25.06.2013 Views

Pilote personnel du Général Mobutu - familievereniging van outryve ...

Pilote personnel du Général Mobutu - familievereniging van outryve ...

Pilote personnel du Général Mobutu - familievereniging van outryve ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

<strong>Pilote</strong> <strong>personnel</strong> <strong>du</strong> <strong>Général</strong> <strong>Mobutu</strong><br />

On se souvient de l'aventure rocambolesque "Stanleyville 1964, trois hommes et un hélicoptère",<br />

récit paru dans le Bulletin d'octobre 2004. Ancien pilote à la Force Aérienne, Liévin d'Ydewalle nous contait l'histoire<br />

authentique d'une impossible mission de sauvetage, liée aux tragiques événements de Stanleyville.<br />

Dix ans plus tard, l'auteur se retrouve parmi l'équipage des pilotes <strong>personnel</strong>s <strong>du</strong> président <strong>Mobutu</strong>.<br />

N'Djili 1964, l'aéroport de Léopoldville, trois hommes attendent la remise en état de vol d'un vieil<br />

hélicoptère US, provenant des surplus déclassés <strong>du</strong> Vietnam. Les émeutes grondent en ville. Soudain, le<br />

téléphone sonne. Au bout <strong>du</strong> fil, une voix autoritaire : "Je suis le <strong>Général</strong> en chef des forces congolaises. Il y<br />

a une manifestation antigouvernementale sur le grand boulevard. C'est un début d'émeute. Il faut la mater.<br />

Je veux que vous survoliez le cortège, très bas, avec le maximum d'appareils afin que les manifestants se<br />

dispersent au plus vite. C'est un ordre de la Présidence."<br />

....................................................................................................................................<br />

Je ne savais rien de lui, le jour où dix années plus tôt il m’avait donné l’ordre de faire décoller tous 1<br />

les hélicoptères dans le but de survoler la dangereuse manifestation qui avait envahi la capitale. A ce<br />

moment, il n’était encore que général mais qui eut pu deviner son avenir ?<br />

Son nom, <strong>Mobutu</strong>.<br />

Le hasard me fit souvent voyager avec ce personnage dont la carrière s’est développée de façon<br />

étonnamment rapide, pour ne pas dire fulgurante. De simple sergent, il a en fort peu de temps escaladé<br />

toutes les marches <strong>du</strong> pouvoir.<br />

Voilà qu’il était devenu chef d'Etat, président <strong>du</strong> Congo. Une belle promotion. Pour le continent<br />

africain, ce genre d’ascension était dans l’air <strong>du</strong> temps. Beaucoup de gens avaient été tentés par un<br />

a<strong>van</strong>cement aussi rapide. Certains y étaient parvenus sans trop de mal ; pour d’autres, cela s’était fait au<br />

prix d’intrigues et de meurtres. Si un coup d’Etat est souvent pavé de bonnes intentions, il est aussi jonché<br />

de cadavres. D’abord de ceux qui n’y ont pas cru, ensuite de ceux qui n’auraient pas dû y croire.<br />

Parmi les multiples obligations qui s’imposaient à un Président, il y avait celle de rencontrer ses<br />

confrères à la tête des contrées voisines ou d'autres pays plus éloignés. Je ne sais pourquoi, on me désigna<br />

pour faire partie de l’équipage chargé de ces voyages. Ce fut loin d’être une promotion, toutefois cela<br />

m'amena à faire la tournée de bien de capitales. Surtout de celles qui ont cet art si particulier d’accueillir les<br />

chefs régnant sur des Etats aux sous-sols richement pourvus. Ainsi, j’eus l’occasion de découvrir des parties<br />

<strong>du</strong> globe qui resteraient interdites pour bien longtemps encore aux regards des simples touristes, mais aussi<br />

de le faire dans des circonstances particulièrement favorables.<br />

Que de belles choses à voir !<br />

Le président était très fier d’avoir des Blancs comme équipage. Il se faisait même un grand plaisir de<br />

nous exhiber à ses hôtes. Nous étions tenus d'être présents à tous les dîners, réceptions, visites et discours.<br />

