs de d<strong>en</strong>telle justifie,<br />

par exemple, la création de teintureries spécialisées, de bureaux d'esquis<strong>se</strong>urs<br />

et de dessinateurs, de <strong>se</strong>rvices perman<strong>en</strong>ts d'assistance technique des construc-<br />

teurs de matériels etc ...<br />

III) Le ras<strong>se</strong>mblem<strong>en</strong>t de nombreux producteurs attire les négociants et les ache-<br />

teurs extérieurs parce qu'ils sav<strong>en</strong>t qu'ils vont trouver là un grand choix d'articles.<br />

Le tis<strong>se</strong>rand installé à Roubaix a plus de chances d'être visité par l'acheteur<br />

de tissus parisi<strong>en</strong>s que s'il <strong>se</strong> trouvait à L<strong>en</strong>s ou à Boulogne, où il<br />

<strong>se</strong>rait le <strong>se</strong>ul de son espèce (..). Dans ce dernier cas il lui faudrait installer<br />

un bureau de v<strong>en</strong>te à Paris ou à Roubaix, ce qui occasionnerait des frais supplé-<br />

m<strong>en</strong>taires.<br />

Pour employer le langage des économistes, on peut dire que la localisation<br />

dans un c<strong>en</strong>tre déjà constitué <strong>en</strong>traîne, pour l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>, des" économies<br />

externes" qui rédui<strong>se</strong>nt les frais de fonctionnem<strong>en</strong>t et le montant de l'investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t<br />

initial. La conc<strong>en</strong>tration géographique devi<strong>en</strong>t un palliatif au morcellem<strong>en</strong>t<br />

des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s. Elle facilite la multiplication de petites firmes qui<br />

ne peuv<strong>en</strong>t subsister <strong>en</strong> dehors du c<strong>en</strong>tre où elles trouv<strong>en</strong>t les <strong>se</strong>rvices complém<strong>en</strong>taires<br />

indisp<strong>en</strong>sables. La conc<strong>en</strong>tration géographique t<strong>en</strong>d, <strong>en</strong> quelque sorte,<br />

à s'auto<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir et ceci constitue un facteur supplém<strong>en</strong>taire d'inertie des<br />

localisations.<br />

Le ras<strong>se</strong>mblem<strong>en</strong>t d'une même branche <strong>en</strong> une même ville a des conséqu<strong>en</strong>-<br />

ces redoutables sur le plan économique et social puisqu'il crée une situation de<br />

monoindustrie. Ceci t<strong>en</strong>d égalem<strong>en</strong>t à r<strong>en</strong>forcer le particularisme de la branche<br />

(.) Si l'on repr<strong>en</strong>d les exemples evoques ci-dessus du peignage et de la d<strong>en</strong>telle,<br />

il est très long de former un trieur de laine qui doit, au toucher, de-<br />

terminer la fines<strong>se</strong> et la qualité de la laine. De même le tulliste n'acquiert<br />

que très progressivem<strong>en</strong>t une bonne connaissance de la machine très complexe que<br />

constitue le métier à d<strong>en</strong>telle.<br />

(.,) Ceci est particulièrem<strong>en</strong>t vrai au dix-neuvième siècle: les dé<strong>place</strong>m<strong>en</strong>ts<br />

rapides <strong>se</strong> font par chemin de fer. Il n'est donc pas commode de visiter <strong>be</strong>au-<br />

coup de petits c<strong>en</strong>tres. Il était typique, à cet egard, d'ob<strong>se</strong>rver, à Roubaix<br />

le ras<strong>se</strong>mblem<strong>en</strong>t des bureaux de v<strong>en</strong>te des tis~us aux abords de la gare.


- 260 -<br />

dans la mesure où ceux qui y travaill<strong>en</strong>t n'ont pas l'occasion de confronter<br />

leurs expéri<strong>en</strong>ces professionnelles avec celles d'autres branches industrielles<br />

<strong>textiles</strong> ou non.<br />

Il apparaît clairem<strong>en</strong>t que l'essor du textile dans le Nord-Pas de<br />

Calais résulte d'une évolution complexe qui n'était pas inéluctable. Beaucoup<br />

des facteurs favorables étai<strong>en</strong>t liés au contexte historique social et économique<br />

du dix-neuvième siècle. Cette constation amène logiquem<strong>en</strong>t à <strong>se</strong> demander si le<br />

grand foyer décrit au chapitre précéd<strong>en</strong>t constitue ou non une simple survivance<br />

d'une évolution antérieure.

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