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– Le transformer en l’un d’entre eux. Comme on peut transformer un humain en Protecteur.
– C’est incroyable, dit-il en feuilletant les pages du livre.
– Mais les révélations des Gardiens l’ont horrifié. Il tenait trop à l’idée de l’autonomie humaine. Il a
rejeté leur offre et s’est mis à les attaquer dans ses écrits.
– Tu veux dire qu’il a écrit Le Léviathan parce qu’il traversait un épisode psychotique provoqué par
les révélations des sorciers ?
Les choses ne se passaient pas aussi bien que je l’avais espéré.
– Non, ce n’était pas une psychose. De la rancune, plutôt, ou du moins du déni de première catégorie.
Hobbes s’est attaqué à la sorcellerie parce qu’il ne pouvait accepter la réalité de la guerre des Sorciers.
Ni l’étendue des pouvoirs des Anciens sur la terre.
Shay fit la grimace.
– Alors que lui ont fait les Gardiens ?
– Rien. Ils le considéraient comme un animal de compagnie favori qui se comporte mal. C’est ainsi
qu’ils traitent tous les humains. Enfin si, ils ont bien fait quelque chose. Comme il les a vraiment irrités,
ils ont sali son nom au sein de nos tribus. Ses livres sont censurés, comme tu as pu t’en apercevoir. Les
Gardiens peuvent se montrer très rancuniers.
– Alors la guerre de tous contre tous n’est pas une théorie sociale ?
J’ai essayé de lui offrir un sourire compatissant. Son univers venait de tomber en morceaux. Je savais
ce qu’il ressentait. Mon univers aussi n’avait plus aucun sens.
– Hobbes a volé cette expression pour provoquer les Gardiens dans ses diatribes sur l’ordre naturel de
la société humaine. Pour ce que j’en sais, le livre que tu possèdes est l’histoire du monde. De notre
monde, pas du tien. La Guerre de tous contre tous est l’histoire des Anciens, de la guerre des Sorciers.
– Si ce n’est qu’un livre d’histoire, pourquoi n’es-tu pas autorisée à le lire ?
Lorsqu’il parlait, son souffle se matérialisait dans l’air froid de la soirée.
J’allumai le contact et mis le chauffage.
– Je n’ai jamais demandé.
– Tu n’es pas curieuse ?
Je gardais les yeux fixés sur le tableau de bord qui luisait faiblement. Lorsque je regardai enfin Shay, il
faisait sauter le volume sur ses genoux dans une danse comique.
– Allez, lisons-le ensemble.
– C’est interdit.
– C’est justement ce qui le rend intéressant, me taquina-t-il. Et puis, je suis impliqué dans votre monde
et je ne sais pas pourquoi. Toi non plus. Ce livre pourra peut-être nous l’expliquer.
Je posai la main sur sa poitrine et je le poussai contre la portière.
– Écoute-moi, Shay. Dans mon monde, les lois ne se discutent pas, les punitions sont sévères. Je
pensais avoir été claire sur ce point. Interdit, c’est interdit. Si les Gardiens découvraient que j’ai lu ce
livre, ils me tueraient.
– Tout comme ils te tueraient s’ils savaient que tu m’as sauvé des griffes de l’ours ?
– Exactement. C’est aussi sérieux que ça.
– Ces Gardiens ont l’air de citoyens modèles.
Il me fourra le livre sous le nez. Je reculai.
– Arrête ! m’écriai-je en serrant les poings sur les cuisses.
Mon propre malaise me faisait horreur. Je voulais en savoir plus sur mes maîtres, mais j’étais terrifiée
par ce que cela pourrait me coûter.
Shay posa la main sur la mienne, et déplia mes doigts. Je frissonnai lorsque sa peau nue effleura ma
jambe.
– Calla, il y a une carte de la grotte dans le livre. Il y a des informations qui pourraient nous aider.