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Travail complet au format pdf - Gymnase Auguste Piccard

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Hoesli Matthieu 3M5 13.11.2006 M. Eric Chevalley<br />

Cicéron<br />

Contre les Triumvirs<br />

"Urbem, urbem mi Rufe, cole et in ista luce viva"<br />

Cicéron, Correspondance, IV, CCLXV à Caelius, 2.


Cicéron contre les triumvirs<br />

Table des matières<br />

1. Introduction, Hommage à Marcus Tullius<br />

2. Prologue Historique<br />

3. L’Apparition du Triumvirat<br />

Cicéron, du Capitole à la Roche Tarpéienne<br />

4. Le Triumvirat <strong>au</strong> Pouvoir<br />

Exil et soumission de Cicéron<br />

5. La Guerre Civile<br />

Le face à face entre César et Pompée, le choix de Cicéron<br />

6. César à la Tête de l’Etat<br />

Cicéron dans l’opposition<br />

7. Pour la République !<br />

Cicéron contre Antoine, le dernier combat du grand orateur<br />

8. Conclusion, L’Héritage de l’Histoire<br />

9. Annexes<br />

10. Chronologie, Bibliographie et Sources<br />

Statue de Cicéron située devant le<br />

palais de justice de Rome.<br />

2


Cicéron contre les triumvirs<br />

1. Introduction<br />

Hommage à Marcus Tullius<br />

Le premier siècle avant JC. est sans doute la période la plus intéressante de toute l’histoire<br />

romaine. Alliances, traîtrises, corruption, actes de bravoure, jeux politiques et dictatures,<br />

marquèrent Rome et transformèrent progressivement l’antique République du Sénat en un<br />

Empire de pouvoir absolu.<br />

J’avoue, avoir mis du temps à choisir dans cette époque le sujet précis, passionnant, le thème<br />

qui s<strong>au</strong>rait m’enivrer et me plongerait véritablement dans la Ville du I er siècle. Je voulais<br />

également développer une recherche nouvelle, qui n’ait pas encore été traitée exh<strong>au</strong>stivement.<br />

Se questionner, et questionner le lecteur sur la vie de personnages comme César, <strong>Auguste</strong> ou<br />

même Pompée m’apparaissait comme désuet et indigne d’intérêt, tant leurs destinées et leurs<br />

œuvres avaient déjà subi les critiques d’<strong>au</strong>tres historiens en herbe si ce n’est expérimentés.<br />

Etant de nature un peu difficile, je me perdais en conjectures, m’enorgueillissant de mes choix<br />

et de mes trouvailles pour <strong>au</strong>ssitôt les relâcher. Je finis par choisir donc Cicéron, personnage<br />

sur lequel je m’interrogeais depuis longtemps. Le sujet était cependant bien trop vaste et je le<br />

réduisis à une étude sur la relation entre le célèbre orateur et les triumvirs, Crassus, César et<br />

Pompée, qui prirent le contrôle de la cité entre 60 et 49. Malgré tout je n’abandonnai jamais<br />

mes premières ambitions d’atteindre une certaine complétude, ne pouvant m’empêcher de<br />

jeter quelques regards vers des horizons passionnants.<br />

Durant la conception de ce travail, j’ai plusieurs fois butté sur des obstacles qu’il me fut plus<br />

ou moins aisé de surmonter. L’élément positif quand vous faites un travail sur l’antiquité,<br />

c’est que vous pouvez vous servir des textes antiques, qui sont indéniablement les plus<br />

partisans et les plus passionnants. Le revers de la médaille, c’est qu’il n’existe pas, ou presque<br />

pas de bons trav<strong>au</strong>x analytiques en français. Les ouvrages rédigés sur Cicéron dans la langue<br />

de Molière sont plus souvent à mi-chemin entre le récit historique romancé et la thèse<br />

philosophique que des trav<strong>au</strong>x synthétiques détaillés. J’ai pesté face à la m<strong>au</strong>vaise habitude<br />

qu’ont certains <strong>au</strong>teurs francophone de ne pas citer précisément leurs sources, quand<br />

seulement ils le font, ce qui rend be<strong>au</strong>coup plus ardu le travail de leurs successeurs. Certes,<br />

l’anglais ne m’est pas totalement inaccessible, mais les publications universitaires sont tout de<br />

même ardue.<br />

Mon plus farouche adversaire fut le temps. N’ayant pu m’acharner sur ma tâche qu’une seule<br />

semaine durant la p<strong>au</strong>se estivale, je me trouvai <strong>au</strong> début quand mes camarades touchaient à la<br />

fin de leur épopée. S’en suivit de longues semaines de travail. En effet, je m’étais pris <strong>au</strong> jeu<br />

et commençait à éprouver un intérêt dévorant, si ce n’est de l’admiration pour le héros<br />

principal du présent opuscule. Je peux désormais écrire avec certitude que le choix d’étudier<br />

la vie du grand avocat fut le bon. J’ai pris grand plaisir à mettre mon grain de sel dans les<br />

controverses qui agitent depuis longtemps les cercles d’historiens <strong>au</strong> sujet de l’homme<br />

d’Arpinum. J’ai be<strong>au</strong>coup appris en rédigeant ce travail, à mon avis le but est donc atteint<br />

mais je vous en laisse seuls juges.<br />

3


Cicéron contre les triumvirs<br />

Des tourments et des remous qui agitèrent l’Etat lors de ce siècle, Cicéron ne fut pas l’un des<br />

acteurs les moins importants. Au même titre que César, Pompée ou Octave, il sut tirer son<br />

épingle du jeu politique. L’orateur se posa comme défenseur de la légalité face <strong>au</strong>x grands<br />

ambitieux de son époque, ils les affronta pour s<strong>au</strong>vegarder l’Etat légal et donna sa vie pour ses<br />

idé<strong>au</strong>x. L’avocat fut cependant un homme à deux visages. Partagé tout d’abord entre sa vie<br />

publique, où il prenait soin d’apparaître comme un personnage inébranlable <strong>au</strong> même titre que<br />

Caton l’ancien ou Scipion Emilien, vie qui nous est parvenue <strong>au</strong> travers de ses plaidoyers ou<br />

ses traités, et sa vie privée révélée par sa correspondance, où il apparaît avec un visage<br />

humain, forgé par les tristesses comme par les joies. Hésitant entre sa charge d’avocat et ses<br />

tâches politiques et sa qualité de philosophe et d’écrivain. Toute sa vie il jongla entre ses<br />

talents les unissant parfois pour le meilleur, comme dans le De republica. Dans mon travail,<br />

j’ai préféré me focaliser sur le premier aspect de sa vie, plus connu mais moins exploité que le<br />

second à propos duquel nombre d’études sont parues récemment. Il ne f<strong>au</strong>drait cependant pas<br />

minimiser l’intérêt de son corpus philosophique. On a longtemps considéré les écrits de<br />

l’orateur comme de simples transcriptions de la philosophie grecque, rien de plus f<strong>au</strong>x !<br />

Cicéron possède son style propre mélangeant agréablement théorie politique et philosophie<br />

humaniste. Il est nécessaire de prendre l’œuvre de l’avocat pour ce qu’elle est : le legs d’idée<br />

d’un homme <strong>au</strong>x générations futures. Rien que pour cette raison, elle mérite le respect.<br />

Personnage controversé enfin par les historiens qui le considèrent pour certains, Grimal et<br />

Plutarque en tête, comme un héros, les <strong>au</strong>tres, représenté par Carcopino ou Salluste comme un<br />

politicien opportuniste. Bien peu de ces avis sont objectifs. Salluste, par exemple était l’un des<br />

meilleurs amis du dictateur et l’un des plus farouche opposant politique de l’avocat <strong>au</strong>tant dire<br />

que son récit « Sur la conjuration de Catilina » est loin d’être un pamphlet à la gloire de son<br />

adversaire. Il me paraissait important de laisser le lecteur seul juge, de m’écarter de tout esprit<br />

partisan. J’expose donc les points de vues des deux camps tout en restituant les faits et en<br />

donnant mon avis personnel. Je ne sais pas si j’ai toujours réussi à être objectif, ou même si<br />

j’ai réussi à l’être une seule et unique fois, mais j’<strong>au</strong>rais du moins essayé.<br />

Mes pérégrinations m’ont conduit à poser <strong>au</strong> lecteur <strong>au</strong>tant qu’à moi-même, des questions sur<br />

la vie de Cicéron. J’ai tenté de les traiter avec la même franchise et impartialité que le thème<br />

dans son entier. La série à succès américaine parue récemment, « Rome », présente l’orateur<br />

comme un extrémiste conservateur, poussant le pays dans la guerre et prêt à la trahison.<br />

Existe-il un fondement de vérité dans le personnage que fait transparaître l’acteur ? On peut<br />

<strong>au</strong>ssi se demander s’il existe quelque justification à la fuite de Cicéron après la défaite<br />

pompéienne à Pharsale ? Certains estiment également que Cicéron, dans son combat contre<br />

Catilina et plus tard contre Antoine, fit passer son intérêt personnel avant l’intérêt de l’Etat.<br />

Qu’en est-il réellement ? Ce sont de telles interrogations <strong>au</strong>xquelles j’ai tenté de répondre<br />

dans mon travail. Celui-ci portant également sur les triumvirs, il m’a semblé juste de<br />

m’interroger <strong>au</strong>ssi à des problématiques touchant Pompée, César et même Crassus. Le<br />

vainqueur de Mithridate était-il un lâche général ou un défenseur de la patrie et César était-il<br />

un bienfaiteur du peuple ou un tyran ? Je me suis également frotté à ces énigmes-là.<br />

J’ai adopté la démarche suivante : après un prologue, destiné à rappeler le contexte historique,<br />

les chapitre 3 à 6 sont consacrés <strong>au</strong> combat de Cicéron contre le premier triumvirat tandis que<br />

le chapitre 7 aborde la période de l’affrontement avec le second triumvirat. Sur ce je vous<br />

laisse poursuivre en compagnie de l’orateur.<br />

4


Cicéron contre les Triumvirs<br />

2. Prologue<br />

Avant les Triumvirs, l’Agonie de la République<br />

Les c<strong>au</strong>ses du mal, pourquoi la guerre sociale ?<br />

Avant de parler de Cicéron lui-même, il convient, de résumer et plus encore d’expliquer les<br />

c<strong>au</strong>ses des troubles que la société romaine eut à subir pendant le 1 er siècle avant JC.<br />

Historiquement, la société romaine assura toujours sa stabilité grâce à son système de<br />

citoyenneté très restrictif. Grâce également <strong>au</strong>x rites et traditions communs à tous qui<br />

créeraient des liens fondament<strong>au</strong>x entre chaque Romain et son prochain ; par rites et<br />

traditions, on pense <strong>au</strong>ssi bien <strong>au</strong>x cérémonies religieuses qu’<strong>au</strong> service militaire<br />

« obligatoire », la langue ou encore les célèbre légendes romaines se transmettant de<br />

générations en générations. Grâce finalement, <strong>au</strong>x lois romaines assurant la stabilité de la<br />

société, notamment <strong>au</strong>x lois créées après la crise du 5 ème siècle av.JC quand la plèbe se retira<br />

sur le Palatin. Néanmoins, les fins connaisseurs de l’antiquité argueront que si toutes les<br />

caractéristiques ci-dessus s’appliquent à l’Urbs il en va de même pour d’<strong>au</strong>tres célèbres cités<br />

antiques, notamment Athènes qui possédait également nombre de rites, coutumes et lois<br />

unissant les citoyens et l’Etat et les gouvernants <strong>au</strong>x gouvernés. Cela n’empêcha pas sa<br />

puissance de s’estomper be<strong>au</strong>coup plus rapidement que celle de Rome. Le connaisseur n’<strong>au</strong>ra<br />

donc cesse de demander… pourquoi ?<br />

En fait la plus grande différence est certainement le fait que Rome regardait les <strong>au</strong>tres cultures<br />

d’un œil be<strong>au</strong>coup plus ouvert. Pour les Athéniens tout ce qui n’était pas grec était barbare<br />

(onomatopée inventée par ces derniers pour désigner les langues étrangères) <strong>au</strong> mieux<br />

inférieur, et les cités prises par la métropole étaient considérées comme lui appartenant<br />

jusqu’à la dernière pierre de leur muraille. Alors que les Romains ne considéraient pas, du<br />

moins officiellement, les territoires conquis comme vass<strong>au</strong>x, la Cité essayait plutôt « de les<br />

transformer d’ennemis potentiels en amis et en alliés 1 ». Rome s’adaptait <strong>au</strong>x coutumes<br />

locales, ou plutôt se transformait <strong>au</strong> fil de ses conquêtes. Et si la conquête de l’Italie n’affecta<br />

pas d’une façon majeure la cité, celle de la Grèce puis de l’Asie et de territoires toujours plus<br />

éloignés modifièrent la société romaine en de nombreux points. Bien sûr il y eut de la<br />

résistance de la part des plus vieilles familles aristocratiques romaines représentées <strong>au</strong> Sénat<br />

qui, par exemple, chassèrent les philosophes grecs de la cité <strong>au</strong> 3 ème siècle av. JC. Mais la<br />

tendance générale fut incontestablement à l’ouverture. Grâce à cette politique intelligente, la<br />

République puis l’Empire allaient assurer leurs fonctionnements pendant presque 1000 ans 2 .<br />

Les conflits soci<strong>au</strong>x et les guerres civiles entre 133 et 27 av. JC, qui allaient transformer<br />

l’antique République en un Empire, furent c<strong>au</strong>sés par plusieurs problèmes majeurs.<br />

Premièrement, la disparition petit à petit de la classe « moyenne » romaine constituée de petits<br />

propriétaires terriens. Ces derniers formaient la majeure partie de l’armée de milice,<br />

constituaient la base des institutions de la cité et liaient entre eux les plus p<strong>au</strong>vres et les plus<br />

riches des Romains. En effet, et il en va de même dans nos démocraties modernes, la stabilité<br />

d’une société dépend en grande partie de la proportion qu’occupe la classe moyenne parmi<br />

tous les citoyens. Plus la proportion est forte, plus la société sera stable<br />

1 Pierre Grimal, la civilisation romaine, p.295.<br />

2 Elizabeth Deni<strong>au</strong>x, Rome de la Cité-Etat à l’Empire, p.37.<br />

5


Cicéron contre les Triumvirs<br />

. Or à Rome, les guerres puniques portèrent à cette dernière un coup très dur ; car alors que le<br />

temps de mobilisation avait <strong>au</strong>paravant rarement été supérieur à quelques mois (du moins en<br />

moyenne), les guerres puniques mobilisèrent les armes pendant de longues années et<br />

ravagèrent l’Italie à tel point qu’à la fin du conflit nombreux furent les hommes, qui en<br />

revenant sur leurs terres hésitèrent à repartir de zéro et préférèrent tenter leur chance à Rome<br />

pour former une grande classe sociale de gens très p<strong>au</strong>vres, la plèbe.<br />

Au fil du temps et des conquêtes, cette dernière ne cessera pas de s’accroître ce qui finira par<br />

séparer la Ville en deux grandes classes distinctes, les riches patriciens et les p<strong>au</strong>vres<br />

plébéiens. Car si de fait les mobilisations intensives nécessaires <strong>au</strong>x conquêtes affaiblissaient<br />

les petits paysans, les nobles et les commerçants multipliaient leurs fortunes de façon<br />

exponentielle. L’homme avisé pouvait alors voir sa fortune facilement doubler. On citera<br />

Crassus qui, ayant formé une brigade de pompiers, patrouillait dans la ville à la recherche de<br />

flammes et qui, après avoir éteint l’incendie, proposait d’acheter le terrain sinistré à bon prix<br />

faisant ainsi fructifier son parc immobilier. Les m<strong>au</strong>vaises langues ajoutèrent qu’<strong>au</strong> vu de la<br />

fortune de Crassus, ce dernier ne se contentait pas d’éteindre le brasier. La situation est telle<br />

qu’à la fin du II ème siècle av. JC, le Sénat doit assurer la distribution de nourriture dans les<br />

quartiers populaires et simultanément promulguer des lois pour empêcher les sénateurs de<br />

remplir les navires de l’Etat plus avec des bien commerci<strong>au</strong>x qu’avec des parchemins, ceci,<br />

bien évidemment, dans le but de s’enrichir. 1<br />

Les deux groupes soci<strong>au</strong>x ne pouvaient, à long terme, qu’en arriver à l’affrontement. Ainsi en<br />

133 un patricien, Tiberius Grachus, décida de s’associer à la c<strong>au</strong>se plébéienne. Il proposa des<br />

lois afin de distribuer la terre de l’Etat qui était alors exploitée par les plus riches, <strong>au</strong>x plus<br />

p<strong>au</strong>vres dans le but de recréer un classe moyenne paysanne. Pour faire aboutir sa réforme il<br />

alla même jusqu’à déposer un tribun de la plèbe acquis à l’aristocratie. Son idée fut-elle trop<br />

ambitieuse ou les patriciens furent-ils trop intransigeants, toujours est-il que ces derniers firent<br />

assassiner Tiberius et qu’ils récidivèrent dix ans plus tard quand Caius Grachus, frère du<br />

précédent, tenta de remettre l’ouvrage sur le métier 2 . « Ce fut, à ce qu'on rapporte, la<br />

première sédition à Rome, depuis l'abolition de la roy<strong>au</strong>té, qui fut étouffée dans le sang et par<br />

le meurtre des citoyens. 3 » Après la disparition des institutions Républicaines, nombreux<br />

furent les aristocrates à reprocher <strong>au</strong>x Gracques d’avoir été c<strong>au</strong>se de la chute du régime pour<br />

lequel ils s’étaient battus et avaient souffert. On peut néanmoins penser que, <strong>au</strong> vu de la<br />

répartition sociale du peuple romain, les tensions <strong>au</strong>raient, de quelque manière que ce fût, fini<br />

par éclater.<br />

Une <strong>au</strong>tre grande c<strong>au</strong>se des guerres civiles fut la professionnalisation de l’armée. Celle-ci sera<br />

réformée par Caius Marius, sept fois consul dont cinq entre 104 et 100, cela même en violant<br />

les lois républicaines interdisant à la même personne de posséder deux fois le pouvoir<br />

consulaire de suite. Il est vrai que Rome se trouvait alors dans une situation délicate (guerre<br />

contre Jugurtha 107, puis guerres contre les Cimbres et les Teutons en 104). Néanmoins cela<br />

créa un précédent. Petite anecdote intéressante, Marius est né dans la petite ville d’Arpinum<br />

située non loin de Rome de même qu’un certain… Cicéron.<br />

1 Deni<strong>au</strong>x, Rome de la Cité-Etat à l’Empire, p.26.<br />

2 Plutarque, Vie des Gracques, XIX / XXXVIII.<br />

3 Ibidem, XX.<br />

6


Cicéron contre les triumvirs<br />

Marius donc, grand général, s’était rendu compte des difficultés <strong>au</strong>xquelles faisait face<br />

l’armée de milice romaine, notamment dans les guerres de conquête. Il entreprit alors de<br />

larges réformes, faisant disparaître les paysans-soldats traditionnels, pour une armée de<br />

métier, mieux entraînée, mobilisable plus longtemps et portant moins préjudice à l’économie.<br />

Les <strong>au</strong>xiliaires étrangers devinrent be<strong>au</strong>coup plus importants (plus tard ils composeront plus<br />

de 50% des troupes). Cependant ces réformes comportaient également de nombreux déf<strong>au</strong>ts.<br />

L’armée de milice, en effet, savait alors presque toujours pourquoi elle se battait ; si elle était<br />

moins entraînée, elle compensait cette faiblesse par sa fidélité, sa ténacité et son grand<br />

courage ; qualités ayant compté pour be<strong>au</strong>coup dans la victoire sur Carthage. Un soldat qui se<br />

bat pour protéger ceux qu’il aime et ses biens <strong>au</strong>ra toujours l’avantage sur un soldat se battant<br />

pour le butin et son salaire. Bien sûr l’armée romaine ne passera pas en quelques années d’une<br />

armée de fidèles citoyens romains courageux à des mercenaires hirsutes prompts <strong>au</strong> pillage<br />

<strong>au</strong>tant qu’à la fuite ; mais entre l’armée romaine qui vainquit à Zama et celle qui se fit battre<br />

par les Goths plus de 600 ans lors de la bataille d’Andrinople, la différence est énorme.<br />

Malgré tout il y eut une chose dans l’armée romaine qui changea très rapidement : le<br />

bénéficiaire de la fidélité des soldats. Les soldats de métier de Marius étaient plus attachés à<br />

leurs génér<strong>au</strong>x et à leurs intérêts personnels qu’<strong>au</strong> Sénat et à la République. Celle-ci allait en<br />

faire l’amère expérience quelques années plus tard.<br />

7


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Naissance et jeunesse de Cicéron<br />

Cicéron naquit le 3 janvier 106 avant JC à Arpinum. Son cognomen était plutôt loufoque,<br />

cicer signifiant pois chiche en latin. La famille 1 étant de rang équestre, elle avait de fait le<br />

droit de présenter ses membres <strong>au</strong>x élections. Du côté du père de Cicéron, la famille<br />

apparaissait comme résolument conservatrice. Le grand-père de Cicéron s’était même opposé<br />

à son be<strong>au</strong>-frère qui s’était rangé dans le camp populaire, les populares. Ces derniers, le plus<br />

souvent des jeunes hommes de nobles familles, se faisaient porte-parole du peuple qui les<br />

soutenait dans la majorité des cas. Le consul de l’époque, félicitant l’aïeul pour sa prise de<br />

position, s’attrista qu’il n’eût pu faire profiter le Sénat romain de son énergie. Cependant<br />

comme le dit Grimal : « les conditions étaient remplies pour l’élévation des Tullius<br />

d’Arpinum 2 ». Il f<strong>au</strong>dra malgré tout attendre encore deux générations pour qu’elle se réalise.<br />

En effet, la nature fragile de Marcus (le père de Cicéron) l’empêcha de faire carrière dans<br />

l’administration. Et malheureusement, son frère (l’oncle de Cicéron) Lucius qui semblait<br />

promis à une glorieuse carrière militaire, mourut jeune. Le père de Cicéron se fera néanmoins<br />

un devoir de réaliser pour ses fils ce qui lui fut impossible, notamment en louant les services<br />

des meilleurs précepteurs pour ses enfants et en achetant une maison de fonction sur<br />

l’Esquilin. Quant à la mère de Cicéron, Helvia, on sait qu’elle faisait partie d’une des<br />

meilleures familles d’Arpinum et que, selon Plutarque, sa conduite fut louable. On sait<br />

également qu’elle veillait sur la maisonnée à la manière d’une vraie femme romaine en<br />

surveillant notamment les rentrées et les sorties.<br />

La jeunesse de Cicéron fut heureuse ; excellent à l’école (où il était considéré comme le chef<br />

de bande par ses petits camarades), pas ou peu de problèmes famili<strong>au</strong>x, sans prendre en<br />

compte la solidarité qui soudait ensemble les habitants des petites villes, qui rendait<br />

l’ambiance très agréable. « C’était comme un peu de l’esprit qui s’obstinait à vivre sur ces<br />

collines 3 ». C’est pourquoi Cicéron considéra toujours Arpinum comme son refuge et ses<br />

habitants ne cessèrent pas de le soutenir tout <strong>au</strong> long de sa vie. Ces liens entre l’Arpinate et sa<br />

cité souvent critiqués par ses adversaires politiques plus tard furent, sans conteste, un élément<br />

majeur dans la vie de ce dernier.<br />

Le 17 mars 91 av. JC, Cicéron prit la toge virile. Bien que passionné de littérature et fervent<br />

d’art oratoire, Cicéron était pourvu comme son père d’une faible robustesse physique. Afin de<br />

parfaire son éducation, son père l’envoya chez une connaissance à Rome, Q. Mucius Scaevola<br />

dit l’<strong>au</strong>gure qui, alors âgé de plus de 80 ans, était considéré comme l’un des personnages les<br />

plus sages de la cité.<br />

Jeune Cicéron entrain de lire.<br />

Peinture de Vincenzo Foppa 1427-1515.<br />

1 Pour vous faire une idée de la composition de la famille de notre héros voir l’annexe 1.<br />

2 Grimal, Cicéron, p. 28.<br />

3 Grimal, Cicéron, p. 31.<br />

8


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Formation de Cicéron et premiers succès<br />

Cicéron étudia durant un an avec Scaevola, puis éclata la guerre des Marses. Cicéron<br />

s’engagea alors dans l’état-major du père du grand Pompée (en effet il fallait avoir fait une<br />

carrière militaire, même de courte durée, pour pouvoir briguer un poste politique). Ce dernier<br />

était <strong>au</strong>ssi présent et ils devinrent camarades, lien qui sera mis plus tard à contribution par l’un<br />

ou par l’<strong>au</strong>tre avec souvent peu de réussite. L’année suivante, il rejoint l’armée du général<br />

Sylla <strong>au</strong>trefois chef de cavalerie de Marcus, et participa à la prise de la ville samnite de Nola.<br />

Enfin la guerre étant terminée, il quitta les armes pour la toge sans trop de regrets.<br />

A Rome la lutte entre les partisans de Marius et ceux de Sylla faisait rage, le premier faisant<br />

partie des populares et le second optimates (patricien). Marius et ses amis ayant rusé pour<br />

voler à Sylla la direction de la guerre venant d’éclater contre Mithridate (roi du Pont), guerre<br />

qui promettait, entre <strong>au</strong>tre, une grande popularité à son général. Sylla peu enclin à se laisser<br />

marcher sur les pieds, arriva à convaincre ses soldats d’entrer dans Rome et, faisant un coup<br />

d’Etat, proscrit Marius, reprit le contrôle des opérations militaires, puis satisfait, partit en<br />

Asie 1 . Cicéron fut frappé <strong>au</strong>tant par la violence du coup d’Etat de Sylla que par l’évasion<br />

rocambolesque de Marius son compatriote. Il décida alors de ce tenir à l’écart de la politique<br />

ce qui apparaît comme une sage décision.<br />

C’est à cette époque que l’Arpinate se forma à la pratique oratoire et à la philosophie, grâce<br />

notamment à M. Pupius Piso, Philon de Larissa, Diodote (qui restera toujours un des<br />

meilleurs amis de Cicéron), L. Aelius Stilo, Molon, Licinius Anchias et encore be<strong>au</strong>coup<br />

d’<strong>au</strong>tres. A cette époque il savait déjà parfaitement le grec et s’exerçait à déclamer également<br />

dans cette langue. C’est <strong>au</strong>ssi à cette époque que Cicéron fit la connaissance d’Atticus, son<br />

meilleur ami, avec lequel il échangera une grande partie de sa célèbre correspondance.<br />

Cicéron écrivit alors son premier traité (de inventione) et ses premiers poèmes, ayant décidé<br />

d’être à la fois orateur et poète. Cicéron n’était pas un jeune homme dissipé et il passait la<br />

majeure partie de son temps à travailler.<br />

Pendant ce temps, et depuis le départ de Sylla en 88, les partisans de Marius avaient repris la<br />

ville par la force et éliminaient tous ceux qui ne étaient pas favorables. Cicéron dut se faire<br />

discret pour ne pas faire figure de cible. L’orateur rédigea néanmoins son premier traité : de<br />

inuentione, traité théorique sur la pratique oratoire. Plus tard, il jugera sévèrement ce premier<br />

essai quand il ne le reniera pas totalement 2 . Il commença à avoir de sérieux doutes sur<br />

l’intégrité de Marius qu’il considérait <strong>au</strong>paravant comme un modèle. Sylla revint d’Orient en<br />

83 et en 82 il vainquit les marianistes lors de la bataille de la porte Colline ; mais sans<br />

s’emparer de son vieil adversaire car ce dernier était mort quatre années <strong>au</strong>paravant.<br />

Contrairement à ce que pensaient Cicéron et son entourage, Sylla, loin de rendre les pouvoirs<br />

<strong>au</strong> peuple devint dictateur. Il renforça les pouvoirs du Sénat et affaiblit ceux des tribuns de la<br />

plèbe, non sans s’être débarrassé <strong>au</strong> préalable de ses adversaires politiques lors des<br />

proscriptions. Ce changement de pouvoir permit à Cicéron d’enfin lancer sa carrière d’avocat.<br />

1 L’Asie romaine est constituée <strong>au</strong>jourd’hui de la Turquie moderne et du Proche-Orient.<br />

2 Cicéron, De oratore, I, I, 5.<br />

9


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Nous ne savons pas exactement de quand date le 1 er plaidoyer de Cicéron mais nous<br />

possédons quelques discours qu’il prononça durant la période qui suivit le retour de Sylla. Il<br />

s’occupa, entre <strong>au</strong>tre, d’une affaire d’héritage, le Pro quinto, qu’il gagna et qui fit grandement<br />

<strong>au</strong>gmenter sa renommée. Il serait inutile de narrer tous les procès connus de cette époque<br />

<strong>au</strong>xquels Cicéron prit part ; il convient malgré tout de citer celui de Sextus Roscius. Cicéron<br />

affronta là un des affranchis de Sylla qui se considérait bien sûr comme intouchable. Le<br />

succès de son discours fut tel que lui-même dira plus tard : « Aussi mon premier plaidoyer<br />

dans une affaire, celle de Sextus Roscius, eut-il tant de succès que désormais il n’y eut pas<br />

une seule c<strong>au</strong>se qui parût être <strong>au</strong>-dessus de mes capacités 1 ». Durant les deux années 80 et 79<br />

il assura sa réputation et sa survie financière. En 78 Sylla mourut de maladie après s’être retiré<br />

de la vie publique 2 et les citoyens retrouvèrent leur liberté d’action, Pompée ayant tout juste<br />

remporté ses premiers succès et César n’étant pas encore présent sur l’échiquier politique.<br />

Quant à Crassus, après la mort de son leader il se fit discret.<br />

Cicéron décida alors d’accomplir un grand voyage en Grèce afin d’améliorer ses<br />

connaissances en philosophie et en rhétorique. Il leva l’ancre en direction de Corinthe en 79<br />

avec, pour compagnons, son frère Quintus, son cousin Lucius et M. Pupius Piso, une occasion<br />

pour le jeune philosophe de méditer et de s’attrister sur le terrible destin de l’antique cité 3 .<br />

Leur route les mena à Athènes où ils passèrent des mois à vivre <strong>au</strong> rythme des disciples de<br />

Platon et d’Aristote. Cicéron y suivit notamment les leçons d’Antioches. Ayant accompli ce<br />

qu’il voulait faire, Cicéron constata qu’il lui restait encore un an avant de pouvoir se présenter<br />

à la questure (30 ans), première étape de la carrière politique. Il décida alors de se diriger vers<br />

l’Asie puis Rhodes afin d’apprendre à plaider sans gesticuler ce qui lui coûtait be<strong>au</strong>coup<br />

d’énergie. Il s’exerça notamment avec Molon dont il avait fait connaissance quelques années<br />

plus tôt. Il revint à Rome en 77 prêt à conquérir une place dans l’histoire romaine.<br />

Lucius Cornélius<br />

<br />

1 Cicéron, Brutus, XC, 312.<br />

2 Plutarque, Vie de Sylla, XXXVII.<br />

3 Corinthe avait en effet détruite par les armées romaines en 146 lors de la tentative de rébellion des cités<br />

achéennes.<br />

10


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Le procès contre Verrès<br />

Les historiens possèdent de nombreux indices qui nous permettent de penser que Cicéron s’est<br />

marié en 77 juste à son retour de Grèce. Sa fille serait, quant à elle, née le 5 août 76 1 .<br />

Toujours est-il qu’à son retour à Rome la situation était plus explosive que jamais. Les<br />

syllaniens et les marianistes s’affrontaient par les armes en Italie et en Espagne où Pompée<br />

dut aller rest<strong>au</strong>rer l’ordre. C’est en ces temps troublés que Cicéron fut élu questeur et envoyé<br />

en Sicile. Le 5 décembre 76 il entra en fonction à Lilybée. « C’est le début d’une magnifique<br />

carrière d’homme nouve<strong>au</strong> qui doit l’essentiel de sa réussite <strong>au</strong> mérite personnel et non <strong>au</strong><br />

jeu des clientèles. 2 » Or il f<strong>au</strong>t savoir que la Sicile se trouvait également dans une situation<br />

périlleuse ; car si les riches Siciliens s’étaient toujours bien entendus avec la métropole, il<br />

n’en allait plus de même pour le peuple qui, longtemps exploité par des magistrats peu<br />

scrupuleux et composé d’une forte population d’hommes serviles, était prompt à la révolte.<br />

Une <strong>au</strong>baine pour les ennemis de Rome qui <strong>au</strong>raient vu d’un bon œil des troubles dans la<br />

province empêcher les vitales livraisons de blé à l’Urbs.<br />

Cicéron n’étant que questeur, il ne pouvait s’opposer militairement à ces actions, mais grâce à<br />

ses talents et à ses fonctions financières « il lui était possible de faire que les Siciliens ne<br />

considèrent pas Rome comme une ennemie 3 ». Durant son année de fonction, et grâce à sa<br />

bonne gestion des comptes, il allait nouer des liens étroits avec le peuple sicilien d’une part et<br />

les riches siciliens d’<strong>au</strong>tre part. Les deux allaient souvent soutenir Cicéron dans le futur.<br />

Avant de partir il alla se recueillir devant le tombe<strong>au</strong> d’Archimède, le célèbre inventeur et<br />

savant, qui décédé plus de 130 années <strong>au</strong>paravant lors de la deuxième guerre punique 4<br />

Après être rentré à Rome en 74, il dut attendre l’âge légal de 37 ans pour se présenter à<br />

l’édilité 5 . Entre-temps un sinistre propréteur, Verrès, avait pris ses fonctions en Sicile. De 73 à<br />

70 av. JC, il pilla la province de fond en comble, profitant du fait qu’une révolte d’esclaves<br />

eût éclaté en Campanie (la célèbre révolte de Spartacus) pour rester en fonction plus<br />

longtemps que la durée de sa charge. A peine avait-il quitté son poste que toutes les cités<br />

siciliennes, ou presque, envoyèrent des messagers à Cicéron lui demandant des les aider à se<br />

faire restituer leurs biens. Cicéron leur conseilla d’intenter à Verrès un procès de repetundis<br />

qui le forcerait, <strong>au</strong> cas où sa culpabilité serait établie, à rendre ce qu’il avait perçu<br />

illégalement. Les cités siciliennes lui demandant d’être l’accusateur du procès, Cicéron ne put<br />

qu’accepter, alors qu’en règle générale, l’accusation était l’apanage des plus jeunes des<br />

avocats 6 .<br />

1<br />

La date de naissance de Tullia est sujette à polémique. Néanmoins la date du 5 août 76 est la plus probable car<br />

ainsi Tullia <strong>au</strong>rait été fiancée puis mariée <strong>au</strong>x âges traditionnels de huit et treize ans. Vu l’attachement que<br />

portait Cicéron <strong>au</strong>x traditions romaines, cela ne peut être un hasard.<br />

2<br />

Cl<strong>au</strong>de Nicolet, In Encyclopédia Universalis, Article Cicéron.<br />

3<br />

Grimal, Cicéron p. 92.<br />

4<br />

Il s’agit de la célébrissime histoire du soldat qui tua le savant parce que ce dernier, trop concentré sur la<br />

manière de mettre <strong>au</strong> point une nouvelle invention, n’avait pas répondu à ses injonctions.<br />

5<br />

Les âges lég<strong>au</strong>x pour se présenter <strong>au</strong>x élections sont respectivement de 30 ans pour la questure, 37 pour<br />

l’édilité, 40 pour la préture et 43 pour le consulat.<br />

6<br />

Grimal, Cicéron, p. 106. / Cependant, dans le cas d’un meurtre, c’était souvent un jeune membre de la famille<br />

du défunt qui présentait l’accusation. Il en fut ainsi plus tard pour l’ennemi juré de Cicéron, Clodius.<br />

11


Cicéron contre les Triumvirs<br />

La tâche s’annonçait ardue, Cicéron n’avait que 110 jours pour rassembler des preuves car <strong>au</strong>delà<br />

de cet ultimatum, les amis de Verrès, élus consuls pendant l’été, se chargeraient de faire<br />

échouer toute tentative d’attaque à son encontre. Sans compter que l’avocat s’était opposé à<br />

son plus grand rival <strong>au</strong> barre<strong>au</strong>, Hortensius : le seul qui pût encore voler la vedette à notre<br />

Arpinate à cette époque.<br />

Malgré les tentatives multiples de la défense pour ajourner le procès, celui-ci finit par avoir<br />

bel et bien lieu dans les temps. « Je veux opposer ici à Verrès la douceur et l'équité de<br />

Scipion. Les Carthaginois avaient pris <strong>au</strong>trefois Himère, une des villes de la Sicile les plus<br />

célèbres et les mieux décorées. Scipion, qui croyait digne du peuple romain qu'<strong>au</strong>ssitôt la<br />

guerre finie, notre victoire rendît à nos alliés ce qui leur appartenait, fit restituer ce qu'il put<br />

à tous les Siciliens, après la prise de Carthage… Ces ouvrages, et d'<strong>au</strong>tres semblables,<br />

Scipion ne les avait pas négligés et dédaignés pour que Verrès, profond connaisseur, pût les<br />

enlever. 1 » Les preuves étaient tellement accablantes que Verrès s’enfuit à Marseille avant<br />

que Cicéron n’eût eu le temps de réciter toutes ses Verrines. Le triomphe de Cicéron fut total.<br />

Désormais, il était devenu le plus grand avocat de la cité et l’un des plus célèbres de son<br />

histoire. « En même temps que l’édilité il avait atteint la gloire 2 ».<br />

Les temps étaient alors <strong>au</strong>x changements. Pompée et Crassus 3 élus consuls en dépit de leur<br />

âge, promulguèrent des lois rendant caduques celles de Sylla. Les tribuns de la plèbe qui<br />

avaient vu leurs pouvoirs sensiblement diminués par le vieux dictateur retrouvent toute leur<br />

puissance. Ce qui avantage grandement les populares. Bien que cette réforme semblât juste à<br />

première vue, tant les lois de Sylla avantageaient les patriciens, elle ne pouvait que faire<br />

éclater de nouve<strong>au</strong>x troubles dans la cité. Pompée se vit alors confier un commandement<br />

extraordinaire pour vaincre Mithridate qui avait repris les hostilités. Commandement qui<br />

allait, sans qu’on pût en douter, lui apporter richesse et gloire.<br />

Au moment où le Sénat s’apprêtait à décider si, oui ou non, il allait confier des pouvoirs<br />

supplémentaires à Pompée, deux sénateurs plaidèrent farouchement pour. L’un était César,<br />

jeune homme récemment entré à la curie, mais plein d’ambition. L’<strong>au</strong>tre était Cicéron, dont<br />

on se souvient qu’il était un vieil ami du général. Ce fut à ce moment 4 que l’homme<br />

d’Arpinum, qui en 67 avait été élu préteur, débuta son illustre correspondance avec Atticus,<br />

dont nous avons déjà parlé, et dont la sœur a entre-temps épousé le frère de Cicéron.<br />

Après une tentative de coup d’Etat de la part de Crassus avortée à c<strong>au</strong>se de César, ce dernier<br />

étant chargé de déclencher l’insurrection et ayant, volontairement, oublié de le faire, les<br />

élections consulaires de 64 (donc pour élire les consuls de 63) pouvaient enfin avoir lieu. Les<br />

populares et les optimates présentant, évidemment, chacun leurs candidats, seul Cicéron fait<br />

figure d’indépendant. Et alors même que « la machine Cicéron est désormais bien en route 5 »,<br />

un célèbre adversaire lui fit face, un adversaire qui, quelque temps plus tard, allait essayer de<br />

renverser la République : Catilina.<br />

1<br />

Cicéron, Verrines, II, 35.<br />

2<br />

Grimal, Cicéron, p.113.<br />

3<br />

Crassus, jeune ambitieux comme Pompée, était déjà connu dans la cité. Homme de Sylla, il s’était en effet<br />

énormément enrichi lors des proscriptions.<br />

4<br />

En novembre 68 plus précisément, du moins c’est à cette date que remonte la première lettre connue de<br />

l’orateur. Il est possible qu’il y en ait eu de nombreuses <strong>au</strong>paravant.<br />

5<br />

Pierre-François Mourier, Cicéron avocat de la République, p.53.<br />

12


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Le combat contre Catilina, le consulat<br />

Catilina était un homme <strong>au</strong> comportement douteux. Ayant, par exemple, échappé de justesse à<br />

une condamnation en 73 av. JC par l’intervention d’un consul, il avait bâti la majeure partie<br />

de sa fortune sur les proscriptions. « Lucius Catilina, né d'une famille noble, avait une grande<br />

force d'âme et de corps mais son esprit était m<strong>au</strong>vais et dépravé. Depuis son adolescence, les<br />

guerres civiles, les meurtres, les pillages, les désordres politiques lui furent agréables et c'est<br />

<strong>au</strong> milieu de tout cela qu'il passa sa jeunesse. Un corps supportant la faim, le froid, le<br />

manque de sommeil à un point qu'on ne peut imaginer. Un esprit <strong>au</strong>dacieux, rusé, versatile,<br />

pouvant tout feindre et tout dissimuler, recherchant le bien d'<strong>au</strong>trui, prodigue du sien, ardent<br />

dans ses désirs, assez d'éloquence, peu de sagesse . Son esprit ravagé désirait des choses<br />

démesurées et incroyables, <strong>au</strong>-delà des limites. 1 » Pourtant, alors qu’il était l’exacte<br />

représentation de tout ce que Cicéron, homme de valeurs, traditions et lois, exécrait, ce<br />

dernier lui proposa de le défendre lors de son second procès pour concussion (il était accusé<br />

d’avoir abusé de son pouvoir administratif lors de sa propréture en Afrique). Cicéron agissait<br />

plus pour désamorcer une crise que par générosité. Las ! Catilina refusa ses services pour lui<br />

montrer ouvertement son hostilité. Après ces événements, il était évident que la campagne<br />

serait d’une rare férocité de part et d’<strong>au</strong>tre.<br />

Revenons-en <strong>au</strong>x élections consulaires. La noblesse avançait quatre candidats ; deux sénateurs<br />

peu connus, un <strong>au</strong>tre dont il était dit « qu’il ne s’était fait remarquer par <strong>au</strong>cune<br />

malhonnêteté 2 », ce qui n’était pas particulièrement glorieux, et un dernier qui avait la<br />

réputation d’être très peu scrupuleux. En face d’eux, les populares présentaient Catilina et<br />

Antonius, tous deux fort peu recommandables. Et pour compléter le table<strong>au</strong> : Cicéron,<br />

candidat indépendant certes, mais <strong>au</strong> bénéfice d’une bonne cote de popularité, tant dans le<br />

peuple qu’<strong>au</strong> Sénat. Crassus ayant financé une importante campagne électorale pour les deux<br />

représentants de la plèbe, ces derniers étaient donnés largement favoris. On dit que la somme<br />

fut tellement énorme que les Pères tentèrent de voter une loi pour restreindre les dons<br />

consentis <strong>au</strong>x candidats. Bien entendu, un des tribuns de la plèbe y opposa son veto et alors<br />

que ce dernier annonçait qu’il utilisait son droit de faire objection <strong>au</strong>x propositions<br />

sénatoriales, Cicéron, à l’<strong>au</strong>tre bout de la salle, se leva, rendu furieux par cette ultime bravade,<br />

prononça à l’encontre des deux candidats un discours improvisé d’une telle violence qu’<strong>au</strong>cun<br />

des sénateurs les soutenant n’osa faire objection. La haine entre l’Arpinate et la marionnette<br />

de Crassus avait atteint son point culminant.<br />

Le 29 juillet 64, Cicéron fut élu par les comices à une très forte majorité 3 . Il fut suivi de peu<br />

par Antonius. La grosse surprise étant évidemment l’éviction de Catilina qui devrait, <strong>au</strong><br />

minimum, attendre une année supplémentaire. Les candidats optimates ayant été recalés, ces<br />

derniers furent forcés de s’allier avec Cicéron pour faire obstacle à « tous ceux qui ne rêvaient<br />

que de bouleverser la République 4 ». Un dur coup pour les nobles, en effet : « Jusque-là en<br />

effet, la noblesse, en général, était dévorée de jalousie, et <strong>au</strong>rait considéré le consulat comme<br />

pollué par l’élection d’un homme nouve<strong>au</strong>, si distingué qu’il fut. 5 »<br />

1 Salluste, De la conjuration de Catilina, V.<br />

2 Asconius, Commentaire à des discours de Cicéron, CLX.<br />

3 Grimal parle de 35 centuries, or les comices centuriates qui élisaient les consuls en comptaient 193. Ce sont les<br />

comices tributes, qui votaient les lois et élisaient les tribuns de la plèbe qui étaient divisées en 35 tribus. Il est<br />

probable que ce soit une f<strong>au</strong>te de l’<strong>au</strong>teur car je n’ai remarqué dans mes lectures, <strong>au</strong>cun signe de changement<br />

majeur de la procédure électorale <strong>au</strong> 1 er siècle avant JC.<br />

4 Grimal, Cicéron, p.136<br />

5 Salluste, De la conjuration de Catilina, XXIII.<br />

13


Cicéron contre les Triumvirs<br />

L’année 63 s’annonçait d’ailleurs particulièrement difficile. Les deux tribuns de la plèbe<br />

sortants ayant bien l’intention de ranimer les troubles. Or comme Cicéron se trouvait être le<br />

consul le mieux élu, il devait assumer la gestion des affaires courantes durant les mois impairs<br />

et notamment en janvier. Durant six longs mois, les deux tribuns vont tenter par tous les<br />

moyens de saper le pouvoir du Sénat et des consuls. Quand ils furent enfin mis en échec, le<br />

temps des élections consulaires était déjà arrivé.<br />

Malheureusement pour Catilina, les comices l’écartèrent une nouvelle fois du pouvoir. Il<br />

décida alors de prendre par la force ce qu’il n’avait pu obtenir par les urnes. Réunissant <strong>au</strong>tour<br />

de lui <strong>au</strong>ssi bien ses amis, des jeunes gens ambitieux, des désœuvrés, des grands propriétaires<br />

endettés, des déclassés, des malfaiteurs, des déb<strong>au</strong>chés et des assassins ; de fait, « tous ceux<br />

qui avaient quelque chose à reprocher à l’ordre établi 1 », il prépara une insurrection dans la<br />

ville et en même temps envoya des hommes recruter des soldats en Campanie et en Toscane<br />

où s’étaient installés les vétérans de Sylla, dans le but de former une armée pouvant marcher<br />

sur la Ville en cas de coup dur.<br />

Alors que les agents de l’insurrection parcouraient villes et campagnes afin d’<strong>au</strong>gmenter le<br />

nombre de leurs partisans, le destin prit parti pour le consul par l’entremise d’une maîtresse de<br />

l’un des conjurés Q. Curius, une certaine Fluvie. En effet ce dernier, par excès de vanité,<br />

révéla le complot à sa bien-aimée. Celle-ci courut séance tenante chez Cicéron pour l’en<br />

informer. L’orateur convoqua <strong>au</strong>ssitôt le Sénat et l’avertit de la menace. Mais les sénateurs<br />

doutèrent de la véracité de ses dires. Coïncidence, ce fut ce jour-là que naquit le futur<br />

empereur <strong>Auguste</strong>.<br />

Le Sénat ne bougeant pas et Antonius alors en charge des affaires courantes, ne lui faisant<br />

point obstacle, Catilina se décida à déclancher la rébellion. Heureusement pour la République,<br />

il prit <strong>au</strong>paravant l’initiative d’avertir quelques uns de ses amis qui, n’étant pas encore <strong>au</strong><br />

courant de ses plans, risquaient de se trouver à Rome quand <strong>au</strong>raient lieu les massacres. Il<br />

prévint notamment Crassus qui, avec plusieurs <strong>au</strong>tres, avertit Cicéron lui fournissant cette fois<br />

la preuve écrite du complot. Aux premières lueurs de l’<strong>au</strong>be celui-ci réunit le Sénat et, lui<br />

montrant le critérium formel de la conspiration, l’enjoignit d’agir <strong>au</strong> plus vite. Au même<br />

moment un messager s’annonça <strong>au</strong>x Pères ; il leur dit qu’il venait d’Etrurie ou des troubles<br />

sérieux viennent d’éclater. Il est possible que César soit à l’origine de ce message 2 . Ainsi<br />

Crassus, comme César, pourtant farouches opposants du pouvoir en place, répugnant à<br />

renverser la République par le sang et les armes, se mettaient en travers de la route d’un<br />

Catilina qui avait manifestement perdu tout sens des réalités en même temps que ses valeurs<br />

romaines. Le vingt-deux octobre Cicéron obtint le senatus consultum ultimum, il avait<br />

désormais le devoir de défendre la République par tous les moyens. Aussitôt il entra en action,<br />

envoyant des armées stopper la progression des troupes rebelles en Italie et, dans le même<br />

temps, faisant avorter la tentative de soulèvement des gladiateurs de Capoue fomentée par les<br />

conjurés.<br />

1 Mourier, Cicéron avocat de la République, p.63.<br />

2 Grimal, Cicéron, p. 155, 156.<br />

14


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Parallèlement, des sénateurs attaquèrent Catilina en justice. Ce dernier s’en sortit de justesse,<br />

mais il se sut découvert et décida de quitter la ville pour rejoindre son armée. Réunissant les<br />

conjurés, il les avertit de son départ mais <strong>au</strong>paravant décida d’envoyer des émissaires<br />

assassiner le consul qui avait jusque là mit ses plans en échec. « Les rôles avaient été, dit-on,<br />

distribués comme suit : Statilius et Gabinius avec une forte troupe incendieraient<br />

simultanément douze quartiers de Rome… Céthégus assiégerait la porte de Cicéron, et<br />

attaquerait le consul à main armée ; les <strong>au</strong>tres avaient chacun leur victime désignée… 1 »<br />

Heureusement prévenu, Cicéron en réchappe. Ce dernier réunit une nouvelle fois le Sénat et<br />

récite sa première catilinaire<br />

« Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? Combien de temps encore<br />

serons-nous ainsi le jouet de ta fureur ? Où s'arrêteront les emportements de cette <strong>au</strong>dace<br />

effrénée ? Ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les postes répandus dans la<br />

ville, ni l'effroi du peuple, ni le concours de tous les bons citoyens, ni le choix, pour la<br />

réunion du Sénat, de ce lieu le plus sûr de tous, ni les regards ni le visage de ceux qui<br />

t'entourent, rien ne te déconcerte ? Tu ne sens pas que tes projets sont dévoilés ? Tu ne vois<br />

pas que ta conjuration reste impuissante, alors que nous en avons déjà tous le secret ?<br />

Penses-tu qu'un seul de nous ignore ce que tu as fait la nuit dernière et la nuit précédente, où<br />

tu es allé, quels hommes tu as réunis, quelles résolutions tu as prises ?<br />

O temps ! O moeurs ! Le Sénat connaît tous ces complots, le consul les voit ; et Catilina vit<br />

encore. Il vit ? Que dis-je ? Il vient <strong>au</strong> Sénat ; il prend part <strong>au</strong>x conseils de la République ;<br />

son oeil choisit et désigne tous ceux d'entre nous qu'il veut immoler. Et nous, hommes pleins<br />

de courage, nous croyons assez faire pour la République, si nous échappons à sa fureur et à<br />

ses poignards. Il y a longtemps, Catilina, que le consul <strong>au</strong>rait dû t'envoyer à la mort, et faire<br />

tomber sur ta tête le coup fatal dont tu menaces les nôtres. 2 »<br />

« La patrie, qui est notre mère commune, te hait; elle te craint; depuis longtemps elle a jugé<br />

les desseins parricides qui t'occupent tout entier. Eh quoi! Tu mépriseras son <strong>au</strong>torité sacrée !<br />

Tu te révolteras contre son jugement ! Tu braveras sa puissance! Je crois l'entendre en ce<br />

moment t'adresser la parole. "Catilina," semble-t-elle te dire, "depuis quelques années il ne<br />

s'est pas commis un forfait dont tu ne sois l'<strong>au</strong>teur, pas un scandale où tu n'aies pris part. Toi<br />

seul as eu le privilège d'égorger impunément les citoyens, de tyranniser et de piller les<br />

alliés… Tant d'outrages méritaient toute ma colère ; je les ai dévorés en silence. Mais être<br />

condamnée à de perpétuelles alarmes à c<strong>au</strong>se de toi seul… c'est un sort <strong>au</strong>quel je ne peux me<br />

soumettre. 3 » S’en suivit un violent affrontement verbal entre les deux hommes. Le consul eut<br />

finalement le dessus et Catilina quitta Rome sous les cris hostiles des sénateurs et de la foule.<br />

Le seize décembre fut choisi comme jour du déclanchement de l’insurrection. Mais, une<br />

nouvelle fois, les conjurés firent preuve d’une étonnante naïveté et en informent des<br />

ambassadeurs Allobroges, qui étaient venus à Rome en mission diplomatique. Espérant<br />

pouvoir compter sur leur soutien ils leur promirent des avantages multiples en cas de succès.<br />

Pesant le pour et le contre, ceux-ci décidèrent qu’il était finalement plus avantageux d’avertir<br />

les consuls.<br />

1 Salluste, De la conjuration de Catilina, XLIII.<br />

2 Cicéron, Catilinaires, I, 1.<br />

3 Cicéron, Catilinaires, I, 7.<br />

15


Cicéron contre les Triumvirs<br />

« Cependant les Allobroges hésitèrent longtemps sur le parti à prendre. Ils mettaient en<br />

balance d’un côté leurs dettes, leur amour de la guerre, les grands avantages que laissait<br />

espérer la victoire ; de l’<strong>au</strong>tre, la supériorité des forces, l’absence de risques, et <strong>au</strong> lieu d’une<br />

espérance douteuse des récompenses assurées. Après mûres réflexions, ce fut la bonne<br />

Fortune de la République qui finit par l’emporter. 1 » Grâce à un plan astucieux 2 , ils purent<br />

remettre à Cicéron des lettres ou étaient mentionnés les noms des conjurés et tous les détails<br />

concernant le soulèvement. Cicéron les fait immédiatement arrêter. Puis, sortant de chez lui et<br />

montant sur les Rostres, il s’adressa <strong>au</strong> peuple lui révélant les dessous de l’affaire. Il avertit<br />

les citoyens de rentrer chez eux et de se préparer à des jours sombres. Enfin, réunissant le<br />

Sénat, il lui demanda ce qu’il convient de faire des prisonniers.<br />

César et Caton s’affrontèrent alors verbalement, le premier optant pour la clémence, le second<br />

pour la mort. Finalement la sévérité l’emporta et les conjurés furent exécutés, ceci contre<br />

l’avis du consul 3 . Pire : « Lorsque César sortit du Sénat, plusieurs des jeunes Romains<br />

qui servaient alors de gardes à Cicéron coururent sur lui l'épée nue à la main ; mais<br />

Curion le couvrit de sa toge, et lui donna le moyen de s'échapper. Cicéron lui-même,<br />

sur qui ces jeunes gens jetèrent les yeux, les arrêta, soit qu'il craignît le peuple, soit<br />

qu'il crût ce meurtre tout à fait injuste et contraire <strong>au</strong>x lois… Par la suite il fut blâmé<br />

de n'avoir pas saisi une occasion si favorable de se défaire de César, et d'avoir trop<br />

redouté l'affection singulière du peuple pour ce jeune Romain. 4 » La condamnation à<br />

mort des conjurés était pourtant contraire <strong>au</strong>x lois ancestrales de Rome qui interdisaient de<br />

verser, sans procès, le sang des citoyens sur le pomerium. Les adversaires de Cicéron<br />

l’attaqueront à maintes reprises sur ce point dans le futur. Mais pour l’instant ce dernier est<br />

porté en triomphe dans les rues par les citoyens, et le Sénat lui décerne le titre de père de la<br />

patrie, un des titres les plus honorifiques.<br />

En Etrurie, les troupes de la République livrèrent bataille contre l’armée de Catilina sur le<br />

champ de bataille de Pistoia. Ce dernier comprenant que la défaite était inéluctable, décida de<br />

mourir dans l’honneur et se jeta courageusement <strong>au</strong> milieu de la mêlée.<br />

Ainsi s’acheva le consulat de Cicéron. Ce dernier était alors <strong>au</strong> sommet de sa gloire. Meilleur<br />

avocat de la Ville, père de la patrie, l’avenir semblait plein de promesses. Et pourtant la<br />

République vivait là son dernier triomphe. En effet, « Il est vrai qu’il avait s<strong>au</strong>vé la<br />

République. Mais peut-être, ce soir-là, la République était morte puisqu’elle avait dépendu<br />

d’un seul homme. 5 »<br />

1 Salluste, De la conjuration de Catilina, XLII. / Ils furent en remerciement annexé par César.<br />

2 Ils se font en effet volontairement arrêter à la frontière par un émissaire des consuls qui trouva sur eux les<br />

promesses écrites des conjurés. Ils échappaient à tout soupçon tout en ayant marqué des points <strong>au</strong>près des<br />

<strong>au</strong>torités romaines.<br />

3 Plutarque, Vie de Cicéron, XXI.<br />

4 Plutarque, Vie de César, VIII.<br />

5 Cl<strong>au</strong>de Nicolet et Alain Michel, Cicéron, p.41.<br />

16


Cicéron contre les Triumvirs<br />

3. L’Apparition du Triumvirat<br />

Cicéron, du capitole à la roche Tarpéienne<br />

Après ce résumé, englobant les premières années de la vie de l’Arpinate, il me semble temps<br />

d’aborder le thème principal de ce travail.<br />

La situation à la fin du consulat de Cicéron<br />

Bien qu’en apparence les m<strong>au</strong>x qui rongeaient la République eussent été vaincus, la racine du<br />

mal n’avait pas été coupée par les actions des consuls de 63. En effet le déclin de l’ordre<br />

républicain n’était pas foncièrement attaché à des personnalités comme Catilina, Sylla ou<br />

Marius, bien que tous y eussent leur part de responsabilité. Non, ce sont les circonstances de<br />

l’époque (sur lesquelles nous nous sommes déjà longuement attardés) et les changements de<br />

mentalités qui ont permis à l’Empire de prendre la place de l’Etat « démocratique ». Car le<br />

bon fonctionnement de l’Etat romain, comme celui de toute démocratie, incombe à ses<br />

citoyens et, plus généralement, <strong>au</strong>x meilleurs d’entre eux, du moins l’espère-t-on ! Or si, <strong>au</strong>x<br />

temps anciens, les citoyens avaient, comme le répète Cicéron tout <strong>au</strong> long du De republica,<br />

préféré la grandeur de la cité à leur bien-être personnel, cette époque était révolue.<br />

De fait, <strong>au</strong> premier siècle avant JC. « Les grands personnages furent incapables d’accepter la<br />

vieille règle de la République, que chaque citoyen, quelque service qu’il eût rendu à l’Etat, de<br />

quelque gloire qu’il fût chargé, devait rentrer dans le rang 1 ».<br />

Alors que l’on se trouvait toujours durant la période où Cicéron exerçait sa magistrature, des<br />

attaques étaient déjà portées contre son consulat. Metellus Nepos, tribun de la plèbe, s’en était<br />

pris à l’orateur dès son entrée en fonction le 10 décembre 63, lui reprochant d’avoir fait<br />

exécuter des citoyens romains sans jugement, ce qui était interdit par la loi. Ce dernier,<br />

associé à César, demanda le rappel de Pompée pour « rétablir l’ordre » comptant bien obtenir<br />

un quelconque avantage lors du retour du grand général. « Cependant il se tramait des<br />

intrigues contre Cicéron ; on parlait mal de lui ; et des hommes mécontents de ce qu'il avait<br />

fait formaient le dessein de le perdre. À leur tête étaient César, Métellus et Bestia, désignés<br />

l'un préteur, et les deux <strong>au</strong>tres tribuns, pour l'année suivante… ils proposèrent une loi qui<br />

rappelait Pompée avec ses troupes, afin de détruire le pouvoir presque absolu de Cicéron. 2 »<br />

