ETUDES CONTRASTIVES
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MARIA ŢENCHEA<br />
ÉTUDES <strong>CONTRASTIVES</strong><br />
(FRANÇAIS-ROUMAIN)<br />
Editions HESTIA<br />
TIMISOARA<br />
1
© MARIA ŢENCHEA<br />
© EDITURA HESTIA<br />
Bd. Cetăţii 52, sc. A, ap. 40<br />
1900 Timişoara, România<br />
lucianalexiu@banat.ro<br />
All rights reserved<br />
Toate drepturile asupra acestei ediţii aparţin<br />
EDITURII HESTIA<br />
Reproducerea parţială sau integrală<br />
a textului, pe orice fel de suport tehnic,<br />
fără acordul editorului,<br />
se pedepseşte conform legii.<br />
ISBN 973-9420-29-11<br />
Printed in Romania<br />
2
AVANT-PROPOS<br />
Ce livre s’adresse aux traducteurs, aux chercheurs qui s’intéressent à la<br />
linguistique contrastive, aux professeurs de français et aux étudiants désireux de<br />
perfectionner leur compétence linguistique aussi bien que leur compétence<br />
traductionnelle.<br />
Mettant à profit notre expérience en tant que professeur, linguiste et traductrice,<br />
nous proposons ici plusieurs études qui mettent en rapport certaines structures lexicales<br />
et grammaticales du roumain et du français, suivant des approches assez diverses.<br />
La première section est consacrée aux équivalents roumains de certains lexèmes<br />
ou de certaines structures grammaticales du français. L’analyse sémantique de deux<br />
prépositions temporelles – dès et depuis – permet d’établir, dans une vision<br />
systématique, les correspondants roumains de ces relateurs. Dans le cas de l’adverbe<br />
là, l’étude des différentes situations possibles et, implicitement, celle des équivalents<br />
roumains de là mobilise des notions propres à la théorie de l’énonciation. Nous<br />
proposons également un bref aperçu des équivalents roumains des périphrases verbales<br />
aspectuelles du français.<br />
Dans la deuxième section du livre, l’analyse est orientée du roumain vers le<br />
français. On envisage d’abord une étude des pronoms relatifs du roumain, dont la<br />
traduction en français soulève un certain nombre de difficultés pour les locuteurs et<br />
surtout pour les apprenants roumains. On étudie ensuite les diverses possibilités dont on<br />
dispose en roumain pour traduire en français le mode présomptif et l’infinitif long,<br />
catégories spécifiques pour le roumain, n’ayant pas de correspondants directs en<br />
français. Enfin, la préposition întru, qui a une situation assez particulière non seulement<br />
en roumain, mais aussi dans l’ensemble des langues romanes, où elle n’a pas<br />
d’équivalent, nous a semblé présenter un intérêt certain pour les traducteurs.<br />
La dernière section du livre se réclame explicitement de la didactique, mettant<br />
en lumière une série de divergences entre le roumain et le français, et, à partir de là,<br />
certains types de fautes interférentielles.<br />
Notre but est donc essentiellement pratique : proposer des solutions pour<br />
l’activité traduisante, qu’il s’agisse de la traduction didactique ou de toute autre forme<br />
de traduction.<br />
En même temps, la comparaison entre les deux langues est de nature à mieux<br />
éclairer certains aspects propres à l’une ou à l’autre des langues envisagées, permettant<br />
d’apporter des précisions utiles dans la description de celles-ci et facilitant, par là, la<br />
réflexion linguistique.<br />
3
I<br />
LA PRÉPOSITION DEPUIS : POSSIBILITÉS<br />
DE TRANSPOSITION EN ROUMAIN<br />
1. Le relateur depuis : description sémantique<br />
Le lexème prépositionnel depuis à sens temporel pose devant le traducteur des<br />
problèmes parfois assez complexes. On peut constater que les solutions proposées dans<br />
les dictionnaires français-roumains sont assez pauvres, simplifiant trop la réalité des<br />
faits. Les choses demanderaient à être nuancées, précisées et complétées, à partir d’une<br />
analyse sémantique de ce relateur et en fonction des différents contextes où il apparaît.<br />
Depuis indique l’origine temporelle - la limite initiale (L1) d’un laps de temps,<br />
en même temps que le laps de temps lui-même (L1-L2). L’intervalle-durée envisagé,<br />
postérieur à L1, est considéré rétrospectivement à partir d’un point de référence (repère<br />
du locuteur : To , le moment présent, ou T1, transposition du moment de référence du<br />
locuteur dans le passé) implicite ou explicite. Pour situer depuis à l’intérieur du champ<br />
lexico-sémantique de la durée exprimée par les relateurs prépositionnels, nous avons<br />
précisé qu’il indique la durée dans la postériorité rétrospective 1 . La durée du procès<br />
situé dans le cadre de l’intervalle temporel défini englobe le moment de référence.<br />
Nous précisons aussi que l’on peut avoir affaire à une durée fermée (L2 = To) ou<br />
ouverte (la durée du procès dépasse le repère To / T1).<br />
Nous avons proposé (Ţenchea, 1985, 1999) une description sémantique du<br />
relateur depuis à l’aide de la formule componentielle que voici : [+Temps] [+Ponctuel]<br />
[±qT] [+Réf. To] [+Limite initiale] [+Postériorité] [+Durée].<br />
La traduction en roumain des SP avec depuis ne retient parfois que certaines<br />
informations du français ; elle laisse dans l’ombre certains traits ou en annule d’autres.<br />
Les équivalences établies diffèrent parfois suivant les types de contextes dans lesquels<br />
le SP se trouve intégré, mettant en évidence, dans chaque type de situation, certains des<br />
traits qui définissent l’emploi de depuis en français. Nous allons examiner les choses de<br />
plus près, en tenant compte, en premier lieu, de la distribution de depuis dans le SP.<br />
1 Voir Ţenchea (1981), (1984), (1985) et (1999).<br />
4
Depuis peut se combiner soit avec un lexème ponctuel ou considéré dans une<br />
vision ponctuelle (N ou Adv [-qT] ), soit avec une expression qT (quantificateur + N<br />
[+Division du temps] ou bien l’adverbe longtemps).<br />
2. Durée ouverte<br />
2.1. Depuis + SN [-qT]<br />
Depuis est suivi par un lexème ou syntagme [-qT] ; L1 est explicite. La<br />
traduction souligne presque toujours la limite initiale, impliquant toujours l’idée d’une<br />
durée ultérieure (durée ouverte).<br />
2.1.1. Depuis + SN [+Temps]<br />
L1 est marqué par un N [+Temps] (indiquant une division temporelle, ainsi que<br />
les substantifs début et fin) ou par un Adv [+Temps]. Depuis a pour équivalents exacts<br />
les prépositions de / din / de la, choisies en fonction du substantif ou de l’adverbe<br />
employé en roumain, et précédées, parfois, par începând (qui insiste sur la limite<br />
initiale et implicitement sur la durée postérieure à cette limite).<br />
2.1.1.1. De<br />
Fr. Depuis quand est-il ici? (S. A. Steeman)<br />
Roum. De când e aici?<br />
Fr. Depuis ce matin que je suis dans la pièce... (A. Gide)<br />
Roum. De azi dimineaţă de când stau în cameră...<br />
La locution adverbiale depuis lors se traduit par de atunci ou de atunci încoace,<br />
avec le corrélatif adverbial încoace, qui marque la référence au repère du locuteur .<br />
Dans certains contextes (lorsque depuis est suivi, par exemple, par le substantif<br />
début), on souligne en roumain, à l’aide de l’adverbe încă, la coïncidence entre un<br />
certain moment et le début du procès, l’idée d’immédiateté (à comparer avec les SP<br />
construits avec dès).<br />
Fr. Jules Romains a veillé à son ordonnancement depuis le début. (Le Point)<br />
Roum. Jules Romains a vegheat la organizarea ei [= a operei sale] încă de la<br />
început.<br />
2.1.1.2. Din<br />
Fr. Ce film avait quitté l'affiche depuis la veille. (R. Floriot)<br />
Roum. Filmul fusese scos de pe afiş din ajun.<br />
Fr. Lourges était là depuis l’aube. (M. van der Meersch)<br />
Roum. Lourges era acolo din zorii zilei.<br />
2.1.1.3. De la<br />
5
Fr. Il est là depuis neuf heures.<br />
Roum. Este aici de la ora nouă.<br />
Fr. Il est parti depuis le 1er janvier.<br />
Roum. E plecat de la 1 ianuarie.<br />
Fr. Je ne l’ai pas revu depuis la fin de nos études du lycée. (H. Troyat)<br />
Roum. Nu l-am mai văzut de la terminarea liceului.<br />
2.1.1.4. Începând de / din / de la<br />
Les prépositions de / din / de la peuvent être précédées par începând, qui<br />
souligne le commencement du procès (l’aspect inchoatif), aussi bien que l’idée d’une<br />
continuation. Începând est obligatoire, très souvent, dans la traduction, lorsque depuis<br />
précède une indication du temps-date :<br />
Fr. Il y vécut, depuis 1919, les seize ans de sa gloire. (Paris Match)<br />
Roum. Acolo şi-a trăit, începând din 1919, cei 16 ani de glorie. 2<br />
Fr. Les diverses manifestations qui, depuis le samedi 18 octobre, se tiennent à<br />
Limoges. (Le Monde)<br />
Roum. Diversele manifestări care au loc la Limoges începând de sâmbătă 18<br />
octombrie.<br />
Fr. Depuis la fin du 14 e s. on apprend à distinguer les différents plans. (W. von<br />
Wartburg, Évolution et structure de la langue française)<br />
Roum. Începând de la sfârşitul secolului al XIV-lea, se face o distincţie între<br />
diferitele planuri.<br />
L'emploi de începând s'impose également dans les phrases suivantes, où le<br />
contexte souligne la continuité du procès envisagé :<br />
Fr. Depuis hier, et sans doute pour quelques jours encore, les habitants de la<br />
région parisienne devront acheter leurs fruits et leurs légumes dans les<br />
magasins à grande surface. (Intercodes)<br />
Roum. Începând de ieri, şi probabil încă vreo câteva zile, locuitorii din<br />
regiunea Parisului vor trebui să-şi cumpere legumele şi fructele în<br />
supermarketuri.<br />
Fr. Balandran, depuis le matin, respirait mieux. (H. Bosco)<br />
Roum. Începând din acea dimineaţă, Balandran respira mai uşor.<br />
Dans d'autres cas, l'emploi de începând est facultatif.<br />
Fr. Depuis ce matin-là, la vie s'était transformée pour elle. (C. Aubry)<br />
2<br />
Durée fermée, vu la présence du quantificateur 16 ; à comparer avec la phrase ci-dessous, qui exprime une durée<br />
ouverte :<br />
Fr. Il vit ici depuis 1970. / Roum. Trăieşte aici din 1970.<br />
6
Roum. (Începând) din dimineaţa aceea, viaţa luase pentru ea o nouă<br />
întorsătură.<br />
2.1.2. Depuis + SN [-Temps]<br />
L1 peut être exprimé par un N [-Temps] qui, précédé par depuis, acquiert une<br />
signification temporelle. On peut rencontrer soit des noms évoquant des actions (qui,<br />
par cela même, impliquent une idée temporelle, soit des noms qui marquent des lieux<br />
ou des personnes susceptibles d’évoquer des moments ou des époques.<br />
2.1.2.1. De la<br />
Le nom est, de façon générale, un déverbal, ayant donc le trait [+Action].<br />
Quelquefois, c’est un nom propre qui évoque une période définie par rapport à une<br />
personne (par l’effet d’une ellipse), auquel cas le roumain est plus explicite que le<br />
français, la traduction pouvant faire appel au mot poveste (=histoire).<br />
Fr. Depuis le départ de Hambourg, Peterson avait trop peu dormi. (G.<br />
Simenon)<br />
Roum. De la plecarea din Hamburg, Peterson dormise prea puţin.<br />
Fr. Depuis son renvoi de Henri IV, et surtout depuis Marthe, ses parents [...] lui<br />
avaient défendu ma compagnie. (R. Radiguet)<br />
Roum. De la eliminarea lui din liceul Henri IV şi mai ales de la povestea cu<br />
Marthe, părinţii [...] îi interziseseră tovărăşia mea.<br />
La variation contextuelle de la... încoace apparaît lorsque depuis précède un<br />
nom commun ou propre évoquant un événement historique, impliquant le repère T0.<br />
Fr. Depuis la guerre, je prends l’avion pour aller à Paris. (in Henry, 1968)<br />
Roum. De la război încoace, mă duc la Paris cu avionul.<br />
Fr. Le voyage du général de Gaulle aura-t-il pour effet de dissiper certaines<br />
ombres qui subsistaient depuis Potsdam? (in Lars Bergh, 1948)<br />
Roum. Călătoria generalului de Gaulle va avea oare ca efect să împrăştie<br />
anumite umbre care persistă de la Potsdam încoace?<br />
2.1.2.2. (Încă) din<br />
Le SP comporte un nom [-Temps], qui acquiert une signification temporelle<br />
grâce, précisément, à la préposition depuis.<br />
Fr. Depuis le lycée, il était recordman de la descente d’escalier. (P. Morand) [=<br />
depuis l’époque du lycée]<br />
Roum. Încă din liceu era campion la coborâtul scărilor.<br />
7
2.1.2.3. De când cu<br />
De când cu, qui appartient à la langue parlée, apparaît parfois comme<br />
équivalent de depuis, devant un N désignant une action ou devant un nom propre de<br />
personne, qui devient ainsi un repère temporel.<br />
Fr. Ils étaient devenus les meilleurs amis du monde, surtout depuis la raclée<br />
mémorable que leur avaient administrée simultanément leurs pères respectifs.<br />
(J.-P. Chabrol)<br />
Roum. Erau cei mai buni prieteni din lume, mai ales de când cu bătaia de<br />
pomină pe care le-o trăseseră în acelaşi timp taţii respectivi.<br />
Fr. Depuis ton Alissa, es-tu bien sûr que Laurence ait gardé le même attrait à<br />
tes yeux? (Yves Gandon)<br />
Roum. De când cu Alissa ta, eşti sigur că Laurence şi-a păstrat în ochii tăi<br />
acelaşi farmec?<br />
2.1.2.4. De când + Prop<br />
Le SP avec depuis doit être transposé en une proposition subordonnée introduite<br />
par de când et dont le verbe est à un temps passé, chaque fois qu’il s’agit de rendre<br />
explicite l’idée verbale contenue par le syntagme en question. Parfois la variante de + N<br />
[+Action] est également possible. Depuis peut être suivi d’un N [+Action] précédé par<br />
un possessif de première ou de deuxième personne :<br />
Fr. Je cherche à vous voir depuis mon arrivée... (R. Pinget)<br />
Roum. De când am sosit tot încerc să te văd...<br />
Fr. Tu te rends compte de tout ce qui s’est passé depuis ton départ!<br />
Roum. Îţi dai seama câte s-au întâmplat de când ai plecat / de la plecarea ta!<br />
Certaines constructions elliptiques en français demandent à être explicitées en<br />
roumain au moyen de de când + Prop:<br />
Fr. Et depuis le drame : “Toutes des hystériques quand elles ne sont pas des<br />
idiotes! ” répétait-il à l'avocat. (Fr. Mauriac)<br />
Roum. De când se produsese drama, îi repeta mereu avocatului: “Toate sunt<br />
isterice sau idioate!”<br />
Dans l’exemple ci-dessous, depuis + N [Lieu] évoque, par l’effet d’une ellipse,<br />
l’idée d’un déplacement spatio-temporel, donc une idée verbale, que le roumain est<br />
obligé d’expliciter:<br />
Fr. Nous n’avons peut-être rien vu de plus beau depuis la frontière. (M. Déon)<br />
Roum. N-am văzut, poate, nimic mai frumos de când am trecut frontiera.<br />
L’emploi de depuis suivi d’un verbe à l’infinitif passé (dans la langue parlée)<br />
demande le même type d’équivalent : proposition introduite par de când.<br />
8
Fr. Depuis l’avoir quitté, je ne me sens plus la même. (ex. oral, in Wagner &<br />
Pinchon, 1962)<br />
Roum. De când l-am părăsit nu mai sunt aceeaşi.<br />
Dans l’exemple suivant, le recours à la proposition subordonnée permet<br />
d’éviter, en roumain, l’ambiguïté du syntagme din copilărie:<br />
Fr. Ce visage que depuis son enfance les femmes jamais ne s’étaient<br />
interrrompues de caresser. (Fr. Mauriac)<br />
Roum. Acest chip pe care, încă de când era copil, femeile n-au încetat să-l<br />
îndrăgească. (trad. I. Mavrodin).<br />
2.1.2.5. După<br />
Dans certains cas, depuis suivi d’un nom [+Action] a pour équivalent<br />
obligatoire la préposition după (« après »). La traduction met en évidence la<br />
postériorité d’un procès par rapport à la limite L1 de la durée à l’intérieur de laquelle il<br />
se situe ; elle laisse dans l’ombre cette limite, tout en annulant la référence à un repère<br />
du locuteur.<br />
Fr. Un peu rasséréné depuis ce coup de téléphone qu’il avait reçu de la<br />
préfecture. (C. Aubry)<br />
Roum. Înseninat puţin după telefonul pe care-l primise de la prefectură.<br />
Fr. Il lui attribuait aussi le mérite de deux kilos qu’il avait gagnés depuis le<br />
mariage de son fils. (Fr. Mauriac)<br />
Roum. Tot ei îi datora şi cele două kilograme în plus câştigate după<br />
însurătoarea fiului său. (trad. I. Mavrodin)<br />
On peut d’ailleurs signaler le fait que les apprenants roumains sont parfois<br />
tentés de traduire depuis par după, même lorsque cette traduction est incorrecte. C’est<br />
peut-être une influence de la forme du mot français, mais cela pourrait tout aussi bien<br />
indiquer que, parmi les nuances de sens impliquées par depuis, les apprenants n’en ont<br />
saisi que l’idée de postériorité.<br />
2.1.2.6. Dans le cas de certains syntagmes avec depuis, où le SN introduit l’idée<br />
d’une antériorité immédiate (la proximité de L1 par rapport à T0), le choix des<br />
équivalents est déterminé par les contraintes et les possibilités combinatoires du<br />
roumain, témoin les exemples ci-dessous:<br />
Fr. À la vérité, Alain était courroucé depuis tout à l’heure. (J.-P. Chabrol)<br />
Roum. De fapt, Alain era furios deja de câteva momente / după cele întâmplate<br />
adineaori.<br />
Fr. Je ne vous ai pas vu beaucoup depuis l’autre jour. (J.-F. Rey)<br />
9
Roum. Nu v-am prea văzut în ultimele zile / de câteva zile încoace. (voir infra<br />
2.2.2. et 3.)<br />
Suivi par la préposition avant, depuis ne se traduit pas en roumain ; l’idée qu’il<br />
exprime est rendue par d’autres moyens :<br />
Fr. Depuis avant votre prix Nobel. (Paris Match)<br />
Roum. Încă dinainte de a vi se acorda premiul Nobel.<br />
Dans cet exemple on a eu recours à l’adverbe încă, le SN précédé par depuis avant<br />
étant remplacé par la locution prépositive dinainte de + infinitif.<br />
Fr. La petite guerre durait depuis bien avant elle. (G. Simenon)<br />
Roum. Micul război începuse cu mult înainte de venirea ei.<br />
Dans la phrase ci-dessus on a opéré une modulation : le verbe durer a été traduit par a<br />
începe, qui marque l’idée d’une limite initiale (L1) évoquée par depuis.<br />
2.2. Depuis + SN [+qT]<br />
La durée est exprimée explicitement au moyen d’un syntagme qT (SN ou<br />
adverbe). L1 est déterminé de façon implicite par la distance temporelle qT, comptée<br />
rétrospectivement à partir d’un repère.<br />
2.2.1. De<br />
L’équivalent exact de depuis est de, qui indique la limite initiale de la durée 3 .<br />
Fr. Il est impossible qu’il me mente depuis des années. (Exbrayat)<br />
Roum. E imposibil să mă mintă de ani de zile.<br />
Fr. Depuis deux mois qu’il est là... (R. Floriot)<br />
Roum. De două luni de când e aici...<br />
Fr. Depuis combien de temps étiez-vous ici? (R. Floriot)<br />
Roum. De cât timp sunteţi aici?<br />
Dans certains énoncés, la traduction fait appel à la variante contextuelle de...<br />
încoace. La durée en déroulement est rapportée explicitement au moment de référence<br />
du locuteur. Le SP avec depuis est généralement placé en fin de phrase et il comporte,<br />
le plus souvent, le substantif ans.<br />
Fr. Comme chaque été depuis quatre ans! (G. Cesbron)<br />
Roum. Ca în fiecare vară de patru ani încoace! (« începând de acum patru<br />
ani »)<br />
Fr. Mon ermitage est ouvert nuit et jour, depuis deux ans. (G. Cesbron)<br />
3 On peut cependant rappeler que depuis toujours se traduit par dintotdeauna.<br />
10
Roum. Sihăstria mea e deschisă zi şi noapte, de doi ani încoace. (ou De doi ani,<br />
sihăstria mea e deschisă zi şi noapte).<br />
Fr. Qu’est-ce que vous consommez comme lait depuis quelque temps! (L’Avant-<br />
Scène)<br />
Roum. Cât lapte consumi de câtva timp / de la o vreme încoace!<br />
2.2.2. În<br />
Il s’agit d’une équivalence contextuelle qui implique une modulation, entraînant<br />
le changement du lexème prépositionnel. Dans certains types de contextes, on utilise<br />
comme équivalent de depuis la préposition în, avec le trait [+Intériorité]. La traduction<br />
ne retient alors que l’information sur la situation du procès à l’intérieur d’un intervalledurée<br />
aux limites implicites, neutralisant l’idée de postériorité par rapport à une limite<br />
initiale. Depuis est interprété ici comme synonyme de en ou de pendant. Très souvent,<br />
le SP avec depuis est conditionné par un syntagme du type le n-ième + N ou (pour) la<br />
n-ième fois, depuis étant suivi d’un quantificateur défini. On peut distinguer deux<br />
variantes :<br />
a) în (decurs de) ou într-, qui laisse dans l’ombre la référence au repère:<br />
Fr. C’est peut-être la première fois depuis dix ans. (M. Pagnol)<br />
Roum. E poate prima oară în (decurs de) zece ani.<br />
Fr. Pour la millième fois depuis un mois. (P. Mac Orlan)<br />
Roum. Pentru a mia oară într-o lună.<br />
b) în ultimii / ultimele..., qui met l’accent sur l’intervalle-durée à l’intérieur<br />
duquel se situe le procès (cf. pendant) et souligne la référence au repère du locuteur. La<br />
vision que l’on a de la durée change : la durée du procès n’est plus considérée comme<br />
postérieure à L1, mais plutôt comme antérieure à L2 (L2 = To).<br />
Fr. Dans toute ma vie [...], je n’ai pas vécu aussi longtemps que depuis trois<br />
semaines. (M. Pagnol)<br />
Roum. În (toată) viaţa mea [...] n-am trăit atât de mult ca în ultimele trei<br />
săptămâni. (= pendant les trois dernières semaines)<br />
Fr. C’était le quantième bar dans lequel Maigret avait été obligé de pénétrer<br />
depuis 24 heures? (G. Simenon)<br />
Roum. Era al câtelea bar în care Maigret era obligat să intre în ultimele 24 de<br />
ore?<br />
Fr. Vous êtes le premier voyageur qui débarque ici depuis quinze jours. (S. A.<br />
Steeman)<br />
Roum. Sânteţi primul călător care debarcă aici în ultimele două săptămâni.<br />
2.2.3. După<br />
11
On emploie la préposition după, avec le trait [+Postériorité], lorsque la phrase<br />
contient le syntagme le premier ou (pour) la première fois; le SP avec depuis comporte<br />
un quantificateur indéfini. Le procès coïncide avec la limite L2 d’un intervalle qT. La<br />
traduction retient seulement le fait que le procès est postérieur à cet intervalle, qui se<br />
caractérise justement par l’absence du procès en question. Depuis est donc interprété ici<br />
comme synonyme de après.<br />
Fr. Pendant le dejeuner chez eux, le premier depuis bien longtemps… (M.<br />
Butor)<br />
Roum. În timpul prânzului pe care l-am luat la ei acasă, primul după foarte<br />
multă vreme…<br />
Fr. C’était la première fois, depuis des mois, qu’il restait si longtemps loin de<br />
lui. (M. Genevoix)<br />
Roum. Pentru prima oară după mai multe luni rămânea atâta vreme departe de<br />
el.<br />
3. Durée fermée (L2 explicite)<br />
On a affirmé que depuis « présuppose jusque, exprimé ou non » 4 , marquant la<br />
limite finale L2 de la durée. Les constructions où jusque apparaît effectivement dans la<br />
phrase, en corrélation avec depuis + SN [-qT] ne posent pas de problèmes pour la<br />
traduction. La structure comportant les corrélatifs depuis … jusque a pour équivalents<br />
de / din / de la... (şi) până / până la / până în.<br />
Fr. J’ai lu depuis le coucher du soleil jusqu’à minuit. (H. Bosco)<br />
Roum. Am citit de la apusul soarelui până la miezul nopţii.<br />
Fr. Même si, depuis Catherine de Médicis et jusqu’en 1964, Castelnaudary a<br />
toujours été ville de garnison! (L’Express)<br />
Roum. Chiar dacă, (începând) de la Ecaterina de Medicis şi până în 1964,<br />
Castelnaudary a fost întotdeauna un oraş de garnizoană!<br />
Nous signalons également les situations où le SP avec jusque, qui n’est pas<br />
exprimé en français, doit cependant apparaître de façon explicite dans la traduction. Le<br />
roumain rend explicite le repère à partir duquel on considère rétrospectivement une<br />
action ou un état, et qui est envisagé en tant que limite finale (L2) de la durée. L’énoncé<br />
présente une sorte de bilan que l’on fait au moment de référence implicite (repère<br />
centrique ou allocentrique, domaine du passé ou du passé-présent). Traduction : de /<br />
din / de la ... (şi) până acum / azi / în prezent ; până atunci / în acel moment.<br />
Fr. Depuis 1965, Valentina Terechkova demeure la seule femme de l’espace.<br />
(Le Monde)<br />
4 Barrera-Vidal (1967 : 155).<br />
12
Roum. Din 1965 şi până azi, Valentina Tereşkova rămâne singura femeie<br />
