Jean-Marc Lemelin LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION ...
Jean-Marc Lemelin LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION ...
Jean-Marc Lemelin LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION ...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
<strong>Jean</strong>-<strong>Marc</strong> <strong>Lemelin</strong><br />
<strong>LA</strong> <strong>VIOLENCE</strong> <strong>ET</strong> <strong>SA</strong> <strong>REPRÉSENTATION</strong><br />
Notes de cours<br />
Domination ← Détermination<br />
↑<br />
Surdétermination<br />
(sous-détermination)<br />
Description ← Compréhension<br />
(comment) (quoi)<br />
↑<br />
Explication<br />
(pourquoi)<br />
Montrer ← Démontrer<br />
↑<br />
Dé/monter
INTRODUCTION<br />
Mouvement<br />
Violence ← Pouvoir<br />
↑<br />
Force<br />
La force est physique, animale, voire bestiale ;<br />
elle est gravitation : traction ou pulsion,<br />
attraction ou répulsion.<br />
La force est mécanique [Aristote, Archimède] ;<br />
elle est technique et dynamique [Newton,<br />
Einstein].<br />
Dans un corps animal, elle est biologique,<br />
physiologique, musculaire.<br />
La force surdétermine le pouvoir et la violence.<br />
Le pouvoir est l’exercice de la force, surtout<br />
par l’État, qui peut le concentrer dans l’armée,<br />
la police, la milice.<br />
Le pouvoir détermine la violence.<br />
La violence, dont le pouvoir ou le biopouvoir<br />
peut avoir le monopole, est à la fois conflit,<br />
contrainte et contact :
Violence<br />
Conflit ← Contrainte<br />
↑<br />
Contact<br />
[tact (toucher et doigté) et tactique]<br />
La violence fait peur et fait mal [Yves Michaud].<br />
Dans l’antagonisme, la violence domine ; elle est<br />
polémique [« polemos » : guerre] et agonique<br />
[« agon » : angoisse et agonie, lutte].<br />
L’oppression est la violence du pouvoir.<br />
La destruction est le pouvoir de la violence.<br />
Le gouvernement est la force du pouvoir.<br />
L’autorité est le pouvoir de la force.<br />
L’agressivité est la force de la violence.<br />
La puissance est la violence de la force.<br />
Il n’y a pas de domination sans violence et pas<br />
de violence sans domination ; la domination ne se<br />
confond pas avec l’autorité ou le gouvernement.<br />
La violence n’est pas nécessairement<br />
l’agressivité ou la cruauté (brutalité, dureté,<br />
férocité) ; c'est-à-dire que la violence peut<br />
être physique ou symbolique : l’évaluation<br />
scolaire ou universitaire est symbolique…
La violence verbale n’est ni physique ni<br />
symbolique ou elle est les deux, selon les<br />
situations.<br />
Dans ce cours, il ne sera pas question de la<br />
violence naturelle (catastrophes, calamités,<br />
maladies, « loi de la jungle ») et de la<br />
violence accidentelle (accidents, incidents,<br />
malchances, hasards).<br />
Il sera question de la violence volontaire ou<br />
intentionnelle, où il y a donc :<br />
1. un bourreau : agent, sujet,<br />
2. un acte : projet, trajet,<br />
3. une victime : patient, objet.<br />
Mais il est vrai qu’une victime peut devenir<br />
bourreau à son tour.<br />
Il y a une vérité de la violence ; elle est du<br />
côté de la victime : c’est la violence de la<br />
vérité.<br />
La violence attaque le corps, d’abord dans son<br />
animalité ou sa sexualité.<br />
Toutefois, ce n’est pas à la victime de juger,<br />
mais à un tiers : témoin, jury ou juge ; sinon on<br />
est victime de l’idéologie victimaire, qui est<br />
l’idéologie religieuse du martyr : « témoin (de<br />
Dieu) ».<br />
Par ailleurs, il n’y a pas de vie sans violence :<br />
la violence (de la force) est l’origine de la<br />
vie.<br />
Peut-être qu’il n’y a pas de sexualité non plus<br />
sans un minimum de violence, la sexualité ayant à<br />
voir avec et la vie et la mort : l’orgasme n’estil<br />
pas une « petite mort » [Georges Bataille] ?
En outre, il n’y a guère de représentation de la<br />
violence, dans l’art et la littérature par<br />
exemple, sans violence de la représentation,<br />
comme nous le verrons avec Lautréamont et Aquin.<br />
Enfin, il y a technique de la violence en même<br />
temps qu’il y a violence de la technique : la<br />
technique est à la fois représentée (montrée) et<br />
représentante.
I<br />
<strong>LA</strong> C<strong>LA</strong>SSIFICATION DE <strong>LA</strong> <strong>VIOLENCE</strong><br />
A. La violence physique<br />
Contre les choses : la propriété<br />
Contre les corps : la personne<br />
La violence symbolique<br />
Pour l’évaluation culturelle<br />
Pour la sélection sociale<br />
B. La violence individuelle (privée,<br />
domestique)<br />
La violence collective (publique, étatique,<br />
institutionnelle, rituelle)
II<br />
LE SPECTRE DE <strong>LA</strong> <strong>VIOLENCE</strong> PHYSIQUE<br />
A. La violence carnivore :<br />
la violence contre les animaux<br />
L’humain est (un) animal, mais l’animal n’est pas<br />
(un) humain.<br />
Chasse<br />
Pêche<br />
Domestication<br />
Élevage<br />
Abattage<br />
Combat<br />
(coqs, chiens)<br />
Course<br />
(lévriers, chevaux)<br />
Corrida<br />
(taureaux)<br />
Cirque<br />
Zoo
Zoophilie<br />
Cannibalisme non rituel<br />
Spécisme<br />
Il y a parfois massacre de bétail, comme en pays<br />
xhosa au Cap, en Afrique du Sud, en 1856-1857 :<br />
400 000 bêtes ont été abattues et 40 000 humais<br />
en sont morts de faim ou d’épuisement. Il en a<br />
été de même lors des épidémies : « vache folle »,<br />
grippe ovine ou porcine.<br />
Malheureusement, c’est encore pire actuellement<br />
dans les abattoirs industriels, où l’on tue même<br />
à la naissance des dizaines de millions<br />
d’animaux, surtout la volaille (poussins,<br />
canettes), que l’on ne mange même pas, parce<br />
qu’ils n’ont pas été sélectionnés pour leur chair<br />
ou parce qu’ils n’ont pas le foie qu’il faut pour<br />
être gavés…<br />
Cependant, s’il n’y avait pas eu la chasse et la<br />
pêche, s’il n’y avait pas eu la viande et le<br />
foyer pour la cuire, nous ne serions pas ici<br />
aujourd’hui : Homo sapiens ne serait jamais<br />
apparu ! - Mais c’est un « alibi historique »,<br />
selon l’ « animalisme » (éthique animale ou<br />
environnementale).<br />
[Nécrophilie : violence contre les cadavres]
B. La violence interlope (mafieuse ou autre)<br />
1. La violence contre les choses ou les<br />
biens :<br />
Vol<br />
Violation<br />
(vandalisme, délinquance, « contrevenance »)<br />
Fraude<br />
2. La violence contre les personnes :<br />
Trafic de drogues<br />
Trafic d’armes<br />
Protection<br />
Crime organisé<br />
Banditisme<br />
Gangs<br />
[Les « grands bandits » (des westerns aux films<br />
policiers) ou les tueurs en série comme Gilles de<br />
Rais sont sans doute des pervers ; c’est-à-dire<br />
qu’ils se considèrent au-dessus de la Loi ; ce<br />
sont des transgresseurs et ils détruisent les<br />
sociétés, alors que les obsessionnels les<br />
construisent.]