Enfin, à tout ce qui était officiel avec le protocole qu'imposait la visite d'un chef d'Etat. Expériences des plus<br />

intéressantes. Exception faite toutefois des grands discours panachés de tirades anti-colonialistes et de mots<br />

vengeurs à l’égard des Européens. Ce n’étaient pas des moments agréables ni amusants à partager.<br />

Quand on n’est que six Blancs dans une assemblée de plusieurs centaines de personnes de couleur,<br />

on se fait remarquer comme la pleine lune au milieu de la nuit. On sentait les regards de toute l’assemblée<br />

peser sur nous, on essayait alors de se faire petits, tout petits. Pas facile dans ces immenses palais. Ceux de<br />

Pékin, Shanghai, Hanshow ou Canton entre autre, étaient plus grands que des halls de gare et nous dans<br />

tout cela, toujours à quelques mètres de la table d’hôtes.<br />

Pour le voyage en Asie qui fut le plus long de tous, le vol fut assuré par deux équipages. L’un de<br />

nationalité française, l’autre belge, qui se remplaçaient au rythme des escales. Cela se faisait dans la<br />

1 Effectuant d'audacieuses manœuvres en rase-mottes entre les façades des immeubles, le seul hélicoptère disponible fit ainsi croire aux<br />

manifestants que toute une escadrille survolait la capitale !<br />

1


meilleure des ambiances. Il y avait donc quatre pilotes et deux mécaniciens, tous blancs. Le <strong>personnel</strong> de<br />

cabine, une dizaine de commis et d’hôtesses zaïrois.<br />

Quelques autres Blancs nous accompagnaient également. Des gens assez discrets, couleur muraille,<br />

avec de vagues fonctions qui leur permettaient à la fois d’exister et de se dissoudre dans l’ensemble.<br />

La Chine me laissa de beaux souvenirs d’une région mystérieuse, muselée, cadenassée, fermée à tout<br />

contact avec le monde. Mao et le mandarin Chou en Lai y régnaient en maîtres. La révolution culturelle<br />

battait son plein et au-delà des exactions des gardes rouges dont ils étaient les instigateurs, ils s’efforçaient<br />

de conserver leur nouveau pouvoir. Il fallait être chinois pour comprendre la subtilité des manœuvres en<br />

cours. Trop compliqué pour moi ! Je me rappelle seulement que ces deux larrons accueillirent <strong>Mobutu</strong> avec<br />

un faste imposant et grandiose.<br />

Il faut savoir que ces voyages avec le <strong>Général</strong> n’étaient pas des excursions. Le déplacement en Chine,<br />

qui fut le premier et aussi le plus long, se révéla particulièrement fatigant. En cours de route, il y eut<br />

plusieurs séjours dans différents pays et comme Air Zaïre ne disposait pas d’agents pour ces escales, ce fut à<br />

l’équipage de se charger de la plupart des problèmes financiers.<br />

Comme tout service devait être payé dans l’heure et que les cartes de crédits n’étaient pas encore en<br />

vogue, on nous avait remis une très grosse somme d’argent que nous avions partagée entre nous afin de<br />

diminuer les risques de vol. Chacun avait donc dissimulé comme il le pouvait des liasses de dizaines de<br />

milliers de dollars. L’un dans ses chaussettes, un autre dans une doublure, un slip, une pochette autour <strong>du</strong><br />

cou ou une ceinture prévue à cet effet.<br />

Tout était laissé à l’imagination de chacun. Au moment de payer, comme nous nous étions mis<br />

d’accord pour le faire solidairement afin de partager le magot, cela nous con<strong>du</strong>isait à des situations des plus<br />

comiques. En effet, pour puiser dans son trésor, chacun devait s’isoler afin de conserver sa cachette à l’abri<br />

de dangereuses curiosités. Comme partout dans le monde, il y avait des margoulins qui attendaient leur<br />

chance, mais aussi des douaniers fouineurs et des policiers aux doigts agiles. Des gens qui tous avaient en<br />