cosmonaut.<br />
Fr. Au total, douze attentats ont été commis dans cette région depuis le I er<br />
juillet. (Le Monde)<br />
Roum. În total, douăsprezece atentate au fost comise în această regiune de la 1<br />
iulie până acum.<br />
Fr. La conception de la peinture a beaucoup évolué depuis Delacroix. (dans<br />
Henry, 1968)<br />
Roum. Concepţia despre pictură a evoluat mult de la Delacroix până în<br />
prezent.<br />
Fr. Qu’est-ce que l’homme avait fait depuis le matin? (G. Simenon)<br />
Roum. Ce făcuse omul acesta de dimineaţă şi până atunci / în acel moment? –<br />
La construction avec de dimineaţă sans corrélatif serait ambiguë en roumain.<br />
4. Conclusion<br />
La traduction en roumain des SP avec depuis est influencée par les facteurs<br />
suivants : d’une part, les éléments constitutifs du SP, la présence de certains éléments<br />
dans le contexte, en français, et, d’autre part, les contraintes imposées par la langue<br />
d’arrivée ainsi que la nécessité d’éviter l’ambiguïté de certaines constructions du<br />
roumain.<br />
Les équivalents roumains de depuis reprennent, dans les contextes type, le trait<br />
sémantique fondamental de ce relateur, avec l’indication de la limite initiale et la durée<br />
ultérieure implicite : de, din, de la ; les variantes contextuelles peuvent souligner L1 ou<br />
le repère To / T1. On peut également avoir affaire à des modulations qui laissent dans<br />
l’ombre certaines informations, au profit des traits [+Intériorité] – situation d’un procès<br />
à l’intérieur d’une durée – ou [+Postériorité] par rapport au repère défini par le SN,<br />
suivant la perspective imposée par le contexte de l’énoncé. Dans le cas de<br />
l’interprétation centrée sur l’intériorité, la postériorité – qui est d’ailleurs un trait<br />
secondaire – est annulée, ou bien elle change en antériorité. Dans l’interprétation<br />
centrée sur la postériorité, c’est la référence au repère du locuteur qui peut être annulée.<br />
Par ailleurs, le roumain s’avère parfois plus explicite que la langue de départ,<br />
dans le cas des constructions impliquant en français une ellipse, ou encore s’il s’agit<br />
d’expliciter une idée verbale. Comme on a pu le voir, le roumain peut également rendre<br />
explicite le repère implicite du français, qui constitue la limite L2 de la durée.<br />
13
1. Dès - relateur temporel<br />
LA PRÉPOSITION DÈS<br />
ET SES ÉQUIVALENTS EN ROUMAIN<br />
Appartenant au champ lexico-sémantique de la relation temporelle, la<br />
préposition dès peut être décrite à l’aide de la formule componentielle suivante:<br />
[+Temps] [+Ponctuel] [-qT] [-Réf.To] [+Précocité] [-Durée]. 1<br />
[+Temps] : dès s’actualise essentiellement dans le domaine temporel ; il sert à<br />
construire des compléments de temps, mettant en relation un procès avec un repère R :<br />
Et dès le lendemain nous sortîmes ensemble. (A. Gide, L’immoraliste)<br />
Le repère est exprimé, le plus souvent, par des lexèmes ou des syntagmes<br />
[+Temps] – termes à référence absolue, déictique ou cotextuelle – ou, parfois par des<br />
syntagmes [-Temps], qui acquièrent une signification temporelle grâce, précisément, à<br />
la présence du relateur dès. Dans les exemples ci-dessous, un SN [+Lieu] devient, grâce<br />
à dès, apte à évoquer une situation temporelle (moment ou époque) :<br />
... moi, qui avais d’abord aimé Gilberte, dès Combray, à cause de tout<br />
l’inconnu de sa vie... (M. Proust, A la recherche du temps perdu)<br />
Précédés par dès, le nom de lieu Combray évoque une certaine période de la vie du<br />
narrateur.<br />
Hélas! quand je rentrai, ce matin-là, un désordre inaccoutumé me frappa dès la<br />
première pièce. (A. Gide, L’immoraliste)<br />
Le SP dès la première pièce signifie en fait « dès le moment où j’entrai dans la<br />
première pièce » 2 .<br />
[+Ponctuel] : Le lexème dès implique une vision « ponctuelle » du repère;<br />
l’espace temporel désigné par le complément est réduit à un espace minimal 3 , qui peut<br />
être soit un moment, soit une période envisagée de façon globale, en tant qu’équivalent<br />
d’un moment.<br />
1<br />
Pour une analyse plus détaillée de dès, voir Ţenchea (1989).<br />
2<br />
Il s’agit, dans de tels cas, d’une synthèse spatio-temporelle (cf. Tenchea, 1983).<br />
3<br />
Cf. Martin (1971 : 269).<br />
14
[-qT] : dès ne peut pas se rapporter à un espace temporel quantifié, à une<br />
distance temporelle 4 .<br />
[-Réf.T0] : la relation temporelle que dès sert à établir n’est pas déterminée en<br />
fonction du moment de l’énonciation T0.<br />
Le trait [-Durée] se rapporte au caractère aspectuel du procès dont le SP en dès<br />
marque la situation temporelle : le procès est considéré dans une vision ponctuelle, non<br />
durative.<br />
C’est le trait [+Précocité], de nature sémantico-pragmatique, qui définit le<br />
fonctionnement de dès en tant que relateur temporel. La préposition dès fait référence<br />
à l’énonciateur, impliquant un jugement de ce dernier sur la situation temporelle du<br />
procès. Tout en situant dans le temps le procès exprimé par le verbe régissant, en<br />
fonction d’un repère R, la préposition dès marque l’idée de précocité concernant le<br />
moment du procès ; elle laisse entendre que le procès aurait pu se produire plus tard, à<br />
un moment ultérieur. L’action « est estimée précoce par le sujet parlant » 5 . Dans le<br />
même sens, on a parlé aussi de promptitude ; selon A. Barrera-Vidal, dès comporte<br />
« une certaine nuance de promptitude, un peu à la façon de déjà » 6 . Le SP en dès peut<br />
d’ailleurs être paraphrasé par un SP comportant un simple situant précédé par l’adverbe<br />
présuppositionnel déjà 7 : « déjà au moment R et non pas plus tard (comme cela aurait<br />
été possible) ». Dans la phrase Il est parti dès l’aube, les syntagme dès l’aube signifie<br />
« déjà à l’aube et non pas plus tard, comme on pouvait s’y attendre ». L’idée de<br />
précocité peut être rendue de façon explicite à l’aide d’une expression telle que sans<br />
tarder, sans aucun délai, ou bien par le verbe ne pas lanterner (à) :<br />
Dès le lendemain matin, elle ne lanterna pas à faire ses malles. (Y. Gandon,<br />
Monsieur Miracle)<br />
L’espace temporel postérieur au repère apparaît comme une virtualité niée.<br />
Dans les phrases ci-dessous on oppose, précisément, le moment-repère et les moments<br />
ultérieurs:<br />
Je n’avais pas eu le coeur de le faire dès mon arrivée, et les semaines qui<br />
suivirent, le coeur me manqua. (Simone de Beauvoir, La force des choses)<br />
Cependant, il ne faut pas oublier que dès est un situant temporel : il marque la<br />
précocité du procès, tout en précisant la situation de celui-ci dans le temps, par rapport<br />
à un repère. Le SP avec dès répond, en effet, à la question quand?<br />
- Quand avez-vous l’intention d’entrer en possession de votre chambre? [...]<br />
4<br />
Exception faite pour la locution dès longtemps, signifiant «il y a longtemps + déjà».<br />
5<br />
Cf. Gougenheim (1962 : 322), ainsi que Martin (1971 : 197).<br />
6<br />
Barrera-Vidal (1967).<br />
7<br />
Tout comme déjà admet des paraphrases en dès, cf. Fuchs & Léonard (1979 : 37) : A dix ans, il prit déjà la clé des<br />
champs – “dès l’âge de dix ans”.<br />
15
- Voyons... Dès demain, je pense.<br />
(Yves Gandon, Monsieur Miracle)<br />
En fait, dès exprime un rapport temporel de coïncidence : « Tout l’intérêt se<br />
trouve reporté sur le fait que l’action a lieu justement au point désigné par dès » 8 . Dans<br />
les phrases ci-dessous:<br />
J’ai dû vous quitter dès neuf heures. (A. Gide, L’immoraliste)<br />
Dès l’après-midi du 17 juin, j’exposai mes intentions à M. Winston Churchill.<br />
(Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre)<br />
Dès avant d’arriver, je reconnus soudain l’odeur de l’herbe. (A. Gide,<br />
L’immoraliste)<br />
Dès après l’armistice, la photo de «l’homme qui pleurait» (...) avait valu aux<br />
Marseillais une solide réputation d’émotivité. (Edmonde Charles-Roux, Elle,<br />
Adrienne)<br />
les syntagmes dès neuf heures, dès l’après-midi du 17 juin, dès avant d’arriver et dès<br />
après l’armistice marquent le fait que le procès a lieu, respectivement, à neuf heures,<br />
dans l’après-midi du 17 juin, avant d’arriver ou dès après l’armistice 9 , et que ces<br />
moments sont considérés précoces par le sujet parlant. La comparaison de la<br />
préposition dès avec un relateur tel que à, qui exprime, par excellence, le rapport de<br />
coïncidence temporelle, peut mettre en lumière l’apport sémantique spécifique de dès, à<br />
savoir l’idée de précocité: Il partit à l’aube vs Il partit dès l’aube. Dans les deux cas, il<br />
y a coïncidence du procès avec le repère (il a lieu à l’aube), mais dès marque, en outre,<br />
le caractère précoce du procès.<br />
Lorsque le repère est exprimé par un lexème nominal [+Action] ou par une<br />
forme verbale non personnelle (le SP impliquant alors dans la structure sous-jacente dès<br />
que + Prop), dès marque un rapport de postériorité immédiate, signifiant «aussitôt<br />
après» 10 , «juste après» 11 . L’idée de postériorité résulte de l’impossibilité logique de<br />
concevoir l’action-repère et l’action exprimée par le verbe régissant comme<br />
simultanées.<br />
Dès notre entrée, un géant à demi chauve et roux est venu nous saluer. (J. P.<br />
Faye, Entre les rues) [« dès que nous sommes entrés »]<br />
8<br />
Sävborg (1943 :11).<br />
9<br />
On remarquera le fait que dès se combine avec des SN susceptibles d’être construits avec des relateurs exprimant la<br />
simultanéité, tels que à, dans, en et même ∅ : dès le début – au début, dès octobre – en octobre, dès son enfance –<br />
dans son enfance, dès lundi – lundi. Dans le cas où dès se combine avec le relateur avant ou après (dès avant /après<br />
R) on envisage un moment défini comme antérieur ou postérieur au repère R (avant / après R).<br />
10<br />
Wagner & Pinchon (1962 : 479).<br />
11<br />
Vet (1980 : 125).<br />
16
Dès le travail fini, je voyagerai. (in Le Bidois, 1967 : II, 433) [« dès que j’aurai<br />
fini le travail »]<br />
Lorsque le moment référentiel est déjà défini comme postérieur à un repère (dès<br />
après...), la présence de dès fait apparaître l’idée d’immédiateté:<br />
Les jours ouvrables (...), nous nous rendions dès après le déjeuner dans la<br />
banque la plus voisine... (Clara Malraux, Nos vingt ans) [« aussitôt après le<br />
déjeuner »]<br />
La préposition dès impose une vision ponctuelle, perfective du procès exprimé<br />
par le verbe régissant, l’action étant considérée « en dehors de sa durée » 12 .<br />
En alliance avec un verbe imperfectif, exprimant un procès duratif ou un état,<br />
dès marque la coïncidence du premier moment du procès ou de l’état avec le repère<br />
ponctuel ; le moment référentiel est représenté par la limite initiale, considérée précoce<br />
par le locuteur, l’effet de sens se rapprochant ici de l’inchoativité 13 (ce qui dérive de<br />
l’opposition implicite entre le moment-repère et les moments ultérieurs) :<br />
Le 24 le temps s’assombrit et il neigea dès le matin (H. Bosco, Malicroix). [« il<br />
commença à neiger »]<br />
L’idée inchoative peut être exprimée de façon explicite:<br />
Et, dès ces jours-là, il commença d’aller mieux. (F. Mauriac, Thérèse<br />
Desqueyroux)<br />
La préposition dès se situe donc dans la zone des relateurs prépositionnels qui<br />
impliquent une visée initiale 14 . Dès indique soit le moment du procès perfectif, avec<br />
référence implicite à des moments ultérieurs, niés en tant que moments du procès, soit<br />
le moment initial, considéré précoce, d’un procès imperfectif dont la durée, postérieure<br />
au moment-repère, n’est pas prise en considération.<br />
À ce titre, dès pourrait être rapproché de depuis, relateur de la limite initiale ;<br />
les deux prépositions s’opposent, cependant, par le fait que depuis comporte le trait<br />
[+Durée], la durée du procès étant rapportée au moment de référence T0. Dans la phrase<br />
Il travaille dès le matin, le SP insiste sur la limite initiale d’un procès duratif qui se<br />
répète, alors que dans l’énoncé Il travaille depuis le matin, le SP marque la limite<br />
initiale du procès, tout en insistant sur la durée du procès, qui continue au moment de la<br />
parole.<br />
12 G. Gougenheim (1962 : 321).<br />
13 Cf. Martin (1971 : 269).<br />
14 La valeur fondamentale en langue de dès est d’ailleurs définie par Pottier (1962) de la manière suivante: « Visée<br />
immédiatement postérieure à une limite, avec perspective du mouvement d’éloignement, visée initiale +<br />
immédiation ». La préposition dès appartient, par là, à la classe des relateurs que nous avons appelés aspectuels,<br />
définis par le trait [+Limite] (voir Ţenchea, 1986).<br />
17
C’est précisément la propriété de la préposition dès de conférer une valeur<br />
inchoative aux procès imperfectifs qui explique un emploi particulier de ce relateur<br />
dans les structures prépositionnelles corrélatives. Dès y marque la limite initiale,<br />
considérée précoce, du procès, la limite finale du déroulement temporel étant marquée<br />
par jusqu’à (limite finale + durée antérieure):<br />
Dès la fin de la guerre et jusqu’à mon mariage, j’aurai sans cesse la possibilité<br />
de donner à ma vie la forme de tel ou tel être. (Clara Malraux, Nos vingt ans)<br />
2. Équivalents roumains de la préposition dès<br />
2.0. La préposition dès du français n’a pas d’équivalent dans le système des<br />
prépositions du roumain. Les multiples nuances temporelles et aspectuelles qu’elle<br />
implique se retrouvent à travers les diverses possibilités de transposition en roumain, où<br />
l’on fait appel à des lexèmes prépositionnels ou conjonctionnels, ainsi qu’à certains<br />
adverbes. La difficulté à laquelle on se heurte dès l’abord, c’est qu’en roumain il<br />
n’existe pas d’hétéronyme prépositionnel qui puisse rendre l’idée de précocité<br />
spécifique pour dès ; elle ne peut être rendue que grâce à des adverbes tels que chiar ou<br />
încă.<br />
La traduction roumaine privilégie, suivant le contexte, tel ou tel trait temporel et<br />
/ ou aspectuel, le choix des équivalences étant dicté par plusieurs facteurs. Il faudra<br />
tenir compte de tous les éléments susceptibles de créer des effets de sens contextuels (la<br />
distribution de dès à l’intérieur du SP : il se combine avec un SN, un adverbe ou une<br />
structure verbale non personnelle – syntagme à verbe non fini ; le caractère perfectif ou<br />
imperfectif du procès exprimé par le verbe), ainsi que des possibilités de combinaison<br />
de certains lexèmes du roumain, l’option du traducteur étant parfois déterminée – ou<br />
limitée – par les procédés dont dispose le roumain pour exprimer les sens<br />
correspondants du français. 15<br />
Nous distinguerons plusieurs types d’équivalences, en fonction des sens<br />
actualisés dans chaque cas. 16<br />
2.1. Équivalences qui correspondent à l’idée fondamentale exprimée par dès, à<br />
savoir la visée initiale (cf. Pottier) ; elles laissent dans l’ombre la nuance de précocité.<br />
2.1.1. La préposition de, avec les variantes : de la, din, de pe la, de cu. Structure<br />
du SP en français: dès + SP [+Temps] ou [+Action].<br />
Fr. Dès les premiers mots d’Antoine (...), il comprit tout.<br />
15 Les dictionnaires bilingues (français-roumain) se résument, dans le cas de dès, à des indications assez<br />
« télégraphiques », de toute évidence incomplètes.<br />
16 Notre analyse est basée sur un corpus d’exemples tirés d’oeuvres littéraires, confrontés à la version roumaine<br />
publiée, dans les cas où une telle version existe ; dans les autres cas, la traduction des exemples nous appartient.<br />
18
Roum. De la primele cuvinte ale lui Antoine (...) înţelese totul.<br />
(R. M. du Gard, Les Thibault, trad. V.Rusu-Şirianu)<br />
Fr. Mais dès ce moment-là, je fus persuadé qu’il était, lui aussi, une victime.<br />
Roum. Din acel moment, însă, am fost convins că şi el e o victimă.<br />
(Exbrayat, Les douceurs provinciales)<br />
Fr. Et dès la collation (...), un peu de brume annonce de loin le crépuscule.<br />
Roum. ... de pe la ora cinci după-amiază se aşterne o ceaţă uşoară care<br />
prevesteşte amurgul cu mult înainte de a se lăsa.<br />
(F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, trad. E. et M.Beniuc)<br />
Fr. Seulement, cette fois, tu viendras ici dès le matin.<br />
Roum. Numai că, atunci, vei veni aici de cu zori.<br />
(J. Gracq, Le rivage des Syrtes, trad. G. Naum)<br />
Fr. Cette intervention avait été, dès longtemps, préparée...<br />
Roum. Această intervenţie fusese pregătită de multă vreme.<br />
(Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre)<br />
2.1.2. Équivalences qui expriment un ablatif temporel: începând de / din / de la<br />
/ cu, qui mettent en lumière la limite initiale d’un procès imperfectif, duratif (on peut<br />
envisager aussi les résultats d’un procès perfectif), comportant en même temps l’idée<br />
d’une durée ouverte postérieure à cette limite (la continuation du déroulement<br />
processuel, cf. fr. à partir de). Dans ce cas, la nuance de précocité (« sans tarder »)<br />
n’est pas actualisée en roumain. Structure du SP en français : dès + SN ou Adv<br />
[+Temps].<br />
Fr. Roberto, sans éveiller l’attention, dès l’après-midi devait inspecter la vieille<br />
batterie.<br />
Roum. Fără să trezească atenţia, Roberto trebuia, începând de după-amiază,<br />
să inspecteze bătrâna baterie de coastă.<br />
(J. Gracq, Le rivage des Syrtes, trad. G.Naum)<br />
Fr. Dès quatre heures, il devait quitter la chasse.<br />
Roum. Începând cu orele patru trebuia să-şi înceteze vânatul.<br />
(F. Mauriac, Le baiser au lépreux, trad. E.Buşneag)<br />
Fr. Laurence m’écrivit dès lors deux fois par semaine.<br />
Roum. Începând din acel moment, Laurence îmi scrise de două ori pe<br />
săptămână.<br />
(Y. Gandon, Monsieur Miracle)<br />
2.2. La traduction explicite l’idée de précocité au moyen des adverbes chiar ou<br />
încă. Le SP, en français, comporte généralement un SN ou un adverbe [+Temps].<br />
19
2. 2. 1. L’adverbe chiar souligne la coïncidence du procès avec le momentrepère,<br />
impliquant une opposition entre ce moment et d’autres moments.<br />
a) Chiar + circonstant temporel : Adv, SP ou SN se rapportant à un certain jour<br />
ou aux divisions de la journée (référence déictique ou cotextuelle), ou locution<br />
conjonctionnelle introduisant une subordonnée temporelle (en français: aujourd’hui,<br />
hier, demain, le (sur)lendemain ; ce soir, cette nuit, cet après-midi ; avant que + Prop).<br />
Fr. Dès le lendemain, la mère porta jusqu’à la gare un gros colis.<br />
Roum. A doua zi chiar, bătrâna duse la gară un colet mare.<br />
(B. Clavel, Les fruits de l’hiver, trad. E.Buşneag)<br />
Fr. Jean pourrait dès le lendemain voir Noëmi.<br />
Roum. Jean ar putea s-o vadă pe Noëmi chiar a doua zi.<br />
(F. Mauriac, Le baiser au lépreux, trad. E.Buşneag)<br />
Fr. Dès demain, il ira voir le Préfet.<br />
Roum. Chiar mâine îi va face o vizită prefectului.<br />
(F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, trad. E. et M. Beniuc)<br />
Fr. Que tout ce qui était caché apparaisse dans la lumière, et dès ce soir.<br />
Roum. Să scoată la lumină chiar în astă seară tot ceea ce mocnea în întuneric.<br />
(F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, trad. E. et M. Beniuc)<br />
Fr. Télégraphie dès ce soir.<br />
Roum. Telegrafiază-mi chiar diseară.<br />
(F. Mauriac, Le mystère Frontenac, trad. E. Buşneag)<br />
Fr. On lui jette des confetti, dès avant qu’il apparaisse.<br />
Roum. I se aruncă confeti, chiar înainte ca el să apară.<br />
(E. Ionesco, Théâtre)<br />
b) Chiar + de / din / de la + SN [+Temps] ou [+Action] ; la préposition marque<br />
une idée inchoative : le début d’un état, résultat du procès perfectif qui coïncide avec le<br />
repère.<br />
Fr. Dès le lendemain, le père Dubois perdit la notion du temps.<br />
Roum. Chiar de a doua zi, bătrânul pierdu noţiunea timpului.<br />
(B. Clavel, Les fruits de l’hiver, trad. E. Buşneag)<br />
Fr. Jean Pélouyère, dès le surlendemain, reprit ses habitudes.<br />
Roum. Chiar din a treia zi, Jean Pélouyère îşi relua obiceiurile.<br />
(F. Mauriac, Le baiser au lépreux, trad. E.Buşneag)<br />
Fr. Et puis Jean-Louis l’avait, dès les premières paroles, touchée au coeur.<br />
Roum. Şi apoi, Jean-Louis o înduioşase chiar de la primele cuvinte.<br />
(F. Mauriac, Le mystère Frontenac, trad. E. Buşneag)<br />
20
2.2.2. L’idée de précocité est exprimée à l’aide de l’adverbe încă.<br />
a) încă + de ou variantes (visée initiale) :<br />
– încă + de / din / de la / de (pe). Structure du SP en français: dès + SN<br />
[+Temps] (ou équivalent).<br />
Fr. ... il neigea dès le matin.<br />
Roum. ... începu să ningă încă de dimineaţă.<br />
(H. Bosco, Malicroix)<br />
La traduction explicite ici l’idée inchoative.<br />
Fr. Le lendemain matin, j’étais prêt à sortir dès neuf heures.<br />
Roum. A doua zi dimineaţa, eram gata să ies încă de la ora nouă.<br />
(A. Gide, L’immoraliste)<br />
Fr. Les femmes de la lande sont très supérieures aux hommes qui, dès le<br />
collège, vivent entre eux et ne s’affinent guère.<br />
Roum. Femeile din lande sunt în general cu mult superioare bărbaţilor, care<br />
încă din liceu stabilesc relaţii doar între ei şi în cercul lor îngust n-au cum să se<br />
cioplească.<br />
(F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, trad. E. et M.Beniuc)<br />
Fr. Pourtant, dès cette époque, elle regorgeait d’argent.<br />
Roum. Totuşi, încă de pe atunci era doldora de bani.<br />
(H. Monteilhet, Le retour des cendres)<br />
– încă + de când + Prop. Structure du SP en français : dès + SN [+Action].<br />
Fr. Dès ma sortie de l’École des chartes, tu as été mon mauvais génie.<br />
Roum. Încă de când am absolvit şcoala de arhivari ai fost geniul meu rău.<br />
(P. Morand, L’homme pressé)<br />
b) încă + complément de temps prépositionnel marquant la simultanéité ou la<br />
postériorité.<br />
Fr. ... bien que ma déception eût commencé dès 1948.<br />
Roum . ... deşi decepţia mea începuse încă din 1948.<br />
(Simone de Beauvoir, La force des choses)<br />
Fr. Le lendemain, nous partîmes dès avant l’aube.<br />
Roum. A doua zi, plecarăm încă înainte de ivirea zorilor.<br />
(A. Gide, L’immoraliste)<br />
2.3. Équivalences qui effacent la nuance de précocité, privilégiant l’expression<br />
d’un rapport temporel - coïncidence ou postériorité immédiate.<br />
2.3.1. Coïncidence. Structure du SP en français: dès + SN [+Temps]<br />
21
– O dată cu («en même temps que», «avec») met en évidence la coïncidence<br />
d’un procès perfectif avec le moment-repère.<br />
Fr. Dès cette aube néfaste, les bestiaux sur le foirail réveilleraient le malade.<br />
Roum. O dată cu zorii acestei zile nefaste, animalele adunate în piaţă îl vor<br />
trezi pe bolnav.<br />
(F. Mauriac, Le baiser au lépreux, trad. E. Buşneag)<br />
– Le SP en dès est traduit à l’aide d’un complément de temps construit ou non<br />
avec une préposition.<br />
Fr. Impossible de partir dès le lundi matin.<br />
Roum. Cu neputinţă să plece luni dimineaţa.<br />
(R. Martin du Gard, Les Thibault, trad. V.Rusu-Şirianu)<br />
Fr. Un souci de convenance m’interdit de relancer Prieur dès cette heure<br />
matinale.<br />
Roum. Grija pentru convenienţe mă opreşte să-l deranjez pe Prieur la această<br />
oră matinală.<br />
(H. Troyat, Le mort saisit le vif)<br />
Fr. Dès la fin de la matinée, les visites commencèrent.<br />
Roum. Puţin înaintea prânzului, începură vizitele.<br />
(R. Martin du Gard, Les Thibault, trad. V. Rusu-Şirianu)<br />
L’idée de précocité pourrait être explicitée ici par déjà:<br />
Spre amiază începură deja vizitele.<br />
2.3.2. Équivalences mettant en lumière l’effet de sens contextuel [+Postériorité<br />
immédiate] :<br />
a) imediat (după), îndată după (« aussitôt après »). Structure du SP en français :<br />
dès + après + N [+Action].<br />
Fr. Cet hiver-là fut comme un long sommeil tout peuplé de rêves, où le père<br />