Mal lui en prit, car Cicéron réussit à convaincre les Pères que cette proposition n’avait pour<br />

but que de troubler l’ordre public et ces derniers punirent les deux f<strong>au</strong>tifs en les destituant de<br />

leur magistrature. César fut cependant assez vite pardonné, contrairement à Nepos qui partit<br />

rejoindre Pompée en Orient. On le voit, la politique romaine n’était pas sortie de ses troubles<br />

avec la disparition de Catilina et les ambitieux n’attendaient qu’un moment de relâchement<br />

des serviteurs de l’Etat pour prendre le pouvoir.<br />

1 Grimal, Cicéron, p. 165.<br />

2 Plutarque, Vie de Cicéron, XXIII.<br />

17


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Les meneurs du jeu politique<br />

Ce fut à cette période que l’on commença vraiment à distinguer deux hommes comme<br />

meneurs du jeu politique. Le premier, et le plus important, était Pompée qui avait pour lui ses<br />

succès militaires et sa réputation de serviteur de la République.Le second était Crassus,<br />

possédant une richesse à toute épreuve, de nombreux clients et qui dirigeait en grande partie<br />

les actions populaires en Ville. Enfin le dernier, et peut-être le moins influent à cette époque,<br />

était César qui bénéficiait d’une forte cote de popularité <strong>au</strong>près du peuple. Cicéron faisant<br />

dans l’immédiat face <strong>au</strong>x attaques des populares, se décida à envoyer une lettre à Pompée afin<br />

de forger une alliance qui, <strong>au</strong> vu du retour imminent de ce dernier, pourrait lui être bientôt<br />

d’une grande utilité. Lettre qui malheureusement n’est pas en notre possession. Nous savons<br />

néanmoins grâce à une lettre postérieure que Pompée refusa l’alliance. Au vu du ton assez<br />

orgueilleux que prenait Cicéron dans cette dernière, on peut imaginer que le refus de Pompée<br />

n’avait pas été étranger <strong>au</strong> peu de modestie de Cicéron quand il parlait de ses propres succès.<br />

Cicéron, n’ayant pu forger une entente concrète avec l’un des princip<strong>au</strong>x acteurs de<br />

l’échiquier politique, se rabattit sur des alliances avec des personnalités de second plan. Il se<br />

construisit ainsi petit à petit un véritable rése<strong>au</strong> d’amis qui, il l’espérait, serait décisif<br />

politiquement dans les années à venir. Certains insinuaient notamment qu’il avait conclu un<br />

pacte secret avec Antonius, son ancien collègue, qui stipulait que ce dernier devait verser à<br />

Cicéron une partie des sommes perçues par sa charge de propréteur en Macédoine 1 , province<br />

obtenue grâce <strong>au</strong> soutien de l’orateur, pour aider l’Arpinate à acheter sa nouvelle maison sur<br />

le Palatin ou du moins c’était le bruit que faisait courir le gouverneur de Macédoine 2 . Entre<br />

remboursement de prêt et association fr<strong>au</strong>duleuse les historiens hésitent. Je pencherais plutôt<br />

pour l’indulgence, du fait qu’un accord d’argent serait contraire à tous les préceptes <strong>au</strong>xquels<br />

nous avons vu Cicéron adhérer depuis sa plus tendre jeunesse ; de plus l’orateur écrivit à<br />

Atticus pour l’enjoindre d’aller marquer à son ancien collègue son<br />

mécontentement : « Antoine dit à qui veut l’entendre que dans les sommes d’argent qu’il lève<br />

il y a une part qui est pour moi, que j’ai envoyé un affranchi pour surveiller nos bénéfices<br />

communs. J’ai été vivement ému, quoique je n’en veuille rien croire ; mais il est certain que<br />

des bruits ont couru. Cherche, enquête, scrute à fond toute cette histoire 3 ».<br />

Ce fut à cette même époque que l’Arpinate maria sa fille adorée Tullia. S’agissait-il d’une<br />

tentative d’alliance avec une grande famille romaine ou d’une simple coïncidence ? Sachant<br />

que l’époux de Tullia naquit <strong>au</strong>x alentours de 88, la différence d’âge n’est pas un indice<br />

majeur 4 . Mais la date à laquelle elle fut fiancée à son futur époux, en décembre 67, nous ferait<br />

plutôt pencher pour la seconde possibilité. Quoi qu’il en soit, Pompée débarqua à Brindes à la<br />

fin de l’année 62 ayant, il semble, fait la paix avec Cicéron comme l’atteste une lettre à<br />

Atticus datée du premier janvier 61 5 . Le général était <strong>au</strong> sommet de sa gloire. Acclamé par le<br />

peuple en tant que vainqueur de Mithridate et conquérant de l’Asie, il était vu par la majorité<br />

du Sénat comme une personne intègre, sage et qui n’avait pas abusé des pouvoirs<br />

extraordinaires qu’on lui avait confiés pour satisfaire sa gloire personnelle 6 .<br />

1<br />

A cette époque la province de Macédoine englobait non seulement la Macédoine mais <strong>au</strong>ssi l’Epire et l’Achaïe.<br />

2<br />

Grimal, Cicéron, p. 170.<br />

3<br />

Cicéron, Correspondance, I, XVII à Atticus, 2 et XVIII à Atticus, 2.<br />

4 Tullia est née environ en 76.<br />

5 Cicéron, Correspondance, I, XVII à Atticus, 3.<br />

6 Nicolet et Michel, Cicéron, p. 33.<br />

18


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Il semblerait qu’à ce moment, Crassus et César étaient déjà associés dans la conquête du<br />

pouvoir. Sur tous les sujets politiques majeurs des dernières années, ils avaient fait c<strong>au</strong>se<br />

commune ; sans compter la somme énorme de 25'000'000 sesterces que devait César à<br />

Crassus 1 , ce qui faisait que ce dernier « avait désormais le plus grand intérêt à ce que la<br />

carrière de César suive un cours heureux 2 ». Mais même si ensemble ils disposaient de<br />

nombreux atouts, ils ne seraient pas en mesure de rivaliser avec une association des grands<br />

sénateurs -Cicéron, Caton- et de Pompée si elle se concrétisait. Ils allaient donc tenter de se<br />

rallier le vainqueur de Mithridate le plus tôt possible après son arrivée en Italie. Il semblerait<br />

également que celui que l’on surnommait Magnus n’avait pas be<strong>au</strong>coup hésité avant de<br />

répondre positivement à leur offre. Il est certain qu’il commit là une grande erreur. Car, à<br />

cette époque, il était incontestablement le plus influent des trois conjurés et n’avait pas un<br />

<strong>au</strong>ssi grand bénéfice à tirer de cette alliance que ses deux compères. Le général réfléchit ici<br />

plus comme un militaire que comme un politicien. Mais ce triumvirat naissant n’était encore<br />

qu’une idée dans la tête de ses futurs membres et <strong>au</strong>cune alliance officielle n’était en vigueur<br />

lorsque éclata l’affaire Clodius.<br />

L’affaire Clodius<br />

Durant la nuit du 3 <strong>au</strong> 4 décembre 62, alors que César était préteur, se produisit un événement<br />

qui allait mettre en ébullition la vie politique et mondaine à Rome. Lors de la fête de la Bonne<br />

Déesse, cérémonie exclusivement réservée <strong>au</strong>x femmes, P. Clodius Pulcher 3 , un jeune<br />

aristocrate ambitieux et habile démagogue qui avait fait partie des amis de Catilina, pénétra<br />

chez César déguisé en harpiste pour venir rencontrer discrètement la femme du maître de la<br />

maison qui était sa maîtresse. Malheureusement pour lui, il croisa dans les couloirs une<br />

suivante de la mère de César qui lui demanda son nom. L’inconscient répondit d’une voix<br />

grave qu’il cherchait une des femmes de Pompéia 4 qui se nommait Abra. La servante s’étant<br />

rendu compte qu’il s’agissait d’une voix masculine déclencha à grands cris une chasse à<br />

l’homme 5 et Clodius n’arriva à s’en sortir que par l’intervention providentielle d’une esclave 6 .<br />

« Tu as su, je crois, que P.Clodius fils d’Appius a été surpris déguisé en femme dans la<br />

maison de César, pendant qu’on offrait un sacrifice officiel et qu’il a pu se s<strong>au</strong>ver grâce à<br />

une petite esclave ; le scandale, on te l’a dit, est considérable 7 . »<br />

A Rome la nouvelle fit l’effet d’une bombe. Les sénateurs ultras –entendez les sénateurs les<br />

plus fervents défenseurs de la c<strong>au</strong>se patricienne- entendaient profiter un maximum de la<br />

situation pour écarter de la politique Clodius, qui risquait de devenir rapidement dangereux<br />

pour leur c<strong>au</strong>se. Le Sénat consulta donc les vestales et les pontifes qui déclarèrent qu’il y avait<br />

bien eu sacrilège. Après mains rebondissements, Clodius fut traduit en justice et personne ne<br />

doutait de sa condamnation prochaine.<br />

1 En faisant des recherches j’ai établi que la valeur d’un sesterce à cette époque était d’environ quatre francs<br />

suisses. Ce qui donne une idée de l’énormité de la dette de César. Pour faire une comparaison d’époque la<br />

nouvelle maison de Cicéron située <strong>au</strong> milieu du quartier aristocratique lui coûta 3'500'000 sesterces.<br />

2 Grimal, Cicéron, p. 177.<br />

3 Pulcher signifie be<strong>au</strong> en latin, on peut donc imaginer que Clodius n’était pas une personne particulièrement<br />

horrible.<br />

4 Pompéia est la femme de César.<br />

5 Plutarque, Vie de César, X.<br />

6 Plutarque, Vie de Cicéron, XXVIII.<br />

7 Cicéron, Correspondance, I, XVII à Atticus, 3.<br />

19


Cicéron contre les Triumvirs<br />

Mais il était soutenu par un grande majorité de la plèbe grâce à ses initiatives populistes et<br />

bénéficiait également de l’appui de Crassus et de son immense fortune et plus l’instruction du<br />

procès avançait moins le verdict semblait sûrement défini.<br />

La défense de Clodius se basait sur des témoignages selon lesquels, <strong>au</strong> moment où il était<br />

accusé d’avoir pénétré dans la maison de César, il se trouvait en réalité à Interamna en<br />

Ombrie. Malheureusement pour lui alors que le jury lui semblait acquis, Cicéron fut appelé à<br />

témoigner. Cicéron étant un ami du jeune politicien cela ne semblait pas poser problème.<br />

Mais <strong>au</strong> moment où le célèbre orateur déclara avoir vu le jeune politicien en Ville quelques<br />

heures avant qu’il commît l’acte sacrilège la stupeur puis la rage s’empara des rangs des<br />

partisans du f<strong>au</strong>tif. La déclaration de l’Arpinate était accablante et le sort de Clodius semblait<br />

scellé alors que le verdict devait être rendu le lendemain. « Mais durant la nuit, les tractations<br />

se multiplièrent, on versa <strong>au</strong>x uns plus d’argent encore, à d’<strong>au</strong>tres on assura les faveurs de<br />

certaines dames et même de jeunes gens de bonne famille si bien que sur 56 juges dont se<br />

composait le tribunal 25 seulement votèrent pour la condamnation et 31 pour<br />

l’acquittement 1 . » Clodius à la sortie du tribunal se moqua du témoignage de Cicéron arguant<br />

que les juges n’y avaient pas ajouté foi. A quoi celui-ci répondit : « Au contraire, il y en a eu<br />

vingt-cinq qui m'ont cru, puisqu'ils vous ont condamné : et trente qui n'ont pas voulu vous<br />

croire, puisqu'ils ne vous ont absous qu'après avoir reçu votre argent 2 ».<br />

Le procès fut une étape majeure dans la carrière de Cicéron car Clodius ne lui pardonnera<br />

jamais son témoignage et désormais il ne cessera de le poursuivre de sa haine. Cicéron avait<br />

trouvé là un ennemi bien plus dangereux et puissant que Catilina. On peut donc se demander<br />

ce qui incita Cicéron à parler comme il le fit. En effet il <strong>au</strong>rait été bien plus simple pour lui de<br />

se ranger <strong>au</strong>x déclarations de Clodius ce qui, de plus, se serait avéré utile dans le futur et<br />

<strong>au</strong>rait semblé logique du point de vue politique. Lui-même assura à Atticus qu’il semblait de<br />

jour en jour plus enclin à pardonner à Clodius. « Moi-même, qui <strong>au</strong> début avais la rigueur<br />

d’un Lycurgue 3 , chaque jour je me radoucis 4 »<br />

Certains pensent que le choix de Cicéron fut motivé par le désir de se distinguer dans un<br />

procès qui semblait gagné d’avance. D’<strong>au</strong>tres que c’est la jalousie de Terentia pour Clodia 5 ,<br />

sœur de Clodius, qui avait déclaré désirer devenir la femme de l’orateur, qui le fit agir d’une<br />

façon si contraire à ses intérêts 6 . Cela peut paraître pertinent car on ne doute pas que Terentia<br />

possédait des arguments percutants pour influencer ainsi le s<strong>au</strong>veur de la République. Enfin<br />

une dernière piste voudrait que l’Arpinate, qui n’avait jamais be<strong>au</strong>coup apprécié les anciens<br />

amis de Catilina, ait voulu porter un rude coup à celui qui se profilait déjà comme l’héritier du<br />

conspirateur et des marianistes les plus extrémistes. C’est, pour ma part, la raison que je juge<br />

comme étant la plus logique <strong>au</strong> vu des actes antérieurs de Cicéron. Nous ne s<strong>au</strong>rons cependant<br />

jamais la réponse exacte, ce dernier n’en parlant ni dans ses lettres, ni dans ses ouvrages<br />

postérieurs.<br />

1 Grimal, Cicéron, p. 175.<br />

2 Plutarque, Vie de Cicéron, XIX.<br />

3 Spartiate ayant rédigé les lois particulièrement dures qui réglèrent la vie de ses concitoyens pendant les années<br />

d’or de la Grèce et jusqu’à la disparition de la cité antique.<br />

4 Cicéron, Correspondance, I, XIX à Atticus, 3.<br />

5 La célèbre Lesbia tant chantée par Catulle dans ses Poèmes et qui l’abandonna après s’être servie de lui<br />

6 Plutarque, Vie de Cicéron, XIX.<br />

20


Cicéron contre les triumvirs<br />

Du moins savons-nous que César, mis en situation délicate par l’affaire s’en tira pour sa part<br />

en répudiant sa femme, arguant que même si elle n’avait point été convaincue d’adultère : « la<br />

femme de César devait être exempte, non seulement de toute action criminelle, mais encore de<br />

tout soupçon 1 ».<br />

La décision de l’Arpinate<br />

Quoi qu’il en soit, l’affaire avait une nouvelle fois séparé la Ville en deux camps. Or il n’était<br />

rien que Cicéron ne redoutait plus ; le démembrement de la Cité lui remémorant les terribles<br />

affrontements fratricides du début du siècle. Il accentua donc sa recherche d’alliés potentiels,<br />

misant surtout sur les boni, dont nous avons déjà parlé, pour former un troisième parti qui<br />

serait chargé de ramener le calme dans l’Urbs et de réunir la cité divisée. Cicéron possédait<br />

déjà un fort soutien du côté des sénateurs et, comme lui-même symbolisait la possibilité pour<br />

les chevaliers de gagner les plus h<strong>au</strong>tes fonctions de l’ordre social, il jouissait d’un appui<br />

particulier de leur part. La foule, elle <strong>au</strong>ssi, ne lui était point hostile. Il lui restait cependant à<br />

se concilier les puissants et, si possible, les plébéiens.<br />

Durant un court laps de temps, Cicéron crut avoir réussi. Mais il allait vite devoir déchanter.<br />

Le triumvirat, qui en cette fin de l’année 60 était désormais officieusement constitué, avec<br />

pour premier but l’élection de César <strong>au</strong> consulat lors des prochaines comices, s’était rendu<br />

compte que Cicéron ne serait pas un ennemi facile à abattre. Aussi les triumvirs allaient-ils<br />

tenter de se le rallier avec l’idée de former une « tétrarchie ». César envoya donc l’un de ses<br />

amis, Cornelius Balbus, offrir à Cicéron la proposition d’alliance des puissants. Son offre dit<br />

explicitement qu’à eux quatre ils seraient les maîtres de la République et qu’ils pourraient se<br />

dispenser de la permission du Sénat pour établir les réformes qui leur semblaient nécessaires<br />

dans tous les domaines de l’Etat 2 .<br />

Cicéron réfléchit longuement à cette proposition et finalement en accord avec les vers du<br />

poème sur son consulat qui l’exhortaient à ne pas dévier de la voie qu’il avait choisie « que<br />

les armes cèdent à la toge, que le l<strong>au</strong>rier s’efface devant l’estime 3 » et se remémorant tout ce<br />

qu’il avait déjà accompli pour la République 4 , répondit à César qu’il refusait de s’associer à<br />

un projet qui lui apparaissait comme contraire <strong>au</strong>x intérêts de l’Etat sinon illégal. Dès lors il<br />

était devint un obstacle pour les triumvirs qui décidèrent de se débarrasser de lui par tous les<br />

moyens y compris les plus infâmes.<br />

Le consulat de César<br />

Vers le milieu de l’année 60, le retour de Pompée en Italie avait commencé à poser problème.<br />

En effet, les milliers de vétérans qu’il avait ramenés exigeaient de recevoir des terres en<br />

échange de leurs services. Pompée se tourna donc vers le Sénat. Un de ses amis, tribun de la<br />

plèbe, L. Flavius, présenta une loi <strong>au</strong>x Pères. Celle-ci proposait que les terres du domaine<br />

public qui étaient alors « empruntées » par de riches propriétaires, et d’<strong>au</strong>tres lots qui seraient<br />

achetés avec une partie du butin des guerres en Asie, fussent distribuées <strong>au</strong>x soldats ayant<br />

accompli fidèlement leur devoir et <strong>au</strong>x plus p<strong>au</strong>vres d’entre tous les citoyens.<br />

1 Ibidem, XIX.<br />

2 Grimal, Cicéron, p. 185.<br />

3 Cicéron, Sur son consulat, Chant 3, la plus grande partie du poème étant perdue on ne peut situer exactement le<br />

passage<br />

4 Grimal, Cicéron, p. 185.<br />

21


Cicéron contre les triumvirs<br />

Cette loi, qui n’était pourtant pas <strong>au</strong>ssi populiste que celle des Gracques, rencontra une forte<br />

opposition <strong>au</strong> Sénat et surtout <strong>au</strong>près des ultras qui soupçonnèrent Pompée de vouloir se<br />

rendre populaire <strong>au</strong>près du peuple et de désirer accroître son pouvoir, ce qui, si l’on s’en<br />

remet à Cicéron 1 , était une crainte infondée.<br />

Entre le triumvirat sur le point d’être formé 2 et qui s’acharnait à faire passer la proposition de<br />

Flavius, et le Sénat qui voulait à tout prix qu’elle fût rejetée, Cicéron était dans une situation<br />

difficile. Ne pouvant choisir un parti ni rester neutre, ce qui eut été la pire des solutions, car<br />

cela <strong>au</strong>rait déclanché l’ire des deux camps à son égard, Cicéron adopta une position floue. Il<br />

s’en expliqua cependant à Atticus. « Pour la situation intérieure, elle est la suivante. Flavius,<br />

tribun de la plèbe, se démène pour faire passer une loi agraire dont Pompée est<br />

l’inspirateur ; elle n’a rien qui plaise à l’opinion populaire, à part la personnalité de celui<br />

qui l’a inspirée… le seul article de loi que je ne rejette pas, c’est celui qui prévoit l’achat de<br />

terres à l’aide du supplément de revenu qu’on retirera, pendant une période de cinq ans, des<br />

nouve<strong>au</strong>x états tributaires. Le Sénat est hostile à l’ensemble de la loi, parce qu’il soupçonne<br />

Pompée d’y chercher quelque nouvel accroissement de puissance. Quand à Pompée, il veut<br />

que la loi aboutisse, il y met de l’acharnement. 3 »<br />

Conformément <strong>au</strong>x plans des triumvirs, César fut élu consul pour l’année 59 avec pour<br />

« second » Bibulus, un sénateur ultra, lié d’amitié avec Caton. Dès son entrée en charge il<br />

présenta deux lois agraires qui étaient, cette fois-ci, de nature très populiste. « Il était à peine<br />

entré en exercice de sa charge, qu'il publia des lois dignes, non d'un consul, mais du<br />

tribun le plus <strong>au</strong>dacieux. Il proposa, par le seul motif de plaire <strong>au</strong> peuple, des<br />

partages de terres et des distributions de blé. Les premiers et les plus honnêtes d'entre<br />

les sénateurs s'élevèrent contre ces lois ; et César, qui depuis longtemps ne cherchait<br />

qu'un prétexte pour se déclarer, protesta h<strong>au</strong>tement qu'on le poussait malgré lui vers<br />

le peuple. 4 » L’illustre Bibulus qui était farouchement opposé <strong>au</strong>x initiatives de son<br />

collègue, lui interdit de sortir de chez lui durant les mois où lui-même était à la tête du<br />

gouvernement. César, avec l’appui des deux <strong>au</strong>tres triumvirs, passa outre l’interdiction. Le<br />

second consul, voyant cela, se précipita sur le forum pour se plaindre et manqua de s’y faire<br />

tuer. Dès lors, renonçant à la lutte, il accepta la domination du triumvir et ne sortit plus guère<br />

de chez lui jusqu’à la fin de son mandat 5 .<br />

Ce dernier, après avoir fait passer ses propositions de lois, décida d’un commun accord avec<br />

Pompée et Crassus de commencer à agir contre Cicéron. Ils entreprirent de s’attaquer en<br />

premier à ses collègues et à ses amis. Le premier visé fut Antonius qui, revenu de son<br />

proconsulat en Macédoine, se fit intenter un procès pour concussion qu’il perdit malgré une<br />

défense assurée par l’Arpinate. Vint ensuite le tour de L.Valerius Flaccus accusé de<br />

concussion en vertu d’une loi venant d’être promulguée par César. C’était l’un des meilleurs<br />

alliés de l’avocat et un grand défenseur de la République 6 . Heureusement pour ce dernier<br />

l’orateur et Hortensius arrivèrent à le tirer d’affaire. Cicéron, se sachant visé, décida, en avril,<br />

de s’éclipser de la politique pour une durée indéterminée. Cet otium volontaire ne dura que<br />

quatre mois, le consul de 63 ne pouvant rester trop longtemps éloigné de l’échiquier politique.<br />

1<br />

Cicéron, Correspondance, I, XXV à Atticus, 4.<br />

2<br />

Le mois retenu par les historiens pour la création du premier triumvirat est juin 60.<br />

3<br />

Cicéron, Correspondance, I, XXV à Atticus, 4.<br />

4<br />

Plutarque, Vie de César, XIV.<br />

5<br />

Dion Cassius, XXXVIII, 6. // Plutarque, Vie de César, XIV.<br />

6<br />

Il avait notamment aidé Cicéron dans l’affaire des Allobroges lors de la conjuration de Catilina.<br />

22


Cicéron contre les triumvirs<br />

Cicéron n’avait pas attendu pour répondre <strong>au</strong>x attaques des puissants. Dans son plaidoyer en<br />

faveur d’Antonius il s’était livré à une violente attaque contre la politique de César. Lequel<br />

avait, à charge de revanche, permis l’adoption de Clodius par des plébéiens, ce qui permettait<br />

désormais à ce dernier d’être élu tribun de la plèbe. La manœuvre était rusée car non<br />

seulement Clodius n’allait pas manquer de s’en prendre à Cicéron et à Caton qui résistaient<br />

toujours <strong>au</strong>x triumvirs, mais il pourrait également protéger César des attaques contre son<br />

consulat qui fuseraient certainement dès qu’il <strong>au</strong>rait rendu sa charge.<br />

Nous possédons une lettre de Cicéron datant de juillet 59 dans laquelle il exprimait<br />

particulièrement clairement son avis sur les changements politiques à Rome depuis que les<br />

triumvirs avaient pris le pouvoir : « Pourquoi te décrire par le menu la situation politique ?<br />

Tout est perdu, et la condition où se trouve la République est plus misérable encore que celle<br />

où tu l’as laissée : car alors on la voyait soumise à une tyrannie qui était capable de plaire à<br />

la masse, et qui, tout en étant pénible <strong>au</strong>x bons citoyens, n’était cependant pas de nature à<br />

c<strong>au</strong>ser leur perte ; <strong>au</strong>jourd’hui, cette tyrannie est devenue soudain si odieuse à tous, qu’on<br />

frémit en se demandant quels éclats elle nous prépare. Nous avons pu voir combien ces genslà<br />

sont irascibles et emportés : parce que Caton les avait irrités, ils ont ruiné tout l’ordre<br />

légal. 1 »<br />

Le triumvirat confisque le pouvoir<br />

Cependant l’année 59 touchait à sa fin. Les triumvirs avaient déjà pris leurs dispositions pour<br />

l’année suivante : leurs candidats avaient été élus consuls, ils détenaient des tribuns de la<br />

plèbe acquis à leur c<strong>au</strong>se et César avait réussi à obtenir les deux G<strong>au</strong>les 2 pour cinq ans comme<br />

provinces proconsulaires et comptait bien y déclencher de grandes opérations militaires.<br />

En effet, les Helvètes avaient quitté leurs terres d’origine sans cesse menacées par les<br />

Germains, et se dirigeaient vers l’ouest. Ils avaient notamment battu les Eduens, alliés des<br />

Romains, et semé un grand trouble dans la province romaine de G<strong>au</strong>le narbonnaise. Afin,<br />

officiellement, d’aller <strong>au</strong> secours des alliés de Rome et, officieusement, de lancer une vaste<br />

conquête, César rassemblait une grande armée sur le champ de Mars. Anecdote fort<br />

intéressante, les légats qui étaient chargés d’accompagner César furent tirés <strong>au</strong> sort par le<br />

Sénat. Or si Grimal nous dit que le nom de Cicéron fut tiré <strong>au</strong> sort en premier et que les<br />

sénateurs s’opposèrent à son départ 3 , Plutarque, <strong>au</strong> contraire, explique que Cicéron ayant<br />

compris la menace que représentait Clodius demanda à César la permission de l’accompagner.<br />

César accepta avec joie, et ce fut Clodius qui, rassurant l’Arpinate sur ses intentions, réussit à<br />

garder celui-ci à Rome où il pourrait lui porter un coup fatal 4 . « Clodius voyant que Cicéron<br />

allait échapper à son tribunal, feignit de vouloir se réconcilier avec lui : et, rejetant sur<br />

Terentia tous les sujets de plainte que Cicéron lui avait donnés, il ne parla plus de lui que<br />

dans les termes les plus honnêtes et les plus doux. Il protestait qu'il n'avait contre lui <strong>au</strong>cun<br />

sentiment de haine, et qu'il ne s'en plaignait qu'avec la modération qu'on doit à un ami. 5 »<br />

L’historien grec écrivit également que ce fut à c<strong>au</strong>se de ce refus de l’orateur que César aida<br />

Clodius dans sa haine de Cicéron,<br />

1 Cicéron, Correspondance, XLVIII à Atticus, 1.<br />

2 Narbonnaise et transalpine<br />

3 Grimal, Cicéron, p. 191.<br />

4 Plutarque, Vie de Cicéron, XXX.<br />

5 Ibidem, XXX.<br />

23


Cicéron contre les triumvirs<br />

Clodius, dès son élection en décembre 59, commença à créer des troubles <strong>au</strong> Sénat et sur le<br />

forum. Ceux qui n’acceptaient pas ses initiatives étaient pris à parti dans les rues par ses<br />

bandes armées et finissaient le plus souvent par plier l’échine. Le tribun promulgua des lois<br />

pénalisant les ennemis des triumvirs. Il s’assura également d’éloigner Caton en l’envoyant en<br />

mission à Chypre. Ensuite, malgré la promesse qu’il avait faite à Pompée de ne pas attaquer<br />

de front l’Arpinate, il déposa fin février une ordonnance « sur la tête des citoyens » qui<br />

condamnait, certes pas encore nominativement, bien que tout le monde sût de quoi il<br />

retournait, les exécutions des conjurés à la fin du consulat de l’orateur.<br />

« There was no need to mention names. Everyone knew its target. With this deft push, Cicero<br />

was sent slithering and slipping towards the brink 1 » Ce dernier, bouleversé, abandonna, geste<br />

symbolique, son habit de sénateur pour son habit de chevalier. Dès cet instant, tous les boni,<br />

sénateurs, chevaliers comme hommes du peuple se précipitèrent chez les consuls pour leur<br />

demander de faire obstacle à Clodius. En effet, ces derniers étaient seuls à pouvoir demander<br />

le vote par le Sénat de la proposition de Clodius, vote durant lequel les amis tribuns de<br />

Cicéron pourraient faire usage de leur veto. Mais les marionnettes des triumvirs se gardèrent<br />

bien d’intervenir et allèrent même jusqu’à interdire <strong>au</strong>x sénateurs de porter l’habit de deuil,<br />

comme ceux-ci l’avaient décidé afin de faire part de leur mécontentement à tous les citoyens.<br />

« Clodius étant venu assiéger le lieu du conseil avec ses satellites armés, la plupart des<br />

sénateurs sortirent en poussant de grands cris, et déchirant leurs robes. Un spectacle si triste<br />

n'excitant ni la compassion ni la honte de ces scélérats 2 ».<br />

Tels étaient les hommes qui étaient chargés de diriger la République. Des hommes <strong>au</strong> mieux<br />

incompétents et lâches, <strong>au</strong> pire nuisibles. Comment <strong>au</strong>raient-ils pu servir les intérêts des<br />

citoyens ? Une fois de plus les troubles s’emparèrent de la Cité.<br />

L’élimination de la résistance<br />

Parmi les triumvirs, il en était deux qui soutenaient plus ou moins ouvertement la loi de<br />

Clodius. Quand <strong>au</strong> dernier, Pompée, il tergiversait, réconfortant Cicéron en lui promettant<br />

d’agir <strong>au</strong>près de Clodius, puis fuyant par la porte de derrière quand celui-ci vint lui demander<br />

de l’aide. « Il implora le secours de Pompée, qui s'était éloigné à dessein, et se tenait à la<br />

campagne, dans sa maison d'Albe… Mais, prévenu de son arrivée, Pompée n'osa soutenir sa<br />

vue… et étant sorti par une porte de derrière, il évita cette entrevue. 3 » Les triumvirs, s’ils ne<br />

furent pas officiellement impliqués dans les manœuvres contre Cicéron, laissèrent de fait toute<br />

liberté à Clodius pour persécuter son ennemi et effrayer le Sénat.<br />

Les bandes que Clodius avait commencé à recruter quelques années <strong>au</strong>paravant, composées<br />

de désoeuvrés et de bandits de toutes sortes s’attaquaient à quiconque ne partageait pas les<br />

vues de leur chef sur les affaires récentes. Jusqu’<strong>au</strong> 12 mars, jour où la loi fut votée, elle firent<br />

de Cicéron leur cible préférée. Il ne se passa pas un jour sans que l’orateur ou sa femme ne<br />

fussent pris à parti par des moqueries ou des jets de pierres. « Clodius’ gangs dogged him,<br />

hurling abuse, stones and shit. Hortensius, trying to rally to his old rival’s support, was<br />

cornered and almost lynched 4 ».<br />

1 Tom Holland, Rubicon, p. 239.<br />

2 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXI.<br />

3 Ibidem, XXXI.<br />

4 Holland, Rubicon, p. 239.<br />

24


Cicéron contre les triumvirs<br />

Finalement, alors qu’il se rendait une fois de plus chez les consuls pour implorer leur soutien,<br />

ceux-ci lui conseillèrent de quitter Rome, lui affirmant que la loi n’avait <strong>au</strong>cune chance d’être<br />

repoussée. « Gabinius le traita toujours avec be<strong>au</strong>coup de dureté ; mais Pison, lui parlant<br />

avec douceur, lui conseilla de se retirer, de céder pour quelque temps à la fougue de Clodius,<br />

de supporter patiemment ce revers de fortune, et d'être une seconde fois le s<strong>au</strong>veur de sa<br />

patrie, qui se trouvait, à son occasion, agitée de séditions et menacée des plus grands<br />

m<strong>au</strong>x 1 ».<br />

On voit cependant que le principal intéressé avait un avis différent sur la question : « Te<br />

souviens-tu, âme de boue, que le jour où j’allai te trouver, tu sortais alors de je ne sais quelle<br />

taverne, la tête couverte et en sandales ; que nous ayant exhalé les vapeurs infectes et de ta<br />

bouche et de ton estomac, tu t’excusas sur une indisposition qui t’obligeait, disais-tu, de te<br />

purger avec des remèdes où il entrait du vin ? Après avoir reçu cette excuse, car enfin que<br />

pouvions-nous faire ? Nous restâmes quelque temps exposés à l’odeur et <strong>au</strong>x fumées de ta<br />

crapule, jusqu’à ce que l’insolence de tes réponses, <strong>au</strong>tant que les exhalaisons de ton<br />

intempérance, nous forçassent de quitter la place 2 ». Enfin, pour ne pas faire subir à la<br />

République une guerre civile entre ses partisans et ceux de Clodius, Cicéron décida de se<br />

retirer.<br />

Il séjourna d’abord dans ses villas en Italie, espérant encore que la loi de César rendant<br />

possible l’adoption de Clodius fût déclarée caduque et que ce dernier verrait ainsi ses actes<br />

frappé d’annulation. Mais le 6 avril, ayant appris que le tribun allait faire promulguer une loi -<br />

Lex Cl<strong>au</strong>dia de exsilio Ciceronis- le déclarant officiellement privé d’e<strong>au</strong> et de feu 3 , le<br />

désespoir l’envahit. « Je sais que c’est un pénible voyage, mais dans le malheur qui me frappe<br />

il n’y a que des peines, toutes les peines possibles. Je ne puis t’en écrire d’avantage : j’ai le<br />

cœur brisé, je suis à bas. 4 » Il décida peu après de se suicider, et ce fut l’arrivée, in extremis,<br />

d’Atticus qui permit à l’histoire d’être ce qu’elle est.<br />

Ayant été renseigné du succès de la loi le jetant en exil, mais point informé sur son contenu<br />

exact, Cicéron décida de s’établir en Sicile. Malheureusement, alors qu’à son passage tous les<br />

citoyens lui témoignaient leur soutien, Caïus Virginus, préteur en Sicile, lui écrivit de ne pas<br />

venir demander refuge dans sa province. Quoi qu’il en fût, il apprit, alors qu’il était en<br />

chemin, que la loi de Clodius l’empêchait de résider à moins de 500 miles de l’Italie et que la<br />

Sicile était donc une destination qui lui était de toute façon interdite.<br />

Le 29 ème jour du mois d’avril 58 Cicéron débarqua en Grèce. Il était toujours <strong>au</strong>ssi déprimé<br />

car ni Atticus, ni Terentia n’avaient pu l’accompagner. En effet, la maison de Cicéron à Rome<br />

et plusieurs de ses villas avaient été pillées par les gens de Clodius. Et les proches de Cicéron<br />

étaient trop occupés à essayer de s<strong>au</strong>ver ce qu’ils pouvaient des biens de l’orateur. L’Arpinate<br />

mit tous ses espoirs dans sa femme et ses enfants qui étaient désormais sont seul réconfort.<br />

« C’est vrai, je vous écris moins souvent que je ne le pourrais : c’est qu’il n’est pas une heure<br />

de ma vie qui ne soit misérable ; et puis, quand je vous écris ou que je lis vos lettres, j’entre<br />

dans des crises de larmes à ne plus pouvoir tenir… Je veux te voir, ma chère âme, le plus tôt<br />

possible et achever de mourir dans tes bras…<br />

1 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXI.<br />

2 Cicéron, Contre Pison, VI.<br />

3 Etre privé d’e<strong>au</strong> et de feu revient, à Rome, à être proscrit, le condamné perd tous ses droits civiques et on peut<br />

le tuer dans la rue sans risquer de poursuites judiciaires.<br />

4 Cicéron, Correspondance, II, LVIII à Atticus, 1.<br />

25


Cicéron contre les triumvirs<br />

Prends soin, <strong>au</strong>tant que possible, de ta santé, et crois bien que je suis plus sensible à ton<br />

malheur qu’<strong>au</strong> mien. Ma Terentia, la plus fidèle et la meilleure des épouses, et toi, ma fille,<br />

mon enfant chérie, et toi, Cicéron, le seul espoir qui me reste, adieu. 1 » On peine à imaginer<br />

la souffrance du grand orateur lorsqu’il tient de tels propos. Si toutes ses années de réflexion<br />

philosophique n’ont pas suffi à prévenir ce désespoir, c’est dire comme il est immense.<br />

Dans cette affaire, la chose la plus choquante est certainement la lâcheté dont le Sénat fit<br />

preuve en sacrifiant Cicéron pour maintenir le « calme ». Il refusa un affrontement direct avec<br />

Clodius qui <strong>au</strong>rait, certes, plongé la ville dans le chaos mais un chaos dont il <strong>au</strong>rait pu sortir<br />

vainqueur et par là même, rest<strong>au</strong>rer son <strong>au</strong>torité. Au lieu de cela, la toge plia devant les armes.<br />

Ce fut cette soumission face à la violence conduite en secret par les triumvirs qui fit chuter la<br />

République. Cette fois, le pouvoir réel avait définitivement quitté la curie.<br />

1 Cicéron, Correspondance, II, LXIII à sa femme et à ses enfants, 1, 6.<br />

26


Cicéron contre les triumvirs<br />

4. Le Triumvirat <strong>au</strong> Pouvoir<br />

L’exil, la soumission de Cicéron<br />

Clodius fait feu de tout bois<br />

Cicéron était désormais un proscrit. Les manœuvres de Clodius avaient parfaitement réussi et<br />

celui-ci ne put que se satisfaire du succès de sa vengeance qui, non seulement avait repoussé<br />

son ennemi mortel hors des frontière de l’Italie, mais mieux encore, avait fortement intimidé<br />

le Sénat. Sénat qui, sans Caton et Cicéron, semblait bien peu apte désormais à résister <strong>au</strong>x<br />

attaques des triumvirs. Mais le tribun ne put s’arrêter en si bon chemin et commença à<br />

rechercher d’<strong>au</strong>tres victimes.<br />

Il resta d’abord dans l’optique de ses premiers succès et s’en prit à Quintus Cicéron. Attaqué<br />

pour concussion, ce dernier s’en tira cependant sans dommage, son frère lui ayant prodigué,<br />

depuis son exil, de précieux conseils. « Malgré tout cela, je t’ai écrit comme j’ai pu, et j’ai<br />

remis une lettre pour toi à Philogone, ton affranchi : elle se sera, je pense, croisée avec la<br />

tienne. Je t’y adresse le même conseil, la même prière que mes esclaves t’on transmis<br />

oralement de ma part : que tu ailles à Rome en toute hâte. 1 » Rassuré sur son sort, Quintus,<br />

avec l’aide des nombreux amis chevaliers et sénateurs de l’orateur, commença à manœuvrer<br />

pour obtenir <strong>au</strong> plus vite le rappel de l’exilé.<br />

Clodius était parallèlement toujours en quête de bonnes affaires à réaliser que ce fût sur le dos<br />

de ses alliés ou mieux encore sur celui du Sénat. Or se trouvait alors à Rome un jeune prince<br />

arménien que Pompée avait capturé en Orient. Celui-ci était à la garde de L. Flavius préteur<br />

de son état. L’agitateur qui voyait moult façons de s’enrichir en Arménie invita l’hôte de<br />

Flavius à souper, et quand les convives et les gardiens du jeune prince furent suffisamment<br />

rassasiés et divertis pour ne plus porter attention <strong>au</strong> prisonnier le fit sortir par une porte<br />

dérobée et l’emmenant sur la plage toute proche lui fournit un navire et un équipage pour<br />

rentrer en Asie, espérant bien que le prince se souviendrait du service qu’il lui avait rendu<br />

dans le futur. Heureusement pour L. Flavius qui, prévenu, s’était lancé à la poursuite du<br />

fugitif, ce dernier subit une tempête et fut contraint d’accoster. Mais, alors que Flavius rentrait<br />

à Rome avec son prisonnier, sa caravane fut attaquée par les bandes de Clodius et le captif<br />

parvint à prendre la fuite. Pompée apprenant toute l’affaire entra dans une grande colère et<br />

afin de se venger, commença à manœuvrer dans le but de ramener d’exil le pire ennemi du<br />

tribun. Cicéron lui-même, apprenant les dessous de l’affaire, conseilla à ses partisans de se<br />

servir judicieusement du cas Tigrane, du nom du jeune prince oriental 2 . Quoiqu’il en soit, les<br />

partisans du consul avaient repris l’offensive des mains du tribun, désormais sur la défensive.<br />

Peu après le 27 juillet se produisit un événement si singulier qu’il mérite d’être cité : Clodius,<br />

qui pour mémoire avait été soutenu de tous temps par César et Crassus, et qui, on le sait, était<br />

un farouche opposant <strong>au</strong> Sénat, interrogea Bibulus, co-consul de César et sénateur ultra 3 .<br />

1 Cicéron, Correspondance, II, LXVI à Quintus, 4.<br />

2 Cicéron, Correspondance, II, LXIV à Atticus, 3.<br />

3 Grimal, Cicéron, p. 203.<br />

27


Cicéron contre les triumvirs<br />

Devant les Pères il affirma, poussé par les questions de Clodius, que César avait accompli<br />

tous ses actes consulaires sans tenir compte des présages défavorables. Certes cette<br />

déclaration n’avait <strong>au</strong>cune chance d’aboutir à l’annulation de tous les lois promulguées par<br />

César en 59, mais elle constituait néanmoins un dangereux précédent. Clodius avait-il été pris<br />

d’une folie soudaine pour attaquer ainsi l’un de ses princip<strong>au</strong>x soutiens ? Non, en fait il f<strong>au</strong>t<br />

savoir que César venait de donner à Pompée son accord à un rappel rapide de Cicéron.<br />

« Clodius recourait <strong>au</strong> chantage 1 ». Le tribun voulait montrer qu’il pouvait faire obstacle <strong>au</strong><br />

triumvir des G<strong>au</strong>les si ce dernier se mettait à s’opposer à ses vues personnelles à Rome.<br />

Clodius avait tout simplement oublié qui il était et qui détenait le pouvoir <strong>au</strong> sein de la<br />

République. Grave méprise ! En se mettant à dos les triumvirs l’agitateur avait tout à perdre.<br />

Et si seulement ce dernier s’en était tenu <strong>au</strong>x faits énoncé ci-dessus… Le tribun déclara<br />

quelques temps plus tard qu’il était prêt à tout faire pour ramener Cicéron de son exil, exil<br />

injustement prononcé par les triumvirs 2 . Bien entendu Clodius n’était pas sincère et il se garda<br />

bien de tout acte pouvant aboutir <strong>au</strong> rappel de l’Arpinate.<br />

Cependant le tribun allait aller plus loin encore. Comme Pompée, depuis l’affaire Tigrane, se<br />

surpassait pour lui nuire, il nourrissait envers ce dernier une grande rancœur. Le 11 août, alors<br />

que le général se rendait <strong>au</strong> Sénat un esclave maladroit laissa tomber un poignard sur le sol.<br />

Capturé, il révéla qu’il avait agi dans le but de tuer Pompée sur ordre de son maître…<br />

Clodius. Or le conquérant de l’Asie s’il ne craignait ni les Pirates, ni les Espagnols, ni les<br />

Parthes et encore moins les ex-sujets de Mithridate, avait une peur maladive des assassins. Il<br />

se réfugia donc dans sa villa et n’en sortit plus. Il f<strong>au</strong>t dire que cette dernière était assiégée par<br />

les gangs de Clodius qui prévoyaient de la piller, de la brûler et enfin de construire un <strong>au</strong>tel de<br />

la liberté à sa place afin que le propriétaire ne puisse reconstruire, méthode qui avait déjà été<br />

appliquée à la maison de Cicéron sur le Palatin. Et tandis que le triumvir était enfermé dans<br />

sa propre maison, les bandes de Clodius le diffamaient sur le forum en criant : « What’s the<br />

name of the sex-mad general ? Who touches the side of his head with his finger ? », et après<br />

un moment d’attente, « POMPEY ! 3 ». Ce dernier peu enclin à se laisser humilier en public,<br />

chargea un de ses amis politiciens Milon alors préteur, ainsi que « son » consul Gabinius de<br />

faire obstacle à l’agitateur. Ces derniers ayant recruté des gladiateurs et des anciens soldats du<br />

général formèrent des bandes armées bien mieux entraînées que les brigands de Clodius. Les<br />

combats firent rages dans la cité mais le tribun vit le champ d’action de ses bandes se réduire<br />

progressivement.<br />

Quoi qu’il en soit cette fois Clodius avait dépassé les bornes de ce que les puissants pouvaient<br />

accepter. En mettant en danger la stabilité du triumvirat, la crédibilité de César et la vie même<br />

de Pompée, il avait prouvé qu’il était incontrôlable ou du moins qu’on ne pouvait lui faire<br />

confiance. Pompée avec l’accord des deux <strong>au</strong>tres triumvirs décida donc de le remettre à sa<br />

place une bonne fois pour toute. Or quelle plus grosse défaite pour le tribun que le retour de<br />

son ennemi mortel qu’il avait mis tant d’efforts à exiler, quoi de pire pour cet agitateur que de<br />

voir la voix de la sagesse et de la loi revenir à Rome, quoi de plus insupportable pour lui que<br />

le retour de Cicéron. Pompée rejoignit donc le camp des défenseurs de l’Arpinate. Chevaliers,<br />

sénateurs, tribuns de la plèbe, tous étaient désormais prêts à lancer une grande offensive<br />

contre le « be<strong>au</strong> » pour obtenir le retour de leur champion.<br />

1 Ibidem, p. 203.<br />

2 Ibidem, p. 203.<br />

3 Holland, Rubicon, p. 251.<br />

28


Cicéron contre les triumvirs<br />

Le combat commença le 29 octobre lorsque huit des dix tribuns qui allaient entrer en fonction<br />

le 10 décembre demandèrent le rappel de l’exilé. Clodius cependant possédait encore son<br />

tribunat et avec lui son droit de veto. Aussi Pompée décida-t-il que stratégiquement il fallait<br />

mieux attendre janvier, l’entrée en fonction des nouve<strong>au</strong>x consuls et tribuns pour agir de<br />

manière sérieuse. Clodius n’étant plus alors qu’un simple citoyen, ce fut par la force qu’il dut<br />

s’opposer à la demande de rappel des partisans du célèbre orateur. Cette fois la violence fut<br />

telle que Quintus Cicéron faillit être tué et que le forum fut recouvert de sang 1 . Milon parvint<br />

cependant à chasser une nouvelle fois les gangs de l’ancien tribun du forum, mais trop tard.<br />

Malgré tout les exactions de l’agitateur avaient fini par retourner contre lui la majorité des<br />

citoyens romains et Milon put donc pour la première fois depuis l’affaire Pompéia tenter de<br />

traduire Clodius en justice. « Sous le consulat de Lentulus 2 , la sédition fut poussée si loin,<br />

qu'il y eut des tribuns du peuple blessés sur la place publique, et que Quintus, frère de<br />

Cicéron, fut laissé pour mort parmi be<strong>au</strong>coup d'<strong>au</strong>tres. Ces excès commencèrent à ramener le<br />

peuple 3 ». Pompée, changeant de tactique, appela alors à Rome les citoyens des <strong>au</strong>tres cités<br />

italiennes pour les votations de juillet, espérant bien qu’<strong>au</strong> vu de leur nombre et de leur<br />

soutien <strong>au</strong> consul de 63, elles parviendraient à rendre muets les partisans de Clodius en Ville.<br />

L’exil de l’arpinate<br />

Revenons cependant un peu en arrière afin de faire lumière sur ce qu’avait fait Cicéron durant<br />

les douze premiers mois de son exil. Les lettres de cette époque que nous possédons sont<br />

dédiées à sa famille qui, disait-il, était son principal soutien dans son malheur, et à Atticus et<br />

Quintus qui luttaient pour annuler la loi de Clodius. Il prenait régulièrement des nouvelles des<br />

progrès de leur combat espérant pouvoir revenir à Rome avant la fin de l’année.<br />

L’orateur avait en premier lieu pensé à se réfugier à Athènes cité de la philosophie et<br />

également une des deux principales cités de la rhétorique 4 . Mais primo la ville était remplie<br />

d’anciens camarades et partisans de Catilina qui ne portaient pas particulièrement le consul de<br />

63 dans leur cœur. Et secundo la cité était située à moins de 400 miles de l’Italie ce<br />

qu’interdisait la lex Clodia de exsilio Ciceronis. L’exilé fit donc voile vers Dyrrachium puis<br />

marcha vers Thessalonique dont le gouverneur était l’un de ses nombreux amis. Dans ses<br />

lettres apparaît l’alternance entre l’espoir <strong>au</strong> vu des agissements de tous ceux qui le<br />

soutenaient et le désespoir en voyant que toutes leurs actions étaient réduites à néant par les<br />

partisans de Clodius. « Tu argumentes consciencieusement sur ce que j’ai lieu d’espérer, et en<br />

particulier par l’intervention du Sénat… Tu fais briller un espoir à mes yeux immédiatement<br />

après les comices. Quel espoir, du moment qu’il y <strong>au</strong>ra toujours le même tribun de la<br />

plèbe…? 5 ».<br />

La fin de l’année arrivant, il était devenu urgent de quitter Thessalonique. Car Pison, le consul<br />

de 58 qui portait une lourde responsabilité dans l’exil de l’Arpinate, allait bientôt quitter sa<br />

fonction et venir occuper son poste de proconsul en Macédoine, province frontière où il était<br />

facile de s’enrichir 6 .<br />

1 Dion Cassius, XXXXIX, 7.<br />

2 Lentulus est l’un des deux consuls de l’année 57.<br />

3 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXIII.<br />

4 Les deux grandes cités de la rhétorique sont historiquement Rhodes et Athènes.<br />

5 Cicéron, Correspondance, II, à Atticus, LXX, 1.<br />

6 Thessalonique se trouve en Macédoine, c’était même que la capitale de la province.<br />

29


Cicéron contre les triumvirs<br />

Cicéron plus tard l’attaqua férocement sur ce point, arguant qu’il avait reçu cette province<br />

grâce à l’appui de Clodius, son dû pour avoir laissé le tribun mettre notre orateur en exil 1 .<br />

La fin de l’année 58 fut certainement la période la plus douloureuse que Cicéron eût à vivre<br />

durant son exil. Les espoirs d’un retour avant la fin de l’hiver dans la métropole s’étaient<br />

évanouies, balayées par les veto de Clodius. « Aussi, accablé de douleur, je le suis encore de<br />

honte. Oui, j’ai honte de n’avoir pas mis <strong>au</strong> service de mon épouse si parfaite, de mes enfants<br />

si délicieux, le courage et l’activité nécessaires. Jour et nuit j’ai devant les yeux l’image de<br />

vos habits de deuil, et de votre affliction, et de ta santé chancelante ; en revanche je<br />

n’aperçois qu’une bien faible lueur d’espoir. Mes ennemis sont nombreux, et presque tout le<br />

monde me jalouse ; on <strong>au</strong>rait du mal à me chasser, mais il est facile de m’empêcher de<br />

rentrer. 2 » Il hésita longuement entre la proposition d’Atticus qui l’enjoignait de venir<br />

séjourner en Epire dans l’une de ses villas, solution qui le rapprocherait de la Ville, et entre un<br />

départ pour Cyzique en Asie si son exil devait se prolonger pendant encore de longues années.<br />

Finalement la proposition d’Atticus prévalait et Cicéron fit marche <strong>au</strong> mois d’avril 57 vers<br />

Dyrrachium située non loin de la propriété de son ami. Ce fut là-bas qu’il revit pour la<br />

première fois Atticus depuis son départ d’exil. En effet celui-ci s’était rendu en ville en<br />

province pour traiter une affaire urgente. Au départ de son ami Cicéron décida de rester à<br />

Dyrrachium prêt à rentrer <strong>au</strong> plus vite à Rome si son rappel était voté par le Sénat.<br />

Le retour triomphal<br />

A Rome Pompée avait finalement réussi à retourner la situation. Le 1 er Mai 3 le Sénat vota une<br />

loi supprimant l’interdiction « de feu et d’e<strong>au</strong> ». La loi étant considérée, grâce à une habile<br />

manœuvre du général, comme relative <strong>au</strong>x relations entre Rome et les provinces, les deux<br />

tribuns 4 à la solde de Clodius ne pouvaient y appliquer leur veto. Ce dernier, furieux, lança<br />

une fois de plus ses hommes sur la Ville. Mais Milon veillait. Ses gladiateurs sur le qui-vive<br />

engagèrent de violentes bagarres de rues contre les sous-fifres de l’agitateur. La situation était<br />

devenue si violente que plus personne ne s’occupait des affaires courantes ni de la justice<br />

« Day after day, across the public places of Rome, the tides of anarchy ebbed and flowed. 5 »<br />

Malgré tout, des citoyens défilèrent dans les rues pour manifester leur soutien à Cicéron. En<br />

juillet Pompée décida d’en finir avec les troubles. Rétablissant l’ordre grâce à des soldats<br />

appelés en renforts, il convoqua le Sénat le 9 juillet. Là, les Pères rétablirent Cicéron dans ses<br />

titres, ses biens et son honneur. Ils lui décernèrent également un nouve<strong>au</strong> titre de « s<strong>au</strong>veur de<br />

la patrie » et votèrent un projet de loi visant le rappel de l’exilé. Le 4 août la loi fut votée.<br />

« Jamais décret ne fut rendu avec <strong>au</strong>tant d'unanimité. Le Sénat, rivalisant de zèle avec le<br />

peuple, arrêta qu'on décernerait des remerciements <strong>au</strong>x villes qui avaient recueilli Cicéron<br />

dans son exil, et que sa maison de Rome et ses maisons de campagne, que Clodius avait<br />

détruites, seraient rebâties <strong>au</strong>x dépens du public 6 . »<br />

1 Cicéron, Contre Pison, XXIV.<br />

2 Cicéron, Correspondance, II, LXXXIV, Aux Siens, 2.<br />

3 A noter qu’<strong>au</strong> début de son exil Cicéron <strong>au</strong>rait eu un rêve prophétique selon lequel il serait rappelé lorsque le<br />

sénat tiendrait séance dans le temple d’honos et virtus ce qui fut justement le cas ce jour-là. / Il est également<br />

possible que cela soit le 2 Mai.<br />

4 Sur les dix tribuns huit soutenaient Cicéron et deux Clodius, mais le veto d’un seul suffisait pour annuler une<br />

procédure ou une proposition de loi.<br />

5 Holland, Rubicon, p. 253.<br />

6 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXIII.<br />

30


Cicéron contre les triumvirs<br />

L’afflux massif des habitants de toute l’Italie avait fait barrage <strong>au</strong>x tentatives de Clodius pour<br />

empêcher le succès du vote. Le 5 Cicéron, prévenu, débarqua à Brindes. Le 8 il reçut l’acte<br />

officiel de son rappel dans sa patrie. Il fit alors le tour de toutes les cités italiennes pour<br />

remercier tous ceux, magistrats, aristocrates ou plébéiens, qui l’avaient soutenu. « Cicéron fut<br />

rappelé seize mois après son exil ; toutes les villes qui se trouvèrent sur son passage<br />

montrèrent tant de joie et d'empressement à aller <strong>au</strong>-devant de lui, que Cicéron était encore<br />

<strong>au</strong>-dessous de la vérité, lorsqu'il disait dans la suite que l'Italie entière l'avait porté dans<br />

Rome sur ses ép<strong>au</strong>les. Crassus même, son ennemi mortel avant son exil, sortit à sa rencontre,<br />

et se réconcilia avec lui ; voulant, disait-il, faire ce plaisir à son fils, un des plus zélés<br />

partisans de Cicéron 1 ». Le 4 septembre dans la soirée l’orateur entra à pied dans Rome. Le<br />

peuple l’acclama alors qu’il traversait la Ville pour se rendre <strong>au</strong> forum. « Arrivé à la porte<br />

Capène, je trouvai les degrés des temples couverts d’une foule de petites gens : elle me<br />

manifesta sa joie par les appl<strong>au</strong>dissements les plus vifs ; et ce fut jusqu’<strong>au</strong> Capitole<br />

semblable affluence et mêmes appl<strong>au</strong>dissements : sur le forum et <strong>au</strong> Capitole même, c’était un<br />

merveilleux concours du peuple. 2 » Clodius n’avait cependant pas encore dit son dernier mot.<br />

Cicéron s’attaque <strong>au</strong>x triumvirs<br />

« Mais, à son retour d’exil, l’orateur, sentit promptement sa faiblesse. Désormais l’on <strong>au</strong>rait parfois besoin de lui<br />

mais il ne gouvernerait plus les événements. Il ressentait la tentation de la retraite, du repos. Il n’y céda pas et<br />

voulu encore faire face… car l’orateur ajoutait : La République est toujours plus attaquée qu’elle n’est<br />

défendue. »<br />

Cl<strong>au</strong>de Nicolet et Alain Michel, Cicéron, p.46.<br />

A son retour Cicéron était certain d’avoir retrouvé toute sa gloire et toute son influence. Mais<br />

après quelques temps il se rendit compte que rien n’avait vraiment changé depuis son départ<br />

en exil. Les triumvirs étaient toujours <strong>au</strong> pouvoir, les sénateurs étaient toujours divisés,<br />

malgré leur vote unanime pour son rappel, et la vie de la cité était plus rythmée par les bruits<br />

de batailles entre hommes de main de Clodius et de Milon que par les habituels cris des<br />

marchands. L’orateur, fidèle à son idée de la République, entreprit alors le tout pour le tout en<br />

misant sur une rupture du triumvirat à brève échéance. Rupture qu’il comptait naturellement<br />

aider à provoquer, tout en essayant cependant de ne pas s’aliéner César et Pompée. Réussir un<br />

tel coup de poker semblait inimaginable, qui plus est pour un homme seul 3 . Il eut fallu avoir le<br />

sort de son côté pour réussir.<br />

Mais le vainqueur de Catilina se devait tout d’abord de régler ses comptes et plus précisément<br />

ceux des deux consuls l’ayant poussé à l’exil. Un jour après son arrivée dans l’Urbs, l’orateur<br />

parlant devant les Pères, et après les avoir remercié pour tout ce qu’ils avaient accompli pour<br />

lui pendant son exil –oubliant volontairement que il avait été « désigné » comme victime<br />

expiatoire- , attaqua férocement Pison et Gabinus. « Ils sont devenus ses ennemis et il s’est<br />

juré de les abattre 4 ». Il n’allait pas s’arrêter là puisque quelques temps plus tard il réciterait<br />

ses discours « Contre Pison » et « Sur les provinces consulaires » dont les titres sont<br />

explicites. Il est intéressant de remarquer que Cicéron face à l’attaque qu’il avait subie ne<br />

réagit pas différemment de son ennemi agitateur ; on peut se targuer d’être supérieur en<br />

paroles mais les faits sont têtus !<br />

1 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXIV.<br />

2 Cicéron, Correspondance, II, XC, à Atticus, 5.<br />

3 Rappelons que Caton « conscience du sénat » était à cette époque toujours en mission à Chypre.<br />

4 Grimal, Cicéron, p.193.<br />

31


Cicéron contre les triumvirs<br />

L’Arpinate mit également en pièces les tablettes où étaient inscrites toutes les lois que Clodius<br />

avait promulguées durant son tribunat. Cela brouilla Cicéron et Caton, le second, qui avait été<br />

envoyé en mission à Chypre 1 grande partie du fait du tribun, ayant peu apprécié que tout ce<br />

qu’il avait accompli durant plusieurs années de sa vie soit remis en c<strong>au</strong>se 2 .<br />