commun de n’être payé que selon leurs ruses.<br />

Ces voyages étaient assez éprou<strong>van</strong>ts. Heureusement, l'appareil destiné à ce genre de déplacement<br />

avait été aménagé d’une manière fort confortable. Du moins pour notre illustre passager et sa suite de<br />

ministres ainsi que son inévitable deuxième bureau et ses maîtresses. C'était un Super DC 8, un long cigare<br />

de près de 250 places dont les sièges avaient cédé la place à un bureau et à un salon. Il y avait aussi une salle<br />

de réunion, une cuisine, une chambre à coucher, une salle de bain. Enfin tout le confort d'un bel<br />

appartement.<br />

Le <strong>Général</strong> préférait pourtant la compagnie de l’équipage. Il passait la plupart <strong>du</strong> temps assis sur le<br />

quatrième siège <strong>du</strong> cockpit où il sirotait son whisky, tout en bavardant avec nous. Toutes les phases <strong>du</strong> vol<br />

l’intéressaient. Il suivait chaque manœuvre avec grande attention et s'amusait à nous poser de nombreuses<br />

questions.<br />

Un détail qu’il appréciait tout particulièrement était d’écouter les salutations qu'on lui adressait à la<br />

radio. C'était une belle tradition qui consistait à se saluer entre chefs d'Etat au moment <strong>du</strong> survol des<br />

territoires réciproques. Ces salutations commençaient habituellement par : "Au Président <strong>du</strong> …, le Maréchal<br />

Président de la République <strong>du</strong> Zaïre adresse ses plus sincères salutations à l’occasion de son passage audessus<br />

de son beau et grand pays ..." <strong>Mobutu</strong> rédigeait lui-même ses messages et s’exprimait toujours comme<br />

si tous les pays étaient également beaux et grands.<br />

C'était l'époque où beaucoup de choses avaient changé de nom. Le Congo était devenu le Zaïre. Il y<br />

avait eu la Zaïrianisation. Un nom barbare qui signifiait que certaines provinces, beaucoup de villes et de<br />

villages avaient dû abandonner leurs noms à consonance européenne. Les patronymes avaient connu le<br />

même sort. La plupart avaient été remplacés par des noms plus authentiques. Plus africains.<br />

Le nom <strong>du</strong> président n’avait pas échappé à cette nouvelle mode. Forcément, c’était lui qui en était<br />

l’instigateur. Ainsi, Joseph-Désiré <strong>Mobutu</strong> était devenu <strong>Mobutu</strong> Sese Seco. En réalité, le nom était encore<br />

bien plus long. Pour mémoire, le voici en entier : <strong>Mobutu</strong> Sese Seko Koko Ngben<strong>du</strong> Wa Za Banga. Je ne<br />

2


sais plus ce qu'il signifie, je sais seulement qu'il n'y manque aucune syllabe, aucune lettre et qu'au début, on<br />

était prié de l'épeler en entier. Il y tenait beaucoup et à chaque occasion, il en éprouvait visiblement un<br />

grand plaisir.<br />

Pas facile de ne pas s'étrangler lors de ces messages de salutation ou d'amitié !<br />

<strong>Mobutu</strong> était un homme qui avait l'œil. Il observait le moindre détail de ce qui se passait autour de<br />

lui et bien enten<strong>du</strong>, il tenait à être informé <strong>du</strong> plus petit événement qui pouvait le concerner. Comme il<br />

passait des heures dans le cockpit, j’eus souvent l’occasion de constater que ses connaissances aéronautiques<br />

étaient assez impressionnantes. Surtout en navigation. Pas la navigation électronique ou à l’aide de radios et<br />

de radars. Mais la navigation simple, la vraie, avec seulement une carte, une boussole et beaucoup<br />

d’observation. Ainsi à tout moment, il pouvait dire l’endroit où nous nous trouvions.<br />