Dubois s’était enfoncé dès après le départ de sa femme.<br />
Roum. Iarna aceea a fost ca un somn lung şi încărcat de vise, în care bătrânul<br />
se cufundase imediat după moartea bătrânei.<br />
(B. Clavel, Les fruits de l’hiver, trad. E. Buşneag)<br />
b) locution conjonctionnelle exprimant la postériorité immédiate : de îndată ce,<br />
imediat ce, de cum (« dès que », « aussitôt que »). La traduction a recours à une<br />
macrostructure temporelle, le SP en dès étant transposé en roumain au moyen d’une<br />
proposition subordonnée de temps. On peut constater que le roumain ne fait<br />
qu’expliciter la séquence verbale personnelle implicite dans la structure profonde du<br />
22
français (dès que / aussitôt que + Prop). Le SP du français peut avoir l’une des<br />
structures suivantes :<br />
– dès + SN [+Action] (déverbal)<br />
Fr. Je te ferai prévenir dès mon retour.<br />
Roum. Am să te anunţ imediat ce mă întorc.<br />
(J. Gracq, Le rivage des Syrtes, trad. G. Naum)<br />
Fr. Mais je lui ai promis de lui expédier un exemplaire de mon roman dès sa<br />
mise en vente.<br />
Roum. I-am promis însă că îi voi trimite un exemplar din romanul meu de<br />
îndată ce va fi pus în vânzare.<br />
(H. Troyat, Le mort saisit le vif)<br />
Fr. Je me le repète dès le réveil.<br />
Roum. Mi-o repet de cum mă trezesc. (Barillet et Grédy, Potiche)<br />
– dès + SN [+Temps] évoquant, par ellipse, le moment où a lieu une action<br />
Fr. ... dès le potage naissait le débat imbécile qui tournait vite à l’aigre.<br />
Roum. ... de cum se aşezau la masă, începea o controversă stupidă, care<br />
degenera repede în ceartă.<br />
(F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, trad. E. et M. Beniuc)<br />
Fr. Dès la cloche, ils se défilaient vers la cave de l’école.<br />
Roum. De cum se auzea clopoţelul, o zbugheau spre pivniţa şcolii.<br />
(J.-P. Chabrol, L’embellie)<br />
– dès + N + participe passé<br />
Fr. Le vieux couple envisageait le retour à la terre dès leur bateau vendu.<br />
Roum. Cei doi bătrâni intenţionau să se întoarcă pe uscat de îndată ce-şi vor fi<br />
vândut vasul.<br />
(Renée P. Gosset, Mes hommes dans un bateau)<br />
– dès + infinitif passé<br />
Fr. Dès l’avoir vu je l’ai jugé capable.<br />
Roum. De cum l-am văzut l-am socotit capabil.<br />
(in Wagner & Pinchon, 1962)<br />
– dès + gérondif<br />
Fr. Elle a dû se coucher dès en arrivant de l’école.<br />
Roum. Probabil că s-a culcat de îndată ce s-a întors de la şcoală.<br />
(Nyrop, apud Pottier, 1962)<br />
23
3. Conclusion<br />
3.1. Nous avons mis en évidence le spécifique du relateur dès du français, qui<br />
appartient au champ lexico-sémantique de la relation temporelle, étant défini par le trait<br />
sémantico-pragmatique [+Précocité], qui fait référence à l’énonciateur. Dès implique, à<br />
la façon de déjà, une opposition entre le moment-repère R et les moments ultérieurs, le<br />
moment du procès étant considéré comme précoce par le locuteur. Le moment<br />
référentiel, marqué par le terme avec lequel se combine la préposition dès, est défini<br />
soit comme coïncidant avec le repère R (auquel cas on peut sous-entendre l’un des<br />
relateurs exprimant la coïncidence temporelle – adessif ou inessif), soit comme<br />
antérieur vs postérieur à R (l’antériorité ou la postériorité étant exprimée explicitement<br />
par avant ou après). En tant que situant temporel, dès marque la coïncidence du<br />
moment du procès – considéré comme précoce – avec le moment référentiel ainsi défini<br />
; parfois, il peut marquer aussi la postériorité immédiate, en tant qu’effet de sens<br />
contextuel.<br />
Imposant une vision ponctuelle du repère, dès impose également une vision<br />
ponctuelle – non durative – du procès exprimé par le verbe régissant le SP. Le SP en<br />
dès se rapporte, dans cette perspective, soit au moment du procès perfectif, soit au<br />
premier moment d’un procès imperfectif-duratif, la visée initiale propre à dès, qui se<br />
traduit par l’opposition implicite entre R et les moments ultérieurs, actualisant alors une<br />
nuance inchoative.<br />
3.2. L’analyse sémantique et distributionnelle de la préposition dès du français<br />
s’est avérée indispensable dans la recherche des équivalences de ce relateur en<br />
roumain.<br />
On peut également affirmer que la traduction contribue à mettre en évidence les<br />
caractéristiques de la préposition dès au niveau du système des prépositions temporelles<br />
du français, ainsi que son fonctionnement dans le contexte.<br />
Dans le système des prépositions du roumain, il n’existe pas d’équivalent exact<br />
de dès, qui puisse exprimer l’idée de précocité. Les diverses possibilités dont on<br />
dispose pour transposer en roumain les syntagmes temporels construits avec dès<br />
privilégient, en fonction du contexte, certains des sens exprimés par cette préposition ;<br />
la précocité peut être explicitée à l’aide des adverbes chiar ou încă, mais, dans d’autres<br />
cas, elle n’est pas rendue en roumain. Les équivalences roumaines de dès que nous<br />
avons envisagées actualisent, dans le cadre de divers syntagmes prépositionnels ou de<br />
certaines macrostructures temporelles, soit la visée initiale (de et variantes ; începând<br />
de), soit l’idée de précocité, exprimée par les adverbes chiar ou încă, accompagnant un<br />
circonstant temporel, soit encore un simple rapport temporel: la coïncidence (o dată cu<br />
ou d’autres relateurs exprimant la coïncidence temporelle) ou la postériorité<br />
immédiate (imediat / îndată după, îndată ce, imediat ce, de cum).<br />
24
LÀ - MARQUE DE L’ÉNONCIATION<br />
ET SES ÉQUIVALENTS EN ROUMAIN<br />
0. Le lexème là du français est ce qu’on appelle un embrayeur, c’est-à-dire un<br />
terme qui reçoit un référent lorsqu’il est inclus dans un message 1 . Le sens référentiel de<br />
là doit être déchiffré soit en fonction du contexte de l’énoncé (il s’agit, dans ce cas,<br />
d’un terme à référence cotextuelle 2 ), soit en fonction de l’énonciation, de la situation de<br />
communication (il fonctionne alors comme terme déictique).<br />
Sémantiquement, là se situe dans la zone spatiale, temporelle ou abstraitenotionnelle,<br />
son actualisation dans l’un de ces domaines étant due au contexte. Il peut<br />
évoquer un espace au sens propre ou figuré, un moment ou une situation ; cependant, sa<br />
valeur de base, spécifique, reste la valeur spatiale 3 .<br />
Dans ce qui suit, nous proposerons une description sémantico-référentielle de<br />
l’embrayeur là, dans la perspective de la théorie de l’énonciation, tout en mettant en<br />
évidence, pour chacun des cas envisagés, les termes équivalents du roumain.<br />
De façon générale, là a le statut d’un adverbe, mais il peut fonctionner aussi<br />
comme substitut pronominal (équivalent d’un pronom démonstratif) et comme<br />
interjection. Seuls les deux premiers cas seront envisagés ici.<br />
1. Là – terme déictique<br />
1 1.1. Là – déictique spatial renvoie à l’espace de l’énonciation, défini par rapport<br />
aux participants à l’acte de communication (locuteur ou allocutaire, 1re ou 2e<br />
personne 4 ).<br />
1.1.1. Là marque l’éloignement par rapport à la première personne, son<br />
équivalent roumain étant acolo.<br />
1.1.1.1. Là est un indice de l’ostension 5 , pouvant accompagner un geste ou<br />
étant l’équivalent d’un geste. Il signifie « à cet endroit que je vous montre en ce<br />
moment (et qui se trouve à une certaine distance de moi / de nous) ». Dans cet emploi,<br />
1<br />
Dubois et al., Dictionnaire de linguistique, 1973.<br />
2<br />
Cf. Kerbrat-Orrechioni (1980).<br />
3<br />
Là provient du latin illac, adverbe à sens spatial.<br />
4<br />
« Ici / là situent par rapport à la première personne », affirme-t-on dans le Dictionnaire de linguistique, p. 137.<br />
5<br />
Cf. Benveniste (1970 : 14).<br />
25
là peut être mis en opposition avec ici, constituant alors un terme déictique<br />
relationnel :<br />
Fr. Vous voyez ici devant vous le fleuve, et là, à l’horizon, les montagnes.<br />
(Quillet)<br />
Roum. Vedeţi aici în faţa voastră fluviul şi acolo, în zare, munţii.<br />
L’opposition ici vs là se double parfois de l’opposition 1re personne vs 2e<br />
personne ; là désigne alors un espace délimité par rapport à la deuxième personne, en<br />
opposition avec l’espace du locuteur, désigné par le déictique ici:<br />
Fr. Être ici... (Il montre la scène) ... ne m’empêche donc nullement d’être là... (Il<br />
montre la scène ... près de vous, parmi vous... (R. Lamoureux)<br />
Roum. Faptul că sunt aici... (Arată scena) ... nu mă împiedică deci câtuşi de<br />
puţin să fiu acolo... (Arată sala) ... lângă voi, printre voi...<br />
Là, indice de l’ostension, peut être employé seul, sans être mis en corrélation<br />
avec ici (l’opposition avec ici est implicite). Il désigne un espace plus ou moins distant<br />
de l’espace du locuteur, constituant l’objet du regard :<br />
Fr. Maman! Une araignée! Là! Sur le bahut! (M. Aymé)<br />
Roum. Mamă! Un păianjen! Acolo ! pe bufet!<br />
1.1.1.2. Là peut renvoyer à un espace défini par rapport à la 2e personne<br />
(l’interlocuteur), se trouvant en contact avec l’espace du locuteur (à la portée de celuici).<br />
Il signifie « à cet endroit où tu te trouves/ où vous vous trouvez en ce moment ».<br />
Fr. (On frappe.) Qui est là? Entrez! (T. Bernard)<br />
Roum. (Cineva bate la uşă.) Cine-i acolo? Intră!<br />
Dans les exemples ci-dessous, là fonctionne comme renforçant, servant à mieux<br />
intégrer l’énoncé à la situation de communication, à exprimer la subjectivité du<br />
locuteur. L’idée spatiale reste toujours présente : il s’agit de l’espace du regard, défini<br />
par le locuteur en fonction de l’interlocuteur.<br />
Fr. (Il va à la table et se verse un grand verre de curaçao.)<br />
Lenglumé : Qu’est-ce que tu fais là? (E. Labiche)<br />
Roum. (Se duce la masă şi îşi toarnă un pahar mare de curaçao.)<br />
Lenglumé : Ce faci acolo? 6<br />
Fr. – Je venais poser ici ces livres.<br />
– Mais c’est tout un stock que vous avez là! (H. de Montherlant)<br />
Roum. – Am venit să las aici cărţile astea.<br />
– Dar văd că ai (acolo) un stoc întreg!<br />
6 Le DEX cite deux exemples où acolo est employé avec la valeur en question : Ce ai acolo?, paraphrasé par « Ce ai<br />
la tine (în mână)? », et Ce faci acolo?, paraphrasé par « Cu ce te ocupi (chiar în momentul de faţă)? ».<br />
26
1.1.2. Là peut marquer aussi la proximité spatiale, par référence à la première<br />
personne; synonyme d’ici, il signifie alors « à cet endroit où je me trouve / où nous<br />
nous trouvons en ce moment », ayant pour équivalent en roumain l’adverbe aici. La<br />
référence à la première personne peut être explicitée par des oppositions explicatives ou<br />
par d’autres procédés contextuels.<br />
Fr. Asseyez-vous donc, Monsieur le Député-maire, là, à ma droite. (Barillet et<br />
Grédy)<br />
Roum. Luaţi loc, domnule primar-deputat, aici, în dreapta mea.<br />
Fr. Fadinard (lui barrant le passage): Non!... pas par là... (E. Labiche)<br />
Roum. Fadinard (Barându-i trecerea): Nu! nu pe aici...<br />
Lorsque la phrase comporte un verbe d’état, cette référence reste implicite :<br />
Fr. Reste là. (B. Clavel)<br />
Roum. Rămâi aici.<br />
Fr. Bon, fit l’autre, l’ambulance sera là dans une demi-heure. (E. Triolet)<br />
Roum. Bine, făcu celălalt, ambulanţa va fi aici peste o jumătate de oră.<br />
Il est cependant possible d’exprimer de façon explicite l’équivalence là – ici :<br />
Fr. Vous êtes encore là? Vous avez passé la journée ici? (J.-C. Carrière)<br />
Roum. Tot aici sunteţi? V-aţi petrecut ziua aici?<br />
Une mention à part doit être faite pour être là, qui signifie «être présent» 7 .<br />
Fr. – Puis-je lui parler?<br />
– Non, il n’est pas là. (DFC)<br />
Roum. – Pot să vorbesc cu el?<br />
– Nu, nu e aici.<br />
Fr. Mais je ne sais pas pourquoi, l’idée de vous avoir toujours à mes côtés<br />
m’inquiète. Toujours présent. Toujours là. (J.-C. Carrière)<br />
Roum. Dar nu ştiu de ce, ideea de a te avea mereu alături de mine mă<br />
nelinişteşte. Mereu prezent. Mereu aici.<br />
1.2. En tant que déictique temporel, là renvoie au moment de l’énonciation,<br />
impliquant une relation avec un autre adverbe de temps (déictique ou autre). Là –<br />
déictique temporel relationnel est synonyme de maintenant (« dans la situation<br />
présente »), étant traduit en roumain par acum. Le verbe se trouve à un temps défini par<br />
rapport au moment de l’énonciation (présent, passé composé).<br />
7 Dans leur Syntaxe du français moderne (1968 : 625), G. et R. le Bidois interprètent je suis là comme « me voici, je<br />
suis présent », là signifiant « ici ». Ils précisent que « Je suis ici donnerait à penser non pas une présence, mais une<br />
situation distinctement précisée et localisée (dans tel endroit particulier, et qui peut être plus ou moins distant) ; Je<br />
suis là ne sépare pas autant celui qui parle ; il ne le présente pas comme étant à part, mais comme étant à la portée de<br />
l’autre à sa disposition ».<br />
27
Fr. Ecoute, Cécilia, je te verrai plus longuement tout à l’heure, mais là, il faut<br />
absolument que j’aille parler à Constance. (Françoise Dorin)<br />
Roum. Ascultă, Cecilia, o să te văd îndată mai pe îndelete, dar acum trebuie<br />
neapărat să vorbesc cu Constance.<br />
Fr. Elle n’a jamais été jusqu’à la familiarité, et ce qu’il a dit là est familier,<br />
presque galant. (F. Mallet-Joris)<br />
Roum. Ea n-a mers niciodată până la familiaritate, iar ceea ce a spus el acum e<br />
familiar, aproape galant.<br />
1.3. Là peut être employé « par simple expressivité » (GLLF) 8 , ayant une pure<br />
fonction d’embrayeur : il ne fait que renforcer ou expliciter la référence à la situation<br />
de communication, envisagée de façon globale (impliquant le moment de l’énonciation<br />
et l’espace où se trouvent les participants à l’acte de communication). Signifiant « ici et<br />
maintenant», « dans la situation présente », là marque la subjectivité du locuteur, sa<br />
participation affective ou intellectuelle à la situation de communication, et par là<br />
l’intégration de l’énoncé à la situation d’énonciation. L’énoncé exprime une certaine<br />
réaction de l’énonciateur vis-à-vis d’une action accomplie par une autre personne qui<br />
participe à l’acte de communication, ou vis-à-vis de ce qu’elle dit, mais aussi vis-à-vis<br />
de sa propre énonciation. Il s’agit, le plus souvent, d’énoncés emphatisés. Le verbe<br />
suivi par l’embrayeur là se trouve à un temps défini par rapport au moment de<br />
l’énonciation (présent, futur proche). Les équivalents roumains de là, dans cet emploi,<br />
sont acum, aici, acolo, ∅.<br />
La prise en considération des personnes participant au dialogue permettra de<br />
faire certaines précisions.<br />
a) Le sujet de l’énoncé est identique au sujet d’énonciation (première<br />
personne). La phrase – déclarative ou exclamative – comporte un verbe de parole. Le<br />
locuteur se rend compte de ce qu’il est en train de dire, il se reprend, ou bien il émet un<br />
jugement sur son propre énoncé.<br />
– Le verbe est au présent. Traduction : ∅, aici.<br />
Fr. Mais je dis là la vérité. Ces gens-là n’étaient pas des sorciers. (F. Mallet-<br />
Joris)<br />
Roum. Dar ceea ce spun e adevărul. Oamenii aceia nu erau vrăjitori.<br />
Fr. Mais qu’est-ce que je dis là, moi! (Barillet et Grédy)<br />
Roum. Dar ce tot spun (eu aici)!<br />
– La phrase exprime l’idée d’un futur proche (même si le verbe est au présent).<br />
Traduction : acum.<br />
Fr. C’est peut-être indélicat ce que je vais dire là... (E. Labiche)<br />
8 À preuve le test de l’omission.<br />
28
Roum. Poate că ce-am să spun acum e nedelicat.<br />
Fr. C’est un service personnel que je vous demande là. (Ph. Bouvard)<br />
Roum. Ceea ce vă cer acum e un serviciu personal.<br />
b) Le sujet de l’énoncé est la 2e personne.<br />
– Phrase déclarative: on exprime une appréciation, un jugement sur les paroles<br />
ou les faits de l’interlocuteur. Traduction : ∅, acum, aici.<br />
Fr. Ce que vous me dites là me donne une satisfaction profonde. (T. Bernard)<br />
Roum. Ceea ce-mi spui (acum) îmi dă o profundă satisfacţie.<br />
Fr. Je sais que vous êtes de bonne foi. Mais vous jouez là un jeu dangereux. (T.<br />
Bernard)<br />
Roum. Ştiu că eşti de bună credinţă. Dar joci (aici) un joc periculos.<br />
– Phrase interrogative : l’énoncé exprime le manque d’adhésion (méfiance,<br />
contrariété) du lecteur à ce que dit l’interlocuteur.<br />
Fr. Qu’est-ce que tu me chantes là? (B. Clavel)<br />
Roum. Ce tot vorbeşti? / Ce tot spui? / îndrugi (acolo)?<br />
2. Là – terme à référence cotextuelle<br />
2.1. En tant qu’adverbe à sens spatial, là se rapporte à un espace (au sens<br />
propre ou figuré) évoqué dans le contexte.<br />
2.1.1. Là désigne l’espace du procès énoncé, renvoyant à un complément<br />
circonstanciel de lieu exprimé dans le contexte immédiat. Son équivalent en roumain<br />
est l’adverbe acolo.<br />
Le plus souvent, là est un substitut anaphorique, signifiant « à cet endroit dont<br />
on vient de parler ». Il peut exprimer les rapports spatiaux suivants : locatif et allatif<br />
(là), ablatif (de là), prolatif (par là).<br />
Fr. Dans le bow-window, une table ronde et des chaises. C’est là que les Pujol<br />
prennent leur petit déjeuner. (Barillet et Grédy)<br />
Roum. Pe terasă, o masă rotundă şi nişte scaune. Acolo îşi ia micul dejun<br />
familia Pujol.<br />
Fr. Mais tu me remettras ce que tu me dois avant d’aller là [= au bureau]. (T.<br />
Bernard)<br />
Roum. Dar îmi vei înapoia ce-mi datorezi înainte de a merge acolo.<br />
Fr. Il est allé à Londres et de là à New York. (DFC)<br />
Roum. S-a dus la Londra şi de acolo la New York.<br />
Fr. En Sicile... ou quelque part par là. (Alain, in PR)<br />
29
Roum. În Sicilia... sau undeva pe acolo.<br />
Là peut être aussi un substitut cataphorique (anticipant), signifiant « à cet<br />
endroit dont on va parler, qui va être nommé » .<br />
Fr. J’irai passer mes vacances là où vous êtes allés cet été. (DFC)<br />
Roum. Îmi voi petrece vacanţa acolo unde aţi fost şi dumneavoastră astă-vară.<br />
2.1.2. L’idée spatiale exprimée par là peut être transposée dans le plan abstrait<br />
(emploi figuré). Là signifie dans ce cas «à ce point», admettant deux traductions en<br />
roumain : acolo ou aici.<br />
a) Là a pour hétéronyme acolo :<br />
Fr. Son audace est allée jusque-là. (Quillet)<br />
Roum. Până acolo a mers cu îndrăzneala.<br />
Fr. ... tous ceux qui réussiront là où il a échoué. (Ph. Bouvard)<br />
Roum. ... toţi cei care vor reuşi acolo unde el a eşuat.<br />
b) Là a pour hétéronyme aici :<br />
Fr. Jusque-là, ça va. Tous les témoignages concordent. (L’Avant-Scène)<br />
Roum. Până aici, merge. Toate mărturiile concordă.<br />
Fr. Mon rôle de médiateur va s’arrêter là. (Barillet et Grédy)<br />
Roum. Rolul meu de mediator se termină aici.<br />
Le même type d’emploi apparaît dans quelques structures figées telles que : en<br />
arriver là, en être là, en rester là, s’en tenir là, halte là.<br />
Fr. Toute une vie à se crever pour en arriver là... (B. Clavel)<br />
Roum. Să te istoveşti o viaţă ca să ajungi aici.<br />
2.2. Là – adverbe à sens temporel<br />
2.2.1. Là désigne le moment du procès objet de l’énonciation. Il se rapporte à un<br />
moment ou à une situation temporelle évoquée dans le contexte (exprimés par un<br />
complément circonstanciel de temps ou par une proposition), signifiant «alors», «à ce<br />
moment», «dans cette situation», «dans cette circonstance». En roumain, il a pour<br />
équivalent l’adverbe atunci ou, parfois, acum.<br />
2.2.1.1. Là signifie « à ce moment dont on vient de parler » (c’est un substitut<br />
anaphorique), le moment (ou l’époque) de référence étant défini, en tant que tel, dans<br />
le contexte qui précède. Traduction : atunci.<br />
Fr. Il viendra demain et là vous pourrez le féliciter personnellement. (DFC)<br />
Roum. Va veni mâine şi atunci îl veţi putea felicita personal.<br />
Fr. Mes rapports avec elle avaient été jusque-là assez froids. (Nicole de Buron)<br />
30
Roum. Relaţiile mele cu ea fuseseră până atunci destul de reci.<br />
Fr. Maintes autres termes datent de là. (W. von Wartburg)<br />
Roum. Mulţi alţi termeni datează de atunci (din acea epocă).<br />
Fr. À partir de là, les choses prirent une autre tournure. (Charles de Gaulle)<br />
Roum. Începând de atunci (din acel moment), lucrurile luară o nouă<br />
întorsătură. 9<br />
Là peut marquer la limite finale d’un intervalle temporel dont la limite initiale<br />
est le moment de l’énonciation, marqué par le déictique ici :<br />
Fr. Je reviendrai à trois heures et, s’il n’a pas donné signe de vie d’ici là,<br />
j’appellerai Londres. (Exbrayat)<br />
Roum. Voi reveni la ora trei şi dacă până atunci n-a dat nici un semn de viaţă,<br />
voi chema Londra.<br />
Le moment de référence est parfois le moment où a lieu une action évoquée<br />
dans le contexte.<br />
Fr. Vous attendez qu’il entre et là vous vous jetez sur lui. (PR)<br />
Roum. Aştepţi să intri şi atunci te năpusteşti asupra lui.<br />
Employé comme anticipant (cataphorique), là signifie « à ce moment dont on va<br />
parler », «dans cette circonstance». Le moment de référence est exprimé par une<br />
proposition subordonnée introduite par où, là où étant synonyme de lorsque. La phrase<br />
comporte l’idée d’une opposition.<br />
Fr. N’employons pas l’autorité là où il ne s’agit que de raison. (PR)<br />
Roum. Să nu facem uz de autoritate atunci când nu e vorba decât de raţiune.<br />
2.2.1.2. L’emploi de là permet de rendre présent pour les participants à la<br />
communication le moment (passé) du procès objet de l’énonciation, là signifiant « dans<br />
ce cas-là», «dans cette situation». Il est synonyme de maintenant, qui connaît le même<br />
emploi dans un contexte au passé, tout comme son hétéronyme roumain acum.<br />
Fr. Nous n’avions jamais été plus loin que bonjour ou bonsoir. Or là, ne<br />
trouvant sans doute que mon visage comme figure de connaissance, elle s’était<br />
accrochée à moi. (Ph. Bouvard)<br />
Roum. Niciodată nu merseserăm mai departe decât bună ziua sau bună seara.<br />
Acum însă, negăsind probabil nici o altă figură cunoscută în afară de a mea, se<br />
agăţase de mine.<br />
Fr. Non, ce qui se passait là était un mauvais rêve. (E. Triolet)<br />
9 Dans les structures à quelque temps de là, avant qT de là – où l’on retrouve le modèle spatial : à (une certaine<br />
distance) de là – on a également affaire à un là cotextuel, exprimant un ablatif temporel.<br />
31
Roum. Nu, ceea ce se petrecea acum era un vis urât.<br />
2.2.2. Dans certains cas, là temporel est ce qu’on pourrait appeler un terme<br />
cotextuel implicite, évoquant un moment de l’énonciation d’un énoncé par un certain<br />
locuteur (à l’intérieur d’un énoncé appartenant à un autre locuteur-narrateur). Il signifie<br />
alors «à ces mots», «à ce moment» (à ce point du discours), servant à signaler le<br />
passage d’un plan à l’autre : de l’énonciation d’un personnage, reproduite (énoncée) par<br />
le narrateur, à l’énonciation du narrateur lui-même. Le correspondant roumain de là,<br />
dans cet emploi (comparable aux indications scéniques) est l’adverbe aici 10 .<br />
Fr. Le clergé comprenait les prêtres qui vivaient «dans le siècle», c’est-à-dire<br />
dans la société des hommes... (Là, l’inspecteur se retourna vers l’instituteur...)<br />
(J.-P. Chabrol)<br />
Roum. Clerul cuprindea preoţii care trăiau «în lume», adică în societatea<br />
oamenilor... (Aici, inspectorul se întoarse spre învăţător...)<br />
Fr. Là, il interrompit son récit et ralluma sa pipe. (PR)<br />
Roum. Aici îşi întrerupse povestirea şi îşi aprinse din nou pipa.<br />
2.3. Le référent de là peut être constitué par le contenu de l’énoncé qui précède :<br />
là se rapporte à la situation objet de l’énonciation, évoquant les faits ou les dires de<br />
quelqu’un. Il peut avoir, dans ce cas, soit le statut d’un adverbe, signifiant «dans, en<br />