C. La violence quotidienne : domestique,<br />
scolaire<br />
Foyer<br />
École<br />
(bizutage : initiation)<br />
(harcèlement)<br />
D. Les violences sexuelles<br />
1. La violence contre les enfants<br />
(violence générationnelle)<br />
Punition<br />
Coup<br />
Blessure<br />
Abus<br />
Inceste<br />
Pédérastie<br />
Pédophilie<br />
Viol<br />
Meurtre
2. La violence contre les femmes<br />
Misogynie<br />
Chauvinisme<br />
Machisme<br />
Sexisme<br />
Harcèlement<br />
Voyeurisme<br />
Exhibitionnisme<br />
Pornographie<br />
Délits<br />
Agressions<br />
Proxénétisme<br />
Traite<br />
Viol<br />
Meurtre<br />
3. La violence contre les homosexuels ou les<br />
transsexuels<br />
Homophobie<br />
Transphobie<br />
Viol<br />
Meurtre<br />
Sadisme
E. Les violences religieuses (sectaires,<br />
rituelles)<br />
Sacrifice<br />
Inquisition<br />
Chasse aux sorcières<br />
Sectes<br />
(fondamentalisme, intégrisme)<br />
Cannibalisme rituel<br />
Rites de passage<br />
Initiations → Mutilations → Douleur<br />
(« douleur infligée »)<br />
Circoncision<br />
Excision<br />
Subincision<br />
Scarification<br />
Amputation d’un doigt<br />
Limage ou arrachage de dents<br />
Perçage<br />
Tatouage<br />
Brûlure<br />
Bastonnade
Brimade<br />
Autres épreuves<br />
L’initiation est de la torture, mais la torture<br />
n’est pas de l’initiation.<br />
Peine<br />
Douleur ← Mal<br />
(être mal, avoir mal, faire mal)<br />
(se faire mal, se sentir mal, se donner du mal)<br />
↑<br />
Souffrance<br />
F. Les violences politiques (étatiques ou<br />
non) et sociales<br />
1. La violence génocidaire<br />
Génocide<br />
Tutsis<br />
Juifs<br />
(judéocide : « Shoah », « holocauste »)<br />
Tsiganes<br />
Arméniens
Héréros<br />
Amérindiens<br />
Démocide /Politicide<br />
(URSS, Chine, Cambodge)<br />
Pogrom<br />
Massacre<br />
Carnage<br />
Antisémitisme<br />
Négationnisme<br />
2. La violence ethnocidaire<br />
Ethnocide<br />
« nettoyage ethnique »<br />
« purification ethnique »<br />
« épuration ethnique »<br />
« ethnic cleansing »<br />
(Balkans)<br />
Nationalisme ethnique
3. La violence raciale<br />
Esclavage<br />
(servitude, asservissement)<br />
Afro-Américains<br />
(Non-Blancs)<br />
Lynchage<br />
Apartheid<br />
(Afrique du Sud)<br />
Ségrégation<br />
(U<strong>SA</strong>)<br />
Racisme<br />
4. La violence militaire<br />
Guerre<br />
Guerres de religions<br />
Guerre de cent ans<br />
Guerre de Trente ans<br />
Guerres mondiales<br />
Guerres Civiles<br />
Crimes de guerre<br />
Crimes contre l’humanité
5. La violence révolutionnaire<br />
Révolution<br />
1776 : Révolution américaine<br />
1789 : Révolution française<br />
1917 : Révolution soviétique<br />
1949 : Révolution chinoise<br />
Guérilla<br />
(Bolivie, Colombie)<br />
6. La violence contestataire<br />
Contestation<br />
Manifestation<br />
Émeute<br />
Révolte<br />
Grève<br />
Attentat<br />
Insurrection<br />
(→ révolution ?)
7. La violence policière<br />
Police<br />
Milice<br />
(Brésil)<br />
Sécurité<br />
8. Le terrorisme ou le « terrolitarisme »<br />
Le rapt ou l’enlèvement<br />
La rançon<br />
9. La torture (« douleur infligée »)<br />
Torture physique<br />
(physique, physiologique)<br />
Torture psychologique<br />
(« torture blanche » : sans taches ou traces)<br />
10. La violence concentrationnaire<br />
Centres d’extermination ou de mise à mort<br />
Camps de concentration<br />
Camps de réfugiés<br />
Camps de prisonniers de guerre
Ghettos<br />
G. Les violences juridiques ou judiciaires<br />
1. La violence pénitentiaire<br />
Orphelinats<br />
Asiles<br />
Prisons<br />
Pénitenciers<br />
Travaux forcés<br />
2. Le bâton ou le fouet : la flagellation<br />
3. La peine de mort (supplice)<br />
Lapidation<br />
Crucifixion<br />
Bûcher<br />
Écartèlement<br />
(Exécution du régicide Damiens le 2 mars 1757)<br />
[voir Foucault : Surveiller et punir au début]
Epée<br />
Hache<br />
Guillotine<br />
Pal<br />
Fusillade<br />
(peloton d’exécution)<br />
Pendaison<br />
(Potence)<br />
Injection<br />
Électrocution<br />
(chaise électrique)<br />
Asphyxie<br />
(gaz)<br />
[chambre à gaz : Zyklon B]<br />
Autres outils ou armes de meurtre : couteau,<br />
poignard, marteau, masse, grenade, bombe, fusée,<br />
torpille, poison, mains (étranglement).<br />
Meurtres :<br />
Homicide<br />
Infanticide<br />
Parricide<br />
Matricide<br />
Fratricide
Régicide<br />
Tyrannicide<br />
Déterminer si c’est un meurtre et juger si ce<br />
meurtre est un crime : justice.<br />
H. La violence martiale : combat corps à<br />
corps<br />
Querelle<br />
Bagarre<br />
Bataille<br />
Duel<br />
Arts martiaux<br />
I. La violence sportive<br />
Le sport est la ritualisation de la violence,<br />
contrairement à la chasse (qui est une<br />
manifestation de la force) et à la guerre (qui<br />
est la concentration, l’extension ou l’expansion<br />
du pouvoir) ; c’est-à-dire que la violence y est<br />
réglée par des normes ; mais il y a transgression<br />
des règles qui conduit à la punition ou à la<br />
suspension des acteurs (joueurs). Les spectateurs<br />
peuvent succomber à la violence du spectacle ou<br />
s’abandonner au spectacle de la violence<br />
(« hooligans », bandes).
Violence du/dans le spectacle<br />
Arène Joute Lutte<br />
Gladiateurs vs gladiateurs<br />
Esclaves de Rome<br />
Violence du rituel<br />
Affranchissement<br />
Vie ou mort<br />
Arène Corrida Combat<br />
Torero vs taureau<br />
Violence de la ritualisation<br />
Rite/mythe<br />
Cérémonie<br />
Stade Jeu Sport<br />
Joueurs (athlètes) vs joueurs<br />
U<strong>SA</strong> (surtout basketball, football et boxe) →<br />
Afro-Américains : descendants d’esclaves<br />
Ritualisation de la violence<br />
Fortune et/ou gloire<br />
Victoire ou défaite<br />
Spectateurs<br />
Spectacle de/sur la violence
J. La violence médicale<br />
La violence médicale résulte de la violence<br />
scientifique, de la violence de la science.<br />
Lobotomie<br />
(en finir avec le passé)<br />
Euthanasie<br />
(en finir avec le présent)<br />
Vasectomie<br />
(en finir avec le futur)<br />
Laboratoires<br />
Prothèses<br />
Greffes d’organes<br />
Chirurgie<br />
(plastique, esthétique, génitale)<br />
Transsexualisme<br />
Alors que la chirurgie plastique cherche à<br />
rétablir la nature (passée), la chirurgie<br />
génitale ou sexologique cherche à établir par la<br />
culture (future).
K. L’autoviolence (« violence affligée »)<br />
Automutilation<br />
(transsexualisme, psychose, autisme)<br />
Masochisme<br />
Suicide et conduites suicidaires<br />
(alcoolisme, toxicomanie)<br />
(conduites à risques :<br />
alpinisme, parachutisme, acrobatie, vitesse)<br />
*<br />
Si la violence de la nature est exclue ici, on<br />
pourrait inclure la violence de la misère :<br />
chômage, pauvreté, famine, épidémie ; c’est une<br />
violence causée par la culture.
Pour conclure cette section :<br />
Humanité<br />
Gestualité ← Oralité<br />
↑<br />
Animalité<br />
(sexualité)<br />
Sensibilité ← Entendement<br />
↑<br />
Imagination<br />
Action ← Raison<br />
↑<br />
Passion<br />
Nature ← Culture<br />
↑<br />
Posture<br />
Il y a donc surdétermination par l’animalité ou<br />
la sexualité et donc par la castration, la<br />
finitude, la mort.
III<br />
<strong>LA</strong> <strong>REPRÉSENTATION</strong> DE <strong>LA</strong> <strong>VIOLENCE</strong><br />
La violence est représentée depuis très<br />
longtemps :<br />
L’art paléolitique<br />
↓ ↓<br />
Mobilier Immobilier<br />
↓ ↓<br />
Rupestre Pariétal<br />
(extérieur) (intérieur)<br />
[rochers] [grottes]<br />
L’art préhistorique est peut-être structuré par<br />
deux principes : le principe femelle de vie<br />
(cueillette, femme, proie, blessure ; cheval et<br />
bison) et le principe mâle de mort (chasse,<br />
homme, prédateur, arme ; lion et ours).<br />
→ La scène du puits de Lascaux (17 000 années)<br />
[Picard]<br />
L’art mésolithique et néolithique<br />
(céramique, poterie)<br />
[Otte]
Les textes sacrés<br />
La Bible<br />
Le Coran<br />
Les Védas<br />
Religieux<br />
Profane ← Sacré<br />
↑<br />
Divin<br />
La mythologie<br />
Grecque<br />
Latine<br />
Nordique<br />
Celtique<br />
La sculpture<br />
[Giacometti, Bernier]<br />
La peinture<br />
La littérature<br />
La tragédie ne montre pas la violence ; elle la<br />
raconte.