Un jour, en bor<strong>du</strong>re d’un grand désert, alors que nous survolions un turning point, il s’étonna de ne<br />

pas m’entendre prendre contact avec le contrôle de l’espace aérien. - Commandant d’Ydewalle, comment,<br />

vous ne donnez pas votre position, s’enquit-il en fronçant les sourcils ? Au cours de ce vol où je faisais<br />

fonction de premier officier, je m’occupais de la navigation et des contacts radio nécessaires au bon<br />

déroulement <strong>du</strong> vol. - Mon <strong>Général</strong>, lui avais-je répon<strong>du</strong>, je vois que vous connaissez exactement notre<br />

position. - Oui, mais qu’est-ce que cela a à voir ? Pourquoi ne signalez-vous pas notre position au contrôle<br />

aérien ? - Rassurez-vous, ce n’est pas un oubli, avais-je répliqué. Vous devez savoir que nous sommes proches<br />

d’un pays dont le président ne vous apprécie pas particulièrement. Un de vos collègues qui, paraît-il, ne se<br />

gênerait pas pour vous envoyer un pétard dans les jambes. Il a à sa disposition des Migs russes ainsi que des<br />

fusées téléguidées qui peuvent, comme un rien, envoyer notre bac au tapis. Alors, depuis un certain temps<br />

déjà, je donne notre position avec une quinzaine de minutes de retard. Comme leurs armes n’ont pas une<br />

grande autonomie, il y a peu de chances qu’elles puissent nous inquiéter.<br />

- Mm … Merci d’Ydewalle. Il esquiva un hochement de tête soucieux et ce fut la seule fois où je<br />

décelais chez lui un bref moment d’hésitation. Puis pensif, peut-être tourmenté, il s’était enfermé dans un<br />

de ses mutismes dont il avait le secret.<br />

Le protocole n’est pas toujours amusant à suivre, pas plus que certaines coutumes ou habitudes. Il y<br />

avait ainsi un rituel qui se faisait chaque matin et qui n’était pas particulièrement drôle. Mais voilà, pour<br />

diverses raisons, il valait mieux y rester fidèle. C’était en tout cas plus prudent.<br />

Je veux parler des vols qui précédaient chaque départ officiel. Ce n'étaient pas vraiment des vols<br />

d'essai, cela y ressemblait pourtant, mais c'était simplement une manière de s'assurer que l'avion n'avait pas<br />

été saboté. Si cela faisait boum, que le siège sur lequel on était assis avait disparu, qu’on avait plus de<br />

chemises et que l’on se sentait planer très haut, aucun doute, une bombe venait d’exploser. Le protocole<br />

savait aussitôt que le Président allait devoir prendre un autre appareil afin de poursuivre son voyage. Par<br />

contre, l’équipage qui effectuait ce vol de contrôle avait lui l'a<strong>van</strong>tage d'être épargné de ce ridicule souci de<br />

s’élever vers le ciel. Il y était déjà. Aussi simple que cela.<br />

Heureusement, il n’y eut jamais de gros problème. C’étaient des vols où tout l’équipage restait<br />

étrangement attentif au moindre bruit suspect, au moindre sifflement inexpliqué. On pouvait s’attendre à<br />

tout. Notre illustre passager pour lequel nous faisions cela, était un homme qui de par le monde avait<br />

beaucoup d’amis. Enfin … Non, plutôt le contraire … Heureusement que les hommes de la Sûreté et de la<br />

police secrète veillaient à tout. Ainsi, le soir, a<strong>van</strong>t d’aller faire la noce avec leurs collègues en ville, ils<br />

scellaient toutes les portes de l'appareil avec <strong>du</strong> tape Pirelli rouge. Ceci afin de pouvoir contrôler le<br />

lendemain si quelqu’un s’y était intro<strong>du</strong>it. Avec la chaleur, ce genre de ruban adhésif devenait élastique et<br />

pouvait alors s’enlever et se remettre autant de fois que l'on voulait. Pratique, mais peu rassurant !<br />