cela», soit celui d’un substitut démonstratif de sens neutre, étant synonyme de cela 11 .<br />
Là fonctionne alors à la manière d’un « résomptif » 12 , renvoyant à la situation énoncée<br />
précédemment (« ce qu’on vient de dire »). Il admet pour équivalents en roumain le<br />
démonstratif asta ou aceasta, l’adverbe démonstratif aici, ou bien, dans certains cas, ∅.<br />
On peut délimiter plusieurs contextes spécifiques où apparaît ce là cotextuel ; il s’agit<br />
souvent de syntagmes automatisés ou semi-automatisés.<br />
a) Là se traduit par asta, aceasta dans les contextes suivants:<br />
– voir + là «dans, en cela». Traduction : în asta.<br />
Fr. Ne voyez là aucun reproche. (DFC)<br />
Roum. Să nu vedeţi în asta nici un reproş.<br />
– être «résider» 13 , «consister» (ayant pour sujet un substantif abstrait ou le<br />
pronom indéfini tout) + là «dans, en cela». Traduction : asta, aceasta.<br />
Fr. La réalité était là, là était la vie normale, dans l’ordre, l’aisance, la<br />
sécurité. (A. Van der Meersch)<br />
10<br />
Aici peut signifier «în acest moment, acum» (DEX), tout comme son hétéronyme ici du français.<br />
11<br />
Cela implique l’élément là. – Nous rappelons ici que Larthomas (1974) parle d’une valeur de représentation de là.<br />
12<br />
Nous empruntons ce terme à Tesnière (1953), qui l’emploie en parlant du pronom tout, lorsqu’il sert à résumer une<br />
série de substantifs constituant une unité.<br />
13<br />
Le verbe résider peut lui-aussi apparaître dans ce contexte, témoin l’exemple que voici : Même si nous<br />
connaissons notre part secrète de laxisme, là ne peut résider toute l’explication (J.-L. Servan-Schreiber).<br />
32
Roum. Aceasta era realitatea, în asta consta viaţa normală : în ordine, belşug,<br />
tihnă.<br />
Fr. Tu vois bien que là est ma seule chance de salut. (H. de Montherlant)<br />
Roum. Vezi prea bine că asta e singura mea şansă de salvare.<br />
Fr. Là n’est pas la question, mon frère. (Anne Pierry-Bouquet)<br />
Roum. Nu asta e problema, frăţioare.<br />
Fr. L’essentiel n’est pas là. (F. Mallet-Joris)<br />
Roum. Nu acesta e lucrul esenţial.<br />
– commencer / entendre «comprendre» / dire + par + là «cela», «ces mots».<br />
Traduction : asta, aceasta.<br />
Fr. La gueule des confrères... (Il hurle.) Mais fallait commencer par là, nom de<br />
Dieu! (R. Lamoureux)<br />
Roum. Mutra confraţilor... (Urlă.) Dar cu asta trebuia să începi, ce naiba!<br />
Fr. Qu’est-ce que vous voulez dire par là? (M. Thérond, Du tac au tac)<br />
Roum. Ce vreţi să spuneţi cu asta?<br />
Fr. Nous disons «Honneur et Patrie», entendant par là que la nation ne pourra<br />
revivre que par la victoire... (Charles de Gaulle)<br />
Roum. Spunem: «Onoare şi Patrie», înţelegând prin aceasta că naţiunea nu va<br />
reînvia decât prin victorie.<br />
– par + là «cela», «ce fait» se rapporte à la cause du fait envisagé dans la<br />
phrase (la cause a été énoncée précédemment ou bien elle va être énoncée dans une<br />
subordonnée introduite par que). Traduction : prin aceasta, prin faptul că…, datorită<br />
acestui fapt.<br />
Fr. La structure phonétique s’est profondément transformée par là. (W. von<br />
Wartburg)<br />
Roum. Structura fonetică s-a modificat profund datorită acestui fapt.<br />
Fr. Elle est déjà sorcière par là même qu’elle est l’enfance. (F. Mallet-Joris)<br />
Roum. E vrăjitoare prin însuşi faptul că e întruchiparea copilăriei.<br />
– par, hors de, loin de + là «cela», «cette situation». Traduction: asta.<br />
Fr. Je suis passé par là. (PR)<br />
Roum. Am trecut şi eu prin asta.<br />
Fr. Hors de là, il n’y a pas de remède. (DFC)<br />
Roum. În afară de asta nu există nici un remediu.<br />
Fr. Oh, vous ne m’êtes pas indifférent, vous le savez bien. Loin de là. (J.-C.<br />
Carrière)<br />
33
Roum. O, nu-mi sunteţi indiferent, o ştiţi prea bine. Departe de asta.<br />
b) Là a pour équivalent aici, dans les situations que voici:<br />
– de + là «cela», «ce fait»<br />
Fr. On peut conclure de là qu’il a fait tout son possible. (Lexis)<br />
Roum. De aici se poate trage concluzia că a făcut tot ce i-a stat în putinţă.<br />
Fr. Mettons qu’il ne puisse plus courir, d’accord, mais de là à rester boiteux...<br />
pas sûr. (Cécile Aubry)<br />
Roum. Să admitem că nu mai poate să alerge, de acord, dar de aici şi până la a<br />
rămâne şchiop... nu e sigur. 14<br />
– là «dans cela», «dans ce que vous dites»<br />
Fr. Je te reconnais bien là, mon fils. (Barillet et Grédy)<br />
Roum. Aici te recunosc, fiule.<br />
Fr. Ah, là, je vous tiens. (L’Avant-Scène)<br />
Roum. A! aici te-am prins.<br />
- il y a, il s’agit + là «dans (tout) cela».<br />
Fr. Il y a là une difficulté. (Quillet)<br />
Roum. Apare aici o dificultate.<br />
Fr. Je me suis emparé de la grosse enveloppe... Beaucoup considérerons qu’il<br />
s’agit là d’un vol. (Ph. Bouvard)<br />
Roum. Am pus mâna pe plicul cel mare... Mulţi vor considera că e vorba aici de<br />
un furt.<br />
- là «à cet égard». La phrase exprime une réaction vis-à-vis des faits ou des<br />
dires de l’interlocuteur ou du locuteur lui-même.<br />
Fr. Parce que là, tout de même, il exagère! M’interdire d’aller au cinéma avec<br />
Mathilde! (R. Lamoureux)<br />
Roum. Pentru că aici, totuşi, exagerează! Să-mi interzică să merg la cinema cu<br />
Mathilde!<br />
Fr. Là au moins, elle n’a pas menti. (Françoise Dorin)<br />
Roum. Măcar aici n-a minţit.<br />
Fr. Oui, je reconnais que, là-aussi, je me suis trompé. (Françoise Dorin)<br />
Roum. Da, recunosc că m-am înşelat şi aici / în această privinţă.<br />
14 On peut identifier là le modèle d’une structure spatiale, tel qu’il apparaît dans l’exemple suivant : De là au bourg<br />
il y a bien 2 km (DFC).<br />
34
c) Là n’appelle aucun équivalent en roumain (il admet d’ailleurs le test de<br />
l’omission). Employé dans des énoncés emphatisés, après le gallicisme c’est / ce sont,<br />
là sert à renforcer le démonstratif 15 ; en l’absence de là, le pronom démonstratif ce<br />
pourrait tout aussi bien ne pas être traduit (par aceasta, asta). Là «cela» se rapporte à<br />
une phrase énoncée précédemment par le locuteur lui-même ou par son interlocuteur.<br />
Grâce à là, l’énoncé est mieux intégré au contexte, ce qui nous permet de parler d’une<br />
fonction «intégrante» de là.<br />
Fr. Il y avait aux murs de leur chambre des pages arrachées à des magazines<br />
avec des images de meubles, d’arrangements de jardin... C’était là leur monde<br />
idéal, féerique. (Elsa Triolet)<br />
Roum. Pe pereţii camerei lor erau lipite foi smulse din reviste ilustrate,<br />
reprezentând mobile, aranjamente de grădini... Aceasta era lumea lor ideală,<br />
feerică.<br />
Fr. Est-ce là votre avis? (GLLF)<br />
Roum. Asta e părerea dumneavoastră / dumitale?<br />
3. Conclusion<br />
3.1. Les résultats de cette analyse seront représentés de façon synthétique dans<br />
le tableau ci-après.<br />
LÀ<br />
Description sémantico-référentielle<br />
Référence déictique<br />
1. Espace de l’énonciation<br />
– éloignement (là vs ici)<br />
– proximité (là = ici)<br />
2. Moment de l’énonciation («en ce moment»,<br />
«maintenant»)<br />
3. Situation d’énonciation («ici et maintenant», «dans la<br />
situation présente»)<br />
Référence cotextuelle<br />
1. Circonstant spatial<br />
– espace du procès énoncé («à cet endroit»)<br />
– emploi figuré («à ce point»)<br />
2. Circonstant temporel<br />
– moment du procès énoncé («à ce moment», «alors»)<br />
– moment d’une énonciation énoncée («à ces mots», «à<br />
15 Cf. Le Petit Robert.<br />
35<br />
Équivalents<br />
en roumain<br />
– ACOLO<br />
– AICI<br />
ACUM<br />
AICI, ACOLO,<br />
ACUM ; ∅<br />
– ACOLO<br />
– ACOLO, AICI<br />
– ATUNCI,<br />
ACU
ce moment») M<br />
– AICI<br />
3. Résomptif : situation objet de l’énonciation, contenu de ASTA,<br />
l’énoncé («cela», «ces mots», «ce fait», «cette situation») ACEASTA;<br />
AICI; ∅<br />
3.2. Le lexème là occupe une place à part parmi les adverbes du français.<br />
Embrayeur à multiples facettes, il fonctionne soit comme terme déictique, soit comme<br />
terme cotextuel, son sens étant défini en fonction de la situation d’énonciation ou objet<br />
de l’énonciation, considérée globalement ou à travers l’un de ses constituants (spatial<br />
ou temporel). C’est le contexte situationnel et / ou le contexte de l’énoncé qui<br />
décide(nt) de l’interprétation de là. La présence de certains circonstants spatiaux ou<br />
temporels, le temps du verbe, la personne verbale, le sens du lexème verbal, voilà des<br />
éléments du co-texte qui peuvent jouer un rôle dans ce sens. Le contexte de l’énoncé<br />
peut intervenir dans le décodage de certains emplois de là comme déictique relationnel.<br />
Nous venons de définir les contextes spécifiques dans lesquels peut apparaître<br />
l’embrayeur là.<br />
L’analyse de là – déictique doit être réalisée à partir de l’axe déictique moi - ici<br />
- maintenant. Se référant aux circonstances de la communication (spatiale et / ou<br />
temporelle), là se définit par rappport à ici ou bien par rapport à maintenant. Les<br />
facteurs de la communication sont en fait étroitement liés. L’expression linguistique<br />
peut éclairer l’un de ces deux facteurs, le mettre en vedette ; ils peuvent également être<br />
conçus dans leur unité, en tant que constituants de la situation globale d’énonciation.<br />
Pour définir le sens de là – déictique spatial, nous avons eu recours à des paraphrases<br />
comportant trois éléments référentiels, correspondant à l’axe déictique : « à cet endroit<br />
+ où je me trouve + en ce moment » ; pour qu’un espace quelconque devienne espace<br />
de l’énonciation, il doit être approprié par un locuteur, et il doit être mis en rapport avec<br />
le moment où se produit l’acte de l’énonciation. L’idée temporelle présente une<br />
certaine indépendance, étant donné que l’acte de la communication verbale est de<br />
nature essentiellement temporelle. Là – déictique temporel signifie donc « en ce<br />
moment (où je parle)», l’idée spatiale restant implicite, secondaire.<br />
La limite entre les différentes nuances exprimées par là est parfois difficile à<br />
saisir ; on glisse facilement de l’un à l’autre des constituants de la situation de<br />
communication. En fait, on pourrait dire que là a plutôt une fonction intégrante. Grâce<br />
à là, l’énoncé est mieux ancré dans la situation de communication, impliquant la<br />
subjectivité de l’énonciateur. En tant que circonstant déictique, là peut donc signifier «<br />
ici (ou non ici) et / ou maintenant ».<br />
Quant à là cotextuel, il fonctionne comme substitut anaphorique (son emploi<br />
comme cataphorique est également possible), d’un complément circonstanciel de lieu<br />
36
ou de temps ou bien de toute une phrase. En fonction du contexte, il peut être interprété<br />
soit comme circonstant, se rapportant au procès objet de l’énoncé (le procès évoqué<br />
dans le co-texte), soit comme résomptif de la situation énoncée précédemment,<br />
évoquant alors le contenu de l’énoncé.<br />
L’analyse des exemples a pu mettre en lumière la remarquable complexité de<br />
l’embrayeur là, ce qui peut être illustré par les nombreuses paraphrases qu’il admet<br />
(comportant, toutes, des démonstratifs): «à cet endroit», «à ce point», «à ce moment»,<br />
«à ces mots», «ce fait», «cette situation», «à cet égard», «(dans, en) cela». Là est<br />
capable d’exprimer des significations contraires ; ainsi, dans le domaine spatial, il se<br />
définit par opposition à ici, mais il peut aussi être son synonyme ; dans le domaine<br />
temporel, il a pour synonyme maintenant ou alors.<br />
3.3. La traduction de là en roumain éclaire mieux certaines situations du<br />
français, contribuant à mettre en lumière le découpage référentiel de la zone envisagée,<br />
les dissociations contextuelles de ce terme englobant. Là circonscrit une zone<br />
sémantique assez large, que le roumain est également capable d’exprimer, dans presque<br />
toutes ses nuances. Seuls les moyens d’expression diffèrent, puisque le roumain ne<br />
dispose pas d’un terme unique, comparable à celui du français. Il y a donc, entre les<br />
deux langues, convergence sur le plan conceptuel, mais divergence sur le plan de<br />
l’expression. D’ailleurs, même en français, là couvre une aire sémantique qui<br />
correspond, du moins partiellement, à d’autres substituts adverbiaux (ici, maintenant,<br />
alors) ou pronominaux (cela). L’embrayeur là a donc plusieurs équivalents en roumain,<br />
qui correspondent à ces synonymes partiels ; ils appartiennent à la classe des substituts<br />
adverbiaux appelés «pronominaux démonstratifs» 18 (acolo, aici, acum, atunci) ou bien<br />
à celle des substituts pronominaux démonstratifs (asta, aceasta).<br />
Considéré hors contexte, là appelle comme hétéronyme l’adverbe acolo.<br />
L’analyse de chaque type de contexte dans lequel il apparaît permet de nuancer<br />
l’interprétation, en vue d’établir l’équivalent adéquat 19 . En tant que terme déictique, là<br />
a pour correspondants en roumain les adverbes acolo, aici et acum. Employé comme<br />
terme à référence cotextuelle, il peut être traduit par les adverbes acolo, aici, atunci,<br />
acum ou bien par le pronom démonstratif neutre asta ou par le pronom acesta, aceasta.<br />
Les adverbes acolo, aici et acum sont susceptibles d’apparaître comme termes<br />
déictiques ou cotextuels; quant à atunci, il présente une spécialisation référentielle,<br />
apparaissant uniquement comme terme cotextuel.<br />
Tout en ayant un sens bien plus restreint que celui du lexème là, considéré dans<br />
sa globalité, chacun des termes envisagés du roumain a une sphère sémantique plus<br />
large que celle qui correspond à tel emploi déterminé de là. Ceci apparaît de façon<br />
18 Cf. Gramatica limbii române, 1966, t. I, p. 303.<br />
19 Nous avons laissé de côté les structures locutionnelles du type là-bas, là-contre, etc., planter là, tout comme celles<br />
où là se trouve en corrélation avec ici, -ci ou ça (ça et là, de-ci de-là, par-ci par-là, ici et là).<br />
37
évidente lors de la traduction du roumain en français : chacun des termes équivalents de<br />
là a ses correspondants spécifiques, à côté desquels vient s’inscrire aussi l’hétéronyme<br />
là, en tant que synonyme d’un premier terme (sauf dans le cas de l’adverbe acolo, dont<br />
le premier équivalent est précisément là). Une autre divergence entre les deux langues<br />
apparaît dans les cas où là, pur embrayeur, n’appelle aucun équivalent en roumain.<br />
Dans une perspective contrastive biorientée, on aura ainsi :<br />
là → acolo → là-bas, y<br />
→ aici → ici, là<br />
→ acum → maintenant, là<br />
→ atunci → alors, là<br />
→ asta → cela, là<br />
→ ∅ → là<br />
Seuls nous intéressent ici les contextes dans lesquels c’est l’hétéronyme là qui<br />
s’impose, à l’exclusion des autres équivalents possibles. C’est ce qui arrive dans la<br />
presque totalité des types de contextes envisagés au cours de notre analyse. Nous<br />
signalons aussi la difficulté qui intervient dans la traduction en français de certaines<br />
phrases du roumain – employées dans le dialogue et comportant des verbes de parole<br />
– qui ne contiennent aucun des termes à valeur démonstrative cités ci-dessus ; le<br />
français exige pourtant l’emploi d’une marque explicite de l’énonciation. En voici deux<br />
exemples:<br />
Roum. Ce vorbeşti!<br />
Fr. Qu’est-ce que tu dis là! (M. Preda, Moromeţii, trad. M. Ivănescu)<br />
Roum. Ce tot vorbeşti, zise Ioanide puţin contrariat, tabloul e o capodoperă.<br />
Fr. Que me chantez-vous là! s’écria Ioanide, légèrement contrarié. Le tableau<br />
est un chef-d’oeuvre. (G. Călinescu, Scrinul negru, trad. I. Herdan)<br />
Dans les dictionnaires bilingues (du type français-roumain), la situation de là est<br />
présentée d’une manière incomplète, peu nuancée et peu systématique. Nous espérons<br />
que l’analyse de là que nous proposons pourra fournir les éléments nécessaires en vue<br />
d’une présentation lexicographique plus rigoureuse des correspondances entre le<br />
français et le roumain.<br />
38
LES PÉRIPHRASES VERBALES ASPECTUELLES<br />
DU FRANÇAIS ET LEURS ÉQUIVALENTS<br />
EN ROUMAIN<br />
1. La catégorie de l’aspect : les périphrases verbales aspectuelles<br />
L’aspect 1 est une caractéristique immanente, inhérente au procès. La catégorie<br />
de l’aspect envisage le procès « sous l’angle de son développement interne » (Imbs,<br />
1968 : 15) ; elle désigne « la manière dont s’exprime le déroulement, la progression,<br />
l’accomplissement de l’action » (Grevisse, 1986 : 605). C’est une catégorie complexe,<br />
peu homogène, englobant, sur le plan de l’expression, des procédés très divers, tant<br />
grammaticaux que lexicaux, tels que : le choix du temps verbal, le sémantisme du<br />
verbe 2 , certaines périphrases verbales, l’emploi de circonstants adverbiaux, ainsi que la<br />
répétition du verbe (procédé syntagmatique).<br />
Nous nous occuperons ici des périphrases aspectuelles du français, en mettant<br />
en évidence leurs équivalents possibles du roumain.<br />
En français, les périphrases verbales aspectuelles 3 sont formées, pour<br />
l’essentiel, d’un semi-auxiliaire et d’un verbe à l’infinitif ou au gérondif / participe<br />
présent). Les verbes qui peuvent fonctionner comme semi-auxiliaires d’aspect, appelés<br />
aussi aspectifs 4 (Charles Bally) ou indicateurs d’aspect 5 , comportent des sèmes très<br />
abstraits, comme [Inchoatif], [Duratif], [Terminatif]. C’est cette signification<br />
aspectuelle spécifique des verbes semi-auxiliaires qui détermine la signification<br />
aspectuelle globale de la périphrase. Les verbes employés comme semi-auxiliaires ont<br />
le rôle d’indiquer l’aspect du procès exprimé par le verbe à l’infinitif ou au gérondif.<br />
Le roumain connaît aussi des verbes actualisés comme semi-auxiliaires<br />
d’aspect, même s’ils ne sont pas acceptés de façon unanime par les linguistes.<br />
1 Ou le temps impliqué, dans la théorie de G. Guillaume.<br />
2 C’est ce qu’on appelle le mode d’action.<br />
3 D’après Teodora Cristea, il s’agit de « tours prégrammaticalisés qui sont encore assez transparents au point de vue<br />
lexical et qui, du fait de leur emploi très fréquent, se sont partiellement grammaticalisés », constituant « une sorte de<br />
système verbal de suppléance qui double le système de base de la conjugaison française » (Cristea, 1979 : 53).<br />
4 BALLY, Ch. (1950), Linguistique générale et linguistique française, 3e éd., Berne, A. Francke.<br />
5 FUCHS, C. & LÉONARD, A.-M. (1979), Vers une théorie des aspects. Les systèmes du français et de l’anglais,<br />
Paris, Mouton.<br />
39
2. Phases du procès<br />
Les périphrases verbales aspectuelles présentent le procès à l’une des phases de<br />
son développement : le début, le déroulement, la fin.<br />
2.1. Phase initiale - aspect inchoatif<br />
On met en évidence le commencement d’un procès qui va avoir une certaine<br />
durée. Cette vision se double parfois d’une idée itérative. Les périphrases qui présentent<br />
la phase initiale du procès sont : (re)commencer à / de + Inf., se (re)mettre à + Inf., se<br />
(re)prendre à + Inf. 6 , partir pour / à + Inf. 7 Pour exprimer la même valeur inchoative,<br />
on emploie, en roumain, les constructions verbales a începe să..., a (se) porni să..., a<br />
prinde să..., a se apuca să... + V subjonctif ; a se apuca de + supin.<br />
La structure des périphrases aspectuelles inchoatives est donc la suivante :<br />
Fr. V [Inchoatif] (affirm.) + Prép + Inf<br />
Roum. V [Inchoatif] + subjonctif (să) 8 / supin (de).<br />
Les structures correspondantes du roumain représentent les équivalences type,<br />
ce qui n’exclut pas le recours à d’autres tournures, qui relèvent non pas de la traduction<br />
littérale, mais d’une équivalence globale.<br />
♦ (re)commencer à / de + Inf.<br />
Fr. Il commence à pleuvoir. (Le Petit Robert)<br />
Roum. Începe să plouă.<br />
♦ se (re)mettre à + Inf.<br />
Fr. Il se met à écrire.<br />
Roum. Se apucă să scrie. / Se apucă de scris.<br />
Fr. J’avais peur qu’il se mette à pleuvoir. (B. Clavel)<br />
Roum. Mi-era teamă că va începe să plouă.<br />
Fr. La pluie se remit à tomber. (H. Bosco)<br />
Roum. Ploaia reîncepu. / Începu din nou să plouă.<br />
♦ se (re)prendre à + Inf.<br />
Fr. Parfois ils se prennent à hausser le ton... (J.-P. Chabrol)<br />
Roum. Uneori ei încep să ridice tonul... (lecture itérative)<br />
6<br />
Construction qui appartient à la langue littéraire (cf. Le Petit Robert), au français écrit (cf. Mauger, 1968 : 287).<br />
7<br />
Les périphrases temporelles du futur proche expriment une nuance proche de l’idée inchoative, qui, pourtant, n’y<br />
est que secondaire.<br />
8<br />
En roumain, l’équivalent du subjonctif s’appelle conjunctiv «conjonctif».<br />
40
Fr. Cette journée (...) a été bonne pour Balandran. Il s’est repris à vivre. (H.<br />
Bosco)<br />
Roum. A fost o zi bună pentru Balandran. A revenit la viaţă. (traduction<br />
littérale : a reînceput să trăiască)<br />
♦ partir pour + Inf.<br />
Fr. Il s’aperçut qu’il était parti pour parler au moins un quart d’heure. (G.<br />
Duhamel)<br />
Roum. Îşi dădu seama că se pornise să vorbească cel puţin un sfert de oră.<br />
♦ partir à + Inf. «se mettre soudain à»<br />
Fr. Ne me regardez pas, je sens que je partirais à rire. (M. Aymé, in Le Petit<br />
Robert)<br />
Roum. Nu vă uitaţi la mine, simt că aş izbucni în râs. – En roumain on a<br />
recours à une locution verbale (a izbucni în râs «éclater de rire»).<br />
2.2. Phase médiane : procès en cours<br />
Les périphrases verbales qui présentent le déroulement du procès (l’action en<br />
cours) expriment l’aspect inaccompli duratif ou, parfois, la progression.<br />
2.2.1. Aspect duratif 9<br />
On distinguera deux types de structures :<br />
2.2.1.1. V [Duratif] (Affirm.) + Prép. (ou loc. prép.) + Inf.<br />
Cette structure s’actualise dans les périphrases suivantes: être en train de +<br />
Inf., être en voie de + Inf., être à + Inf., continuer à / de + Inf., rester à + Inf.<br />
♦ être en train de + Inf.<br />
La périphrase être en train de + Inf. s’emploie à des temps inaccomplis :<br />
présent, imparfait, futur 10 . Le verbe à l’infinitif est, le plus souvent, un verbe<br />
imperfectif.<br />
La périphrase grammaticalisée avec être en train de n’a pas d’équivalent du<br />
même type en roumain. Le verbe exprimant l’action en cours sera mis au temps marqué<br />
en français par l’auxiliaire être ; il peut aussi être accompagné de l’adverbe tocmai.<br />
Fr. Je suis en train de faire une expérience très curieuse. (H. F. Rey)<br />
Roum. Tocmai fac o experienţă foarte curioasă.<br />
9 Ou cursif, d’après H. Frei (apud Imbs, 1968, 25).<br />
10 Cette périphrase pourrait être employée comme terme de substitution permettant de distinguer les temps verbaux<br />
accomplis et inaccomplis. Cf. Leeman, D., Astruc, I., Sumpf, M. (1974), Comment apprendre à rédiger, Niveau<br />
I, Paris, Larousse, p. 18.<br />
41
Fr. Lorsque les deux policiers reviennent, le magistrat est en train d’examiner<br />
avec attention un Renoir, qui décore l’un des panneaux. (R.Floriot)<br />
Roum. Când cei doi poliţişti se întorc, magistratul (tocmai) examinează cu<br />
atenţie un Renoir aflat pe unul dintre panouri.<br />
Il peut y avoir ellipse du verbe être :<br />
Fr. Plan général. Guiboud dans le salon, Michel, toujours dans la chambre de<br />
son fils, en train de regarder la photo. (B. Tavernier)<br />
Roum. Plan general. Guiboud e în salon, iar Michel, tot în camera fiului său,<br />
priveşte fotografia.<br />
Schogt (1962) montre que, tandis que le présent de certains verbes indique un<br />
procès ou un état, la périphrase correspondante avec être en train de indique un procès:<br />
L’ennemi occupe la ville (procès ou état) / L’ennemi est en train d’occuper la<br />
ville (procès).<br />
Cette distinction n’existe pas en roumain :<br />
Inamicul ocupă oraşul (désambiguïsation possible à l’aide de tocmai).<br />
