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JE SENTAIS ENCORE LES VIBRATIONS DE LA BASSE SUR LE TROTTOIR, devant le club, alors
que j’hésitais à appeler un taxi pour rentrer.
– Euh, salut. Calla ?
Shay Doran est sorti de l’Éden, arborant un sourire timide. La nuit froide m’a soudain paru plus douce.
J’ai envisagé de partir en courant.
Les Gardiens veulent que tu prennes soin de lui. Ne panique pas.
– Hé, fis-je en lui rendant son sourire. Comment vas-tu, Shay ?
– Bien. Je vais bien, répondit-il en tirant nerveusement sur l’ourlet de sa veste cintrée. Tu viens
souvent à l’Éden ?
– Pas vraiment. Mes amis et moi étions invités ce soir. Je suis surtout venue par obligation.
J’aurais préféré être au fond de mon lit plutôt que là, dehors, avec cet humain étrange.
Un rire soulagé s’échappa de sa gorge.
– Oui, moi aussi. Bosque pensait que je passerais un bon moment, mais les boîtes de nuit, ce n’est pas
mon truc.
– Non ? C’est quoi ton truc ?
– Eh bien, mon oncle est convaincu que je suis un militant de Greenpeace en herbe, dit-il en souriant,
avant de soupirer. Je préfère toujours être dehors. Je fais de la randonnée. Mais tu le sais déjà.
Il eut soudain l’air apeuré. Je passai la langue sur mes lèvres et je ne répondis rien. Il se hâta de
reprendre la parole.
– Et j’aime lire. Beaucoup de philosophie, de livres d’histoire, de bandes dessinées.
– Des bandes dessinées ?
L’image inattendue de Shay entouré de volumes de Platon, d’Aristote, de saint Augustin et de Spider-
Man m’amusa.
– Oui, dit-il, les yeux brillants. Je suis fan des Sandman, même si ce sont plutôt des romans
graphiques. Et sinon j’aime bien les comics Dark Horse, comme Hellboy ou Buffy…
Il se tut en voyant mon regard vide.
– Tu n’as aucune idée de ce dont je te parle, n’est-ce pas ?
– Désolée. Je lis plutôt des romans.
– Ça me va aussi. Quel est ton préféré ?
Un taxi passa devant nous. Je devrais vraiment y aller.
– Ah, trop personnel ? demanda-t-il en haussant les sourcils. La relation entre une fille et son roman
préféré peut effectivement être complexe.
Le taxi tourna au coin de la rue. Raté.
– Non, c’est juste bizarre de parler comme ça à la sortie d’une boîte de nuit.
– C’est vrai, approuva-t-il en regardant le videur imposant devant la porte. Tu veux aller prendre un
café ?
Je me demandais si j’avais bien entendu. Un garçon vient de m’inviter à sortir. Personne ne m’invite
à sortir. C’est interdit. Je me suis sentie rougir. Puis je me suis souvenu qu’il n’était pas au courant.
– J’ai cherché les meilleurs endroits pour lire tard le soir à Vail, reprit-il. Il y a un café internet
ouvert 24/24 h à deux pas d’ici.
– Je connais cet endroit.