Je me souviens de certains aéroports où l’avion présidentiel était garé à l’écart de manière à ce que<br />

tout le monde puisse le voir et l’admirer. Il y restait plusieurs jours, gardé en principe par une escouade de<br />

militaires. Mais le plus souvent, ceux-ci restaient à l’ombre des palmiers. C’est plus commode pour dormir<br />

et surtout, les bières s’y gardent fraîches bien plus longtemps.<br />

Heureusement que St Christophe ou l’un de ses compères veillait sur nous …<br />

3


A chaque voyage, il y avait une certaine connivence entre le président et moi. Un regard, un clin<br />

d'œil ? Sans doute n'était-ce qu'une impression. C’était un habile stratège. Patient, entêté, rusé. Il n’avait pas<br />

d’égal pour manipuler toutes les situations à son a<strong>van</strong>tage. Je me souviens bien de son regard malicieux et<br />

futé de prédateur. Certains le comparaient à un léopard dont par ailleurs il affectionnait la fourrure, mais<br />

sa ressemblance avec un crocodile était bien plus pertinente.<br />

Nous avions de bons rapports avec lui. Discrets et réservés bien sûr, mais corrects et sans problèmes.<br />

Jamais nous ne parlions de politique. Le sujet aurait été inconvenant. La politique, c’était lui qui la faisait.<br />

La conversation se déroulait donc sur des sujets d'actualité, sur des curiosités remarquées au cours <strong>du</strong><br />

voyage. Parfois aussi on se transmettait une blague enten<strong>du</strong>e la veille. Sans plus. Comme il passait le plus<br />

clair de son temps dans le cockpit, à la longue on en attrape des yeux dans le dos. Oui, nous étions relax,<br />

mais toujours ... attentifs et prudents.<br />

Un jour, le ramenant dans son pays après une longue absence, je lui demandais si ses concitoyens le<br />

reconnaîtraient encore. Ces mots semblèrent le glacer. Je le vis brusquement pâlir et je pense même avoir<br />

enten<strong>du</strong> un crissement de dents. Il me fusilla <strong>du</strong> regard et eut un geste agacé. Comment donc pouvais-je<br />

douter un instant de sa popularité ? J'eus mieux fait de me taire. Jamais je n’oublierai ce front blême ainsi<br />

que le frémissement de joues qui lui était si caractéristique quand quelque chose le contrariait.<br />

- Commandant d’Ydewalle … Je … - Mon <strong>Général</strong> …<br />

On m’avait dit que c’était un homme impulsif, un homme aux réactions immédiates de<strong>van</strong>t lequel<br />

tout le monde se tenait sur ses gardes en permanence. Mais avec également cette capacité de se dominer très<br />

vite et de ne plus rien laisser paraître de sa colère. Tout n’était bien sûr qu’apparence. Impossible de deviner<br />

quelle vengeance il allait élaborer envers celui qui avait osé l’importuner. Heureusement pour moi, il n’y<br />

eut aucune suite à ces paroles malencontreuses. Il régna bien une certaine tension entre nous, mais elle<br />

s’estompa très vite. En effet, quelques jours après, il me renvoya l'ascenseur.<br />

Lors d'un séjour en Belgique, il fit une visite à la réserve <strong>du</strong> Zwin en me précisant que le gouverneur<br />

de la Flandre occidentale l'y avait accompagné. Un monsieur fort sympathique et avec quelle allure ! Jamais<br />

il n'avait rencontré cela dans le monde.<br />

La visite s'était parfaitement déroulée, sauf à un moment où il y eut une série de détonations. Il<br />

racontait cela en se tenant debout dans le cockpit et je sentais son regard cerclé d’écailles peser sur mes<br />