L’emploi du futur est assez rare, mais possible. Le roumain semble éviter de<br />
mettre au futur le verbe dont il s’agit d’indiquer l’aspect duratif, en faisant appel à<br />
d’autres procédés. En voici un exemple :<br />
Fr. – Je suis curieux de savoir dans quel état nous la trouverons.<br />
– Oh, elle sera en train de pleurer. (apud Schogt)<br />
Roum. – Sunt curios să aflu în ce stare o vom găsi.<br />
– O! O vom găsi plângând.<br />
Dans la traduction roumaine, la reprise du verbe a găsi «trouver» au gérondif contribue<br />
à rendre l’idée durative.<br />
Être en train de ne peut pas s’employer avec les verbes momentanés (*La<br />
bombe est en train d’éclater), ni avec les verbes qui expriment un état et non pas la<br />
durée d’un procès (*Cette valise sera en train de contenir tout ce qu’il te faut) (Schogt,<br />
1962). L’emploi de cette périphrase avec des verbes perfectifs (inchoatifs ou<br />
terminatifs) confère à l’action une certaine durée. Dans ce cas, la traduction de la<br />
périphrase sera a fi pe cale de / pe punctul de + infinitif / să + subjonctif ; (tocmai +)<br />
indicatif:<br />
Fr. Il était en train de finir ou plutôt de chercher à terminer. (Cl. Simon, dans<br />
Grammaire Larousse)<br />
Roum. Tocmai termina / Era pe cale de a termina sau mai degrabă încerca să<br />
termine.<br />
Fr. Il est en train de finir l’instruction d’une très grosse affaire. (R. Floriot)<br />
42
Roum. E pe cale de / pe punctul de a termina instruirea unei afaceri foarte<br />
importante.<br />
Fr. Vous êtes en train de vous mettre dans une situation impossible. Tous vos<br />
mensonges feront sur les jurés la plus mauvaise impression. (R. Floriot)<br />
Roum. Vă creaţi o situaţie imposibilă. Toate minciunile dumneavoastră vor<br />
produce o foarte proastă impresie asupra juraţilor.<br />
♦ être en voie de + Inf.<br />
Cet emploi de la périphrase être en train de + Inf. doit être mis en relation avec<br />
la périphrase être en voie de + Inf., qui exprime une action en cours dont on envisage<br />
avec certitude la fin. Être en voie de + Inf., synonyme de être en train de + Inf., se dit<br />
« de ce qui se modifie dans un sens déterminé » (Le Petit Robert). Traduction : a fi pe<br />
cale de a... / să...<br />
Fr. L’affaire est en voie d’aboutir. (dans Mauger)<br />
Roum. Afacerea e pe cale de a reuşi.<br />
Le verbe aboutir, terminatif, fait envisager la fin du procès qui est en cours de<br />
déroulement.<br />
Dans l’exemple ci-dessous, on utilise en roumain le présent de l’indicatif, l’idée<br />
d’une limite finale étant évoquée par l’adjectif ultimii :<br />
Fr. Il est en voie de dépenser tout l’argent qu’il possédait. (DFC)<br />
Roum. Îşi cheltuie şi ultimii banii pe care îi avea.<br />
♦ être à + Inf. 11<br />
La périphrase être à + Inf. exprime également l’aspect duratif. Le verbe est<br />
généralement au présent ou à l’imparfait. Il n’y a pas de structure verbale équivalente<br />
en roumain. Dans la traduction, on emploie le présent ou l’imparfait du verbe,<br />
accompagné, éventuellement, de tocmai ou d’un autre adverbe qui souligne la nuance<br />
durative.<br />
Fr. Elle est à s’habiller. (dans Grevisse)<br />
Roum. (Tocmai) se îmbracă.<br />
Fr. Nous sommes à faire nos comptes. (dans Mauger)<br />
Roum. (Tocmai) ne facem socotelile. (Même sens que nous sommes en train de<br />
faire...)<br />
???Très souvent, la phrase comporte un adverbe qui marque la permanence ou<br />
la continuité (toujours, encore), devenant synonyme de continuer à... La traduction fait<br />
11 Mauger (1968, p. 286) considère cette tournure comme familière.<br />
43
appel à des adverbes ou locutions adverbiales tels que tot, încă / întruna, fără<br />
încetare…) ; on peut également utiliser, parfois, le verbe a continua «continuer».<br />
Fr. À deux heures, vous étiez encore à vous promener sur le pont! (G. Simenon)<br />
Roum. La ora două, încă te mai plimbai pe punte!<br />
Fr. Ils sont toujours à fouiller la neige. (G. Simenon)<br />
Roum. Continuă să scotocească prin zăpadă / Încă / tot / mai scotocesc...<br />
Fr. Elle est toujours à se plaindre. (Le Petit Robert) - durée<br />
Roum. Se plânge întruna/ tot timpul se plânge.<br />
Avec un verbe perfectif accompagné d'une détermination adverbiale, la<br />
périphrase être a + Inf. acquiert une valeur itérative.<br />
Fr. Puis je me rembrunissais en songeant qu’il y avait le téléphone dans ma<br />
chambre d’hôtel, qu’elle serait tout le temps à me téléphoner. (Montherlant)<br />
Roum. Apoi mă întunecam la gândul că am telefon în cameră la hotel şi că (ea)<br />
o să-mi telefoneze într-una.<br />
♦ continuer à / de + Inf. - Roum. a continua să...<br />
Fr. C’est comme le gars qui a touché un très gros tiercé dans l’ordre et qui<br />
continue de jouer pendant des mois ou même des années. (R. Floriot)<br />
Roum. E ca tipul care a câştigat la curse şi care continuă să joace luni sau<br />
chiar ani în şir. ???<br />
♦ rester à + Inf.<br />
La périphrase rester à + Inf. (±Adv. [+Durée], par exemple longtemps) peut<br />
être rendue en roumain au moyen des structures suivantes, comportant les verbes a sta<br />
ou a rămâne: a sta (indicatif) + şi + V (au même temps que a sta) ; a rămâne +<br />
gérondif ; V (indicatif) + Adv. [+Durée] îndelung “longtemps”. Il est possible aussi<br />
d’utiliser en roumain un verbe à l’imparfait suivi de l’adverbe îndelung.<br />
Fr. Je restais à contempler la masse noire des arbres, les plans clairs de la<br />
pelouse. (Sollers, apud Grammaire Larousse)<br />
Roum. Stăteam şi contemplam (ou : Contemplam îndelung) grupul întunecat al<br />
copacilor şi peluzele luminoase.<br />
Fr. Il entra, feuilleta mes notes, consulta l’herbier et resta très longtemps à<br />
regarder les plantes. (H. Bosco)<br />
Roum. Intră, răsfoi notiţele mele, consultă ierbarul şi rămase acolo mai multă<br />
vreme privind plantele.<br />
2.2.1.2. V [Terminatif] + Nég. + de + Inf.<br />
44
Les périphrases de ce type sont : ne pas arrêter de + Inf. 12 , ne pas cesser de +<br />
Inf., ne pas en finir de + Inf. 13 , ayant pour équivalents en roumain tantôt des<br />
constructions avec un verbe terminatif à la forme négative + infinitif ou supin, tantôt<br />
des constructions sans verbe terminatif, mais comportant un adverbe qui indique la<br />
continuité du procès.<br />
♦ ne pas arrêter de + Inf.<br />
Fr. Je n’arrête pas de regarder un canot de caoutchouc qui fait le toton dans un<br />
remous au milieu de la Marne. (H. Bosco)<br />
Roum. Nu încetez să privesc o barcă de cauciuc ce se învârte ca titirezul într-o<br />
vâltoare a Marnei.<br />
♦ ne pas cesser de + Inf.<br />
Fr. Pendant toute la séance, il n’a pas cessé de bavarder avec son voisin.<br />
(DFC)<br />
Roum. În (tot) timpul şedinţei a vorbit fără încetare cu vecinul său.<br />
Fr. Elle ne cesse de se lamenter. (dans Cristea & Cuniţă, 1975)<br />
Roum. Se plânge întruna / fără încetare.<br />
♦ ne pas en finir de + Inf.<br />
Fr. Il attend la dernière page pour les comptes rendus sportifs, mais cet animal<br />
n'en finit pas de lire son histoire de crime. (R. Floriot)<br />
Roum. Aşteaptă ultima pagină pentru cronicile sportive, dar animalul ăla nu<br />
mai termină de citit povestea cu crima.<br />
Fr. On n’en finirait pas de raconter ses aventures. (Le Petit Robert)<br />
Roum. N-am mai termina să povestim aventurile lui.<br />
♦ On ajoutera ici la construction ne faire que + Inf., qui signifie «être toujours ou<br />
habituellement occupé à une certaine chose ; ne pas cesser de» 14 .<br />
Fr. Elle ne fait que pleurer.<br />
Roum. Plânge întruna / fără încetare.<br />
2.2.2. Aspect duratif-progressif<br />
La périphrase aller / s’en aller + participe présent ou gérondif d’un verbe<br />
«impliquant l’idée d’un mouvement réel ou figuré» (Grevisse, 1975 : 645) exprime<br />
l’aspect duratif, la continuité du développement d’un procès, la progression de l’action.<br />
Le plus souvent, le lexème verbal exprime lui-même l’idée d’une progression, et il peut<br />
aussi être accompagné de circonstants qui soulignent la même idée (peu à peu, sans<br />
12<br />
Les auteurs de la Grammaire Larousse notent que “ce tour passe pour familier” (Chevalier et al., 1964 : 332).<br />
13<br />
Le Petit Robert considère cette tournure comme familière.<br />
14<br />
Dictionnaire Quillet de la langue française, 1959.<br />
45
cesse). En roumain il n’y a pas de construction verbale spécifique pour rendre cet<br />
aspect progressif. Dans la traduction on emploie l’équivalent du verbe qui apparaît en<br />
français au participe présent ou au gérondif (le temps utilisé est celui du verbe semiauxiliaire),<br />
en le faisant presque toujours accompagner d’un circonstant qui explicite<br />
l’idée de progression : tot mai (mult), treptat, din ce în ce, încetul cu încetul.<br />
♦ aller + gérondif 15<br />
Fr. Le bruit du moteur allait en se mourant. (G. Simenon)<br />
Roum. Zgomotul motorului se stingea treptat.<br />
Fr. ... dans une espèce de nuit qui allait sans cesse en s’assombrissant. (B.<br />
Clavel)<br />
Roum. ... într-un fel de noapte care devenea tot mai întunecoasă.<br />
Fr. Il commence à avoir peur et je crains, pour lui, que ça n’aille qu’en<br />
empirant. (Exbrayat)<br />
Roum. Începe să-i fie frică şi mă tem, în ce-l priveşte, ca situaţia să nu se<br />
înrăutăţească şi mai mult.<br />
♦ aller / s’en aller + participe présent 16<br />
Fr. La beauté du paysage allait grandissant. (R. Pinget)<br />
Roum. Peisajul devenea tot / din ce în ce mai frumos.(traduction quasi littérale :<br />
Frumuseţea peisajului creştea din ce în ce)<br />
Fr. Cette vie qui sous ses yeux allait peu à peu s’éteignant, elle avait rempli son<br />
destin. (M. Genevoix)<br />
Roum. Această viaţă care sub ochii săi se stingea încetul cu încetul îşi împlinise<br />
destinul.<br />
Fr. L’emploi de l’article alla sans cesse croissant. (M. Grevisse) Roum.<br />
Folosirea articolului s-a extins tot mai mult.<br />
Fr. Cette musique mystérieuse et qui s’en va déclinant. (Barrès, dans Le Petit<br />
Robert)<br />
Roum. Această muzică misterioasă şi care se stinge treptat.<br />
On trouve aussi d’autres solutions pour traduire en roumain ce type de<br />
périphrase :<br />
15 La construction aller + gérondif «a ceci de particulier que le verbe aller y est moins nettement semi-auxiliaire: il<br />
conserve quelque chose de sa valeur de verbe d’action et par rapport à lui le gérondif énonce une circonstance de<br />
manière» (Grevisse, 1975 : 645).<br />
16 «Certains grammairiens tiennent, dans cette construction, la forme en -ant pour un gérondif. Il est difficile de<br />
décider si cette forme est un gérondif (sans en) plutôt qu’un participe présent» (Grevisse, 1975 : 645). Mauger<br />
(1968) précise que cette construction appartient au français écrit.<br />
46
Fr. Cet homme s’en va mourant. (in Mauger)<br />
Roum. Acest om e pe moarte / se stinge văzând cu ochii.<br />
Aux temps composés, le verbe aller est parfois remplacé par être :<br />
Fr. La plupart des difficultés ont été s’aggravant, de saison en saison. (G.<br />
Duhamel, apud Grevisse)<br />
Roum. Dificultăţile s-au tot agravat, de la un sezon la altul.<br />
2.3. Phase finale - aspect terminatif<br />
Un procès imperfectif est considéré à la fin de son déroulement. La structure des<br />
périphrases terminatives est : V [Terminatif] + de + Inf., s’actualisant dans : finir de /<br />
achever de / cesser de / s’arrêter de + Inf. 17 Pour marquer la phase finale du procès, le<br />
roumain dispose des verbes a termina, a sfârşi, a înceta, a se opri, a isprăvi, employés<br />
tantôt comme semi-auxiliaires, tantôt comme verbes pleins, dans l’un des contextes<br />
suivants : verbe au supin (construit avec de, din) ou au subjonctif (să); substantif ;<br />
préposition (cu) + substantif.<br />
On peut marquer :<br />
- la phase finale en cours (terminatif inaccompli). Finir / achever de... signifie<br />
plutôt, dans ce cas, être en train de finir... ; il est possible d’employer, dans la<br />
traduction, l’adverbe tocmai ou bien a fi pe punctul de a termina de + supin / cu +<br />
substantif verbal (précédé de l’article défini).<br />
Fr. Elle finit de s’habiller.<br />
Roum. (Tocmai) termină cu îmbrăcatul.<br />
Fr. Ils finissaient de dîner, quand je suis arrivé.<br />
Roum. Tocmai îşi terminau cina / Tocmai terminau de cinat / erau pe punctul<br />
de a termina de cinat când am sosit eu.<br />
Fr. Les premières fois, intervint de nouveau César, qui achevait de se laver et<br />
de se préparer, on les dresse ici. (M. Van der Meersch)<br />
Roum. La început, interveni din nou César, care era pe punctul de a termina să<br />
se spele şi să se pregătească, sunt dresaţi aici.<br />
- la phase finale dépassée (terminatif accompli). Structures : finir / achever /<br />
cesser / s’arrêter de + infinitif 18 . Traductions possibles : a termina + N, a termina de<br />
+ supin, a termina cu + N, a se opri din + supin, a înceta să + subjonctif.<br />
17<br />
La nuance terminative d’accompli apparaît aussi dans les périphrases temporelles exprimant un passé récent.<br />
18<br />
Les verbes finir et achever peuvent apparaître dans une tournure passive qui exprime l’aspect terminatif-résultatif<br />
(accompli).<br />
Fr. Le blé est fini de battre. (in Mauger) / Roum. S-a terminat de treierat grâul.<br />
Fr. Cette pièce sera achevée de garnir demain. (in Grevisse) (= On achèvera de garnir...) / Roum. Se va<br />
termina de mobilat camera mâine.<br />
47
♦ finir de + Inf.<br />
Fr. J’ai fini de travailler. (DFC)<br />
Roum. Am terminat lucrul.<br />
Fr. Vous n’avez pas fini de vous disputer? (Le Petit Robert)<br />
Roum. N-aţi terminat cu cearta?<br />
♦ achever de + Inf.<br />
Fr. J’ai achevé de ranger mes papiers. (A. Gide)<br />
Roum. Mi-am terminat de aranjat hârtiile.<br />
♦ cesser de + Inf.<br />
Fr. Il a cessé de rire.<br />
Roum. A încetat să râdă / S-a oprit din râs.<br />
♦ s’arrêter de + Inf.<br />
Fr. Je me suis arrêté de lire et j’ai levé les yeux. (H. Bosco) Roum. Mam<br />
oprit din citit şi am ridicat ochii.<br />
L’expression de la phase finale est compatible avec l’idée d’itération :<br />
3.Conclusion<br />
Fr. Quand j’arrivais, il s’arrêtait de lire.<br />
Roum. Când soseam (eu), se oprea din citit.<br />
Toute langue est en principe capable d’exprimer n’importe quelle idée, en<br />
faisant appel à des procédés variés, parfois spécifiques. Les mêmes signifiés aspectuels<br />
peuvent être exprimés en français et en roumain, par des moyens tantôt semblables,<br />
tantôt différents.<br />
Le français possède un système assez bien organisé de périphrases verbales à<br />
valeur aspectuelle, indiquant la phase du déroulement processuel. Certaines de ces<br />
périphrases restent encore des constructions à caractère lexico-grammatical, tandis que<br />
d’autres sont tout à fait grammaticalisées.<br />
Le roumain connaît aussi l’emploi de certains verbes semi-auxiliaires pour<br />
indiquer la phase du procès, cependant il n’a pas un système de périphrases comme<br />
celui du français. C’est peut-être une lacune du système grammatical du roumain ; le<br />
plus souvent, c’est par des moyens lexicaux que la langue y supplée.<br />
Pour exprimer la phase initiale ou finale du procès, on trouve en roumain des<br />
équivalents exacts, du même type qu’en français, à savoir certains verbes actualisés<br />
comme semi-auxiliaires d’aspect (suivis de l’infinitif ou du supin). Les choses se<br />
Le verbe commencer admet la même construction ; il s’agit, dans ce cas, d’un inchoatif accompli : La salle<br />
est commencée de nettoyer. (in Mauger)<br />
Mauger précise que ces constructions appartiennent au français familier.<br />
48
compliquent lorsqu’il s’agit d’exprimer les diverses nuances se rapportant au<br />
déroulement de l’action. Les périphrases du français peuvent, dans ce cas, être rendues<br />
en roumain par différents moyens : le choix du temps verbal (imperfectif - avec perte<br />
d’une certaine nuance du français, le verbe étant suivi ou non d’un adverbe qui<br />
compense cette perte), l’emploi de circonstants adverbiaux se rattachant, par leur<br />
sémantisme, à l’action en cours, ainsi que l’emploi de certaines périphrases verbales à<br />
caractère lexico-grammatical, sans oublier la possibilité de certaines solutions purement<br />
lexicales.<br />
49
II<br />
LES PRONOMS RELATIFS – ÉTUDE CONTRASTIVE<br />
(ROUMAIN-FRANÇAIS)<br />
1. Les pronoms relatifs – formes et fonctions<br />
Le pronom relatif, opérateur dans la transformation de relativisation, est un<br />
élément de relation – comportant le trait [+Conjonctif] – qui intervient dans la<br />
construction des phrases complexes en tant qu’introducteur des propositions relatives.<br />
Appartenant à la classe des substituts, les relatifs renvoient aux mêmes référents que<br />
d’autres segments de l’énoncé (du co-texte), appelés antécédents. Ils présentent par<br />
conséquent le trait sémantique [+Cotextuel] 1 . Dans ce qui suit, nous envisagerons<br />
uniquement les situations où le pronom relatif a un antécédent exprimé (nom, pronom<br />
démonstratif, personnel ou indéfini), en laissant de côté les constructions où il apparaît<br />
sans antécédent.<br />
Nous nous proposons de faire une analyse contrastive des pronoms relatifs,<br />
orientée du roumain (langue base) vers le français (langue cible), et visant l’acquisition<br />
correcte des structures relatives du français standard. La modalité d’analyse choisie<br />
nous permettra de mettre en évidence les équivalences françaises des différentes formes<br />
du pronom relatif care.<br />
Si l’on compare l’inventaire des formes qui appartiennent à la classe des<br />
pronoms relatifs, en roumain et en français, on peut faire les remarques suivantes :<br />
a) En roumain, le pronom relatif care 2 a une assez riche flexion casuelle. La<br />
forme care (nominatif et accusatif) présente le syncrétisme masculin – féminin,<br />
singulier – pluriel, tandis que les formes du génitif et du datif varient en nombre et en<br />
genre (au singulier). Le trait [± Animé] n’a pas de fonction distinctive dans le cas du<br />
relatif roumain. Le tableau ci-dessous présente les formes du pronom care :<br />
Cas Nombre<br />
1<br />
Nous empruntons ce terme à Kerbrat-Orecchioni (1980), qui parle de référence cotextuelle.<br />
2<br />
Nous laissons de côté le relatif ce, dont les emplois se superposent à ceux de care (sujet ou objet direct, dans la<br />
langue littéraire).<br />
50
Singulier Pluriel<br />
Nominati<br />
f<br />
care<br />
Génitif (al, a, ai, ale) (al, a, ai, ale)<br />
cărui(a), cărei(a) căror(a)<br />
Datif căruia, căreia cărora<br />
Accusatif pe care<br />
b) À ces formes flexionnelles du roumain correspondent en français plusieurs<br />
formes simples invariables : qui, que, quoi, dont, où, ainsi qu’une forme composée,<br />
lequel, qui présente des variations en genre et en nombre (lequel, laquelle, lesquels,<br />
lesquelles). Certaines formes réalisent une opposition syntaxique (qui vs que :<br />
nominatif vs accusatif ou sujet vs objet) ou sémantique (qui vs quoi : [+Animé] vs [-<br />
Animé]). Qui et lequel peuvent être précédés d’une préposition. Le pronom quoi est<br />
toujours précédé d’une préposition. Dont incorpore la préposition de 3 (il signifie «de<br />
qui, de quoi»), et le pronom où est, lui aussi, l’équivalent d’un syntagme prépositionnel<br />
(«dans lequel») 4 . Quant aux formes composées, elles présentent, lorsqu’elles se<br />
construisent avec les prépositions à ou de, le phénomène de la contraction, ce qui donne<br />
deux nouvelles séries de formes (presque toutes amalgamées), variables en genre et en<br />
nombre: auquel, à laquelle, auxquels, auxquelles et duquel, de laquelle, desquels,<br />
desquelles.<br />
Les formes du pronom relatif, en français, sont donc les suivantes : (Prép) + qui<br />
; que ; Prép + quoi ; dont ; où ; (Prép.) + lequel ; auquel ; duquel.<br />
On peut regrouper les pronoms relatifs suivant les fonctions syntaxiques que les<br />
diverses formes remplissent à l’intérieur de la subordonnée relative :<br />
Fonction syntaxique Roumain Français<br />
Sujet care qui, lequel<br />
Complément du nom al cărui dont, duquel, de qui<br />
Complément d'objet direct pe care 5<br />
que 6<br />
Complément d'objet<br />
indirect (d'attribution)<br />
căruia à qui, auquel<br />
Complément Prép + care Prép + qui, quoi,<br />
3<br />
Dont a une origine adverbiale : il provient du latin de unde.<br />
4<br />
Où est un adverbe (< lat. unde) qui fonctionne aussi comme pronom relatif, substitut d'un SP à sens spatial ou<br />
temporel.<br />
5<br />
Dans le roumain actuel, on constate de plus en plus la tendance à employer, en fonction de COD, la forme care, au<br />
lieu de pe care. Ex. *cărţile care le-am citit ; băiatul care l-am văzut.<br />
6<br />
Que s’emploie également comme attribut. Ex. : Malheureux que je suis! ou Innocent qu’il était … (in Mauger,<br />
1968:165). À comparer avec la construction du roumain De prost ce e!<br />
51
prépositionnel (objet<br />
indirect ou complément<br />
circonstanciel)<br />
2. Structures syntagmatiques<br />
Prép +<br />
căruia<br />
52<br />
lequel<br />
Auquel<br />
Duquel<br />
Dont<br />
Où<br />
Cette description s’avère cependant incomplète dans une perspective<br />
contrastive, qui doit tenir compte du fonctionnement paradigmatique aussi bien que<br />
syntagmatique des unités de la langue. L’indication des équivalences terme à terme est<br />
insuffisante si l’on néglige de préciser les contextes qui définissent l’emploi de chaque<br />
unité. Les problèmes qui apparaissent lors de la traduction des phrases complexes<br />
comportant des subordonnées relatives se situent surtout au niveau de la structure<br />
distributionnelle, donc de la syntaxe, le choix même du relateur pouvant être fonction<br />
de la distribution, du contexte. Il importe donc de prendre en considération les<br />
structures syntagmatiques où peuvent figurer les pronoms relatifs.<br />
Le contexte minimal obligatoire pour définir l’emploi des relatifs comprend<br />
l’antécédent nominal (SN), ainsi que certains constituants de la proposition<br />
subordonnée relative : le sujet (SN1), le verbe (V), l’objet direct ou, parfois, l’attribut<br />
(SN2).<br />
Voici les structures syntagmatiques qui définissent le fonctionnement des<br />
pronoms relatifs en roumain et en français :<br />
(1) Roum. SN + care + V<br />
Fr. SN + qui / lequel + V<br />
(2) Roum. SN + pe care (+SN1) + V<br />
Fr. SN + que + SN1 + V<br />
(3) Roum. SN + căruia (+SN1) + V<br />
Fr. SN + à qui / auquel + SN1 + V<br />
(4) Roum. SN + al cărui + SN1 + V<br />
Fr. SN + dont + SN1 + V<br />
(5) Roum. SN + al cărui + SN2 (+SN1) + V<br />
SN + al cărui + SN2 + V + SN1<br />
Fr. SN + dont / duquel + SN1 + V +SN2<br />
(6) Roum. SN +Prép + al cărui +N (sans Art.) (+SN1) +V<br />
SN + Prép + N (Art. défini) + căruia + V<br />
Fr. SN + Prép + SN + de qui / duquel + SN1 + V
(7) Roum. SN + Prép + care (+SN1) + V<br />
Fr. SN + Prép + qui / lequel / quoi + SN1 + V<br />
SN + dont + SN1 + V<br />
SN + où + SN1 + V<br />
Nous prendrons comme point de départ les différentes formes casuelles du<br />
pronom care du roumain, en définissant les contextes-type où elles apparaissent (le<br />
moule syntaxique ou la formule distributionnelle) et en indiquant les structures<br />
équivalentes du français. Les phrases-support sont empruntées, pour la plupart, aux<br />
exercices de traduction proposés dans quelques recueils de grammaire publiés en<br />
Roumanie 7 .<br />
♦ Care - sujet [±Animé]<br />
Structure: Roum. SN + care + V<br />
(1) Fr. SN + qui / lequel + V<br />
Persoana care tocmai a intrat e unchiul meu – fr. La personne qui vient<br />
d'entrer est mon oncle [Cette personne vient d'entrer]<br />
Fereastra care e deschisă e a mea – fr. La fenêtre qui est ouverte est la mienne<br />
[Cette fenêtre est ouverte]<br />
Tu care ai suferit atât... – fr. Toi qui as tant souffert... [Tu as tant souffert]<br />
Nu văd nimic care să-mi placă – fr. Je ne vois rien qui me plaise [Rien ne me<br />
plaît]<br />