Une fois cette petite affaire réglée, l’orateur tenta de trouver un moyen de réduire l’efficacité<br />

du triumvirat. L’idéal eut été d’arriver à éloigner de la Ville un second triumvir afin de<br />

pouvoir utiliser les erreurs de Clodius pour créer des tensions entre Pompée et César. Le Sénat<br />

<strong>au</strong>rait alors été l’arbitre entre les deux grands politiciens et de ce fait <strong>au</strong>rait gardé le pouvoir<br />

réel.<br />

Et justement l’agitateur qui n’était jamais à court d’idées pour nuire à son ennemi, déclancha<br />

le 7 septembre des manifestations populaires qui clamaient que Cicéron était responsable des<br />

attaques de pirates rendant difficile la livraison de blé à la métropole. L’orateur, saisissant<br />

l’opportunité que lui offrait son rival, proposa alors qu’on décerne à Pompée un<br />

commandement exceptionnel pour lutter contre la piraterie dans la mare nostrum afin<br />

d’assurer le bon fonctionnement du commerce de blé. Le Sénat, ayant reconnu une tentative<br />

de leur champion pour éloigner le général, s’empressa d’accepter. Pompée ne fut pas dupe<br />

mais il se soumit à la volonté des sénateurs et s’embarqua peu de temps après. Cicéron<br />

continuant alors sur sa lancée fit voter <strong>au</strong>x Pères quinze jours de supplication pour honorer les<br />

victoires de César en G<strong>au</strong>le. Ainsi paraissait-il <strong>au</strong>x yeux de tous que le triumvirat était<br />

moribond et que la vieille assemblée était le réel arbitre de la vie politique de la Cité. Ayant<br />

laissé quelques mois s’écouler, l’orateur jugea que le temps était venu de porter <strong>au</strong> triumvirat<br />

le coup de grâce. Une fois de plus ce fut son ennemi qui fut la clé de voûte de son plan.<br />

Ralliant à lui la plèbe et les chevaliers, il s’engagea dans une forte campagne de soutien <strong>au</strong><br />

vainqueur de Mithridate. Sachant bien que Clodius ne manquerait pas de contre-attaquer pour<br />

nuire à ceux qu’il considérait comme ses deux plus grands ennemis. L’agitateur étant, <strong>au</strong> su<br />

de tous, l’homme de César. Cela ne devait pas manquer de provoquer une rupture entre les<br />

deux princip<strong>au</strong>x triumvirs 3 . L’idée était ingénieuse. En effet Pompée avait toujours été la<br />

faille dans le bloc que formaient les triumvirs. Il était moins populaire <strong>au</strong>près du peuple que<br />

ses homologues mais bénéficiait d’une plus forte cote de popularité <strong>au</strong> Sénat. Enfin il s’était<br />

mis en porte-à-f<strong>au</strong>x avec les populares depuis ses litiges avec Clodius. Cicéron avait donc de<br />

bonnes raisons d’espérer.<br />

Clodius, séduit à l’idée de faire d’une pierre deux coups, tomba naturellement dans le<br />

panne<strong>au</strong>. Le 7 février 56, alors que les Pères tenaient séance en présence de Pompée, afin de<br />

faire le point sur les progrès de ce dernier dans sa lutte contre les pirates, on entendit retentir<br />

les cris d’une foule insultant le général et le traitant d’affameur du peuple. Milon, qui était<br />

désormais officiellement l’homme du général, intervint et il s’en suivit un pugilat général dont<br />

le grand homme et Cicéron ne réchappèrent que de justesse. La ruse de l’orateur avait réussi.<br />

Le triumvirat semblait voué à une fin rapide. L’Arpinate et les défenseurs de la République<br />

semblaient avoir gagné la partie. « Cicéron a l’impression d’apparaître comme le grand<br />

vainqueur, d’avoir recouvré et la considération générale et la faveur de tous. 4 »<br />

1 Où il se trouvait encore à cette époque-là.<br />

2 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXIV.<br />

3 Crassus, membre très influent <strong>au</strong> début du triumvirat, est petit à petit devenue une force secondaire sur<br />

l’échiquier politique. Ses casquettes de chef des populaires et d’agitateur ayant été reprise par César et Clodius.<br />

4 Grimal, Cicéron, p.217.<br />

32


Cicéron contre les triumvirs<br />

Les accords de Lucques<br />

Un homme avait pourtant vu clair dans le jeu de l’ancien consul. César, qui fut, on ne peut le<br />

nier, le grand bénéficiaire du triumvirat, n’avait pas l’intention de laisser agir l’Arpinate sans<br />

réagir. Le 15 avril 56, il convoqua donc à Lucques, petite ville située dans une de ses<br />

provinces, les deux <strong>au</strong>tres triumvirs ainsi que plus de deux cents sénateurs. Cicéron n’était pas<br />

présent. Non qu’il ait été tenu à l’écart ou qu’il n’eut pas été <strong>au</strong> courant, mais voyant que le<br />

contrôle de l’Etat allait une fois de plus être arraché <strong>au</strong> Sénat et <strong>au</strong> peuple de Rome, et cela<br />

malgré ses efforts, il en fut probablement assez écoeuré pour faire l’impasse sur l’événement 1 .<br />

De fait la réunion aboutit à un vrai programme dictatorial. « Quant à Crassus et à Pompée, il<br />

conclut avec eux une convention <strong>au</strong>x termes de laquelle ces hommes illustres devaient se<br />

présenter <strong>au</strong> consulat avec l’appui de César, qui enverrait un grand nombre de ses soldats<br />

voter pour eux. Aussitôt après leur élection, ils s’assureraient à eux-mêmes des<br />

gouvernements de provinces et des commandements d’armées, et feraient confirmer César<br />

dans les siens pour une <strong>au</strong>tre période de cinq ans. 2 » Crassus ayant prévu de partir en Orient,<br />

Pompée en guerre contre les pirates et César prévoyant déjà de franchir le Rhin puis de<br />

débarquer en Bretagne, les triumvirs ne pouvaient permettre que l’on sapât leur <strong>au</strong>torité dans<br />

la Métropole, comme venait justement de le faire, une fois de plus, Cicéron en attaquant dix<br />

jours plus tôt une des lois agraire les plus chères à César. Pour l’orateur ces accords allaient<br />

être source de grands changements pour sa vie publique, changements dont il allait très vite<br />

comprendre la teneur. Quoi qu’il en soit, il se déroula à Lucques cette année-là « un<br />

<strong>au</strong>thentique partage du monde 3 » qui n’est pas sans rappeler un même événement entre trois<br />

<strong>au</strong>tres grands hommes à Yalta près de 2000 ans plus tard.<br />

Cicéron qui n’avait pas encore été averti des résultats du concile, continuait son attaque contre<br />

les triumvirs notamment avec le Pro Sestio dans lequel, caché derrière de belles paroles<br />

théorique, Cicéron égratignait les puissants. « Il y a toujours eu dans notre cité deux groupes<br />

de gens, parmi ceux qui ont aspiré à s’occuper des affaires publiques et à s’y distinguer ; ces<br />

deux groupes ont voulu être, de réputation et de fait, les uns, des démocrates, les <strong>au</strong>tres, des<br />

aristocrates. Ceux qui, dans leurs actes et dans leurs paroles, voulaient être agréables à la<br />

masse étaient tenus pour des démocrates ; ceux qui se comportaient de manière à rencontrer,<br />

pour leur politique, l’approbation des honnêtes gens étaient tenus pour aristocrates. 4 » Dans<br />

un <strong>au</strong>tre discours de la même époque, « sur la réponse des haruspices », l’Arpinate, restant<br />

fidèle à ses tentatives de monter les triumvirs les uns contre les <strong>au</strong>tres, critiquera violemment<br />

Clodius tout en louant Pompée et en faisant l’impasse sur César et Crassus.<br />

Mais la fortune avait finalement changé de camp. Pompée, loin de se laisser séduire, avertit en<br />

personne Quintus que son frère avait intérêt à bien vite revenir à de meilleurs sentiments.<br />

Cicéron comprenant que dans ces circonstances il n’y avait plus rien à faire et constatant<br />

accablé que tous ceux qu’il avait cru être des bons citoyens rejoignaient les triumvirs, décida<br />

alors, la mort dans l’âme, de cesser le combat. « Mais foin 5 de cette politique dite de vertu, de<br />

loy<strong>au</strong>té, d’honneur ! On n’imagine pas ce qu’il y a de perfidie chez les gens qui se prétendent<br />

des chefs…<br />

1 Grimal, Cicéron, p.218.<br />

2 Plutarque, Vie de Pompée, LI.<br />

3 Mourier, Cicéron l’avocat de la République, p.75.<br />

4 Cicéron, Pour Sextius Roscius, XLV.<br />

5 Je précise que c’est la traduction des belles lettres, certes je suis f<strong>au</strong>x mais quand même.<br />

33


Cicéron contre les triumvirs<br />

En voila assez. Puisque ceux qui n’ont <strong>au</strong>cun pouvoir me refusent leur amitié, tâchons de<br />

nous faire aimer de ceux qui sont tout-puissants. 1 » Les ultras tentèrent une dernière fois de<br />

contrarier les plans de César durant l’été mais leur tentative, sans le soutien d’un des plus<br />

grands hommes de la Cité échoua.<br />

Cependant cette abstention politique ne suffit pas <strong>au</strong>x triumvirs. Cicéron devait prouver son<br />

rattachement <strong>au</strong> nouve<strong>au</strong> pouvoir. Ce dernier s’exécuta en faisant passer devant les Pères les<br />

demandes de maintien en G<strong>au</strong>le ainsi que de renforts de César. Nombreux sont les<br />

concitoyens 2 et les historiens modernes 3 à parler de « lâcheté de Cicéron » contraire à « ses<br />

principes fondament<strong>au</strong>x ». Au contraire Grimal, très favorable à Cicéron, donne maints et<br />

maints exemples pour expliquer que le choix de Cicéron était humain, sage et honorable. « Il<br />

fallait peut-être plus de grandeur d’âme pour renoncer à la gloire du martyre que pour<br />

accepter de ne plus compter parmi les dirigeants mais, comme il le dit lui-même, parmi "ceux<br />

qui suivent" 4 . »<br />

Pour ma part, je me plais à jouer la carte de la « solution moyenne ». Certes on peut<br />

comprendre que Cicéron ne voulut pas risquer un nouvel exil tant le premier avait été<br />

douloureux, certes son choix ne le rendait pas absent de la vie politique, tout en lui laissant le<br />

temps de se mettre à la rédaction d’ouvrages théoriques et philosophiques et, sans doute,<br />

s’opposer une nouvelle fois <strong>au</strong>x triumvirs <strong>au</strong>rait certainement été vain, mais cependant un<br />

retournement de situation si rapide, avec si peu de résistance et si contraire <strong>au</strong>x doctrines tant<br />

prônées par l’orateur dans ses discours est chose à mettre son intégrité en doute. La solution à<br />

ce problème m’est apparue dans la correspondance avec cette phrase qui suit l’un des<br />

passages précédemment cités : « … tâchons de nous faire aimer de ceux qui sont toutpuissants.<br />

Tu diras : "C’est ce que j’eusse voulu depuis longtemps". Oui, je le sais, tu le<br />

voulais, et moi, j’ai été un âne bâté. 5 » Ainsi donc Atticus <strong>au</strong>rait poussé son ami dans les<br />

griffes du triumvirat. Ce dernier <strong>au</strong>rait-il conclu un pacte secret avec César ou était-ce<br />

vraiment son avis personnel ? L’histoire reste muette sur ce point.<br />

Notons quand même que, après avoir accompli ce que lui demandaient les triumvirs, l’orateur<br />

n’alla pas se mettre ouvertement à leur service et préféra plutôt s’éloigner de la vie publique.<br />

De fait il se mit alors dans une sorte de repos créatif très apprécié de l’aristocratie romaine,<br />

l’otium.<br />

Le repos du philosophe<br />

Dès lors, et pour les deux ans à venir, Cicéron ne jouera pas un rôle politique majeur. La cité<br />

vivait <strong>au</strong> rythme des combats entre Clodius et Milon et des tentatives de Caton, récemment<br />

rentré de mission, pour gêner les actions du triumvirat, actions qui échouèrent la plupart du<br />

temps. L’annonce des victoires de César en Bretagne et sa traversée du Rhin en 55, année lors<br />

de laquelle, Pompée et Crassus furent consuls une seconde fois, et les déboires des élections<br />

de 54 étaient les seuls événements à même de remuer la classe politique toujours sous<br />

contrôle du triumvirat.<br />

1<br />

Cicéron, Correspondance, CX à Atticus, 2.<br />

2<br />

Notamment Salluste qui était un ennemi déclaré de Cicéron.<br />

3<br />

Notamment Drumann dans son Geschichte Roms.<br />

4<br />

Grimal, Cicéron, 226.<br />

5<br />

Cicéron, Correspondance, XC à Atticus, 2-3.<br />

34


Cicéron contre les triumvirs<br />

C’est à cette époque que Cicéron, tantôt en province, tantôt à Rome pour plaider, parfois à la<br />

demande des triumvirs, parfois de son propre chef, mûrit trois de ses œuvres maîtresses 1 . En<br />

55, il rédigea le De oratore dans lequel il traitait de philosophie morale. En 54 ce fut <strong>au</strong> tour<br />

du célébrissime De republica développant la philosophie historique et politique. Enfin en 52,<br />

année où fut, probablement, écrit le De legibus l’avocat aborda la philosophie du droit.<br />

Dans ses ouvrages, Cicéron traite surtout de morale. De comportement à adopter. Je<br />

m’explique : pour Cicéron, le but ultime du citoyen doit être de servir sa cité 2 . La cité est<br />

fondée par le peuple, parce que primo elle sert ses intérêts et secundo c’est un besoin, une<br />

obligation vitale pour tout être humain de fonder une société efficace et destinée <strong>au</strong> bien de<br />

tous. Le De republica et le De legibus sont un habile mélange entre théorie politique, -les trois<br />

formes de la cité 3 : monarchie, aristocratie, démocratie- récit historique du succès de Rome et<br />

philosophie « humaniste ». Ainsi c’est non seulement l’honneur mais <strong>au</strong>ssi le devoir de<br />

l’homme de s’occuper du bien de l’Etat et de ses concitoyens 4 : « Si il f<strong>au</strong>t choisir entre deux<br />

voies, une vie tranquille toute remplie par l’étude et les soins donnés à la culture de l’esprit<br />

paraît à la vérité plus heureuse, une vie employée <strong>au</strong> service de la cité mérite plus d’éloge et<br />

a plus d’éclat : c’est d’une telle vie que se glorifient les hommes de tout premier ordre… 5 ».<br />

« De même que le pilote a pour but une navigation heureuse… l’homme placé à la tête de<br />

l’Etat se propose comme fin la félicité des citoyens… cette tâche, la plus grande des tâches<br />

humaines et la meilleure je veux qu’il la remplisse entièrement 6 ». Cicéron présente de<br />

nombreuses preuves de ses dires dans l’histoire romaine. Dans le De officiis, il montre<br />

notamment que seule une action belle d’un point de vue moral était véritablement utile en<br />

citant l’exemple du consul Régulus fait prisonnier par les Carthaginois et ayant choisi de se<br />

sacrifier plutôt que d’être échangé contre des prisonniers carthaginois de grande importance 7 .<br />

Il f<strong>au</strong>t faire attention cependant à ne pas considérer la pensée de Cicéron comme une politique<br />

patriotique en la comparant <strong>au</strong>x idées du début du XXème siècle. Bien qu’il considérât que<br />

Rome était en droit de dominer le monde connu, ce n’est pas parce que ses citoyens étaient<br />

« génétiquement » meilleurs mais bien parce que leur fidélité et leur dévouement envers l’Etat<br />

étaient les plus grands. Dans ses ouvrages, Cicéron, loin d’imaginer une cité idéale comme<br />

Platon 8 , explique pourquoi Rome était une cité « réussie ». La récompense promise <strong>au</strong>x<br />

serviteurs de l’Etat, <strong>au</strong>x boni comme il aimait à les appeler, il en informe ses lecteurs en citant<br />

un songe qu’<strong>au</strong>rait eu Scipion Emilien et, dans lequel, les ancêtres de cet illustre lui <strong>au</strong>raient<br />

révélé le futur de la République. « Afin, Scipion, poursuivit l’Africain, que tu mettes un zèle<br />

plus allègre <strong>au</strong> service de la République, sache qu’il existe <strong>au</strong> ciel un lieu réservé à tous ceux<br />

qui ont travaillé <strong>au</strong> salut de la patrie, l’ont secourue et fait grande un lieu de béatitude et de<br />

vie éternelle 9 ».<br />

1 Les œuvres théoriques majeures de Cicéron, celles dont il était le plus fier, et que nous possédons, sont : le De<br />

oratore, le Brutus, l’Orator, le De republica, le De legibus, le De officiis, le De rerum naturae, le De natura<br />

deorum, le De finibus, le De diuinatione et le De fato. Ses <strong>au</strong>tres écrits théoriques sont secondaires soit parceque<br />

ce sont des compléments à ceux-ci-dessus soit parceque ce sont des hommages à des personnes que l’orateur<br />

estimait, Caton ou Hortensisus par exemple.<br />

2 Cicéron, De republica, I, IV.<br />

3 Cicéron, De republica, I, XLV.<br />

4 Cicéron, De republica, II, XLII.<br />

5 Cicéron, De republica, III, III.<br />

6 Cicéron, De republica, V, IV / V / VI.<br />

7 Cicéron, De officiis, III, IC / C.<br />

8 Clara Auvray-Assayas, Cicéron, p. 53.<br />

9 Cicéron, De republica, VI, XIII.<br />

35


Cicéron contre les triumvirs<br />

L’un des buts princip<strong>au</strong>x de l’ouvrage de Cicéron restait de « rappeler <strong>au</strong>x lecteurs romains<br />

tentés de s’en remettre à la loi du plus fort que la res publica est l’affaire de tous les citoyens,<br />

que l’histoire apprend comment cette res publica n’est ni une idée ni une entité abstraite mais<br />

la « chose du peuple » res populi 1 ».<br />

La fin des deux riv<strong>au</strong>x<br />

Ce fut durant l’été 53 que le triumvirat commença à montrer des signes de fatigue. Crassus,<br />

qui avait toujours rêvé d’un triomphe militaire jalousant en secret ceux de ses alliés, était<br />

parti guerroyer contre les Parthes « les ennemis intimes 2 » de Rome. Le 12 juin 53 il subit une<br />

lourde défaite à Carrhes.<br />

En effet, ayant envoyé une partie de sa cavalerie en éclaireur, celle-ci tomba dans une<br />

embuscade. Crassus, suivant de peu, vit que son armée courait un grand danger et ordonna à<br />

ses hommes de se replier. Ceux-ci pris sous le tir des archers et archers à cheval perses<br />

formèrent la tortue. Mal leur en prit, car ce fut ce moment-là que choisit la cavalerie lourde<br />

parthe pour charger. Réfugiés derrière leurs boucliers sous une pluie de flèche les soldats<br />

romains ne purent retenir les cavaliers ennemis malgré le soutien du reste de la cavalerie<br />

romaine arrivée en renfort. Crassus perdit la vie dans la débandade générale. Une rumeur<br />

voudrait que les Parthes l’aient capturé et lui aient fait boire de l’or. Rumeur semblant peu<br />

fondée <strong>au</strong> vu du prix qu’<strong>au</strong>rait pu rapporter l’éventuelle capture de l’homme le plus riche de<br />

Rome. Quoiqu’il en soit ce fut une sévère défaite pour Rome, qui perdit 30 000 hommes,<br />

défaite qui, avec la mort du général romain, mettait la stabilité du « triumvirat », désormais<br />

constitué de seulement deux personnes, en danger. Les populares n’avaient à présent plus<br />

qu’un seul chef : César. De ce fait la paix ou le chaos dans la cité étaient dus à son bon plaisir<br />

ou presque.<br />

Cicéron, avisé de la défaite de Crassus, retrouva alors espoir. Il lui semblait que si l’on<br />

pouvait éliminer Clodius de la vie politique et si Milon, représentant de la légalité, pouvait<br />

obtenir le consulat, la vie politique pourrait redevenir ce qu’elle était avant 60. « Tous mes<br />

désirs, mes efforts, mes soins, mon activité, mes réflexions, enfin mon âme entière sont<br />

attachés <strong>au</strong> consulat de Milon…et j’ai résolu que j’y devais chercher, outre la récompense de<br />

mon dévouement, la gloire d’un devoir d’amitié religieusement rempli. En vérité, je crois que<br />

jamais personne n’a pris tant à cœur la préservation de sa propre vie et de ses biens que je ne<br />

fais du succès de Milon : tout pour moi en dépend, j’en suis convaincu. 3 » Malheureusement,<br />

malgré la dégradation des rapports entre Pompée et César qui redonnait de jour en jour plus<br />

de pouvoir à l’assemblée des Pères, l’événement du 20 janvier 52 allait enterrer les maigres<br />

espoirs d’apaisement de l’avocat.<br />

Milon qui militait alors pour son consulat rencontra, en descendant la via Appia, son ennemi<br />

qui rentrait à Rome. Tous deux étaient entourés d’une solide garde rapprochée. On ne sait qui<br />

frappa le premier mais ce que l’on sait c’est que dans l’affrontement Clodius perdit la vie.<br />

Quand les survivants de la troupe de l’agitateur arrivèrent à Rome portant le cadavre de leur<br />

maître cela déclancha une gigantesque émeute. « Le corps fut enlevé et déposé dans la curie,<br />

incendiée, pour être le bûcher funèbre de celui que la foule considérait comme la victime des<br />

sénateurs. 4 »<br />

1 C. Auvray-Assayas, Cicéron, p. 95, 96.<br />

2 Olivier Voizeux, Portrait de Barbares, in Science et Vie Junior Hors Série 42, Rome.<br />

3 Cicéron, Correspondance, CLXXV à Curion, 3.<br />

4 Grimal, Cicéron, 254.<br />

36


Cicéron contre les triumvirs<br />

Ceux-ci, pris de panique, instruisirent Pompée qui venait de terminer sa guerre contre la<br />

piraterie du devoir de rétablir l’ordre dans la cité. Celui-ci fut déclaré consul unique et, après<br />

concertation de César, choisit de « sacrifier » Milon en justice pour calmer les troubles. Le<br />

général, se souvenant tout de même de ce que Milon avait fait pour lui dans le passé, demanda<br />

à Cicéron d’assurer sa défense. Ce dernier s’empressa d’accepter car qui pouvait s<strong>au</strong>ver son<br />

ami si ce n’était lui, le meilleur avocat de l’Urbs. Il fut aidé dans cette tâche par son ancien<br />

rival Hortensisus. Malgré les menaces à leur encontre, ils se rendirent <strong>au</strong> tribunal. Il avait été<br />

décidé que, comme le temps de parole était réduit, seul Cicéron tenterait d’amadouer les<br />

juges. Mais : « Le jour où il défendit Milon, quand il vit, en sortant de sa litière, Pompée assis<br />

<strong>au</strong> h<strong>au</strong>t de la place, environné de soldats dont les armes jetaient le plus grand éclat, il fut<br />

tellement troublé, que, tremblant de tout son corps, il ne commença son discours qu'avec<br />

peine et d'une voix entrecoupée ; tandis que Milon assistait <strong>au</strong> jugement avec be<strong>au</strong>coup<br />

d'assurance et de courage… mais, dans Cicéron, cette frayeur semblait moins tenir à sa<br />

timidité qu'à son affection pour ses clients. 1 »<br />

Milon fut condamné par 32 voix contre 14. Exilé à Marseille, il mourra quelques années plus<br />

tard dans une tentative de rébellion contre César. Quand à Cicéron, honteux de sa pitoyable<br />

prestation, il écrira quelques temps après une version remaniée pour la postérité de son<br />

plaidoyer que nous possédons et avec laquelle il <strong>au</strong>rait sûrement remporté le procès. Notons<br />

tout de même que, suite à la mort de Clodius, un <strong>au</strong>gure faisait déf<strong>au</strong>t et que ce fut à Cicéron<br />

que revint le titre. Cicéron <strong>au</strong>rait-il laissé l’un de ses meilleurs amis se faire condamner pour<br />

accroître sa gloire personnelle ? C’est peu probable, <strong>au</strong> vu de l’attachement qu’il portait à la<br />

candidature de Milon <strong>au</strong> consulat et du fait que le titre d’<strong>au</strong>gure lui apportait certainement<br />

moins de considération qu’il en avait perdu après sa défaite <strong>au</strong> procès.<br />

Le grand vainqueur des cinq années d’affrontement entre Clodius et Milon était<br />

incontestablement Pompée. César accaparé par le soulèvement général des G<strong>au</strong>les 2 , il restait<br />

seul face <strong>au</strong> Sénat. Sénat dont il allait bien vite devenir l’allié plutôt que le maître ou le rival.<br />

Depuis lors l’escalade de la crise entre le général et César était presque inévitable. Tout le<br />

monde attendant avec anxiété le jour où les deux anciens triumvirs se retrouveraient face à<br />

face.<br />

Le gouvernement de Cilicie<br />

Pompée promulgua une loi qui fixait à 5 le nombre d’années minimum entre consulat et<br />

proconsulat. Ceci dans le but de freiner l’ardeur des magistrats désireux de faire ou de refaire 3<br />

fortune sur le dos des provinci<strong>au</strong>x. L’inconvénient apparaît clairement : qui donc gouvernerait<br />

les provinces pendant les cinq années à venir ? Pour remédier <strong>au</strong> problème, on décida de<br />

réquisitionner les anciens magistrats n’ayant pas encore gouverné. Cicéron était du nombre.<br />

Manque de chance, lui qui n’appréciait guère de s’éloigner de la Métropole empocha la Silicie<br />

qui, située à l’est de l’Asie, était l’une des provinces les plus lointaines. La province englobait<br />

à peu près la partie sud-est de la Turquie et Chypre, récemment annexée par Caton. C’était<br />

une région difficile, comptant de nombreux peuples différents et un territoire essentiellement<br />

montagneux et qui était, de plus, menacée par les Parthes comptant bien se venger de la<br />

tentative d’invasion de Crassus.<br />

1 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXV.<br />

2 Ayant débuté en janvier il s’agit de la célèbre révolte de Vercingétorix.<br />

3 Rappelons que passer toutes les étapes du cursus honorum coûtait souvent très cher, notamment l’édilité lors de<br />

laquelle le magistrat devait organiser les jeux à ses frais.<br />

37


Cicéron contre les triumvirs<br />

L’orateur partit sans enthousiasme et uniquement par respect du devoir et de la loi. Il s’assura<br />

qu’on ne prolongerait pas la durée de son mandat pendant son absence et fit route très<br />

lentement. Il était accompagné d’Atticus toujours présent dans les moments difficiles. Il<br />

n’arriva à Ephèse que le 22 juillet 51 après avoir fait escale à Brinde et à Athènes. Là<br />

l’attendait un problème sérieux : la moitié d’une légion, soit plus de mille hommes sur les<br />

quatre milles que possédait la province, s’était mutinée pour une histoire de solde. Les cités<br />

siliciennes, avaient, de plus, de nombreux griefs à l’encontre de l’administration romaine.<br />

Cicéron allégea les t<strong>au</strong>x d’intérêts, supprima les dettes fictives et chargea l’un de ses légats de<br />

régler le problème de mutinerie ce qui fut fait. « Il refusa les présents que les rois lui<br />

offraient, et remit à la province la dépense qu'elle était obligée de faire pour les festins des<br />

gouverneurs ; il recevait lui-même à sa table les Ciliciens les plus honnêtes, qu'il traitait sans<br />

magnificence, mais avec générosité. Sa maison n'avait point de portier, et jamais on ne le<br />

trouvait dans son lit : il se levait de très grand matin, et se promenait devant sa porte, où il<br />

recevait ceux qui venaient le voir. Sous son gouvernement, personne ne fut battu de verges et<br />

n'eut sa robe déchirée ; jamais, même dans la colère, il ne dit une parole offensante, et<br />

n'ajouta <strong>au</strong>x amendes qu'il prononçait des qualifications outrageantes. 1 »<br />

Il apprit alors qu’une armée Parthe était entrée en Syrie. L’Arpinate, ayant reçu des renforts<br />

du roi allié de Cappadoce, rassembla les troupes et renforça ses frontières, se préparant à une<br />

attaque d’envergure. Cependant l’armée perse ne fit pas route vers le nord mais vers le sud,<br />

assiégeant Antioche. Cicéron marcha donc en direction de la Syrie. Alors qu’il était en<br />

chemin il apprit que C.Cassius, proquesteur de Syrie, avait défait l’ennemi sous les murs de<br />

la ville. Sa présence n’étant plus nécessaire, il décida de pacifier la région du mont Amanus<br />

dans laquelle agissaient de nombreuses bandes de pillards. Le 17 décembre 51 la mission était<br />

accomplie. « Cette victoire lui mérita le titre d'imperator. 2 » Il consacra la fin de son<br />

gouvernement à améliorer l’administration. Il prit congé de sa magistrature le 30 juillet 50 et,<br />

après avoir fait de nombreuses escales en Grèce et en Italie, entra à Rome le 4 janvier 49 où il<br />

fut accueilli par une foule joyeuse.<br />

Entre-temps la situation était devenue explosive entre César, qui vainqueur séjournait avec la<br />

13 ème Légion à Ravenne en attendant que le Sénat lui offrît ce qu’il jugeait comme étant son<br />

dû, le pouvoir, et Pompée qui ne comptait pas laisser César tirer profit de sa gloire acquise en<br />

G<strong>au</strong>le. Cicéron ne sera pas présent, quand, le 7 janvier, les sénateurs promulguèrent la loi<br />

ordonnant à César de renvoyer ses armées immédiatement sous peine d’être déclaré ennemi<br />

public. Celui-ci n’avait alors plus le choix, laisser le pouvoir total à Pompée ou déclancher la<br />

guerre civile. Le 12, ayant harangué ses hommes, il traversa le Rubicon entrant avec ses<br />

troupes en Italie. Le senatus consulte ultimum fut décrété et l’Italie fut divisée en régions<br />

militaires. Cicéron obtint celle de Capoue.<br />

La guerre civile sonna le glas de la République Désormais, quel que fût le vainqueur, il allait<br />

être le seul maître de Rome. Les valeurs et la concorde que les Scipions, les Brutus et les<br />

Tullius avaient mis tant d’ardeur à défendre semblaient cette fois avoir disparu pour de bon.<br />

1 Plutarque, Vie de Cicéron, XXVI.<br />

2 Ibidem.<br />

38


Cicéron contre les triumvirs<br />

5. La Guerre Civile<br />

Le face à face entre César et Pompée, le choix de Cicéron<br />

La campagne d’Italie<br />

On dit qu’un homme de la 13 ème légion de César en permission, entendant les sénateurs critiquer César et<br />

déclarer qu’ils ne donnerait <strong>au</strong>cune prolongation <strong>au</strong> mandat du général, saisit la garde de son épée et dit :<br />

« Celle-ci la lui donnera ». Plutarque, Vie de César, XXXIII.<br />

Il f<strong>au</strong>t savoir que César avait proposé, <strong>au</strong> cours des premiers mois de janvier, un accord entre<br />

les deux parties dans lequel il se disait d’accord de rendre ses troupes et son commandement<br />

si Pompée faisait de même avec les forces qu’il avait rassemblées. Ainsi ils redeviendraient de<br />

simples citoyens et leur pouvoir ne dépendrait que de leur influence respective <strong>au</strong>près de leurs<br />

concitoyens. La proposition était trompeuse, car César <strong>au</strong> vu de ses victoires en G<strong>au</strong>le<br />

jouissait d’un prestige tel que rendre les armes et le laisser revenir à Rome c’était lui offrir la<br />

République. Le 7 janvier, le Sénat manipulé par Pompée et rassuré par des in<strong>format</strong>ions<br />

f<strong>au</strong>sses selon lesquelles les troupes de César étaient <strong>au</strong> bord de la révolte, envoya sa réponse<br />

<strong>au</strong> conquérant des G<strong>au</strong>les ; « Scipion, be<strong>au</strong>-père de Pompée, proposa que si, dans un<br />

jour fixé, César ne posait pas les armes, il fût traité en ennemi public. Les consuls<br />

demandèrent d'abord si l'on était d'avis que Pompée renvoyât ses troupes ; et ensuite<br />

si on voulait que César licenciât les siennes : il y eut très peu de voix pour le premier<br />

avis, et le second les eut presque toutes. 1 » Antoine, le fidèle lieutenant de César, qui était<br />

alors tribun de la plèbe tenta bien d’opposer son veto à la motion mais il ne put se faire<br />

entendre à c<strong>au</strong>se du chaos qui régnait dans la curie, le consul Lentulus ayant crié « que contre<br />

un brigand il fallait des armes et non pas des décrets 2 ». Curion et Antoine furent<br />

chassés de Rome et allèrent immédiatement vers César, qui campait pour l’hiver à<br />

Ravenne avec la 13 ème légion, pour lui apporter la « déclaration de guerre » des<br />

sénateurs.<br />

César savait sa proposition inacceptable pour Pompée et ses alliés. Son but était de<br />

parvenir à ses fins –le pouvoir absolu dans l’empire- en respectant en apparence la<br />

légalité et l’honneur afin de garder le soutien du peuple. L’expulsion des deux tribuns<br />

était un prétexte parfait. « Par ces motifs, tout se décide à la hâte et en tumulte; on ne<br />

donne pas le temps <strong>au</strong>x parents de César de l'avertir; on ne laisse pas <strong>au</strong>x tribuns du peuple<br />

le moyen de détourner le péril qui les menace, ou de faire valoir leur dernier privilège, le<br />

droit d'opposition que L. Sylla avait respecté. Ils sont forcés, dès le septième jour, de songer à<br />

leur sûreté; or, <strong>au</strong>paravant, les tribuns les plus séditieux ne rendaient <strong>au</strong>cun compte et<br />

n'étaient pas inquiétés avant le huitième mois. 3 »<br />

« César rappelle les injures dont ses ennemis l'ont accablé dans tous les temps, et se plaint<br />

que les efforts d'une malignité envieuse lui aient à ce point aliéné Pompée dont il a toujours<br />

favorisé, secondé le crédit et la puissance. Il se plaint que par une nouve<strong>au</strong>té, jusqu'alors<br />

sans exemple dans la République, on en soit venu à diffamer, à étouffer, par les armes, le<br />

droit d'opposition tribunitienne, rétabli les années précédentes. 4 »<br />

1 Plutarque, Vie de César, XXXIV.<br />

2 Ibidem, XXXIV.<br />

3 César, La guerre civile, I, V, 1-2.<br />

4 César, La guerre civile, I, VII, 7.<br />

39


Cicéron contre les triumvirs<br />

L’homme avait <strong>au</strong>paravant renvoyé <strong>au</strong> Sénat une <strong>au</strong>tre proposition cette fois-ci très modérée.<br />

« Il offrait de tout abandonner, à condition qu'on lui laisserait le gouvernement de la<br />

G<strong>au</strong>le cisalpine et celui de l'Illyrie, avec deux légions, jusqu'à ce qu'il eût obtenu un<br />

second consulat. 1 » Cette offre n’était pas dénuée d’intérêt même si elle restait<br />

favorable <strong>au</strong> chef des populares. Pompée, encouragé par Cicéron qui tentait à tout prix<br />

d’éviter la guerre, accepta l’avance de César mais Lentulus et Caton soutenus par le<br />

Sénat refusèrent catégoriquement cette solution 2 . On décréta le senatus consule<br />

ultimum et l’on se prépara à défendre l’Italie. On ne peut être sûr que César avait<br />

prévu cette réaction, ses hésitations avant de franchir le Rubicon en sont la preuve. Je<br />

suis d’avis qu’il avait néanmoins parié sur une réponse négative du Sénat qui, après<br />

avoir vu son <strong>au</strong>torité bafouée durant de longues années, était prêt à réussir un coup de<br />

force. Mais je ne peux l’affirmer. Apprenant cela César harangua ses hommes, « les<br />

exhorte à défendre contre ses ennemis l'honneur et la dignité du général sous lequel ils ont,<br />

pendant neuf ans, si glorieusement servi la République, gagné tant de batailles, soumis toute<br />

la G<strong>au</strong>le et la Germanie. À ce discours, les soldats de la treizième légion s'écrient, d'une voix<br />

unanime, qu'ils sont prêts à venger les injures de leur général et des tribuns du peuple. 3 »<br />

« Assuré des dispositions des soldats, César part avec cette légion pour Ariminium, et y<br />

rencontre les tribuns du peuple qui venaient se réfugier vers lui. Il tire ses <strong>au</strong>tres légions de<br />

leurs quartiers d'hiver, et leur ordonne de le suivre. 4 »<br />

Le conquérant des G<strong>au</strong>les n’avait pas plus de 5’000 fantassins et 300 cavaliers avec lui à<br />

Ravenne car seule la 13 ème légion était rentrée en Italie pour l’hiver. Cependant cela convenait<br />

parfaitement car une attaque rapide et hardie frapperait sûrement d’avantage les esprits que de<br />

longs préparatifs de guerre. De plus il fallait prendre Pompée et le Sénat de vitesse et les<br />

empêcher de rassembler trop de forces. Quoi qu’il en fût, les onze <strong>au</strong>tres légions stationnées<br />

en G<strong>au</strong>le n’allaient pas manquer d’arriver sous peu faisant pencher l’équilibre des forces en sa<br />

faveur. Le 11 janvier 49, le général donna donc l’ordre à ses capitaines de s’emparer<br />

d’Ariminium 5 , ville située sur le territoire de l’Italie, sans verser la moindre goutte de sang.<br />

Le jour, se sachant observé, il fit la fête et ripailla comme si de rien n’était puis, à la nuit<br />

tombée monta à cheval avec ses plus fidèles lieutenants et soldats et galopa en direction de la<br />

cité. Arrivé, à l’<strong>au</strong>be de 12 janvier, <strong>au</strong> Rubicon, cette petite rivière qui séparait la province de<br />

G<strong>au</strong>le Cisalpine de l’Italie, il médita un long moment sur la grandeur et l’<strong>au</strong>dace de son<br />

entreprise.<br />

Il changea de nombreuses fois d’avis, pesa longuement le pour et le contre et demanda conseil<br />

à ses amis. Il imagina tous les m<strong>au</strong>x dont allaient être suivi le passage du fleuve et le jugement<br />

que porterait de lui la postérité en cas de défaite et en cas de victoire.<br />

1 Plutarque, Vie de César, XXXV.<br />

2 Plutarque, Vie de Pompée, LIX.<br />

3 César, La guerre civile, I, VII, 7-8.<br />

4 César, La guerre civile, I, VIII, 1. / C’est un mensonge éhonté de la part de César, car si l’ordre avait été<br />

envoyé début janvier on voit mal comment les légions seraient arrivées le 17 février en Italie comme ce fut le<br />

cas. Les trajets du messager à l’aller puis des légions <strong>au</strong> retour n’<strong>au</strong>raient pas pu prendre uniquement un mois.<br />

César avait donc préparé ses troupes à l’avance pour une invasion de l’Italie. Cela il ne pouvait naturellement le<br />

dire car c’était contraire à tout ce qu’il avait toujours prétendu. On voit à quel point l’ouvrage de César est<br />

subversif pour alimenter sa propagande. http://fr.wikipedia.org/wiki/Commentaires_sur_la_Guerre_civile<br />

5 Aujourd’hui Rimini.<br />

40


Cicéron contre les triumvirs<br />

« Enfin, n'écoutant plus que sa passion, et rejetant tous les conseils de la raison, pour<br />

se précipiter aveuglément dans l'avenir, il prononça ce mot si ordinaire à ceux qui se<br />

livrent à des aventures difficiles et hasardeuses : « Le sort en est jeté ! » et, passant le<br />

Rubicon, il marcha avec tant de diligence qu'il arriva le lendemain à Ariminium avant<br />

le jour et s'empara de la ville. 1 » Après la prise d’Ariminium ce fut le tour de Fanum,<br />

Pis<strong>au</strong>rum, puis Arretium. Les villes, par admiration envers le général et par crainte de ses<br />

<strong>au</strong>xiliaires germains, ouvraient toutes leurs portes à l’armée des G<strong>au</strong>les et rien ne semblait<br />

pouvoir arrêter la marche de ses légionnaires.<br />

A Rome le chaos était total. La Ville était submergée par l’arrivée de milliers de citoyens du<br />

nord de l’Italie fuyant devant l’avancée de l’ennemi. Les partisans de César et de Pompée en<br />

vinrent <strong>au</strong>x mains dans les rues de la Cité, les premiers enorgueillis par les succès de leur<br />

champion se moquant des seconds qui restaient enfermés chez eux et clouaient des planches<br />

devant leur fenêtres et leurs portes. C’était comme si la Ville « se trouvait comme inondée<br />

d'un déluge peuples qui s'y réfugiaient de tous les environs ; et dans une agitation, dans une<br />

tempête si violente, il n'était plus possible à <strong>au</strong>cun magistrat de la contenir par la raison ni<br />

par l'<strong>au</strong>torité ; elle fut sur le point de se détruire par ses propres mains. Ce n'était partout que<br />

des passions contraires et des ni mouvements convulsifs 2 ». Au Sénat, on s’entredéchirait ; les<br />

uns proposaient qu’on envoyât une ambassade à César, les <strong>au</strong>tres qu’on évacuât la Ville sur le<br />

champ, les derniers qu’on commençât à renforcer les murailles. L’anarchie fut à son comble<br />

quand Pompée, qui quand on lui avait demandé pourquoi il ne se trouvait <strong>au</strong>cune armée entre<br />

le Rubicon et Rome avait laconiquement répondu : « Ne vous inquiétez pas ! En quelque point<br />

de l’Italie que je frappe, moi, le sol du pied, il en sortira des armées de fantassins et de<br />

cavaliers ! 3 », annonça <strong>au</strong>x Pères d’une voix mal assurée : « qu’il avait tout prêts les soldats<br />

arrivés de chez César, et qu’il croyait pouvoir rassembler promptement les nouvelles recrues,<br />

du nombre de trente mille. 4 » Le grand général n’avait donc en tout et pour tout que 8000<br />

hommes de César à opposer à ce dernier. Dans la confusion <strong>au</strong>cune décision ne put être prise<br />

ce jour-là. Pendant ce temps César marchait sur l’Urbs avec 5000 hommes à une vitesse<br />

défiant toute prédiction.<br />

Dans le marasme ambiant, seul Cicéron sut garder la tête froide. « Il n’y avait pas encore eu<br />

de combat, l’irréparable n’avait pas encore été commis. 5 » un règlement précoce du conflit<br />

était donc encore possible. L’orateur proclama même qu’il était prêt à renoncer à son propre<br />

triomphe pour sa victoire <strong>au</strong> mont Amanus <strong>au</strong> profit du triomphe de César si cela impliquait le<br />

retour de la concorde civile. A son initiative César proposa une dernière tentative d’accord ;<br />

« Que Pompée se rende dans son gouvernement; que tous deux licencient leurs troupes; que<br />

chacun pose les armes en Italie; que Rome soit délivrée de ses craintes; que les comices<br />

soient libres, et les affaires publiques remises <strong>au</strong> Sénat et <strong>au</strong> peuple romain. Enfin, pour<br />

aplanir ces difficultés, pour arrêter les conditions d'un accord, et les sanctionner par un<br />

serment, que Pompée s'approche ou qu'il se laisse approcher par César: une entrevue pourra<br />

terminer leurs différends. 6 »<br />

1<br />

Plutarque, Vie de César, XXXVII.<br />

2<br />

Plutarque, Vie de César, XXXVIII.<br />

3<br />

Plutarque, Vie de Pompée, LVII.<br />

4<br />

Ibidem, LX.<br />

5<br />

Grimal, Cicéron, p.297.<br />

6<br />

César, La guerre civile, I, IX, 5-6.<br />

41


Cicéron contre les triumvirs<br />

Une fois de plus les Sénateurs se montrèrent intraitable et répondirent : « Que César<br />

retournerait en G<strong>au</strong>le, sortirait d'Ariminium, licencierait son armée: que, moyennant cela,<br />

Pompée irait en Espagne. En attendant, jusqu'à ce que César eût garanti l'exécution de ses<br />

promesses, les consuls et Pompée ne discontinueraient point les levées 1 ». Le marché n’étant<br />

pas équitable, César refusa de lui donner suite et rompit les négociations. La guerre civile, la<br />

plus affreuse de toutes les guerres, était désormais inévitable.<br />

Pompée, qui avait à ce moment-là plus de soldats que César sous son commandement, fut<br />

alors instruit de l’arrivée prochaine de l’arrivée des renforts de César en Italie. L’in<strong>format</strong>ion<br />

était erronée. Les légions des G<strong>au</strong>les n’avaient pu encore franchir les cols bloqués par la<br />

neige. Mais le général, qui, pris dans la tourmente des événements, « n'était pas le maître de<br />

suivre ses propres sentiments 2 », se laissa berner. Le 17 janvier, pourvu du commandement<br />

suprême, il décida que la Ville était indéfendable et donna l’ordre à tous les sénateurs et amis<br />

de la République de se réfugier à Capoue où l’attendaient ses deux légions empruntées à<br />

César. Devant la honte de perdre la Cité sans combattre plusieurs sénateurs tel Caton<br />

s’insurgent. Mais la grande majorité des Pères fit, bien que pris par le doute, comme Cicéron,<br />

confiance <strong>au</strong> Magnus. « Ce qu’a décidé notre Gnaeus ou ce qu’il décide, je l’ignore ; il se<br />

tient encore inactif dans les bourgs, cloîtré en une sorte de stupeur. Nous serons tous avec lui,<br />

pourvu qu’il tienne bon en Italie. 3 » Ce dernier leur promit qu’il ne quitterait point l’Italie et<br />

que la Ville serait reprise sous peu. De fait dès que les troupes que les émissaires du Sénat<br />

étaient entrain de lever seraient prêtes. Il se justifia de l’abandon de la Métropole en citant<br />

l’exemple de Thémistocle l’Athénien qui, lorsque les Perses marchaient sur la cité, l’avait fait<br />

évacuer 4 pour mieux la reprendre après la victoire des navires grecs à Salamine le 22<br />

septembre 480 avant JC. 5<br />

Pompée ne pouvait être sincère lorsqu’il fit la promesse de la reconquête rapide de Rome <strong>au</strong>x<br />

sénateurs. L’homme n’était certes pas un grand politicien mais c’était un grand stratège. Il ne<br />

pouvait ignorer qu’abandonner la Ville c’était abandonner l’Italie. Même en pratiquant un<br />

recrutement intensif, il ne pourrait faire face en quelques mois <strong>au</strong>x douze légions de César<br />

constituées de vétérans aguerris. Pompée misa tout sur un grand affrontement tardif en<br />

espérant écraser César par le nombre. Il fallait donc économiser un maximum de troupes<br />

avant la bataille où, pensait-il, se jouerait le sort de la République. Une telle stratégie était très<br />

risquée. Primo parce qu’en cas de défaite, l’armée légale n’<strong>au</strong>rait plus d’endroit sûr où trouver<br />

asile, secundo parce qu’abandonner l’Italie à César risquait bien de démoraliser les partisans<br />

de Pompée avant le combat décisif.<br />

Toujours est-il que le soir tombant, on vit défiler sur la via Appia des centaines de sénateurs<br />

avec leur familles et les quelques biens qu’ils avaient pu emporter attachés à eux comme<br />

« s'ils les eussent enlevés <strong>au</strong>x ennemis 6 ».<br />

1 César, La guerre civile, I, X, 3-4.<br />

2 Plutarque, Vie de César, XXXIX.<br />

3 Cicéron, Correspondance, V, CCC à Atticus, 1.<br />

4 L’exemple de Pompée n’est pas tout à fait exact, en effet c’est l’assemblée du peuple qui avait fait évacuer la<br />

ville en 478, en 49 c’est le général seul qui prend cette décision et non pas le Sénat ou les comices.<br />

5 Cicéron, Correspondance, V, CCCI à Atticus, 2.<br />

6 Plutarque, Vie de César, XXXIX.<br />

42


Cicéron contre les triumvirs<br />

« C'était un spectacle digne de pitié que de voir, dans une si terrible tempête, cette<br />

ville abandonnée, et semblable à un vaisse<strong>au</strong> sans pilote, flotter <strong>au</strong> hasard dans<br />

l'incertitude de son sort. Mais quelque déplorable que fût cette fuite, les Romains<br />

regardaient le camp de Pompée comme la patrie, et ils fuyaient Rome comme le camp<br />

de César. 1 » Très peu de sénateurs et d’aristocrates restèrent fidèle à la Cité Pompée<br />

ayant déclaré « qu’il regarderait comme du parti de César ceux d’entre eux qui resteraient à<br />

Rome 2 ». Dans la débandade, on vit même Lentulus s’enfuir avec une partie de l’argent public<br />

en laissant les portes du trésor ouvertes.<br />

Cicéron ne savait quel parti prendre. Rester à Rome comme l’<strong>au</strong>rait exigé une certaine<br />

conception de l’honneur, c’était se déclarer pour César. Partir à Capoue, c’était prendre le<br />

parti de Pompée. N’ayant pas encore pris sa décision formelle mais se rangeant plutôt du côté<br />

de la légalité, donc du vainqueur de Mithridate, l’orateur fit route <strong>au</strong> petit matin vers sa villa<br />

de Formies pour attendre la suite des événements. Il répugnait à être appelé Pompéien comme<br />

il <strong>au</strong>rait répugné être appelé Césarien si il était resté à Rome. Il avait conscience d’être un<br />

bonus et dans de telles circonstances, un bonus n’a recours qu’à lui-même 3 . Sa famille le<br />

rejoindrait un peu plus tard, moins exposée car profitant de la protection du nouve<strong>au</strong> mari de<br />

Tullia, Dolabella qui était un fidèle de César.<br />

Entre-temps le vainqueur des G<strong>au</strong>les était entré dans Rome. Etant donné que seuls ses fidèles<br />

étaient restés en Ville, il n’y eu <strong>au</strong>cun acte de résistance. Ne s’arrêtant que peu de temps dans<br />

l’Urbs, il laissa à Antoine et à ses amis le soin de gérer les affaires courantes avec ce qui<br />

restait du Sénat. Continuant la poursuite, César entra pour la première fois en contact avec<br />

l’ennemi à Corfinium. La cité était défendue par les troupes de Domitius qui constituaient la<br />

seule et unique ligne de défense pompéienne en Italie. Domitius était un sénateur ultra et<br />

l’ennemi juré du consul de 59. C’était lui qui avait été désigné pour remplacer César dans ses<br />

provinces après le vote du 7 janvier. César parvint <strong>au</strong> pied des remparts le 15 février. Une<br />

semaine plus tard, grâce à des complicités internes, la place était prise. Domitius tenta de se<br />

suicider mais son médecin lui administra un somnifère en place du poison. Revenu à lui, il se<br />

réveilla, il se trouvait prisonnier dans le camp ennemi. Mais César, faisant preuve d’une<br />

clémence étonnante en pareille circonstance, lui rendit non seulement la liberté ainsi qu’<strong>au</strong>x<br />

<strong>au</strong>tres sénateurs captifs, mais, ayant été informé qu’il avait placé six millions de sesterces<br />

destinés à ses soldats dans les coffres de la ville, il les lui remit dans leur intégralité « pour<br />

qu'on ne pensât pas qu'il avait plus de respect pour la vie des hommes que pour leur<br />

argent 4 ». Cette clémence du général envers l’un de ses pires adversaires politiques<br />

impressionna grandement ses ennemis. César, loin de prendre exemple sur les proscriptions<br />

de Sylla, préférait s’imposer par la « douceur ». « Il écrivit à ses amis de Rome que le fruit<br />

le plus réel et le plus doux qu'il pût retirer de sa victoire était de s<strong>au</strong>ver tous les jours<br />

quelques-uns de ceux de ses concitoyens qui avaient porté les armes contre lui. 5 »<br />

Politique très réfléchie car avec le nombre de sénateurs hésitant entre suivre Pompée dans sa<br />

fuite à Brindes, synonyme pour be<strong>au</strong>coup de repli futur en Grèce, avec tous les risques que<br />

cela comportait et rejoindre le camp adverse, la générosité du conquérant des G<strong>au</strong>les était de<br />

nature à faire pencher la balance.<br />

1 Ibidem, XL.<br />

2 Plutarque, Vie de Pompée, LXI.<br />

3 Grimal, Cicéron, p.208.<br />

4 César, La guerre civile, I, XXIII, 4.<br />

5 Plutarque, Vie de César, LIII.<br />

43


Cicéron contre les triumvirs<br />

La peur que Cicéron et ses confrères avaient de voir le général se laisser manipuler par ses<br />

lieutenants <strong>au</strong> tempérament impulsif « Tu crains des proscriptions, non sans raison… je<br />

connais ceux qui lui dicteront sa conduite 1 », avait été dissipée. César était bien seul <strong>au</strong>x<br />

commandes, sa clémence en était la preuve.<br />

Pompée, averti de la chute de Domitius, s’était donc retiré à Brindes d’où les sénateurs qui lui<br />

étaient restés fidèles avaient fait voile vers Dyrrachium. Le vainqueur de Mithridate étant<br />

resté en arrière avec vingt cohortes. On ne sait s’il comptait tenir la ville pour être certain de<br />

contrôler l’Adriatique avec sa flotte et pour garder un point d’encrage en Italie ou s’il<br />

comptait uniquement l’utiliser comme embarcadère pour fuir mais qu’il manquait de<br />

vaisse<strong>au</strong>x ; « On ne savait pas si, en restant, son intention avait été de garder cette place, afin<br />

de dominer plus facilement toute la mer Adriatique par les extrémités de l'Italie et de la<br />

Grèce, et de pouvoir ainsi diriger la guerre des deux côtés, ou s'il avait été retenu par le<br />

manque de vaisse<strong>au</strong>x. 2 ». César se présenta sous les murailles le 9 mars. Nul ne se doutait<br />

alors que le siège de Brindisium allait être l’une des plus spectaculaires batailles de toute<br />

l’histoire romaine. « César, craignant que Pompée ne voulût pas quitter l'Italie, résolut de<br />

fermer la sortie du port de Brindes, et d'empêcher le service. Voici les trav<strong>au</strong>x qu'il fit pour<br />

cela. Là où l'entrée du port était le plus resserrée, il jeta <strong>au</strong>x deux côtés du rivage un môle et<br />

des digues, chose que les bas-fonds rendaient facile en cet endroit. Plus loin, comme la digue<br />

ne pouvait se maintenir à c<strong>au</strong>se de la profondeur des e<strong>au</strong>x, il plaça, à trente pieds des digues,<br />

deux rade<strong>au</strong>x qu'il fixa <strong>au</strong>x quatre angles par des ancres, pour que les vagues ne pussent les<br />

ébranler. Quand ces rade<strong>au</strong>x furent posés et établis, il en ajouta d'<strong>au</strong>tres de pareille<br />

grandeur, et les couvrit de terre et de fascines, afin qu'on pût marcher dessus librement quand<br />

il s'agirait de les défendre. Sur le front et sur les côtés, il les garnit de parapets et de claies ;<br />

et de quatre en quatre de ces rade<strong>au</strong>x il éleva des tours à deux étages, pour les mieux garantir<br />

de l'attaque des vaisse<strong>au</strong>x et de l'incendie. À ces trav<strong>au</strong>x Pompée opposa de grands vaisse<strong>au</strong>x<br />

de transport qu'il avait trouvés dans le port de Brindes. Il éleva dessus des tours à trois<br />

étages, les remplit de machines et de toute sorte de traits, et les envoya contre les ouvrages de<br />

César pour rompre les rade<strong>au</strong>x et troubler les travailleurs. Ainsi chaque jour on combattait<br />

de loin avec les frondes, les flèches et les <strong>au</strong>tres traits. 3 »<br />

Cependant, les vaisse<strong>au</strong>x ayant transporté les sénateurs et la première partie des troupes<br />

étaient de retour. Pompée décida alors qu’il était temps d’évacuer la cité. « Pour mieux<br />

retarder une attaque de César, pour empêcher l'ennemi d'entrer dans la ville <strong>au</strong> moment où il<br />

en sortirait, il fit murer les portes, barricader les carrefours et les places, creuser des fossés<br />

en travers des rues. On enfonça des bâtons pointus et des pieux, qu'on recouvrit légèrement<br />

de claies et de terre. Quant <strong>au</strong>x deux avenues ou chemins qui conduisaient du dehors de la<br />

ville <strong>au</strong> port, il les ferma <strong>au</strong> moyen de h<strong>au</strong>tes poutres pointues. 4 » Cela fait, il se décida à<br />

lancer l’évacuation pendant la nuit du 16 <strong>au</strong> 17 mars. Malheureusement pour lui, les habitants<br />

de Brindes, mécontents d’avoir été entraînés de force dans la guerre par Pompée, montèrent<br />

sur les toits et brandissant des torches, avertirent César de la fuite de son vieil ennemi. Les<br />

troupes de ce dernier escaladèrent <strong>au</strong>ssitôt les murailles et, évitant les pièges grâce <strong>au</strong>x<br />

habitants, arrivèrent très rapidement <strong>au</strong> port. Le consul de 64 parvint cependant à prendre la<br />

1 Cicéron, Correspondance, CCCXXII à Atticus, 1.<br />

2 César, La guerre civile, I, XXV, 3.<br />

3 César, La guerre civile, I, XXV, 5-10 / XXVI, 1.<br />

4 Ibidem, XXVII, 3-4.<br />

44


fuite, et seuls furent capturés deux navires et leur équipage qui s’étaient échoués sur la digue<br />

de César.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Le choix de Cicéron<br />

Le dilemme de Cicéron devint alors cornélien. Fallait-il rejoindre le camp de Pompée ou celui<br />

de son ennemi ? A première vue on penserait évidemment que pour le père de la patrie c’était<br />

la légalité qui primait avant tout, donc le camp des consuls et de la majorité des sénateurs.<br />