épaules. - Des détonations, mon <strong>Général</strong>, demandais-je, plutôt mal à l'aise ? - Oui, des détonations ! Comme<br />

une rafale de mitraillette. Et cela dans votre pays ! Pas drôle. Pas drôle <strong>du</strong> tout. - Oui en effet … Je puis<br />

imaginer … avais-je bredouillé prudemment.<br />

Quelle était cette histoire ? Aurait-on voulu attenter à sa vie ? En Flandre ? Impossible, nous<br />

l'aurions su. Mais alors, pourquoi me racontait-il cette aventure ? Peut-être une blague ? J'étais assez embêté<br />

d'autant plus que visiblement il ne s'adressait qu'à moi. - J'espère que … vous … enfin … Me tournant vers<br />

lui, je vis qu'il continuait à m’observer de son air moqueur. Avec son éternel petit sourire taquin et, derrière<br />

le reflet de ses grosses lunettes, son regard de fauve satisfait, il semblait amusé de me voir si mal à l’aise. - Ha<br />

ha ! Commandant d'Ydewalle, je vous ai bien eu, s'était-il exclamé en pouffant d’un rire puissant. Ha ha ! -<br />

Je ne comprends pas mon <strong>Général</strong>. Expliquez-moi … - Vrrraiment ? Je vous ai bien eu. C'étaient des<br />

cigognes. Tout simplement des cigognes. Ces oiseaux, sur leurs nids, retournent la tête vers l'arrière et à<br />

toute vitesse font claquer leurs becs. Cela fait tac tac tac. Très rapidement. Comme une mitraillette ! Le<br />

2<br />

gouverneur et moi avons bien ri. Je pense que vous connaissez ce monsieur .<br />

Il est impossible de confondre ce bruit de bec avec celui d’une rafale de mitraillette. Mais j’étais trop<br />

heureux de faire semblant d’y croire. Cela atténua un peu la tension qui régnait depuis ma malencontreuse<br />

remarque.<br />

Après une visite dans une capitale européenne, comme nous rentrions au pays, le <strong>Général</strong> vint se<br />

planter derrière moi. Ce jour-là, je ne sais par quelle intuition je ressentis très vite son désir d’échanger<br />

quelques mots avec moi en particulier. Cela me rendit un peu mal à l’aise envers le reste de l’équipage, mais<br />

2 Baron Pierre <strong>van</strong> Outryve d'Ydewalle (1912-1997)<br />

4


on, il n’y avait rien à faire. - Regardez, commandant d’Ydewalle, fit-il en me montrant son poignet orné<br />

d’un gros bracelet qui avait l’aspect d’une montre. Comment la trouvez-vous ? - Est-ce une montre, avais-je<br />

demandé étonné ? - Oui, bien sûr. - Une montre sans cadran ? Je n’ai encore jamais rien vu de semblable.<br />

Elle était très massive, toute en or et devait bien peser un quart de kilo. A la place <strong>du</strong> cadran et des<br />

aiguilles il n’y avait qu’un rond tout noir. Ma curiosité l’amusa. Un instant, il me dévisagea avec son<br />

sempiternel sourire, puis il appuya sur un mystérieux petit bouton et soudain l’heure apparut sur le cadran<br />

en chiffres éclairés. C’était le début des montres digitales. Une nouveauté qui devait alors coûter une<br />

fortune et que l’on ne retrouvait que sur des montres de prestige. <strong>Mobutu</strong> ne cacha pas sa fierté de m’avoir<br />

épaté avec le cadeau qu’on lui avait offert. - Et elle indique même les secondes, avait-il précisé.<br />

Commandant d’Ydewalle, je vous épate, n’est-ce pas ? - Oui, mon <strong>Général</strong>. Avec une pareille montre,<br />

personne ne sera plus jamais en retard. - Cela reste à voir, mais je vous vois venir. On dit que la ponctualité<br />

est la politesse des rois. Ha ha ! C’est à cela que vous pensez n’est-ce pas ? Tiens, au fait, quelle est votre idée<br />

à ce sujet ?<br />

Cette question inatten<strong>du</strong>e me laissa un moment sans voix. Et je ne savais qu’y répondre. -<br />

Répondez-moi. Dans votre milieu, en est-il vraiment ainsi de la ponctualité ? - Beuh … - Je vois, cette<br />

question vous embarrasse. - Mais, mon <strong>Général</strong>, c’est que voyez-vous il n’y a pas de têtes couronnées dans<br />

ma famille ! - Tiens, vous m’étonnez. Mais non … oubliez. Aïe ! Il m’avait semblé l’entendre bredouiller et<br />

j’eus soudain l’impression de marcher sur un champ parsemé de tessons de bouteilles.<br />