La bande dessinée<br />
La musique<br />
Rock<br />
Punk<br />
Rap<br />
La performance<br />
Orlan<br />
Le cinéma<br />
Le dessin animé<br />
Il n’y a pas de cinéma sans violence ; le cinéma<br />
montre ce que la tragédie ne montre pas.<br />
La presse<br />
(écrite, parlée, télévisée)<br />
La télévision<br />
Les jeux vidéo<br />
L’internet<br />
La propagande peut faire passer la guerre pour du<br />
travail, c’est-à-dire pour la production ou la<br />
fécondité.
Le sport américain (football, basketball,<br />
baseball, boxe, etc.) est un « fruit », un résidu<br />
ou un résultat de l’esclavage.
IV<br />
L’UNIVERS CONCENTRATIONNAIRE DU JUDÉOCIDE<br />
Alors que dans Les Chants de Maldoror du comte de<br />
Lautréamont et dans Neige noire d’Hubert Aquin,<br />
nous avons affaire à la représentation de la<br />
violence fictionnelle, avec le judéocide, il<br />
s’agit de la violence factuelle.<br />
Juifs (avec une majuscule) : peuple sémite,<br />
peuple hébreu, parlant souvent le<br />
yiddish (ashkénazes);<br />
juifs (avec une minuscule) : de religion juive ou<br />
israélite.<br />
Le judaïsme est le premier monothéisme (Abraham,<br />
Moïse) ; c’est la religion du Père, alors que le<br />
christianisme est la religion du Fils.<br />
Le judéocide (« Holocauste » aux États-Unis,<br />
« Shoah » en Europe) est le génocide de cinq à<br />
six millions de Juifs par les Allemands et leurs<br />
alliés pendant la Deuxième Guerre Mondiale.<br />
Avant le judéocide, les Juifs ont été victimes de<br />
l’antisémitisme : ils ont été les esclaves des<br />
Égyptiens, ils ont été les victimes de pogroms ou<br />
de massacres ; ils ont été entassés dans des<br />
ghettos. Les Juifs ont été accusés d’avoir tué le<br />
Christ, qui était un Juif ; or, ce sont les<br />
Romains qui l’ont tué sur le Golgotha, le<br />
calvaire. Au Moyen Âge, on les a accusés<br />
d’empoissonner l’eau des puits, d’enlever de<br />
jeunes filles chrétiennes pour les sacrifier, de<br />
répandre des maladies comme la peste ou la lèpre,<br />
etc. L’antisémitisme était répandu en Russie<br />
tsariste, en Europe de l’Est et en Europe de<br />
l’Ouest ; les Juifs ont été expulsés d’Espagne en
1492 et refoulés en Afrique du Nord (séfarades)<br />
ou convertis (marranes). Au XXe siècle en<br />
Allemagne, les Juifs ne dépassaient pas 1% de la<br />
population. Partout dans le monde, il y en avait<br />
quinze ou seize millions, dont trois millions ou<br />
plus en Pologne, surtout à Varsovie, Cracovie et<br />
Lotz, où les nazis ont établi des ghettos.<br />
Le nazisme<br />
1. Ses origines<br />
. Au XIXe siècle :<br />
- Empire austro-hongrois<br />
- La Prusse réunie par Bismarck<br />
- 1870 : guerre entre la Prusse et la France<br />
. Au XXe siècle :<br />
- Première Guerre Mondiale : défaite<br />
- Traité de Versailles en 1919 exigeant toutes<br />
sortes de compensations<br />
/ rôle du président américain Wilson<br />
- Inflation galopante<br />
- Krach de 1929<br />
- Faiblesse économique et politique de la<br />
République de Weimar, malgré sa force<br />
culturelle (Bauhaus, expressionnisme)<br />
- Opposition au communisme<br />
- Montée du sionisme
2. Ses composantes comme folie et violence<br />
collective :<br />
. Le parti national-socialiste (nazi)<br />
- L’élite du parti : les SS (250 000 en 1942)<br />
- La Gestapo<br />
- Les <strong>SA</strong><br />
- Hitler, Himmler et Heydrich (éliminé en 1942)<br />
. Le totalitarisme :<br />
Pays = État = parti unique ou dictature →<br />
fascisme<br />
. Le nationalisme, surtout populiste [« Volk »]<br />
de l’espace vital, avec l’esprit guerrier de<br />
l’Aryen.<br />
. Un soi-disant socialisme, qui est plutôt un<br />
capitalisme d’État, comme en URSS sous Staline à<br />
la même époque.<br />
. L’antisémitisme VS le « judéo-bolchévisme »<br />
Les camps<br />
Il y a eu des camps de concentration ou, tout au<br />
moins, des camps de travail en Russie au XIXe<br />
siècle : voir F. Dostoïevski Souvenirs de la<br />
maison des morts, qui est un témoignage.<br />
Ailleurs, il y avait la peine des galères (abolie<br />
en France en 1748) ou les travaux forcés.<br />
En Allemagne, les camps sont apparus en 1933,<br />
avec l’arrivée de Hitler et de son parti au<br />
pouvoir, et Dachau en est le modèle ; ils ont<br />
d’abord été conçus pour enfermer et isoler les<br />
adversaires du régime nazi : communistes,
socialistes, criminels, etc. À partir du début de<br />
la guerre en 1939, ils vont se multiplier en<br />
Allemagne et dans l’Europe occupée : Pologne,<br />
Tchécoslovaquie, Autriche et France (le Struthof<br />
près de Strasbourg). Il y a une grande variation<br />
dans le nombre de détenus : quelques centaines,<br />
quelques milliers, plusieurs dizaine de milliers<br />
(plus de 80 000 à Buchenwald, de 180 à 190 000 à<br />
Auschwitz-Birkenau en mai 1944).<br />
Certains camps sont de véritables villes, avec<br />
des villas pour les SS et les baraques pour les<br />
prisonniers ; il y a des ateliers, un hôpital ou<br />
une infirmerie [« Revier »] et parfois même un<br />
bordel. Y régnaient la bureaucratie et la<br />
technocratie, les numéros et les statistiques, le<br />
calcul et la terreur. Si les camps de<br />
concentration n’avaient pas d’abord été conçus<br />
pour le judéocide, ils le sont devenus avec la<br />
« Solution Finale » du problème des Juifs en<br />
Europe, à partir de 1941 ou 1942.<br />
1. L’organisation administrative<br />
. Himmler<br />
. Les SS<br />
. Les Kapos<br />
. Les chefs ou les doyens de blocks<br />
. Les Kommandos<br />
- Construction<br />
- Réparation des toits<br />
- Coupe du bois<br />
- Routes<br />
- Fossés et égouts<br />
- Cuisines
- Toilettes<br />
- Carrières<br />
- Bagages [« Canada » à Auschwitz-Birkenau]<br />
- Fausse monnaie<br />
. Les Sonderkommandos<br />
[Le nom polonais d’Auschwitz est Oswiecin.]<br />
2. Les prisonniers ou les détenus [« Verfüghar »]<br />
Les détenus étaient identifiés par des triangles<br />
de différentes couleurs.<br />
a) Avant et pendant la guerre : Allemands<br />
. Les prisonniers de droit commun ou les<br />
criminels : les Verts (souvent kapos ou<br />
informateurs)<br />
. Les prisonniers politiques, surtout des<br />
communistes, ou d’anciens nazis : les Rouges<br />
. Les délinquants : les Noirs<br />
. Les Témoins de Jéhovah (objecteurs de<br />
conscience, pacifistes : interdits en 1933,<br />
arrêtées en 1939) : les Violets<br />
. Les homosexuels : les Roses<br />
b) Pendant la guerre<br />
. Les prêtres polonais (4000-5000 à Dachau en<br />
1942)<br />
. Les Tziganes d’Europe de l’Est : les Bruns<br />
. Les Juifs : les Jaunes (étoile de David +<br />
lettre identifiant la nationalité)
. Les prisonniers de guerre : France, Belgique,<br />
Pays Bas, Europe de l’Est (Pologne, Hongrie,<br />
Tchécoslovaquie), Russie (10 000 prisonniers<br />
russes éliminés en quelques mois)<br />
Que la décision ait été prise en 1941 ou en 1942,<br />
on peut considérer que la « Solution finale » des<br />
Juifs en Europe a commencé en pratique en juin<br />
1941 avec l’invasion de l’URSS par l’Allemagne ;<br />
avec parfois la collaboration des Ukrainiens, les<br />
groupes d’intervention [« Einsatzgruppen »] ont<br />
commencé à exécuter les Juifs et les commissaires<br />
communistes derrière la Wehrmacht, l’armée<br />
allemande n’étant pas elle-même étrangère au<br />
judéocide ; 1 300 000 Juifs auraient ainsi été<br />
éliminés, ce qui est plus qu’à Auschwitz-Birkenau<br />
(1 000 000) et que dans les ghettos (800 000).<br />
3. Les principaux camps<br />
Parmi les camps de concentration, Dachau,<br />
Buchenwald (avec Dora) et Sachsenhausen étaient<br />
dominés par les Rouges ; Mauthausen, Flossenbürg<br />
et Gross-Rosen étaient dominés par les Verts ;<br />
Ravensbrück était un camp de femmes, où il y<br />
avait peut-être une chambre à gaz en<br />
construction.<br />
Auschwitz-Birkenau et Maïdanek ont été des camps<br />
de concentration et d’extermination.<br />
Belzec, Chelmno, Sobibor et Treblinka ont été des<br />
centres d’extermination, des « centres de mise à<br />
mort » [Hilberg], en 1941-1943 : les chambres à<br />
gaz son venues après les camions de gazage. Cette<br />
technique était venue du gazage de 60 à 70 000<br />
aliénés mentaux ou handicapés, au début de la<br />
guerre.