Certes Cicéron prenait cela en compte. Mais deux éléments l’empêchaient de rejoindre les<br />

pompéiens en toute sérénité ; D’abord, il connaissait les faiblesses de leur chef. L’Arpinate<br />

n’avait pas oublié son départ en exil, quand le « grand homme » était sorti par une porte<br />

dérobée pour ne pas avoir à aider un ami contre ses intérêts, caractéristique d’un être<br />

hypocrite et peu fiable. Le vainqueur de Mithridate était certes un grand général mais les<br />

erreurs tactiques qu’il avait commises dans les jours où se jouait le sort de l’Italie laissaient à<br />

penser que le général avait un peu perdu de son talent passé.<br />

Ensuite, la fuite en Grèce était de tout évidence contraire à l’honneur. « J’avais grand espoir<br />

que nous pourrions en Italie ou rétablir la concorde…ou défendre la République d’une façon<br />

tout à fait digne de nous. 1 » Une fuite stratégique après avoir défendu l’Italie jusqu’à la<br />

dernière minute n’<strong>au</strong>rait pas été contraire à l’honestum. Mais une pantalonnade dans de telles<br />

conditions était contraire <strong>au</strong>x devoirs mor<strong>au</strong>x romains les plus élémentaires. Atticus, partisan<br />

de César, insista avec empressement sur ce point et Cicéron ne se montra pas insensible à ses<br />

arguments. « O la honte ! et la misère qui s’ensuit. Car, je le sens : il n’y a rien de misérable<br />

en fin de compte, ou plutôt absolument, que ce qui est honteux. 2 »<br />

Face à ces constatations, César, brillant politicien et général qui s<strong>au</strong>rait assurément faire<br />

preuve de clémence envers l’ancien consulaire. Se rallier <strong>au</strong>x vainqueurs lui permettrait non<br />

seulement de rester sur la terre italienne tant chérie, mais également de continuer à faire de la<br />

politique. De plus se trouvaient dans le camp de César de nombreux hommes qu’il estimait et<br />

respectait, <strong>au</strong> contraire du camp pompéien composé, dans sa grande majorité, de sénateurs et<br />

d’aristocrates prônant une politique dépassée. Sans compter que César avait la foule avec lui.<br />

« Mais dis-moi, je te prie, s’il peut y avoir de situation plus pitoyable : l’un, avec la c<strong>au</strong>se la<br />

plus honteuse, s’attire les appl<strong>au</strong>dissements ; l’<strong>au</strong>tre, avec la meilleure, les camouflets ; le<br />

premier a la réputation de s<strong>au</strong>ver ses ennemis ; l’<strong>au</strong>tre d’abandonner ses amis ! 3 » Bref, en<br />

tout point rejoindre le conquérant des G<strong>au</strong>les, c’était le choix de l’intérêt, de l’intelligence et<br />

de la facilité.<br />

Cicéron savait néanmoins que, s’il n’était pas certain que Pompée voulût devenir dictateur,<br />

l’envie de César était de devenir le recteur de la République, pour ne pas dire son roi. Et s’il y<br />

avait, certes, des hommes de valeurs avec ce dernier, se trouvaient <strong>au</strong>ssi à ses côtés des<br />

hommes, tel Marc Antoine, honnis du consul de 63. Des hommes qui, si on s’était trouvé<br />

quatorze ans plus tôt, <strong>au</strong>raient sûrement été vaincu par le s<strong>au</strong>veur de la République. Il<br />

répugnait à se joindre à de telles troupes. Dans cet optique, « il refusa constamment de venir à<br />

Rome siéger dans le nouve<strong>au</strong> Sénat qui regroupait ceux qui s’étaient alliés à César. 4 » Et quel<br />

1 Cicéron, Correspondance, V, CCCL à Cn. Pompée, 1.<br />

2 Cicéron, Correspondance, V, CCCXLV à Atticus, 1.<br />

3 Ibidem, CCCXLVI à Atticus, 1.<br />

4 Nicolet et Michel, Cicéron, p. 70.<br />

45


déshonneur si les pompéiens parvenaient à renverser la situation et à vaincre César ! Au<br />

contraire une défaite <strong>au</strong> côté de la légalité n’était point honteuse ni contraire à l’honneur.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Sans compter que l’Arpinate, même si Pompée avait lâchement joué contre lui dans le passé,<br />

avait une dette envers lui. C’était un ami d’enfance, et il l’avait tiré de son exil. C’était encore<br />

lui qui avait rest<strong>au</strong>ré la paix, tant désirée par l’orateur, dans la Ville en aidant à neutraliser<br />

Clodius. Aussi l’avocat ne pouvait rejoindre les césariens en conformité avec le bien moral.<br />

« Dans le conflit entre l’intérêt et le devoir moral, Cicéron ne s<strong>au</strong>rait hésiter. 1 »<br />

Le 28 mars, César vint trouver Cicéron à Formies, celui-ci ne se défila pas et affronta le<br />

vainqueur. Les deux grands personnages parlèrent philosophie, littérature, stratégie, histoire,<br />

et politique. Enfin le général fit ses offres à l’orateur. Ce dernier pourrait rejoindre le nouve<strong>au</strong><br />

Sénat dans les rangs de l’opposition, bénéficierait d’une large liberté d’action et, d’une<br />

manière générale, seconderait César dans des tâches d’importance. Cicéron accepta à une<br />

seule condition, pouvoir, lors de sa première apparition devant la nouvelle assemblée, plaider<br />

pour la paix et faire un éloge de Pompée dans le but de rétablir la concorde civile. César, mis<br />

en difficulté, refusa et, « pour s’en tirer, César donna le conseil de réfléchir 2 ». Notons que<br />

le célèbre julien ne fit pas mention de cette entrevue dans son ouvrage sur la guerre civile,<br />

était-ce dû à un sentiment de défaite ?<br />

Le général partit peu après -le 7 avril- combattre les pompéiens en Espagne. Il ne pouvait<br />

laisser une telle base arrière <strong>au</strong>x troupes adverses, de peur que pendant qu’il combattrait son<br />

ennemi en Grèce, elles ne reconquissent l’Italie.<br />

Pour Cicéron, l’entrevue avait été décisive. Ayant enfin entendu de ses propres oreilles les<br />

thèses de César et de ses lieutenants, thèses qui lui seront confiées d’une façon encore plus<br />

alarmiste par Curion dans une entrevue quelques jours plus tard, il convint finalement à l’idée<br />

de rejoindre la Grèce et Pompée. Malgré les lettres des amis de César le félicitant de rester en<br />

Italie et d’avoir choisi le bon camp. « Je pense, pardieu, comme toi, mon cher Cicéron, que tu<br />

ne s<strong>au</strong>rais, sans manquer à ta réputation et <strong>au</strong> devoir, porter les armes contre un homme<br />

<strong>au</strong>quel tu te proclames redevable d’un si grand bienfait. 3 », ou dénigrant Pompée « As-tu vu<br />

plus maladroit que ton Cn. Pompée, qui, avec son fonds de niaiseries, s’est avisé de susciter<br />

de si grands désordres ? Et de plus ardent à mener l’action que notre César, de plus modéré<br />

<strong>au</strong>ssi dans la victoire, en connais-tu, dis-moi, par lecture ou ouï-dire ? 4 ». Et malgré les<br />

menaces de Marc Antoine, chargé par César de gérer les affaires courantes en Italie et de<br />

soutenir les campagnes militaires de son général à l’arrière. Cicéron, sachant bien qu’<strong>au</strong>cun<br />

des deux camps ne représentait vraiment la République, choisit celui qui lui permettait de<br />

remplir sa dette d’honneur. « Si je fais cela, je ne le fais pas pour l’Etat, qui, à mon avis, est<br />

complètement détruit ; je le fais pour que l’on ne me juge pas ingrat à l’égard de l’homme qui<br />

m’a tiré des malheurs où il m’avait lui-même plongé et <strong>au</strong>ssi parce que je ne peux être témoin<br />

de ce qui se passe ou de ce qui, du moins, va se passer. 5 » Après avoir mis ses affaires,<br />

notamment familiales, en ordre et avoir réfléchi une dernière fois <strong>au</strong>x conséquences de son<br />

choix, il s’embarqua le 7 juin avec Quintus à ses côtés pour l’Orient.<br />

1 Grimal, Cicéron, p.301.<br />

2 Ibidem, p.306.<br />

3 Cicéron, Correspondance, CCCLXXI de Balbus, 1.<br />

4 Ibidem, CCCLXIX de M. Célius Rufus, 1.<br />

5 Ibidem, CCCLXXV à Atticus, 1.<br />

46


Cicéron contre les triumvirs<br />

Face à face en Espagne et en Afrique<br />

César avait dit à ses amis en partant: "Je vais combattre une armée sans général…<br />

A peine l’orateur était-il entré dans le camp de Pompée en Epire qu’il regretta d’être venu. La<br />

faiblesse des effectifs, le peu de volonté, de combativité et de confiance en leur chef des<br />

soldats et le comportement des officiers, qui ne valaient pas mieux que les moins honorables<br />

hommes de confiance de César, lui firent immédiatement recommander <strong>au</strong> vainqueur de<br />

Mithridate de conclure une paix avec son ennemi. Pompée, bien entendu, refusa. Pompée était<br />

d’avis de faire traîner la guerre en longueur jusqu’<strong>au</strong> jour où, ses forces étant supérieures, il<br />

pourrait se lancer dans la reconquête des territoires perdus. Sa flotte, sous le commandement<br />

de Bibulus contrôlait solidement l’Adriatique et il pensait pouvoir assemblé assez de forces du<br />

temps que César contournât la mer à pied avec ses hommes.<br />

Caton fut le seul pompéien à regretter l’arrivée de Cicéron ; il le blâma d’avoir mis en danger<br />

sa vie et son honneur dans une aventure si périlleuse alors qu’il <strong>au</strong>rait pu rester à Rome et<br />

militer dans l’opposition. «Pour moi, lui dit-il, je ne pouvais, sans me faire tort, abandonner<br />

une c<strong>au</strong>se à laquelle je me suis attaché dès ma première entrée dans les affaires publiques ;<br />

mais vous, n'<strong>au</strong>riez-vous pas été plus utile à votre patrie et à vos amis en restant neutre dans<br />

Rome, pour vous conduire d'après les événements, <strong>au</strong> lieu de venir ici, sans raison et sans<br />

nécessité ; vous déclarer l'ennemi de César et vous jeter dans un si grand péril ? 1 »<br />

L’orateur constatant que Pompée ne se hâtait pas d’opposer une riposte contre les victoires<br />

césariennes en Espagne et en Sicile, se mit alors à se moquer ouvertement des préparatifs du<br />

général, à blâmer le moindre de ses actes et à se railler de ses alliés. De juillet 49 à août 48 il<br />

resta oisif dans le camp de Pompée « celui-ci ne sait trop quelle mission lui confier ; luimême,<br />

d’ailleurs, n’en accepterait <strong>au</strong>cune 2 ». Il ne manquait <strong>au</strong>cune occasion de lancer des<br />

boutades contre le commandement « Domitius, qui voulait élever <strong>au</strong> grade de capitaine un<br />

homme peu fait pour la guerre, vantait la douceur et l'honnêteté de ses moeurs, « Que ne le<br />

gardez-vous, lui dit Cicéron, pour élever vos enfants ?»… Un certain Marcius, nouvellement<br />

arrivé d'Italie, disait que le bruit courait dans Rome que Pompée était assiégé dans son camp.<br />

« Vous vous êtes donc embarqué tout exprès, lui dit Cicéron, pour venir vous en assurer par<br />

vos propres yeux ? » Après la défaite de Pompée, Nonnius portait les esprits à la confiance,<br />

parce qu'il restait encore sept aigles dans le camp. « Vous <strong>au</strong>riez raison, répliqua Cicéron, si<br />

nous avions à combattre contre des geais. » Labiénus, plein de confiance en certaines<br />

prédictions, soutenait que Pompée finirait par être vainqueur. «Cependant, lui dit Cicéron,<br />

avec cette ruse de guerre nous avons perdu notre camp. 3 » « Comme quelqu’un lui disait qu’il<br />

arrivait bien tard, il dit : "Mais non, pas tard du tout, puisque je vois que rien n’est prêt ici".<br />

Pompée lui ayant demandé (sans doute ironiquement) où se trouvait son gendre 4 , il répondit :<br />

1 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXVIII.<br />

2 Grimal, Cicéron, p. 311.<br />

3 Plutarque, Vie de Cicéron, XXXVIII.<br />

4 Il s’agit de Dolabella, mari de Tullia et fervent partisan de César.<br />

47


"Avec ton be<strong>au</strong>-père. 1 "… Sur quoi Pompée grommelait : "Je voudrais bien que Cicéron<br />

passe à l’ennemi ; <strong>au</strong> moins il <strong>au</strong>rait peur de nous ! " 2 »<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Pendant ce temps les Césariens remportaient des victoires éclatantes. Marseille, qui s’était<br />

déclarée pour Pompée fut prise après un siège de plus de quatre mois. Les habitants « las<br />

enfin de tous les m<strong>au</strong>x qu'ils souffraient, réduits à la dernière disette, deux fois vaincus sur<br />

mer, toujours repoussés dans leurs sorties, affligés de maladies contagieuses c<strong>au</strong>sées par la<br />

longueur du siège et par le changement de nourriture (car ils ne se nourrissaient plus que de<br />

millet vieilli et d'orge gâté, dont ils avaient jadis pourvu les greniers publics en cas de siège);<br />

voyant leur tour détruite, une grande partie des murs renversée, et n'espérant plus de secours<br />

ni des provinces ni des armées qu'ils savaient s'être soumises à César, ils se déterminèrent à<br />

se rendre de bonne foi. 3 » César se montra magnanime laissant la liberté à ses citoyens et leur<br />

permettant de garder leurs murailles ; il leur confisqua néanmoins leurs armes et leur trésor 4 .<br />

En Espagne citérieure, les lieutenants de Pompée, Petreius et Afranius furent défaits à Ilerda<br />

après de durs combats. César fit une nouvelle fois preuve de clémence après sa victoire, se<br />

contentant de licencier les soldats ennemis et leurs chefs sans les punir. Cela parut<br />

particulièrement étonnant <strong>au</strong>x pompéiens étant donné qu’eux-mêmes n’avaient pas fait de<br />

quartier avec les soldats césariens capturés quand ces derniers avaient tenté d’amadouer leurs<br />

troupes quelques semaines plus tôt. « Après cela Pétréius parcourt les rangs en pleurant,<br />

exhortant les soldats, les conjurant de ne point livrer à leurs ennemis et <strong>au</strong> supplice Pompée,<br />

leur général absent, et lui-même. Aussitôt il les assemble dans le prétoire. Là il les invite à<br />

jurer tous de n'abandonner ni l'armée, ni les chefs, de ne pas trahir, et de ne faire <strong>au</strong>cun<br />

traité particulier. Il le jure le premier, Afranius prête le même serment; les tribuns militaires<br />

et tes centurions suivent cet exemple; les soldats viennent ensuite par centuries. On ordonne à<br />

tous ceux qui ont en leur pouvoir quelque soldat de César de le livrer: on les amène dans le<br />

prétoire, et là on les égorge. 5 » Une fois de plus la générosité fut la bonne solution. Loin de<br />

tenter de nuire <strong>au</strong> vainqueur, les soldats et leurs génér<strong>au</strong>x acceptèrent désormais César comme<br />

<strong>au</strong>torité suprême. « Depuis lors, dans tous les différends qu'ils eurent, les soldats prirent<br />

César pour arbitre. Pétréius et Afranius, refusant de payer la solde, sous prétexte que le<br />

terme n'était pas encore échu, et les soldats la réclamant d'une manière séditieuse, on pria<br />

César de prononcer: les uns et les <strong>au</strong>tres s'en tinrent à son jugement. 6 »<br />

En Espagne ultérieure, le dernier des lieutenants de Pompée, Varron après avoir été tenté de<br />

se joindre à César, avait finalement pris les armes. Une fois qu’il ne put plus rien ni pour ses<br />

amis en Espagne citérieure, ni pour les Marseillais, il se retrancha à Gadès espérant faire durer<br />

les combats. Ainsi César serait forcé de rentrer en Italie appelé par des affaires urgentes et luimême<br />

pourrait reprendre l’offensive. Mais « César, bien que plusieurs affaires importantes le<br />

rappelassent en Italie, avait pourtant résolu de ne laisser en Espagne <strong>au</strong>cun reste de guerre;<br />

car il savait que Pompée s'était fait, par ses bienfaits et ses grâces, de nombreux partisans<br />

1<br />

La fille de César avait été mariée à Pompée par alliance politique. La malheureuse mourut en enfantant, quatre<br />

ans avant le début de la guerre civile. On dit que cela rompit le dernier lien unissant Pompée et son be<strong>au</strong>-père.<br />

2<br />

Grimal, Cicéron, p. 311.<br />

3<br />

César, La guerre civile, II, XXII, 1.<br />

4<br />

Marseille perdit cependant sa prédominance dans le sud de la G<strong>au</strong>le <strong>au</strong> profit d’Arles qui soutenait César<br />

depuis longtemps.<br />

5 César, La guerre civile, I, LXXVIII, 1-4.<br />

6 Ibidem, LXXXVII, 2, 3.<br />

48


dans la province citérieure. 1 » Le plan de Varron tourna court car les habitants de Gadès<br />

étaient, comme peu de temps <strong>au</strong>paravant ceux de Brindes, peu disposés à se laisser prendre en<br />

otages dans la guerre et à voir leur ville assiégée ce qui <strong>au</strong>rait ruiné la cité et son commerce<br />

pour de nombreuses années. Aussi prévinrent-ils Varron qu’il devait s’attendre à une forte<br />

résistance interne.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Apprenant cela, l’une des deux légions que le commandant avait sous ses ordres déposa les<br />

armes d’elle-même et « se retira à Hispalis, où elle s'établit, sans <strong>au</strong>cun désordre, sous les<br />

portiques et sur la place publique. Cette conduite fut si agréable <strong>au</strong>x citoyens romains qui<br />

faisaient partie de l'assemblée, qu'ils s'empressèrent de leur offrir l'hospitalité dans leurs<br />

maisons 2 ». Varron, très surpris, décida de se replier à Italica mais apprit que là <strong>au</strong>ssi, les<br />

portes lui étaient fermées.<br />

Comprenant que le combat était sans issue, il se rendit à César avec sa légion et lui donna<br />

l’argent qu’il avait prélevé pour la guerre et les emplacements de ses réserves de nourriture et<br />

de ses navires. Les territoires contrôlés par le parti du conquérant des G<strong>au</strong>les 3 <strong>au</strong>gmentaient<br />

de jour en jour tandis que ceux de ses adversaires étaient de plus en plus étroits et menacés.<br />

Pendant que César combattait en Espagne, l’un de ses plus fidèles lieutenants, Curion qui était<br />

<strong>au</strong>trefois un ami de Cicéron, avait repris avec quatre légions la Sicile des mains des<br />

pompéiens. Voulant faire plaisir à César et à son orgueil personnel, il continua d’avancer sans<br />

ordre et débarqua en Afrique flanqué seulement de la moitié de ses troupes. Arrivé devant la<br />

cité d’Utique, tenue par les troupes ennemies, il constata que l’entreprise allait être plus<br />

difficile qu’il ne l’avait tout d’abord pensé. Car non seulement le commandant ennemi, Varus,<br />

était loin d’être un imbécile mais il jouissait de l’aide du roi numide Juba, un ami de Pompée<br />

qui haïssait Curion, car celui-ci, quand il était tribun, avait fait confisquer son roy<strong>au</strong>me 4 .<br />

Les premières batailles furent à l’avantage de Curion. Après avoir vaincu les premiers renforts<br />

envoyés par Juba, il parvint à vaincre, par <strong>au</strong>dace, les troupes ennemies alors même qu’elles<br />

se trouvaient dans une situation bien plus favorable 5 , et put finalement assiéger la ville. Une<br />

tentative de ses adversaires pour gagner les soldats césariens, car c’était, à quelques hommes<br />

prêts, les troupes qui s’étaient rendues à César après sa victoire à Corfinium, échoua. L’ancien<br />

tribun dut cependant lever le siège quelques temps plus tard car Juba arrivait en renfort avec<br />

de fortes troupes. S’étant retiré dans le camp qu’il occupait <strong>au</strong> départ, Curion le fit fortifier,<br />

s’assura qu’il y avait assez de provisions pour tenir un siège d’une durée limitée et donna<br />

l’ordre <strong>au</strong>x deux légions qu’il avait laissées en arrière de venir le rejoindre. « Il quitta ses<br />

retranchements et se retira dans le camp Cornélius. Il y rassembla des vivres, y ajouta des<br />

fortifications, y fit transporter des matéri<strong>au</strong>x, et envoya <strong>au</strong>ssitôt en Sicile pour qu'on lui<br />

amenât les deux légions et le reste de la cavalerie. Le poste qu'il occupait était on ne peut<br />

plus commode pour traîner la guerre en longueur; il avait pour lui le terrain, les<br />

retranchements, le voisinage de la mer, de l'e<strong>au</strong> douce, et du sel que les salines des environs<br />

1<br />

César, La guerre civile, II, XVIII, 7.<br />

2<br />

Ibidem, XX, 4, 5.<br />

3<br />

A cette époque de notre récit : les G<strong>au</strong>les, l’Italie, les Espagnes, la Sardaigne et la Sicile.<br />

4<br />

César, La guerre civile, II, XXV, 4.<br />

5<br />

Les troupes de Varus se trouvaient sur une colline très escarpée, derrière de solides fortifications entourées<br />

d’un côté par Utique, de l’<strong>au</strong>tre par son théâtre, il était donc impossible d’encercler le camp ou de l’attaquer par<br />

l’arrière et très difficile de l’attaquer de front. Curion réussit à vaincre en faisant sortir l’ennemi de ses défenses<br />

et en le surprenant avec sa cavalerie.<br />

49


fournissaient en abondance. Les arbres du pays <strong>au</strong>raient donné <strong>au</strong>tant de bois qu'on en <strong>au</strong>rait<br />

voulu, et les champs regorgeaient de blé. En conséquence Curion résolut, de concert avec<br />

tous les siens, d'attendre le reste de ses troupes et de tirer la guerre en longueur. 1 »<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Mais, ayant été instruit, par des in<strong>format</strong>ions erronées, que l’armée numide n’était en fait<br />

qu’un simple détachement, le gros des troupes étant retenu dans quelque guerre contre un<br />

voisin, il choisit de se lancer à l’offensive sans attendre les renforts. Il envoya d'abord sa<br />

cavalerie en éclaireur. Celle-ci tomba par surprise sur le camp adverse pendant la nuit et, les<br />

Numides ayant coutume de camper dispersés, obtint une large victoire. Curion, encore enhardi<br />

par ce succès, n’eut <strong>au</strong>cune peine à persuader ses troupes d’avancer sur les troupes de Juba.<br />

« Curion, avec toutes ses troupes, était parti dès la quatrième veille, laissant cinq cohortes à<br />

la garde du camp. À la distance de six mille pas, il rencontre sa cavalerie, qui lui apprend ce<br />

qui vient de se passer; il demande <strong>au</strong>x prisonniers qui commande <strong>au</strong> camp de Sagrada. Ils<br />

répondent Saburra. Là-dessus, négligeant les <strong>au</strong>tres in<strong>format</strong>ions, pressé qu'il est d'achever<br />

sa route, et se tournant vers les plus proches enseignes: "Soldats, dit-il, voyez-vous comme le<br />

rapport des prisonniers s'accorde avec celui des transfuges? Le roi n'est pas avec son armée,<br />

et il f<strong>au</strong>t qu'il ait envoyé bien peu de troupes, puisqu'elles n'ont pu tenir contre quelques<br />

cavaliers. Hâtez-vous donc; courez <strong>au</strong> butin, à la gloire; et nous ne penserons plus qu'à<br />

récompenser vos services et à vous témoigner notre reconnaissance. 2 »<br />

Emportés par leur enthousiasme, Curion et ses soldats se trouvèrent finalement, le 24 août 48<br />

<strong>au</strong>x abords de la rivière Bagrada, face à face avec l’armée ennemie qu’ils croyaient être<br />

ridiculement faible. Saburra, feignit alors de se retirer et Curion, se jetant dans le piège, lança<br />

toutes ses troupes à la poursuite des présumés fuyards. Il ne fit s’arrêter ses troupes qu’après<br />

une marche de seize milles, ses soldats étant trop épuisés pour continuer. Saburra fit alors<br />

volte face et chargea avec une forte cavalerie et soixante éléphants, l’infanterie suivant de<br />

près. Les troupes de Curion encerclées et épuisées combattirent avec courage mais ne purent<br />

éviter la débâcle. L’ancien tribun lui-même, voyant qu’il n’y avait plus d’espoir, préféra<br />

mourir plutôt que de devoir se montrer devant César après avoir perdu ses troupes. Seuls<br />

quelques cavaliers échappèrent <strong>au</strong> désastre et, arrivant <strong>au</strong> camp où étaient restées stationnées<br />

cinq cohortes, créèrent la panique chacun s’attendant à voir Juba charger d’un instant à l’<strong>au</strong>tre<br />

pour finir ce qu’il avait commencé. On prit donc la décision de rentrer en Sicile. Mais encore<br />

une fois le chaos fut tel lors de l’embarquement que seul un petit nombre de soldats put<br />

rejoindre la terre amie. Les <strong>au</strong>tres se rendirent à Varrus et furent massacrés par Juba alors<br />

qu’ils campaient sans armes sous les murs Utique, celui-ci prétendant que les hommes lui<br />

appartenaient parce qu’il avait mis les césariens en déroute 3 . La défaite de Curion resta dans<br />

l’histoire comme étant la fin précoce d’un général de talent f<strong>au</strong>te d’expérience. Quoiqu’il en<br />

soit la mort du tribun fut certes un frein d’arrêt <strong>au</strong>x opérations en Afrique mais ne fut pas<br />

d’envergure à changer le cours de la guerre.<br />

César, après sa victoire en Espagne, était rentré à Rome « où Élu dictateur par le Sénat, il<br />

rappela les bannis, rétablit dans tous leurs droits les enfants de ceux qui avaient été proscrits<br />

par Sylla, et déchargea les débiteurs d'une partie des intérêts de leurs dettes. Il fit<br />

1 César, La guerre civile, II, XXXVII, 3-6.<br />

2 Ibidem, XXXIX, 1-3.<br />

3 Ibidem, XXXIXIV, 1, 2.<br />

50


quelques <strong>au</strong>tres ordonnances semblables, et ne garda la dictature que onze jours ; après<br />

ce terme, il déposa cette magistrature, qui tenait de la monarchie, se nomma lui-même consul<br />

avec Servilius Is<strong>au</strong>ricus 1 ». Enfin après s’être assuré de la bonne tenue des comices, il<br />

donna l’ordre à douze légions et à toute la cavalerie de se réunir à Brindes et s’y rendit<br />

lui-même. Prêt à embarquer pour la Grèce.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Bataille pour la Grèce<br />

…pour venir ensuite combattre un général sans armée."<br />

Suétone, Vie des douze César, César, XXXIV.<br />

Pompée, quand à lui, avait réussi à rassembler des forces impressionnantes ; onze légions,<br />

dont deux seulement de vétérans endurcis, 3’000 archers, 1’200 frondeurs et plus de 7’000<br />

cavaliers dont une partie était constituée de « la fleur de Rome et de l’Italie, tous distingués<br />

par la naissance, la fortune et le caractère 2 » et l’<strong>au</strong>tre de cavaliers barbares certains<br />

endurcis, certains étant juste des esclaves qu’on avait fait monter sur des chev<strong>au</strong>x, sans tenir<br />

compte des nombreuses nouvelles recrues dont le statut n’était pas encore bien réglé 3 . De<br />

plus, la flotte pompéienne l’emportait largement sur la flotte césarienne. César parvint<br />

néanmoins à débarquer la moitié de ses troupes en Epire et à prendre Apollonie. Mais dans<br />

l’attente du reste des troupes, confinées à Brindisium par la flotte pompéienne de Bibulus et<br />

du fils de Pompée, il ne put aller plus loin. La situation était même inquiétante car l’armée de<br />

Pompée se rapprochait sensiblement de la cité jour après jour. César tenta même une sortie<br />

seul pour voir dans quelle situation se trouvaient le reste de ses forces. « À l'entrée de la<br />

nuit, il se déguise en esclave, monte dans le bate<strong>au</strong>, se jette dans un coin, comme le<br />

dernier des passagers, et s'y tient sans rien dire. La barque descendait le fleuve Anius,<br />

qui la portait vers la mer… mais cette nuit-là il s'éleva tout à coup un vent de mer si<br />

violent, qu'il fit tomber le vent de terre…et qui étaient accompagnés d'un affreux<br />

mugissement, ne permettaient pas <strong>au</strong> pilote de gouverner sa barque et de maîtriser les<br />

flots. Il ordonna donc à ses matelots de tourner la barque, et de remonter le fleuve.<br />

César ayant entendu donner cet ordre, se fait connaître, et prenant la main du pilote,<br />

fort étonné de voir là César : "Mon ami, lui dit-il, continue ta route, et risque tout<br />

sans rien craindre ; tu conduis César et sa fortune." Les matelots, oubliant la tempête,<br />

forcent de rames et emploient tout ce qu'ils ont l'ardeur pour surmonter la violence<br />

des vagues ; mais tous leurs efforts sont inutiles. César, qui voit la barque faire e<strong>au</strong> de<br />

toutes parts, et prête à couler à fond dans l'embouchure même du fleuve, permet <strong>au</strong><br />

pilote, avec bien du regret, de retourner sur ses pas. 4 » On peut toutefois douter des<br />

dire de Plutarque, César lui-même ne parlant pas de cet incident, ô combien héroïque,<br />

dans ses propres ouvrages. Sans doute s’agit-il d’une légende peu connue <strong>au</strong> sujet du<br />

grand Jule.<br />

1 Plutarque, Vie de César, XLII.<br />

2 Plutarque, Vie de Pompée, LXIV.<br />

3 Il est intéressant de voir que, selon César, la majorité des troupes ennemies sont des troupes axillaires barbares<br />

offertes par tel ou tel roi qui soutient Pompée (comme Juba par exemple). César ne met que très rarement ses<br />

cavaliers g<strong>au</strong>lois et germains, pourtant ô combien importants dans la guerre, en avant. C’est sans doute voulu. Le<br />

consul de 59 voulant faire passer la guerre civile pour une guerre entre les vrais Romains « qui soutenaient tous<br />

César » et rebelles aristocrates aidés par les barbares. La phrase « Juba fit son entrée dans Utique, à cheval, suivi<br />

d'une foule de sénateurs, <strong>au</strong> nombre desquels se trouvaient Ser. Sulpicius et Licinius Damasippus. » en est un<br />

exemple parfait. César, La guerre civile, II, XLIV, 3.<br />

4 Plutarque, Vie de César, XLIV.<br />

51


Des troubles avaient, de plus, éclaté en Italie. Caelius Rufus, préteur ayant été déchu<br />

de sa magistrature, tenta, aidé par Milon, qui voyait là une occasion de rentrer d’exil,<br />

de fomenter un soulèvement dans la région de Capoue dans l’idée de nuire à César.<br />

Leur entreprise tourna court. Car personne, excepté quelques gladiateurs de l’ancien<br />

rival de Clodius et quelques esclaves, n’accepta de leur venir en aide. Les conjurés<br />

furent tous deux tués par les troupes de César.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Les renforts césariens, avec Antoine à leurs côtés, avaient finalement réussi à traverser<br />

la mer et avait fait jonction avec leur chef, malgré une habile manœuvre de Pompée<br />

pour les neutraliser dès qu’elles <strong>au</strong>raient débarqué sur le sol grec. Les mois suivant se<br />

passèrent en escarmouches, avancées, reculs et pourparlers qui malheureusement<br />

avortèrent tous. Le conquérant des G<strong>au</strong>les qui, <strong>au</strong> début, avait eu l’avantage et était<br />

même parvenu à assiéger le camp de son ennemi, se faisait petit à petit damer le pion<br />

par le conquérant de l’Asie. « Une fois 1 peu s’en fallut qu’il ne fût écrasé et ne perdît son<br />

armée, Pompée ayant, à la suite d’une brillante action, défait toutes ses troupes en lui tuant<br />

deux mille hommes. Mais Pompée ne put pas poursuivre son avantage en entrant dans le<br />

camp ennemi avec les fuyards ; ou peut-être la peur le retint-elle. Aussi, César dit-il à ses<br />

amis : "Aujourd’hui, la victoire <strong>au</strong>rait été du côté des ennemis, s’ils avaient un général<br />

capable de vaincre !" 2 ». Les césariens perdirent néanmoins près de mille hommes.<br />

Le peuple, voyant les troupes de César minées par la famine et ayant appris que Caton avait<br />

fait promettre <strong>au</strong>x pompéiens « de ne tuer <strong>au</strong>cun Romain en dehors d’une bataille et de ne pas<br />

piller de ville soumise à Rome 3 », commença à se retourner vers le camp oriental. Ceux qui<br />

n’avaient rien à craindre de la guerre, étant trop faibles ou trop éloignés pour constituer un<br />

objectif stratégique, se mirent à soutenir le camp légal avec véhémence, mais uniquement en<br />

parole car ils ne possédaient justement <strong>au</strong>cune force militaire susceptible de faire pencher la<br />

balance.<br />

Après leur courte victoire tous les pompéiens, bouillant d’en finir, furent d’avis de livrer<br />

bataille. Excepté Pompée qui pensait qu’il serait plus sûr de détruire l’armée ennemie petit à<br />

petit en l’affamant et en l’encerclant. Tous étant sûr que la partie était gagnée, on délibéra<br />

pour savoir s’il fallait en finir avec César immédiatement ou si l’on débarquerait en Italie afin<br />

de reprendre toutes les provinces occidentales avant de revenir s’occuper de la Grèce.<br />

Finalement on choisit la première proposition, le général ayant affirmé que quitter la Grèce<br />

c’était abandonner les troupes se trouvant à l’arrière avec les vivres et les richesses qu’elles<br />

défendaient. Mieux valait en finir loin de Rome, pour que la capitale accueillît les vainqueurs<br />

avec joie et sans dommage. Tous étaient tellement convaincus de leur supériorité qu’on se<br />

disputait déjà les magistratures pour l’année suivante et que certains s’en allèrent même, de<br />

leur propre initiative, prévenir la femme de Pompée de la victoire prochaine. Et quand l’armée<br />

ennemie fut forcée de se replier à c<strong>au</strong>se de la famine, cela créa le chaos chez les pompéiens ;<br />

« D'ordinaire, quand une armée en assiège une <strong>au</strong>tre, c'est que celle-ci est affaiblie par la<br />

perte d'une bataille, ou qu'elle a essuyé quelque échec, et que la première lui est supérieure<br />

en forces: alors, en l'investissant, on a pour but de lui couper les vivres. Ici César, avec des<br />

troupes moins nombreuses, enfermait une armée encore intacte, abondamment pourvue de<br />

tout; car une foule de vaisse<strong>au</strong>x lui apportait chaque jour des subsistances de toutes parts, et,<br />

1<br />

C’était le 10 juillet 48 av. JC.<br />

2<br />

Plutarque, Vie de Pompée, LXV.<br />

3<br />

Ibidem, LXV.<br />

52


quelque fût le vent, il y avait toujours des vaisse<strong>au</strong>x <strong>au</strong>xquels il était favorable. César, <strong>au</strong><br />

contraire, avait consommé tout le blé qu'il avait pu trouver dans les contrées voisines, et il<br />

était réduit à une extrême disette. 1 » Les uns insultaient leur général et le traitaient de lâche<br />

puisqu’il ne voulait pas en finir immédiatement mais préférait poursuivre l’ennemi, les <strong>au</strong>tres<br />

enfilaient déjà leurs tenues de combat pour en finir avec les troupes rebelles, se réjouissant<br />

déjà de la gloire qu’ils croyaient pouvoir facilement obtenir.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Les lieutenants de l’armée commencèrent de même à s’agiter ; Afranius, Labiénus, ancien<br />

compagnon d’arme de César en G<strong>au</strong>le, le jeune Brutus, fils du grand Brutus tué jadis en G<strong>au</strong>le<br />

et même le vieux Tidius Sextus qui arriva de Macédoine le glaive à la main alors qu’il pouvait<br />

à peine marcher. La situation était bien différente de celle qu’elle était lorsque Cicéron avait<br />

débarqué en Grèce. Tous conjuraient Pompée de déclancher la bataille, car il ne pouvait y<br />

avoir de victoire claire sans triomphe sur le champ de bataille. Cependant ils se méprenaient<br />

sur le rapport de force entre les deux armées. Certes les pompéiens avaient l’avantage du<br />

nombre et étaient en pleine forme alors que les troupes césariennes étaient affamées et<br />

épuisées. Mais une grande partie de l’armée était constituée de jeunes recrues sans expérience.<br />

Alors qu’en face se trouvait non pas un quelconque prince barbare mais « le grand César avec<br />

l’armée qui, sous ses ordres, avait pris de vive force un millier de villes, soumis plus de trois<br />

cents peuples, livré <strong>au</strong>x Germains et <strong>au</strong>x G<strong>au</strong>lois tant de combats victorieux qu’on ne les<br />

s<strong>au</strong>rait compter, fait un million de prisonniers, défait et tué un <strong>au</strong>tre million en bataille<br />

rangée 2 ».<br />

César put finalement ravitailler son armée grâce à la prise de la cité de Gomphes en Thessalie,<br />

il fit alors volte-face et, avec ses troupes cette fois en pleine forme, se prépara à la bataille.<br />

Pompée comprenant alors qu’il ne lui restait <strong>au</strong>cun échappatoire fit placer son camp en face<br />

de celui de César. Les pompéiens étaient <strong>au</strong> bénéfice d’une position surélevée donc<br />

avantageuse. César considérant comme trop risqué de se lancer dans une bataille où il était<br />

défavorisé dès le départ s’apprêta à lever le camp pour fuir. A cette vue, ses adversaires,<br />

comprenant que leur ennemi allait une fois de plus leur échapper et bouillants de rage,<br />

descendirent de leur colline dans la plaine de Pharsale les armes à la main. Le conquérant des<br />

G<strong>au</strong>les, voyant qu’il pouvait livrer bataille sans crainte de devoir escalader les h<strong>au</strong>teurs<br />

ennemies, marcha <strong>au</strong> combat dont l’issue désignerait le maître de Rome. On était le 9 août 48<br />

vers le milieu de la journée.<br />

Pharsale ne ressemble point à tant d'<strong>au</strong>tres batailles funestes. Là, Rome ne comptait ses pertes que par le<br />

nombre des soldats ; ici, elle compte par le nombre des peuples ; là c'était la mort des citoyens ; ici, c'est la mort<br />

d'une nation entière. Lucain, La Pharsale, VII, IX.<br />

Les forces étaient réparties ainsi : pour César, neuf légions soit 23’000 hommes, 5’000<br />

<strong>au</strong>xiliaires et alliés et 2’000 cavaliers g<strong>au</strong>lois, germains et romains. Total, environ 30’000<br />

hommes, uniquement des troupes d’élite, avec des soldats certes un peu fatigués, mais qui<br />

avaient l’habitude de combattre côte à côte et qui étaient tous parfaitement rompus <strong>au</strong>x<br />

manœuvres tactiques de leur général. Pour Pompée : douze légions renforcées par des<br />

nouvelles recrues, soit 45’000 hommes, 4’000 <strong>au</strong>xiliaires et alliés et 7’000 cavaliers. Total,<br />

environ 56’000 hommes, dont 5’000 troupes d’élite, 10’000 troupes de nive<strong>au</strong> moyen et<br />

41’000 jeunes recrues. Tous déjà persuadés de la victoire 3 . Pompée tenta tout d’abord de<br />

1 César, La guerre civile, III, ILVII, 2-4.<br />

2 Plutarque, Vie de Pompée, LXVII.<br />

3 Chiffres en grande partie de http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Pharsale , ils semblent correspondre à peu<br />

près <strong>au</strong>x estimations de César et de Plutarque.<br />

53


déborder l’aile droite de l’armée césarienne, commandée par le général lui-même. La<br />

cavalerie pompéienne repoussa la cavalerie adverse mais fut mise en fuite par seulement huit<br />

cohortes de fantassins tirées de l’infanterie par César. Pendant ce temps, les lignes de batailles<br />

des deux adversaires étaient entrées en contact sans qu’<strong>au</strong>cune ne pût prendre l’avantage. Les<br />

huit cohortes de soutien qui avaient chassé la cavalerie adverse et la cavalerie césarienne<br />

reformée s’élancèrent alors sur le flanc g<strong>au</strong>che de Pompée, taillant en pièce frondeurs et<br />

archers sur leur passage.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Les troupes pompéiennes attaquées sur deux fronts se trouvèrent alors en m<strong>au</strong>vaise posture.<br />

Ce fut le moment que choisit César pour jeter dans la bataille ses dernières troupes fraîches.<br />

Enfoncée de toute part l’armée pompéienne craqua et, se dispersant, fut détruite sur place.<br />

Pompée échappant à la mêlée rentra dans sa tente et quand il vit, abasourdi, les soldats<br />

ennemis envahir le camp il partit à la dérobée.<br />

Pour César la victoire fut totale. Son armée avait perdu un peu plus de 1000 soldats, Pompée<br />

dix à quinze fois plus 1 . De nombreux hommes d’importance avaient été capturés, dont Brutus,<br />

<strong>au</strong>quel César pardonna, soulagé qu’il ne fût pas mort dans la bataille car il le tenait en grande<br />

estime. « La résistance était désormais impossible en Epire et, plus généralement, en<br />

Europe 2 ». Arrivant dans le camp ennemi, « les Césariens purent constater l’inconscience et<br />

la légèreté de leurs ennemis. Toutes les tentes étaient enguirlandées de myrte, drapées de<br />

tentures fleuries, meublées de tables pleines de coupes. Il y avait des cratères remplis de vin ;<br />

enfin les apprêts et la décoration faisaient plutôt songer à un sacrifice solennel, suivi d’une<br />

fête, qu’à une veillée d’armes. Tant les Pompéiens, égarés par leurs espérances, étaient pleins<br />

d’une présomption insensée en allant à la guerre ! 3 » Plus que leur manque d’expérience,<br />

c’était leur arrogance qui avait perdu les soldats du Sénat et de Pompée. Le vainqueur du jour<br />

était certes celui qui se trouvait dans l’illégalité, mais <strong>au</strong>ssi celui dont le comportement, et<br />

l’armée, avait été les plus proches de ceux des génér<strong>au</strong>x qui avaient vaincu Carthage pour la<br />

République moins de 200 ans <strong>au</strong>paravant. Les valeurs, courage et modération, que<br />

prétendaient défendre les vaincus étaient la raison même de leur défaite.<br />

Qu’en était-il de Cicéron ? L’Arpinate n’avait pas participé à la bataille. En effet, il était<br />

tombé malade peu avant que César eût été forcé de se replier et se trouvait donc à<br />

Dyrrachium, base arrière de Pompée, avec tous ceux qui <strong>au</strong>raient gêné Pompée s’il avait<br />

vaincu 4 , comme Caton et sa morale inflexible. Après la défaite à Pharsale, Labienus 5 , qui<br />

avait réussi à s<strong>au</strong>ver sa vie arriva dans la cité et répandit la nouvelle de la défaite. Aussitôt les<br />

troupes de mutinèrent et seuls les officiers supérieurs parvinrent, sous la conduite de Caton, à<br />

prendre la mer. Ayant rejoint le gros de la flotte pompéienne à Corcyre, les survivants firent<br />

état de ce qui leur restait, réfléchirent à l’avenir de leur combat et élirent un nouve<strong>au</strong> chef,<br />

personne ne sachant ce qu’il était advenu de Pompée. Le bilan était simple : seules les<br />

provinces asiatiques, indéfendables, et l’Afrique étaient encore en mains pompéiennes. Les<br />

provinces africaines semblaient être le seul choix raisonnable. D’<strong>au</strong>tant plus qu’on pourrait y<br />

bénéficier de l’aide du roi Juba. Enfin, pour nouve<strong>au</strong> chef, on choisit le plus ancien consulaire<br />

présent qui se trouvait être… Cicéron. Lorsque celui-ci refusa l’offre il manqua de se faire<br />

tuer par le fils de Pompée considérant que c’était là sinistre traîtrise. Caton le protégea et le fit<br />

1<br />

César parle lui de 200 soldats perdus et de 15’000 tués et 24’000 prisonniers mais ces chiffres sont trop<br />

impressionnants pour être vrais. C’est sans doute encore un effet de propagande de la part de César.<br />

2<br />

Grimal, Cicéron, p. 313.<br />

3<br />

Plutarque, Vie de Pompée, LXXII.<br />

4<br />

Grimal, Cicéron, p.313.<br />

5<br />

L’ancien lieutenant de César en G<strong>au</strong>le qui avait rejoint le camp pompéien <strong>au</strong> début de la guerre civile.<br />

54


sortir du camp. L’orateur se rendit alors à Patras pour attendre le retour de César d’Orient.<br />

F<strong>au</strong>t-il blâmer l’ancien consulaire de sa conduite ? Certes se rendre à son ennemi n’était pas<br />

un comportement fameux mais ce n’était pas non plus un acte répréhensible. Rappelons-nous<br />

que Cicéron n’avait pas voulu cette guerre, il avait même essayé de l’arrêter à de nombreuses<br />

reprises. Il n’avait choisi le camp de Pompée que très tardivement et sans conviction <strong>au</strong>cune.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Pour lui le combat se résumait à savoir qui dirigerait seul la République, ce qui était on ne<br />

peut plus vrai. S’il avait rejoint la Grèce, c’était uniquement par respect des services que le<br />

vainqueur de Mithridate lui avait rendus. Le général défait et disparu, plus rien ne rattachait<br />

Cicéron <strong>au</strong>x restes des troupes légales. Du moins rien qui ne put l’empêcher de rejoindre sa<br />

famille et ses amis en Italie. Gageons que si l’enjeu de la guerre avait été la survie de la<br />

République, il <strong>au</strong>rait agi avec une ferveur différente. Preuve nous en sera donnée plus tard.<br />

Plan de la bataille de Pharsale<br />

L’aventure Egyptienne<br />

Après sa victoire, César, ayant appris que Pompée avait survécu, chercha à le capturer par<br />

tous les moyens. Car tant que le vieux commandant serait en liberté la guerre ne pourrait<br />

cesser. Il n’y parvint pas et le fuyard réussit à débarquer à Chypre. Après avoir pensé se<br />

rendre en Syrie, puis en Parthie et enfin en l’Afrique, le vaincu fit voile vers l’Egypte qui était<br />

la destination la plus proche et la plus sûre, du moins le pensait-il. César traversa les<br />

provinces asiatiques afin de d’assurer de leur fidélité. En chemin il captura des sénateurs qui,<br />

ayant tenté de trouver refuge en Orient, s’était fait expulser par les <strong>au</strong>torités locales qui<br />

avaient compris où était leur intérêt.<br />

Le conquérant des G<strong>au</strong>les ne resta que quelques jours en Asie avant de faire voile avec<br />

seulement deux légions, comptant bien être d’avantage protégé par sa renommée que par des<br />

55


glaives, vers l’Egypte. Ayant débarqué à Alexandrie, il fut instruit de la mort de son vieil<br />

ennemi. En effet, Pompée s’était lourdement trompé en croyant trouver dans la maison de<br />

Ptolémée un asile sûr. Le roi étant trop jeune pour gouverner, c’étaient ses conseillers,<br />

notamment l’eunuque Pothin et le préfet du palais, chef des armées, Achillas qui dirigeaient le<br />

roy<strong>au</strong>me.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Ceux-ci avaient décidé en secret d’éliminer Pompée à son arrivée sur le sol égyptien afin de<br />

s’assurer les faveurs de César. Même si cela apparaissait comme contraire à la loi de<br />

l’hospitalité et à la reconnaissance des services que le général avait rendu <strong>au</strong> père du jeune roi.<br />

Ce sinistre conseil envoya ainsi Achillas et un ancien soldat du fuyard, Septimius, à sa<br />

rencontre. Dès que le grand homme mit pied sur leur chaloupe, ils l’assassinèrent et lui<br />

tranchèrent la tête, pensant faire cade<strong>au</strong> de cet abominable présent à César. « ayant tenu<br />

conseil entre eux, ils expédièrent en secret Achillas, préfet du palais, homme entreprenant et<br />

hardi, et L. Septimius, tribun militaire, avec ordre de tuer Pompée. Ceux-ci allèrent à sa<br />

rencontre avec un air de franchise, surtout Septimius qui était un peu connu de lui comme<br />

ayant eu un commandement dans son armée pendant la guerre des pirates; Pompée entra<br />

dans une chaloupe avec quelques-uns des siens, et là il fut tué par Achillas et Septimius.<br />

Pareillement L. Lentulus fut arrêté par ordre du roi, et mis à mort dans la prison. 1 »<br />

« Comme <strong>au</strong>cun mot aimable ne lui venait de ses compagnons de route, il jeta un regard sur<br />

Septimius et lui dit : « N’as-tu pas été mon camarade à l’armée ? Je crois bien te<br />

reconnaître!» L’<strong>au</strong>tre ne répondit que par un signe de tête, sans rien ajouter ni lui donner<br />

<strong>au</strong>cune marque de déférence. Un grand silence se fit pour la seconde fois, et Pompée, qui<br />

tenait, écrit de sa main sur un petit roule<strong>au</strong>, le texte grec du discours qu’il comptait adresser<br />

à Ptolémée, se mit à le relire…Mais <strong>au</strong> moment où Pompée prenait la main de Philippe pour<br />

se lever plus facilement, Septimius le premier lui passa, par derrière, son épée <strong>au</strong> travers du<br />

corps ; <strong>au</strong>ssitôt après, Salvius et enfin Achillas dégainèrent, et Pompée, ramenant des deux<br />

mains sa toge sur son visage, sans rien dire ni faire d’indigne de lui, poussa seulement un<br />

soupir et subit leurs coups avec fermeté. Il avait vécu cinquante-neuf ans et il mourut le<br />

lendemain du jour anniversaire de sa naissance. 2 »<br />

« Cependant Magnus, sous les coups sonores frappant son dos et sa poitrine, avait conservé<br />

la noble dignité de sa be<strong>au</strong>té <strong>au</strong>guste; son visage ne marquait que de l'irritation contre les<br />

dieux; les derniers instants n'avaient rien altéré de l'expression ni des traits du héros; c'est le<br />

témoignage de ceux qui virent sa tête tranchée. Car le cruel Septimius invente, dans<br />

l'accomplissement même du crime, un crime plus grand encore : il arrache le voile qui<br />

couvrait la face <strong>au</strong>guste de Magnus expirant, il saisit la tête qui palpite encore et place en<br />

travers sur un banc de rameur le cou qui s'affaisse. Alors il tranche muscles et veines, il brise<br />

les vertèbres, longuement; ce n'était pas encore un art de couper une tête d'un coup circulaire<br />

de l'épée 3 » Sa femme et ses enfants parvinrent cependant à s’échapper à la faveur d’un vent<br />

favorable. Le corps du grand homme fut abandonné sur le rivage. Philippe son affranchi et un<br />

vieux romain ayant fait ses premières armes avec Pompée, emportèrent le corps et lui firent<br />

des funérailles dignes de lui.<br />

1 César, La guerre civile, III, CIV, 2, 3.<br />

2 Plutarque, Vie de Pompée, LXXIX.<br />

3 Lucain, La Pharsale, VIII.<br />

56


Quand César reçut la tête de son vieil ennemi en guise de présent de bienvenue, il entra dans<br />

une rage folle, puis « il se détourna du scélérat qui lui présentait la tête de Pompée ; mais il<br />

accepta le cachet de son rival et se prit à pleurer. 1 »<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Il blâma les Egyptiens pour avoir osé commettre une telle traîtrise et ordonna qu’on lui livrât<br />

le meurtrier de son vieil ennemi. Puis s’immisçant dans les affaires du roy<strong>au</strong>me, il réclama dix<br />

millions de sesterces dus par le père du roi à Rome. Et appela en renforts des légions qu’il<br />

avait formées avec le reste des troupes pompéiennes, « il crut qu'il appartenait <strong>au</strong> peuple<br />

romain et à lui-même, en qualité de consul, de régler les différends survenus entre les deux<br />

rois, et qu'il y était d'<strong>au</strong>tant plus obligé que, sous son consulat précédent, l'alliance avec<br />

Ptolémée, leur père, avait été confirmée par une loi et un décret du Sénat. Il déclara donc<br />

qu'il jugeait convenable que le roi Ptolémée et Cléopâtre, sa soeur, licenciassent leurs armées<br />

et vinssent discuter devant lui leur querelle, <strong>au</strong> lieu d’en décider entre eux par les armes. 2 »<br />

Les Egyptiens était eux <strong>au</strong>ssi <strong>au</strong>x prises avec une guerre civile que livrait Cléopâtre, la fille du<br />

défunt roi à son jeune frère. L’avantage, grâce <strong>au</strong>x manœuvres d’Achillas, allait alors <strong>au</strong><br />

second. Cependant la guerre retardait les livraisons de blé à Rome. Cela, César ne pouvait le<br />

permettre. Pothin et ses amis furieux de voir un étranger prendre le contrôle du roy<strong>au</strong>me<br />

s’évertuèrent à nuire à César par tous les moyens, montant la population contre lui et donnant<br />

le coucher le moins confortable et le pain le plus rassis à ses soldats. Le vainqueur de Pharsale<br />

réussit cependant à rencontrer Cléopâtre le 1 er Janvier et en tomba amoureux. « Les<br />

historiens varient sur les motifs de la guerre d'Alexandrie : les uns disent que son<br />

amour pour Cléopâtre la lui fit entreprendre avec <strong>au</strong>tant de honte pour sa réputation<br />

que de danger pour sa personne ; les <strong>au</strong>tres en accusent les ministres du roi, et surtout<br />

l'eunuque Pothin, qui, jouissant <strong>au</strong>près de Ptolémée du plus grand crédit, après avoir<br />

tué Pompée, avait chassé Cléopâtre, et tendait secrètement des embûches à César. 3 »<br />

Le lendemain, il se rendit <strong>au</strong> palais à ses côtés, pour essayer de mettre fin à la guerre<br />

civile. Apprenant que Pothin et Achillas étaient entrain de méditer des ruses contre lui,<br />

il les prit sur le fait et les fit tuer. Achillas réussit à s’échapper et à rejoindre son<br />

armée mais Pothin fut capturé et tué. Ayant appris que le préfet du palais marchait<br />

avec l’armée royale forte de 20’000 fantassins pour la plupart d’anciens légionnaires<br />

expérimentés qui étaient restés en Egypte après la guerre dans laquelle, des années<br />

<strong>au</strong>paravant, Pompée avait joué un rôle 4 et 2’000 cavaliers d’élite, César, ne pouvant<br />

risquer une bataille à découvert, s’enferma dans la ville. « Le premier danger <strong>au</strong>quel il<br />

se vit exposé fut la disette d'e<strong>au</strong> ; les ennemis avaient bouché tous les aqueducs qui<br />

pouvaient lui en fournir. Il courut un second péril lorsque les Alexandrins voulurent<br />

lui enlever sa flotte, et que pour se s<strong>au</strong>ver il fut obligé de la brûler lui-même : le feu<br />

1 Plutarque, Vie de Pompée, LXXX.<br />

2 César, La guerre civile, III, CVII, 2. / Il est amusant de voir que c’est César lui-même qui écrivit ses mots. Au<br />

vu des événements des deux années précédentes, on peut dire qu’il ne manque pas d’aplomb.<br />

3 Plutarque, Vie de César, LIV.<br />

4 Ptolémée XII, -117 à -51. Porté <strong>au</strong> trône par les soldats, fut obligé de payer une très forte somme à Pompée<br />

pour se prémunir contre une attaque romaine. Plus tard, il fut éjecté du trône par la population d’Alexandrie<br />

parce qu’il avait laissé Caton s’emparer de Chypre. Il revint sur le trône grâce <strong>au</strong> légions du gouverneur de Syrie<br />

Gabinius, proche de Pompée. Lequel laissa des troupes en Egypte pour que le roi puisse garder le contrôle du<br />

pays. A sa mort il laissa à son fils une très forte dette contractée envers Rome et Pompée.<br />

57


prit de l'arsenal <strong>au</strong> palais, et consuma la grande bibliothèque que les rois d'Égypte<br />

avaient formée. 1 » La bataille décisive eut lieu <strong>au</strong>tour de l’île de Pharos où était située<br />

la célèbre tour guidant les navires. Mis en situation difficile dans la ville, César<br />

parvint à rejoindre le gros de ses troupes encerclées <strong>au</strong>tour du phare et à vaincre, grâce<br />

à l’arrivée de renforts. Achillas fut tué peu après la défaite par la sœur de Cléopâtre<br />

qui lui disputait le commandement.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

César, avec l’aide de Mithridate de Pergame ami de longue date arrivé par la Syrie avec de<br />

fortes troupes, affronta peu après l’armée Egyptienne. Vers la mi-mai, lors de la bataille du<br />

Nil, il obtint une nouvelle fois une écrasante victoire. Ptolémée XIII coula avec son navire en<br />

tentant de s’enfuir et disparut 2 . « Vainqueur, il donna le roy<strong>au</strong>me d'Égypte à Cléopâtre et <strong>au</strong><br />

plus jeune de ses frères. Il craignait, en faisant de ce pays une province romaine, qu'il ne<br />

devînt un jour, entre les mains d'un gouverneur turbulent, une c<strong>au</strong>se d'entreprises<br />

séditieuses. 3 » Une fois la paix revenue en Egypte, César passa quelques temps avec<br />

Cléopâtre, et fit même une descente du Nil en sa compagnie. La reine avait à peine accouché<br />

d’un petit Césarion que son père fut appelé par le devoir, et quittant l’Egypte fit route vers<br />

l’Asie avec trois légions. En effet, le fils de Mithridate, Pharnace, était entré en guerre contre<br />

César et avait vaincu l’un de ses lieutenants Domitius. Il s’était emparé de la Cappadoce et de<br />

la Bithynie, s’apprêtait à conquérir l’Arménie et menaçait la Syrie 4 . César, pressé de retourner<br />

à Rome mais peu enclin à laisser derrière lui de tels troubles, rétablit l’ordre dans toutes les<br />

provinces les plus orientales de l’empire. La bataille décisive eu lieu, le 2 août, dans une<br />

plaine près de la ville de Zéla dans le Pont. « Quatre heures de combat suffirent à<br />

César…pour détruire cet adversaire en une seule bataille. 5 » Pharnace fut vaincu, ses armées<br />

s’éparpillèrent et son roy<strong>au</strong>me lui fut confisqué. « Ce fut alors que, pour marquer la<br />

rapidité de cette victoire, il écrivit à Amintius, un de ses amis de Rome, ces trois mots<br />

seulement : "Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu." 6 »<br />

Derniers combats<br />

César, ayant confié le Roy<strong>au</strong>me de Pharnace <strong>au</strong> jeune Mithridate, rentra, vers la fin<br />

septembre 47 couvert de gloire à Rome où l’attendaient de sérieuses difficultés. En<br />

Italie et en Espagne avaient, en effet, éclaté de sérieux troubles dans l’armée ; les<br />

légions refusaient de se préparer à une guerre en Afrique tant que les récompenses<br />

promises après Pharsale ne leur avaient pas été accordées. Même l’intervention de<br />

Salluste, qui promit 1’000 deniers de plus par homme, et d’Antoine ne put les calmer.<br />