L’emploi du pronom lequel est régi par certaines contraintes. Lequel peut<br />
apparaître dans le langage juridique, ou bien il peut servir à lever une ambiguïté ou à<br />
éviter la répétition de qui.<br />
S-au prezentat trei martori, care au afirmat... – fr. Ont comparu trois témoins,<br />
lequels ont affirmé... [Ces témoins ont affirmé...]<br />
Ieri am fost împreună cu fratele şi cu sora mea, care, de altfel, nu se pricepe<br />
deloc la sport, să vedem un meci de fotbal – fr. Hier, je suis allé avec mon frère<br />
et ma soeur, laquelle, d'ailleurs, ne se connaît pas du tout au sport, voir un<br />
match de football [Ma soeur ne se connaît pas du tout au sport] ?? ???<br />
7 BEJENARU, C. & GORUNESCU E. (1974), Exerciţii de gramatică franceză, Bucarest, Editura Ştiinţifică ;<br />
GORUNESCU, E. (1977), Exerciţii de limbă franceză, Bucarest, Editura Albatros ; GORUNESCU, E. (1979), Le<br />
verbe, le nom, le pronom, l'adverbe dans des exercices, Bucarest, Editura Ştiinţifică şi Enciclopedică ; SARAŞ, M.<br />
& ŞTEFĂNESCU, M. (1972), Gramatica limbii franceze prin exerciţii structurale, Bucarest, Editura Ştiinţifică.<br />
53
♦ Pe care - objet direct [±Animé]<br />
Structure : Roum. SN + pe care (+SN1) + V<br />
(2) Fr. SN + que + SN1 + V<br />
L’identité apparente de ces structures, en roumain et en français, cache<br />
néanmoins une différence typologique entre les deux langues, constituant une source<br />
d’erreurs fréquentes pour les locuteurs roumains. C’est qu’en roumain le complément<br />
pe care est repris, la plupart du temps, par un pronom personnel atone 8 . Cette<br />
redondance pronominale, caractéristique du roumain, n’apparaît pas en français dans<br />
les propositions relatives introduites par que 9 :<br />
Unde sunt prietenii pe care îi aşteptai? – fr. Où sont les amis que tu attendais?<br />
[Tu attendais ces amis] - Construction fautive : *que tu les attendais<br />
E o carte pe care o caut de multă vreme – fr. C'est un livre que je cherche<br />
depuis longtemps [Je cherche ce livre depuis longtemps]<br />
L’emploi de que en fonction d’objet direct se rapportant à un nom féminin ou à<br />
un nom au pluriel entraîne l’obligativité de l’accord du participe passé :<br />
Lucrarea aceasta e mai interesantă decât celelalte pe care le-am auzit astăzi –<br />
fr. Ce travail est plus intéressant que les autres que j'ai entendus aujourd'hui<br />
Il existe des situations où la construction passive du roumain est remplacée, en<br />
français, par une tournure active, ce qui entraîne l’emploi de que, à la place de qui (qui<br />
serait l’équivalent exact du pronom relatif apparaissant en roumain dans la phrase<br />
active).<br />
Persoana care ţi-a fost prezentată – fr. La personne qu'on t'a présentée<br />
♦ Căruia - complément d'objet indirect [±Animé]<br />
Structure : Roum. SN + căruia (+SN1) + V<br />
(3) Fr. SN + à qui [+Animé] / auquel [±Animé] + SN1 + V<br />
8 Sur la reprise du complément d’objet direct et indirect du roumain, on trouvera des précisions dans Gramatica<br />
limbii române de l’Académie Roumaine,1963,vol. I.<br />
9 La reprise du complément qui précède le verbe est possible dans les propositions principales, si la phrase comporte<br />
le constituant [+Emphase].<br />
54
Comme dans le cas de l’objet direct pe care, la reprise du complément d’objet<br />
indirect căruia est obligatoire en roumain, à la différence du français, où la reprise du<br />
complément est interdite.<br />
E o prietenă căreia îi scriu tot la două zile – fr. C'est une amie à qui / à laquelle<br />
j'écris tous les deux jours [J'écris tous les deux jours à cette amie] -<br />
Construction fautive : *à qui je lui écris<br />
Opera căreia acest scriitor i-a consacrat întreaga viaţă - fr. L'oeuvre à laquelle<br />
cet écrivain a consacré toute sa vie<br />
[L'écrivain a consacré toute sa vie à cette oeuvre.]<br />
Cei cărora dorea să le comunice acest lucru nu erau de faţă – fr. Ceux à qui il<br />
désirait communiquer cette chose n'étaient pas présents [Il désirait leur<br />
communiquer cette chose.]<br />
Familia căreia îi aparţinea era cunoscută în oraş – fr. La famille à laquelle elle<br />
appartenait était connue dans la ville [Elle appartenait à cette famille.]<br />
En roumain, la forme căruia peut être précédée par un relateur prépositionnel<br />
qui exige un régime au datif (graţie, datorită). La structure équivalente du français<br />
comporte une locution prépositive formée d’un nom et de la préposition à (grâce à).<br />
Par conséquent, les pronoms employés seront toujours à qui et auquel.<br />
Cunoaşteţi operele datorită cărora acest scriitor a reuşit să se afirme – fr. Vous<br />
connaissez les oeuvres grâce auxquelles cet écrivain a réussi à s'affirmer<br />
[L'écrivain a réussi à s'affirmer grâce à ces oeuvres]<br />
♦ Al cărui - complément du nom<br />
Le nom qui, dans la subordonnée relative, est déterminé par al cărui, peut être<br />
sujet, objet direct ou attribut.<br />
a) Le nom déterminé par le pronom relatif a la fonction de sujet.<br />
Structure : Roum. SN + al cărui + SN1 + V<br />
(4) Fr. SN + dont + SN1 + V<br />
Camera a cărei uşă e deschisă e a mea – fr. La chambre dont la porte est<br />
ouverte est la mienne [La porte de cette chambre est ouverte.]<br />
b) Le nom déterminé par le pronom relatif est un objet direct ou un attribut.<br />
Structure : Roum. SN + al cărui + SN2 (+ SN1) + V<br />
(5) SN + al cărui + SN2 + V + SN1<br />
Fr. SN + dont / duquel + SN1 + V + SN2<br />
55
Ce type de structure pose un problème quant à l’ordre des mots dans la<br />
subordonnée relative. En roumain, al cărui précède immédiatement le nom qu’il<br />
détermine ; en français, le nom régissant doit être placé après le verbe, conformément<br />
aux règles syntaxiques du français (SN1 + V + SN2).<br />
- Le nom régissant est complément d’objet direct :<br />
Faci demersuri a căror necesitate nu o văd – fr. Tu fais des démarches dont je<br />
ne vois pas la nécessité [Je ne vois pas la nécessité de ces démarches.] -<br />
Construction fautive: *dont la nécessité je ne la vois pas<br />
Iată persoana al cărei nume aş fi vrut să-l aflu – fr. Voici la personne dont<br />
j'aurais voulu apprendre le nom [J'aurais voulu apprendre le nom de cette<br />
personne.]<br />
Intră în dormitor, a cărui uşă o închise încet – fr. Il entra dans la chambre dont<br />
il ferma doucement la porte [Il ferma doucement la porte de la chambre]<br />
- Le nom régissant est attribut :<br />
Accidentul al cărui martor fusese – fr. L'accident dont il avait été le témoin [Il<br />
avait été le témoin de cet accident]<br />
Casa al cărei proprietar sunteţi – fr. La maison dont / de laquelle vous êtes<br />
propriétaire [Vous êtes propriétaire de cette maison]<br />
Précédé d’une préposition, le nom déterminé par (al) cărui(a) joue le rôle de<br />
complément d’objet indirect ou circonstanciel.<br />
Structure :<br />
(6) Roum. SN + Prép + al cărui + N (sans Art.) (+SN1) + V<br />
SN + Prép + N (Art. défini) 10 + căruia + V<br />
Fr. SN + Prép + N (Art. défini) + de qui [+Animé] / duquel [±Animé] + SN1 +<br />
V<br />
Era o persoană de a cărei sinceritate nu se îndoise niciodată – fr. C'était une<br />
personne de la sincérité de qui / de laquelle elle n'avait jamais douté [Elle<br />
n'avait jamais douté de la sincérité de cette personne]<br />
Andrei este un om pe a cărui discreţie se poate conta – fr. André est un homme<br />
sur la discrétion de qui / duquel on peut compter [On peut compter sur la<br />
discrétion de cet homme]<br />
10 Il s’agit souvent de locutions prépositives (formées d’une préposition et d’un nom qui comporte l’article défini);<br />
construites avec le génitif (ici căruia). Dans le transcodage de ces structures en français, il peut apparaître un type<br />
d’erreur qui semble dû à l’équivalence courante entre le génitif roumain et un syntagme en de (par exemple : Casa<br />
în faţa căreia ne-am oprit – fr. *La maison devant de laquelle nous nous sommes arrêtés). En fait, la préposition du<br />
français correspond à la locution roumaine considérée comme une seule unité.<br />
56
Trecu pe lângă copacii la a căror umbră / la umbra cărora se odihnise de<br />
atâtea ori – fr. Il passa près des arbres à l'ombre desquels il s'était reposé tant<br />
de fois [Il s'était reposé tant de fois à l'ombre de ces arbres]<br />
Este o serbare cu ocazia căreia o vei cunoaşte pe prietena mea – fr. C'est une<br />
fête à l'occasion de laquelle tu vas connaître mon amie [Tu vas connaître mon<br />
amie à l'occasion de cette fête]<br />
Un munte în vârful căruia se aflau nişte ruine – fr. Une montagne au sommet<br />
de laquelle il y avait des ruines [Au sommet de cette montagne il y avait des<br />
ruines]<br />
Aveţi de făcut eforturi la capătul cărora vă aşteaptă o reuşită indiscutabilă – fr.<br />
Vous avez à faire des efforts au bout desquels une réussite indiscutable vous<br />
attend [Une réussite indiscutable vous attend au bout de ces efforts]<br />
♦ Prép + care (complément d'objet indirect ou circonstanciel)<br />
Structure : Roum. SN + Prép + care (+ SN1) + V<br />
(7) Fr. a) SN + Prép + qui / lequel / quoi + SN1 + V<br />
b) SN + dont / duquel / de qui + SN1 + V<br />
c) SN + où + SN1 + V<br />
a) Prietenul la care vom merge – fr. L'ami chez qui nous irons [Nous irons chez<br />
cet ami]<br />
Mihai mi-a spus nişte lucruri la care m-am gândit mult în seara aceea – fr.<br />
Michel m'a dit des choses auxquelles j'ai longuement réfléchi ce soir-là [J'ai<br />
longuement réfléchi à ces choses] 11<br />
Iată o unealtă cu care voi putea lucra – fr. Voilà un outil avec lequel je pourrai<br />
travailler [Je pourrai travailler avec cet outil]<br />
Copacii printre care se plimbau – fr. Les arbres parmi lesquels ils se<br />
promenaient [Ils se promenaient parmi ces arbres]<br />
E o casă în care mă voi simţi în largul meu – fr. C'est une maison dans laquelle<br />
je serai à l'aise [Je serai à l'aise dans cette maison]<br />
Căută ceva de care să se agaţe – fr. Il chercha quelque chose à quoi<br />
s'accrocher [Il voulait s'accrocher à quelque chose] 12<br />
b) Les syntagmes où care est précédé par l’une des prépositions de, de la, din,<br />
dintre, despre (tous ces relateurs comportent l’élément de) ont pour équivalent le<br />
pronom relatif dont.<br />
11 Le syntagme Prép + quoi rapporté à un nom [+Abstrait] n’apparaît que dans la langue littéraire.<br />
12 Auquel est parfois remplacé, dans la langue littéraire, par le pronom relatif où, se rapportant à un nom abstrait. Ex.<br />
: Voici les conclusions où j’ai abouti. (cf. Tănase, 1973 : 133).<br />
57
E un subiect despre care îi place să vorbească – fr. C'est un sujet dont elle aime<br />
parler [Elle aime parler de ce sujet]<br />
E o prietenă de care sunt mândră – fr. C'est une amie dont je suis fière [Je suis<br />
fière de cette amie] 13<br />
Vei reuşi, lucru de care nu se îndoieşte nimeni – fr. Tu réussiras, ce dont<br />
personne ne doute [Personne ne doute de cette chose]<br />
Cartea din care am citit câteva pasaje – fr. Le livre dont j'ai lu quelques<br />
passages [J'ai lu quelques passages de ce livre]<br />
Mi-aţi împrumutat nişte romane dintre care câteva m-au interesat foarte mult –<br />
fr. Vous m'avez prêté des romans dont quelques-uns m'ont fort intéressé<br />
[Quelques-uns de ces romans m'ont fort intéressé]<br />
Familia din care provine – fr. La famille dont il est sorti / issu [Il est sorti / issu<br />
de cette famille]<br />
Dont peut se trouver en variation libre avec duquel et de qui.<br />
Persoana de la care ştiu aceste amănunte – fr. La personne dont / de qui je<br />
tiens ces détails [Je tiens ces détails de cette personne]<br />
E un student de care sunt foarte mulţumit – fr. C'est un étudiant dont /duquel /<br />
de qui je suis très content [Je suis très content de cet étudiant]<br />
Dans les traductions il importe de bien distinguer les cas où la préposition de ou<br />
despre du roumain (en français de) précède la forme care, des cas où elle précède le<br />
pronom al cărui. L’équivalent de de + care est dont, tandis que de + al cărui doit être<br />
traduit par de … duquel. On opposera ainsi des couples de phrases tels que :<br />
Un prieten de care sunt sigur – fr. Un ami dont je suis sûr /<br />
Un prieten de a cărui discreţie sunt sigur – fr. Un ami de la discrétion duquel<br />
je suis sûr<br />
Sertarul despre care e vorba – fr. Le tiroir dont il s'agit /<br />
Sertarul despre a cărui cheie e vorba – fr. Le tiroir de la clé duquel il s'agit<br />
Traductions fautives:<br />
*Un ami dont la discrétion je suis sûr<br />
*Le tiroir dont la clé il s'agit<br />
Il existe cependant des situations où la structure du roumain de + al cărui + SN<br />
+ V a pour équivalent en français dont +SN1 + V + SN2 (et non pas de + SN + duquel),<br />
ce qui est dû aux divergences dans l’emploi du verbe : en roumain le verbe se construit<br />
13 En syntaxe française, dont [= de cette amie] est interprété comme un complément de l’adjectif fière.<br />
58
avec la préposition de (complément d’objet indirect), mais la construction équivalente<br />
du français est transitive directe (préposition ∅).<br />
Mihai era singurul om de a cărui părere îi era teamă – fr. Michel était le seul<br />
homme dont il craignait l'opinion [a se teme de ceva = craindre qch.]<br />
Sunt scriitori de ale căror nume nu am auzit niciodată – fr. Ce sont des<br />
écrivains dont je n'ai jamais entendu les noms [a auzi de ceva = entendre qch]<br />
c) Un cas particulier est constitué par certains syntagmes [+Lieu] ou [+Temps].<br />
Si le pronom relatif représentant un nom [+Lieu] est précédé par în ou par une autre<br />
préposition qui comporte l’élément în (din, prin), on emploie en français le pronom<br />
relatif où, respectivement d’où et par où.<br />
Am revăzut oraşul în care [= unde] mi-am petrecut copilăria – fr. J'ai revu la<br />
ville où j'ai passé mon enfance [J'ai passé mon enfance dans cette ville]<br />
Oraşul din care aţi plecat – fr. La ville d'où vous êtes parti [Vous êtes parti de<br />
cette ville.]<br />
Vagonul din care coboară – fr. Le wagon d'où il descend [Il descend de ce<br />
wagon] 14<br />
Drumul pe care vom trece – fr. Le chemin par où nous allons passer [Nous<br />
allons passer par ce chemin]<br />
Le syntagme à sens temporel în care a pour équivalent en français le même<br />
pronom relatif où.<br />
Vorbiţi-ne despre ziua în care [= când] aţi făcut această descoperire – fr.<br />
Parlez-nous du jour où vous avez fait cette découverte [Vous avez fait cette<br />
découverte ce jour-là]<br />
Iarna în care [= când] a fost aşa de frig – fr. L'hiver où il a fait si froid. -<br />
Dans la langue littéraire, on peut employer que : L'hiver qu'il a fait si froid.<br />
La traduction des structures relatives prépositionnelles du roumain soulève<br />
certaines difficultés, dues aux divergences qui existent entre les deux langues quant à<br />
l’emploi des prépositions, après certains verbes. Le syntagme Prép + care joue le rôle<br />
d’objet indirect (déterminant obligatoire) ou de complément circonstanciel. Il peut<br />
comporter une préposition autre que la ou de, à laquelle doit corredspondre en français<br />
précisément à ou de, ce qui entraîne le choix obligatoire, dans la traduction, d’un<br />
pronom relatif qui incorpore l’une de ces prépositions (auquel ou dont).<br />
a) Greutăţile de care avea să se lovească – fr. Les difficultés auxquelles il allait<br />
se heurter [Il allait se heurter à ces difficultés]<br />
14 Mais il faut dire : La famille dont il descend. Dont s’emploie «en parlant de personnes, de descendance,<br />
d’extraction» (Grevisse, 1975 : 534), tandis que d’où exprime une idée spatiale.<br />
59
Pe masă se afla o tavă cu friptură de care bolnava nu se atinsese – fr. Sur la<br />
table il y avait un plateau avec un rôti auquel la malade n'avait pas touché [La<br />
malade n'avait pas touché à ce rôti]<br />
Problemele de care vă interesaţi sunt de mare actualitate – fr. Les problèmes<br />
auxquels vous vous intéressez sont d'une grande actualité [Vous vous<br />
intéressez à ces problèmes]<br />
Era un zgomot cu care era obişnuită - fr. C'était un bruit auquel elle était<br />
habituée [Elle était habituée à ce bruit]<br />
Le maniement correct de ces structures suppose donc la connaissance exacte du<br />
régime des verbes en question (a se lovi de = se heurter à, a se interesa de =<br />
s’intéresser à, a se obişnui cu = s’habituer à, etc.).<br />
b) Îşi propunea să ducă la bun sfârşit misiunea cu care era însărcinat – fr. Il se<br />
proposait de mener à bien la mission dont il était chargé [Il était chargé de cette<br />
mission]<br />
3. Conclusion<br />
Se bucura de modul în care fiul ei se prezenta la examene – fr. Elle se<br />
réjouissait de la manière dont son fils se présentait aux examens [Il se<br />
présentait de cette manière.]<br />
Éléments de relation (conjonctifs), les pronoms relatifs doivent être étudiés dans<br />
leur fonctionnement à l’intérieur de la phrase. Nous avons insisté sur l’importance de<br />
l’étude syntagmatique dans ce domaine, en soulignant, implicitement, la nécessité<br />
d’enseigner / apprendre, en même temps que les formes du pronom relatif, les<br />
structures syntagmatiques où chacune de ces formes est intégrée. L’étude des<br />
pronoms relatifs implique ainsi l’analyse de phénomènes syntaxiques plus complexes.<br />
Nous avons voulu attirer l’attention sur les difficultés qui surgissent lors du<br />
transcodage des propositions relatives du roumain en français. Le roumain et le français<br />
présentent, certes, des convergences, mais aussi un certain nombre de divergences en ce<br />
qui concerne les formes et les emplois des pronoms relatifs. On pourrait remarquer que<br />
l’utilisation des structures relatives par les apprenants roumains se fonde toujours sur<br />
une opération de transcodage, à partir des structures du roumain, d’où les erreurs qui<br />
interviennent aux points de divergence entre la langue base et la langue cible. Les<br />
difficultés concernent surtout les constructions prépositionnelles du roumain ayant pour<br />
correspondant soit un syntagme prépositionnel, soit un pronom relatif qui incorpore une<br />
préposition (dont, où et les formes composées amalgamées auquel, duquel), le choix du<br />
pronom relatif, en français, étant conditionné parfois par la construction du verbe, ou,<br />
dans le cas de la préposition de, par la fonction syntaxique du pronom (complément de<br />
verbe ou complément du nom). On peut rappeler quelques autres difficultés, d’ordre<br />
60
sémantique (l’emploi du pronom français où [+Temps] ), syntaxique (la non reprise, en<br />
français, du pronom relatif complément d’objet direct ou indirect, l’ordre des mots dans<br />
les propositions introduites par dont se rapportant à un SN complément d’objet direct)<br />
et même d’ordre pragmatique (les conditions d’emploi de la forme lequel en fonction<br />
de sujet).<br />
Les erreurs interférentielles, dans le cas des pronoms relatifs, pourront être<br />
évitées ou corrigées grâce à une étude systématique des principales structures<br />
syntagmatiques, que l’on exploitera par des exercices appropriés.<br />
61
ÉQUIVALENCES FRANÇAISES<br />
DU MODE PRÉSOMPTIF DU ROUMAIN<br />
1. Le statut du mode présomptif en roumain<br />
1.1. Le mode présomptif (prezumtiv) est une catégorie spécifique pour le<br />
roumain, n’ayant pas d’équivalent parmi les modes verbaux du français, ce qui entraîne<br />
un certain nombre de difficultés pour la traduction. 1<br />
Le présomptif comporte certaines formes qui lui sont propres, à savoir le futur,<br />
le conditionnel présent ou le subjonctif 2 présent du verbe a fi suivi du gérondif du<br />
verbe en question, tout comme certaines formes qu’il emprunte à d’autres modes, à<br />
savoir les formes populaires et littéraires du futur et du futur antérieur (actualisées avec<br />
une valeur essentiellement modale), ainsi que le subjonctif passé et le conditionnel<br />
passé (ces dernières<br />
formes acquièrent valeur de présomptif dans des contextes déterminés, où la syntaxe et<br />
l’intonation jouent un rôle décisif 3 .<br />
Pour un verbe tel que savoir, les formes du présomptif sont les suivantes:<br />
- présomptif présent : o fi / va fi / ar fi / să fi ştiind<br />
- présomptif passé : o fi / va fi /ar fi / să fi ştiut 4 .<br />
Dans le cas du verbe a fi «être» , le gérondif est souvent absent , les formes du<br />
présomptif étant donc o fi / a fi (pop.) / vor fi (au lieu de o fi / a fi / va fi fiind).<br />
Pour indiquer de façon simplifiée la base de la construction, nous utiliserons<br />
les symboles O / VA / SĂ / AR.<br />
1<br />
Le «mode présomptif» a acquis droit de cité dans la linguistique roumaine avec l’article d’Elena Slave (1957). Le<br />
terme de «présomptif» remonte à 1945 ; dans Gramatica limbii române de J. Byck et A. Rosetti, il désignait un<br />
certain nombre de formes verbales ayant pour dénominateur commun l’expression du doute, l’atténuation d’une<br />
affirmation, la supposition. Il y a cependant des linguistes qui s’inscrivent en faux contre l’affirmation de l’existence<br />
d’un tel mode en roumain ; ainsi Vladimir Florea (1980, p. 326) affirme que «l’acceptation de ce mode par les<br />
linguistes a laissé ouverte la voie, dangereuse et stérile, de la grammaire des valeurs discursives et des effets de<br />
sens».<br />
2<br />
En roumain, le subjonctif s’appelle «conjonctif».<br />
3<br />
Cf. Iordan & Robu, 1978 : 473.<br />
4<br />
Pour Florea (1980), les formes o fi cântând, o cânta, o fi cântat ne sont en réalité que les trois aspects du verbe<br />
roumain : tensif, intensif, extensif (dans une perspective guillaumienne).<br />
62
La différence entre le présomptif présent et le présomptif passé est d’ordre<br />
aspectuel : inaccompli vs accompli. On peut remarquer aussi que les verbes employés<br />
au présomptif présent sont presque toujours imperfectifs (o fi ; o fi dormind) ; pour un<br />
verbe perfectif tel que a pleca, la forme o pleca n’est qu’un simple futur, et l’on ne dira<br />
pas (sauf dans un contexte très particulier) o fi plecând.<br />
Du point de vue du sens, le mode présomptif se situe dans le domaine de<br />
l’incertitude, des hypothèses et des questionnements. Le présomptif est un mode verbal<br />
qui présente l’action comme supposée ou probable (DEX). Selon E. Slave 5 , le<br />
présomptif exprime la supposition, la possibilité ou l’incertitude portant sur le verbe ou<br />
sur un autre terme de la phrase. Gh. Ivănescu 6 décrit le présomptif comme «modul<br />
acţiunii reale, nesigure din neştiinţa noastră». Pour B.B.Berceanu 7 , il s’agit d’une<br />
structure verbale signifiant l’incertitude, la supposition, l’hypothèse ou l’indifférence. I.<br />
Iordan et V. Robu 8 présentent le présomptif comme mode exprimant un procès<br />
possible, mais qui reste incertain ou supposé ; en ce qui concerne sa valeur temporelle,<br />
le présomptif est l’équivalent de l’indicatif présent ou du passé composé, auquels<br />
s’ajoute le sème [+Dubitatif]. Pour D. Irimia, «prezumtivul este modul presupunerii, al<br />
bănuielilor, al ipotezelor privind desfăşurarea sau nedesfăşurarea unei acţiuni verbale,<br />
existenţa sau inexistenţa unor caracteristici ale verbului propoziţiei» 9 .<br />
Impliquant une attitude spécifique du locuteur vis-à-vis du contenu énoncé, le<br />
présomptif se caractérise par son oralité. Il est surtout utilisé dans le discours direct et<br />
dans le discours indirect libre, mais il peut également apparaître dans le discours<br />
indirect lié. Ayant une valeur subjective marquée, le présomptif a une fréquence plus<br />
élevée dans la langue parlée et dans la langue littéraire 10 ; il est exclu des registres<br />
fonctionnels qui ne mettent pas en jeu la subjectivité du locuteur.<br />
On peut également préciser que la valeur modale du présomptif apparaît de<br />
façon plus nette dans les propositions indépendantes ou principales, où il est d’ailleurs<br />
utilisé plus fréquemment.<br />
1.2. Il n’existe pas, en français, un mode verbal correspondant au présomptif du<br />