4. Le chemin de la mort<br />
La déportation des Juifs a donc connu deux<br />
trajets : un trajet direct, de la déportation aux<br />
centres d’extermination, ces camps de la mort,<br />
après la confiscation des biens ; un trajet<br />
indirect, de la déportation aux camps de<br />
concentration, ces camps de travail menant -<br />
lentement ou non et avec ou sans sélection - à la<br />
chambre à gaz et aux fours. Après le regroupement<br />
dans des ghettos ou dans des stades, comme le<br />
Vélodrome d’Hiver à Paris à la mi-juillet 1942<br />
(vers Drancy), il y avait la séparation des<br />
hommes valides d’un côté, des femmes, des enfants<br />
et des vieillards de l’autre ; puis venait le<br />
transport : les convois de wagons à bestiaux, où<br />
étaient entassées de 60 à 80 personnes. A<br />
l’arrivée à un camp comme Auschwitz-Birkenau, il<br />
était procédé au marquage, au tatouage et au<br />
rasage après la confiscation, avant l’attribution<br />
des vêtements et l’assignation à une baraque,<br />
puis à un kommando, où il fallait essayer<br />
d’échapper à la sélection effectuée par les<br />
médecins ; les Sonderkommandos s’occupaient de<br />
faire entrer les gens dans les chambres à gaz, de<br />
les sortir, d’arracher les dents en or et de<br />
couper les cheveux avant de les enfourner et de<br />
disposer de leurs cendres. Enfin, à l’hiver 1945,<br />
il y a eu l’évacuation des camps et l’élimination<br />
des plus faibles, achevés à la mitraillette sur<br />
les routes.<br />
Diviser, séparer, pour régner : mettre des<br />
prisonniers de différentes catégories, de<br />
diverses nationalités ou de diverses langues dans<br />
une même baraque pour ne pas qu’ils s’allient et<br />
même, au contraire, pour qu’ils se combattent. Ne<br />
pas traiter les détenus comme des individus
humains, mais comme des animaux que l’on mène à<br />
l’abattoir…<br />
Les chambres à gaz ont été un moyen pour les SS,<br />
ainsi épargnés d’aller se battre sur le front de<br />
l’Est et de risquer d’y mourir, de ne plus faire<br />
face directement au meurtre, à la mort : il est<br />
plus facile de tuer à distance – avec la bomme<br />
atomique à Hiroshima et à Nakazaki en août 1945,<br />
par exemple – que de tuer en contact. Les nazis<br />
eux-mêmes ont pu craquer après avoir tué ;<br />
Himmler lui-même se serait évanoui après avoir<br />
assisté à une exécution ou à un gazage.<br />
Tuer n’est pas la règle humaine.<br />
5. La violence et la souffrance<br />
. La discipline en vue des humiliations<br />
. La soi-disant propreté (rasage, nettoyage)<br />
. La routine (cérémonial, rituel)<br />
- Les appels<br />
- Les saluts aux SS<br />
- Les sélections en vue des transports<br />
. Le contrôle<br />
- L’interception du courrier et des colis<br />
- Les fausses cartes postales<br />
- La confiscation des biens<br />
. Le travail : les kommandos<br />
« Le travail rend libre »<br />
- Le travail inutile<br />
- Le travail utile pour la guerre (Dora, mais<br />
les fusées V1 et V2 n’ont guère fonctionné ou<br />
ont mal fonctionné)
. La misère<br />
- La soif<br />
- La faim<br />
- Le froid<br />
- Fatigue<br />
- La maladie (dysenterie, typhus transmis par<br />
les poux)<br />
- La faiblesse : les « musulmans » comme mortsvivants<br />
ou vivants-morts<br />
. La saleté et la promiscuité<br />
- La vermine (rats, poux, punaises)<br />
- La crasse, la boue, la merde, le sang<br />
- Les vêtements et les chaussures dépareillées<br />
- Les baraques surpeuplées<br />
. La brutalité<br />
- Les chiens entraînés à tuer<br />
- Les coups<br />
- Le bâton ou le fouet<br />
. La cruauté<br />
- La torture (brûlures, torsions, électrochocs)<br />
- Les expériences médicales (soi-disant<br />
scientifiques)<br />
/ Stérilisation<br />
/ Endurance à l’eau froide<br />
/ Eugénisme<br />
/ Injection de virus<br />
(cancer, malaria, typhus)<br />
/ drogues<br />
/ Josef Mengele et les jumeaux<br />
- Les exécutions<br />
/ Garrot
Balle dans la nuque<br />
/ Pendaison<br />
/ Injection létale au Revier<br />
/ Gaz et four : la machine à tuer<br />
- Les suicides sur les barbelés<br />
. Le cynisme<br />
- Les concerts<br />
- Les jeux<br />
6. La résistance et la survivance<br />
. Ralentissement du travail<br />
. Sabotage<br />
. Révolte<br />
. Évasions<br />
. Insurrections : Sobibor, Treblinka, Birkenau,<br />
ghetto de Varsovie (avril 1943)<br />
. « Organiser » : chance, vol<br />
. Les cigarettes comme monnaie<br />
. La collaboration et le mouchardage<br />
. L’homosexualité<br />
Survivre pour témoigner.<br />
Témoigner pour survivre.