Si bien qu’on en vint <strong>au</strong>x mains en Espagne ultérieure et que les mutins ne furent<br />

vaincus qu’après de longs combats. César, dès son arrivée, rétablit la discipline et<br />

l’ordre. Le 25 septembre, il rencontra Cicéron et lui pardonna une nouvelle fois et le<br />

fit officiellement entrer dans le cercle de ses hommes de confiance. Mais le vainqueur<br />

de Pharsale ne resta pas assez longtemps en Métropole pour entreprendre les réformes<br />

promises à ses partisans et nécessaires <strong>au</strong> bon fonctionnement du nouvel Etat césarien.<br />

1<br />

Plutarque, Vie de César, LV.<br />

2<br />

César, La guerre d’Alexandrie, XXXI, 6. / Plutarque dit pour sa part que le roi perdit la vie lors de la bataille de<br />

Pharos le 15 avril.<br />

3<br />

Suétone, Vie des douze Césars, César, XXXV.<br />

4<br />

Ayant notamment prit la ville d’Amisus, alliée <strong>au</strong>x romains il transforma tous les garçons en eunuques et vendit<br />

ensuite la population entière <strong>au</strong>x marchants d’esclaves.<br />

5<br />

Ibidem, XXXV.<br />

6 Plutarque, Vie de César, LVI.<br />

58


« On lui reprochait les fureurs de Dolabella, l'avarice d'Amintius, les ivrogneries<br />

d'Antoine et l'insolence de Cornificius, qui, s'étant fait adjuger la maison de Pompée<br />

et ne la trouvant pas assez grande pour lui, en construisait sur le même terrain une<br />

plus grande. Les Romains étaient indignés de tous ces désordres ; et César, qui ne<br />

l'ignorait pas, <strong>au</strong>rait bien voulu les empêcher ; mais, pour arriver à ses fins politiques,<br />

il était obligé d'employer de pareils agents. 1 » Il lui fallait avant tout vaincre les<br />

dernières forces républicaines en Afrique.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Dès l’hiver il traversa la mer avec six légions et 2’000 cavaliers. L’ennemi, pour sa<br />

part, disposait d’une forte cavalerie, de 120 éléphants, de 14 légions -10 de Scipion et<br />

4 de Juba- d’une énorme quantité de troupes <strong>au</strong>xiliaires numides et d’un nombre<br />

considérable de navires 2 .César était cependant confiant. Ce n’était pas la première fois<br />

qu’il se trouvait en infériorité numérique et, dans de telles situations, il avait toujours<br />

su conquérir la victoire. Il fit donc établir un camp fortifié dans une position<br />

avantageuse et attendit la réaction de l’ennemi.<br />

Caton, Afranius et Scipion, qui avaient tous trouvé refuge sur les terres de l’antique<br />

Carthage après la défaite à Pharsale, aidés de Juba étaient bien décidés à vaincre <strong>au</strong><br />

plus vite celui qu’ils persistaient à considérer comme un rebelle. Ils remportèrent la<br />

plus grande partie des escarmouches qui <strong>au</strong>raient pu se terminer par des désastres si<br />

César n’était pas intervenu à chaque fois. « Un jour que les cavaliers de César, n'ayant<br />

rien à faire, s'amusaient à regarder un Africain qui dansait et jouait de la flûte à<br />

ravir ; que, charmés de son talent, ils étaient assis à l'admirer, et avaient laissé les<br />

chev<strong>au</strong>x à leurs valets, tout à coup, les ennemis fondent sur eux, les enveloppent, tuent<br />

les uns, mettent les <strong>au</strong>tres en fuite, et les poursuivent jusqu'à leur camp, où ils entrent<br />

pêle-mêle avec eux. Si César et Pollion n'étaient sortis des retranchements, pour<br />

courir à leur secours et les arrêter dans leur fuite, la guerre était ce jour-là terminée.<br />

Dans une seconde rencontre, où les ennemis eurent encore l'avantage, César, voyant<br />

l'enseigne qui portait l'aigle prendre la fuite, court à lui, le saisit <strong>au</strong> cou et le force de<br />

tourner la tête, en lui disant : "C'est là qu'est l'ennemi." 3 »<br />

Une fois de plus le camp républicain se laissa enivrer par ses succès, même si ceux-ci<br />

n’étaient pas d’une très grande importance stratégique. Scipion, enflé par les récentes<br />

victoires, se décida à livrer bataille seul, le 6 avril, devant la ville de Thapsus, alors<br />

même qu’Afranius et Juba campaient à faible distance de ses propres troupes. Ses<br />

troupes encadrées sur les ailes par des éléphants prirent peur à la vue de l’armée<br />

ennemie. Les soldats de César, l’ayant remarqué, chargèrent sans attendre l’ordre de<br />

leur général et firent preuve d’un courage sans égal. « A l'aile g<strong>au</strong>che, un éléphant<br />

blessé, et que le mal rendait furieux, s'était jeté sur un valet d'armée, l'avait mis sous son<br />

pied, le pressait de son genou, et, tenant sa trompe h<strong>au</strong>te en mugissant, il écrasait ce<br />

malheureux du poids de sa masse. Un vétéran de la 5 ème légion ne put soutenir ce spectacle, et<br />

marcha sur la bête ses armes à la main. Alors l'éléphant, le voyant venir le javelot levé, quitte<br />

le cadavre, et, enveloppant le soldat de sa trompe, l'enlève tout armé. Mais le vétéran,<br />

conservant son sang-froid dans cet étrange péril, ne cesse de frapper de toutes ses forces avec<br />

son épée la trompe dont il est enveloppé, jusqu'à ce que l'animal, vaincu par la douleur, lâche<br />

1 Ibidem, LVI.<br />

2 César, La guerre d’Afrique, I, 4-5 / II, 1.<br />

3 Plutarque, Vie de César, LVII.<br />

59


prise, et s'enfuie en poussant de grands cris vers les <strong>au</strong>tres éléphants. 1 » Les éléphants, mal<br />

dressés, effrayés par le sifflement des frondes ennemies et par les pierres, les assaillant<br />

de tout côté, firent volte-face et mettant leur propres troupes en déroute, détruisirent le<br />

camp de Scipion.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Les vétérans de César ne firent preuve d’<strong>au</strong>cune pitié et n’écoutant ni leurs chefs, ni<br />

leur général 2 , massacrèrent tous les ennemis qu’ils capturèrent. Puis, tombant par<br />

surprise sur les camps de Juba et d’Afranius, ils mirent également leurs soldats en<br />

déroute. Une fois de plus César était vainqueur. Ses troupes déploraient une<br />

cinquantaine de tués. L’ennemi près de 10'000 3 .<br />

Après avoir mis le siège <strong>au</strong>x villes de Thapsus et de Thysdra, le vainqueur de Pharsale<br />

se dirigea vers Utique qui était tenue par Caton. Celui-ci, ayant été instruit de la<br />

débâcle de ses amis exhorta les habitants à défendre la ville à tout prix, car elle<br />

pouvait tenir longtemps grâce <strong>au</strong>x fortifications dont il l’avait parée. Voyant que peu<br />

de citoyens étaient près à le soutenir, il se retira dans ses appartements « et, ayant<br />

emporté secrètement son épée, il s'en traversa le corps. Comme il ne mourut pas du coup et<br />

qu'il tomba par terre, le bruit de sa chute fit accourir son médecin et ses domestiques qui<br />

n'étaient pas sans pressentiments. Ils voulurent fermer et bander sa plaie; mais lui-même<br />

arracha cruellement les bandes de ses propres mains et se fit mourir en conservant toute sa<br />

présence d'esprit. Les habitants d'Utique lui rendirent les honneurs funèbres: ils le détestaient<br />

à c<strong>au</strong>se du parti qu'il avait embrassé; mais ils agirent ainsi en considération de son extrême<br />

probité qui le rendait si différent des <strong>au</strong>tres chefs. 4 » Ainsi moururent la conscience et l’âme<br />

de l’antique République, avec la fin d’un homme intègre qui avait toujours fait passer la loi<br />

romaine et le respect des anciennes mœurs avant ses propres intérêts. « Le traité que César<br />

écrivit contre Caton, après sa mort, n'est pas d'un homme adouci à son égard, et qui<br />

fût disposé à lui pardonner. L'eût-il épargné vivant, s'il l'eût eu en sa puissance, lui<br />

qui versait sur Caton, mort depuis longtemps, tant de fiel et d'amertume ? Il est vrai<br />

que la clémence dont il usa envers Cicéron, Brutus et mille <strong>au</strong>tres qui avaient porté les<br />

armes contre lui, fait conjecturer qu'il <strong>au</strong>rait <strong>au</strong>ssi pardonné à Caton. 5 »<br />

Juba, ne pouvant se réfugier dans une <strong>au</strong>cune cité, toutes lui fermant leurs portes, et étant sans<br />

espoir de secours, Saburra ayant été tué et ses troupes de renforts ayant été vaincues, décida<br />

quand à lui de défier en duel son ami Pétréius. Après avoir soupé, ils se battirent à mort. Juba,<br />

vainqueur, demanda à l’un de ses esclaves de le tuer et termina ainsi sa vie. Afranius fut<br />

capturé par un lieutenant de César, Sittius, et passa de vie à trépas peu après lors d’une<br />

émeute parmi les soldats. Scipion, lui, mourut dans le n<strong>au</strong>frage de son navire attaqué<br />

par les troupes ennemies alors qu’il essayait de gagner l’Espagne.<br />

1 César, La guerre d’Afrique, LXXXIV, 1-3.<br />

2 C’est ce que dit César, Plutarque nous apprend qu’<strong>au</strong> contraire le général fit tuer plusieurs officiers capturés.<br />

3 Plutarque fait Etat de 50'000 tués. Le chiffre est probablement fantaisiste et alimenté par les rumeurs sur les<br />

massacre que commirent les troupes de César après la victoire.<br />

4 César, La guerre d’Afrique, LXXXVIII, 3-5.<br />

5 Plutarque, Vie de César, LIX.<br />

60


« César fit à Zama la vente publique des biens de Juba et de ceux des citoyens romains qui<br />

avaient porté les armes contre la République, récompensa les habitants de la ville qui avaient<br />

conseillé d'en fermer les portes <strong>au</strong> roi, et, après avoir réduit la province en roy<strong>au</strong>me, il y<br />

laissa Crispus Sallustius, en qualité de proconsul. De là il se rendit à Utique où il vendit les<br />

biens de tous ceux qui avaient eu des commandements sous Juba et Pétréius. De même il<br />

imposa la ville de Thapsus à deux millions de sesterces, et son territoire à trois millions; la<br />

ville d'Hadrumète à trois millions, et à cinq son territoire: à ces conditions, ces villes et le<br />

pays furent exempts du pillage.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Ceux de Leptis, dont Juba avait, les années précédentes, ravagé les terres, et pour qui, sur<br />

leurs plaintes, le Sénat avait nommé des arbitres <strong>au</strong>xquels ils avaient dû la restitution de leurs<br />

biens, furent condamnés à fournir tous les ans trois cent mille livres d'huile, parce que, dans<br />

le principe, par suite de la division des chefs, ils s'étaient alliés à Juba et lui avaient donné<br />

des armes, des soldats et de l'argent. Quant à la ville de Thysdra, comme elle était peu<br />

considérable, elle fut seulement taxée à une certaine quantité de blé. 1 » Ayant finalement pris<br />

<strong>au</strong>x pompéiens tous les territoires dont ils disposaient initialement 2 , le vainqueur d’Alésia, de<br />

Brindes, de Pharsale, de Zéla et de Thapsus rentra à Rome, pensant avoir clos le dernier<br />

chapitre de la guerre civile.<br />

« Dès que César fut de retour de son expédition d'Afrique, il fit une harangue <strong>au</strong><br />

peuple, où il parla de sa victoire dans les termes les plus magnifiques ; il dit que les<br />

pays dont il venait de faire la conquête étaient si étendus que le peuple romain en<br />

tirerait tous les ans deux cent mille médimnes attiques de blé, et trois millions de<br />

livres d'huile. Il triompha trois fois : la première pour l'Égypte, la seconde pour le<br />

Pont, et la troisième pour l'Afrique. Dans ce dernier triomphe, Scipion n'était pas<br />

nommé ; il n'y était question que du roi<br />

Juba ; le fils de ce prince, qui était encore<br />

dans l'enfance, suivit le char du<br />

triomphateur ; et ce fut pour lui la captivité<br />

la plus heureuse. Né barbare et Numide, il<br />

dut à son malheur de devenir un des plus<br />

savants historiens grecs 3 . Après ses<br />

triomphes, César fit de grandes largesses à<br />

ses soldats, et donna des festins et des<br />

spectacles à tout le peuple, qu'il traita sur<br />

vingt-deux mille tables de trois lits chacune.<br />

Il fit représenter à l'honneur de sa fille Julie,<br />

morte depuis longtemps 4 , des combats de<br />

gladiateurs et des n<strong>au</strong>machies. Quand tous<br />

ces spectacles furent<br />

terminés, on fit le dénombrement du peuple,<br />

et <strong>au</strong> lieu de trois cent vingt mille citoyens<br />

1 César, La guerre d’Afrique, XCVII, 1-4.<br />

2 En effet, César ne contrôlait que les G<strong>au</strong>les <strong>au</strong> début de la guerre civile.<br />

3 Il s’agit de Juba II grand ami d’<strong>Auguste</strong>. Il écrivit de nombreux écrits sur la nature et sur l’histoire de l’Afrique.<br />

4 Mariée avec Pompée, elle était morte en enfantant quelques années avant le début de la guerre. Cf. page 9.<br />

61


qu'avait donné le dernier dénombrement, il ne s'en trouva que cent trente mille 1 : tant<br />

la guerre civile avait été meurtrière pour Rome ! Tant elle avait moissonné de<br />

citoyens, sans compter tous les flé<strong>au</strong>x dont elle avait affligé le reste de l'Italie et toutes<br />

les provinces. 2 »<br />

Caton le jeune, dit Caton d’Utique, conscience du Sénat.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Il est intéressant de souligner que le vainqueur de Pharsale ne triompha alors point pour ses<br />

écrasantes et difficiles victoires sur les pompéiens, mais pour ses succès contre Ptolémée,<br />

Pharnace et Juba. Il agit ainsi pour conserver le soutien de l’opinion, qui appréciait fort les<br />

triomphes de ses génér<strong>au</strong>x sur les barbares mais abhorrait les combats fratricides entre<br />

Romains. « Il n'avait jamais ni envoyé de courriers, ni écrit de lettres <strong>au</strong> Sénat, pour<br />

annoncer les victoires qu'il avait remportées dans les guerres civiles ; il avait toujours<br />

paru rejeter une gloire dont il était honteux. 3 »<br />

Mais le général ne put se reposer sur ses l<strong>au</strong>riers bien longtemps, attendu qu’il reçut de la<br />

province d’Espagne ultérieure des nouvelles alarmantes ; les derniers pompéiens, dont Varus<br />

qui avait jadis fait face à Curion en Afrique et les deux fils du grand Pompée qui complotaient<br />

depuis longtemps pour réunir une armée, étaient finalement parvenus à leur fin 4 . « Malgré<br />

leur jeunesse, ils avaient mis sur pied une armée formidable par le nombre des<br />

soldats, et ils montraient une <strong>au</strong>dace qui les rendait dignes du<br />

commandement. 5 » César, n’avait dans un premier temps pas pris la menace <strong>au</strong> sérieux,<br />

occupé qu’il était à Rome à se ménager le soutien du peuple par ses jeux et ses<br />

triomphes. Mais alarmé par le nombre croissant de demandes d’aide envoyé par les<br />

cités espagnoles, César, ayant obtenu son 4 ème consulat 6 , se décida à ouvrir une<br />

nouvelle fois les portes du temple de Janus et marcha, <strong>au</strong>x alentours de décembre,<br />

vers l’Espagne avec ses légions.<br />

Les troupes ennemies, composées surtout de brigands, de mercenaires et de novices,<br />

recrutés dans la province <strong>au</strong>xquels avait été ajoutés les restes des armées africaines et<br />

espagnoles ayant pu fuir, assiégeaient alors Ulia et Cordoue. Et elles étaient sur le<br />

point de les prendre. César, après avoir envoyé des troupes vers la première pour tenter<br />

de secourir la population prise <strong>au</strong> piège, fit route vers la seconde comptant bien<br />

délivrer la ville de l’emprise du jeune Sextus. Celui-ci, inquiet de l’arrivée imminente<br />

de l’ennemi, conjura son frère de venir à son secours. Ce dernier mit donc fin <strong>au</strong> siège<br />

d’Ulia et fonça vers Cordoue pour tenter de prendre le vainqueur de Pharsale à revers. Il<br />

parvint à lui barrer la route sur le fleuve Bétis sur lequel César venait de construire un pont.<br />

Les combats firent rage entre les deux camps pour la possession de l’ouvrage mais les<br />

césariens furent finalement obligés de rebrousser chemin. Ils se dirigèrent alors vers Atégua,<br />

la plus forte place de Pompée, pistés de près par ce dernier. Il avait, certes, avec lui treize<br />

légions, mais il se contentait de gagner des escarmouches, n’osant pas, à c<strong>au</strong>se de la faiblesse<br />

1 Ce chiffre s’explique par le grand nombre de citoyens ayant fui la guerre, par ceux ayant suivi le Sénat et<br />

Pompée dans son repli stratégique vers le sud de l’Italie et enfin par le nombre de citoyen tués dans la guerre.<br />

2 Plutarque, Vie de César, LX.<br />

3 Ibidem, LXII.<br />

4 Cnaeus Pompée le plus âgé qui avait <strong>au</strong>trefois commandé la flotte pompéienne et Sextus le plus jeune qui<br />

faisait ses premières armes.<br />

5 Ibidem, LXI.<br />

6 César fut consul en 59, 48, 46, 45 et 44. Il fut consul également consul unique pendant une partie de l’année<br />

45. Il fut également dictateur pendant 19 jours en 49, pendant toute l’année 47 puis élu dictateur pour dix ans à<br />

partir de 45 et dictateur à vie en 44.<br />

62


de son armée par rapport à celle de César, engager de combat décisif. La place fut prise le 19<br />

février 46. Le général se montra, contrairement à son habitude, particulièrement cruel 1 . Les<br />

prisonniers ennemis, qui avaient déjà combattu contre lui deux ans plus tôt, furent massacrés<br />

et les messagers ennemis capturés eurent les mains tranchées Quand <strong>au</strong>x esclaves ayant<br />

soutenu Pompée, ils furent brûlés vifs.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Le camp adverse ne fit pas non plus de quartier. Alors qu’ils poursuivaient le conquérant des<br />

G<strong>au</strong>les qui marchait vers le sud, ils brûlèrent les villes se trouvant sur leur passage et<br />

massacrèrent les habitants, tout cela contre l’avis de leur général 2 .<br />

César se décida finalement, le 17 mars 45, à prendre l’offensive devant la ville de Munda.<br />

Cette bataille, la plus gigantesque de la guerre -40'000 césariens contre 70'000 pompéiens- fut<br />

également la plus difficile que le nouve<strong>au</strong> dirigeant de Rome eût à gagner. « Au dernier<br />

combat livré en Espagne, et où ses affaires parurent si désespérées, que César songea même<br />

à se donner la mort. 3 » « Voyant ses troupes vivement pressées, n'opposer <strong>au</strong>x ennemis<br />

qu'une faible résistance, il se jeta <strong>au</strong> fort de la mêlée, en criant à ses soldats s'ils<br />

n'avaient pas honte de le livrer ainsi à des enfants. Ce ne fut que par des efforts<br />

extraordinaires qu'il parvint à repousser les ennemis : il leur tua plus de trente mille<br />

hommes, et perdit mille des siens, qui étaient les plus braves de l'armée, En rentrant<br />

dans son camp, après la bataille, il dit à ses amis qu'il avait souvent combattu pour la<br />

victoire, mais qu'il venait de combattre pour la vie. 4 » Varus perdit la vie dans la<br />

bataille. Après Munda, César reprit une à une les villes occupées par les partisans du<br />

jeune Pompée. Celui-ci fut tué alors qu’il essayait de se cacher dans une grotte pour<br />

échapper <strong>au</strong>x partisans du vainqueur et sa tête fut apportée à César. Son frère lui, se<br />

rendit <strong>au</strong> vainqueur, et obtint le droit de séjourner en Espagne sans que sa vie ne fût en<br />

danger. Quant <strong>au</strong>x villes ayant soutenu le parti des vaincus, elles furent condamnées à<br />

payer d’énormes sommes <strong>au</strong>x vainqueurs.<br />

Ainsi, quatre ans et cinq jours après le passage du Rubicon, l’horrible guerre fratricide<br />

était-elle terminée. Il avait fallu quatre grandes batailles et des centaines de milliers de<br />

morts, pour désigner le vainqueur. Mais désormais César était maître unique de la<br />

Ville et de ses institutions, du moins de ce qu’il en restait ; <strong>au</strong> grand désespoir de notre<br />

Arpinate et des quelques sénateurs pompéiens survivants. Cependant, sans qu’ils le<br />

sussent, chaque jour les approchait de l’heure de la revanche, chaque instant<br />

rapprochait Cicéron de l’ultime bataille où ce jouerait le sort de la République.<br />

1<br />

César, était sans doute lassé de cette guerre qui n’en finissait pas et fit preuve de cru<strong>au</strong>té par agacement.<br />

2<br />

César, La guerre d’Espagne, XVIII, 9.<br />

3<br />

Suétone, Vie des douze Césars, César, XXXVI.<br />

4<br />

Plutarque, Vie de César, LXI.<br />

63


Cicéron contre les triumvirs<br />

6. César à la Tête de l’État<br />

Cicéron dans l’opposition,<br />

L’après Pharsale dans la péninsule<br />

Après s’être enfui du camp pompéien à la fin de l’année 48, Cicéron séjourna avec son<br />

frère à Patras ne sachant si le vainqueur l’<strong>au</strong>torisait à rentrer en Italie, les anciens<br />

partisans de Pompée ayant été, jusqu’alors, tous privés de ce droit. Il n’y avait en effet<br />

rien que le vainqueur de Pharsale ne craignit plus qu’un soulèvement des citoyens en<br />

son absence. Il reçut heureusement très vite une lettre d’Asie l’<strong>au</strong>torisant, seul parmi<br />

tous ses anciens adversaires grecs, à quitter l’exil. L’orateur se devait, quoi qu’il en<br />

eût été, de quitter la Grèce <strong>au</strong> plus vite, car les troubles n’y étaient pas encore éteints,<br />

les lieutenants de César n’ayant, en effet, pas encore fini de pacifier toute la province.<br />

Certaines villes, comme Mégare, tentaient toujours de résister <strong>au</strong> nouve<strong>au</strong> pouvoir 1 et<br />

durent être enlevées par la force. L’orateur fit donc voile vers Brindes où il fut reçu<br />

par l’un de ses anciens adversaires politique, Vatinius, <strong>au</strong>trefois partisan des triumvirs<br />

et que Cicéron avait, entre <strong>au</strong>tre, défendu sur leur ordre. Ce dernier avait accepté de<br />

surveiller et de protéger l’avocat jusqu’<strong>au</strong> retour du maître de l’Italie. La surveillance,<br />

très faible, consistait seulement à empêcher l’ancien consulaire de quitter la métropole<br />

pour l’Afrique ce qui, quoi qu’il arrivât, avait peu de chance de se produire. La<br />

protection était une tâche plus sérieuse car les soldats césariens campant sur sa terre<br />

natale le considéraient, à tort, comme l’un des princip<strong>au</strong>x responsables de la guerre<br />

avec tous les <strong>au</strong>tres politiciens qui avaient voulu forcer César à rendre « injustement »<br />

ses légions 2 . Il était perçu comme une relique de l’ancien régime sénatorial qu’il valait<br />

mieux éliminer <strong>au</strong> plus vite, de peur qu’il ne s’attaquât <strong>au</strong>x nouvelles lois qui<br />

favorisaient les citoyens les plus p<strong>au</strong>vres et les vétérans de guerre. Ce fut une des<br />

raisons pour lesquelles il fut si durement traité par Lucain, le poète, dans sa Pharsale,<br />

œuvre à la gloire des républicains 3 . Il y apparaissait comme un personnage avide de<br />

gloire et de combat et poussant le général à la bataille contre ce que préconisait la<br />

sagesse.<br />

1 La malheureuse cité fut finalement investie par les césariens et ses habitants furent vendus comme esclaves.<br />

2 Au su du véritable déroulement de l’histoire, on voit ici comment la propagande et les petites dé<strong>format</strong>ions de<br />

César ont lentement, mais sûrement, porté leurs fruits.<br />

3 La Pharsale de Lucain est une œuvre portant à controverse. Ecrite pour contester le pouvoir des empereurs, elle<br />

porte un dur jugement sur tous les politiciens et les militaires trahissant les lois de Rome et ayant laissé la<br />

République s’effondrer en s<strong>au</strong>vant leurs vies. Ainsi, il est logique que le seul homme apprécié par Lucain fût<br />

Caton. Quant à César, il est honni par le poète qui cherche à nuire le plus possible à l’empereur d’alors qui avait<br />

cherché à le censurer, Néron.<br />

64


« Le plus éloquent des Romains, Tullius, qui, sous la toge consulaire, avait fait trembler le<br />

fier Catilina devant ses pacifiques faisce<strong>au</strong>x, Tullius fut chargé de porter la parole. Plein<br />

d'aversion pour une guerre qui l'éloignait de la tribune et impatient du long silence que lui<br />

imposaient les combats, il appuya de toute, son éloquence la témérité d'une m<strong>au</strong>vaise c<strong>au</strong>se.<br />

"La Fortune, dit-il à Pompée, ne vous demande pour prix de sa longue faveur, que de vouloir<br />

en user encore. Les grands de Rome, les rois de la terre, le monde à vos pieds, nous vous<br />

conjurons tous de nous laisser vaincre César. César est-il fait pour tenir si longtemps tout<br />

l'univers en armes ? Il est honteux pour les nations que Pompée qui les a vaincues avec tant<br />

de rapidité soit si lent à vaincre avec elles.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Qu'est devenue cette ardeur, cette foi dans les destins ? Ingrat ! Craignez-vous que les dieux<br />

ne se rangent du côté du parti du crime ? N'osez-vous leur fier la c<strong>au</strong>se du Sénat ? Vos<br />

légions, n'en doutez pas, enlèveront d'elles-mêmes leurs étendards et s'élanceront <strong>au</strong> combat.<br />

Rougissez de vaincre par contrainte. Si vous ne commandez ici qu'<strong>au</strong> nom du Sénat, si c'est<br />

pour nous que se fait la guerre, dès que nous demandons la bataille c'est à vous de la livrer.<br />

Pourquoi détourner de César tant de glaives qui le menacent ?" 1 » Or nous savons que de<br />

toutes ses affirmations, <strong>au</strong>cune n’était véridique ni même ne s’approchait de la vérité.<br />

Cicéron n’avait pas assisté à la séance du 7 janvier 49 lorsque les Pères avait « déclaré<br />

la guerre » à César, il avait même tout fait pour arrêter les combats avant qu’il ne fût<br />

trop tard. Cicéron n’était pas à Pharsale <strong>au</strong> moment du choc décisif et avait avant la<br />

défaite, exhorté le vainqueur de Mithridate à la prudence. Enfin il ne comptait pas<br />

s’attaquer <strong>au</strong>x lois de César, pour la simple et bonne raison que rien n’<strong>au</strong>rait été plus<br />

imbécile de sa part dans sa situation.<br />

Malgré tout il manqua plusieurs fois de se faire tuer par des soldats d’Antoine et celuici<br />

dut le protéger personnellement étant donné que laisser l’orateur se faire tuer <strong>au</strong>rait<br />

été une grave erreur politique. « Cicéron mis à mort, c’était à nouve<strong>au</strong> Sylla et les<br />

proscriptions, l’opposition punie dans le sang. Cicéron s<strong>au</strong>vé, gagné, a force de<br />

patience, <strong>au</strong> régime qu’il f<strong>au</strong>drait bien construire, c’était un pas franchi vers une<br />

légitimité nouvelle. 2 » L’Arpinate mit alors tous ses efforts à obtenir le pardon de<br />

César à Quintus. Le malheureux se trouvait, en effet, toujours en exil et blâmait son<br />

frère de l’avoir embarqué dans une aventure <strong>au</strong>ssi désastreuse que son ralliement à<br />

Pompée. Ce qui n’était, somme toute, pas entièrement f<strong>au</strong>x. L’orateur avait désormais<br />

presque retrouvé sa place dans la vie publique, tandis que lui Quintus était loin de sa<br />

patrie et des siens pour une durée indéterminée. L’avocat s’empressa d’envoyer à<br />

César des lettres indiquant que c’était bien lui, Marcus, qui avait entraîné son frère<br />

chez les pompéiens et pas le contraire, comme semblait le croire ce dernier. L’homme<br />

était alors en Egypte et malheureusement injoignable. Si bien que le rappel de Quintus<br />

ne fut accordé qu’une année plus tard quand le fils de l’exilé vint plaider en personne<br />

la c<strong>au</strong>se de son père en Syrie.<br />

Les mois défilèrent et l’on n’avait toujours pas reçu de nouvelle de César, empêtré<br />

dans ses affaires en Egypte, si bien que les césariens commencèrent à s’inquiéter. De<br />

plus les forces pompéiennes en Afrique paraissaient être désormais assez importantes<br />

pour reprendre la péninsule et l’on avait également reçu quelques demandes d’aide<br />

d’Espagne, où le fils du grand Pompée commençait, semblait-il, à rassembler des<br />

troupes. Sur ce, Caelius et Milon tentèrent de soulever les vétérans de Pompée et les<br />

1 Lucain, La Pharsale, VII, II.<br />

2 Grimal, Cicéron, p. 315-316.<br />

65


esclaves de Campagnie et durent en être empêchés militairement. En janvier 47,<br />

l’anxiété fut à son paroxysme. Les forces pompéiennes avaient repris du poil de la bête<br />

et contrôlaient militairement la partie ouest de la Méditerranée. Personne ne doutait de<br />

leur débarquement prochain. Au contraire, les soldats césariens mécontents,<br />

commençaient à poser problème. Ils refusaient tout combat avant que les promesses<br />

que César leur avait faites ne se réalisassent. Même les 1'000 deniers promis par<br />

Salluste 1 , grand ami du général, et les promesses d’Antoine ne parvinrent pas à les<br />

calmer.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Pour notre orateur, tout allait de mal en pis. Lui qui avait, sans <strong>au</strong>cun remord, quitté le<br />

camp pompéien, <strong>au</strong>rait été couvert de honte si celui-ci était parvenu à reprendre Rome<br />

et l’Italie. Le nom de Tullius serait devenu un nom honni, et les générations futures<br />

quand on <strong>au</strong>rait évoqué son cognomen se seraient rappelées de lui plus comme d’un<br />

homme malchanceux et lâche que comme d’un s<strong>au</strong>veur de la patrie. Sa position dans le<br />

camp césarien n’était également pas des plus enviables : sans statut précis, considéré par la<br />

jeunesse comme une relique des temps passés, affaibli politiquement par les affaires de<br />

Campagnie, (Caelius et Milon étaient deux de ses vieux amis) et par Dolabella qui, par<br />

hostilité envers Antoine, tentait alors de promulguer des lois contre César, l’avocat se savait<br />

faible. Certes il avait conservé sa vie et son talent oratoire mais « il ne peut plus le mettre <strong>au</strong><br />

service d’une République qui, pour lui, n’existe plus 2 ».<br />

S’il n’y avait eu que le déclin politique, l’Arpinate <strong>au</strong>rait certainement pu s’en<br />

accommoder. Mais il y avait pire. Sa vie de famille, qui avait toujours été sa base et<br />

son soutien moral dans toutes les épreuves qu’il avait dû subir, était entrain de<br />

s’écrouler. Tout d’abord son premier petit-fils, le fils que Tullia, son enfant chérie,<br />

avait eu le 19 mai 49 de son troisième mariage 3 , était mort très jeune. A bientôt soixante<br />

ans 4 , Cicéron n’avait toujours pas de descendance à qui raconter ses aventures et léguer son<br />

nom. Ensuite, sa fille, lorsqu’elle était venue seule 5 le 12 juin le réconforter à Brindes, lui<br />

avait paru attristée et malade. Son troisième mariage, avec l’agent de César, était calamiteux.<br />

Dolabella buvait be<strong>au</strong>coup, courait les filles, entretenait une maîtresse, tout cela en dilapidant<br />

la dot de sa femme et en se couvrant de dettes. Il commençait même à ressembler par certains<br />

côtés à Clodius <strong>au</strong>quel on sait que Cicéron portait un attachement particulier… Le divorce, fin<br />

octobre 46, fut inévitable 6 .<br />

Mais il y avait pire. Sa femme Terentia, à laquelle il tenait énormément, nous l’avons vu dans<br />

ses lettres d’exil, lui fit, en effet, subir le même c<strong>au</strong>chemar. Les rapports entre les deux époux<br />

avaient certes commencé à s’effriter dès le retour d’exil de l’orateur. Mais ce n’étaient alors<br />

que des petits problèmes conjug<strong>au</strong>x norm<strong>au</strong>x qui, <strong>au</strong> vu des caractères des deux personnages,<br />

ne pouvaient manquer de se produire après une si longue vie commune. La vraie rupture eut<br />

lieu entre le départ et le retour de Grèce. Les c<strong>au</strong>ses exactes du divorce nous sont inconnues<br />

1 Il s’agit bien de l’historien Salluste, farouche adversaire de Cicéron.<br />

2 Mourier, Cicéron l’avocat de la République, p. 93.<br />

3 Tullia fut mariée en premier lieu avec Gaius Calpurnius Piso Frugi de 66 à sa mort en 57, puis avec Furius<br />

Crassipes de 56 jusqu’ à leur divorce, pour des raisons inconnues, en 51. Enfin avec Publius Cornelius Dolabella<br />

de l’été 50 à fin octobre 46.<br />

4 Né en janvier 106 av. JC. Cicéron avait donc 59 ans en 47.<br />

5 Marcus était be<strong>au</strong>coup plus jeune que sa sœur, (Tullia avait 29 ans en 47 contre 32 pour son frère né en 65 cf.<br />

page 11). Il partit peu après pour Athènes pour y apprendre la philosophie et la rhétorique.<br />

6 Il est également possible que ce divorce ait eu lieu début 45.<br />

66


mais l’on peut suggérer des hypothèses. On sait notamment que Terentia se trompait de plus<br />

en plus souvent dans les comptes de la maisonnée, n’envoyant, par exemple, que 10'000<br />

sesterces sur les douze que lui avait demandés Cicéron à Brindes, gardant ainsi, par mégarde<br />

bien entendu, 2'000 piécettes pour son propre compte. Certes ce n’était pas d’une importance<br />

capitale mais l’avocat confia à Atticus que ce n’était pas la première fois et qu’il y avait eu<br />

des cas be<strong>au</strong>coup plus graves qu’il avait passés jadis sous silence. L’Arpinate avait, à l’instar<br />

de cette tromperie, d’innombrables petits griefs à l’encontre de sa femme, sans compter que<br />

Marcus Tullius Cicéron avait trouvé son nom entaché par des dettes à son débarquement en<br />

Italie. Mais ce ne sont guère là que des c<strong>au</strong>ses « superficielles ».<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Sur les raisons profondes de la séparation, chaque historien possède son propre avis. Ainsi<br />

Plutarque prétend que ce fut par amour d’une jeune femme, Publilia, et surtout pour son<br />

argent qui lui permettait d’épancher ses dettes que l’avocat brisa l’entente conjugale.<br />

« Cicéron lui-même…épousant, peu de temps après, une jeune personne, séduit par sa be<strong>au</strong>té,<br />

à ce que disait Terentia ; et suivant Tiron… à c<strong>au</strong>se de ses richesses…. Cette fille avait en<br />

effet de très grands biens…mais comme il devait be<strong>au</strong>coup, il se laissa persuader par ses<br />

parents et ses amis de l'épouser malgré la disproportion de l'âge, afin de trouver dans la<br />

fortune de cette femme de quoi se libérer envers ses créanciers. 1 » Les Historiens modernes,<br />

notamment Nicolet et Grimal, soulignent <strong>au</strong> contraire que « En réalité on peut penser que<br />

Terentia, dont on nous dit qu’elle était souvent intervenue dans la vie publique de son mari 2 ,<br />

estime que sa carrière politique est désormais achevée ; elle est déçue par lui, soit qu’elle lui<br />

reproche d’avoir rejoint Pompée en abandonnant César…soit qu’elle le blâme, plus<br />

simplement, mais contre toute logique, de s’être trouvé du côté des vaincus. Quoi qu’il en<br />

soit…après son divorce Terentia épousa un césarien convaincu, l’un des favoris du dictateur,<br />

l’historien Salluste. Cette fois, elle était certaine d’être du bon côté. 3 » La thèse de Plutarque<br />

souffre de deux gros déf<strong>au</strong>ts. On sait combien la vie de famille était importante <strong>au</strong>x yeux de<br />

Cicéron. Il n’avait jamais, du moins à notre connaissance, trompé sa femme ou porté un<br />

regard passionné sur ses finances si bien que l’on voit mal pourquoi il <strong>au</strong>rait brisé l’un de ses<br />

trésors les plus précieux pour de l’argent ou pour la compagnie d’une jeune demoiselle, ce<br />

qui, de plus, <strong>au</strong>rait été contraire à tous ses principes mor<strong>au</strong>x. C’est également un fait entendu<br />

que l’orateur resta seul durant une période conséquente après son divorce. Pourquoi s’il avait<br />

eu des vues sur sa nouvelle compagne depuis longtemps, n’avoir pas préparé l’union à<br />

l’avance <strong>au</strong> lieu de rester isolé dans ses villas italiennes ? Et enfin, pourquoi <strong>au</strong>rait-il choisi<br />

une période si difficile de sa vie pour quitter sa femme ? Certes Cicéron appréciait les<br />

préceptes stoïciens mais tout de même ! Non, ce fut forcément sa femme qui le força <strong>au</strong><br />

divorce. Déception de voir son mari arriver à la fin de sa carrière d’orateur comme d’avocat<br />

et de politicien ? Désir de voir les temps glorieux des années 60 recommencer ? Lassitude de<br />

se voir soupçonner de tel ou tel larcin par l’Arpinate ? Sans doute un peu de tout cela. Quoi<br />

qu’il en soit notre avocat accusa le choc, divorça <strong>au</strong> début de l’année 46 et continua à vivre<br />

malgré ses malheurs.<br />

César regagna l’Italie le 25 septembre 47. Aussitôt le consul de 63 vint à sa rencontre,<br />

confiant sur le fait qu’il recevrait son pardon mais honteux de devoir plaider sa c<strong>au</strong>se devant<br />

le cortège de courtisans qui suivaient désormais le vainqueur où qu’il se rendît. « César ne<br />

l'eut pas plutôt vu venir à lui, précédant d'assez loin ceux qui l'accompagnaient, qu'il<br />

1 Plutarque, Vie de Cicéron, XLI.<br />

2 Rappelez-vous de l’affaire Clodius !<br />

3 Grimal, Cicéron, p. 320.<br />

67


descendit de cheval, courut l'embrasser, et marcha plusieurs stades en s'entretenant tête à tête<br />

avec lui. Il ne cessa depuis de lui donner les plus grands témoignages d'estime et d'amitié ; et<br />

Cicéron ayant composé dans la suite un éloge de Caton, César, dans la réponse qu'il fit, loua<br />

be<strong>au</strong>coup l'éloquence et la vie de Cicéron, qu'il compara à celles de Périclès et de<br />

Théramène. 1 » Ainsi, l’orateur n’eut pas besoin de s’humilier et fut inconditionnellement<br />

pardonné. « Il entrait, qu’il le voulût ou non, dans la nouvelle cité, celle de César. 2 »<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Il put rentrer à Rome, droit dont jouissaient très peu d’anciens partisans de Pompée, et obtint<br />

même de plaider pour un adversaire du vainqueur, ce qu’il fit si brillamment que le président<br />

du tribunal et le conquérant des G<strong>au</strong>les furent émus et gracièrent l’accusé. Cette plaidoirie, le<br />

Pro ligario fut l’une de ses dernières. Car l’Arpinate n’avait plus désormais ni la force, ni<br />

l’envie de continuer son activité d’avocat. Ainsi, plus de 30 ans après ses débuts, plus de 20<br />

ans après l’affaire Verrès qui l’avait fait premier orateur à Rome et près de 10 ans après la<br />

mort d’Hortensius, son vieux rival, Cicéron confiait-il ses armes, la parole et la science du<br />

discours, à la jeunesse.<br />

L’apprentissage de la douleur<br />

César, on le sait, ne resta pas longtemps à Rome. Ayant calmé ses troupes, il fut appelé par la<br />

guerre en Afrique. Cicéron, s’intégrait peu à peu dans la nouvelle vie politique césarienne. Il<br />

avait encore de nombreux amis, favoris du vainqueur comme anciens compagnons du vaincu.<br />

Malgré les déboires de sa vie privée, il reprenait contact avec ses anciens alliés et essayait de<br />

travailler, comme le lui avait demandé César, à la reconstruction de l’Etat. Il ne pouvait<br />

abandonner totalement la politique pour l’écriture comme, par exemple, Varron qui, après<br />

s’être rendu à César, s’était retiré et mettait tous ses efforts à écrire des livres érudits. Avec la<br />

restriction de la liberté de parole et le déclin de l’importance et de l’influence sénatoriale <strong>au</strong><br />

profit des hommes nommés par le dictateur à la tête de l’Etat, Cicéron, même dans son rôleclé<br />

d’opposant, bénéficiait de be<strong>au</strong>coup de temps libre. Il se mit donc néanmoins à la<br />

rédaction des traités qu’il n’avait pu écrire dix ans plus tôt par manque de temps, qui, pour la<br />

plupart, complètent ses premières œuvres. Et d’éloges <strong>au</strong>x politiciens qu’il avait admiré et<br />

disparus alors. Durant l’année 46 3 , il rédigea ainsi « l’éloge à Caton 4 », « l’Orateur » et « le<br />

Brutus » 5 . En résumé, il semblait avoir presque réussi à surmonter le choc de la mort de la<br />

République d’<strong>au</strong>trefois pour laquelle il s’était tellement battu et avait tellement souffert. Il<br />

faisait contre m<strong>au</strong>vaise fortune bon coeur et se hasardait même à tenter de consoler ses amis<br />

républicains de la perte de l’ouvrage <strong>au</strong>quel ils tenaient tant. «Aussi tu ne dois pas oublier que<br />

ceux qui n’ont pas suivi ton conseil <strong>au</strong>torisé ont péri par leur folie, alors que ta prévoyance<br />

<strong>au</strong>rait pu les s<strong>au</strong>ver. Tu me diras : "En quoi m’est-ce là une consolation quand la République<br />

n’est plus que ténèbres et décombres ? " Il est bien vrai que notre douleur est à peu près<br />

inconsolable, si totale est la perte que nous avons subie et inexistant l’espoir d’une<br />

rest<strong>au</strong>ration ; mais pourtant le jugement que César lui-même porte sur toi rejoint l’opinion de<br />

tous les citoyens : comme une lumière survivant à toutes celles qui se sont éteintes, brille<br />

1<br />

Plutarque, Vie de Cicéron, XXXIX.<br />

2<br />

Grimal, Cicéron, p. 319.<br />

3<br />

L’année 46 avant JC. , est surnommée : la longue année car la réforme julienne du calendrier lui ajouta deux<br />

mois intercalaire.<br />

4<br />

A quoi César répondit en écrivant l’Anti-Caton !<br />

5<br />

L’arpinate écrivit également un petit manuel sur l’art oratoire destiné à son fils, avant son départ pour la Grèce.<br />

68


l’éclat de ta vertu, de ta sagesse et de ton honneur. Ceci doit t’être d’un grand secours pour<br />

alléger le poids de tes ennuis. 1 »<br />

En Janvier 45, César, après avoir triomphé trois fois, donné des jeux d’une amplitude jamais<br />

vue et avoir été nommé consul et dictateur pour dix ans, venait à peine de partir pour mener<br />

son dernier combat en Espagne, qu’on vit l’ex-avocat entretenir avec Dolabella, qui<br />

accompagnait le futur vainqueur de Munda, une courte correspondance pour que son exgendre<br />

restât <strong>au</strong> courant de toutes les affaires se tramant dans la Capitale.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

« Je n’ose manquer de donner à notre cher Salvius une lettre pour toi ; je n’ai, ma foi, rien à<br />

t’écrire, sinon que j’ai pour toi une affection étonnant ; mais je suis sûr que tu n’en doutes<br />

pas, même sans que je t’écrive. De fait, à Rome il ne se passe rien dont tu te soucies, je<br />

penses, d’être informé ; 2 »<br />

Mais le destin avait visiblement des comptes à rendre <strong>au</strong> vieux consulaire. Et rien de ce qu’il<br />

avait traversé jusqu’alors ne fut comparable avec l’ultime épreuve qu’il allait devoir<br />

surmonter. En février 45, sa fille adorée, celle qu’il avait élevée avec tant de soin, celle qui<br />

l’avait soutenu à son retour de Grèce, celle qui avait été son réconfort pendant son exil, celle<br />

qui enfin avait toujours été là pour lui même dans les pires situations, mourut à 30 ans en<br />

mettant <strong>au</strong> jour le second petit fils du vieil homme. Pour Cicéron le choc fut terrible. Rien ne<br />

l’avait préparé à un tel malheur et de toute façon rien ne l’<strong>au</strong>rait pu. Il avait deux filles qu’il<br />

aimait par-dessus tout : la République romaine et Tullia, il venait de les perdre toutes deux.<br />

Cicéron était présent <strong>au</strong> moment de son décès dans sa maison de Tusculum. Il quitta<br />

immédiatement la villa pour se rendre chez Atticus à Rome, car il espérait trouver un peu de<br />

consolation <strong>au</strong>près de son ami. Mais là-bas, la foule des gens venant lui apporter leurs<br />

condoléances était telle que l’Arpinate ne pouvait vraiment pleurer la mort de sa fille, fût-ce<br />

un seul instant. « Quand me fut parvenue la nouvelle du décès de ta fille Tullia, j’en ai été<br />

littéralement accablé, <strong>au</strong>tant qu’il se devait, et j’ai considéré que ce malheur nous frappait en<br />

commun ; si j’avais été à Rome, je ne t’<strong>au</strong>rais pas fait déf<strong>au</strong>t et t’<strong>au</strong>rais manifesté ma douleur<br />

devant tes yeux…cependant, j’ai décidé de t’écrire toutes les idées qui me sont venues sur le<br />

moment à l’esprit… Pour quelle raison serais-tu si profondément remué par ta douleur<br />

personnelle ? Examine de quelle façon la fortune nous a traités jusqu’à ce jour, comment elle<br />

nous a arraché ce qui doit être <strong>au</strong>ssi cher à l’homme que ses enfants : patrie, considération,<br />

dignité, honneurs de toute sorte ; ce seul surcroît de disgrâce a-t-il pu ajouter grand-chose à<br />

ta douleur ? Un cœur rompu à ces épreuves-là ne doit-il pas désormais être endurci et faire<br />

moins de cas de tout le reste ?... Certaine circonstance m’a fourni une consolation non<br />

négligeable ; je veux te la faire connaître, <strong>au</strong> cas où elle pourrait atténuer <strong>au</strong>ssi ta douleur.<br />

Revenant d’Asie je naviguais d’Egine vers Mégare, quand je me mis regarder circulairement<br />

l’horizon : derrière moi se trouvait Egine, devant moi Mégare, à droite Le Pirée, à g<strong>au</strong>che<br />

Corinthe ; or, ces villes, à un moment donné si florissantes, gisent <strong>au</strong>jourd’hui devant nos<br />

yeux écroulées et ruinées… "Eh quoi ! nous nous indignons, chétifs humains, si l’un d’entre<br />

nous, dont la vie doit être relativement courte, a péri ou a été tué, quand les cadavres de tant<br />

1 Cicéron, Correspondance, VII, CCCCXCIX à Servius Sulpicius Rufus, 2.<br />

2 Ibidem, DLXXVIII à P. Cornélius Dolabella, 1.<br />

69


de villes gisent abattus en un seul et même lieu ? Veux-tu bien te contenir Servius, et te<br />

rappeler que tu es né créature humaine ?" Crois-moi, cette méditation ne m’a pas peu<br />

raffermi ; essaie à ton tour, s’il te plaît, de te représenter ce spectacle. 1 » Or l’orateur avait<br />

besoin d’être seul. Ce fut donc à grand regret qu’il quitta son ami et se retira dans la maison<br />

qu’il avait acquise peu de temps <strong>au</strong>paravant à Astura. Il se trouvait là-bas un bois profond et<br />

touffu, Cicéron s’y rendait dès le lever du jour et n’en ressortait qu’à la nuit tombée. Il passait<br />

sa journée à méditer et à lire des livres philosophiques où il espérait trouver un remède à son<br />

malheur.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Tous, amis comme ennemis, césariens convaincus comme opposants politiques respectèrent<br />

son deuil et le laissèrent en paix 2 . S<strong>au</strong>f Philippus, be<strong>au</strong>-père d’Octave, qui, bavard invétéré,<br />

vint trouver Cicéron dans sa villa pour parler potins. « Rien de plus agréable que cette<br />

solitude, s<strong>au</strong>f une brève interruption due <strong>au</strong> fils d’Amyntas ; quel bavardage intarissable et<br />

insupportable! 3 »<br />

Il trouva finalement en lui-même la force de surmonter cette mort. Il est écrit dans la doctrine<br />

Platonicienne que les âmes ne meurent jamais. Cicéron s’était fait partisan de cette thèse dans<br />

le De republica où il avait écrit que les âmes des grands défenseurs de la République vivaient<br />

pour toujours <strong>au</strong> paradis, surveillant et aidant ceux qui poursuivaient leur combat. Après la<br />

mort de Tullia ce qui n’était qu’une intuition devint une certitude. Les âmes comme celle de<br />

Tullia ne pouvaient mourir, il en était désormais certain. Ayant aperçu le chemin qu’il devait<br />

suivre s’il voulait continuer à vivre, il se plongea dans l’écriture et écrivit pour lui-même une<br />

consolation qui est malheureusement perdue. « Tu voudrais que je me remette de mon<br />

chagrin : cela ne te ressemble pas tout à fait ; mais tu es témoin que je ne me suis pas<br />

abandonné : il n’y a pas un seul texte, de qui que ce soit, sur l’allègement du chagrin, que je<br />

n’aie lu chez toi. Mais ma douleur est plus forte que toute consolation. J’ai même fait ce que<br />

personne, assurément, n’avait tenté avant moi : j’ai entrepris de me consoler moi-même par<br />

un écrit ; je te l’enverrai, une fois que les copistes l’<strong>au</strong>ront transcrit. Je t’assure qu’il n’existe<br />

pas de meilleure consolation. J’écris toute la journée, non que je fasse des progrès, mais<br />

pendant ce temps-là je suis accaparé – pas assez, il est vrai, tant la violence de la douleur me<br />

lancine, du moins son étreinte se relâche ; et je fais tous mes efforts pour rest<strong>au</strong>rer, si je le<br />

puis, mon visage à déf<strong>au</strong>t de mon âme. 4 » L’écriture et la philosophie furent les uniques<br />

réconforts de Cicéron pendant les mois qui suivirent. Mais petit à petit ses écrits le sortirent<br />

du deuil et de sa tristesse. Il rédigea « l’Hortensius » hommage à son vieil adversaire du<br />

même nom. En mai parurent « les Académiques », en Juillet le traité « Sur les termes<br />

extrêmes des biens et des m<strong>au</strong>x 5 », et en août « Les Tusculanes », puis le traité « Sur la nature<br />

des dieux ». Fin août, lorsque César, cette fois vainqueur définitivement, revint à Rome,<br />

Cicéron avait surmonté la terrible épreuve. L’idée d’un mémorial à Tullia qu’il avait prévu de<br />

1<br />

Cicéron, Correspondance, VIII, DXCVII de Servius Sulpicius Rufus, 1-4.<br />

2<br />

On s’étonnera que sa nouvelle femme ne fût pas présente à ses côtés, mais il f<strong>au</strong>t savoir que Cicéron,<br />

soupçonnant sa femme d’avoir été jalouse de Tullia et de s’être donc réjouie de sa mort, trouva sa présence<br />

insupportable et la répudia. Quand à Terentia, on sait qu’elle ne vint pas se recueillir <strong>au</strong>près de son ancien mari.<br />

Cependant elle dut être très affectée par cette épreuve car elle avait toujours été proche de sa fille.<br />

3<br />

En grec dans le texte / Cicéron, Correspondance, VIII, DXCI à Atticus, 1.<br />

4<br />

Ibidem, DLXXXVIII à Atticus, 3.<br />

5<br />

Traduction très approximative De finibus bonorum et malorum.<br />

70


construire <strong>au</strong>x premiers jours de son deuil, devint petit à petit plus vague, <strong>au</strong> vu des difficultés<br />

que cela devait engendrer, et disparut finalement pendant l’été.<br />

Il est intrigant de constater que si l’orateur avait si mal vécu l’épreuve de l’exil, que l’on peut<br />

considérer comme le début de la fin de la République, il réussit à surmonter celle de la mort<br />

de sa fille be<strong>au</strong>coup plus sereinement. Autant en 58 ses lettres reflétèrent une envie de mourir,<br />

une tristesse apparente, <strong>au</strong>tant en 45 la tristesse infinie de ses missives est voilée par des<br />

propos philosophiques et des commentaires sur les affaires courantes. Il ne f<strong>au</strong>drait surtout<br />

pas en déduire que Cicéron avait plus de peine de cette première perte que de la seconde. Non,<br />

si l’Arpinate surmonta mieux le choc la seconde fois, ce fut certainement parce qu’il avait<br />

gagné en maturité <strong>au</strong> cours des dix dernières années. Par maturité, entendez maturité<br />

philosophique. Les principes mor<strong>au</strong>x énoncés dans les traités qu’il avait écrits depuis son exil,<br />

lui furent certainement très utiles. Cicéron contre les triumvirs<br />

D’<strong>au</strong>tre part, lors de son ostracisme, il livrait ses pensées tristes à sa famille, et sa peine nous<br />

est apparente à la lecture des ses lettres. L’homme en deuil est seul. Nous déduisons de son<br />

silence qu’il est un sage surmontant les épreuves. Mais peut-être est-il en fait tout <strong>au</strong>ssi<br />

malheureux, il ne l’a confié à personne, nous n’en savons donc rien. Enfin on pourrait<br />

imaginer que Cicéron, tout en disant le contraire dans ses lettres, pensait toujours qu’un<br />

rétablissement de l’Etat légal était possible et décida donc de survivre, considérant qu’il<br />

pouvait encore être utile à la République, ce qui serait la version poétique et héroïque.<br />

Néanmoins l’interprétation philosophique est la plus couramment retenue. Quand <strong>au</strong> corpus<br />

moral de l’orateur, il s’achèvera à la fin du printemps 44 avec les traités « De la divination »<br />

et « Du destin ».<br />

Réformes et projets de César.<br />

En septembre 45, César pouvait enfin se consacrer entièrement <strong>au</strong>x réformes qu’il avait<br />

commencé à entreprendre dès son retour d’Afrique.<br />

Politiquement parlant, il procéda à une nouvelle répartition des tâches afin d’<strong>au</strong>gmenter son<br />

pouvoir personnel et de diminuer celui du Sénat. Les magistrats étaient désormais élus à<br />

moitié par lui et à moitié par les comices, s<strong>au</strong>f les consuls qu’il désignait seul et qui,<br />

annuellement, se trouvaient être lui-même et l’un de ses favoris ou amis 1 . Le nombre de<br />

sénateurs passa de 600 à 900 2 ce qui permettait <strong>au</strong> dictateur de laisser une représentation<br />

légale à ses adversaires en les privant de tout pouvoir par une surreprésentation de ses<br />

partisans et non par la violence.<br />

« Il créa de nouve<strong>au</strong>x patriciens; il <strong>au</strong>gmenta le nombre des préteurs, des édiles, des<br />

questeurs et des magistrats inférieurs. Il réhabilita des citoyens que les censeurs avaient<br />

dépouillés de leurs dignités, ou que les tribun<strong>au</strong>x avaient condamnés pour brigue. Il<br />

partagea avec le peuple le droit d'élection dans les comices; de sorte qu'à l'exception de ceux<br />

qui se présentaient <strong>au</strong> consulat, les candidats étaient élus, moitié par la volonté du peuple,<br />

moitié sur la désignation de César. Or, il désignait les siens <strong>au</strong> moyen de circulaires qu'il<br />

envoyait à toutes les tribus, et qui contenaient ce peu de mots: "César dictateur, à telle tribu.<br />

Je vous recommande tels et tels, afin qu'ils tiennent leur dignité de vos suffrages". Il admit<br />

1<br />

Antoine, qui n’<strong>au</strong>rait, à priori, jamais accédé à la charge suprême avant 49, n’ayant pas les qualités requises, fut<br />

ainsi consul en 44 avant JC.<br />

2<br />

Une précédente réforme de Sylla qui avait fait passé le nombre de Sénateur de 300 à 600, avait eu le même but<br />

mais pour des raisons diamétralement opposées.<br />

71


<strong>au</strong>x honneurs également les enfants des proscrits. Il restreignit le pouvoir judiciaire à deux<br />

sortes de juges, ceux de l'ordre équestre et ceux de l'ordre sénatorial; et il supprima les<br />

tribuns du trésor, qui formaient la troisième. Il fit le recensement du peuple, non de la<br />

manière accoutumée, ni dans le lieu ordinaire, mais par quartiers, en passant par les<br />

propriétaires d'îlots. Le nombre de ceux à qui l'État fournissait du blé fut réduit, de trois cent<br />

vingt mille à cent cinquante mille; et pour que la <strong>format</strong>ion de ces listes ne pût être à l'avenir<br />

l'occasion de nouve<strong>au</strong>x troubles, il établit qu'avec ceux qui n'y seraient pas encore inscrits, le<br />

préteur pourvoirait chaque année, par la voie du sort, <strong>au</strong> remplacement de ceux qui seraient<br />

morts dans l'intervalle. 1 » Après ses triomphes et ses jeux à son retour d’Afrique, il fit, à son<br />

retour d’Espagne, de magnifiques présents à ses vétérans et <strong>au</strong>x citoyens démunis. « Outre les<br />

deux mille sesterces qu'il avait fait compter à chaque fantassin des légions de vétérans, à titre<br />

de butin, <strong>au</strong> commencement de la guerre civile, César leur en donna vingt-quatre mille.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Il leur assigna <strong>au</strong>ssi des terres, mais non contiguës, afin de ne point dépouiller les<br />

possesseurs. Il distribua <strong>au</strong> peuple dix boisse<strong>au</strong>x de blé par tête et <strong>au</strong>tant de livres d'huile,<br />

avec trois cents sesterces qu'il avait promis <strong>au</strong>trefois, et <strong>au</strong>xquels il en ajouta cent <strong>au</strong>tres,<br />

pour compenser le retard 2 . Il remit même, pour un an, les loyers dans Rome jusque<br />

concurrence de deux mille sesterces, et dans le reste de l'Italie, jusqu'à concurrence de cinq<br />

cents. À tous ces dons, il ajouta un festin public et une distribution de viandes. 3 » Il remit de<br />

l’ordre dans la Justice que les années de chaos et de guerres avaient gravement affaiblie. Il<br />

abolit nombre de privilèges des plus riches, sénateurs et chevaliers, leur interdisant, à<br />

certaines exceptions près, de parader en litière ou en vêtements de pourpre et affaiblissant<br />

leurs pouvoirs judiciaires. Il se réserva la gestion des affaires extérieures, négociant en<br />

utilisant la renommée des plus grands sénateurs sans leur demander leur avis. Cicéron reçu<br />

ainsi des remerciements de rois lointains pour des affaires dont il n’avait jamais entendu<br />

parler. Enfin il fonda sur les ruines de Carthage et de Corinthe, toutes deux détruites par<br />