roumain. Pour traduire ce type de formes verbales, on peut recourir à tout un ensemble<br />
de structures appartenant au même domaine sémantique de l’hypothèse et de la<br />
probabilité.<br />
Nous avons ordonné les exemples du roumain en fonction du contexte et du<br />
type d’énoncé, ce qui nous a permis d’opérer aussi quelques distinctions d’ordre<br />
sémantico-pragmatique.<br />
5<br />
Slave (1957 : 55).<br />
6<br />
Sintaxa limbii române moderne, cours donné à l’Université de Iaşi en 1947-1948, apud E. Slave (1957 : 54).<br />
7<br />
Berceanu (1971 : 202).<br />
8<br />
Iordan & Robu (1978 : 473).<br />
9<br />
Irimia (1997 : 253).<br />
10<br />
«Ïn limbajul literaturii artistice» (Irimia, 1997 : 253).<br />
63
Il importe de distinguer les situations où le présomptif apparaît dans les phrases<br />
indépendantes ou dans des propositions principales – énoncés assertifs (déclaratifs) ou<br />
interrogatifs – et les situations où il apparaît dans des propositions subordonnées.<br />
2. Propositions indépendantes ou principales<br />
2.1. Modalité assertive (déclarative)<br />
Nous distinguerons deux types de situations, suivant qu’il s’agit d’une<br />
probabilité énoncée par le locuteur ou d’une probabilité énoncée par l’interlocuteur et<br />
assumée par le locuteur.<br />
2.1.1. Probabilité affirmée<br />
L’énonciateur émet en son propre nom une hypothèse ou une supposition :<br />
P (V présomptif) = Presupun / cred / afirm ca probabil că P (V indicatif).<br />
Pour traduire le présomptif qui apparaît dans ce type de construction on peut<br />
avoir recours aux solutions suivantes:<br />
- le futur à valeur modale<br />
- l’auxiliaire modal devoir + infinitif<br />
- les adverbes sans doute + indicatif et peut-être (que) + indicatif.<br />
Toutes ces constructions admettent la paraphrase par probablement +<br />
indicatif 11 . Dans la traduction du roumain en français, nous n’allons cependant pas<br />
utiliser l’adverbe probablement, appartenant à un registre plus neutre, qui implique<br />
dans une moindre mesure la subjectivité de l’énonciateur.<br />
Les formes du présomptif identiques aux formes populaires du futur simple et<br />
du futur antérieur (formes en O) admettent pour équivalent en français le futur simple<br />
(il s’agit le plus souvent des verbes être et avoir) et le futur antérieur, employés avec<br />
une valeur modale ; c’est ce que Imbs (1968) appelle le futur de l’hypothèse probable.<br />
La construction est caractéristique pour la langue parlée – le discours direct 12 .<br />
11<br />
En roumain aussi, d’ailleurs, l’indicatif peut se substituer au présomptif, à condition que l’on substitue aux<br />
marques modales du verbe des lexèmes modaux adverbiaux.<br />
12<br />
Le futur de l’hypothèse probable peut apparaître tant dans les phrases indépendantes ou principales que dans des<br />
subordonnées complétives.<br />
a) Pierre n’est pas là, il dînera chez ses parents. (in Baylon & Fabre) - futur de probabilité (roum. … o fi<br />
cinând la părinţii lui.)<br />
Je suis fou, se disait-il ; sans doute on l’aura retenue à dîner. (Flaubert, in Imbs) - futur antérieur de<br />
probabilité (roum. …de bună seamă că or fi reţinut-o la cină.)<br />
b) 2 et 2, 5? Je crois que vous aurez commis quelque erreur… (in Baylon & Fabre) (roum. … Probabil că aţi<br />
greşit undeva.)<br />
64
- Un présent hypothétique est remplacé par le «futur» modal :<br />
Roum. A sunat. O fi factorul. [= Presupun că e factorul.]<br />
Fr. On a sonné. Ce sera le facteur. [=Je suppose que c'est le facteur.]<br />
Roum. Ion n-a sosit. O fi pierdut trenul [= Presupun că a pierdut trenul.]<br />
Fr. Jean n'est pas arrivé. Il aura manqué le train. [= Je suppose qu'il a manqué<br />
le train.]<br />
Paul Imbs précise que le futur de probabilité est proche de la périphrase devoir<br />
+ infinitif 13 :<br />
Ce sera le facteur = Ce doit être le facteur<br />
Il aura raison = Il doit avoir raison<br />
Je les aurai oubliées = J'ai dû les oublier<br />
Les deux constructions sont dans un rapport de distribution défective, la structure<br />
devoir + infinitif ayant une distribution plus large que celle du «futur» modal.<br />
Devoir + infinitif peut rendre en français un présomptif à base d’indicatif en O,<br />
qui exprime une supposition probable. En voici quelques exemples:<br />
Roum. O fi ora trei.<br />
Fr. Il doit être trois heures.<br />
Roum. N-o fi prea bogat.<br />
Fr. Il ne doit pas être très riche.<br />
Roum. O fi ştiind el ceva.<br />
Fr. Il doit en savoir quelque chose.<br />
Roum. S-o fi înşelat.<br />
Fr. Il a dû se tromper.<br />
Roum. Le-o fi găsit ieftine şi le-o fi luat. (M. Preda)<br />
Fr. Il a dû les trouver bon marché et il les a achetées.<br />
Dans le dernier exemple, la proposition coordonnée par et exprime la conséquence<br />
certaine, constatée (acheter) du fait antérieur supposé (trouver), ce qui impose en<br />
français l’emploi de l’indicatif. Cet énoncé exprime une supposition qui présente un<br />
On pense que M. Tardieu en aura eu fini hier soir avec les résistances du Dr. Schacht, il aura pris le train de<br />
20 h pour être à 6h30 à Paris. (C. Maurras, in Imbs) - futur surcomposé de probabilité (roum. …o fi<br />
terminat cu…)<br />
13<br />
Le verbe devoir peut exprimer la possibilité ou la supposition (DFC) ou, selon Le Petit Robert, la probabilité ou<br />
l’hypothèse :<br />
Il doit être environ 3h.<br />
Il est bien en retard : il a dû avoir une panne.<br />
65
degré de probabilité plus élevé et qui pourrait être également rendue en français à l’aide<br />
de la tournure indicatif + sans doute 14 :<br />
Il les a sans doute trouvées bon marché et il les a achetées.<br />
Les tournures avec sans doute appartiennent en fait à la langue standard. La<br />
phrase ci-dessus pourrait être rendue aussi à l’aide d’une tournure de la langue<br />
populaire, qui introduit une explication :<br />
Faut croire qu’il les a trouvées bon marché... [= C’est sans doute parce qu’il les<br />
a trouvées bon marché qu’il les a achetées]<br />
La tournure sans doute + indicatif est généralement utilisée dans la traduction<br />
du présomptif lorsque la synonymie modale peut être réalisée à l’aide de desigur +<br />
indicatif ; il s’agit d’une probabilité proche de la certitude :<br />
Roum. Luminarea Sa, nepotul prea puternicului Verde-Împărat<br />
m-a fi aşteptând cu nerăbdare. (I. Creangă) [= mă aşteaptă desigur / de bună<br />
seamă]<br />
Fr. Son Altesse, le neveu du tout-puissant empereur Vert, m'attend sans doute<br />
avec impatience. (trad. E. Vianu)<br />
Roum. Ăi fi Dumitru Căţic dă la Caracal. (Camil Petrescu)<br />
Fr. Vous êtes sans doute Dumitru Catic de Caracal.<br />
Roum. Voi fi păcătuind cumva împotriva gramaticii, probabil că folosesc mereu<br />
unele cuvinte... (Camil Petrescu)<br />
Fr. Je pêche sans doute, d'une manière ou d'une autre, contre la grammaire,<br />
j'utilise probablement tout le temps certains mots...<br />
Dans la langue familière, certaines des constructions mentionnées ci-dessus<br />
pourraient être reformulées à l’aide du modalisateur peut-être que + indicatif 15 :<br />
Peut-être qu’il n’est pas très riche.<br />
Peut-être qu’il en sait quelque chose.<br />
Peut-être qu’il s’est trompé.<br />
Voici un autre exemple où l’on utilise peut-être que + indicatif (en roumain, le<br />
présomptif est l’équivalent du modalisateur propositionnel poate că) :<br />
Roum. N-o mai fi cântând acolo.<br />
Fr. Peut-être qu’elle ne chante plus là-bas.<br />
14 Sans doute est synonyme de probablement (DFC) : Sans doute êtes-vous déjà au courant (Roum. Veţi fi fiind<br />
deja la curent / Probabil că sunteţi deja la curent).<br />
15 Peut-être marque le fait que le contenu de l’énoncé est considéré comme une événtualité, comme une hypothèse<br />
ou comme une probabilité (DFC) : Peut-être a-t-il oublié le rendez-vous. (Roum. O fi uitat de întâlnire.)<br />
66
Nous mentionnons aussi une situation un peu particulière où l’on peut avoir<br />
recours aussi aux adverbes peut-être, sans doute + indicatif. Il s’agit d’un certain<br />
type d’interventions réactives qui reprennent une idée énoncée antérieurement par un<br />
premier locuteur, pour introduire une idée concessive, exprimée dans une proposition<br />
introduite par dar «mais» et dont le verbe est au présomptif.<br />
Roum. Beat, beat... dar s-o fi rănit. (Camil Petrescu)<br />
Fr. Ivre, oui... mais il est peut-être blessé.<br />
Roum. Că, nebuni, nebuni, dar o fi ştiind şi ăştia ce vorbesc... (T. Muşatescu)<br />
Fr. Ils sont peut-être fous, mais ils savent sans doute de quoi ils parlent...<br />
Dans l’exemple ci-dessous, où l’on peut enregistrer la présence du connecteur<br />
discursif doar à côté de la forme négative du présomptif, nous avons eu recours à la<br />
formule tu ne vas pas me dire que…, qui met toujours en évidence la subjectivité de<br />
l’énonciateur :<br />
Roum. Nu există boală care să te ţină în casă. Doar n-oi fi având vreuna<br />
molipsitoare... (T. Muşatescu) (= nu cumva ai...)<br />
Fr. Il n'y a pas de maladie que puisse t'empêcher de sortir. Tu ne vas pas me<br />
dire que tu as quelque chose de contagieux, hein?<br />
Dans les constructions qui indiquent l’approximation, le présomptif (souvent à<br />
base de subjonctif ; on notera aussi la présence de l’adverbe tot) peut être transposé en<br />
français à l’aide des verbes modaux pouvoir 16 et devoir.<br />
Roum. Era şi foarte tânăr; să tot fi avut douăzeci de ani. (M. Caragiale)<br />
Fr. Il était d'ailleurs très jeune; il pouvait avoir vingt ans tout au plus.<br />
Roum. Să tot fie cinci ani de atunci.<br />
Fr. Il doit y avoir a peu près cinq ans de cela.<br />
Roum. În totului-tot, a fi trecut la mijloc vreo jumătate de ceas, cât a zăbovit<br />
mama acolo. (I. Creangă)<br />
Fr. En tout, il pouvait bien y avoir une demi-heure qu'elle était plantée là. (trad.<br />
Yves Augé)<br />
2.1.2. Probabilité assumée<br />
Dans une intervention réactive, le locuteur admet comme très probable le fait<br />
énoncé antérieurement par l’interlocuteur. Le contexte peut impliquer diverses nuances,<br />
généralement explicitées par une proposition adversative introduite par la conjonction<br />
dar «mais» : P (V Présomptif O, VA) = Admit ca probabil că P (V Indicatif), dar Q.<br />
16<br />
Le verbe pouvoir peut exprimer l’approximation, la probabilité ou l’éventualité (DFC) : Cet enfant pouvait avoir<br />
tout au plus six ans.<br />
67
a) La phrase présomptive constitue la réponse à une question formulée par un<br />
premier locuteur, L1. La réponse de L2 implique la non participation de l’interlocuteur,<br />
son ignorance ou son indifférence, ou peut apporter une précision. Le même type de<br />
modalisation peut être réalisée en roumain par se prea poate. En français on peut<br />
utiliser dans ce cas les expressions à sens modal possible, c’est (fort) possible, probable<br />
(fam.), ça se peut (bien).<br />
En voici quelques exemples :<br />
Roum. - Da' frăţiori mai ai?<br />
- Oi fi având, da' nu-i cunosc. (I.L.Caragiale)<br />
Fr. - Et des petits frères, tu en as?<br />
- Possible, mais je ne les connais pas.<br />
Roum. - Îţi zice lumea Niculăiţă Minciună?<br />
- Mi-o fi zicând. (Al. Brătescu-Voineşti)<br />
Fr. - On t'appelle Colas le Menteur?<br />
- C'est possible.<br />
Rom. Va fi ştiind, dar de la mine nu. (I. Slavici)<br />
Fr. Ça se peut bien, qu'il le sache, seulement ce n'est pas de moi qu'il l'a su.<br />
b) La phrase présomptive reprend une affirmation faite par un premier locuteur<br />
ou bien un fait connu des participants au dialogue ; le locuteur L2 admet le fait en<br />
question comme probable, tout en exprimant une idée concessive : «il est vrai que /<br />
j’admets que P, mais je suis d’avis que Q». En français on peut utiliser comme<br />
équivalents des phrases présomptives des expressions telles que : d’accord, c’est vrai,<br />
peut-être, sans doute. Dans la langue littéraire il serait également possible d’utiliser des<br />
verbes tels que accorder, admettre, concéder, convenir, ainsi que la locution<br />
concessive avoir beau. En voici quelques exemples:<br />
Roum. Mă rog, conservele mele n-or fi bune 17 , dar dacă le trimitem pe front<br />
tot se mănâncă. (E. Barbu)<br />
Fr. D'accord, mes conserves ne sont peut-être pas bonnes, pourtant si on les<br />
envoie au front on les mangera bien.<br />
Roum. N-o fi el prea inteligent, dar e conştiincios.<br />
Fr. Il n'est peut-être / sans doute pas très intelligent, mais il est<br />
consciencieux.<br />
Roum. O fi el şef, dar de data asta se înşală.<br />
Fr. C'est vrai qu'il est le chef, mais cette fois il a tort.<br />
2.2. Modalité interrogative<br />
17 Il est possible d’intercaler ici le pronom ele, comme dans les deux exemples que nous citons plus loin.<br />
68
Les structures interrogatives, de par leur nature, confèrent à l’énoncé une<br />
nuance d’incertitude, de doute. En parlant de l’opposition modale thèse vs hypothèse,<br />
Teodora Cristea (1974 : 92) montre que «l’emploi d’une forme non-thétique telle que<br />
l’interrogation diminue le coefficient de réalité que l’on accorde à l’énoncé émis». La<br />
forme interrogative du présomptif pourra donc être traduite en français soit par des<br />
constructions à valeur modale exprimant l’hypothèse ou l’éventualité (le mode<br />
conditionnel ou des périphrases construites avec le verbe pouvoir), soit par une phrase<br />
interrogative dont le verbe est à l’indicatif, auquel cas la structure interrogative, grâce à<br />
certaines éléments spécifiques (la formule est-ce que, l’inversion du sujet, l’emploi<br />
d’adverbes ou de pronoms interrogatifs, termes explétifs qui servent à renforcer<br />
l’interrogation) sera une marque suffisante de la modalité «présomptive».<br />
2.2.1. Interrogation partielle<br />
La phrase présomptive est une interrogation partielle, introduite par un adverbe,<br />
un pronom ou un adjectif interrogatif. La question est chargée d’incertitude ou de<br />
perplexité. Dans la plupart des cas, le présomptif qui apparaît dans ce type de phrases (à<br />
base d’indicatif, le plus souvent ; parfois à base de subjonctif ou, très rarement, à base<br />
de conditionnel) admet pour équivalent en français une périphrase verbale comportant<br />
le verbe modal pouvoir 18 à l’indicatif (ou au conditionnel), généralement renforcé par<br />
l’adverbe bien et suivi par l’infinitif du verbe en question, mais aussi le verbe devoir +<br />
indicatif. On peut d’ailleurs remarquer qu’en roumain il est parfois possible d’utiliser -<br />
dans un registre plus neutre - la paraphrase avec a putea «pouvoir» (à l’indicatif ou au<br />
passé simple) + verbe au subjonctif : Cine-o fi? = Cine poate să fie?; Cine-o fi fost? =<br />
Cine a putut să fie? Dans les constructions comportant certains adverbes interrogatifs,<br />
on peut avoir en français la forme de l’indicatif, accompagnée parfois par des mots<br />
explétifs tels que donc 19 ou diable 20 .<br />
:<br />
- Phrases interrogatives introduites par un pronom ou par un adjectif interrogatif<br />
Roum. Ce-o fi gândind sluga? (I. Slavici)<br />
Fr. Que peut bien penser le serviteur? (in Florea, 1980)<br />
Roum. Ce ar fi putând să i se întâmple? (I. Slavici)<br />
Fr. Qu'est-ce qui pourrait bien lui arriver?<br />
18<br />
Dans les phrases interrogatives, le verbe pouvoir «souligne la perplexité» (DFC).<br />
19<br />
Donc peut renforcer une question ; l’intonation exprime la surprise ou le doute (DFC) : Qui donc a pu téléphoner ?<br />
(roum. Cine-o fi telefonat?)<br />
20<br />
Après certains mots interrogatifs, le mot diable indique la surprise, l’étonnement, la perplexité ou le doute (DFC)<br />
:<br />
Qui diable a pu vous dire cela?<br />
Pourquoi diable n’est-il pas venu?<br />
69
Roum. Ce s-o fi petrecut în mintea lui de copil? (J. Bart)<br />
Fr. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer dans sa tête d'enfant?<br />
Roum. Cine-o fi nebunu' ăla? (M. Preda)<br />
Fr. Qui est-ce que ça peut bien être, ce fou?<br />
Roum. Care o fi bucuria vieţii acestui om? (D. Săraru)<br />
Fr. Quelle peut (bien) être la joie de vivre de cet homme?<br />
Roum. Câte ceasuri să fie? (I.L.Caragiale)<br />
Fr. Quelle heure est-il? / Quelle heure peut-il bien être?<br />
- Phrases interrogatives introduites par des adverbes interrogatifs :<br />
Roum. Nu înţeleg însă, de ce i-or fi trebuind atâtea mese? (T. Muşatescu)<br />
Fr. Il y a pourtant une chose que je ne comprends pas: pourquoi a-t-il besoin<br />
de tant de tables?<br />
Roum. Unde o umbla şi ăsta acum? (E.Barbu)<br />
Fr. Et celui-là, où diable peut-il se promener à cette heure?<br />
Roum. Unde-o fi Gică de nu-l mai aud? (E. Barbu)<br />
Fr. Je n’entends plus Gică, où peut-il bien être ? (in Florea, 1980)<br />
Roum. Dar de unde mi-or fi aflat numărul de telefon? (T. Muşatescu)<br />
Fr. Mais comment ont-ils pu apprendre / est-ce qu’ils ont appris mon numéro de<br />
téléphone?<br />
Roum. Cum va fi fost primul [soţ], dacă l-a lăsat pentru ăsta? (A. Baranga)<br />
Fr. Comment avait dû être le premier, puisqu’elle l’a quitté pour celui-ci?<br />
2.2.2. Interrogation totale<br />
La phrase présomptive n’est pas introduite par un mot interrogatif;<br />
l’interrogation porte sur l’ensemble de l’énoncé.<br />
On peut distinguer ici deux types d’énoncés, qui correspondent, en gros, au<br />
présomptif à base d’indicatif, respectivement à base de subjonctif. Les premiers<br />
expriment une éventualité que l’on envisage et sur la vérité de laquelle on s’interroge,<br />
et les derniers expriment l’incertitude, la délibération, la méfiance. Dans certains cas, le<br />
présomptif en O peut d’ailleurs être opposé au présomptif en SĂ, comme dans les<br />
exemples ci-dessous :<br />
Oare o fi acasă? [fr. Est-il chez lui, par hasard? = Je me demande s’il est chez<br />
lui] vs. Să fie oare acasă? [fr. Serait-il chez lui, par hasard? = Se pourrait-il /<br />
Serait-il possible qu’il soit chez lui?]<br />
O fi plecat oare? [fr. Est-ce qu’il est parti? = Je me demande s’il est parti] / Să<br />
fi plecat? [Serait-il parti, par hasard? = Se pourrait-il qu’il soit parti?]<br />
70
être :<br />
Les équivalents français du présomptif, dans les interrogations totales, peuvent<br />
- la forme interrogative de l’indicatif;<br />
- la forme interrogative du conditionnel. L’indicatif et surtout le conditionnel<br />
peuvent être accompagnés de l’expression explétive par hasard, qui accentue en fait la<br />
nuance d’incertitude exprimée par la forme interrogative ; on peut également utiliser la<br />
locution des fois «éventuellement» 21 . Ces locutions sont, en fait, les correspondants de<br />
oare et nu cumva du roumain.<br />
- la locution modale impersonnelle se pourrait que à la forme interrogative<br />
suivie du subjonctif.<br />
La répartition de ces équivalences peut être représentée schématiquement dans le<br />
tableau ci-dessous :<br />
Roumain<br />
Équivalents français<br />
Présomptif Indicatif Conditionn<br />
el<br />
O, VA<br />
affirmatif<br />
négatif<br />
SĂ<br />
affirmatif<br />
négatif<br />
AR<br />
affirmatif<br />
+<br />
-<br />
+<br />
-<br />
-<br />
+<br />
+<br />
+<br />
-<br />
+<br />
71<br />
Se peut-il / se<br />
pourrait-il<br />
que +<br />
subjonctif<br />
♦ Le présomptif à base d’indicatif est traduit par l’indicatif ou par le conditionnel.<br />
- Présomptif en O (accompagné souvent de oare) :<br />
Roum. Oare o fi acasă?<br />
Fr. Est-ce qu’il est chez lui? / Serait-il chez lui, par hasard?<br />
Roum. O fi ştiind că ai venit?<br />
Fr. Est-ce qu’il le sait, que tu es arrivé?<br />
21<br />
Locution familière, «déconseillée par les puristes» (Lexis). Ex. : Ce ne serait pas des fois la star américaine de la<br />
villa des Lys? (Lichtenberger, in Lexis)<br />
-<br />
-<br />
+<br />
+<br />
-
Roum. Oare l-o fi văzut copilul când se lupta ca să deschidă uşa dulapului? (J.<br />
Bart)<br />
Fr. L’enfant l’aurait-il aperçu par hasard au moment où il s’efforçait d’ouvrir la<br />
porte de l’armoire? / Est-ce que l’enfant l’avait aperçu... ?<br />
- Présomptif en VA (valeur temporelle : présent ou futur):<br />
Roum. Vor fi femei iubite de toată lumea? (Cezar Petrescu)<br />
[= vor fi fiind]<br />
Fr. Est-ce qu’il existe / Y aurait-il / Serait-il possible qu’il y ait des femmes<br />
que tout le monde aime?<br />
Roum. Se va mai fi ducând cineva mâine la Roma? (in Irimia)<br />
Fr. Y aura-t-il encore quelqu’un qui aille à Rome, demain?<br />
- À la forme négative, le présomptif à base d’indicatif (exprimant une<br />
supposition, avec parfois une nuance d’ironie ou de méfiance ; on sous-entend toujours<br />
nu cumva) ne peut être traduit que par le conditionnel; les verbes être et avoir<br />
s’accompagnent souvent de la locution par hasard :<br />
Roum. Ascultă-mă, kir Ianulea: ce sunt duşmanii dumitale? N-or fi boieri? (I.<br />
L. Caragiale) (supposition: Nu cumva sunt boieri?)<br />
Fr. Dites donc, kir Ianulea: qu’est-ce qu’ils sont, vos ennemis? Ça ne serait<br />
pas des boyards, par hasard?<br />
Roum. Nu cumva vei fi având de gând să-mi înapoiezi cartea?<br />
Fr. Aurais-tu par hasard l’intention de me rendre le livre?/ Tu n’aurais pas,<br />
par hasard, l’intention de…[Ne me dis pas que tu as l’intention de me rendre le<br />
livre! Je ne peux pas y croire!]<br />
Roum. Doar n-oi vrea să te culci odată cu găinile? (E. Barbu)<br />
Fr. Tu ne voudrais pas te coucher comme les poules, non?<br />
♦ Le présomptif à base de conditionnel (qui n’apparaît, en fait, que très rarement,<br />
est traduit par le conditionnel :<br />
Roum. Ar fi fiind asta dorinţa prinţesei? (M. Sadoveanu)<br />
Fr. Serait-ce là le désir de la princesse ?<br />
♦ Le présomptif à base de subjonctif – accompagné parfois par oare - peut avoir<br />
pour équivalent le mode conditionnel, ayant une valeur proche de celle du futur qui<br />
exprime une hypothèse probable (conditionnel de délibération 22 ). Au présent, seuls les<br />
verbes avoir et être apparaissent avec cette valeur ; au passé composé il n’y a pas de<br />
restriction dans le choix du lexème verbal, puisque, de toute façon, il se construit avec<br />
22 Cf. Imbs (1968 : 79). On peut rappeler ici que H. Yvon (1953 et 1958) parle d’un mode suppositif, comprenant les<br />
formes en -r-, c’est-à-dire le futur modal et le conditionnel.<br />
72
l’auxiliaire être ou avoir. On pourrait donc établir une analogie entre le futur de<br />
l’hypothèse probable et le conditionnel de délibération en tant qu’équivalents du<br />
présomptif roumain :<br />
O fi având dreptate = Il aura (sans doute) raison<br />
Să fi având el dreptate? = Aurait-il raison?<br />
M-oi fi înşelat = Je me serai trompé<br />
Să mă fi înşelat oare? = Me serais-je trompé?<br />
En voici quelques exemples :<br />
Roum. Să fie deci adevărat?<br />
Fr. Serait-ce donc vrai?<br />
Roum. Să fie, adică, Frau Herbert fetiţa Emma de atunci? (Bondarev, trad.<br />
roum. G. Tatus)<br />
Fr. Frau Herbert serait-elle donc la petite Emma d'autrefois?<br />
Roum. Să fi aflat ceva? (I. Vinea)<br />
Fr. Aurait-il appris quelque chose?<br />
Dans le cas des verbes autres que avoir et être, le présomptif présent est traduit<br />
par l’indicatif présent, la marque modale étant la structure interrogative, avec l’emploi<br />
possible de la locution par hasard. On peut également avoir recours à la tournue<br />
serait –il possible que + subjonctif. Le procédé de l’emphase par segmentation<br />
contribue, parfois, à mettre en évidence l’idée exprimée par le verbe.<br />
Roum. Mihai, oare să fi existând strigoi? (Zamfirescu)<br />
Fr. Dis-moi, Michel, est-ce que ça existe, les revenants?<br />
Roum. Să-l fi ştiind el?<br />
Fr. Le sait-il, par hasard? / Serait-il possible qu’il le sache?<br />
D’autres versions semblent également possibles, en fonction du niveau de<br />
langue; ainsi, se pourrait-il + subjonctif, qui appartient à la langue littéraire :<br />
Roum. Să-l fi ştiind el?<br />
Fr. Se pourrait-il qu’il le sache?<br />
Roum. Să fi adunat el atâţia bani?<br />
Fr. Aurait-il amassé tant d’argent? / Se pourrait-il qu’il ait amassé tant<br />