Les causes du nazisme et donc du judéocide<br />
1. Une cause historique<br />
Chez les historiens, il y a un débat qui oppose<br />
les intentionnalistes et les fonctionnalistes.<br />
Pour l’intentionnalisme, l’antisémitisme est la<br />
cause de la guerre et du judéocide. L’intention<br />
d’exterminer les Juifs existait depuis la<br />
fondation du parti-nationaliste, depuis Mon<br />
combat d’Adolf Hitler en 1925 (après le putsch<br />
raté du 9 novembre 1923 à Munich), depuis la<br />
prise du pouvoir en 1933 et a fortiori avec le<br />
début de la guerre. Il est vrai aussi qu’il y a<br />
une « idéologie allemande », de l’idéalisme en<br />
philosophie au romantisme en littérature, depuis<br />
au moins le XVIIIe siècle, sinon depuis la<br />
Réforme de Luther, à l’effet que l’Allemagne ou<br />
la Germanie avait la mission civilisatrice de<br />
sauver l’Europe contre la « barbarie » de l’Asie.<br />
Le nazisme serait donc passé de l’euphorie de la<br />
victoire à la dysphorie de la défaite en 1942 ; à<br />
moins que la « Solution finale » n’ait été<br />
décidée au contraire dans l’euphorie même de la<br />
victoire à l’été 1941, avec l’opération<br />
Barborossa…<br />
Pour le fonctionnalisme, ladite solution est un<br />
effet de la guerre et des défaites ; le génocide<br />
est le résultat de la dégringolade ou de la<br />
débandade de l’Allemagne en URSS ; il est le<br />
dérapage de l’appareil nazi, qui est plein<br />
d’incohérences et de contradictions, d’absence de<br />
décisions ou de décisions contradictoires,<br />
d’intérêts contraires entre l’économie de la<br />
guerre et l’idéologie de la race, de luttes de
pouvoir (Himmler, Göring, Goebbels, etc.) autour<br />
de la personne du chef, du guide.<br />
Il faudrait voir comment se départagent ainsi les<br />
historiens selon qu’ils sont Juifs ou non.<br />
2. Une cause sociologique ou socio-historique<br />
Pour Nicos Poulantzas et le socialisme, le<br />
nazisme est l’aboutissement du développement<br />
impérialiste dans une économie de guerre. Lénine<br />
avait déjà entrevu que l’impérialisme conduisait<br />
à la guerre, mais cela n’explique pas les camps<br />
de concentration et les centres d’extermination ;<br />
c’est-à-dire que même si les SS ont fait de<br />
l’argent avec les camps, ceux-ci ont fini par<br />
avoir un caractère particulièrement<br />
antiproductif, destructif. Il aurait sans doute<br />
été plus productif de mieux nourrir les détenus<br />
pour les faire travailler davantage. Les<br />
intentionnalistes y verraient un argument en<br />
faveur de leur thèse : le judéocide n’était pas<br />
un moyen mais une fin, le but de la guerre.<br />
3. Une cause psycho-historique<br />
Pour Wilhem Reich, qui a essayé de concilier Marx<br />
et Freud, il s’agit de la dérive des masses, qui<br />
s’identifient à un chef, au guide, au Führer. On<br />
ne saurait minimiser la forte personnalité et la<br />
figure charismatique d’Adolf Hitler [Kershaw] ;<br />
mais seul, il n’aurait rien pu faire et il avait<br />
déjà raté son coup d’État avant de se retrouver<br />
en prison. La folie individuelle ne peut<br />
expliquer la folie collective, même s’il n’y a<br />
pas de violence collective sans violence<br />
individuelle. S’il n’y avait pas eu la
collaboration des Allemands et d’autres peuples<br />
(les Polonais, les Ukrainiens, les Lituaniens,<br />
les Roumains, les Français, les Hongrois), les<br />
nazis n’auraient pas pu déporter et exterminer<br />
les Juifs : quand Adolf Eichmann est arrivé à<br />
Budapest en 1944 pour procéder à la déportation<br />
de 300 ou 400 000 Juifs hongrois en quelques<br />
mois, il n’avait avec lui que 250 SS…<br />
4. Une cause psycho-religieuse<br />
Pour Robert Lifton, qui s’inspire librement de<br />
Freud, il s’agit avec le nazisme d’une nouvelle<br />
religion, de la sécularisation de la religion<br />
pour contrecarrer l’angoisse de la mort et<br />
aspirer à l’immortalité ; il s’agirait du double<br />
caractère de la pulsion de mort. Lifton a analysé<br />
des témoignages et il a rencontré des médecins<br />
nazis qui, d’un côté ont soigné, de l’autre ont<br />
torturé ou expérimenté ; il en conclut que ces<br />
bourreaux souffrent d’un dédoublement de<br />
personnalité ou d’une personnalité double : de la<br />
main droite, ils font le bien ; de la main<br />
gauche, ils font le mal. Ils sont donc<br />
psychotiques, comme Hitler, Staline ou Mao…<br />
Pour Patrick Bruneteaux, qui s’inspire de Lifton,<br />
de la théorie de la civilisation de Norbert Elias<br />
et de nombreux témoignages de rescapés, il s’agit<br />
d’un dédoublement institutionnel et individuel,<br />
le « dédoublement négatif » étant celui des<br />
bourreaux dans les camps : des sadiques aspirant<br />
à la divinité et à l’éternité - le Reich de mille<br />
ans ! Selon lui, c’est le même dédoublement chez<br />
les tueurs en série, les guerriers colonisateurs,<br />
les minorités racistes comme le KKK – et les<br />
maniaques ou les fanatiques des faits divers…
Éric Michaud, lui, considère le nationalsocialisme<br />
comme un « national-christianisme »<br />
s’opposant à un christianisme universel et le<br />
Führer étant un Christ, un Messie, un Sauveur ;<br />
il s’agit donc de dépasser le christianisme (la<br />
civilisation) pour surpasser le judaïsme (la<br />
barbarie), ainsi trépassé : dépasser la<br />
civilisation même par la culture [« Kultur »].<br />
Pour Hitler, il s’agissait d’opposer l’obsession<br />
des « fondateurs de culture » (les Aryens ou<br />
l’Esprit : le peuple, la race - le visible), qui<br />
sont des architectes et des artistes ou des<br />
créateurs en leur souveraineté spirituelle, à la<br />
perversion des « destructeurs de culture » (les<br />
Juifs ou le Père : l’anti-peuple, l’anti-race -<br />
l’invisible), qui sont des iconoclastes en leur<br />
souveraineté matérielle, en se fondant sur la<br />
technique des « porteurs de culture » (les<br />
Chrétiens ou le Fils), qui sont des iconolâtres<br />
ou des (re)producteurs en leur fécondité - même<br />
si ce ne sont que des « peuples inférieurs »<br />
(humbles ou soumis, tout au plus fiers)… Le Reich<br />
de mille ans : le nouveau millénarisme indoeuropéen<br />
s’incarne dans une « Communauté<br />
d’artistes soldats travailleurs » (soit les trois<br />
fonctions ou les trois ordres de ladite<br />
civilisation indo-européenne : la guerre, la<br />
souveraineté et la fécondité) et les cortèges de<br />
l’art, la pureté de l’art égalant la pureté de la<br />
race et l’image se substituant au langage ou le<br />
visible au lisible ; le langage est ainsi<br />
éconduit à son essence qui est le contact de la<br />
voix : l’interjection, l’exclamation, le cri –<br />
l’invective, qui est la voie de Hitler. En les<br />
termes de la psychanalyse, cela signifie : élever<br />
une obsession au rang d’une religion, une<br />
religion individuelle au rang d’obsession
collective, dans la « constante négation de toute<br />
perte de l’objet aimé ».<br />
Dans l’esthétisation de la politique, par la<br />
propagande et par l’art, par la photographie et<br />
le cinéma, par la peinture et la sculpture,<br />
Hitler et Himmler - qui étaient loin d’être beaux<br />
- considéraient que les Juifs étaient laids,<br />
comme leurs costumes et leurs coutumes, et qu’ils<br />
ne pouvaient donc pas représenter le bien et la<br />
beauté de l’enfance et des jeunes filles blondes,<br />
car le beau est le bien (selon Amos Shouv et<br />
Michel Prazan).<br />
5. Une cause « pédagogique »<br />
Selon Alice Miller, il n’y a pas lieu de chercher<br />
les sources ou les racines de la violence dans un<br />
instinct agressif (inné) ou dans une pulsion de<br />
mort (enquise/conquise), mais plutôt dans<br />
l’éducation (acquise/requise), dans la pédagogie,<br />
qu’elle qualifie de « pédagogie noire », où on<br />
enseigne aux parents comment et pourquoi punir<br />
les enfants ou aux instituteurs comment contrôler<br />
les élèves : les enfants qui sont victimes de<br />
sévices ou de châtiments corporels à la maison ou<br />
à l’école deviennent des bourreaux à leur tour.<br />
Selon elle, toutes les victimes ne deviennent pas<br />
des bourreaux, mais tous les bourreaux ont été<br />
des victimes. La « pédagogie noire » enseigne la<br />
haine, qui conduit à la colère et à la violence.<br />
Elle parle de Jurgen Bartsch (1946-1977), qui<br />
serait un nouveau Gilles de Rais et qui a tué au<br />
moins quatre enfants quand il avait entre seize<br />
et dix-neuf ou vingt ans : des infanticides d’une<br />
extrême violence avec jouissance sexuelle ; il<br />
aurait voulu en tuer une centaine. En 1971, il a
accepté d’être châtré. Dans le cas de Bartsch, il<br />
s’agirait de l’identification à l’agresseur, au<br />
bourreau, Bartsch ayant été la victime de la<br />
violence quand il était enfant.<br />
Mais Miller a-t-elle raison d’en tirer les mêmes<br />
conclusions à propos d’Adolf Hitler qui, à notre<br />
connaissance n’a jamais tué lui-même, sauf peutêtre<br />
pendant la Première Guerre Mondiale ? Il est<br />
vrai que son suicide est un passage à l’acte : il<br />
a pu retourner cette violence en se tirant une<br />
balle dans la tête comme Aquin. Lui qui avait été<br />
dans la poursuite toute sa vie n’a pas choisi la<br />
fuite. Le pouvait-il ? – On peut en douter.<br />
6. Une cause ontologique<br />
Pour Martin Heidegger, qui s’est lui-même<br />
grandement compromis avec le nazisme, le<br />
judéocide est le triomphe technique de la<br />
métaphysique, c’est-à-dire de l’humanisme, et le<br />
triomphe métaphysique de la technique dans les<br />
camps et avec la bombe atomique ; il compare à<br />
tort – sauf peut-être pour les fervents adeptes<br />
de l’« animalisme » ou de l’ « antispécisme » –<br />
la machine de mort nazie ou les crématoires et<br />
l’industrialisation de l’agriculture et de<br />
l’élevage ou des abattoirs : pour le « spécisme »<br />
qui serait le nôtre, il n’y a pas de commune<br />
mesure.