Rome, des nouvelles cités pour les anciens soldats. Toutes ses actions lui conservèrent le<br />

soutien du peuple malgré de graves erreurs, qui seront mises en évidence par la suite.<br />

Sa réforme la plus connue est sans doute la réforme du calendrier qui passa d’un calendrier<br />

lunaire à un calendrier solaire. « Il imagina une correction ingénieuse de l'inégalité qui<br />

jetait dans le calcul des temps be<strong>au</strong>coup de confusion ; et cette réforme, heureusement<br />

terminée, fut depuis d'un usage <strong>au</strong>ssi commode qu'agréable. Les Romains, dans les<br />

premiers temps de leur monarchie, n'avaient pas même des périodes fixes et réglées<br />

pour accorder leurs mois avec l'année ; et il en résultait que leurs sacrifices et leurs<br />

fêtes, en reculant peu à peu, se trouvaient successivement dans des saisons<br />

entièrement opposées à celles de leur établissement...Les prêtres, qui seuls avaient la<br />

connaissance des temps, ajoutaient tout à coup, sans qu'on s'y attendît, un mois<br />

intercalaire, qu'ils appelaient Mercédonius mais qui n'était qu'un faible remède, dont<br />

l'effet avait peu d'influence sur les erreurs qui avaient lieu dans le calcul de l'année.<br />

César ayant proposé cette question <strong>au</strong>x plus savants philosophes et <strong>au</strong>x plus habiles<br />

mathématiciens de son temps, publia, d'après les méthodes déjà trouvées, une réforme<br />

particulière et exacte, dont les Romains font encore usage, et qui prévient une partie<br />

1 Suétone, Vie des douze Césars, César, XLI.<br />

2 César n’utilisa dans ces circonstances pas son propre argent mais l’argent de secours du trésor public dans<br />

lequel il avait déjà puisé lorsque il avait pris Rome <strong>au</strong> début de la guerre civile. Cette ultime réserve avait été<br />

conçue dans les temps anciens pour défendre la Ville en cas d’attaque G<strong>au</strong>loise. César prétendit avoir écarté ce<br />

désastre et donc avoir le droit d’utiliser l’argent comme bon lui semblait.<br />

3 Ibidem, XXXVIII.<br />

72


des erreurs <strong>au</strong>xquelles les <strong>au</strong>tres peuples sont sujets, sur l'inégalité qui a lieu entre les<br />

mois et les années. Cependant ses envieux, et ceux qui ne pouvaient souffrir sa<br />

domination, en prirent sujet de le railler. Cicéron, si je ne me trompe, ayant entendu<br />

dire à quelqu'un que la constellation de la Lyre se lèverait le lendemain : "Oui, dit-il,<br />

elle se lèvera par édit" ; comme si ce changement même n'avait été reçu que par<br />

contrainte. 1 » Ce calendrier, dit julien, remplaça donc efficacement l’ancien calendrier<br />

romain. Ce fut d’ailleurs une telle révolution qu’il fut adopté plus tard par le monde<br />

chrétien et que, même s’il fut mis à jour <strong>au</strong> 16 ème siècle par le Pape Grégoire premier<br />

pour donner le calendrier grégorien qui est <strong>au</strong>jourd’hui le plus utilisé sur terre 2 , il a<br />

survécu dans presque tous ses principes jusqu’à nos jours.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Il eut également de grands projets. « Il songeait à couper l'isthme de Corinthe ; il avait<br />

même chargé Aniénus de cette entreprise…Il voulait <strong>au</strong>ssi dessécher les marais<br />

Pontins, dans le voisinage de Sétium, et changer les terres qu'ils inondaient en des<br />

campagnes fertiles, qui fourniraient du blé à des milliers de cultivateurs. Il avait enfin<br />

le projet d'opposer des barrières à la mer la plus voisine de Rome, en élevant sur les<br />

bords de fortes digues, et après avoir nettoyé la rade d'Ostie, que des rochers couverts<br />

par les e<strong>au</strong>x rendaient périlleuse pour les navigateurs, d'y construire des ports et des<br />

arsen<strong>au</strong>x, qui pussent contenir le grand nombre de vaisse<strong>au</strong>x qui s'y rendaient de<br />

toutes parts 3 »<br />

« Il voulait dessécher les marais Pontins, ouvrir une issue <strong>au</strong>x e<strong>au</strong>x du lac Fucin, construire<br />

une route allant de la mer Supérieure <strong>au</strong> Tibre, en franchissant la crête des Apennins…Il<br />

voulait contenir les Daces, qui s'étaient répandus dans la Thrace et dans le Pont; porter<br />

ensuite la guerre chez les Parthes, en passant par l'Arménie mineure, et ne les attaquer en<br />

bataille rangée qu'après avoir éprouvé leurs forces. 4 »<br />

Et il ne comptait pas s’arrêter à la Parthie. Il avait ensuite dans l’idée de remonter à travers le<br />

Hyrcanie 5 , de soumettre les Sythes du C<strong>au</strong>case puis de revenir par la Russie et de conquérir la<br />

Germanie et les pays alentour. Ainsi Rome <strong>au</strong>rait-elle dominé tout le monde connu et luimême<br />

étant souverain de la Cité serait souverain du monde.<br />

Souverain, c’était là que se trouvait le nœud du problème. A force de victoires et de<br />

compliments le grand Julien était devenu un vrai dictateur, clément certes mais imposant. Et<br />

s’il avait depuis le début de la guerre civile, toujours tenté de respecter, en apparence, la<br />

légalité il s’en souciait de moins en moins. Il avait obtenu le consulat deux années de suite, de<br />

même pour la dictature qui, de 19 jours la première fois, était passée à un an, dix ans, puis à<br />

une dictature à vie. Or si le peuple ne s’insurgeait pas contre le fait que le vainqueur distribuât<br />

à ses partisans et à qui il le désirait les magistratures républicaines et les charges importantes :<br />

« C'est avec le même mépris des usages consacrés qu'il attribua des magistratures pour<br />

1 Plutarque, Vie de César, LXV.<br />

2 César avait calculé que l’année solaire comptait 365,25 jours alors qu’elle en compte en fait 365,24. Le Pape<br />

Grégoire l’ayant remarqué, décida de supprimer trois jours supplémentaires tous les 400 ans. C’est pour cela que<br />

nous n’avons pas eu de 29 février en 2000. César changea également le nom du 9 ème mois Quintilis en Julius.<br />

3 Plutarque, Vie de César, LXIV.<br />

4 Ces projets : attaquer les Daces et Les Parthes, furent réalisés bien plus tard par l’un des plus grands empereurs<br />

romains Trajan. De fait la plupart des idées qu’il avait eues <strong>au</strong> cours de sa vie et n’avait pu concrétisées par<br />

manque de temps furent accomplies plus tard par les premiers empereurs romains. / Suétone, Vie des douze<br />

Césars, César, XLIV.<br />

5 L’Hyrcanie englobait le nord de l’Iran et toutes les terres situées à l’ouest de la mer Caspienne.<br />

73


plusieurs années, qu'il accorda les insignes consulaires à dix anciens préteurs, qu'il fit entrer<br />

<strong>au</strong> Sénat des gens qu'il avait gratifiés du droit de cité et même de quelques G<strong>au</strong>lois à demi<br />

barbares; qu'il donna l'intendance de la monnaie et des revenus publics à des esclaves de sa<br />

maison; qu'il abandonna le soin et le commandement des trois légions laissées par lui dans<br />

Alexandrie, à Rufion, fils d'un de ses affranchis. 1 », il considérait la roy<strong>au</strong>té avec une suprême<br />

horreur. Tous les premiers empereurs allaient d’ailleurs faire bien attention à se nommer<br />

princeps, premier citoyen, et non roi. Dans ce registre, le conquérant des G<strong>au</strong>les avait plus<br />

que dépassé les limites de l’acceptable, les citoyens s’en étaient rendus compte et l’amour<br />

qu’ils ressentaient pour César commençait à se muer en crainte. La crainte mène à la<br />

contestation, la contestation à la colère et la colère à la violence. La machine était emballée et<br />

plus elle avançait, plus elle devenait difficile à arrêter. César, concentré sur les actions de ses<br />

adversaires politiques, ne vit pas immédiatement le danger et commit quelques graves bévues.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Tout d’abord il triompha pour sa victoire sur Gnaeus Pompée. On peut comprendre le<br />

dictateur qui voulait marquer la fin de la guerre civile. Mais triompher pour sa victoire sur un<br />

citoyen, fils de Pompée qui restait, malgré tout, une grande figure de l’histoire romaine et qui<br />

avait fini de la plus horrible des façons et pour une guerre qui avait amené la ruine à la patrie,<br />

cela fut considéré comme une ignominie. « Ce fut la dernière guerre de César, et le<br />

triomphe qui la suivit affligea plus les Romains que tout ce qu'il avait pu faire<br />

précédemment ; c'était, non pour ses victoires sur des génér<strong>au</strong>x étrangers ou sur des<br />

rois barbares qu'il triomphait, mais pour avoir détruit et éteint la race du plus grand<br />

personnage que Rome eût produit, et qui avait été la victime des caprices de la<br />

fortune. On ne lui pardonnait pas de triompher ainsi des malheurs de sa patrie, et de<br />

se glorifier d'un succès que la nécessité seule pouvait excuser. 2 »<br />

Il commit peu après d’<strong>au</strong>tres erreurs toutes <strong>au</strong>ssi graves. Lors de la fête des Lupercales, le 15<br />

février, alors que César était assis devant les Rostres, Antoine, certainement totalement saoul,<br />

vint poser sur sa tête l’insigne de la roy<strong>au</strong>té. Le dictateur le repoussa mais sans paraître<br />

offensé. Ce qui effraya tous les citoyens présents et le bruit courut dans toute la Ville : César<br />

voulait devenir roi. Celui-ci eut be<strong>au</strong> protester que ce n’était pas son intention et agir dans ce<br />

sens lors d’un incident semblable un peu plus tard, un citoyen l’ayant appelé roi, il se retourna<br />

et dit, prenant l’air offensé, qu’il se nommait César et que c’était là son seul nom. La rumeur<br />

ne cessait d’enfler. Dans ce cas précis on pourrait rejeter la f<strong>au</strong>te sur Antoine, comme on<br />

pourrait le faire en pensant <strong>au</strong>x honneurs disproportionnés lui ayant été décernés par<br />

l’assemblée des Pères contre l’avis de Cicéron qui avait proposé d’offrir <strong>au</strong> vainqueur de<br />

Pharsale des titres très respectable mais restant dans les limites de l’acceptable. Mais que dire<br />

de la fois où, alors qu’ « Il rentrait dans Rome, après le sacrifice des Féries latines, lorsque,<br />

<strong>au</strong> milieu des acclamations excessives et inouïes du peuple, un homme, se détachant de la<br />

foule, alla poser sur sa statue une couronne de l<strong>au</strong>rier, nouée par devant d'une bandelette<br />

blanche. Les tribuns de la plèbe Marullus et Flavus firent enlever la bandelette et conduire<br />

l'homme en prison. Mais César, voyant avec douleur que cette allusion à la roy<strong>au</strong>té eût si peu<br />

de succès, ou, comme il le prétendait, qu'on lui eût ravi la gloire du refus, apostropha<br />

durement les tribuns, et les dépouilla de leur pouvoir. Jamais il ne put se laver du reproche<br />

déshonorant d'avoir ambitionné le titre de roi 3 ». « Et en se plaignant d'eux publiquement<br />

il ne craignit pas d'insulter le peuple lui-même en les appelant, à plusieurs reprises,<br />

1 Suétone, Vie des douze Césars, César, LXXVI.<br />

2 Plutarque, Vie de César, LXII.<br />

3 Suétone, Vie des douze Césars, César, LXXIX.<br />

74


des brutes. 1 » On peut <strong>au</strong>ssi citer la fois où, l’un de ses courtisans lui ayant soufflé qu’il<br />

devait se montrer impérial devant le Sénat pour montrer qui détenait le pouvoir, il reçut les<br />

Pères comme de simples particuliers. « Le Sénat ne fut pas plus mortifié de cette h<strong>au</strong>teur<br />

que le peuple lui-même, qui crut voir Rome méprisée dans ce dédain affecté pour les<br />

sénateurs ; tous ceux qui n'étaient pas obligés par Etat de rester s'en retournèrent la<br />

tête baissée, et dans un morne silence. 2 » Mais il fit pire encore : « Il en vint même à ce<br />

point d'arrogance, de répondre à un haruspice qui lui annonçait des présages funestes et<br />

qu'on n'avait pas trouvé de coeur dans la victime, "que les présages seraient plus favorables<br />

quand il voudrait, et que ce n'était point un prodige si une bête n'avait pas de coeur." 3 »<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Les médisances les plus basses commencèrent à circuler. On se moquait du dictateur. On<br />

prétendait qu’il possédait dans une des ses villas un harem de mignons, qu’il voulait modifier<br />

les lois pour pouvoir épouser toutes les femmes dont il avait envie et l’on raillait ses amours<br />

avec des femmes barbares tel Cléopâtre, qui demeurait à Rome à cette époque. On prétendit<br />

même qu’il pilla des temples de G<strong>au</strong>le pour épancher ses dettes.<br />

Ce fut ce mépris pour les institutions traditionnelles <strong>au</strong>xquelles nombre de citoyens étaient<br />

encore attachés qui fut la c<strong>au</strong>se première de sa chute. S’y ajoute son désir, réel ou supposé,<br />

d’être roi. Peu importe que ce désir ait existé ou non, ce qui est certain c’est que le peuple y<br />

croyait. De plus, comme tous les tyrans et les ambitieux de quelque époque que ce soit. César<br />

dédaignait toujours ce qu’il avait obtenu, pour envier ce qui lui manquait encore. Notons que<br />

tous les plus grands empereurs, ceux qui moururent dans leur lit (et point <strong>au</strong>x latrines !),<br />

retiendront la leçon et respecterons toujours, en apparence du moins, l’<strong>au</strong>torité du Sénat.<br />

Mais nous n’en sommes pas encore là. Le 19 décembre 45, César s’invita à dîner chez<br />

Cicéron séjournant alors dans sa villa de Cumes. Le consul de 59 n’avait plus vu depuis un<br />

long moment le consul de 63 qui, ayant atteint l’âge respectable de 60 ans, était désormais<br />

dispensé de l’obligation de se rendre à la curie. Bien entendu, l’orateur était le premier à se<br />

plaindre des excès du dictateur. Devant son impuissance il se réfugia, une fois de plus dans les<br />

ouvrages philosophiques et dans l’écriture de sa philosophie personnelle, qui était alors<br />

toujours en cours. « On ne s<strong>au</strong>rait croire à quel point j’ai l’impression de me conduire<br />

honteusement en étant témoin de ce qui se passe ici. Oui, on dirait que tu as prévu longtemps<br />

à l’avance ce qui menaçait, le jour où tu t’es enfui d’ici 4 . Ces faits ont un goût amer même<br />

par ouï-dire, néanmoins il est plus supportable d’en entendre parler que de les voir. Ainsi du<br />

moins tu n’étais pas <strong>au</strong> Champ-de-Mars, où des comices avaient été organisées pour<br />

l’élection des questeurs, quand, à la deuxième heure, avait été mise en place la chaise curule<br />

de Q. Maximus, qui, <strong>au</strong> dire des gens en place, était consul 5 ; puis, sa mort ayant été<br />

annoncée, la chaise fut enlevée. Mais le grand chef, qui avait pris les <strong>au</strong>spices pour les<br />

comices tributes…proclama à la septième heure le nom du consul qui exercerait ses fonctions<br />

jusqu’<strong>au</strong> 1 er janvier....qui devait commencer le lendemain matin. Sache ainsi que, pendant le<br />

consulat de Caninius, personne n’a déjeuné ; cependant, <strong>au</strong>cun malheur n’est survenu sous ce<br />

consul ; il fut en effet d’une surveillance merveilleuse, puisque, de tout son consulat, il n’a<br />

1 Plutarque, Vie de César, LXVII.<br />

2 Ibidem, LXVI.<br />

3 Suétone, Vie des douze Césars, César, LXXVII.<br />

4 Son interlocuteur, un vieil ami homme d’affaire, se trouvait en effet à Patras à ce moment-là.<br />

5 On voit là à quel point la politique romaine est, pour Cicéron, tombée en désuétude.<br />

75


pas connu le sommeil 1 . Ceci te paraît risible ; c’est que tu n’es pas sur place. Si tu le voyais<br />

de tes yeux, tu ne retiendrais pas tes larmes. Et si je te disais tout le reste ! Car il y a<br />

d’innombrables faits du même genre. 2 » Nommer un consul en faisant abstraction de la<br />

procédure réglementaire et des rituels sacrés était tout du moins illégal sinon sacrilège, le<br />

vieux consulaire et les sénateurs de tradition ne pouvaient évidemment le souffrir, comme la<br />

majorité des décisions que le dictateur avait prises en outrepassant les lois républicaines.<br />

Quoi qu’il en soit le dîner fut un summum d’hypocrisie. Les deux politiciens se comportant<br />

comme deux vieux amis alors que, même s’ils se respectaient, ils se détestaient cordialement.<br />

César méprisant l’attachement de Cicéron à l’ancienne République, ce dernier ayant en<br />

aversion son mépris pour les lois antiques de Rome. L’orateur resta ambigu sur le plaisir qu’il<br />

tira de cette invitation forcée<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

« Te voilà informé d’une réception, ou, si l’on veut, d’un cantonnement 3 détestable pour moi,<br />

je te l’ai dit, mais non pas désagréable. 4 » L’Arpinate avait ainsi apprécié ce dernier dîner<br />

pour ce qu’il fut, mais pas la manière dont César se comporta, notamment en apportant avec<br />

lui 2'000 personnes ! Ce qui représentait bien ce que le général était devenu.<br />

Les ides de mars<br />

Les présages de la mort du dictateur, qu’ils fussent légendaires ou qu’ils eussent un début de<br />

fondement, furent nombreux. Du moins les historiens antiques, très attachés <strong>au</strong>x faces<br />

surnaturelles de l’histoire, prirent-ils le soin de tous les décrire abondamment.<br />

Quelques jours avant sa mort, ce dernier apprit que les troupes de chev<strong>au</strong>x qu'il avait<br />

consacrés <strong>au</strong>x dieux avant de passer le Rubicon, et qu'il avait laissés errer sans maître,<br />

refusaient toute espèce de nourriture et versaient d'abondantes larmes. De son côté,<br />

l'haruspice Spurinna l'avertit, pendant un sacrifice, de prendre garde à un danger qui le<br />

menacerait jusqu'<strong>au</strong>x ides de mars. La veille de ces mêmes ides, un roitelet qui se dirigeait,<br />

portant une petite branche de l<strong>au</strong>rier, vers la curie de Pompée, fut poursuivi et mis en pièces<br />

par des oise<strong>au</strong>x de différentes espèces sortis d'un bois voisin. Enfin, la nuit qui précéda le<br />

jour du meurtre, il lui sembla, pendant son sommeil, qu'il volait <strong>au</strong>-dessus des nuages, et une<br />

<strong>au</strong>tre fois qu'il mettait sa main dans celle de Jupiter. Sa femme Calpurnie rêva <strong>au</strong>ssi que le<br />

faîte de sa maison s'écroulait, et qu'on perçait de coups son époux dans ses bras; et les portes<br />

de la chambre s'ouvrirent brusquement d'elles-mêmes. 5 » Tous ceux-là ont certainement été<br />

inventés après l’événement, Suétone rédigea ses ouvrages une centaine d’année après la mort<br />

du dictateur, ou du moins a-t-on accru leur importance. Plus sérieux est le récit selon lequel<br />

César, fatigué et malade décida d’envoyer Antoine <strong>au</strong> Sénat pour remettre l’assemblée à un<br />

<strong>au</strong>tre jour, quand Décimius Brutus 6 , un de ses amis les plus proches qui, ayant peur que la<br />

conjuration ne fut découverte si l’assemblée était repoussée, vint en personne l’exhorter à se<br />

rendre <strong>au</strong> Sénat malgré tout, insinuant que ce serait une nouvelle insulte à l’encontre des Pères<br />

1<br />

A propos du même incident, Cicéron dit <strong>au</strong>ssi : « Hâtons-nous d'y aller, de peur qu'il ne sorte de charge<br />

avant qu'il ait pu recevoir notre compliment. » Plutarque, Vie de César, LXIII.<br />

2<br />

Cicéron, Correspondance, IX, DCCXIV à M. Curius, 1, 2.<br />

3<br />

En grec dans le texte.<br />

4<br />

Cicéron, Correspondance, IX, DCCXII à Atticus, 2.<br />

5<br />

Suétone, Vie des douze Césars, César, LXXXI.<br />

6<br />

Il s’agit d’un <strong>au</strong>tre Brutus que celui dont nous avons déjà parlé qui avait été <strong>au</strong>x côtés de Pompée avec Cicéron,<br />

quoi qu’il fît également partie de la conjuration.<br />

76


de les convoquer puis de les faire renvoyer 1 . Il semble également probable que l’anecdote<br />

selon laquelle Artémidore de Cnide, un amis de Brutus qui était <strong>au</strong> fait de la conspiration,<br />

intercepta César alors qu’il se dirigeait vers le théâtre de Pompée où s’étaient réunis les Pères,<br />

et lui confia un papier, lui conseillant de le lire seul et promptement car il contenait des choses<br />

d’une extrême importance 2 , soit une réalité historique. Le général tenta plusieurs fois de le lire<br />

mais en fut empêché par la foule de ceux qui l’apostrophaient et entra dans le théâtre, pour la<br />

séance du 15 mars 44, le papier à la main.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Le malheureux ne s’était pas rendu compte que, malgré sa clémence, ses quelques excès et la<br />

hantise de la roy<strong>au</strong>té avaient fini par retourner contre lui certains de ses plus fidèles<br />

lieutenants, selon Octave dont les propos sont à prétendre avec une grande circonspection,<br />

Antoine lui-même <strong>au</strong>rait été <strong>au</strong> courant d’une conspiration mais se serait tu. Sans compter<br />

qu’une grande partie du peuple romain avait désormais retiré la confiance qu’ils avaient<br />

<strong>au</strong>trefois confiée <strong>au</strong> conquérant des G<strong>au</strong>les. Les deux sources de méfiances s’additionnant, le<br />

dictateur <strong>au</strong>rait dû comprendre qu’il était menacé. Mais ses succès l’avaient rendu be<strong>au</strong>coup<br />

trop sûr de lui, <strong>au</strong>ssi ne s’attendait-il pas du tout à ce qui allait se produire.<br />

Il entra ainsi seul dans le Sénat, Antoine ayant été retenu par un des conjurés avec ses gardes<br />

devant le théâtre. A peine assis, il vit accourir vers lui des conjurés venus lui demander des<br />

faveurs. Il les repoussa agacé. Mais alors, Tillius Cimber l’agrippa par la toge et lui découvrit<br />

l’ép<strong>au</strong>le, ce qui était le signal convenu. A peine le dictateur s’était il écrié « "C'est là de la<br />

violence" 3 » que Casca, <strong>au</strong>quel le général tournait le dos, se jeta se sur lui et lui porta un coup<br />

juste en dessous de la gorge. Le coup ne fut cependant pas mortel. Aussitôt César se retourna<br />

et saisit l’épée qui venait de le frapper. Reconnaissant Casca il s’écria en latin : « "Scélérat<br />

de Casca, que fais-tu ? " Et Casca, s'adressant à son frère, lui cria, en grec : "Mon<br />

frère, <strong>au</strong> secours ! " 4 » Aussitôt tous les conjurés sortirent leur glaives et le frappèrent<br />

de toutes parts. Tentant de se défendre il se jeta sur le côté en criant. Mais quand il vit<br />

arriver Brutus 5 l’épée à la main « Il dit en grec: "Et toi <strong>au</strong>ssi, mon fils!" 6 ». Lequel pour<br />

cacher son émotion hurla dans la curie le nom de Cicéron 7 . Puis César se couvrit le visage et<br />

supportant les coups, ne bougea plus.<br />

Il reçut vingt-trois coups dont un seul fut mortel. Une fois leur méfait accompli, les conjurés<br />

avaient pour projet de jeter son corps dans le Tibre et de confisquer immédiatement ses biens<br />

avec l’aide du Sénat. Mais la peur d’Antoine et de Lépide, maître de la cavalerie de César, et<br />

1<br />

Plutarque dit également que Brutus confia à César que les Sénateurs avaient décidé de le faire roi. Cela semble<br />

très improbable. Plutarque était en effet trop certain du désir royal de César, ce jugement a depuis été remis en<br />

question par les historiens modernes.<br />

2<br />

Suétone semble plus partisan de la version selon laquelle, c’est un inconnu qui remit à César le papier<br />

qu’Artémidore n’arrivant pas à traverser la foule, lui avait confié. Ce qui expliquerait pourquoi César ne lu pas<br />

tout de suite, non qu’il en fut empêché mais que le fait qu’il fut remis par un citoyen inconnu diminuait son<br />

importance. C’est la version la plus intéressante car elle sous-entend que c’est un ultime mépris de César pour les<br />

citoyens de Rome qui c<strong>au</strong>sa sa perte.<br />

3<br />

Suétone, Vie des douze Césars, César, LXXXII.<br />

4<br />

Plutarque, Vie de César, LXXI.<br />

5<br />

Brutus était, depuis son retour de Grèce, devenu si proche du dictateur, par lequel il avait été adopté, qu’on le<br />

considérait comme l’héritier de César à égalité avec Antoine.<br />

6<br />

Suétone, Vie des douze Césars, César, LXXXII. / Pour répondre à votre question ; oui, « tu quoque mi fili »<br />

c’est du bidon.<br />

7<br />

En effet il représentait la légalité, et la République, <strong>au</strong> nom desquelles les conjurés avaient agi.<br />

77


la panique totale qui s’était emparée des sénateurs après l’assassinat les fit renoncer à leur<br />

projet. Les funérailles du grand julien eurent lieu cinq jours plus tard. Ainsi, le dictateur ne<br />

survit-il pas plus de quatre ans à son vieil ennemi Pompée. Son corps finit dévoré par les<br />

flammes comme son âme et sa vie avaient été dévorés par ses ambitions, fin, somme toute,<br />

digne de lui.<br />

Avec César s’était éteint le dernier membre du premier triumvirat, et sans doute le plus<br />

important. Car, quoi qu’on pût en dire, le triumvirat avait avant tout été un instrument de<br />

César pour conquérir le pouvoir suprême. Grâce à lui il était passé, en quelques années, du<br />

statut de sénateur de second rang bénéficiant du soutien du peuple, à celui de personnage de<br />

premier plan. Sa guerre des G<strong>au</strong>les l’avait ensuite placé dans le rôle de prétendant à la régence<br />

de la République, puis la guerre civile à celui de quasi empereur. César et Cicéron étaient sans<br />

<strong>au</strong>cun doute les deux personnages les plus intelligents de cette époque. Tous deux ambitieux<br />

et tous deux conscients que la République <strong>au</strong>toritaire - à la Caton- du Sénat ne pouvait<br />

continuer.<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

« Cicéron comprenait la faiblesse des institutions il n’était pas, en cela, moins intelligent que<br />

César. 1 » Mais chacun avait sa propre idée sur la manière d’effectuer ce changement. César<br />

en appliquant l’adage « On n’est jamais mieux servi que par soi-même ». Cicéron, prenant<br />

exemple sur le passé, en créant un nouve<strong>au</strong> parti chargé de réunir populares et optimates afin<br />

de rétablir la concorde dans la cité. Ainsi, tous deux, agirent toujours dans l’idée de servir la<br />

grandeur de Rome. Les écrits de Cicéron et la clémence de César en sont des exemples. Les<br />

circonstances avaient alors permis <strong>au</strong>x idées de César de triompher. Cependant, si la<br />

République avait perdu ses armes et sa conscience, son âme, elle, était toujours en vie.<br />

1 Nicolet et Michel, Cicéron, p. 45.<br />

78


Cicéron contre les triumvirs<br />

7. Pour la République !<br />

Cicéron contre Antoine, le dernier combat du grand orateur<br />

L’échec des conjurés<br />

Cicéron n’avait pas participé à la conjuration, il n’en avait même rien su avant qu’elle ne fût<br />

accomplie. Mais il se réjouit vivement de la disparition du dictateur «…la joie d’avoir vu de<br />

mes propres yeux la mort méritée du tyran 1 ». L’orateur, comme les conjurés et be<strong>au</strong>coup<br />

d’<strong>au</strong>tres, pensaient qu’avec la mort de César la vie politique reprendrait le cours normal<br />

qu’elle n’avait plus connu depuis plus de dix ans. Et c’était là le problème. Les débordements<br />

de Clodius, les réformes des triumvirs qui furent suivies de peu par celles de César, avaient<br />

profondément modifié le fonctionnement des institutions. Les changements politiques<br />

intervenus depuis les réformes des Gracques avaient rendu la République très instable et seule<br />

la dictature de César avait, en fin de compte, pu ramener l’ordre. Le peuple avait pris<br />

l’habitude de voter les propositions du conquérant sans consultation du Sénat et sans le<br />

système des comices avantageant grandement les plus riches. La plèbe n’était pas prête à<br />

rendre ce qu’elle avait acquis. Elle savait que si elle pouvait facilement faire pression sur un<br />

seul homme, il était be<strong>au</strong>coup plus difficile d’en manœuvrer 900. En plus de cela, César,<br />

malgré la brièveté de son règne –il possédait le contrôle de la métropole italienne entre 49 et<br />

44- avait eu le temps de placer des hommes de confiance, du moins pour certains, <strong>au</strong>x postes<br />

clés. Certes, ces derniers, tel Antoine, ne faisaient pas l’unanimité <strong>au</strong>près du peuple ni des<br />

sénateurs. Ils avaient cependant le soutien des soldats et, surtout, le contrôle de l’argent que<br />

leur avait légué César, ce qui était déjà avoir une généreuse option sur le pouvoir. Aussi la<br />

mort du dictateur ne résolut-elle rien. Comme le dit Cicéron un mois après les événements des<br />

ides de Mars : « nous sommes libérés du roi, non de la roy<strong>au</strong>té 2 ».<br />

Lors de la préparation du complot, certains avaient émis l’idée de supprimer Antoine en plus<br />

de César, soulignant le risque qu’il prît la succession du tyran. Brutus, qui était avec Cassius<br />

l’un des deux membres princip<strong>au</strong>x de la conspiration « combattit cet avis, d'abord parce qu'il<br />

était contraire à toute justice ; en second lieu, par l'espoir qu'il leur donna du changement<br />

d'Antoine. Il ne désespérait pas qu'un homme d'un caractère élevé, ambitieux et avide de<br />

gloire, quand il verrait César mort, ne s'enflammât, à leur exemple, d'une noble émulation<br />

pour la vertu, et ne voulût contribuer à la liberté de sa patrie. 3 » Les conjurés avaient donc<br />

décidé de ne tuer personne excepté le tyran.<br />

Après l’assassinat, Antoine, comprenant qu’il pouvait devenir une cible, quitta la Cité sous<br />

des habits de simple plébéien 4 . Sa fuite fut facilitée par la panique qui s’était emparée de la<br />

Ville.<br />

1 Cicéron, Correspondance, IX, DCCXXXV à Atticus, 4.<br />

2 Ibidem, DCCXXXVIII à C. Cassius Longinus, 1.<br />

3 Plutarque, Vie de Brutus, XXI.<br />

4 Ibidem, XXI. A noter que dans sa Vie d’Antoine <strong>au</strong> passage XIV, 1, Plutarque parle d’un déguisement en<br />

esclave. La première version semble la plus correcte <strong>au</strong> vu du statut d’Antoine.<br />

79


Cicéron contre les triumvirs<br />

En effet, les sénateurs qui n’étaient pas <strong>au</strong> fait de la conjuration, s’étaient enfuis de la curie et<br />

s’étaient réfugiés chez eux, certains pensant qu’il y <strong>au</strong>rait des représailles contre les anciens<br />

partisans de César, pour les <strong>au</strong>tres que la foule quand elle allait apprendre la mort de celui qui<br />

lui avait tant apporté plongerait la ville dans le chaos. Cependant ce fut cette fuite même qui<br />

apprit à la plèbe ce qui venait de se produire. Les gens, loin de prendre les armes, n’eurent pas<br />

une réaction différente de celle des sénateurs, convaincus que des troubles allaient éclater<br />

entre partisans du Sénat et anciens lieutenants du vainqueur de Pharsale. Quant <strong>au</strong>x conjurés,<br />

assurés qu’ils allaient être la cible de représailles de la part d’Antoine et de Lépide, ils se<br />

barricadèrent dans la nouvelle curie de César.<br />

Tous les acteurs s’étant retranchés en lieu sûr, il ne se passa évidemment rien. Les premiers à<br />

tenter une sortie furent les citoyens qui, reprenant courage, marchèrent vers la curie pour<br />

savoir de quoi il en retournait exactement. Brutus se rendit alors sur le forum et fit un discours<br />

portant sur la liberté et la démocratie qui fut bruyamment appl<strong>au</strong>di. C’est alors que Cinna,<br />

trop confiant, décida d’enchaîner avec un plébiscite contre César qui fut mal accueilli. « Les<br />

plébéiens entrèrent en fureur, et vomirent contre lui tant d'injures, que les conjurés se<br />

retirèrent une seconde fois dans le Capitole. 1 »<br />

Le lendemain cependant, les Pères tinrent séance et décidèrent, à l’initiative de Cicéron et<br />

Antoine, qui voyant le danger passé était rentré en Ville, d’une amnistie générale. Le consul<br />

envoya son propre fils en otage <strong>au</strong>x conjurés qui sortirent immédiatement. « Quand tout le<br />

monde fut réuni, on s'embrassa avec be<strong>au</strong>coup de cordialité. Cassius soupa chez Antoine, et<br />

Brutus chez Lépide… Le lendemain, dès le point du jour, le Sénat s'assembla de nouve<strong>au</strong>, et<br />

remercia Antoine, dans les termes les plus honorables, d'avoir étouffé les premiers germes<br />

d'une guerre civile. On combla Brutus d'éloges, et l'on distribua les provinces : l'île de Crète<br />

fut décernée à Brutus, et l'Afrique à Cassius ; Trébonius eut l'Asie, Cimber la Bithynie, et l'on<br />

donna à l'<strong>au</strong>tre Brutus la G<strong>au</strong>le qui s'étend <strong>au</strong>x environs du Pô. 2 » On confirma également la<br />

validité des actes de César, ce qui eut pour effet de calmer les vétérans craignant pour leurs<br />

privilèges.<br />

Tous les sénateurs républicains se rassurèrent en voyant la modération d’Antoine. Et<br />

effectivement on pouvait penser que les prédictions de Brutus étaient vraiment en train de se<br />

réaliser. Il n’en était rien. Antoine avait peut-être de nombreux déf<strong>au</strong>ts mais il n’était pas<br />

stupide. Il avait compris qu’un affrontement direct, avec l’aide des soldats qui étaient<br />

nombreux à Rome à cette époque là, car César, avant sa mort, avait commencé à rassembler<br />

sur le champ de Mars sa grande armée pour conquérir la Parthie, n’était pas souhaitable et<br />

risquait de lui aliéner ses soutiens et le support du peuple. Son plan était bien plus subtil. Il<br />

demanda, en échange de sa modération, des funérailles publiques pour César. Cassius<br />

combattit de toutes ses forces la proposition, mais Brutus, faisant pour la seconde fois preuve<br />

de faiblesse -la première ayant été d’avoir laissé un ennemi <strong>au</strong>ssi puissant que le consul en<br />

liberté- accepta cette demande sans se rendre compte qu’il faisait là une terrible erreur.<br />

1 Ibidem, XXII.<br />

2 Ibidem, XXII. / La G<strong>au</strong>le des environs du Pô, il s’agit bien entendu de la G<strong>au</strong>le Cisalpine.<br />

80


Cicéron contre les triumvirs<br />

Quand on annonça que dans son testament, rendu publique par Antoine, César offrait à<br />

chaque citoyen une coquette somme 1 et ses jardins de Rome, le peuple commença à regretter<br />

le vieux dictateur. Antoine qui n’attendait que cela, se lança alors dans un discours sur la<br />

modération, la générosité et les victoires du conquérant des G<strong>au</strong>les. Puis dans un ultime geste,<br />

prit la robe ensanglantée de César et montra à la plèbe les traces laissées par les glaives des<br />

conjurés. Dès lors, la foule qui avait <strong>au</strong>paravant pardonné <strong>au</strong>x conspirateurs du fait de leur<br />

aversion pour la roy<strong>au</strong>té, devint incontrôlable. Les citoyens, cassant tout ce qui leur tombait<br />

sous la main, édifièrent un gigantesque bûcher sur le forum et y brûlèrent le corps du<br />

dictateur 2 . Puis, des hommes ramassèrent des torches et se dirigèrent vers les maisons des<br />

conjurés pour y bouter le feu. Ceux-ci voyant qu’ils couraient un grave danger, s’étaient<br />

enfuis de la Ville. La foule massacra alors par erreur un ami poète de César qui était venu<br />

accompagner le convoi funèbre et qui avait eu le malheur d’avoir le nom de Cinna comme<br />

l’un des membres de la conjuration. La machination d’Antoine avait parfaitement réussi. Il<br />

s’appropria l’argent de son ancien chef, et fit patrouiller ses soldats dans les rues de la Ville.<br />

Le Sénat ayant déclaré valides tous les actes de César datés d’avant sa mort, il y rajouta des<br />

lois imaginaires qui le favorisait. La succession <strong>au</strong> trône semblait déjà effective.<br />

Le refus de la servitude<br />

Les funérailles de César avaient eu lieu le 20 mars et depuis Antoine possédait le contrôle<br />

total de la République. Le seul petit obstacle était l’élection, le 16, de Dolabella <strong>au</strong> consulat.<br />

Cicéron, que tout le monde considérait comme le symbole de l’Etat légal, jugea prudent de<br />

s’éloigner. Dès fin mars l’orateur fit ainsi le tour de ses propriétés en Italie, avec comme<br />

principale idée d’établir si les citoyens romains des municipes étaient favorables ou non <strong>au</strong>x<br />

conjurés. Il fut heureux de voir qu’ils se réjouissaient de la mort du dictateur. L’orateur<br />

attendait également un revirement de la foule, un élément permettant de déstabiliser Antoine,<br />

bref, la petite chose qui manquait pour s’attaquer <strong>au</strong> consul. Ce calme relatif lui permit<br />

également de terminer son De fato et de rédiger d’<strong>au</strong>tres ouvrages tel les Topiques.<br />

En mai, Dolabella qui avait les faisce<strong>au</strong>x pour les mois impairs, redonna espoir <strong>au</strong>x<br />

républicains. Il fit renverser la colonne qu’on avait dressée sur les restes du bûcher de César et<br />

paver l’endroit, effaçant de cette façon toute trace des funérailles. Il promulgua une loi qui<br />

condamnait à mort tous ceux qui honoraient César comme un dieu. Cet épisode réconcilia<br />

définitivement le consul et le vieux consulaire. Certes ils n’avaient jamais été ennemis, mais<br />

d’un simple respect entre ex-be<strong>au</strong>-père et ex-gendre, à des propos tels que ceux qui suivent, il<br />

y’a quand même un gouffre assez conséquent : « J’étais déjà satisfait, mon cher Dolabella, de<br />

ta gloire personnelle et j’en tirais une allégresse et un plaisir suffisants ; cependant je suis<br />

obligé d’avouer que ce qui me comble d’une joie sans borne, c’est que l’opinion publique,<br />

dans l’ensemble m’associe à tes propres mérites. Je n’ai rencontré personne…, personne sans<br />

exception, qui, après t’avoir porté <strong>au</strong>x nues avec les plus grands éloges n’enchaîne en<br />

m’adressant ses plus vifs remerciements ; en effet, ils se disent certains que, si tu te montres<br />

un citoyen éminent et un consul hors pair, c’est parce que tu es docile à mes<br />

recommandations et mes conseils… Je suis allé à Naples rendre visite à L. César malade ;<br />

tout son corps était accablé par la douleur, mais il n’avait pas fini de me saluer qu’il me<br />

dit :…"Je félicite et je remercie Dolabella car c’est le seul consul, après toi, que nous<br />

pouvons appeler consul".<br />

1 Plus exactement 75 drachmes par citoyen.<br />

2 Cela rappel la fin de Clodius, quand la foule avait brûlé son corps dans l’ancienne curie.<br />

81


Cicéron contre les triumvirs<br />

Il a ensuite parlé longtemps de ton acte et même de ton « exploit » : "le plus magnifique, le<br />

plus éclatant qui ait jamais été accompli, le plus salutaire pour l’Etat". C’est d’ailleurs<br />

l’opinion unanimement exprimée 1 ». On peut également constater que l’orateur n’avait pas<br />

perdu sa h<strong>au</strong>te estime de lui-même <strong>au</strong> fil des années. Et il ne s’en cache pas : « Je suis avide<br />

de gloire, et même à l’excès 2 ». Certes il f<strong>au</strong>t prendre ces propos <strong>au</strong> second degré… Quoi qu’il<br />

en soit il se révéla vite que les actes de Dolabella étaient plus dirigés par l’envie de faire des<br />

coups d’éclats en nuisant <strong>au</strong> régent de la Ville, que par une véritable opposition construite à<br />

Antoine. Celui-ci, après avoir fait un tour de l’Italie pour rassembler un nombre conséquent<br />

de vétérans de César, convoqua le Sénat pour le 1 er juin. Cicéron se dirigea donc vers Rome,<br />

mais ne prit pas part à la séance, car celle-ci n’eut pas lieu. Les sénateurs effrayés par les<br />

soldats du consul qui constituaient une véritable armée, s’étaient dispersés. Qu’à cela ne<br />

tienne, Antoine convoqua les comices et fit voter des lois « conformes à son bon plaisir 3 ».<br />

Brutus et Cassius perdirent leurs provinces et furent relégués à des tâches inférieures 4 . Le 8<br />

juin Cicéron les rencontra tous deux à Antium. Les républicains déjà démoralisés par le<br />

manque de sérieux de Dolabella, étaient fatigués des attaques répétées d’Antoine, ils ne<br />

savaient que faire. L’Arpinate leur conseilla d’accepter les missions octroyées par le consul.<br />

L’essentiel c’était que les conjurés restassent en vie jusqu’à que les circonstances permissent<br />

d’abattre Antoine. Brutus se rangea à l’avis du vieux consulaire, mais Cassius refusa<br />

ardemment de se rendre en Sicile. La réunion resta stérile. Pas de projets, pas de résolution, de<br />

fait rien de concret. Cicéron triste de voir la rest<strong>au</strong>ration de la République <strong>au</strong> point mort alors<br />

qu’elle avait si bien débuté, se prit à l’idée d’accompagner Dolabella pour ses cinq ans de<br />

proconsulat en Syrie. Ce dernier lui ayant demandé de venir en qualité de légat, cela ne posait<br />

<strong>au</strong>cun problème.<br />

Le 21 juillet il s’embarqua donc à Pompéi en direction de la Grèce. Mais pendant le trajet, il<br />

se remémora les épisodes antérieurs de sa vie et notamment sa fuite en Grèce en 49. La fuite<br />

ne lui avait rien apporté si ce n’était la honte, et, somme toute, il n’avait comme intérêt dans<br />

son présent voyage, excepté de voir comme son fils progressait à Athènes, que la fuite. Le<br />

consul le laisserait vivre et il pourrait certainement terminer sa vie tranquillement en lisant des<br />

livres philosophiques dans ses villas et en rédigeant des illustres ouvrages sur la rhétorique.<br />

Souvenons-nous que Cicéron avait dit <strong>au</strong> commencement de sa glorieuse ascension politique<br />

qu’il voulait être poète ou orateur, philosophe ou politicien. Toute sa vie il avait suivi cette<br />

idée, mais ce jour-là, sur le pont du navire qui l’emmenait en Grèce, il se décida. Il n’était pas<br />

de ceux qui choisissent le bien-être personnel face à l’intérêt de l’Etat. L’honneur lui imposait<br />

de faire marche arrière, le devoir de rentrer en Italie et de marcher, seul, sur Rome. Il savait<br />

que s’il prenait la fuite, la République serait définitivement morte, remplacée par un roy<strong>au</strong>me<br />

sous la direction d’Antoine. Seul le plus grand orateur de l’histoire romaine pouvait s<strong>au</strong>ver la<br />

liberté. « J’ai voulu cependant qu’<strong>au</strong>jourd’hui ma voix laissât à la République le témoignage<br />

de mon constant dévouement envers elle. 5 » Le consul de 63 ne pouvait permettre, <strong>au</strong> nom des<br />

idées et des convictions qu’il avait défendues tout <strong>au</strong> long de sa vie, qu’Antoine devint<br />

empereur. Il se retourna vers le pilote et lui donna l’ordre de faire marche arrière vers la terre<br />

italienne. Désormais il n’y avait plus d’échappatoire, c’était la victoire et la rest<strong>au</strong>ration de la<br />

République ou la mort et l’inst<strong>au</strong>ration de l’Empire.<br />

1<br />

Cicéron, Correspondance, IX, DCCXXXIX à P. Cornélius Dolabella, 1, 3.<br />

2<br />

Ibidem, DCCXXXIX à P. Cornélius Dolabella, 2.<br />

3<br />

Grimal, Cicéron, p. 383.<br />

4<br />

Ils devaient procéder à des réquisitions de blé en Asie et en Sicile.<br />

5<br />

Cicéron, Philippiques, I, III, 10.<br />

82


Cicéron contre les triumvirs<br />

Le 17 août, Cicéron rencontra Brutus à Vélia. Celui-ci lui apprit qu’Antoine s’était fait<br />

menaçant et condamnait ses opposants à rester chez eux. Le vieux consulaire n’avait pas<br />

l’intention de se laisser intimider. Son entrée à Rome le 31 août fut triomphale. « Il sortit <strong>au</strong>devant<br />

de lui une foule si considérable, que les compliments et les témoignages d'affection<br />

qu'il reçut depuis les portes de la ville jusqu'à sa maison consumèrent presque toute la<br />

journée. 1 »<br />

Depuis son départ fin mars, la situation dans la Ville avait grandement évolué du fait d’un<br />

jeune homme de moins de vingt ans, Octave, né sous le consulat de Cicéron et fils d’Attia qui<br />

était la nièce de César. Il appartenait donc à une branche plutôt secondaire de la grande<br />

famille Julii. Il n’<strong>au</strong>rait jamais eu qu’un avenir politique mineur si César, ayant vu dans les<br />

yeux de l’enfant une intelligence prodigieuse -il discutait déjà politique avec son grand-oncle<br />

à 17 ans- ne l’avait adopté dans son testament. Antoine, lors de la lecture publique du texte,<br />

n’avait pas vu l’utilité de passer sous silence l’acte d’adoption. Mal lui en avait pris car le<br />

jeune Octave, ayant quitté ses études dans le sud de l’Italie, rentra à Rome et lui disputa<br />

l’héritage de César que le consul croyait pouvoir s’approprier sans difficulté. Il fit également<br />

célébrer les jeux de la victoire de César, en l’honneur de son grand-oncle et cela contre l’avis<br />

d’Antoine et des édiles qui s’étaient refusés à les organiser. Cicéron qui savait lui <strong>au</strong>ssi<br />

reconnaître le talent, avait toujours été attaché <strong>au</strong> jeune garçon qu’il avait rencontré par hasard<br />

sur le forum alors qu’il jouait avec les <strong>au</strong>tres enfants. Octave, s’était non seulement opposé à<br />

Antoine en de multiples points mais avait <strong>au</strong>ssi commencé à recruter, lui <strong>au</strong>ssi, des vétérans<br />

de César pour faire contrepoids <strong>au</strong>x armées du consul. Son offre, légèrement supérieure, avait<br />

même réussi à lui obtenir les faveurs d’une partie des soldats du nouve<strong>au</strong> tyran 2 .<br />

Cicéron était à peine rentré à Rome que Philippe, second époux d’Attia, et Marcellus son<br />

be<strong>au</strong>-frère, vinrent avec Octave le trouver. « Et tous ensemble ils convinrent que Cicéron<br />

appuierait le jeune César de son éloquence et de son crédit dans le sénat et <strong>au</strong>près du peuple,<br />

et que le jeune César emploierait son argent et ses armes à protéger Cicéron contre ses<br />

ennemis 3 .» Les deux grandes figures historiques s’entendaient bien ; Cicéron considérait en<br />

effet le jeune homme comme un disciple très doué 4 .<br />

Le 1 er septembre, Antoine convoqua le Sénat pour voter la divinisation de César. Cicéron ne<br />

vint pas et mit son absence sur le compte de la fatigue due à son voyage. En réalité l’orateur<br />

ne pouvait aller à la curie car il n’approuvait pas la mesure et le consul avait fait comprendre à<br />

tous les sénateurs qu’il ne tolérerait plus des attaques comme celle qu’il avait subie quelques<br />

semaines <strong>au</strong>paravant de la part de Pison 5 . Et les sénateurs s’étaient pliés à l’injonction du<br />

tyran. Le Sénat en effet ne comptait presque plus d’hommes prêts à s’opposer à un pouvoir<br />

fort, la grande majorité ayant été tuée lors de la guerre civile ou ayant abandonné la politique.<br />

Malgré une lettre d’excuse qu’envoya Cicéron à Antoine pour le prévenir de son absence, ce<br />

dernier entra dans une grande colère et parla de le traîner de force jusqu’à la curie et de faire<br />

démolir sa maison. De tel propos étaient indignes d’un consul en charge, mais une fois de plus<br />

<strong>au</strong>cun sénateur n’osa émettre d’opposition.<br />

1<br />

Plutarque, Vie de Cicéron, XLIII.<br />

2<br />

Octave ne pouvait disposer d’assez d’argent pour tenir les jeux et recruter une armée, il est donc probable qu’il<br />

ait été aidé dans sa tâche par des césariens hostiles à Antoine.<br />

3<br />

Plutarque, Vie de Cicéron, XLIV.<br />

4<br />

Ils échangèrent jusqu’à la fin de l’orateur, ou presque, une intense correspondance dont il ne reste,<br />

malheureusement, que des fragments.<br />

5<br />

Il s’agit bien du Pison qui est l’ennemi de Cicéron, mais ami de ce dernier dans leur lutte contre Antoine.<br />

83


Cicéron contre les triumvirs<br />

On ne sait si ce furent ces menaces ou tout simplement la haine du vieux consulaire pour le<br />

tyran et ses allures de Clodius qui décidèrent Cicéron à agir comme il le fit. Le Sénat devait se<br />

réunir à nouve<strong>au</strong> le lendemain, mais sous la direction de Dolabella, Antoine n’ayant pas jugé<br />

utile de se rendre à la séance qui n’était pas d’une importance majeure. Les Pères qui étaient<br />

présents virent alors arriver Cicéron qui demanda à prendre la parole. Dolabella la lui ayant<br />

offerte, il commença par le remercier de sa bonne gestion du gouvernement puis, se<br />

retournant vers l’assemblée, il prononça la première de ses Philippiques 1 . La surprise fut<br />

totale, personne ne s’attendait à ce que quelqu’un osât encore braver le tyran. Certes le<br />

discours n’était qu’une attaque très modérée portant uniquement sur les actes illég<strong>au</strong>x du<br />

consul. Mais le courage de l’orateur fit se relever les partisans de la République et son <strong>au</strong>dace<br />

effraya ses détracteurs.<br />

« Mais lui (vous l’avez entendu), il dit qu’il se rendait chez moi avec des ouvriers. Voila bien<br />

de la colère et fort peu de retenue ! Car à quel méfait s’applique un pareil châtiment, pour<br />

qu’il ait osé dire devant notre ordre sénatorial qu’avec des ouvriers de l’Etat il démolirait<br />

une maison construite <strong>au</strong>x frais de l’Etat, par décision du Sénat 2 ».<br />

« Eh quoi ! des <strong>au</strong>tres m<strong>au</strong>x politiques, est-on libre d’en parler ? Moi, je suis libre de le faire<br />

et je serai toujours libre de défendre ma dignité et de mépriser la mort ; qu’on me laisse<br />

seulement la possibilité de venir en ce lieu, je ne me dérobe pas <strong>au</strong> danger d’y parler. 3 »<br />

« Ce que j’appréhende davantage, c’est que, ignorant le véritable chemin de la gloire, tu<br />

croies qu’il est glorieux pour toi d’avoir à toi seul plus de pouvoir que tous les <strong>au</strong>tres et que<br />

tu aimes mieux être craint de tes concitoyens qu’être aimé d’eux. Si telle est ta pensée, tu<br />

ignores complètement le chemin de la gloire : être cher à ses concitoyens, bien servir la<br />

patrie, être loué, honoré, aimé, voila qui est glorieux ; mais être craint, être en butte à la<br />

haine, c’est une condition odieuse, exécrable, fragile et précaire. 4 »<br />

La parole et le glaive<br />

La riposte d’Antoine ne se fit pas attendre. Désireux de prouver <strong>au</strong>x sénateurs son talent<br />

oratoire, il recruta un rhéteur et composa avec lui une réponse à l’attaque de l’Arpinate. Le<br />

pamphlet fut d’une rare violence. Il suivait méticuleusement toutes les époques de la vie de<br />

Cicéron en l’attaquant dans quelque épisode qu’il le pût. Rien ne fut épargné à l’avocat : son<br />

consulat, l’exécution des amis de Catilina et sa fuite en Grèce avec la chute que nous<br />

connaissons. Le consul en arriva à argumenter que le vieil orateur <strong>au</strong>rait été mêlé à<br />

l’assassinat de César quand bien même il n’en <strong>au</strong>rait pas été l’instigateur. Cicéron ne répondit<br />

pas à la convocation du tribun, moins par lâcheté personnelle que par crainte d’un assassinat<br />

ce qui, connaissant le tempérament d’Antoine et des anciens césariens affiliés à sa personne,<br />

n’était pas improbable. L’ancien tribun récidiva quelques jours plus tard 5 devant le peuple,<br />

critiquant jusqu’<strong>au</strong>x membres de la conjuration -que certains se plaisaient à appeler : « les<br />

libérateurs »- et tous ceux qui lui avaient fait obstacle depuis sa prise de pouvoir, notamment<br />

le tribun de la plèbe T. Cannutius.<br />

1 Pourquoi Philippiques et pas Antorines ou Antiniliques ? C’est en analogie avec les Philippiques prononcées<br />

par l’orateur athénien Démosthène contre le pouvoir de Philippe II de Macédoine (père d’Alexandre).<br />

2 Cicéron, Philippiques, I, V, 12.<br />

3 Ibidem, VI, 14.<br />

4 Ibidem, XIV, 33.<br />

5 Le 2 octobre 44.<br />

84


Cicéron contre les triumvirs<br />

Mais le consul, bien que doué d’un certain talent, n’était pas de taille face <strong>au</strong> plus célèbre<br />

avocat de l’histoire romaine. Retiré dans sa villa de Pouzzoles, ce dernier mit <strong>au</strong> point la 2 ème<br />

Philippique qui est certainement la plus célèbre de toutes. Cicéron, fidèle à ses habitudes<br />

oratoires, commence par se défendre. Puis, ayant démontré qu’<strong>au</strong>cun des reproches que lui<br />

avait adressés Antoine n’était justifié, il contre-attaqua avec une furie qui n’avait rien à envier<br />

à celle de son adversaire. La vie privée du tyran ne fut pas épargnée et notamment sa<br />

réputation de buveur invétéré.<br />

« Veux-tu donc que nous passions ta vie en revue depuis l’enfance ? Tel est mon avis :<br />

prenons les choses à l’origine. Te souviens-tu que tu portais encore la robe prétexte, quand tu<br />

as fait banqueroute ? C’est, vas-tu dire, la f<strong>au</strong>te de ton père. Je l’admets. Voila, en effet, une<br />

excuse qu’inspire la piété filiale… Tu as pris la toge virile et, <strong>au</strong>ssitôt, tu en as fait une toge<br />

féminine. D’abord prostituée offerte à tous ; prix fixe pour ton infamie, et qui n’était pas<br />

médiocre. Mais bientôt survint Curion 1 , qui t’enleva <strong>au</strong> métier de courtisane et qui, comme<br />

s’il t’avait donné la robe des matrones, t’a établi en un mariage stable et régulier. Jamais<br />

jeune esclave acheté pour la déb<strong>au</strong>che ne fut sous la puissance de son maître <strong>au</strong>ssi<br />

complètement que toi sous celle de Curion. 2 »<br />

« C’est toi, oui, c’est toi Marc Antoine, qui as pris l’initiative, quand C. César voulait un<br />

bouleversement général, de lui fournir un prétexte, pour engager la guerre contre la patrie. 3 »<br />

« Parlons plutôt de ce qui dénote une dissipation de la pire espèce. Toi, avec ce gosier, ces<br />

flancs, cette robustesse de tout ton corps de gladiateur, tu avais absorbé tant de vin <strong>au</strong>x noces<br />

d’Hippias qu’il t’a fallu le vomir en présence du peuple romain, le lendemain encore. Quelle<br />

chose ignoble non seulement à voir, mais même à entendre raconter ! Si c’était à table, <strong>au</strong><br />

milieu de ces coupes énormes dont tu te sers, que cela fût arrivé, qui ne le regarderait pas<br />

comme une honte ? Mais, en pleine assemblée du peuple romain, dans l’exercice des<br />

fonctions publiques, un maître de cavalerie 4 , pour qui ce serait une honte de roter, vomit, en<br />

couvrant de débris d’aliments qui sentaient le vin ses vêtements et tout le tribunal. 5 »<br />

« La pique des enchères fut plantée devant le temple de Jupiter Stator et les biens de Cn.<br />

Pompée mis à l’encan (malheureux que je suis ! J’ai épuisé mes larmes et cependant la<br />

douleur reste fixée dans mon cœur), les biens, dis-je, du grand Cn. Pompée ont été livrés <strong>au</strong>x<br />

aigres glapissements d’un crieur public. Cette seule fois, la cité, oubliant sa servitude, fit<br />

entendre des gémissements ; et, bien que les âmes fussent asservies, quand tout était écrasé<br />

par la terreur, les gémissements du peuple romain furent libres. Dans l’attente générale où<br />

l’on était de voir qui serait assez impie, assez fou, assez ennemi des dieux et des hommes pour<br />

participer à ces abominables enchères nul <strong>au</strong>tre ne se trouva qu’Antoine… Quand il fut<br />

plongé jusqu’<strong>au</strong> cou dans les richesses de ce grand homme, il se livrait à ses transports de<br />

joie, vrai personnage de mime, hier dans l’indigence et soudain dans l’opulence. Mais,<br />

comme dit je ne sais quel poète (Cn. Naevius) "Bien mal acquis ne profite jamais" 6 »<br />

