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– C’est parce qu’on est géniaux, ajouta Ansel en levant le pouce.
– Joli, petit frère, marmonnai-je. Très cool.
Il rougit et Bryn lui fit un baiser sur la joue.
– Ignore-la. Nous sommes géniaux. Alors, c’est quoi ton histoire, Shay ?
– Rien de spécial, rétorqua-t-il en me faisant un clin d’œil.
Je lui ai lancé un regard mauvais.
Ne me force pas à t’arracher les cils un à un.
– Je suis en terminale, ajouta-t-il. J’habite à Rowan Estate avec mon oncle.
Toute la table resta bouche bée. Des visions de couloirs vides et de toiles d’araignée emplirent mon
esprit. Je faillis tomber des genoux de Ren, mais il m’a rattrapée en riant doucement. Je me mordis la
lèvre en regardant Shay. Je ne m’étais jamais demandé où il vivait à Vail. Je n’en croyais pas mes
oreilles.
Ce doit être une erreur. C’est une institution, pas une maison.
– Rowan Estate ? répéta Ansel. Je croyais que c’était un musée ou un truc comme ça. Tu vis là-bas ?
– Oui. La maison appartient à mon oncle, mais il n’est pas souvent là. Avec son boulot, il voyage dans
le monde entier. On peut dire que je suis le maître des lieux. Je crois qu’il l’ouvre parfois pour des
visites historiques quand il ne réside pas là. Vous êtes les bienvenus, si vous voulez la visiter.
Il fit un grand sourire à Ansel, qui pâlit.
– C’est très gentil, Shay, intervins-je. Mais je suis sûre que ton oncle ne voudrait pas qu’une bande de
voyous comme nous s’approche de ses précieuses antiquités.
Je ne laisserais jamais mon frère aller là-bas. Je ne souhaitais ça à personne.
– Comme vous voulez, dit-il en se penchant sur son déjeuner qui, à ce que j’en voyais, consistait en
quatre barres de céréales et un Sprite.
– Alors, c’est comment de vivre là-bas ? demanda Bryn en posant le menton sur l’épaule d’Ansel.
Je souris en voyant les yeux de mon frère se remettre à briller à ce simple contact.
Shay ouvrit sa canette.
– Je ne peux pas me plaindre d’être à l’étroit. C’est gigantesque, opulent. Mais un peu sinistre, pour
être honnête. Bosque, mon oncle, est parti la plupart du temps pour ses affaires, alors je suis souvent tout
seul. Des employés viennent faire le ménage deux fois par semaine. Il y a des centaines de pièces.
Je remuai sur les genoux de Ren, mal à l’aise. L’idée de Shay seul dans cet énorme manoir me rendait
malade.
Shay baissa la voix, comme s’il racontait une histoire de fantômes.
– C’est le genre d’endroit où l’on a l’impression que des ombres vous suivent partout.
– Des ombres ? répéta Ansel.
J’ai regardé mon frère en secouant la tête, mais je savais que notre inquiétude était la même.
Des spectres. Cette pensée lugubre me fit frissonner.
– Ça va ? demanda Ren en tournant son visage vers moi.
J’en eus le souffle coupé. Nos visages n’étaient séparés que de quelques centimètres. Je distinguais
chacune des minuscules taches argentées dans ses yeux, galaxie tourbillonnante sur fond noir. Je me
perdais dans le velours sombre de ses iris.
– Calla, tu trembles. Est-ce que ça va ?
Sa voix inquiète me sortit de ma transe.
– Je viens juste de me rappeler que je n’ai pas fini mes lectures pour Grandes Idées, dis-je en me
laissant glisser de ses genoux. Il faut que je me dépêche.
Sans me retourner vers les membres de ma meute, je me précipitai dans la direction de mon casier et
me ruai dans les toilettes les plus proches. Je ne savais pas pourquoi mon cœur battait si fort, ni pourquoi
j’étais aussi essoufflée. Tout ce que je savais, c’est que je ne pouvais pas passer un moment de plus à