7. Une cause métapsychologique et métabiologique<br />
Dans la pulsion de mort, qui est la pulsion de<br />
retour à l’inorganique, au non-vivant, et qui est<br />
aussi compulsion de répétition, il y a la haine<br />
et l’ignorance – deux des trois « passions<br />
fondamentales » avec l’amour, selon Lacan – de<br />
l’antisémitisme, du racisme, du nazisme, qui a<br />
cherché à réduire des hommes au rang de soushommes,<br />
d’animaux, de proies, de parasites ; mais<br />
les nazis ont échoué, puisqu’il y a eu des<br />
rescapés, des survivants. Le judaïsme, comme<br />
religion du Père, érige beaucoup d’interdits<br />
sexuels et alimentaires ; le nazisme a cherché à<br />
transgresser ces interdits, plus particulièrement<br />
l’interdit du meurtre dans la dénégation de la<br />
castration, de la finitude et de la mort. En<br />
somme, les SS sont retournés à un interdit encore<br />
plus archaïque : l’interdit de l’infeste :<br />
l’étrange, l’étranger, l’autre, l’ennemi – le<br />
Juif (peuple élu) ou le juif (religion<br />
monothéiste) devenu race (à éliminer).<br />
La violence est source de souffrance ; mais la<br />
souffrance peut aussi être source de violence. –<br />
Pensons à la défaite : après une défaite<br />
(politique, militaire, sportive, sentimentale),<br />
il peut y avoir la tristesse, la mélancolie,<br />
l’envie, le ressentiment, le désir de vengeance<br />
et donc le passage à l’acte, dans le crime<br />
passionnel par exemple. C’est dire que l’échec<br />
est dangereux ; c’est ce qui explique en partie<br />
la violence dans les écoles contre les<br />
instituteurs et contre les meilleurs élèves. La<br />
défaite ou l’échec – l’échec de Hitler et de<br />
Himmler, des nazis et des SS, à partir de la fin<br />
de 1941 (car Hitler pensait avoir vaincu l’URSS<br />
avant 1942) - précipite, accélère la folie<br />
meurtrière : l’euphorie de la victoire jusque-là
cède la place à la dysphorie de la défaite ;<br />
c’est là la césure. Mais après que les Allemands<br />
aient compris ou accepté à l’hiver 1943, qu’ils<br />
allaient perdre la guerre, dans un délire<br />
maniaque ou mégalomaniaque et dans la<br />
cyclothymie, pendant que le Sonderkommando 1005<br />
commence à effacer les traces des carnages<br />
(statistiques en main), prend place l’euphorie de<br />
la vengeance : perdre la bataille de la guerre<br />
mais gagner la lutte de la civilisation indoeuropéenne<br />
contre la « barbarie » juive, sémite,<br />
sémitique – asiatique. Parce qu’il ne peut pas y<br />
avoir le Reich de mille ans – Hitler rêvait de<br />
reconstruire les monuments de l’Europe conquise ;<br />
il avait son architecte : Albert Speer -, au<br />
moins il n’y aura plus d’ennemis de la race<br />
aryenne. Le nazisme aurait ainsi vu son<br />
mouvement, alliant l’esprit grec et la technique<br />
allemande selon Mein Kampf, se fixer dans le<br />
monument : l’animal dans le minéral, la vie dans<br />
la mort.<br />
La folie collective est-elle pensable comme<br />
identification au chef, comme imitation, comme<br />
contagion ? Ou n’est-ce pas plutôt la déroute –<br />
déroute non pas individuelle ou collective mais<br />
transindividuelle – du principe d’individuation<br />
et la dérive du principe d’humanité : « les Juifs<br />
ne sont pas des individus et ce ne sont pas des<br />
hommes mais des sous-hommes ; nous sommes des<br />
surhommes ». Mais, en même temps, les nazis,<br />
surtout les SS, ne sont plus, eux aussi des<br />
individus mais une foule, une masse, un peuple –<br />
le pouvoir du Volk incarné dans la personne du<br />
Führer, un nouveau Dieu vivant.
Conclusion<br />
La violence politique, étatique, militaire,<br />
guerrière est sans doute le modèle de la violence<br />
collective ; on aurait pu croire ou espérer que<br />
le judéocide serait le dernier génocide. Mais il<br />
y a quand même eu le génocide des Tutsis au<br />
Rwanda en 1994, avec peut-être un million de<br />
morts en quelques mois, soit plusieurs milliers<br />
par jour et sans chambres à gaz, à la machette et<br />
à la mitraillette : c’était du « travail » comme<br />
dans les camps. Dans les deux cas, il s’agissait<br />
des crimes d’une majorité contre une minorité ;<br />
alors que dans le cas de l’Apartheid en Afrique<br />
du Sud, il s’agissait des crimes d’une minorité<br />
contre la majorité.<br />
Les criminels de guerre nazis, lors des procès de<br />
Nuremberg dans les années 1940 et du procès<br />
d’Eichmann dans les années 1960, proclamaient<br />
leur innocence en disant qu’ils ne savaient pas<br />
ou qu’ils obéissaient aux ordres comme tous les<br />
militaires ; les Allemands qui n’étaient pas<br />
nazis ont aussi prétendu qu’ils ne savaient pas,<br />
alors qu’ils ne pouvaient pas ne pas sentir<br />
l’odeur de la chair brûlée sortant des cheminées<br />
des crématoires. D’autres disent que la Wehrmacht<br />
n’a rien eu à faire avec le judéocide et c’est<br />
aussi faux. Il y a donc une culpabilité<br />
allemande [Longerich] ; mais il y a aussi une<br />
responsabilité alliée : française, britannique,<br />
américaine : l’existence des camps de<br />
concentration était connue depuis 1942 [Karski,<br />
Wetzler] ; des évadés avaient proposé aux<br />
Britanniques et aux Américains de bombarder les<br />
rails des chemins de fer menant à Auschwitz-<br />
Birkenau, surtout pour au moins empêcher la
déportation de 300 ou 400 000 Juifs de Hongrie ;<br />
mais les Alliés voulaient gagner la guerre et non<br />
pas sauver les Juifs. Churchill et Roosevelt<br />
n’étaient peut-être pas antisémites, mais ils<br />
n’étaient pas non plus philosémites…<br />
Guerre/Judéocide ← Antisémitisme<br />
(fonctionnalisme) (intentionnalisme)<br />
[présent] [passé]<br />
↑<br />
Reich de mille ans<br />
(économie et idéologie<br />
de la « Kultur » indo-européenne ou aryenne<br />
ou de la mission allemande en Europe :<br />
espace vital et utopie)<br />
[futur]<br />
Il demeure que la théorie de la violence est<br />
nécessairement orientée (guidée ou biaisée), ou<br />
bien par la discipline : biologie, sociobiologie,<br />
sociologie, anthropologie, criminologie,<br />
philosophie, morale, économie, droit,<br />
psychiatrie, psychologie, psychanalyse<br />
(métapsychologie), ou bien par la doctrine,<br />
c’est-à-dire par la politique et l’idéologie, de<br />
droite (racisme, antisémitisme, colonialisme,<br />
libéralisme) ou de gauche (anarchisme,<br />
socialisme, communisme, féminisme).<br />
Par ailleurs et enfin, il appert que pour<br />
certains et d’un monothéisme à l’autre, la
violence est synonyme de rédemption ; alors que<br />
pour d’autres, la représentation de la violence<br />
est source de sublimation, surtout dans la<br />
violence de la représentation.
V<br />
LES AFFECTS <strong>ET</strong> <strong>LA</strong> <strong>VIOLENCE</strong><br />
L’affectivité peut être euphorique<br />
(plaisir) ou dysphorique (déplaisir).<br />
Thymie<br />
↓ ↓<br />
Phorie Pathie<br />
Phorie<br />
Euphorie Dysphorie<br />
X<br />
Emphorie Aphorie<br />
L’affect est l’affection en son sens négatif et<br />
passif ou dysphorique : « être affecté par » =<br />
être sujet à la souffrance, à la douleur, au<br />
mal : à la peine (« subjectus »). L’affect est
lié à la passion comme passivité et passibilité,<br />
« être passible de » étant affaire de<br />
susceptibilité et de responsabilité. Il n’y a pas<br />
d’affect sans infect. L’affect est plus passif<br />
plus profond que l’émotion et encore plus que le<br />
sentiment : l’amitié n’est pas un affect ;<br />
l’amour est une passion, comme la haine et<br />
l’ignorance.<br />
« affectus » → « Affekt »<br />
« affectio » → affection (tendresse)<br />
« affectatus » → affectation<br />
Il y a une grande difficulté, voire une<br />
impossibilité, de représentation de l’affect ;<br />
mais nous allons quand même essayer d’en proposer<br />
une typologie en rapport avec Les Chants de<br />
Maldoror de Lautréamont (poésie en prose), Neige<br />
noire d’Hubert Aquin (roman-écran) et d’Incendies<br />
de Denis Villeneuve (film).