Régulièrement des bruits circulaient comme quoi il n’aurait pas déplu au <strong>Général</strong> <strong>Mobutu</strong> de se<br />

faire élire empereur. Pour quelqu’un qui fut d’abord <strong>Général</strong>, puis Maréchal ensuite Président, et cela<br />

nommé à vie, briguer le titre d’Empereur pouvait se concevoir. Pourquoi pas ? Son voisin d’Afrique<br />

Centrale, Jean Bedel Bokassa y pensait lui aussi très sérieusement et d’ailleurs, il ne s’en priva pas deux ans<br />

plus tard.<br />

J’étais convaincu que <strong>Mobutu</strong> ne me posait pas toutes ces questions sans arrière-pensées. Non, cela<br />

ne pouvait être par simple curiosité. Il devait avoir un sérieux besoin de connaître les bonnes manières. Du<br />

moins les plus courantes qui se pratiquaient dans une certaine société. Ce qui se faisait, ce qui ne se faisait<br />

pas. La ponctualité était une de ces règles qu’il connaissait déjà. C’était d’ailleurs un homme très rigoureux<br />

en ce domaine. Aucun doute qu’il savait également que cette qualité était surtout l’art d’arriver a<strong>van</strong>t les<br />

autres afin de faire remarquer leurs retards !<br />

Ce furent l’approche de gros nuages visibles sur le radar et le risque de les savoir accompagnés de<br />

turbulences qui m’épargnèrent la suite de cette conversation inconfortable. Par prudence, je demandais au<br />

<strong>Général</strong> de regagner les fauteuils de son salon privé.<br />

L’histoire sui<strong>van</strong>te est un peu plus cocasse que les autres. Elle aurait même pu servir de trame à une<br />

pièce de boulevard. Cela se passait à Djibouti.<br />

Djibouti est un minuscule Etat situé entre l’Ethiopie et le Golf d’Aden. Venant d’Addis-Abeba, le<br />

long Super DC 8 présidentiel posa ses 150 tonnes sur l’unique piste goudronnée <strong>du</strong> pays. Un Follow-<br />

Me nous fait signe de nous placer face à l’aérogare. C’est là où, comme d’habitude, sont ren<strong>du</strong>s les<br />

honneurs aux visiteurs de marque. Mais ici, ce voyage n’avait été décidé qu’en dernière minute.<br />

Moteurs coupés, le <strong>Général</strong> se lève et ajuste sa toque en peau de léopard. La porte s’ouvre mais au<br />

bas de l’escalier, une des autorités <strong>du</strong> comité d’accueil fait signe d’attendre. On referme un peu la porte<br />

pour plus de discrétion. Il fait très chaud et la climatisation met <strong>du</strong> temps à se mettre en route. Alors<br />

commence une longue attente sous un soleil de plomb sur la carlingue.<br />

Pour quelle grave raison pouvait-on bien faire patienter si longtemps un des chefs d’Etat les plus<br />

importants <strong>du</strong> continent ? La réponse vint un peu plus tard. Au moment où le protocole s’était mis en place<br />

pour la réception <strong>du</strong> <strong>Général</strong>, quelqu’un remarqua que le drapeau hissé au grand mât était celui <strong>du</strong> Congo<br />

d’a<strong>van</strong>t 1971 ! Or, depuis que le nom de ce pays avait changé, bien enten<strong>du</strong> les couleurs en avaient fait<br />

autant. Il ne fallait surtout pas que le <strong>Général</strong> s’aperçoive de cette horrible négligence. Djibouti était encore<br />

gouverné par la France et des problèmes diplomatiques pouvaient survenir pour bien moins que cela.<br />

