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J’avais les yeux fixés sur lui, les crocs dehors.
– S’il te plaît, transforme-toi, dit-il d’une voix tremblante. Quoi que j’aie fait, je suis désolé.
J’ai humé l’air à la recherche d’autres personnes, de signes m’indiquant qu’il s’agissait d’un piège. En
vain : nous étions seuls. J’examinai son visage, mais ne trouvai aucune trace de trahison dans son
expression craintive. À contrecœur, j’ai à nouveau changé de forme. Il relâcha brusquement son souffle et
fit un pas vers moi. Je reculai d’un bond.
– Reste où tu es.
Il se figea.
– Calla, que se passe-t-il ?
J’ai secoué la tête.
– C’est moi qui pose les questions maintenant.
Il hocha rapidement la tête. Je désignai le livre épais d’un doigt tremblant.
– Qui es-tu, Shay ? Qui es-tu réellement ? Et où as-tu trouvé ça ?
– Tu sais qui je suis. Je suis moi, c’est tout. Je ne t’ai jamais menti, dit-il en rougissant. Et j’ai trouvé
ce livre dans la bibliothèque de mon oncle.
Je gardais les mains tendues, prête à le frapper en cas de besoin.
– Ça ne le dérange pas que tu empruntes ses livres ?
Il tripota la fermeture éclair de sa veste.
– Pas vraiment.
Je l’observai et je vis à quel point il s’en voulait de m’avoir effrayée. Je baissai les mains et je
m’accroupis pour toucher le sol dans l’espoir que le contact de la terre m’apaise.
– Comment ça, « pas vraiment » ?
– Bosque m’a laissé la maison, mais il m’a demandé de ne pas aller dans la bibliothèque. Il
collectionne les livres rares et il a sous-entendu qu’un adolescent ne serait pas capable d’en prendre soin.
– Il n’avait peut-être pas tort ! rétorquai-je en regardant le livre par terre.
Il poussa un grognement, le ramassa et l’essuya.
– Ce n’est pas ma faute, tu m’as fait peur, rétorqua-t-il en serrant l’ouvrage contre sa poitrine. En
général je suis très soigneux. Je ne l’aurais pas sorti de la maison si je n’avais pas voulu te le montrer. Et
je trouve injuste de sa part de m’interdire l’accès de sa bibliothèque. Il ferme même la porte à clé !
– Dans ce cas, comment as-tu pu prendre le livre ? demandai-je en passant le doigt sur l’écorce d’un
arbre.
Un sourire espiègle apparut sur ses lèvres.
– Je ne lis pas que de la philosophie. J’ai traversé une phase rebelle quand j’étais plus jeune. Je
voulais devenir voleur professionnel. J’ai lu beaucoup de bandes dessinées sur le sujet à l’époque.
Il a ri en voyant mon expression incrédule.
– Quoi qu’il en soit, j’ai appris à forcer des serrures. Je me débrouille plutôt bien. C’était cool de
pouvoir aller et venir dans les dortoirs de mon pensionnat quand j’en avais envie.
Malgré mes nerfs en pelote, l’image de Shay errant dans les couloirs déserts d’une école privée élitiste
me fit glousser.
– Mais pourquoi as-tu déménagé ? demandai-je. Si tu étais dans un pensionnat ?
– Oui, je sais, dit-il en se mettant à faire les cent pas. Mon oncle a dit que les habitudes engendraient la
paresse, que j’avais besoin de voir le monde. Je crois que j’en ai largement assez vu.
– Oui, on dirait bien.
– Pourtant, déménager, c’est dur. Je n’ai pas de racines. Pas de véritables amis. Alors je crois qu’il
m’est redevable. Et puis j’ai des opinions très marquées contre la censure. Je ne crois pas qu’on doive
interdire la connaissance.
L’assurance avec laquelle il s’exprimait me mit mal à l’aise. Il n’avait aucune idée des risques qu’il