Typologie des affects<br />
La nostalgie (← tournée vers le passé)<br />
est le contraire de l’attente (→ tournée vers le<br />
futur). Elle est liée aux souvenirs et donc aux<br />
analepses ou à la rétrospective. Dans Les Chants<br />
[CM], la nostalgie est reliée à l’enfance et à<br />
l’adolescence ; dans Neige noire [NN], c’est le<br />
lien avec le passé de Sylvie, la jeune femme de<br />
Nicolas ; dans Incendies [I], il s’agit de la vie<br />
passée de la mère.<br />
L’attente est un effort de l’imagination,<br />
qui est la faculté d’anticipation du futur et<br />
donc de la mort ; elle est liée à la curiosité et<br />
à l’espoir. Il n’y a pas beaucoup d’attente dans<br />
CM, sauf dans le Chant sixième ; dans NN, il y a<br />
l’attente du dernier ou de l’avant-dernier<br />
voyage ; dans I, il y attente des nouvelles.
La surprise n’est pas nécessairement<br />
négative, mais elle est passive ; on peut aimer<br />
les surprises ou ne pas les aimer, comme les<br />
autistes – personne n’aime les mauvaises<br />
surprises : l’annonce de la mort subite d’une<br />
personne que l’on connaît ou aime, par exemple.<br />
La surprise est un choc : le lecteur de C et de<br />
NN ou le spectateur de I ne peut qu’être choqué.<br />
Dans NN, on va d’une surprise à l’autre, jusqu’à<br />
l’ultime surprise, qui est la révélation du<br />
secret ; il n’y a pas autant de surprises dans I,<br />
mais il y aussi la surprise du secret final ;<br />
dans CM, il n’y a guère de surprise, parce qu’il<br />
n’y a presque pas de suspense, sauf peut-être<br />
dans le dernier chant. La surprise est reliée au<br />
suspense.<br />
La peur est un affect provoqué par une<br />
situation objective, par un danger de blessure,<br />
d’accident, de maladie ou de mort. La peur d’un<br />
acteur - par exemple, Sylvie ou Linda dans NN –
peut être partagée par le narrateur ou par le<br />
narrataire. La suite de la peur est la défense ou<br />
l’attaque, la fuite ou la paralysie. Dans I, la<br />
mère va de l’une à l’autre, alors que son fils<br />
préfère la fuite et sa sœur jumelle, plutôt<br />
l’attaque. La crainte est une peur mêlée<br />
d’inquiétude ; l’épouvante est en outre mêlée<br />
d’horreur.<br />
La terreur est un effroi poussé jusqu’à<br />
la panique devant une terreur objective<br />
(politique, militaire), comme la Terreur par<br />
Robespierre et la Montagne pendant la Révolution<br />
française ; c’est un affect que l’on retrouve<br />
beaucoup dans les films d’Alfred Hitchcock,<br />
Psycho surtout, plus que dans les films<br />
d’horreur, où le spectateur est averti et prêt et<br />
donc moins susceptible d’être affecté.
La stupeur est la terreur conduisant à la<br />
stupéfaction et à une sorte de stupidité, dans un<br />
sentiment d’impuissance. C’est ce qui arrive à la<br />
mère dans I, quand elle découvre le secret avant<br />
tout le monde, avant les autres acteurs et avant<br />
le spectateur, ou à Michel, le père de Sylvie,<br />
dans NN, quand il apprend le destin fatal de sa<br />
fille. La stupeur est la limite de l’affect : pas<br />
d’affect ou désaffectée…<br />
La pitié tient de la sympathie et la<br />
compassion consiste à compatir, soit à « souffrir<br />
avec », de « pâtir ». Il n’y a pas de compassion<br />
sans empathie ; de là la difficulté des autistes,<br />
qui ont de la misère à se mettre à la place des<br />
autres.
Pathie<br />
Sympathie Antipathie<br />
X<br />
Empathie Apathie<br />
Le « pathos » est ce que l’on éprouve ; il est<br />
souffrance ou passion, affection ou maladie.<br />
Maldoror dans CM, Nicolas dans NN et le violeur<br />
dans I sont impitoyables ; même s’il arrive à<br />
Maldoror d’être éprouvé, ébranlé, sans cependant<br />
susciter la pitié du lecteur. Ni CM ni NN ne sont<br />
pathétiques ; mais I ne manque pas de pathétisme<br />
sans être passionnant, seulement passionné ou<br />
passionnel.<br />
La jalousie a quelque chose à voir avec<br />
la paranoïa et une homosexualité refoulée :<br />
Othello, Swann ou le narrateur de À la recherche<br />
du temps perdu de Proust. La jalousie est source<br />
de violence, de colère, de meurtre ; elle
consiste à refuser l’échange des personnes, dans<br />
le doute et le soupçon et dans le désir de<br />
possession exclusive : la folie jalouse et<br />
meurtrière de Nicolas dans NN.<br />
L’envie consiste à désirer, non pas ce<br />
que l’on n’a pas ou plus comme dans la jalousie,<br />
mais à désirer ce que les autres ont : désirer<br />
une femme mariée ou un homme marié n’est pas de<br />
la jalousie mais de l’envie. Celle-ci peut aller<br />
jusqu’à la revendication hystérique, jusqu’à la<br />
vindicte, comme dans CM, où il y a désir de<br />
punition. L’envie pousse au vol et il arrive que<br />
le vol soit le but ou la fin du meurtre ; c’est<br />
pourquoi beaucoup de criminels nazis et de leurs<br />
collaborateurs étaient d’abord des bandits, des<br />
voleurs, avant d’être des idéologues racistes.<br />
Le dégoût est un affect en face de ce qui<br />
est considéré comme étant du côté de la<br />
répugnance ; ce peut être la laideur, la maladie,
la monstruosité, la mort ou la vie elle-même :<br />
Maldoror est répugné par la vie, l’homme et le<br />
Créateur ; mais il est aussi répugnant, comme<br />
Nicolas et le violeur.<br />
Le mépris est un dégoût moins passif et<br />
moins réactif ; il est proche de la haine ou de<br />
la volonté de puissance : Maldoror méprise les<br />
hommes parce qu’il se sent supérieur à eux ; le<br />
spectateur méprise le violeur. Il y a du mépris<br />
dans l’indifférence. La colère (rage, fureur,<br />
furie) est un mépris agressif ; elle peut faire<br />
passer de l’agressivité à l’agression.<br />
L’anxiété (le cafard, le blues) est un<br />
affect conscient lié au stress ou à<br />
l’insécurité ; elle est source ou proche de la<br />
mélancolie, de la tristesse : les femmes dans NN<br />
et le jumeau dans I.