1 Il s’agit du Curion qui fut l’ « ami » de Cicéron et le lieutenant de César.<br />

2 Cicéron, Philippique, II, XVIII, 44, 45.<br />

3 Ibidem, XXII, 53. / Il s’agit de l’incident avec Lentulus dans la curie et la fuite d’Antoine qui s’en suivit. César<br />

avait pris l’incident comme l’un des prétextes à son invasion. Cf. pages 39-40.<br />

4 Le maître de cavalerie est une magistrature spéciale crée à la fin du 6 ème siècle avant JC. Le maître de cavalerie<br />

est nommé par le dictateur en cas de crise. Il devient alors son second jusqu’à la fin de son mandat.<br />

5 Cicéron, Philippique, II, XXV, 63.<br />

6 Ibidem, XXVI, 64.<br />

85


Cicéron contre les triumvirs<br />

« Précisément en ce temps où tous, moi excepté, te tenaient pour un grand homme de bien, tu<br />

as organisé de la façon la plus criminelle les funérailles du tyran –si on peut leur donner le<br />

nom de funérailles. C’est ta magnifique oraison funèbre, ce sont tes lamentations, ce sont tes<br />

exhortations, c’est toi, oui, c’est toi qui as allumé ces torches, et celles qui ne l’ont consumé<br />

qu’à demi 1 et celles qui ont incendié et détruit la maison de L.Bellineus ; et c’est toi qui as<br />

lancé contre nos maisons les ass<strong>au</strong>ts d’hommes tarés, esclaves pour la plupart, que nous<br />

avons repoussés de vive force. 2 »<br />

Le discours ne fut néanmoins jamais prononcé. Cicéron préféra une publication qu’il jugeait<br />

plus efficace à long terme. « Les échos qu’elle éveillerait seraient plus nombreux et plus<br />

durables. 3 » L’effet produit par la violence du réquisitoire était irréversible. Pour l’ancien<br />

consulaire c’était la victoire ou la mort. Lui-même ne s’en cachait pas, il perdrait certainement<br />

la vie dans le combat mais il se disait prêt à accueillir la mort avec joie si elle pouvait servir<br />

<strong>au</strong> rétablissement de la République : « Bien plus : je ferai volontiers le sacrifice de ma vie, si,<br />

par ma mort, je puis réaliser pour les citoyens le rétablissement de la liberté, pour qu’enfin la<br />

douleur du peuple romain enfante ce dont elle est en travail depuis longtemps. Car si, il y a<br />

quelque vingt ans, dans ce même temple, j’ai déclaré que la mort ne pouvait être prématurée<br />

pour un consulaire, avec combien plus de vérité ne dirai-je pas <strong>au</strong>jourd’hui qu’elle ne peut<br />

l’être pour un vieillard. Pour moi, en vérité, sénateurs, la mort est désormais à désirer, après<br />

tous les honneurs que j’ai obtenus et toutes les actions que j’ai accomplies. Je ne forme plus<br />

que deux voeux : d’abord, de laisser en mourant le peuple romain libre (les dieux immortels<br />

ne peuvent m’accorder de faveur plus grande), en second lieu, que chacun ait le sort que lui<br />

<strong>au</strong>ront mérité ses services envers la République. 4 »<br />

La guerre était désormais officiellement déclarée entre le vieux politicien et le général.<br />

Chacun fourbissant ses armes pour une confrontation directe. Antoine fit rentrer de<br />

Macédoine quatre légions qu’il paya grassement. Le 9 octobre il partit à Brindes pour les<br />

accueillir, comptant bien les utiliser pour menacer ses opposants. Cicéron savait qu’il ne<br />

pourrait engager la véritable bataille avant l’entrée en fonction des nouve<strong>au</strong>x consul élus : C.<br />

Vibius Pensa et A. Hirtus, tous deux anciens césariens mais tous deux opposés à la prise de<br />

pouvoir d’Antoine. Jusqu’à cette date le plus important était de survivre. L’orateur quitta donc<br />

une fois de plus la Métropole pour ses villas italiennes où il composa son dernier traité : « sur<br />

les devoirs », de officiis, dans lequel il ne put s’empêcher de mettre en évidence que tous ceux<br />

qui restaient inactifs dans les circonstance d’alors, même s’ils ne soutenaient pas les partisans<br />

d’Antoine, étaient injustes car ils laissaient prospérer l’injustice.<br />

Le 1 er novembre Cicéron reçut une lettre d’Octave. Celui-ci l’informait du recrutement massif<br />

qu’il avait accompli en Campagnie, ajoutant qu’il se proposait d’en accomplir de nouve<strong>au</strong>x<br />

dans d’<strong>au</strong>tres colonies. Il se proposait de rejoindre le camp sénatorial et de mettre ses troupes<br />

à sa disposition. Cette alliance entre le parti d’Octave et celui de Cicéron, soutenu par le<br />

Sénat, était à même de renverser le camp d’Antoine. L’orateur l’avait parfaitement compris,<br />

cependant il tergiversa longtemps car le ralliement <strong>au</strong> jeune César 5 était un acte très risqué.<br />

1<br />

Cicéron veut sous-entendre que Antoine par ses actes, n’a pas fait correctement recevoir à César les honneurs<br />

de l’incinération.<br />

2<br />

Cicéron, Philippique, II, XXXVI, 90, 91.<br />

3<br />

Grimal, Cicéron, p. 392.<br />

4<br />

Cicéron, Philippique, II, XLVI, 119.<br />

5<br />

Octave avait en effet pris le nom / titre de César lors de son adoption posthume. Il bénéficiait ainsi de la<br />

popularité de ce dernier.<br />

86


Cicéron contre les triumvirs<br />

Le jeune ambitieux voulait clairement se servir de la crise pour conquérir un grand pouvoir. Si<br />

après l’avoir aidé dans son ascension, ce que lui proposait le Sénat ne lui plaisait pas, il<br />

risquait fort d’être impossible à arrêter et de devenir le nouve<strong>au</strong> tyran dont il avait bien plus la<br />

carrure que son prédécesseur. Le jeune politicien joua cependant de bonne volonté et aligna<br />

les bons arguments, ceux-ci commencèrent à faire changer l’avis de l’Arpinate. Et quand<br />

Octave prononça devant les Pères un discours excellent accusant Antoine de nombre de m<strong>au</strong>x<br />

et qu’il l’eut envoyé à Cicéron qui ne put que l’approuver, l’orateur se rangea de son côté<br />

contre l’avis d’Atticus et de Brutus. « Cicéron, n'écoutant que sa haine contre Antoine, se<br />

déclara pour le jeune César, et en fut vivement repris par Brutus, qui lui reprocha de ne pas<br />

craindre un maître, mais seulement un maître qui le haïssait ; et qu'en faisant dans ses<br />

discours et dans ses lettres l'éloge de la douceur de César, il ne cherchait qu'à se ménager<br />

une servitude moins dure. 1 » Il ne pouvait laisser un « enfant » porter seul le destin de la<br />

République. Aussi, oubliant la prudence, revint-il à Rome le 9 décembre, presque un mois<br />

avant la fin du mandat d’Antoine. Il prononça le 20 décembre ses troisième et quatrième<br />

Philippiques destinées respectivement <strong>au</strong> peuple et <strong>au</strong>x Pères. Il s’expliqua de ce choix à<br />

Brutus : « Les tribuns de la plèbe ont convoqué le Sénat le 20 décembre…j’avais déjà décidé<br />

de ne pas me rendre <strong>au</strong> Sénat avant le 1 er janvier ; cependant ton édit étant publié<br />

précisément ce jour, j’ai jugé sacrilège ou bien que le Sénat tînt séance sans qu’il fût question<br />

de tes bienfaits divins envers la République, ce qui <strong>au</strong>rait été le cas si je ne m’y étais pas<br />

rendu, ou encore, si l’on parlait de toi avec honneur, que je ne fusse présent. 2 » En effet le<br />

gouverneur de la G<strong>au</strong>le cisalpine, Décimius Brutus, qui avait également participé à la<br />

conjuration contre le dictateur, avait fait le même jour, encouragé par Cicéron, publier un édit<br />

qui prévenait les Pères de sa décision ; il allait tenir bon et conserver sa province à la<br />

disposition du Sénat et du peuple romain. Les sénateurs, comprenant quel camp la fortune<br />

avait choisi, ne pouvaient pas encore prendre de décisions légales contre le consul, les lois de<br />

César le protégeant. Mais ils firent cependant clairement ressentir qu’ils se joignaient <strong>au</strong> choix<br />

de Cicéron et se ralliaient à Octave contre le successeur du tyran.<br />

Entre-temps les « libérateurs » avaient rejoint leurs provinces bien que les agissements du<br />

consul leur en aient légalement enlevé le commandement. Brutus avait fait voile vers la Crète<br />

et de là s’était rendu en Grèce où il avait reçu le soutien des gouverneurs de Macédoine et<br />

d’Asie et en conséquence de leurs troupes. Antoine avait également échangé sa province<br />

proconsulaire de Macédoine contre la G<strong>au</strong>le cisalpine bien mieux située et be<strong>au</strong>coup plus<br />

importante stratégiquement.<br />

Antoine comprit qu’il n’avait plus rien à attendre de l’assemblée, il la plaça devant le fait<br />

accompli et mit le siège à Modène où s’était retranché Décimius. Dès l’entrée en charge des<br />

nouve<strong>au</strong>x consuls le 1 er janvier les délibérations furent vives pour savoir si l’on déclarerait oui<br />

ou non Antoine ennemi public. Cicéron fut, avec Pansa dans une moindre mesure, partisan de<br />

la fermeté et prononça à cette occasion sa cinquième Philippique. En face, le be<strong>au</strong>-père de<br />

l’ancien lieutenant de César, Q. Fufius Calenus parla pour la paix, ne pouvant se résoudre à<br />

déclarer ennemi d’Etat un ancien compagnon d’armes. L’Arpinate semblait devoir l’emporter<br />

mais le vote fut reporté deux jours de suite ; la première fois car la séance avait atteint le<br />

crépuscule et la seconde parce qu’un tribun de la plèbe, Salvius, imposa à tous une nuit de<br />

réflexion. Le 3 janvier Pison parla en faveur d’une solution pacifique ce qui retourna les<br />

sénateurs, mais on ne prit toujours <strong>au</strong>cune décision concrète.<br />

1 Plutarque, Vie de Brutus, XXVI.<br />

2 Cicéron, Correspondance, X, DCCCXXXI à Décimius Junius Brutus, 1.<br />

87


Cicéron contre les triumvirs<br />

Le 4 on décida enfin d’envoyer une ambassade à Antoine. Il obtiendrait comme province<br />

proconsulaire la G<strong>au</strong>le chevelue à condition de lever le siège de Modène, et de retirer son<br />

armée à plus de 200 miles de Rome. En cas de refus il serait déclaré ennemi public. En<br />

prévision de quoi Hirtus marcha vers Modène avec des troupes. On décerna également, selon<br />

une proposition de Cicéron, des honneurs à Octave ; celui-ci pourrait siéger <strong>au</strong> Sénat, on<br />

légaliserait son armée et il <strong>au</strong>rait le droit de briguer quelque magistrature que ce fût en dépit<br />

de son âge. Tout, en apparence, montrait que le consul resserrait lentement l’ét<strong>au</strong> sur Antoine.<br />

Du 4 janvier <strong>au</strong> 1 er Février, où l’on reçut la réponse de l’ancien tribun, Cicéron prononça la<br />

sixième et la septième Philippique, la première <strong>au</strong> peuple, la seconde <strong>au</strong> Sénat. Il combattait<br />

sur tous les fronts. Protégeant les conjurés contre des attaques césariennes, montant le peuple<br />

contre l’homme qui assiégeait Modène et ralliant à lui le plus de gouverneurs et de sénateurs<br />

possibles. Plus les jours avançaient et plus la défaite d’Antoine semblait probable. Brutus<br />

s’était débarrassé des dernières oppositions dans la majeure partie des provinces orientales et<br />

avait rassemblé une armée qu’il tenait à la disposition de la République. Ses troupes étaient<br />

l’exact opposé de celles que Pompée avait rassemblées quelques années plus tôt ; elles<br />

comptaient nombre de jeunes officiers dont Horace et le fils de Cicéron chargé d’une unité de<br />

cavalerie. De même lorsque Dolabella était arrivé en Syrie pour commencer son proconsulat,<br />

il y avait trouvé Cassius qui était déjà en place avec de nombreuses troupes. Le Sénat<br />

confirma alors la magistrature à l’ancien conjuré et ce pour six ans. Dolabella, furieux, tua par<br />

traîtrise le gouverneur d’Asie, prit sa place, et se prépara à envahir la Syrie. Il remporta bien<br />

quelques succès maritimes grâce <strong>au</strong> soutien de Cléopâtre, mais, déclaré ennemi public, il fut<br />

finalement vaincu et se suicida. L’Orient fut entièrement sous contrôle des conjurés, et donc<br />

du Sénat, à la fin du printemps 43. Restait l’Occident.<br />

La proposition d’Antoine <strong>au</strong> sénateurs : la G<strong>au</strong>le chevelue pour six ans, six légions et les<br />

décisions qu’il avait prises en tant que consul confirmées ce que le Sénat avait déjà refusé de<br />

faire, fut jugée inacceptable par la curie. Le 2 février, on vota l’état d’urgence, les Pères se<br />

refusant encore à nommer officiellement l’ancien consul ennemi public. Cicéron continua son<br />

combat et prononça le 3 avec la huitième Philippique qui dissertait sur la décision prise la<br />

veille. L’orateur la considérait comme absurde. Mieux v<strong>au</strong>t une vraie guerre ; une guerre<br />

« larvée » n’<strong>au</strong>rait que des désavantages pour le camp républicain. « Nous ne voulons pas<br />

qu’il y ait apparence de guerre. Quel fondement donnons-nous donc <strong>au</strong>x municipes et <strong>au</strong>x<br />

colonies, pour fermer leurs portes à Antoine, pour enrôler des soldats sans contrainte ni<br />

amende, avec empressement et spontanéité, pour promettre des subsides à l’Etat ? En<br />

supprimant le mot de guerre, on supprimera le zèle des municipes ; et l’assentiment unanime<br />

du peuple romain, qui déjà s’est porté vers notre c<strong>au</strong>se, si nous nous relâchons, s’affaiblira<br />

nécessairement. 1 » Cette fois les arguments de l’orateur l’emportèrent. Sa proposition d’offrir<br />

l’amnistie à tous les déserteurs d’Antoine fut adoptée et l’on sous-entendit que quiconque<br />

supprimerait l’ennemi recevrait une forte récompense. Parallèlement Hirtus et Octave qui<br />

avaient reçu les pleins pouvoirs grâce à la déclaration de l’état d’urgence, annoncèrent qu’ils<br />

avaient engagé les opérations contre l’ancien vassal de César. Dès le début de la guerre,<br />

Antoine fit figure de vaincu, ce qui facilitait grandement la tâche de Cicéron car nombre de<br />

sénateurs votaient en fonction de la situation plus que par véritable dévouement à tel ou tel<br />

camp.<br />

1 Cicéron, Philippique, VIII, II, 4.<br />

88


Cicéron contre les triumvirs<br />

Le consul de 63, par son seul talent oratoire et son habile stratégie politique, avait, malgré la<br />

m<strong>au</strong>vaise volonté sénatoriale, passé la corde <strong>au</strong> cou de son ennemi. Il ne restait plus qu’à la<br />

tendre et la République serait s<strong>au</strong>vée. Mais cette fois Cicéron avait été joué. Dans l’ombre un<br />

homme avait, sous couvert d’une bonne c<strong>au</strong>se, gravi les échelons et outrepassé les lois<br />

protégeant l’Etat des ambitieux, il était devenu l’un des plus puissants personnages de Rome.<br />

Il ne lui restait plus qu’à éliminer ses adversaires pour être l’unique maître de l’Empire<br />

romain.<br />

Le point décisif<br />

Cicéron n’avaient jamais totalement fait confiance <strong>au</strong>x deux consuls de 43 car ils avaient tous<br />

les deux été des fervents partisans du dictateur les années précédentes. Le discours de Pison<br />

lors des premiers jours de janvier pour faire preuve de clémence envers Antoine l’avait<br />

renforcé dans son doute sur leur réelle ferveur dans le combat pour le régime républicain. «…<br />

en particulier ce qui concerne les consuls désignés : ce sont des hommes que je connais à<br />

fond, pétris de la sensualité et de la mollesse propres <strong>au</strong>x âmes complètement efféminées ;<br />

s’ils ne quittent pas la barre, il y a un risque majeur de n<strong>au</strong>frage universel. 1 »<br />

Les consuls cependant n’étaient pas <strong>au</strong>ssi lâches que Cicéron les présente. En ce mois de<br />

février ils eurent l’occasion d’achever Antoine, de rest<strong>au</strong>rer la République et pourtant ils ne le<br />

firent pas. Pourquoi ? Parce qu’ils en furent empêchés par le Sénat. Le parti de la paix,<br />

toujours influent à la curie malgré les manœuvres de l’orateur, avait en effet fait adopter à<br />

l’illustre assemblée la proposition de l’envoi d’une seconde mission diplomatique <strong>au</strong>près<br />

d’Antoine. Cicéron avait, dans le courant du mois de février, prononcé la 9 ème Philippique,<br />

éloge funèbre pour son ami Sulpicius Rufus qui était mort de maladie <strong>au</strong> cours des premières<br />

négociations avec Antoine. Choisi pour être l’un des trois membres de la mission<br />

diplomatique, il n’avait pas voulu se dérober à sa tâche et était décédé <strong>au</strong> cours de sa mission.<br />

La 10 ème Philippique, rédigée un peu plus tard, appuyait une proposition faite <strong>au</strong> Sénat de<br />

donner à Brutus l’imperium sur la Macédoine et la Grèce. La 11 ème Philippique avait, quant à<br />

elle, incité les Pères à confier à Cassius la mission d’éliminer Dolabella, mission initialement<br />

déléguée <strong>au</strong>x consuls. Ce fut un échec. Cependant les conjurés des ides de mars<br />

débarrassèrent tout de même l’Orient du consul de 44 peu après et cela sans l’accord du<br />

Sénat 2 . La 12 ème Philippique, fut plus importante, <strong>au</strong> même titre que la 1 ère , la 2 ème ou la 8 ème .<br />

Cicéron y attaqua violemment les nouvelles tractations de paix, jugeant qu’elles étaient<br />

premièrement inutiles, Antoine n’avait-il par répondu par la négative voire par le mépris <strong>au</strong>x<br />

premières, et secondement pouvaient affaiblir le camp et les troupes républicaines, fatiguées<br />

de rester inactives pendant que les aristocrates faisaient des délibérations stériles.<br />

S’il y a eu erreur, Sénateurs, sous l’effet d’un espoir f<strong>au</strong>x et fallacieux, revenons sur le droit<br />

chemin. Le meilleur port, pour qui se repent, consiste à changer de dessein. En quoi peut bien<br />

servir à la République, par les dieux immortels, notre députation ? Je dis : servir ; et si elle va<br />

même nuire ? Elle va, et si déjà elle a fait du tort et nui ? Ce désir si vif et si ferme qu’avait le<br />

peuple romain de recouvrer la liberté, ne le croyez-vous pas diminué et affaibli par l’annonce<br />

d’une députation en vue de la paix ? Et les municipes ? Et les colonies ? Et l’Italie entière ?<br />

Pensez-vous qu’ils garderont la même ardeur, qui les avait enflammés contre l’incendie<br />

commun ?<br />

1 Cicéron, Correspondance, X, DCCCXXXIV à Tiron, 1.<br />

2 Les dates retenues pour les 9 ème , 10 ème , 11 ème et 12 ème Philippiques furent respectivement prononcées le 4, le 15<br />

février puis le 8 et le 10 mars mais elles sont incertaines.<br />

89


Cicéron contre les triumvirs<br />

Ne croyons-nous pas qu’ils vont se repentir d’avoir déclaré et manifesté leur haine contre<br />

Antoine, ceux qui ont promis de l’argent et des armes, ceux qui se sont portés, corps et âme,<br />

<strong>au</strong> salut de la République ? Comment notre résolution présente sera-t-elle approuvée de<br />

Capoue, qui, en ces derniers temps, s’est montrée une seconde Rome ? Elle, elle a jugé,<br />

rejeté, chassé des citoyens impies ; elle, oui, cette cité, <strong>au</strong>x efforts si courageux, a vu Antoine<br />

échapper de ses mains. Et nos légions ? Nos résolutions ne leur coupent-elles pas les nerfs ?<br />

Qui donc pourrait avoir le cœur enflammé pour la guerre, si on lui offre l’espoir de la<br />

paix ? 1 »<br />

On peut s’étonner de cette hargne qu’avait Cicéron de déclarer la guerre à l’ennemi en<br />

comparaison de la fougue avec laquelle il réclamait la paix lors du début de la guerre civile.<br />

L’orateur avait-il radicalement changé durant les six années séparant les deux conflits ? Sans<br />

<strong>au</strong>cun doute oui, le remplacement de la République par un régime dictatorial et la mort de sa<br />

fille l’avaient profondément transformé. Mais il f<strong>au</strong>t <strong>au</strong>ssi prendre en compte les<br />

circonstances. En 49 la paix était le meilleur moyen, si ce n’est le seul, de s<strong>au</strong>vegarder les<br />

institutions républicaines attaquées par les triumvirs et leur guerre. En 43, la paix conserverait<br />

le régime en place mit en place par César qui donnait le pouvoir à un seul. Seule la victoire<br />

sur les partisans du pouvoir unique pourrait, peut-être, rest<strong>au</strong>rer le système « démocratique ».<br />

Sans compter que la première fois le temps jouait pour les sénateurs. La seconde, chaque<br />

minute renforçait Antoine et affaiblissait les républicains. Je ne pense pas que l’on puisse dire<br />

que Cicéron avait des opinions facilement changeantes. Sa c<strong>au</strong>se, dans les deux conjonctures,<br />

il l’avait défendue farouchement, on ne peut le nier.<br />

Pendant que le Sénat lui envoyait ambassade sur ambassade, Antoine se renforçait. Il se<br />

rapprocha de Lépide, gouverneur de l’Espagne citérieure et de la G<strong>au</strong>le narbonnaise et de<br />

Munatius Plancus qui avait sous sa juridiction la G<strong>au</strong>le chevelue et la G<strong>au</strong>le Transalpine.<br />

Tous deux avaient été mis en place par César et maintenus par Antoine. Là <strong>au</strong>ssi les<br />

transactions du Sénat se révélèrent néfastes. Les deux gouverneurs voyant que les certitudes<br />

de la victoire de Cicéron s’effritaient petit à petit, minées par le parti de la paix, envoyèrent<br />

des lettres <strong>au</strong>x Pères pour les encourager à conclure une trêve avec Antoine. Voyant le danger,<br />

l’orateur réagit immédiatement. Il envoya des lettres <strong>au</strong>x deux hommes incriminés et<br />

prononça parallèlement, le 20 mars, sa 13 ème Philippique. Incitant tous les honnêtes gens à<br />

combattre le nouve<strong>au</strong> tyran. Il fit également un éloge à Sextus Pompée pour sa collaboration<br />

dans la crise, il remémora à tous le souvenir de son illustre père. Il espérait ainsi réveiller les<br />

derniers pompéiens qui s’étaient retirés après la victoire de César. C’était un choix dangereux.<br />

Nombre de sénateurs, de puissants et de citoyens ressentaient encore du respect, sinon de<br />

l’amour pour celui qui les avait soit mis en place, soit défendus soit comblés de présents.<br />

L’orateur risquait gros. Mais il n’y eut pas de réaction supplémentaire <strong>au</strong>x propositions de<br />

paix que défendaient les anciens césariens convaincus. La haine et le mépris d’Antoine que<br />

l’Arpinate leur avait inculqués avaient, chez be<strong>au</strong>coup, pris le dessus.<br />

Le 14 avril les troupes de Pansa qui venaient renforcer celles d’Hirtus, furent prises dans une<br />

embuscade tendue par Antoine et Pansa fut grièvement blessé mais son collègue arriva à<br />

temps et infligea une sévère défaite <strong>au</strong> consul de 44. Celui-ci parvint néanmoins à s’en sortir<br />

vivant.<br />

1 Cicéron, Philippique, XII, II, III, 7.<br />

90


Cicéron contre les triumvirs<br />

Le 18, Rome apprit la nouvelle de l’embuscade. Le chaos fut semblable à celui qui avait suivi<br />

l’ordre d’évacuation de Pompée quelques années plus tôt. « …l’ensemble des citoyens, comme<br />

frappé de peur, se répandait hors de la Ville, avec femmes et enfants, pour te rejoindre<br />

(Brutus en Grèce). 1 » Mais tout changea quand fut connu, le 20, la véritable issue de<br />

l’affrontement. « Mais le 20 avril, réconfortés, ils aimaient mieux attendre ici ta venue<br />

qu’aller vers toi. Ce jour-là, en vérité, j’ai reçu la plus belle récompense de mes efforts<br />

laborieux et de mes veilles sans nombre, si du moins, il y a une récompense à tirer d’une<br />

gloire <strong>au</strong>thentique et sans faille ; de fait, toute la population que contient notre ville accourut<br />

vers moi ; elle m’escorta jusqu’<strong>au</strong> Capitole ; et je fus installé <strong>au</strong>x Rostres <strong>au</strong> milieu d’un<br />

concert de cris et d’appl<strong>au</strong>dissements. Il n’y a <strong>au</strong>cune vanité chez moi, et il ne doit pas y en<br />

avoir ; cependant l’accord unanime des ordres, les manifestations de reconnaissance et les<br />

félicitations m’émeuvent, parce qu’il est superbe de se rendre populaire en s’employant <strong>au</strong><br />

salut du peuple. 2 » Cet élan du peuple était d’avantage dû <strong>au</strong> soulagement de ne pas devoir<br />

prendre l’exil une nouvelle fois qu’à la défaite d’Antoine. L’Arpinate s’en était probablement<br />

rendu compte mais ce succès lui faisait quand même très plaisir. L’orateur cependant, savait<br />

d’expérience qu’il ne fallait pas se relâcher et vendre la pe<strong>au</strong> de l’ours avant de l’avoir tué, il<br />

prononça donc sa 14 ème Philippique 3 . « Si la lettre qui a été lue, Sénateurs, en m’apprenant<br />

que l’armée des ennemis les plus scélérats a été taillée en pièces et mise en déroute,<br />

m’apprenait <strong>au</strong>ssi (ce que nous souhaitons et ce qui nous semble découler de la victoire<br />

acquise) que D. Brutus est maintenant sorti de Modène, j’estimerais sans <strong>au</strong>cun doute que,<br />

comme son péril nous a fait endosser la tenue militaire, son salut doit nous faire revenir <strong>au</strong><br />

costume antérieur. Mais avant l’arrivée de la nouvelle, que la cité attend avec une telle<br />

impatience, il suffit de se réjouir d’une bataille <strong>au</strong>ssi importante et glorieuse ; le retour <strong>au</strong><br />

costume civil doit être réservé pour la victoire décisive ; or, l’achèvement de cette guerre se<br />

confond avec le salut de D. Brutus. Mais que signifie cette motion de changer de costume<br />

pour <strong>au</strong>jourd’hui, puis de reparaître demain en tenue militaire 4 ? Nous, une fois revenus <strong>au</strong><br />

costume que nous désirons et souhaitons, faisons en sorte de le conserver à perpétuité. 5 »<br />

La victoire semblait totale pour les républicains et pour Cicéron. « Il n’a point d’armes. Mais<br />

sa parole lève des armées, en créant un immense courant d’union. Ce vieillard passionné<br />

retrouve ses anciennes joies. De nouve<strong>au</strong> des torches s’allument devant lui 6 . Il voit briller les<br />

cuirasses des chevaliers qui l’escortent. Et parce qu’il croit avoir vaincu les armes par la<br />

pensée, il salue la liberté. 7 » Le seul problème que relevait l’orateur dans ses lettres était le<br />

maintient du contrôle sur le jeune ambitieux Octave. « Chez le jeune César, une étonnante<br />

supériorité naturelle ; souhaitons avoir <strong>au</strong>tant de facilité à le diriger et à le contenir dans<br />

l’éclat des honneurs et de la popularité, que nous en avons eu jusqu’à présent à le contenir !<br />

C’est là, pour tout dire, une tâche plus difficile, mais cependant je ne désespère pas ; car le<br />

jeune homme est persuadé, surtout par mes soins, que nous devons notre salut à son<br />

intervention 8 ».<br />

1<br />

Cicéron, Correspondance, X, DCCCLXVI à Brutus, 2.<br />

2<br />

Ibidem, DCCCLXVI à Brutus, 2.<br />

3<br />

…et dernière qui nous est parvenue. Il y en <strong>au</strong>rait eu <strong>au</strong> moins 17.<br />

4<br />

P. Servilius Is<strong>au</strong>ricus avait en effet proposé plusieurs jours de « supplications » <strong>au</strong>x dieux et le dépôt de la<br />

tenue militaire.<br />

5<br />

Cicéron, Philippique, XIV, I, 1, 2.<br />

6<br />

Référence à sa victoire sur Catilina. Après l’exécution des condamnés, les citoyens escortèrent Cicéron avec<br />

des torches jusqu’à sa maison. Il est vrai que son combat contre Antoine ressembla be<strong>au</strong>coup à celui contre<br />

Catilina. L’expérience en plus, les circonstances en moins.<br />

7<br />

Nicolet et Michel, Cicéron, p. 99.<br />

8<br />

Cicéron, Correspondance, DCCCLXVI à Brutus, 1.<br />

91


Cicéron contre les triumvirs<br />

Antoine, malgré sa défaite, décida de maintenir le siège <strong>au</strong>tour de Modène. Mal lui en prit. Le<br />

26 avril 1 Hirtus et Octave le prirent à revers et il dut subir un nouve<strong>au</strong> désastre. Modène était<br />

libérée et les troupes d’Antoine défaites. Leur général en réchappa et fuit vers la G<strong>au</strong>le où<br />

devaient arriver ses dernières troupes de réserve, espérant qu’une aide providentielle de<br />

Lépide ou de Plancus l’aiderait à rétablir la balance en sa faveur mais avec peu d’espoir de<br />

réussite. On <strong>au</strong>rait dit la fuite de Charles le Téméraire des centaines d’années plus tard,<br />

s’échappant toujours presque seul pour revenir se faire battre.<br />

Malheureusement les deux consuls en fonction avaient perdu la vie dans cette lutte pour la<br />

République. Pansa était mort des blessures reçues lors du premier affrontement et Hirtus était<br />

mort en tentant d’en finir avec Antoine dans le camp du tyran qu’il avait réussi à investir<br />

durant le second. Octave avait néanmoins réussi à récupérer le corps avant les soldats<br />

adverses. D’ailleurs tout le monde convint qu’il s’était très honorablement battu, <strong>au</strong> contraire<br />

de la première bataille où on l’avait be<strong>au</strong>coup raillé d’être resté à surveiller le camp 2 . « Dans<br />

le premier, il prit la fuite, s'il f<strong>au</strong>t en croire Antoine, et ne reparut que deux jours après, sans<br />

cheval et sans cotte d'armes. On convient que, dans le second, il remplit les devoirs d'un chef<br />

et d'un soldat, et que le porte-enseigne de sa légion ayant été grièvement blessé dans la<br />

mêlée, il prit l'aigle sur ses ép<strong>au</strong>les et la porta longtemps. 3 »<br />

Les deux grands magistrats morts, Octave devenait seul commandant des troupes<br />

républicaines. Sa fulgurante promotion en une seule année engendra nombre de rumeurs ;<br />

certains prétendirent ainsi qu’il <strong>au</strong>rait tué Hirtus et Pansa pour prendre le pouvoir. Il est<br />

probable que ces prétendues vérités appartiennent à la légende d’<strong>Auguste</strong> et qu’elles furent<br />

inventées bien après les événements mais n’anticipons pas ! « Hirtius et Pansa périrent tous<br />

deux dans cette guerre, l'un sur le champ de bataille, l'<strong>au</strong>tre, peu après, des suites d'une<br />

blessure. Le bruit se répandit qu'<strong>Auguste</strong> était coupable de leur mort, parce qu'après la<br />

défaite d'Antoine, la République étant sans consuls, il était seul maître de l'armée victorieuse.<br />

La mort de Pansa excita même de tels soupçons, que Glycon, son médecin, fut détenu en<br />

prison comme accusé d'avoir empoisonné sa blessure. Aquilius Niger ajoute qu'<strong>Auguste</strong> tua<br />

lui-même Hirtius dans la mêlée. 4 »<br />

Le sort de la République<br />

Après ces victoires Cicéron avait obtenu ce que le Sénat lui avait toujours refusé : la<br />

condamnation d’Antoine et de ses soldats comme ennemis du peuple romain. L’orateur<br />

entrevit la victoire définitive ; Octave et Décimius poursuivaient les fuyards, Plancus, qui était<br />

le seul avec Lépide à pouvoir s<strong>au</strong>ver Antoine d’une défaite définitive se rallia <strong>au</strong> Sénat.<br />

1 La date est incertaine, soit le 25 soit le 26 avril. J’ai jugé que Hirtus avait laissé un maximum de temps à ses<br />

soldats pour se reposer donc le 26 mais c’est néanmoins très arbitraire.<br />

2 Il en sera souvent ainsi par la suite. Octave, <strong>au</strong> contraire de son père adoptif, était be<strong>au</strong>coup plus un politique<br />

qu’un soldat. Il ne remet la tenue militaire que dans des circonstances exceptionnelles. Ses plus grandes batailles<br />

et conquêtes furent presque toujours gagnées pour lui par ses génér<strong>au</strong>x de confiance.<br />

3 Suétone, Vie des douze Césars, <strong>Auguste</strong>, X. / Pour le déroulement du premier combat, la version d’Antoine<br />

semble avoir été largement remaniée. <strong>Auguste</strong> n’avait pas, certes, l’âme d’un soldat. Mais il n’<strong>au</strong>rait pas<br />

compromis sa carrière politique en fuyant d’un champ de bataille à la vue de tous.<br />

4 Ibidem, XI.<br />

92


Cicéron contre les triumvirs<br />

« Concernant ma personne, mon cher Cicéron, puisse seulement la République se délivrer<br />

avec mon aide des m<strong>au</strong>x qui la menacent ! J’apprécie les honneurs et les récompenses venant<br />

de vous, car ils sont comparables à l’immortalité, mais en leur absence je ne rabattrai rien de<br />

mon ardeur et de ma persévérance…Le 26 avril, j’ai fait passer mon armée de l’<strong>au</strong>tre côté du<br />

Rhône, à grandes étapes ; j’ai envoyé mille cavaliers à Vienne en avant-garde… Je te<br />

demande ton amitié, puisque tu sais qu’ainsi tu me paieras de retour. Bonne santé. 1 »<br />

D’Orient, Cassius envoya une lettre pour avertir la Ville de sa victoire sur Dolabella, et<br />

Lépide fit savoir <strong>au</strong> consul de 63 qu’il se rattachait également <strong>au</strong> camp des vainqueurs. Il est<br />

probable que si Antoine avait été capturé en cette fin du mois de mai, la dictature de César<br />

serait restée dans l’histoire comme anecdotique ou presque et que la République <strong>au</strong>rait vécu<br />

encore de longues années troublées avant de mourir. Peut-être serait-elle cependant devenue<br />

une vraie démocratie prospère grâce <strong>au</strong>x réformes de César dans une version modifiée. Quoi<br />

qu’il en soit on ne peut refaire l’histoire. Antoine ne fut pas capturé et mon travail ne s’arrête<br />

pas à cette ligne.<br />

Camp de pont d’Argens, 22 mai 43<br />

« En tout temps nous avons rivalisé entre nous d’une ardeur extrême à nous rendre<br />

mutuellement service, eu égard à nos liens d’étroite amitié, et veillé l’un sur l’<strong>au</strong>tre avec un<br />

soin approprié à préserver cette ardeur ; cependant, j’ai la certitude que, dans cet immense<br />

bouleversement si soudain de la République, des rumeurs erronées, propagées par mes<br />

détracteurs, t’ont transmis à mon sujet des in<strong>format</strong>ions indignes de moi, bien faites pour<br />

t’émouvoir <strong>au</strong> plus h<strong>au</strong>t point, étant donné ton amour pour la République. Je sais par mes<br />

représentants que tu les as accueillies avec préc<strong>au</strong>tions et que tu n’as pas jugé leur devoir<br />

une confiance aveugle ; je t’en suis fort reconnaissant, comme il se doit ; de fait, je n’ai pas<br />

oublié, en particulier, ces initiatives antérieures, qui sont nées de ta volonté, pour accroître et<br />

embellir ma dignité et qui resterons à jamais gravées dans mon cœur. Je te le demande avec<br />

force, mon cher Cicéron : si tu as bien présentes à l’esprit ma vie, mon ardeur, ma vigilance,<br />

ma loy<strong>au</strong>té dans mon activité politique passée, qui sont dignes de Lépide, attends-toi, dans<br />

l’avenir, à des actes de valeur égale ou d’<strong>au</strong>tant plus grande et fais-toi d’<strong>au</strong>tant plis un devoir<br />

de me soutenir de ton <strong>au</strong>torité que je te suis d’avantage redevable pour les services que tu me<br />

rends. Bonne santé. 2 »<br />

Lépide et Plancus encerclaient alors Antoine et ses dernières troupes devant Fréjus. Lépide<br />

informa Cicéron qu’il retardait l’ass<strong>au</strong>t pour laisser le temps <strong>au</strong> maximum de déserteurs<br />

d’Antoine de venir renforcer ses troupes. En réalité, une intense correspondance s’était établie<br />

entre Plancus, Lépide et Pollion, gouverneur de l’Espagne ultérieure qui avait également, le<br />

16 mars, fait acte d’allégeance à la République. Les trois césariens hésitaient. Choisir Cicéron<br />

c’était être certains de la victoire, mais devoir non seulement rentrer dans une large mesure<br />

dans le rang des hommes norm<strong>au</strong>x, des citoyens. C’était se rallier, d’une certaine manière <strong>au</strong><br />

camp pompéien, aspect que Cicéron n’avait rien fait pour cacher quand il ne l’avait pas<br />

accentué. En face, avec Antoine, une victoire incertaine, mais la possibilité de bénéficier bien<br />

plus de celle-ci. C’était, en quelque sorte rester fidèles à leur camp d’origine. Plancus et<br />

Pollion, contrairement <strong>au</strong>x apparences, ne faisaient <strong>au</strong>cun choix décisif. Il leur <strong>au</strong>rait été très<br />

facile à ce moment de défaire Antoine mais ils ne le firent pas. Lépide, lui, choisit son camp.<br />

Le 29 mai, alors que sept jours <strong>au</strong>paravant il assurait encore l’Arpinate de sa fidélité, il trahit<br />

le Sénat et se rallia à Antoine avec toutes ses troupes.<br />

1 Cicéron, Correspondance, XI, DCCCLXVII de L. Munatius Plancus, 2, 3.<br />

2 Ibidem, DCCCXCVII de Lépide, 1, 2.<br />

93


Cicéron contre les triumvirs<br />

Quand la nouvelle parvint à Cicéron, celui-ci ne pouvant y croire, écrivit à Plancus pour<br />

demander des précisions. Il les reçut plus tôt qu’il ne le pensait ; le 30 mai Lépide écrivit <strong>au</strong><br />

Sénat pour l’informer de sa trahison. C’était, selon lui, la f<strong>au</strong>te de ses soldats qui avaient<br />

refusé de se battre contre Antoine et s’étaient joints à lui. Le 6 juin, Plancus confirma que la<br />

fraternisation avait bien eu lieu. La première planche du gibet que Cicéron avait préparé pour<br />

Antoine venait de se briser.<br />

Camp de Pont d’Argens, 30 mai 43<br />

« Si vous-mêmes et vos enfants vous portez bien, tant mieux ; moi et mon armée nous portons<br />

bien. Je prends les dieux et les hommes à témoin, Pères conscrits, de l’esprit et des sentiments<br />

que j’ai toujours eus envers la République et de la préférence que j’ai accordée <strong>au</strong> salut et à<br />

la liberté communs sur tout le reste. Et je vous l’<strong>au</strong>rais prouvé sans délai, si la Fortune ne<br />

m’avait ôté de force mon pouvoir de décision personnel ; de fait, l’armée en totalité, attachée<br />

à sa tradition de s<strong>au</strong>vegarder la vie des citoyens et la paix générale, s’est soulevée et m’a<br />

contraint, à dire vrai, à prendre en charge le salut et le maintient dans leurs droits de toute<br />

cette foule de citoyens romains. Dans une telle situation, Pères conscrits, je vous supplie<br />

instamment de laisser de côté les offenses privées, de n’avoir d’égard qu’à l’intérêt suprême<br />

de l’Etat et de ne pas faire un crime du mouvement de pitié qui nous a animés, moi et mon<br />

armée, dans ce conflit entre citoyens. Si vous tenez compte du salut et de la dignité de tous,<br />

vous servirez mieux votre propre c<strong>au</strong>se et celle de la République. 1 »<br />

Ainsi c’était en grande partie pour faire respecter la justice et maintenir la paix que les troupes<br />

de Lépide et leur chef s’étaient jointes à Antoine. On peut dire que sur le plan du discours de<br />

propagande l’ancien chef de la cavalerie de César avait pris là une belle avance sur les propos<br />

des dictateurs de toutes les époques futures. On peut reconnaître ses propos dans ceux de<br />

personnages tristement célèbre : Hitler, Franco ou Pol Pot et, pour faire plus moderne et plus<br />

fictif, le chancelier suprême Palpatine, dans son discours qui entérine le pouvoir de…<br />

l’Empire sur… la République et cela devant le… Sénat ! George Lucas doit apprécier les<br />

récits historiques 2 .<br />

La trahison d’Octave<br />

Plus les jours avançaient, plus la situation des Républicains devenait fragile. Décimius Brutus<br />

se montrait mou. Il n’osait provoquer l’affrontement avec Antoine et ne cessait de quémander<br />

des renforts. Plancus et Pollion se rapprochaient de jour en jour du consul de 44. Quant <strong>au</strong><br />

jeune César, il traitait le Sénat avec une h<strong>au</strong>teur de plus en plus perceptible et Cicéron luimême<br />

doutait de pouvoir le contrôler encore longtemps. Face à ces m<strong>au</strong>x il n’y avait qu’une<br />

seule solution : le retour de Brutus et de Cassius d’Orient avec leurs légions. Ainsi Antoine<br />

serait vaincu, ses alliés se rendraient, ses troupes se dispersaient et l’on rétablirait la<br />

République. « Il appelle <strong>au</strong> secours, comme <strong>au</strong>trefois pendant les nuits de Catilina. Il sait que<br />

le temps presse. L’instant est décisif. Les génér<strong>au</strong>x de G<strong>au</strong>les et Octave ne sont pas pour le<br />

Sénat des alliés bien sûrs. Mais si Brutus vient à la rescousse, si l’union se fait, ne serait-ce<br />

qu’un instant, contre Antoine, la balance va pencher, ceux qui hésitent se rallieront à la force.<br />

Antoine ne sera plus pareil à César, ce général tout-puissant dont les légions déferlaient sur<br />

l’Italie, mais à Catilina, ce brigand séditieux, qui fuyait avec une faible armée vers les<br />

campagnes de Toscane. 3 »<br />

1 Ibidem, DCCCCIV de Lépide, 1, 2.<br />

2 Non mais sérieusement, la ressemblance n’est-elle pas frappante ? C’est peut-être juste moi qui suis juste<br />

complétement imbu de Star Wars……. Mais dans ce cas qui serait Cicéron ?<br />

3 Nicolet et Michel, Cicéron, p. 99.<br />

94


Cicéron contre les triumvirs<br />

Malgré les appels <strong>au</strong> secours de Cicéron l’informant de l’urgence de la situation, Brutus ne se<br />

dépêcha point. Voulant être certain des propos de son ami, il envoya son fils, Marcus Cicéron<br />

qui servait dans l’état-major de son armée, en Italie. L’orateur fit rebrousser chemin à son fils<br />

avant même son arrivée. Brutus comprit alors que la République était en danger et fit<br />

mouvement vers Rome mais bien trop tard. « Brutus semble avoir manqué une occasion<br />

décisive. Il n’a jamais voulu se joindre à Octavien. Sa conscience stoïcienne l’en empêchait.<br />

Pendant que Cicéron se débattait à Rome, il dialoguait à Athènes avec les philosophes. Il<br />

méprisait de s’allier avec les césariens, fût-ce par ruse. 1 »<br />

Octave craignait en effet que le Sénat voulût de débarrasser de lui après sa victoire sur<br />

Antoine. Il n’avait sans doute pas tort, il n’avait par exemple reçu que des honneurs inférieurs<br />

à ceux accordés à Décimius Brutus et le rang de préteur qui ne lui donnait pas le pouvoir de<br />

faire des lois. Il est probable que le Sénat <strong>au</strong>rait tenté de renvoyer à ses études le jeune<br />

ambitieux après la défaite d’Antoine. Un tel homme doté de trop de pouvoir serait un danger<br />

pour eux-mêmes et pour la République, les sénateurs en étaient conscients. Le jeune César<br />

décida d’éviter cela à tout prix. Il était déjà stupéfiant qu’il se fût allié avec Cicéron plutôt<br />

qu’avec Antoine qui avait tout pour être son allié naturel : le non-respect des lois, l’ambition<br />

démesurée et l’idée de succession à César. « Un miracle que seul le génie politique de<br />

Cicéron avait pu réaliser, mais que le jeu des factions et les manœuvres de couloir, <strong>au</strong> Sénat,<br />

rendaient bien fragile. 2 »<br />

Pour se prémunir contre une chute brutale, Octave demanda le consulat <strong>au</strong> Sénat. Son élection<br />

était contraire à toutes les lois républicaines. Mais, <strong>au</strong> point où les lois en étaient arrivées, rien<br />

ne s’y opposait formellement. Il s’ouvrit de son projet à Cicéron. Il lui expliqua que son désir<br />

de la charge consulaire n’avait pour but que d’obtenir pour ses soldats ce qu’il leur avait<br />

promis. Il lui f<strong>au</strong>drait un collègue fiable et expérimenté pour pouvoir gérer les affaires d’Etat.<br />

Qui de mieux placé que le vieil orateur lui-même. L’Arpinate ne s’opposa pas à cet état de<br />

fait. En prenant une seconde fois la charge consulaire il pourrait réaliser ce qu’il n’avait pu<br />

accomplir à la fin de son premier mandat par la f<strong>au</strong>te de Clodius : « Reconstruire l’Etat,<br />

modifier les lois, empêcher le retour de la violence comme moyen de gouvernement. 3 » Il<br />

fallait changer le système républicain pour empêcher les armées de mettre leurs chefs à la tête<br />

de l’Etat, trouver un dénouement démocratique à la crise qui agitait les institutions depuis<br />

133. Cicéron en était convaincu, on pouvait changer la République sans la transformer en<br />

monarchie. Grâce <strong>au</strong>x hommes nouve<strong>au</strong>x comme lui-même on pouvait supprimer le gouffre<br />

béant entre plébéiens et patriciens. Il fallait cependant agir vite et avec détermination, sans<br />

quoi le système césarien transformerait l’Etat en un empire qui rétablirait la paix mais<br />

donnerait le pouvoir <strong>au</strong> bénéfice d’un seul ce qui entraînerait, certes lentement, mais<br />

inévitablement Rome à sa perte. En ce début de l’été 43, l’orateur fut proche d’y parvenir.<br />

A ce moment, ce fut la bêtise de ses dirigeants qui mena la République à sa perte. Il est<br />

probable que si ils avaient obtenu le consulat Octave et Cicéron <strong>au</strong>raient vaincu Antoine.<br />

Certes, on ne peut être certain qu’Octave <strong>au</strong>rait accepté le seul honneur d’être consul à 20 ans<br />

et qu’il <strong>au</strong>rait mis de côté ses ambitions absolutistes.<br />

1 Ibidem, p. 101.<br />

2 Grimal, Cicéron, p. 424.<br />

3 Ibidem, p. 421.<br />

95


Cicéron contre les triumvirs<br />

Mais seul face à une République gouvernée par la loi, il ne serait probablement pas parvenu à<br />

ses fins 1 . Le destin et les sénateurs en décidèrent <strong>au</strong>trement. Quand Cicéron fit savoir à<br />

l’assemblée qu’il était utile de l’élire consul avec le jeune César, celle-ci se moqua de lui. On<br />

prit sa stratégie politique pour une ambition démesurée et mesquine de la part d’un vieil<br />

homme, <strong>au</strong>ssi influent et sage fut-il. Ce dénigrement stupide allait coûter très cher <strong>au</strong>x Pères.<br />

Cependant, le Sénat n’avait pas pris sa décision de son plein gré. Il avait été une fois de plus<br />

manipulé, et cette fois-ci la f<strong>au</strong>te en revenait <strong>au</strong>x « pompéiens ». Ils ne pouvaient accepter,<br />

que l’on décernât trop d’honneur <strong>au</strong> fils adoptif de leur ennemi et jalousaient Cicéron pour ses<br />

succès et pour son intelligence. Peu avant la trahison de Lépide, ce furent eux qui firent<br />

s’écrouler la tentative de s<strong>au</strong>vetage de Cicéron en refusant à l’orateur et <strong>au</strong> jeune César la plus<br />

h<strong>au</strong>te des magistratures. Ils s’acharnèrent à chercher tout ce qui pouvait séparer les deux<br />

adversaires d’Antoine. Ces divergences internes et les faiblesses de ceux qui <strong>au</strong>raient dû en<br />

finir avec Antoine mais qui ne le firent pas par incompétence –pour Décimius Brutus- où par<br />

bêtise –pour Brutus qui n’appréciait pas l’entente entre Octave et Cicéron et qui donc ne se<br />

pressa point de secourir l’orateur- eurent finalement raison du camp républicain <strong>au</strong> moment<br />

même où celui-ci avait la victoire à portée de main. « Le Sénat, qui craignit ce jeune homme,<br />

dont la fortune devenait si brillante, décerna <strong>au</strong>x troupes qui le suivaient des honneurs et des<br />

récompenses, dans la vue d'abattre sa puissance, sous prétexte que depuis la défaite d'Antoine<br />

la République n'avait plus besoin d'armée. César, alarmé de cette mesure, envoya<br />

secrètement quelques personnes à Cicéron, pour l'engager, par leurs prières, à se faire<br />

nommer consul avec César ; l'assurant qu'il disposerait à son gré des affaires, et qu'il<br />

gouvernerait un jeune homme qui ne désirait que le titre et les honneurs attachés à cette<br />

dignité. César avoua depuis que, craignant de se voir abandonné de tout le monde par le<br />

licenciement de son armée, il avait mis à propos en jeu l'ambition de Cicéron, et l'avait porté<br />

à demander le consulat, en lui promettant de l'aider de son crédit et de ses sollicitations dans<br />

les comices. 2 »<br />

Fin juillet le jeune César posa un ultimatum <strong>au</strong>x Pères : il obtiendrait le consulat des<br />

sénateurs, ce qui devenait critique pour sa sécurité <strong>au</strong> vu de l’arrivée prochaine de Brutus, où<br />

il s’emparerait du pouvoir par la force. Il envoya une députation de 400 soldats <strong>au</strong> Sénat<br />

demander le consulat pour leur général et le payement des sommes qui leur étaient dues sans<br />

quoi ils refuseraient de se battre contre d’<strong>au</strong>tres anciennes unités du dictateur. Comme à leur<br />

habitude les sénateurs répondirent vaguement et dilatoirement. Alors –l’épisode est resté<br />

célèbre et rappel celui du début de la première guerre civile- un centurion tira son épée et dit :<br />

« Si vous ne le faites pas consul, celle-ci le fera 3 ». Voyant que les Pères n’avaient pas<br />

compris qu’il fallait, pour s<strong>au</strong>ver la République et récupérer la force, céder cette fois à celleci<br />

; Cicéron adressa <strong>au</strong> centurion une ultime boutade prophétique, lointain échos <strong>au</strong> "alea<br />

jacta est" de César franchissant le Rubicon : « Si vous présentez votre demande de cette<br />

manière, vous obtiendrez satisfaction 4 ». Les soldats revinrent début août en G<strong>au</strong>le cisalpine<br />

et racontèrent à Octave l’issue de l’entretien. <strong>Auguste</strong> s’entendit alors avec Antoine et Lépide<br />

et, franchissant la même petite rivière qui avait plongé l’Empire dans la guerre civile quelques<br />

six ans <strong>au</strong>paravant, marcha sur Rome. Un unique mot d’ordre pouvait réunir les trois<br />

hommes : venger César !<br />

1 Grimal s’est également penché sur la question et selon lui le jeune César avait be<strong>au</strong>coup d’intérêt à être<br />

consulaire dans une cité redevenue libre et à se donner une situation légale pour réaliser ses ambitions de<br />

pouvoir.<br />

2 Plutarque, Vie de Cicéron, XLV.<br />

3 Appien, La guerre civile, III, 88.<br />

4 Ibidem, III, 88.<br />

96


Cicéron contre les triumvirs<br />

Le second triumvirat était, officieusement, formé. L’Occident échappait <strong>au</strong> Sénat. Désormais<br />

la République reposait entre les mains des assassins de César qui avaient l’Orient sous leur<br />

égide. Mais pourraient-ils vaincre face <strong>au</strong>x meilleures armées commandées par des chefs<br />

ambitieux et expérimentés ? Quoi qu’il en fût la stratégie de l’orateur avait échoué, il était dès<br />

lors en danger de mort.<br />

La mort de Cicéron<br />

L’Arpinate ne fut pas présent lorsque, le 9 août, la toge et la loi se plièrent en quatre devant<br />

l’arrivée des armes 1 . Octave fut élu consul avec pour collègue son cousin Q. Pedius. Avant<br />

même l’arrivée du jeune César dans la Ville, les sénateurs avaient capitulé et envoyé à<br />

<strong>Auguste</strong> la somme requise <strong>au</strong> payement de ses troupes. Il y eut bien une dernière tentative de<br />

résistance menée par Cicéron, accablé d’avoir été trahi par celui qu’il considérait comme son<br />

disciple même s’il avait été conscient des risques qu’il avait pris en lui apportant son aide.<br />

Mais f<strong>au</strong>te de soutien de la population, de l’immense chaos qui régnait dans la Cité, chacun<br />

mettant en sûreté ce qu’il avait de plus cher, et d’une quelconque utilité de cette dernière<br />

bravade, elle échoua 2 . Le titre d’ennemi public fut retiré des noms d’Antoine et de Lépide.<br />

Plancus et Pollion se rallièrent <strong>au</strong>x maîtres de l’Occident. Décimius Brutus, en tentant de<br />

rejoindre Brutus et Cassius, fut capturé par le chef barbare Camilius qui, sur l’ordre<br />

d’Antoine, l’exécuta et envoya sa tête à la Métropole où elle fut exposée sur les Rostres. Le<br />

meurtre de Dolabella fut légalisé. On distribua les sommes que César avait léguées <strong>au</strong>x<br />

citoyens et dont le paiement avait, jusqu’alors, été différé. Enfin on constitua un tribunal<br />

d’exception chargé de juger « et de condamner » tous ceux ayant participé, matériellement<br />

comme superficiellement, <strong>au</strong> meurtre de César. Quant à <strong>Auguste</strong>, il entra dans Rome en<br />

vainqueur et son adoption fut formellement acceptée par les sénateurs. Il devenait de fait le<br />

membre le plus important des Julii et obtenait le patronat sur tous les nombreux affranchis de<br />

son grand-oncle. C’était un acte stratégique <strong>au</strong>tant que symbolique, image d’une lignée ayant<br />

débuté avec Anchise et Vénus et atteignant son apogée avec le nouve<strong>au</strong> maître de Rome.<br />

Déjà, Octave appuyait sa supériorité sur ses deux alliés.<br />

L’orateur comprit alors que le combat était irrémédiablement perdu. La dernière chance de<br />

rétablissement de l’ancien régime résidait en Brutus et Cassius mais un succès rapide et sans<br />

tache était désormais exclu. Dès le début, Cicéron avait présenté son combat comme une lutte<br />

à mort. C’était la victoire ou la disparition de la République. L’Arpinate avait eu raison. Il<br />

s’en ouvrit à Brutus dans une de ses dernières lettres. « Car il n’y a eu <strong>au</strong>cune guerre civile,<br />

dans notre République, parmi toutes celles qui ont eu lieu de mon temps, dans laquelle ne dût<br />

survivre, quel que fût le camp vainqueur, une certaine forme de République : dans cette<br />

guerre-ci, il n’est pas facile de dire avec certitude quelle forme de République nous <strong>au</strong>rons si<br />

nous sommes vainqueurs, il n’y en <strong>au</strong>ra jamais <strong>au</strong>cune, c’est certain, si nous sommes<br />

vaincus. 3 »<br />

Cependant Octave restait « officiellement » l’ennemi d’Antoine et de Lépide. Il marcha donc,<br />

avec des troupes, vers le nord à leur rencontre. Ils se rencontrèrent non loin de Bologne. Ce<br />

fut là, sur une petite île dans le cours du Reno que fut officiellement constitué le second<br />

triumvirat ainsi que son programme politique.<br />

1 Comme elles devaient souvent le faire dans le futur. La majorité des empereurs furent mis <strong>au</strong> pouvoir par les<br />

soldats. Il arriva même que le pouvoir impérial fût mis <strong>au</strong>x enchères par l’armée.<br />

2 Nicolet et Michel citent une rumeur selon laquelle Octave <strong>au</strong>rait rit <strong>au</strong> nez de Cicéron quand celui-ci vint<br />

devant lui plaider sa c<strong>au</strong>se. Il s’agit sans doute d’une invention car le jeune César respectait le vieil orateur.<br />

3 Cicéron, Correspondance, XI, DCCCCXXXIII à Brutus, 10.<br />

97


Cicéron contre les triumvirs<br />

Ce dernier était plus rude encore que celui établit à Lucques quelques dix-sept années plus tôt.<br />

Contrairement à leurs prédécesseurs, les nouve<strong>au</strong>x triumvirs n’avaient que faire du respect, en<br />

apparence, de la légalité. Le triumvirat deviendrait une institution avec pour charge de diriger<br />

la Ville. La chose la plus urgente était d’éliminer tous ceux qui pouvaient encore s’opposer à<br />

leur pouvoir. Une première liste de douze noms 1 fut formulée. En h<strong>au</strong>t de celle-ci trônait un<br />

nom : Marcus Tullius Cicéron. La liste finale comprit deux cents noms de citoyens<br />

condamnés d’office à la peine capitale. Cependant Octave, qui avait jusqu’alors protégé<br />

l’Arpinate, ne laissa pas Antoine si facilement condamner celui que, malgré sa trahison, il<br />

continuait de regarder comme un exemple pour tout Romain, un maître, celui qui l’avait hissé<br />

<strong>au</strong> sommet, presque un parent proche. « La proscription de Cicéron donna lieu à la plus vive<br />

dispute. Antoine ne voulait se prêter à <strong>au</strong>cun accommodement, que Cicéron n'eût péri le<br />

premier. Lépide appuyait sa demande, et César résistait à l'un et à l'<strong>au</strong>tre. Ils passèrent trois<br />

jours, près de la ville de Bologne, dans des conférences secrètes, et s'abouchaient dans un<br />

endroit entouré d'une rivière qui séparait les deux camps. César fit, dit-on, les deux premiers<br />

jours, la plus vive défense pour s<strong>au</strong>ver Cicéron ; mais enfin il céda le troisième jour, et<br />

l'abandonna. Ils obtinrent chacun, par des sacrifices respectifs, ce qu'ils désiraient : César<br />

sacrifia Cicéron ; Lépide, son propre frère P<strong>au</strong>lus ; et Antoine, son oncle maternel Lucius<br />

