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LES CRIS DU SURRÉALISME - André Parinaud

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particulier, avant de m’endormir, je perçus, nettement articulée, au point qu’il était impossible d’y<br />

changer un mot, mais distraite cependant du bruit de toute voix, une assez bizarre phrase qui me<br />

parvenait sans porter trace des événements auxquels, de l’aveu de ma conscience, je me trouvais<br />

mêlé à cet instant-là, phrase qui me parut insistante, phrase oserais-je dire qui cognait à la vitre.<br />

J’en pris rapidement notion et me disposais à passer outre quand son caractère organique me<br />

retint. En vérité, cette phrase m’étonnait, je ne l’ai malheureusement pas retenue jusqu’à ce jour,<br />

c’était quelque chose comme « Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre », mais elle ne<br />

pouvait souffrir d’équivoque, accompagnée qu’elle était de la faible représentation visuelle d’un<br />

homme marchant et tronçonné à mi-hauteur par une fenêtre perpendiculaire à l’axe de son corps.<br />

À n’en pas douter il s’agissait du simple redressement dans l’espace d’un homme qui se tient<br />

penché à la fenêtre. Mais cette fenêtre ayant suivi le déplacement de l’homme, je me rendais<br />

compte que j’avais affaire à une image d’un type assez rare, que le désir me vînt d’incorporer à<br />

mon matériel de construction poétique. Je ne lui eus pas plus tôt accordé ce crédit que d’ailleurs<br />

elle fit place à une succession à peine intermittente de phrases qui ne me surprirent guère moins<br />

et me laissèrent sous l’impression d’une gratuité extrême. »<br />

(intermède musical)<br />

Désormais, le groupe surréaliste explorant les arcanes de l’inconscient est à la pêche au trésor et il tourne résolument<br />

le dos à la littérature et à l’art tels qu’on les conçoit ordinairement.<br />

<strong>André</strong> Breton et Louis Aragon le proclament :<br />

« Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. » (A.B.)<br />

« L’habileté artistique apparaît comme une mascarade qui compromet toute la dignité humaine. »<br />

(L.A.)<br />

En cette fin d’année 1922, à la découverte des pouvoirs nouveaux de l’esprit, les surréalistes semblent la proie<br />

d’une épidémie de sommeil. Ils sont sept ou huit qui ne vivent plus que pour ces instants d’oubli où, les lumières<br />

éteintes, ils parlent sans conscience comme des noyés en plein air. Ils éprouvent une aisance incomparable, une<br />

libération qui favorise une production d’images sans précédent et leurs écrits trouvent un ton surnaturel. Aragon a<br />

raconté comment s’opérait cette ascèse :<br />

« D’abord chacun de nous se trouvait l’objet d’un trouble particulier. Il luttait contre ce trouble.<br />

Bientôt sa nature se révéla. Tout se passait comme si l’esprit parvenu à cette charnière de<br />

l’inconscient avait perdu le pouvoir de reconnaître où il versait. En lui subsistaient des images qui<br />

prenaient corps, elles devenaient matière de réalité. Elles s’exprimaient, suivant ce rapport, dans<br />

une force sensible ; elles revêtaient ainsi les caractères d’hallucinations visuelles, auditives, tactiles.<br />

Nous éprouvions toute la force des images, nous avions perdu le pouvoir de les manier, nous<br />

étions devenus leur domaine, leur monture. Dans un lit au moment de dormir, dans la rue les<br />

yeux grands ouverts avec tout l’appareil de la terreur, nous donnions la main aux fantômes. Cette<br />

matière mentale nous l’éprouvions par son pouvoir concret, par son pouvoir de concrétion. Nous<br />

la voyions passer d’un état dans un autre et c’est par ces transmutations qui nous en décelaient<br />

l’existence que nous étions également renseignés sur sa nature. Nous voyions, par exemple, une<br />

image écrite, qui se présentait premièrement avec le caractère du fortuit de l’arbitraire, atteindre<br />

nos sens, se dépouiller de l’aspect verbal pour revêtir ses réalités phénoménales que nous avions<br />

toujours cru impossible à provoquer fixes hors de notre fantaisie. »<br />

« Au café, dans le bruit des voix, la pleine lumière, les coudoiements, Robert Desnos n’a qu’à<br />

fermer les yeux et il parle, et au milieu des bocks, des soucoupes, tout l’océan s’écroule avec ses<br />

fracas prophétiques et ses vapeurs ornées de longues oriflammes. Que ceux qui interrogent ce<br />

dormeur formidable l’aiguillent à peine et tout de suite la prédiction, le ton de la magie, celui de la<br />

révélation, celui de la révolution, le ton du fanatique et de l’apôtre surgissent. Dans d’autres<br />

conditions, Desnos, pour peu qu’il se prenne à ce délire, deviendrait le chef d’une religion, le<br />

fondateur d’une ville, le tribun d’un peuple soulevé. »<br />

(intermède musical)<br />

Cette plongée dans la magie de l’inconscient était pour tout le groupe surréaliste une occasion magistrale de<br />

communauté à la limite de l’expérience mystique, comme le dit <strong>André</strong> Breton :<br />

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