5


Mais où trouver le nouveau drapeau <strong>du</strong> Zaïre ? On chercha de tout côté. Finalement quelqu’un se<br />

souvint qu’au fond d’une des armoires situées dans un des bureaux <strong>du</strong> gouverneur, il y avait un paquet qui<br />

pouvait peut-être contenir ce drapeau. A toute vitesse, une jeep l’amena sur l’aérodrome.<br />

Pour ne pas attirer l’attention, on avait donné l’ordre de ne rien laisser paraître de ce désarroi, de ne<br />

pas courir et d’éviter de trop s’affairer. On espérait bien que personne ne remarquerait ce qui se passait.<br />

Mais le temps pressait. Enfin l’air de rien, tenant un paquet sous le bras, un légionnaire se présenta pour<br />

baisser le mauvais drapeau. Il délia la corde de la hampe et commença à tirer. Mais soudain, tout se bloqua.<br />

La corde semblait s’être coincée dans la petite poulie tout en haut <strong>du</strong> mât. L’homme avait beau tirer dessus,<br />

rien n’y faisait. Plus moyen de descendre ce foutu drapeau. Un vent de stupeur passa sur la délégation<br />

d’accueil. Voilà le drapeau de l’ancien Congo, bloqué, flottant impétueusement à mi-hampe. Que faire ?<br />

- Il faut grimper sur la hampe et ramener ce drapeau, avait crié quelqu’un. - Non ! Avait répliqué un<br />

officier de la Légion étrangère. On n’y arrivera pas comme cela. Surtout ne vous faites pas remarquer.<br />

Cherchez une échelle. - Non, c’est trop visible et puis il n’y en a pas sous la main ! - Alors trouvez une scie.<br />

Vite, coupez cette hampe et enlevez ce foutu drapeau.<br />

Mais une scie ne se trouve pas plus facilement qu’une échelle. Plusieurs minutes s’écoulèrent a<strong>van</strong>t<br />

que quelqu’un ne revienne muni d’une scie circulaire et d’une rallonge. Pendant ce temps on avait amené<br />

un véhicule afin de masquer le pied <strong>du</strong> mat. Un légionnaire se mit au travail mais cela prit un certain<br />

temps. Pendant ce temps, un autre légionnaire avait préparé le nouveau drapeau sur une deuxième hampe<br />

et attendait le signal pour le hisser.<br />

A l’intérieur de la carlingue, le temps se faisait long. La climatisation avait connu des jours meilleurs<br />

et je me souviens que le <strong>Général</strong>, coiffé de son éternelle calotte de fourrure, transpirait à grosses gouttes.<br />

Nous, également. Tout ceci avait l’apparence d’une grosse blague, pourtant c’étaient des moments d’une<br />

importance capitale pour les deux pays. En diplomatie, le moindre petit fait peut être interprété comme<br />

étant une insulte, une offense ou une injure.<br />

Ce jour là, il n’y eut aucun scandale, aucune altercation. J’ignore si le <strong>Général</strong> s’est ren<strong>du</strong> compte de<br />

quelque chose. Mais il sut parfaitement se dominer et en tout cas il ne laissa rien paraître <strong>du</strong> désagrément<br />

que lui avait causé cette longue attente. L’escale dans ce petit pays n’était prévue que pour quelques heures.<br />

Elle s’était décidée tout juste pour entretenir la bonne entente avec l’Administration française. Rien de<br />

plus. Quand tout fut en ordre, les passagers de l’avion purent enfin descendre. Malgré l’improvisation, il y<br />

eut quelques coups de clairon sonnant un hymne inconnu, un bref discours de bienvenue ainsi que des<br />

accolades. Cette escale <strong>du</strong>ra une heure ou deux tout au plus, ensuite l’appareil reprit l’air. Direction,<br />

Bombay aux Indes.<br />

Le souvenir de ce genre d’interlude m’a toujours amusé. Dommage qu’ils n’aient pas été plus<br />

fréquents. C’eut été plus drôle à raconter. Des instants de vie sauvés de l'oubli ...<br />

6<br />

Liévin <strong>van</strong> Outryve d'Ydewalle

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!