César : tant la colère et la rage, étouffant en eux tout sentiment d'humanité, prouvèrent qu'il<br />

n'est point d'animal féroce plus cruel que l'homme, quand il a le pouvoir d'assouvir sa<br />

passion ! 2 » Encore une fois <strong>Auguste</strong> s’était distingué de ses nouve<strong>au</strong>x alliés en étant le seul à<br />

honorer le respect, romain et humain, dû à un homme tel Cicéron. Il eut l’usage du respect de<br />

cette piété « filiale » quand ses « amis » du jour devinrent, quelques années plus tard, ses<br />

ennemis 3 .<br />

Le 27 novembre 43, jour où fut donnés <strong>au</strong>x triumvirs des pouvoirs constituants pour une<br />

durée de cinq ans, Cicéron se trouvait à Tusculum avec son frère et son neveu. Apprenant que<br />

leurs noms figuraient sur les listes de proscrits que Pedius avait affichées sur le forum sans<br />

l’accord d’Octave 4 , ils comprirent que tout était perdu et qu’ils devaient fuir en Orient. Ils se<br />

mirent en route vers la villa d’Astura où la résistance était plus facile et d’où on pouvait<br />

facilement s’échapper en navire. Quintus fit cependant remarquer à son frère qu’il n’avait<br />

<strong>au</strong>cun bagage et fit donc marche arrière vers Arpinum promettant de rejoindre son frère <strong>au</strong><br />

plus vite. Ils ne devaient jamais se revoir. « Cette résolution prise, ils s'embrassèrent<br />

tendrement, et se séparèrent en fondant en larmes. Peu de jours après, Quintus, trahi par ses<br />

domestiques, et livré à ceux qui le cherchaient, fut mis à mort avec son fils. 5 »<br />

Cicéron arriva à Astura où un navire l’attendait. Il prit immédiatement la mer et fit voile vers<br />

la Grèce. Mais l’orateur changea subitement d’avis et abordant le rivage, rentra à pied à<br />

Astura. Il prit la décision de rentrer à Rome, sans doute pour mourir en public et ainsi montrer<br />

<strong>au</strong>x citoyens de quoi était capable les successeurs de César. Mais soit qu’il ne fût pas certain<br />

d’y parvenir, soit qu’il hésitât encore à rejoindre Brutus, il rentra finalement dans sa villa. Le<br />

lendemain, il embarqua à nouve<strong>au</strong> et se dirigea vers sa propriété de Gaète où il avait choisi de<br />

passer la nuit.<br />

1 Appien hésite entre 12 et 17 noms sur la première liste.<br />

2 Plutarque, Vie de Cicéron, XLVI.<br />

3 Suétone est cependant be<strong>au</strong>coup plus acerbe avec le jeune César. Suétone, Vie des douze Césars, <strong>Auguste</strong>, XII.<br />

4 Peut-être parce qu’Octave comptait laisser une chance à Cicéron de s’échapper en le prévenant avant que les<br />

assassins fussent en route. Quoi qu’il en soit l’initiative de Pedius coupa court à cette solution, une fois Cicéron<br />

officiellement proscrit <strong>Auguste</strong> ne pouvait plus rien faire sans briser l’accord avec ses nouve<strong>au</strong>x alliés.<br />

5 Plutarque, Vie de Cicéron, XLVII.<br />

98


Cicéron contre les triumvirs<br />

« Il y a, dans ce lieu, un temple d'Apollon, situé près de la mer. Tout à coup il sortit de ce<br />

temple une troupe de corbe<strong>au</strong>x, qui, s'élevant dans les airs avec de grands cris, dirigèrent<br />

leur vol vers le vaisse<strong>au</strong> de Cicéron, comme il était près d'aborder, et allèrent se poser <strong>au</strong>x<br />

deux côtés de l'antenne. Les uns croassaient avec grand bruit, les <strong>au</strong>tres frappaient à coups<br />

de bec sur les cordages. Tout le monde regarda ce signe comme très menaçant. Cicéron,<br />

après être débarqué, entra dans sa maison, et se coucha pour prendre du repos : mais la<br />

plupart de ces corbe<strong>au</strong>x, étant venus se poser sur la fenêtre de sa chambre, jetaient des cris<br />

effrayants. Il y en eut un qui, volant sur son lit, retira avec son bec le pan de la robe dont<br />

Cicéron s'était couvert le visage. À cette vue, ses domestiques se reprochèrent leur lâcheté.<br />

"Attendrons-nous, disaient-ils, d'être ici les témoins du meurtre de notre maître ? Et lorsque<br />

des anim<strong>au</strong>x mêmes, touchés du sort indigne qu'il éprouve, viennent à son secours, et veillent<br />

<strong>au</strong> soin de ses jours, ne ferons-nous rien pour sa conservation ?" En disant ces mots, ils le<br />

mettent dans une litière, <strong>au</strong>tant par prières que par force, et prennent le chemin de la mer. 1 »<br />

« Ils étaient à peine sortis, que les meurtriers arrivèrent : c'était un centurion nommé<br />

Hérennius, et Popilius, tribun de soldats, celui que Cicéron avait <strong>au</strong>trefois défendu dans une<br />

accusation de parricide. Ils étaient suivis de quelques satellites. Ayant trouvé les portes<br />

fermées, ils les enfoncèrent. Cicéron ne paraissant pas, et toutes les personnes de la maison<br />

assurant qu'elles ne l'avaient point vu, un jeune homme, nommé Philologus, que Cicéron<br />

avait lui-même instruit dans les lettres et dans les sciences, et qui était affranchi de son frère<br />

Quintus, dit <strong>au</strong> tribun qu'on portait la litière vers la mer, par des allées couvertes. Popilius,<br />

avec quelques soldats, prend un détour, et va l'attendre à l'issue des allées. Cicéron ayant<br />

entendu la troupe que menait Hérennius courir précipitamment dans les allées, fit poser à<br />

terre sa litière : et portant la main g<strong>au</strong>che à son menton, geste qui lui était ordinaire, il<br />

regarda les meurtriers d'un oeil fixe. Ses cheveux hérissés et poudreux, son visage pâle et<br />

défait par une suite de ses chagrins, firent peine à la plupart des soldats mêmes, qui se<br />

couvrirent le visage pendant qu'Hérennius l'égorgeait : il avait mis la tête hors de la litière, et<br />

présenté la gorge <strong>au</strong> meurtrier ; il était âgé de soixante-quatre ans. Hérennius, d'après<br />

l'ordre qu'avait donné Antoine, lui coupa la tête, et les mains avec lesquelles il avait écrit les<br />

Philippiques.<br />

Lorsque cette tête et ces mains furent portées à Rome, Antoine, qui tenait les comices pour<br />

l'élection des magistrats, dit tout h<strong>au</strong>t en les voyant : "Voilà les proscriptions finies." Il les fit<br />

attacher à l'endroit de la tribune qu'on appelle les rostres : spectacle horrible pour les<br />

Romains, qui croyaient avoir devant les yeux, non le visage de Cicéron, mais l'image même<br />

de l'âme d'Antoine. 2 »<br />

On dit que le traître Philologus fut livré à la femme de Quintus, Pomponia et qu’elle le punit<br />

d’une manière exemplaire pour la mort de son mari et de son be<strong>au</strong>-frère. Mais il est également<br />

possible que l’histoire du traître soit une invention, Tiron lui-même n’en ayant, après<br />

l’assassinat, jamais parlé.<br />

1 Ibidem, XLVII.<br />

2 Ibidem, XLVIII / XLIX.<br />

99


Cicéron contre les triumvirs<br />

« J'ai entendu dire que, plusieurs années après, César étant un jour entré dans l'appartement<br />

d'un de ses neveux, ce jeune homme, qui tenait dans ses mains un ouvrage de Cicéron, surpris<br />

de voir son oncle, cacha le livre sous sa robe. César, qui s'en aperçut, prit le livre, en lut<br />

debout une grande partie, et le rendit à ce jeune homme, en lui disant : "C'était un savant<br />

homme, mon fils ; oui, un savant homme, et qui aimait bien sa patrie." César, ayant bientôt<br />

après entièrement défait Antoine, prit pour collègue <strong>au</strong> consulat le fils de Cicéron 1 . Ce fut<br />

cette même année que, par ordre du Sénat, les statues d'Antoine furent abattues, les honneurs<br />

dont il avait joui révoqués ; et il fut défendu, par un décret public, que personne de cette<br />

famille portât le prénom de Marcus. C'est ainsi que la vengeance divine réserva à la famille<br />

de Cicéron la dernière punition d'Antoine. 2 »<br />

1 En 35 après JC.<br />

2 Plutarque, Vie de Cicéron, XLIX.<br />

100


Cicéron contre les triumvirs<br />

8. Conclusion<br />

L’Héritage de l’Histoire<br />

Moins de deux ans après la mort de l’orateur, Brutus et Cassius furent vaincus par les<br />

triumvirs à la bataille de Philippes où ils perdirent la vie. Avec eux moururent les derniers<br />

espoirs de rétablissement de l’ancien régime. L’histoire fut une dernière fois cruelle avec les<br />

républicains car, alors que la victoire était à portée de main, Cassius, voyant marcher dans sa<br />

direction de nombreuses troupes et certain qu’il s’agissaient de l’armée d’Octave ayant défait<br />

son allié, se jeta sur son épée. Octave… c’était Brutus ! Il venait annoncer sa victoire à son<br />

ami et il ne put que lui remettre les honneurs funèbres. Resté seul, il ne put résister à un<br />

second ass<strong>au</strong>t des triumvirs.<br />

Moins de onze ans après ces événements, Antoine et sa maîtresse Cléopâtre furent vaincus par<br />

l’armée d’Octave dirigée par son fidèle lieutenant Agrippa. Quatre années plus tard, le jeune<br />

César recevait le titre d’<strong>Auguste</strong> et avec lui, l’Empire. Ce qui fut ne peut être changé. Il est<br />

néanmoins légitime de s’interroger sur le destin de l’Etat de droit car bien souvent une<br />

compréhension adéquate de l’histoire aide à appréhender le présent et à protéger l’avenir.<br />

La République pouvait-elle être s<strong>au</strong>vée ? A cette interrogation que l’on devine être<br />

indissociable du I er siècle av. JC. , il n’existe <strong>au</strong>cune réponse exacte. Encore une fois je laisse<br />

le lecteur seul juge en espérant lui avoir donné tous les éléments lui permettant de statuer sur<br />

la question. Les historiens, cependant, s’accordent pour la plupart sur l’inexorabilité de la<br />

chute. « L’Empire de Rome était trop vaste pour que l’on pût confier sans danger d’immenses<br />

provinces et des armées puissantes à un homme qui devait ensuite… rentrer dans le rang,<br />

satisfait d’une gloire qui déjà s’éloignait dans le passé. C’était une <strong>au</strong>tre Rome qui naissait,<br />

celle où le pouvoir appartiendrait à un seul qui assurerait la paix. 1 » Ce sont les conquêtes<br />

même de Rome, le fait qu’elle n’ait jamais plus eu d’adversaire de son envergure après la<br />

chute de Carthage qui firent passer le pouvoir des mains des –riches– citoyens à celles d’un<br />

seul César. Nombreux sont les assassins de la République. Bien sûr il y a ceux que l’on<br />

désigne toujours comme responsables, les ambitieux qui furent élevés <strong>au</strong> sein de la Cité et qui<br />

tentèrent de dévorer la Ville <strong>au</strong>x sept collines avec l’aide de leurs troupes qui, de tout temps,<br />

comme toutes les armées professionnelles du monde, préfèrent les bénéfices à la liberté. Mais<br />

jamais ils n’<strong>au</strong>raient réussi sans la lâcheté et l’arrogance du Sénat, l’égoïsme de la plupart des<br />

citoyens, et les trahisons des hommes chargés de la protection de la Métropole. « Nous<br />

assistons <strong>au</strong> mécanisme implacable d’une révolution militaire, s’organisant contre la<br />

faiblesse même du pouvoir civil...Les chefs militaires se soucient peu des honneurs que leur<br />

décerne la faiblesse. Ils savent que la force leur appartient et s’entendent entre eux, puisque<br />

les civils, dont Cicéron est le porte-parole, n’ont pas su faire union. 2 » Ce sont leurs erreurs<br />

qui firent chuter l’Etat. Il n’est pas étonnant que tous eussent été soulagés lorsque <strong>Auguste</strong> mit<br />

fin à la dernière guerre civile et rétablit la paix en confisquant la liberté.<br />

1 Grimal, Cicéron, p. 309.<br />

2 Nicolet et Michel, Cicéron, p. 101.<br />

101


Cicéron contre les triumvirs<br />

Oui ! Il est juste de parler de confiscation. On peut atténuer le choc en argumentant que la<br />

République n’était pas un véritable Etat démocratique, que la plupart des pouvoirs étaient<br />

l’apanage d’une frange réduite de la population. Cela je ne le nie pas. Mais il est injuste de<br />

prétendre que la politique était alors uniquement aristocratique. La liberté d’expression<br />

existait, ce qui ne fut pas le cas sous le règne de la majorité des princes, et Cicéron n’avait pas<br />

tort quand il disait que la République était basée à la fois sur la monarchie, sur l’aristocratie et<br />

sur la démocratie. Ce fut l’union de leurs avantages qui la porta <strong>au</strong> sommet et l’alliance de<br />

leurs déf<strong>au</strong>ts qui la condamna. Car, l’histoire nous l’a prouvé, même cette forme de<br />

gouvernement n’est pas protégée des attaques des ambitieux. La République romaine résista<br />

450 ans jusqu’à que ses propres composants la détruisent.<br />

On sacrifia la liberté pour la paix, la sécurité et le profit. Comportement humain qui, de tous,<br />

est le plus honteux et méprisable. Mieux v<strong>au</strong>t mourir libre que vivre sans pouvoir s’exprimer.<br />

Ce fut la voie que choisirent Cicéron, Caton ou Brutus. Et de toutes les morts celles-ci furent<br />

les plus honorables. Il serait inique de dire que la République s’effondra d’elle-même sans<br />

résistance. Pour elle, des hommes combattirent. Pour elle, des hommes défièrent la force.<br />

Pour elle, des hommes furent traînés dans la boue. Pour elle, des hommes tombèrent en<br />

poussière…<br />

Mais valait-il la peine de s<strong>au</strong>ver l’Etat, s’il ne pouvait être secouru qu’en bafouant ses lois et<br />

en trahissant ses mœurs ? Cicéron le dit explicitement dans son de officiis : seul un acte juste<br />

d’un point de vue moral est utile. Encore une fois l’orateur avait raison. Et pourtant il ne suivit<br />

pas sa propre pensée et permit <strong>au</strong> jeune César d’accéder <strong>au</strong> plus grand pouvoir pour défendre<br />

l’Etat. Le destin fit qu’il en mourut. Si votre chemin vous mène un jour à croiser quelqu’un<br />

qui affirme que « la fin justifie les moyens », rappelez-lui comment finit la République<br />

romaine. Dites-lui comment Octave devint <strong>Auguste</strong> et comment le bras armé qui défendait<br />

l’Etat se retourna contre lui et lui trancha la tête.<br />

Il est particulièrement piquant de constater que nombre de caractéristiques de cette époque, en<br />

bien comme en mal, se retrouvent <strong>au</strong>jourd’hui chez les plus grandes puissances. On dit que les<br />

idées ne meurent jamais ; l’idée républicaine, dans sa version romaine du moins, n’échappe<br />

pas à cette règle. Plus de 1700 ans plus tard, un Etat de droit fut créé qui reprit à peu près le<br />

concept des institutions romaines. Les consuls furent remplacés par un président et l’on ajouta<br />

<strong>au</strong> Sénat une chambre du peuple plus représentative de la population réelle. Mais dans<br />

l’ensemble les ressemblances sont frappantes. Tout comme Rome, les Etat-Unis d’Amérique<br />

montèrent lentement en puissance pour venir finalement se frotter à un adversaire de leur<br />

calibre. Tout comme Rome, ils eurent à lutter pour la domination du monde connu et<br />

l’emportèrent. Au temps de la République romaine, les lois résistèrent 150 ans 3 avant que les<br />

affrontements entre sénateurs, l’individualisme du peuple et l’incompétence des dirigeants<br />

exécutifs en vinssent à bout. Combien de temps encore avant que les Etats-Unis d’Amérique<br />

ne soient vaincus par les mêmes m<strong>au</strong>x : militaires trop puissants, droits élémentaires bafoués,<br />

non respect des lois ? La question est plus que jamais d’actualité.<br />

3 Ou 200 ans suivant que l’on prend la fin théorique de la puissance punique ou sa fin dans les faits.<br />

102


Cicéron contre les triumvirs<br />

Pour conclure, j’aimerais dire encore une fois combien j’ai aimé réaliser ce travail. Plus<br />

qu’une simple compilation de savoirs, cette recherche m’a permis d’acquérir des<br />

connaissances que je qualifierais d’honnêtes sur cette période troublée de l’histoire romaine,<br />

mais également sur l’usage des sources et leur recherche, sur la composition d’un travail<br />

d’une certaine ampleur. J’aimerais également exprimer ma reconnaissance par-dessus les<br />

siècles <strong>au</strong>x historiens antiques, qui, plus que les sources modernes, m’ont réellement fait<br />

ressentir l’intensité de l’époque et les sentiments de ses acteurs. Merci donc à Plutarque,<br />

César, Appien, Lucain, Suétone, Dion Cassius et bien entendu Cicéron dont la qualité des<br />

écrits atteint bien celle en vigueur de nos jours !<br />

Quelqu’un a écrit un jour qu’il ne viendrait à l’idée d’<strong>au</strong>cun adolescent de prendre Cicéron<br />

pour modèle 4 . Pour ma part, après la rédaction de ce travail, je considère qu’il n’y a rien de<br />

moins certain…<br />

4 Mourier, Cicéron l’avocat de la République, p. 11.<br />

103


Terentia / Publilia<br />

Marcus Tullius<br />

Cicéron<br />

Helvia<br />

Pison / Furius / Dolabella<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Annexe N°1<br />

Composition de la famille de Cicéron<br />

Marcus Tullius<br />

Cicéron<br />

Marcus Tullius<br />

Cicéron<br />

Marcus Tullius<br />

Cicéron<br />

Tullia<br />

Pomponia<br />

Lucius Tullius<br />

Cicéron<br />

Lucius Tullius<br />

Cicéron<br />

Inconnu / Inconnu (Tous<br />

deux sont morts jeunes)<br />

Quintus Tullius<br />

Quintus Tullius<br />

104


Cicéron contre les triumvirs<br />

Annexe N°2<br />

La politique romaine <strong>au</strong> 1 er siècle avant JC.<br />

Afin que le maximum de personnes puisse lire ce travail, j’ai jugé adéquat de rédiger une<br />

petite explication sur le fonctionnement de la République <strong>au</strong> 1 er siècle avant JC. J’ai tâché de<br />

simplifier le plus possible les rouages complexes de la politique à cette époque, tout en<br />

conservant la matière permettant de comprendre les termes que j’ai utilisés dans les chapitres<br />

princip<strong>au</strong>x. S<strong>au</strong>f précision contraire, les in<strong>format</strong>ions, par exemple les âges limites, sont ceux<br />

en valeur <strong>au</strong> I er siècle avant JC.<br />

Le fonctionnement des magistratures, le cursus honorum<br />

Afin d’être certains que seuls les meilleurs d’entre tous les citoyens recevraient le pouvoir de<br />

diriger la République, les Romains mirent <strong>au</strong> point, lors des premières années de l’Etat<br />

démocratique, un système permettant de faire le tri et de calmer les ardeurs des jeunes<br />

ambitieux tout en leur laissant la possibilité de s’améliorer. Défini très tôt, il ne fut formalisé<br />

qu’en 180 avant JC. S’il n’était, <strong>au</strong> début, pas obligatoire de franchir les étapes une à une, cela<br />

devint vite une obligation de principe puis, <strong>au</strong> I er siècle, une obligation tout court. Le schéma<br />

du cursus romain qui prévalait pour l’ensemble de l’Etat s’appliquait également, <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> de<br />

la ville, pour les colonies romaines et les municipes de droit romain. Chaque magistrat est élu<br />

pour une année, on peut cependant être élu plusieurs fois consul par exemple mais pas pour<br />

deux années de suite, ceci afin d’éviter une prise de pouvoir dictatoriale.<br />

Les étapes du cursus<br />

Je tiens à souligner que nombre des in<strong>format</strong>ions sur ce sujet viennent de Wikipédia, les articles étant<br />

relativement <strong>complet</strong>s, il ne m’a pas semblé utile de réécrire certains passages. J’ai cependant introduits de<br />

nombreuses corrections et souvent composé moi-même les explications quand cela s’imposait. Les in<strong>format</strong>ions<br />

directement tirées de http://fr.wikipedia.org/wiki/Cursus_honorum sont en italique.<br />

A l’époque de Cicéron il était presque obligatoire d’avoir fait avant tout un séjour à l’armée.<br />

Ensuite on pouvait commencer à gravir les échelons. Théoriquement il fallait avoir fait dix<br />

ans dans l’infanterie ou six ans dans la cavalerie pour pouvoir passer à l’étape suivante.<br />

La questure<br />

Les questeurs sont les magistrats romains chargés des finances ; <strong>au</strong> début leur nombre était de<br />

2 puis passa à 4 en -267 à 20 sous Sylla et à 40 sous César étant donné la croissance de<br />

l’Empire L’âge minimal pour briguer la préture est de 30 ans. On distingue trois sortes de<br />

questeurs :<br />

• Les questeurs urbains dit <strong>au</strong>ssi questeurs de l’<strong>au</strong>tel de Saturne <strong>au</strong> nombre de deux, qui<br />

ont la charge du trésor de l’Etat déposé <strong>au</strong> temple de Saturne sur le Forum.<br />

• Les questeurs de la flotte <strong>au</strong> nombre de quatre, qui sont chargés semble-t-il de la<br />

perception de la douane et de l’impôt dans les quatre villes où ils résident : Ostie,<br />

Calès, Ariminium et Lilybée.<br />

• Les questeurs ordinaires, dépendant des magistrats supérieurs pour l’administration<br />

financière hors de Rome, celle des armées et des provinces. Chaque armée en dehors<br />

de Rome comporte ainsi un questeur qui fait office de trésorier-payeur général.<br />

105


L’édilité<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

L’édilité est la seconde magistrature du cursus. Les édiles furent créés en -494 en même tant<br />

que les tribuns de la plèbe. Ils sont chargés de la gestion du domaine publique, de<br />

l’organisation des jeux à leur frais, c’était sans doute la magistrature la plus ruineuse. Petit à<br />

petit le fait de donner les jeux va devenir l’unique rôle des édiles. Leur fonction traditionnelle<br />

était déjà bien consommée à l’époque de Cicéron.<br />

Les deux édiles s'occupent des bâtiments sacrés et privés : entretien des temples, surveillance<br />

des édifices privés en ruines ou se dégradant. Ils supervisent l'approvisionnement en e<strong>au</strong> de la<br />

ville ainsi que les égouts ; ils doivent <strong>au</strong>ssi veiller à l'entretien des routes et à leur pavement.<br />

Les édiles contrôlent l'utilisation des terres publiques et ils peuvent infliger des amendes à<br />

des personnes utilisant illégalement des pâturages de l'État. Ils sont <strong>au</strong>ssi responsables de la<br />

surveillance des marchés, des produits exposés à la vente ainsi que des poids et mesures<br />

utilisés. Ils ont enfin la charge du maintien de la paix publique, de la décence, de l’inspection<br />

des bains, des maisons closes ou des lieux de divertissement.<br />

Les édiles sont <strong>au</strong> nombre de 4, deux plébéiens, deux patriciens. César introduira deux<br />

nouve<strong>au</strong>x édiles chargés spécifiquement de la distribution de blé à Rome. L’âge requis pour<br />

briguer l’édilité est de 37 ans.<br />

La préture<br />

Les préteurs sont les magistrats chargés de la justice. Le nombre de préteurs passa de 1 à 2<br />

puis à 8 sous Sylla et enfin à 16 sous César. Les préteurs sont chargés de la direction de<br />

l’Empire romain en cas d’indisposition des consuls, on parle alors de préture consulaire.<br />

L’âge minimal pour briguer la préture est de 40 ans.<br />

La propréture<br />

Les préteurs ont la possibilité, après leur année de fonction, de se proposer pour gouverner<br />

une province. Quand le propréteur était désigné, il partait gouverner et cela jusqu’à son<br />

rappel. On était théoriquement envoyé pour un an mais nombre de gouverneurs gardaient<br />

leurs fonctions plus longtemps. La propréture n’était pas une étape obligatoire mais très peu<br />

de politiciens la refusaient car elle permettait de se refaire une santé financière après les<br />

dépenses consenties pour grimper les échelons du pouvoir et organiser les jeux lors de<br />

l’édilité.<br />

Le consulat<br />

Les consuls, <strong>au</strong> nombre de deux, sont chargés de la direction de la République. Ils possèdent<br />

de fait durant une année des pouvoirs quasi roy<strong>au</strong>x. Ils sont également les commandants<br />

suprêmes de l’armée. Les consuls conduisent les élections et convoquent le Sénat. Seuls les<br />

tribuns de la plèbes échappent à leur pouvoir. L’ensemble de leur pouvoir s’appelle<br />

l’imperium. L’âge minimal requis est de 43 ans.<br />

Si la République était en danger, le Sénat avait le pouvoir de confier le senatus consultum<br />

ultimum, qui conférait <strong>au</strong>x consuls les pleins pouvoirs pour un temps limité.<br />

106


Le proconsulat<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Le proconsulat est une magistrature qui est presque exactement la même que la propréture.<br />

Excepté le fait qu’un proconsul avait une plus forte <strong>au</strong>torité morale et que deux provinces,<br />

l’Afrique et l’Asie, ne pouvaient, de par leur importance, être confiées qu’à des proconsuls.<br />

Magistratures spéciales<br />

Tribunat de la plèbe<br />

Les tribuns de la plèbe sont <strong>au</strong> nombre de dix. Charge en théorie moins honorifique, un tribun<br />

ne possède pas de licteur garde du corps et ne peut prendre les <strong>au</strong>spices. Le tribunat est en fait<br />

la fonction la plus puissante après la charge de consul. Il f<strong>au</strong>t obligatoirement être plébéien<br />

pour devenir tribun. Les tribuns sont intouchables et inviolables. Le pouvoir des tribuns est<br />

confiné à la Ville de Rome.<br />

Le tribun existe pour venir en aide à la plèbe, c'est l'<strong>au</strong>xilium. Il le fait en portant secours à<br />

un plébéien en particulier, objet d'une action légale contre sa personne ou contre ses biens,<br />

de la part d'un magistrat doté de l'imperium ; ce citoyen peut faire appel directement à la<br />

protection du tribun par l'expression tribunos appello. Le tribun peut alors faire jouer son<br />

pouvoir d'intercessio.<br />

Le tribun porte également assistance à la plèbe dans son ensemble, en utilisant de manière<br />

plus large l'intercessio. Lorsqu'il juge qu'une action d'un magistrat en exercice, quelle qu'elle<br />

soit, menace les intérêts de la plèbe, il s'y oppose grâce à son droit de veto et la suspend,<br />

l'empêchant de convoquer une assemblée, de procéder à une élection, ou <strong>au</strong> vote d'une loi, ou<br />

même d'interroger le Sénat. Le dispositif législatif est ainsi bloqué à sa source même.<br />

Les tribuns peuvent également convoquer le Sénat et rendre justice. Seul le pouvoir d’un<br />

tribun peut s’opposer à celui d’un <strong>au</strong>tre tribun.<br />

La Censure<br />

Les censeurs sont les magistrats chargés du recensement. Ils sont élus parmi les anciens<br />

consuls pour 5 ans. À ce titre ils sont chargés de mettre à jour l'album, c'est-à-dire le registre<br />

des personnes admises <strong>au</strong> Sénat. Leur fonction les amène également à surveiller les mœurs. À<br />

cet effet, ils détiennent la cura morum qui leur permet de rayer de l’album sénatorial les<br />

sénateurs indignes, mais <strong>au</strong>ssi de flétrir publiquement la réputation d’une personne par la<br />

nota censoria. Ils sont également chargés de la répartition de la population dans les différentes<br />

classes pour les comices.<br />

C’est de là que vient le verbe « censurer » en français, soit un contrôle des mœurs. Les<br />

censeurs sont <strong>au</strong> nombre de deux, un plébéien et un patricien.<br />

107


La dictature<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

La dictature est une magistrature d’exception. En cas de troubles, les magistrats, sur<br />

proposition d’un consul, peuvent choisir parmi les citoyens, souvent les anciens consulaires,<br />

un dictateur qui bénéficiera durant 6 mois de pouvoirs absolus sur la République pour<br />

résoudre la crise. Seuls les tribuns de la plèbe échappent à son emprise.<br />

Le dictateur désigne un maître de cavalerie pour le seconder dans sa tâche. César avait par<br />

exemple Marc Antoine pour maître de cavalerie. La dictature ne pouvait être exercée par le<br />

même homme qu’une seule et unique fois et ne pouvait être prolongée.<br />

Le système électoral<br />

Schéma du fonctionnement du système romain<br />

Les comices centuriates<br />

Les comices centuriates sont les assemblées de citoyens romains chargées d’élire les préteurs,<br />

les consuls et les censeurs. Elles répartissaient également les citoyens dans les différents types<br />

d’armes avant la réforme de Marius. Les comices centuriates fonctionnent selon un système<br />

très arbitraire. Chaque classe de citoyens possède un certain nombre de voix selon ses<br />

revenus, sa fortune et ses aptitudes militaires. Ainsi sur 193 voix, 80 sont échues <strong>au</strong>x plus<br />

riches, évidemment les patriciens, 18 <strong>au</strong>x chevaliers -pour faire simple les bourgeois- 60 à la<br />

classe moyenne, 30 <strong>au</strong>x p<strong>au</strong>vres, et 5 <strong>au</strong>x artisans, artistes et prolétaires qui étaient cependant<br />

dispensés de service militaire.<br />

Autant dire qu’avec une majorité à 97 voix le système était inégal à sa base. En effet, un vote<br />

commun des patriciens et des chevaliers suffisait à remporter les élections. Bien évidemment<br />

le vote se fait des plus riches <strong>au</strong>x plus p<strong>au</strong>vres. Les plus démunis des citoyens ne votaient<br />

donc pratiquement jamais.<br />

108


Les comices tributes<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Les comices tributes suivent un fonctionnement différent des comices centuriates. Elles sont<br />

organisées selon les « tribus », séparation géographique de la population. Elles sont <strong>au</strong><br />

nombre de 35, chaque vote d’une tribu compte pour 1 voix. Dans les tribus les votes sont<br />

comptabilisés à l’unité. Cette forme, en théorie plus démocratique que la précédentes était<br />

utilisée pour voter les lois et élire les questeurs, les édiles ainsi que les tribuns de la plèbe. Ils<br />

choisissent également les génér<strong>au</strong>x des armées, les tribuns militaires.<br />

Il y a 4 tribus urbaines, soit les tribus de la Ville de Rome, et 31 tribus rurales soit tous les<br />

citoyens romains vivant hors de Rome. Les tribus proches de Rome sont de tailles très<br />

réduites tandis que la taille des tribus urbaines et éloignées de Rome est énorme. De plus tous<br />

les affranchis, où qu’ils habitent, sont inscrits sur les listes des tribus urbaines. Comme il était<br />

facile d’acheter le vote des tribus rurales, soit peu peuplées soit comportant peu de votants<br />

réels du fait de leur éloignement –les comices avaient lieu à Rome-, les votes étaient là <strong>au</strong>ssi<br />

peu démocratiques.<br />

Les comices curiates<br />

Datant de l’époque des rois, elles n’ont quasiment plus d’importance <strong>au</strong> I er siècle av. JC. Elles<br />

sont là pour confirmer l’imperium des magistrats supérieurs et interviennent dans certains cas<br />

d’adoption. Elles sont <strong>au</strong> nombre de 30 et seuls les patriciens peuvent voter.<br />

Le Sénat<br />

Les censeurs établissent la liste des sénateurs. En théorie ils peuvent choisir n’importe qui. En<br />

pratique tous les anciens magistrats sont élus. Le sénateur ne doit pas exercer de métier<br />

infamant et posséder <strong>au</strong> moins 400 000 sesterces. Les sénateurs sont triés très<br />

hiérarchiquement. D’abord le princeps senatus le plus honorable de tous les sénateurs, puis<br />

les anciens dictateurs, puis les anciens consuls, puis les anciens préteurs etc… Les sénateurs<br />

sont reconnaissables à leur toge spécifique, ils forment le plus h<strong>au</strong>t gratin de la société<br />

romaine, la mémoire et la conscience de la République. Le Sénat ne peut pas se réunir seul, il<br />

doit être convoqué par un consul ou un tribun de la plèbe. La majorité du temps, la plupart des<br />

sénateurs étaient absents. En cas de décision importante, lorsque la majorité du Sénat était<br />

présente, on parlait de senatus frequens. Les sénateurs étaient 300 à l’époque de Marius, 600<br />

sous Sylla et 900 sous César. Le Sénat n’avait pas de lieu de réunion fixe et siégeait dans<br />

différents endroits suivant la teneur de la décision à prendre.<br />

En théorie, le pouvoir des sénateurs est seulement moral. Ils donnent leur avis sur les<br />

propositions de lois, senatus consulte, mais en pratique c’était le Sénat qui décidait si la loi<br />

serait oui ou non adoptée ce qui faisait de lui le vrai organe législatif de la République.<br />

109


Cicéron contre les triumvirs<br />

Chronologie<br />

-133* Le premier frère Gracques Tibérius est assassiné, séparation de la Ville en deux camps<br />

-123 Le frère de Tibérius, Caius, qui tente de reprendre les projets de son aîné est assassiné<br />

-115 Naissance de Crassus<br />

-107 Réformes militaires de Marius<br />

-106 3 janvier Naissance de Cicéron<br />

29 septembre Naissance de Pompée<br />

-101 12 juillet Naissance de César<br />

-100 Marius consul pour la sixième fois dont cinq fois de suite<br />

-90 17 mars Cicéron prend la toge virile<br />

-89 Cicéron dans l’armée du père de Pompée avec Pompée<br />

-88 Sylla consul, entre dans Rome avec son armée chasse les marianistes puis part pour l’orient<br />

-87 Les marianistes reprennent Rome<br />

-86 Marius consul pour la septième fois, mort de Marius<br />

De inventione<br />

-83 Retour de Sylla en Italie<br />

-82 1 er novembre Sylla est vainqueur à la porte Colline, reprend Rome des mains des marianistes<br />

Décembre Sylla dictateur, début des proscriptions<br />

-81 1 er juin Fin des proscriptions<br />

1 er plaidoyer connu de Cicéron, pro Quinctio<br />

-79 12 mars 1 er Triomphe de Pompée<br />

Abdication de Sylla<br />

Départ de Cicéron pour la Grèce<br />

-77 Mariage probable avec Terentia<br />

-76 5 août Naissance probable de Tullia<br />

5 décembre Début de la questure de Cicéron en Sicile<br />

-74 Eté Cicéron de retour à Rome<br />

-73 Soulèvement de Spartacus<br />

-70 Pompée et Crassus consuls<br />

5 août Début du procès contre Verrès, ce dernier s’enfuit avant la fin du jugement, Cicéron<br />

meilleur orateur de Rome.<br />

-69 Cicéron édile<br />

-68 Novembre Première lettre connue de la correspondance<br />

-66 Cicéron préteur<br />

Conjuration de Crassus<br />

-65 Juillet Naissance de Marcus, fils de Cicéron<br />

Mort du père de Cicéron<br />

-64 Juillet Cicéron élu consul<br />

Mariage de Tullia<br />

-63 Cicéron Consul<br />

23 septembre Cicéron avertit le Sénat de la possibilité d’une conjuration<br />

20-21 octobre Cicéron reçoit de Crassus et de ses amis les lettres de Catilina.<br />

22 octobre Cicéron est investi du senatus consultum ultimum<br />

8 novembre Tentative d’assassinat de Cicéron, première Catilinaire<br />

9 novembre Seconde Catilinaire<br />

3 décembre Arrestation des ambassadeurs allobroges, troisième Catilinaire<br />

5 décembre Exécution des conjurés, quatrième Catilinaire<br />

-62 Fin janvier Catilina meurt à Pistoia<br />

-61 Fin du printemps Affaire Clodius<br />

-60 Juin Formation du premier triumvirat<br />

-59 César Consul<br />

10 décembre Clodius tribun de la plèbe<br />

-58 10 mars Départ de César pour les G<strong>au</strong>les<br />

11 mars Départ en exil de Cicéron<br />

23 mai Cicéron arrive à Thessalonique<br />

11 août Tentative d’assassinat de Pompée<br />

29 octobre Pétition des tribuns en faveur de Cicéron<br />

110


Cicéron contre les triumvirs<br />

-57 1 er mais Le Sénat supprime l’interdiction de feu et d’e<strong>au</strong> à l’encontre de Cicéron<br />

4 août Rappel de Cicéron<br />

5 août Cicéron débarque en Italie<br />

4 septembre Cicéron à Rome<br />

7 septembre Pompée chargé de la guerre contre les pirates<br />

-56 15 avril Entrevue de Lucques entre les triumvirs<br />

-55 Pompée et Crassus consuls pour la seconde fois<br />

Fin novembre Crassus part pour l’orient<br />

De oratore<br />

-54 De republica<br />

-53 12 juin Défaite de Carrhes, mort de Crassus, « fin » du premier triumvirat<br />

-52 20 janvier Assassinat de Clodius<br />

Janvier Soulèvement général des G<strong>au</strong>les<br />

4 avril Procès de Milon<br />

De legibus<br />

-51 Mars Cicéron choisi comme gouverneur de Cilicie<br />

22 juillet Cicéron arrive à Ephèse<br />

-50 30 juillet Cicéron quitte la Cilicie<br />

24 novembre Retour de Cicéron en Italie<br />

-49 4 janvier Retour de Cicéron à Rome<br />

7 janvier Les sénateurs « déclarent la guerre » à César<br />

12 janvier César franchit le Rubicon, début de la guerre civile<br />

17 janvier Pompée donne l’ordre de quitter la Ville<br />

9 mars Début de la bataille de Brindes<br />

28 mars Rencontre entre César et Cicéron<br />

19 avril Début du siège de Marseille<br />

17 mai Naissance du premier petit-fils de Cicéron qui mourut jeune<br />

7 juin Cicéron part rejoindre Pompée en Grèce<br />

-48 César consul pour la seconde fois<br />

9 août Bataille de Pharsale, Pompée fuit en Egypte et est assassiné<br />

24 août Bataille de la rivière Bagrada<br />

Septembre Cicéron quitte les pompéiens et arrive à Patras puis à Brindes<br />

2 octobre César arrive en Egypte<br />

-47 César dictateur<br />

Début mai Prise d’Alexandrie, Bataille du Nil<br />

2 août Bataille de Zéla<br />

25 septembre Cicéron obtint le pardon officiel de César à Brindes<br />

-46 César consul, Lépide consul<br />

6 avril Bataille de Thapsus, suicide de Caton à Utique<br />

Octobre Divorce probable de Cicéron<br />

25 décembre César part pour l’Afrique<br />

-45 César consul et dictateur pour dix ans<br />

Janvier Naissance du second petit-fils de Cicéron,<br />

Mi-février Mort de Tullia<br />

17 mars Bataille de Munda, fin de la guerre civile<br />

Octobre Cinquième triomphe de César<br />

Consolation, Académiques, De finibus, Tusculanes, De natura deorum<br />

-44 César consul et dictateur à vie, Antoine consul<br />

15 février Antoine offre une couronne de roi à César<br />

15 mars Assassinat de César<br />

16 mars Dolabella prend le consulat<br />

17 mars Amnistie générale<br />

20 mars Funérailles de César<br />

8 juin Entrevue entre Cicéron, Brutus et Cassius<br />

21 juillet Départ de Cicéron pour l’orient<br />

28 juillet Cicéron rentre en Italie<br />

31 août Cicéron à Rome<br />

2 septembre Première Philippique<br />

111


Cicéron contre les triumvirs<br />

19 septembre Réponse d’Antoine<br />

9 octobre Cicéron quitte Rome, seconde Philippique<br />

9 décembre Cicéron rentre à Rome<br />

De divinatione, De fato, De officiis<br />

-43 1 er janvier Cinquième Philippique<br />

4 janvier Le Sénat envoie une ambassade à Antoine<br />

3 février Huitième Philippique<br />

10 mars Cicéron prononce probablement sa douzième Philippique<br />

14 avril Première bataille de Modène, Pansa gravement blessé<br />

21 avril Quatorzième et dernière Philippique connue<br />

26 avril Probable date de la seconde bataille de Modène, mort d’Hirtius<br />

29 mai Lépide rejoint Antoine<br />

Fin juillet Octave exige le consulat<br />

19 août Octave élu consul<br />

Fin octobre Entrevue de Bologne, <strong>format</strong>ion du second triumvirat<br />

27 novembre Les triumvirs ont les pouvoirs constituants, <strong>format</strong>ion officielle du second triumvirat<br />

7 décembre Mort de Cicéron<br />

-42 3 octobre Première Phase de la bataille de Phillipes, mort de Cassius<br />

23 octobre Seconde Phase de la bataille de Phillipes, mort de Brutus<br />

-31 2 septembre Bataille d’Actium<br />

-30 Août Mort d’Antoine<br />

-27 16 janvier Octave devient <strong>Auguste</strong>, fin de la République, début de l’Empire<br />

*Toutes les dates écrites avec un "-" signifient que les événements se sont produits avant JC.<br />

112


Sources Historiques<br />

César<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Bibliographie<br />

Très connus, les récits de César ne sont pas pour <strong>au</strong>tant les plus exacts. La f<strong>au</strong>te <strong>au</strong> chroniqueur lui-même qui<br />

rédigeait pour servir sa propagande. Cependant il serait stupide d’écarter tout son travail pour cette seule<br />

raison. En effet, l’historien écrivait pour ses contemporains et il ne pouvait donc trop modifier son récit. J’ai<br />

cependant tenté de repérer le maximum de modifications de la part de l’<strong>au</strong>teur. Quoi qu’il en soit, il s’agit<br />

quand même d’ouvrages d’importance, notamment quand on étudie l’armée et les conquêtes romaines.<br />

La Guerre Civile, Tomes I-III, texte établi et traduit par M. Nisard, 1865.<br />

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BCI.html<br />

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BCII.html<br />

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BCIII.html<br />

La Guerre d’Alexandrie, texte établi et traduit par M. Nisard, 1865.<br />

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BA.html<br />

La Guerre d’Afrique, texte établi et traduit par M. Nisard, 1865.<br />

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BAFR1-48.html<br />

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BAFR49-98.html<br />

La Guerre d’Espagne, texte établi et traduit par M. Nisard, 1865.<br />

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/CAES/BH.html<br />

Cicéron (Marcus)<br />

Œuvre bien entendu nécessaire quand on doit travailler sur l’orateur. La source historique la plus efficace est<br />

évidemment sa correspondance traitant les thèmes alors d’actualité avec le regard d’un politicien de l’époque.<br />

Les œuvres philosophiques sont tout <strong>au</strong>ssi importantes quand on traite de la philosophie romaine. Quand <strong>au</strong>x<br />

<strong>au</strong>tres écrits, ils sont très utiles historiquement suivant la période sur laquelle on travaille. Cicéron est<br />

généralement une source fiable excepté quand il parle de lui-même, il a alors tendance à exagérer quelque peu.<br />

Correspondance, Tomes I-XI, texte établi et traduit par L-A Constants, Jean Bayet, Jean<br />

Be<strong>au</strong>jeu, Paris, Les Belles Lettres, 1950-1996.<br />

Discours, Tomes III-VI, Verrines, texte établi et traduit par H. De La Ville De Mirmont puis<br />

texte établi par Henri Bornecque et traduit par Gaston Rab<strong>au</strong>d, Paris, Les Belles Lettres,<br />

1960-1961.<br />

Discours, Tome XI, Pour L. Murena, Pour P. Sylla, texte établi et traduit par André<br />

Boulanger, Paris, Les Belles Lettres, 1957.<br />

Discours, Tomes XIX-XX, Philippiques, texte établi et traduit par André Boulanger et Pierre<br />

Wuilleumier, Paris, Les Belles Lettres, 1959-1960.<br />

De la République, texte établi et traduit par Charles Appuhn, Paris, Les Belles Lettres, 1954.<br />

Des Lois, texte établi et traduit par Charles Appuhn, Paris, Les Belles, Lettres, 1954.<br />

113


Cicéron contre les triumvirs<br />

Brutus, texte établi et traduit par Jules Matha, Paris, Les Belles Lettres, 1973.<br />

L’Orateur, texte établi et traduit par Albert Yon, Paris, Les Belles Lettres, 1964.<br />

Cicéron (Quintus)<br />

Manuel de Campagne Electorale, suivi de « l’art de gouverner une province » de Marcus<br />

Cicéron, texte établi et traduit par Jean-Yves Bori<strong>au</strong>d, Paris, Arléa, 1996.<br />

Lucain<br />

La source à prendre avec la plus grande attention. En effet, son poème, La Pharsale, est plus une œuvre de<br />

fiction qu’un travail historique. Un peu comme si on prenait le Horace de Corneille pour comprendre la vraie<br />

légende antique. Il est donc conseillé d’utiliser ses écrits seulement pour introduire des maximes où commenter<br />

des thèmes très génér<strong>au</strong>x et même là, la prudence et de mise.<br />

La Pharsale, Tome VII-VIII, texte établi et traduit par Jean-François Marontel durant son<br />

séjour à la bastille entre le 28 décembre 1759 et le 7 janvier 1760.<br />

http://remacle.org/bloodwolf/historiens/lucain/livre7.htm<br />

http://remacle.org/bloodwolf/historiens/lucain/livre8.htm<br />

Plutarque<br />

Le meilleur ! Une source historique fiable dans presque tous les cas et de très bonne qualité ; on passera<br />

surcertaines anecdotes citées par l’<strong>au</strong>teur qui sont d’origine plutôt douteuse. Un texte historique qui se lit très<br />

bien, presque comme une fiction, détaillant les faits importants et rapportant nombre d’histoires enrichissant le<br />

texte principal. Tout simplement magnifique pour un travail vieux de plus de 1900 ans !<br />

Vie de César, texte établi et traduit par Dominique Ricard, 1830<br />

http://ugo.bratelli.free.fr/Plutarque/PlutarqueCesar.htm<br />

Vie de Cicéron, texte établi et traduit par Dominique Ricard, 1840<br />

http://ugo.bratelli.free.fr/Plutarque/PlutarqueCiceron.htm<br />

Vie des Gracques, texte établi et traduit par Dominique Ricard, 1840<br />

http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/gracques.htm<br />

Vie de Pompée, texte établi et traduit par Bernard Latzarus, 1950<br />

http://ugo.bratelli.free.fr/Plutarque/PlutarquePompee.htm<br />

Vie de Sylla, texte établi et traduit par Dominique Ricard, 1840<br />

http://ugo.bratelli.free.fr/Plutarque/PlutarqueSylla.htm<br />

Salluste<br />

Œuvre plus contrastée que celle de Cicéron. Les faits historiques sont fiables…tant que Salluste ne parle pas<br />

d’un sujet pouvant être à son époque sujet à polémique. Ainsi dans le récit de la conjuration de Catilina bien<br />

que généralement correct, Salluste met en avant les sources qui discréditent Cicéron, son rival politique. Autant<br />

dire qu’il f<strong>au</strong>t faire très attention <strong>au</strong>x détails.<br />

Œuvres, Catilina, Jugurtha, Fragments Des Histoires, texte établi et traduit par Alfred<br />

Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1974.<br />

114


Suétone<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

L’œuvre de Suétone est à prendre très préc<strong>au</strong>tionneusement. Bien que, dans son ensemble, très utile pour<br />

comprendre le 1 er siècle après JC. Suétone recopie souvent méthodiquement mais sans passion des faits et des<br />

anecdotes qu’il a entendus dans la bonne société romaine dont il faisait partie. Il est également très peu objectif<br />

sur la vie des empereurs qu’il considère comme des tyrans, les historiens contemporains mettent ainsi en doute<br />

la vision de Néron et de Domitien que fourni Suétone.<br />

Vie des douze Césars, César, texte établi et traduit par Pierre Grimal, Paris, Le Livre de<br />

Poche, 1973.<br />

Vie des douze Césars, <strong>Auguste</strong>, texte établi et traduit par Pierre Grimal, Paris, Le Livre de<br />

Poche, 1973.<br />

Ouvrages Génér<strong>au</strong>x<br />

Clara Auvray-Assayas, Cicéron, Paris, Les Belles Lettres, 2006.<br />

Jérôme Carcopino, Les secrets de la correspondance de Cicéron, 2 volumes, Paris, L’artisan<br />

du Livre, 1948.<br />

Victor Cucheval, Analyse et Critique des Discours de Cicéron, tome premier, Paris, Belin<br />

Frères, 1901.<br />

Elizabeth Deni<strong>au</strong>x, Rome de la Cité-Etat à l’Empire, Paris, Hachette, 2001.<br />

Pierre Grimal, Cicéron, Paris, Fayard, 1986.<br />

Ouvrage francophone de référence sur Cicéron, il n’est néanmoins pas exempt de déf<strong>au</strong>ts : jugement hâtif et peu<br />

objectif, bibliographie réduite pour un ouvrage de 450 pages et surtout PAS de référence, rien, nada, le vide<br />

absolu et total. Autant dire que si l’ouvrage est intéressant à lire pour le plaisir, comme on lirait un bon roman<br />

historique, il est très difficile de s’en servir pour un travail sérieux. Un livre intéressant comme base de travail<br />

mais devant absolument être complété par des études mieux achevées.<br />

Pierre Grimal, La Civilisation romaine, Flammarion, 1981.<br />

Pierre-François Mourier, L’avocat et la République, Paris, Michalon, 1996.<br />

Cl<strong>au</strong>de Nicolet et Alain Michel, Cicéron, Collection « écrivains de toujours », Paris, Le Seuil,<br />

1960.<br />

Ouvrages de Fiction<br />

Robert Harris, Imperium, Londres, A Novel, 2006.<br />

Tom Holland, Rubicon, Londres, Abacus, 2003.<br />

Steven Saylor, L’énigme de Catilina, Collection « grands détectives », Paris, Ramsay 1997.<br />

Steven Saylor, Meurtre sur la Voie Appia, Paris, Ramsay, 2001.<br />

Steven Saylor, Rubicon, Paris, Hachette, 2001.<br />

115


Revues et Articles<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Science et Vie Junior Dossier Hors Série N°42, Paris, Rome, Excelsior, Octobre 2000.<br />

Histoire Antique N°13, Jules César, Paris, Harnois, Février-Mars, 2004.<br />

Catherine Virlouvet, La Conjuration de Catilina : Rome en Danger ? in Les Collections De<br />

L’Histoire N°33, Complots, secrets et rumeurs, Paris, Société d’Edition Scientifique,<br />

Octobre-Décembre 2006.<br />

Sites Internet<br />

http://fr.wikipedia.org/wiki/Accueil Pour nombre de renseignements annexes sur les écrivains, les<br />

batailles, les lieux, les personnages secondaires etc…<br />

http://fr.wikisource.org/wiki/Accueil<br />

http://remacle.org/ Site comportant de nombreuses traductions libres ainsi que des études. Plus <strong>complet</strong>,<br />

pour l’instant, que wikisource.<br />

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/def<strong>au</strong>lt.htm<br />

http://www.musee-europemediterranee.org/sdap2.html Utilisé pour mieux comprendre le siège de<br />

Marseille.<br />

Vidéographie<br />

Rome, première saison, John Milius, William J. Macdonald, Bruno Heller, Benelux, HBO<br />

Entertainement et BBC, 2006.<br />

Enfin une bonne fiction historique sur l’Antiquité ! Les personnages princip<strong>au</strong>x sont tous bien représentés.<br />

César, Pompée, Octave ou Marc Antoine sont particulièrement bien joués. Les personnages secondaires sont<br />

par contre plutôt biaisés. Cicéron devient un jeune naïf et Caton un affreux vieillard. De plus l’histoire et<br />

passablement simplifiée et glorifiée pour répondre <strong>au</strong>x attentes du grand public. Le puriste regrettera les trop<br />

nombreuses scènes « érotiques » et <strong>au</strong>tres histoires anecdotiques qui occupent une moitié d’épisode et<br />

entrecoupent l’action principale. Mais en général tout est passablement réussi.<br />

116


Source des Illustrations<br />

Cicéron contre les triumvirs<br />

Page de garde http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Senat_rom.jpg<br />

http://www.mbradtke.de/<strong>au</strong>gustus/crassus.jpg<br />

http://www.memo.fr/article.asp?ID=PER_ANT_039<br />

http://www.skene.be/CE/archeoloj/AJ09021101.html<br />

Page 2 http://www.mediterranees.net/histoire_romaine/ciceron/index.html<br />

Page 7 Elizabeth Deni<strong>au</strong>x, Rome de la Cité-Etat à l’Empire, Paris, Hachette, 2001.<br />

Page 8 http://artic.ac-besancon.fr/arachnoe/finales_2004/gradus/cejour.htm<br />

Page 10 Jacques Marseille, Au temps de la grandeur de Rome, Collection « Histoire du<br />

monde », Paris, Larousse, 1993.<br />

Page 55 http://en.wikipedia.org/wiki/Image:Battle_pharsalus.gif<br />

Page 61 Cl<strong>au</strong>de Nicolet et Alain Michel, Cicéron, Collection « écrivains de toujours »,<br />

Paris, Le Seuil, 1960.<br />

Page 78 http://classiques.uqac.ca/classiques/ciceron/ciceron_photo/ciceron_photo.html<br />

Page 108 Elizabeth Deni<strong>au</strong>x, Rome de la Cité-Etat à l’Empire, Paris, Hachette, 2001.<br />

Remerciements<br />

Je remercie chaleureusement les personnes suivantes :<br />

M. Raphaël Bertoud, pour son aide à la réalisation de ce travail, ses conseils et ses corrections<br />

Mme Cinzia M<strong>au</strong>ron pour avoir généreusement répondu à mon appel <strong>au</strong> secours<br />

Ma Mère, pour toutes les heures passées le soir à corriger mes f<strong>au</strong>tes.<br />

M. Eric Chevalley pour son soutien, ses corrections, pour m’avoir accordé chaque semaine ou<br />

presque une rallonge et enfin pour ses conseils.<br />

117


<strong>Travail</strong> de Maturité 2007<br />

Hoesli Matthieu Cicéron contre les triumvirs M. Eric Chevalley<br />

Résumé<br />

Des tourments et des remous qui agitèrent l’Etat lors de ce siècle, Cicéron ne fut pas l’un des<br />

acteurs les moins importants. Au même titre que César, Pompée ou Octave, il sut tirer son<br />

épingle du jeu politique. L’orateur se posa comme défenseur de la légalité face <strong>au</strong>x grands<br />

ambitieux de son époque, ils les affronta pour s<strong>au</strong>vegarder l’Etat légal et donna sa vie pour ses<br />

idé<strong>au</strong>x. L’avocat fut cependant un homme à deux visages. Partagé tout d’abord entre sa vie<br />

publique, où il prenait soin d’apparaître comme un personnage inébranlable <strong>au</strong> même titre que<br />

Caton l’ancien ou Scipion Emilien, vie qui nous est parvenue <strong>au</strong> travers de ses plaidoyers ou<br />

ses poèmes, et sa vie privée révélée par sa correspondance, où il apparaît avec un visage<br />

humain, forgé par les tristesses comme par les joies. Hésitant entre sa charge d’avocat et ses<br />

tâches politiques et sa qualité de philosophe et d’écrivain. Toute sa vie il jongla entre ses<br />

talents les unissant parfois pour le meilleur, comme dans le De republica. Dans mon travail,<br />

j’ai préféré me focaliser sur le premier aspect de sa vie, plus connu mais moins exploité que le<br />

second à propos duquel nombre d’études sont parues récemment. Il ne f<strong>au</strong>drait cependant pas<br />

minimiser l’intérêt de son corpus philosophique. On a longtemps considéré les écrits de<br />

l’orateur comme de simples transcriptions de la philosophie grecque, rien de plus f<strong>au</strong>x !<br />

Cicéron possède son style propre mélangeant agréablement théorie politique et philosophie<br />

humaniste. Il est nécessaire de prendre l’œuvre de l’avocat pour ce qu’elle est : le legs d’idée<br />

d’un homme <strong>au</strong>x générations futures. Rien que pour cette raison, elle mérite le respect.<br />

Personnage controversé enfin par les historiens qui le considèrent pour certains, Grimal et<br />

Plutarque en tête, comme un héros, les <strong>au</strong>tres, représenté par Carcopino ou Salluste comme un<br />

politicien opportuniste. Bien peu de ces avis sont objectifs. Salluste était notamment l’un des<br />

meilleurs amis du dictateur et l’un des plus farouche opposant politique de l’avocat <strong>au</strong>tant dire<br />

que son récit « Sur la conjuration de Catilina » est loin d’être un pamphlet à la gloire de son<br />

adversaire. Il me paraissait important de laisser le lecteur seul juge, de m’écarter de tout esprit<br />

partisan. J’expose donc les points de vues des deux camps tout en restituant les faits et en<br />

donnant mon avis personnel. Je ne sais pas si j’ai toujours réussi à être objectif, ou même si<br />

j’ai réussi à l’être une seule et unique fois, mais j’<strong>au</strong>rais du moins essayé.<br />

Mes pérégrinations m’ont conduit à poser <strong>au</strong> lecteur <strong>au</strong>tant qu’à moi-même, des questions sur<br />

la vie de Cicéron. J’ai tenté de les traiter avec la même franchise et impartialité que le thème<br />

dans son entier. La série à succès américaine parue récemment, « Rome », présente l’orateur<br />

comme un extrémiste conservateur, poussant le pays dans la guerre et prêt à la trahison.<br />

Existe-il un fondement de vérité dans le personnage que fait transparaître l’acteur ? On peut<br />

<strong>au</strong>ssi se demander s’il existe quelque justification à la fuite de Cicéron après la défaite<br />

pompéienne à Pharsale ? Certains estiment également que Cicéron, dans son combat contre<br />

Catilina et plus tard contre Antoine, fit passer son intérêt personnel avant l’intérêt de l’Etat.<br />

Qu’en est-il réellement ? Ce sont de telles interrogations <strong>au</strong>xquelles j’ai tenté de répondre<br />

dans mon travail. Celui-ci portant également sur les triumvirs, il m’a semblé juste de<br />

m’interroger <strong>au</strong>ssi à des problématiques touchant Pompée, César et même Crassus. Le<br />

vainqueur de Mithridate était-il un lâche général ou un défenseur de la patrie et César était-il<br />

un bienfaiteur du peuple ou un tyran ? Je me suis également frotté à ces énigmes-là.

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