L’angoisse est un affect dont la source<br />
est inconsciente ; c’est le sentiment de<br />
culpabilité : se sentir coupable sans être<br />
coupable, comme la mère dans I.<br />
L’inquiétante étrangeté est le sentiment<br />
ou l’impression du familier, du déjà vu, du déjà<br />
vécu ; par exemple dans un rêve d’angoisse,<br />
l’impression d’être enfermé, qui est le fantasme<br />
du retour au sein maternel et à l’état de fœtus.<br />
Le sadisme et le masochisme ne sont pas<br />
des affects, car il y a inversion de la dysphorie<br />
du déplaisir dans l’euphorie du plaisir :<br />
l’orgasme est le « grand frisson » du sadique,<br />
qui ne choisit évidemment pas le masochiste comme<br />
victime…
La honte, le regret, le remords, le<br />
repentir, l’inquiétude, la mélancolie, le deuil,<br />
la détresse (S.O.S), le désarroi, le désespoir et<br />
l’ennui (solitude, exil, spleen) sont des affects<br />
qui sont moins dangereux pour les autres. Les<br />
traumatismes sont des affects extrêmes, limites,<br />
chez certaines victimes.<br />
Devant les affects, il peut y avoir des<br />
réactions ou des mécanismes de défense, qui ne<br />
sont pas des « formations de compromis » ou des<br />
symptômes. Du côté de la névrose, il y a le<br />
refoulement [« Verdrängung »], qui est l’un des<br />
destins de la pulsion. Du côté de la perversion,<br />
il y a le désaveu, qui est récusation ; le déni,<br />
qui est refus ; le démenti [« Verleugnung »], qui<br />
est rejet [« Verwerfung »] de ce qui est<br />
considéré comme mensonge [« Lüge »] : « Non, ce<br />
n’est pas vrai… » ; la dénégation<br />
[« Verneinung »], qui est la contradiction entre<br />
le savoir (conscient) et le croire
(inconscient) : « Je sais bien, mais (j’y crois)<br />
quand même… » Du côté de la psychose, il y a la<br />
forclusion du Nom-du-Père, qui est scotomisation,<br />
division, refente ou clivage [« Spaltung »].<br />
JML/janvier-mars 2012
Quatre Discours et camps<br />
Dans sa sémantique ou son « envers », la<br />
psychanalyse de Jacques Lacan distingue quatre<br />
Discours, qui sont des pratiques sociales : selon<br />
quatre places [l’agent ou le semblant (qui est le<br />
désir), l’autre (ou le travail de l’Autre), la<br />
production comme perte et la vérité] et selon<br />
quatre termes [le signifiant maître (S1), le<br />
savoir (S2), le sujet (S barré ou divisé) et<br />
l’objet petit a (ou la jouissance dite « plus-dejouir<br />
» : a)].<br />
Ce sont le Discours du Maître, le Discours de<br />
l’Universitaire, le Discours de l’Hystérique et<br />
le Discours de l’Analyste.<br />
À partir de là, nous proposerions que, dans les<br />
camps de concentration, il y a eu fusion ou<br />
condensation du Discours du Maître (M) et du<br />
Discours de l’Universitaire (U) :<br />
M U<br />
Maîtrise Technique<br />
Discipline Doctrine<br />
Pouvoir Savoir<br />
« Religion » nazie « Théologie » aryenne<br />
Politique : Science :<br />
Propagande (antisémitisme) Biologie (eugénisme)<br />
Guerre Médecine<br />
Totalitarisme Nationalisme/Racisme
Obsession Paranoïa<br />
(névrose) (psychose)<br />
Salut fasciste Croix gammée (← gamma)<br />
(bras tendu) (svastika)<br />
[SS, dont l’emblème ou l’insigne est la tête de mort]
Note sur la castration<br />
La castration n’est pas réelle – sauf pour les<br />
castrats de l’opéra et pour une secte somme les<br />
Hijras en Inde - ; elle est synonyme de division<br />
du sujet, de différence sexuelle (entre les sexes<br />
mais aussi pour chaque individu ou « dividu » :<br />
personne n’a la même sexualité hétérosexuelle,<br />
homosexuelle, transsexuelle ou autre), d’interdit<br />
de l’inceste et d’interdit du meurtre, de<br />
finitude et de mort, la mort étant l’ultime<br />
castration, la castration finale et définitive.<br />
La castration est séparation : séparation<br />
ombilicale lors de la naissance, séparation orale<br />
lors du sevrage, séparation anale lors de<br />
l’acquisition de la propreté, séparation<br />
phallique ou symbolique (oedipienne) avec<br />
l’interdit de l’inceste.<br />
Pour la psychanalyste Françoise Dolto, le<br />
vampirisme est le retour du refoulé de la<br />
castration ombilicale et le cannibalisme est le<br />
retour du refoulé de la castration orale ; peutêtre<br />
que le vampirisme est au cannibalisme ce que<br />
l’anorexie (être maigre comme le fœtus) est à la<br />
boulimie (être grosse comme la mère)…<br />
Dans les deux cas selon nous, il s’agirait du<br />
retour du refoulé de ce que nous appelons<br />
l’interdit de l’infeste et ce que l’anthropologue<br />
Alain Testart nomme le tabou du sang ou<br />
« l’idéologie du sang » : le tabou du sang<br />
maternel (matriciel et menstruel) et criminel.<br />
Il y a dénégation de la castration dans la<br />
chirurgie esthétique ou génitale, le vol<br />
(kleptomanie), la mode, la collection, la<br />
construction, l’élévation, etc.
Note sur la pulsion<br />
La pulsion [« Trieb »] n’est pas l’instinct<br />
(naturel) ; elle n’est ni innée (nature<br />
individuelle, universelle) ni acquise/requise<br />
(culture collective, particulière) ; elle est<br />
enquise/conquise (posture transindividuelle,<br />
singulière) : limite ou frontière entre le soma<br />
et la psyché, elle est donc psychosomatique.<br />
On peu distinguer les « pulsions de moi », qui<br />
sont des pulsions de conservation, et les<br />
« pulsions d’objet », qui sont libidinales ou<br />
sexuelles (prédation) ; on peut aussi distinguer<br />
les « pulsions de vie » et la « pulsion de<br />
mort ».<br />
JML/5 février 2012<br />
Libido ← Désir<br />
↑<br />
Pulsion<br />
(affect)<br />
Fantasme ← Angoisse<br />
↑<br />
Symptôme<br />
(jouissance)<br />
Philosophie ← Grammaire<br />
↑<br />
Psychanalyse
Note sur le transsexualisme<br />
La fécondité est à la fois travail et sexualité,<br />
production et reproduction. Depuis toujours la<br />
sexualité a été séparée de la reproduction, ne<br />
serait-ce que par l’avortement ou l’infanticide,<br />
bien avant la contraception grâce à la pilule.<br />
Depuis, est venue la reproduction sans<br />
sexualité : la procréatique.<br />
Avec le transsexualisme, un autre pas est<br />
franchi : advient ce que Pierre Legendre appelle<br />
la « conception bouchère » du sexe.<br />
Pour la psychanalyse, il n’y a pas de sexe sans<br />
fantasme : le transsexuel franchit la frontière<br />
entre le fantasme et la réalité et entre les<br />
pulsions de vie et la pulsion de mort. Pour le<br />
transsexuel, changer de vêtements ne suffit<br />
plus ; il lui faut changer de peau. En cela –<br />
comme je l’ai déjà dit -, il est le contraire de<br />
l’autiste, qui ne veut rien changer et qui veut<br />
s’envelopper dan sa peau ou dans la peau de sa<br />
mère ou de sa grand-mère maternelle.<br />
Le fantasme de l’hystérique est un fantasme du<br />
regard ; dans la « pulsion scopique » selon<br />
Jacques Lacan, il ou elle se demande s’il ou elle<br />
est un homme ou une femme. C’est un fantasme<br />
bisexuel : ou bien il ou elle s’identifie à un<br />
objet hétérosexuel et il ou elle identifie un<br />
sujet homosexuel dont il ou elle sera l’objet,<br />
dans une position masochiste ; ou bien il ou elle<br />
identifie un objet homosexuel et il ou elle<br />
s’identifie à un sujet hétérosexuel pour<br />
maîtriser cet objet, dans une position sadique.<br />
Si le transsexuel est un homme, en devenant femme<br />
(à qui il s’identifie), il devient l’objet d’un<br />
homme, du regard de l’homme qui l’identifie et<br />
est un acteur, un observateur ou un spectateur.<br />
Alors que l’autiste ne réussit sans doute jamais<br />
à être ou à devenir ce qu’il est, le transsexuel<br />
réussit peut-être ou toujours à être ou à devenir<br />
ce qu’il n’est pas… Pour l’autiste, l’autre (le
monde, l’avoir, le soi) n’existe pas ou existe<br />
moins ; pour le transsexualiste, le même<br />
(l’homme, l’être, le moi) n’existe pas ou<br />
n’existe que pour être un autre : chirurgie,<br />
hormones, entraînement.<br />
Mais la chirurgie sexologique, qui permet de<br />
changer de peau, de corps, ne permet pas de<br />
changer de sexe et de donner l’amour ou le<br />
bonheur, même dans la fusion ou la confusion du<br />
plaisir et de la jouissance, de l’organe et de<br />
l’orgasme. C’est la même chose pour la chirurgie<br />
esthétique : nez, yeux, oreilles, seins, hanches,<br />
etc. Le sexe est une question de phallus, qui<br />
n’est pas un organe, le pénis, mais un symbole :<br />
l’avoir ou pas, l’avoir ou l’être, ne pas être<br />
sans l’avoir, ne pas l’avoir sans être…<br />
C’est ce que les médecins, les psychiatres et les<br />
chirurgiens, qui sont des bouchers ou des<br />
sadiques, ne comprennent pas, dans leur fantasme<br />
sadomasochiste où, bourreaux, ils s’identifient à<br />
leurs victimes ! C’est ce que les juristes ont<br />
compris - malgré les « Women Studies » et les<br />
« Queer Studies ».<br />
JML/avril 2010