d’argent?<br />
Dans la langue familière on pourrait rencontrer aussi d’autres tournures, avec<br />
l’indicatif. Ainsi, l’exemple précédent pourrait être reformulé comme suit :<br />
C’est vrai qu’il a amassé tant d’argent ?<br />
73
La phrase : Să mă fi înşelat oare ? peut être traduite en français de plusieurs<br />
manières :<br />
Me serais-je trompé ?<br />
Se pourrait-il que je me sois trompé ? (litt.)<br />
Est-ce que je ne me suis pas trompé, par hasard ? (langue courante)<br />
Je ne me suis pas trompé, par hasard ? (fam.)<br />
Pour traduire la forme négative du présomptif SĂ on peut utiliser la locution il<br />
se peut que (à la forme interrogative) + subjonctif ou bien le conditionnel de<br />
délibération.<br />
Roum. Dar nu răspunse nimeni. Să nu fi venit? Să fi murit pe drum? (E. Barbu)<br />
(discours indirect libre)<br />
Fr. Mais personne ne répondit. Se pouvait-il qu’il ne fût / soit pas arrivé?<br />
Serait-il mort en chemin?<br />
Dans l’exemple ci-dessous, cité par Florea (1980 : 333), le présomptif SĂ est<br />
rendu par le conditionnel du verbe être, dans des formules propres à la langue parlée :<br />
Roum. - Şi unde mergeţi dumneavoastră?<br />
- La Iaşi.<br />
- Să nu fie peste graniţă? (Ghica)<br />
Fr. - Où est-ce que vous allez ?<br />
- A Jassy.<br />
- Ca serait pas des fois de l’autre côté de la frontière ? (et si c’était… / ça<br />
serait … que ça ne m’étonnerait pas)<br />
3. Le présomptif dans les propositions subordonnées<br />
3.1. Interrogatives indirectes<br />
Nous nous occuperons tout d’abord des subordonnées complétives du discours<br />
rapporté (discours indirect lié) - interrogatives indirectes - qui constituent une<br />
catégorie à part parmi les subordonnées construites avec le présomptif. La proposition<br />
régissante comporte le verbe a şti à la forme négative (généralement à la 1re personne<br />
du singulier) ou des verbes équivalents qui impriment à la phrase un sens dubitatif (mă<br />
întreb «je me demande», nu mă întrebaţi «ne me demandez pas», nu înţeleg «je ne<br />
comprends pas», nu-mi amintesc «je ne me souviens / rappelle pas»), ainsi que des<br />
verbes tels que a afla «apprendre, trouver», a înţelege («comprendre»), a intui<br />
«comprendre»), impliquant l’idée d’une réponse donnée à une certaine question.<br />
♦ La subordonnée complétive au présomptif (en O ou VA), introduite par la<br />
conjonction dacă, ayant pour équivalent en français si dubitatif + verbe à l’indicatif :<br />
74
Roum. Nu ştiu dacă o fi acasă.<br />
Fr. Je ne sais pas s’il est chez lui.<br />
Roum. Ştii dumneata câte plătesc impozit astăzi? Mă întreb dacă vor fi douătrei<br />
care să nu fraudeze. (Camil Petrescu)<br />
Fr. Savez-vous combien il y en a aujourd’hui qui paient des impôts? Je me<br />
demande s’il y en a bien deux ou trois qui ne fraudent pas le fisc.<br />
Roum. Dar mă întrebam şi dacă nu cumva gestul lui n-o fi impresionat-o atât<br />
de mult, încât să înceapă să-l iubească. (Camil Petrescu)<br />
Fr. Mais je me demandais aussi si son geste ne l’avait par hasard<br />
impressionnée à tel point qu’elle se mît à l’aimer.<br />
♦ La subordonnée complétive est introduite par un pronom ou un adverbe<br />
interrogatif-relatif, le verbe étant au présomptif en VA, O ou AR. Tout comme dans le<br />
cas de l’interrogation directe partielle, le présomptif peut être traduit soit par la<br />
périphrase verbale pouvoir bien + infinitif, soit par un verbe à l’indicatif.<br />
- La complétive suit la régissante :<br />
Roum. Nu ştiu, zău, care din amândoi am fi beţi... (T. Muşatescu)<br />
Fr. Vraiment, je ne sais pas lequel de nous deux a bu / est ivre...<br />
Roum. D-apoi calului meu de atunci, cine mai ştie unde i-or fi putrezit<br />
ciolanele! (I. Creangă)<br />
Fr. Mon pauvre cheval! Qui sait où pourrissent ses os! (trad. E. Vianu)<br />
Roum. Nu ştiu cine i-o fi pedepsit atât de rău. (E. Barbu)<br />
Fr. Je me demande bien qui les a punis si durement.<br />
Roum. Nu ştiu de unde vor fi venit.<br />
Fr. J’ignore d’où ils peuvent bien être venus.<br />
Roum. Nu ştiu ce ar fi putut să fie. (Camil Petrescu)<br />
Fr. Je ne sais pas ce que cela pouvait bien être.<br />
- La complétive précède la régissante :<br />
Roum. Am un vecin, are cinci fete, cinci băieţi... cum i-o ţine nu ştiu. (in E.<br />
Slave)<br />
Fr. J’ai un voisin, il a cinq garçons et cinq filles... Comment il peut bien les<br />
faire vivre, ça, je n’en sais rien.<br />
Roum. Ce voi fi spus atunci nu ştiu. (M. Sadoveanu)<br />
Fr. Ce que j’ai bien pu dire alors, je ne m’en souviens pas.<br />
Roum. Ce o fi zis Irinuca în urma noastră, ce n-o fi zis, nu ştiu. (I. Creangă)<br />
Fr. Ce qu’Irinuca a bien pu dire ou ne pas dire derrière nous, je n’en sais<br />
rien.<br />
75
Roum. …până ce am început să intuiesc (...) ce va fi fiind filosofia hindusă, şi<br />
ce va fi fost bunătatea universală a sfântului Francisc. (Geo Bogza)<br />
Fr. ...jusqu’à ce que j’aie commencé à comprendre ce qu’est la philosophie<br />
hindoue, et ce qu’était la bonté universelle de saint François.<br />
3.2. Diverses subordonnées<br />
Le présomptif peut apparaître dans des propositions subordonnées de différents<br />
types 23 . Il n’existe pas de solution unique pour traduire les différentes formes du<br />
présomptif, les équivalences étant déterminées par le contexte ; on doit tenir compte<br />
aussi, dans certains cas, de certaines contraintes du français. La modalisation peut être<br />
réalisée par des moyens assez variés. Nous allons citer quelques types de subordonnées<br />
(sans avoir un aucun cas la prétention d’épuiser les diverses situations du roumain) ; les<br />
procédés traductionnels auxquels on aura recours reprennent, d’ailleurs, ceux que nous<br />
avons déjà présentés.<br />
- Subordonnée sujet :<br />
Roum. De, mă băiete, zice un bătrân; poate că şi tu ăi fi vinovat! (I. L.<br />
Caragiale)<br />
Fr. Voyons, mon garçon, dit un vieillard; est-ce que tu ne serais pas<br />
coupable, toi aussi, par hasard?<br />
- Subordonnée relative :<br />
Roum. Printr-o acumulare de împrejurări deosebite, care ele însele or fi având<br />
vreun tâlc... (Camil Petrescu)<br />
Fr. Par une accumulation de circonstances toutes particulières, qui, en<br />
elles-mêmes, ont sans doute un sens...<br />
Roum. E jos un bar. Sper că s-a golit până acum şi că pe americanii ăia (...) i-o<br />
fi cărat cineva afară. (E. Barbu)<br />
Fr. Il y a un bar en bas. J’espère bien qu’il est maintenant vide et qu’il s’est<br />
trouvé quelqu’un pour les mettre dehors, ces Américains.<br />
V. Florea (1980 : 333) fait remarquer une nuance très particulière qui<br />
s’attache à l’expression du conditionnel-présomptif, qui apparaît souvent comme un<br />
testimonial : une hypothèse est avancée que le locuteur ne veut pas endosser, et qu’il<br />
attribue à autrui, au qu’en-dira-t-on :<br />
Roum. Zice lumea că l-ar fi ajutând şi cu bani. (I. Teodoreanu)<br />
Fr. On raconte même qu’il l’aiderait financièrement.<br />
- Subordonnée complétive indirecte :<br />
23 Voir Gramatica Academiei, passim.<br />
76
Roum. Te pomeneşti că o fi vreo prevestire, ce zici? (T. Muşatescu)<br />
Fr. Est-ce que ça ne serait pas un présage, par hasard? Hein, qu’en distu?<br />
- Subordonnée circonstancielle de cause :<br />
Roum. N-a venit pentru că n-o fi avut bani. (in Gramatica Academiei)<br />
Fr. S’il n’est pas venu, c’est sans doute faute d’argent.<br />
- Subordonnée conditionnelle :<br />
Roum. Dac-o fi persoana pe care o ştim noi... (T. Muşatescu)<br />
Fr. Si c’est la personne que nous savons...<br />
Roum. Ar fi mai bine să vorbiţi cu domnul doctor să ne aducă calul adevărat,<br />
dacă nu l-o fi vândut. (E. Barbu)<br />
Fr. Le mieux serait que vous demandiez au docteur de nous ramener le vrai<br />
cheval, à moins qu’il ne l’ait déjà vendu.<br />
Roum. Eu sunt sfânta Miercuri, de-ai fi auzit de numele meu. (I. Creangă) -<br />
proposition incidente<br />
Fr. Je suis sainte Mercredi, si tu as jamais entendu prononcer ce nom. (trad.<br />
E. Vianu)<br />
- Subordonnée concessive :<br />
Rom. Gobi a rămas un deşert, deşi va fi fost probabil un ţinut înfloritor. (E.<br />
Barbu)<br />
Fr. Gobi est devenu un désert, quoiqu’il ait sans doute été / et pourtant il a<br />
dû être une région florissante.<br />
Roum. Oricum o fi fost, de-acuma ştiu că a fost numa-nchipuire. (I. L.<br />
Caragiale)<br />
Fr. Quoi qu’il en ait été, je sais maintenant que tout cela n’a été que pure<br />
imagination.<br />
Le présomptif apparaît souvent dans des constructions à sens concessif, où l’on<br />
juxtapose une proposition affirmative et sa correspondante négative, en rapport de<br />
disjonction :<br />
Roum. Aşa a fi, n-a fi aşa, zise mama, vreau să-mi fac băietul popă. (I.<br />
Creangă)<br />
Fr. Peut-être bien qu’oui, peut-être bien qu’non, mais je veux que mon fils soit<br />
pope. (trad. Yves Augé)<br />
Roum. Dacă o fi aşa, dacă n-o fi aşa, eu tot eram plin de bucurie. (Camil<br />
Petrescu)<br />
Fr. Quoi qu’il en fût, je n’en étais pas moins rempli de joie.<br />
77
Roum. Acum, ori c-a fi trăind calul, ori că n-a fi trăind, aceasta mă priveşte pe<br />
mine. (I. Creangă)<br />
Fr. Que le cheval vive ou non, c’est mon affaire. (trad. E. Vianu)<br />
4. Conclusion<br />
Le mode présomptif du roumain a pour équivalents en français tout en ensemble<br />
de structures, qui, sans constituer une catégorie formelle unitaire, se rattachent à une<br />
zone sémantique commune : celle de l’incertitude, de la supposition, de la probabilité.<br />
La modalisation peut être réalisée par des moyens variés, de nature lexicale et / ou<br />
grammaticale, à savoir :<br />
- la valeur modale de certaines formes verbales (futur et conditionnel) ;<br />
- les auxiliaires modaux pouvoir et devoir ;<br />
- les structures interrogativcs, impliquant une nuance modale (incertitude) ;<br />
- adverbes et locutions adverbiales comportant le sème [+Probabilité] ;<br />
- locutions verbales impersonnelles à sens modal, construites avec le subjonctif ;<br />
- le sens lexical du verbe régissant (supposition, doute, etc.).<br />
Il faut remarquer que ces procédés existent d’ailleurs aussi en roumain, dans le<br />
cadre d’un champ sémantique plus large, à côté de tout cet ensemble de formes qu’on<br />
appelle le mode présomptif.<br />
Les équivalences entre le roumain et le français ont été établies en fonction de la<br />
structure de l’énoncé, en tenant compte du contexte sémantique, de certaines<br />
contraintes syntaxiques imposées par le français, ainsi que du niveau de langue.<br />
Il va de soi que, vu la diversité des nuances et des situations linguistiques<br />
possibles, la répartititon des différents procédés, telle que nous l’avons présentée ici, ne<br />
peut en aucune façon être considérée comme absolue ou obligatoire.<br />
78
1. Statut de l’infinitif long en roumain<br />
L’INFINITIF LONG DU ROUMAIN<br />
ET SES ÉQUIVALENTS EN FRANÇAIS<br />
1.1. L’une des particularités du roumain par rapport aux autres langues romanes<br />
c’est l’existence de deux formes de l’infinitif, appelées respectivement infinitif «court» et<br />
infinitif «long» (ex. a pleca “partir” - plecare “action de partir, départ”), qui continuent,<br />
toutes les deux, l’infinitif latin. La langue moderne a spécialisé les infinitifs «courts» pour<br />
la valeur verbale (on parle dès lors d’infinitif tout court), tandis que les infinitifs longs<br />
sont devenus de véritables noms. En fait, les infinitifs longs sont considérés aujourd’hui<br />
comme des noms d’action (féminins) dérivés de verbes, construits avec le suffixe -re à<br />
partir de l’infinitif 1 ; ils sont paraphrasables par action / fait de + l’infinitif du verbe de<br />
base qui spécifie l’action (ex. demolare, fr. démolition «action de démolir») 2 . Il est<br />
même possible de construire des noms préfixés en ne-, qui renvoient à la forme négative<br />
de l’infinitif; ex. a nu respecta «ne pas respecter» - nerespectarea «le non-respect». Les<br />
infinitifs longs sont des mots flexionnels : ils acceptent, souvent, une forme de pluriel (ex.<br />
plecări, «départs») et ils se déclinent (on remarquera pourtant certaines contraintes<br />
restrictives, dues à leur sémantisme spécifique). Ils peuvent se construire avec l’article<br />
défini ou indéfini et ils acceptent également des déterminants possessifs, démonstratifs ou<br />
certains indéfinis (plecarea sa, «son départ», această plecare, «ce départ», toate plecările,<br />
«tous les départs»), ainsi que des adjectifs qualificatifs (o nouă plecare, «un nouveau<br />
départ»), des participes (o plecare ratată, «un départ manqué»), des syntagmes<br />
prépositionnels ou des propositions relatives (ex. Răsturnările de situaţii care au marcat<br />
în ultima vreme peisajul politic francez, «Les renversements de situations qui ont marqué,<br />
les derniers temps, la vie politique française», România liberă), et ils assument toutes les<br />
fonctions syntaxiques spécifiques au nom. Ce sont donc - comme le souligne aussi I.<br />
Diaconescu (1977) - des noms à part entière, qui constituent une sous-classe des noms<br />
d’action.<br />
Ce procédé dérivationnel est très vivant dans la langue roumaine contemporaine,<br />
qui s’est enrichie ainsi d’un nombre considérable de noms d’action en -re (que nous<br />
1 Cf. Iordan & Robu, 1978, ainsi que Coteanu & alii, 1985. Le suffixe -re peut revêtir les formes -are, -ere, ire ou -âre<br />
(il s’agit de la nominalisation d’une action); ex. a corecta, «corriger» – corectare, «correction, action de corriger», a<br />
şterge «effacer» - ştergere, «effacement», a citi, «lire» - citire, «lecture», a coborî, «descendre» - coborâre,<br />
«descente».<br />
2 Les infinitifs longs substantivés expriment généralement une action, mais ils peuvent avoir aussi d’autres sens.<br />
Ainsi, coborâre signifie soit «descente, action de descendre», soit « lieu par où l’on descend». Nous envisageons ici<br />
les noms en -re uniquement dans leur acception [+Action].<br />
79
désignerons par N-re), formés sur la base de verbes nouvellement créés ou empruntés à<br />
d’autres langues (ex. eşalonare, evidenţiere, implementare, remaniere, restricţionare,<br />
etc.). L’emploi des noms en -re connaît une grande extension dans le roumain actuel, les<br />
infinitifs longs ayant une très grande fréquence surtout dans la langue de la presse, de<br />
l’administration, du commerce et de la réclame.<br />
On constate, par ailleurs, que tous les verbes n’ont pas de correspondant nominal<br />
en -re, même si le procédé en question est applicable, en principe, à tous les infinitifs<br />
(lorsqu’on indique l’infinitif d’un verbe, on indique généralement aussi la forme dite<br />
infinitif long) ; le nom d’action correspondant est alors soit un supin substantivé 3 , soit un<br />
nom d’un autre type ; ainsi a fuma, «fumer» - fumatul, «l’action de fumer», et non pas<br />
*fumare, a înota, «nager» - înotul, «la nage», et non pas *înotare, a glumi, «plaisanter» -<br />
glumă «plaisanterie», et non pas *glumire, a apune, «se coucher» (en parlant du soleil) –<br />
apusul, «le coucher», et non pas *apunerea. Le DEX précise, parfois, qu’il s’agit d’un<br />
emploi rare, comme dans le cas de a zbura - zburare : on préfère utiliser le déverbal<br />
zborul. Dans le cas de plusieurs verbes, l’infinitif long n’est donc qu’une forme virtuelle,<br />
morphologiquement possible, mais pratiquement inexistante dans l’usage.<br />
Certains infinitifs longs renvoient à des verbes pronominaux, et il arrive parfois<br />
que la même forme corresponde aussi bien à un lexème verbal de sens actif qu’à un<br />
verbe pronominal. Un nom en -re tel que realizare «réalisation» présente précisément<br />
ce type d’ambiguïté : il renvoie à la fois au verbe a realiza «réaliser» (verbe transitif) et<br />
au verbe a se realiza «se réaliser», signifiant aussi bien «action de réaliser» que « le fait<br />
de se réaliser».<br />
Au départ, l’infinitif long était employé de préférence au singulier ayant le sens<br />
général abstrait «action de...». Ainsi, transformare «transformation» est le «nom» de<br />
l’action de transformer. L’utilisation du pluriel devient de plus en plus fréquente de nos<br />
jours, surtout dans la langue de la presse et de la publicité. Employés au pluriel, ils<br />
marquent des actions réitérées, représentant les manifestations concrètes, particulières<br />
de l’action, ou, parfois, une sorte d’entité globale constituée d’une pluralité d’actions<br />
virtuelles. 4<br />
1.2. Le transcodage en français des mots appartenant à cette classe spécifique<br />
pour le roumain n’est pas sans poser certains problèmes.<br />
Les indications que donnent à cet égard les dictionnaires bilingues s’avèrent<br />
insuffisantes (les équivalences qu’on peut y trouver sont presque toujours des noms<br />
d’action suffixés ou, parfois, des formations régressives). Les choses sont en fait<br />
3 Sur la nominalisation, voir Corina Cilianu Lascu, La nominalisation en roumain et en français : rôles thématiques<br />
et fonctions syntaxiques, à paraître dans Actes du Colloque «Le groupe nominal : syntaxe et sémantique», Université<br />
d’Artois (27-29 avril 1999).<br />
4 Nous nous sommes occupée de façon toute particulière des emplois de l’infinitif long au pluriel dans L’infinitif<br />
long du roumain : fonctions syntaxiques et emplois dans la langue actuelle, à paraître dans Actes du XVIIIe Congrès<br />
de Linguistique et Philologie Romanes, Bruxelles (23-29 juillet 1998).<br />
80
eaucoup plus complexes qu’elles ne paraissent à première vue. Il faudra, par<br />
conséquent, étudier les noms en -re non seulement au niveau du dictionnaire, c’est-àdire<br />
hors contexte, mais aussi - ou tout particulièrement - en contexte, ce qui permettra<br />
de les surprendre dans leur fonctionnement réel. En nous situant dans cette perspective,<br />
nous proposerons, dans ce qui suit, un essai de systématisation des équivalences<br />
possibles en français - lexèmes et structures lexico-syntaxiques - pour les infinitifs<br />
longs du roumain, définies en fonction des procédés traductionnels mis en oeuvre.<br />
On peut réaliser une traduction littérale, mais, dans beaucoup de cas, on doit<br />
avoir recours au transcodage indirect (ou oblique), qui réalise une compensation<br />
contextuelle ; ce procédé est justifié soit par une lacune lexicale du français, soit par<br />
des contraintes syntagmatiques, et il entraîne certains changements dans la structure de<br />
la phrase.<br />
2. Traduction littérale<br />
Roum. N -re - Fr. N’[+Action]<br />
Dans la plupart des cas, le transcodage direct fonctionne très bien: il existe,<br />
pour le nom d’action en –re du roumain, un hétéronyme nom d’action en français,<br />
enregistré en tant que tel dans les dictionnaires : acumulare – accumulation, îmbogăţire<br />
– enrichissement, depistare – dépistage, vindecare – guérison, deschidere – ouverture,<br />
sosire – arrivée, plecare – départ, venire – venue, escaladare – escalade, menţinere –<br />
maintien, cumulare – cumul, respectare – respect, etc. 5<br />
Roum. Degajarea de energie provoacă schimbarea entropiei care, la rândul ei,<br />
determină modificarea densităţii timpului. (România liberă)<br />
Fr. Le dégagement d'énergie provoque le changement de l'entropie qui, à son<br />
tour, détermine la modification de la densité du temps.<br />
Roum. Şi nu rareori au loc reveniri, întoarceri şi recunoaşteri. (Al.<br />
Philippide)<br />
Fr. Pourtant il n’est pas rare d’assister à des retours, à des revirements, à des<br />
retrouvailles. (trad.I.Eliade)<br />
Roum. Nerespectarea legii.<br />
Fr. Le non-respect de la loi.<br />
Roum. Developare şi execuţie fotografii<br />
Fr. Développement et tirages photos<br />
Roum. Birou internări<br />
Fr. Bureau des admissions<br />
5 Beaucoup des noms français correspondant à des noms d’action en -re sont polysémantiques : ils ont pour<br />
équivalents en roumain un nom [+Action] en -re et un nom [-Action] . Ex. administration - administrare et<br />
administraţie ; édition - editare et ediţie, signature - semnare et semnătură, équipement - echipare et echipament..<br />
81
On peut signaler, parfois, le remplacement du pluriel par le singulier. Nous<br />
citons ici plusieurs exemples représentant des constructions asyndétiques qui<br />
appartiennent au langage commercial et publicitaire :<br />
Roum. Închirieri autoturisme<br />
Fr. Location voitures<br />
Roum. Agenţi vânzări<br />
Fr. Agents de vente<br />
Roum. Înregistrări naşteri<br />
Fr. Enregistrement des naissances<br />
Roum. Eliberări colete externe<br />
Fr. Retrait des colis de l’étranger<br />
Roum. Echilibrări roţi<br />
Fr. Équilibrage des roues<br />
Roum. Depuneri cereri lucrări telefonie<br />
Fr. Installations téléphoniques. Dépôt des demandes<br />
Roum. Eliberări aprobări gaz<br />
Fr. Branchements gaz. Délivrance des approbations<br />
Roum. Întabulări titluri proprietate asupra terenurilor<br />
Fr. Inscription au Plan d’occupation des sols<br />
Il existe parfois, pour le même N-re du roumain, deux équivalents synonymes,<br />
construits à partir du même verbe de base à l’aide de suffixes différents. Ces cas sont<br />
pourtant assez rares. Ex. bălăcire - pataugeage, pataugement ; decapare - décapage,<br />
décapement ; parafrazare - paraphrase, paraphrasage.<br />
Dans d’autres cas, on a affaire à des synonymes et parasynonymes formés à<br />
partir de bases différentes et qui se distinguent, parfois, par leur emploi dans un microcontexte.<br />
Ex. folosire - utilisation, emploi, usage ; închidere - fermeture, clôture ;<br />
înlocuire - remplacement, substitution ; standardizare - normalisation, standardisation<br />
(anglicisme) ; reîncadrare - réinsertion (professionnelle, dans la société ou dans un<br />
groupe), réintégration (d’un fonctionnaire).<br />
Il faut également mentionner le cas des fourches lexicales 6 : il existe plusieurs<br />
hétéronymes français correspondant aux divers emplois ou acceptions du terme<br />
roumain, leur choix étant uniquement déterminé par le contexte.<br />
Ex: decorticare - 1. décorticage (du riz, des amandes). 2. décortication (d’un arbre ;<br />
d’un rein).<br />
6 Voir à ce sujet Cristea (1982).<br />
82
fasonare - 1. façonnage (sens concret). 2. façonnement (sens abstrait)<br />
închiriere - 1. louage (de services). 2. location (d’une maison, d’une place de<br />
théâtre)<br />
creştere - 1. croissance (d'une plante). 2. accroissement (d'une fonction, math.). 3.<br />
augmentation (d'intensité, de volume, de durée). 4. crue (d'une rivière). 5.<br />
éducation, formation. 6. élévation (du niveau des eaux). 7. élevage (du bétail). 8.<br />
hausse (des prix).<br />
decorare - 1. décoration (action, décorer). 2. remise d'une décoration.<br />
internare - 1. hospitalisation. 2. internement (dans un hôpital psychiatrique).<br />
înnobilare - 1. anoblissement (sens propre). 2. ennoblissement (sens figuré). 3.<br />
amélioration (ch., biol.).<br />
2 3. Modulation<br />
Roum. N-re [+Action] - Fr. N’ [-Action]<br />
Certains nom français qui désignent un état deviennent les hétéronymes de<br />
noms roumains en –re pour lesquels il n’existe pas d’hétéronyme [+Action]. acquérant,<br />
par un glissement sémantique (modulation), une signification proche de celle d’un nom<br />
d’action.<br />
Ex. dezechilibrare «action de déséquilibrer», traduit par déséquilibre, proprement<br />
«absence d’équilibre» ;<br />
abordare «le fait d’aborder [un sujet]», traduit par approche, signifiant proprement<br />
«manière d’aborder un sujet de connaissance» 7 ;<br />
neluare, littéralement “le fait de ne pas prendre” (ex. neluarea de măsuri energice)<br />
peut être traduit par absence (l’absence de mesures énergiques), qui conserve l’idée<br />
négative exprimée par le mot roumain; même si luare a pour équivalent le déverbal<br />
prise, cependant la forme avec le préfixe négatif (*non-prise) ne semble pas<br />
acceptable.<br />
Dans le cas des constructions asyndétiques spécifiques pour le langage<br />
du commperce et de la réclame on peut opérer aussi des modulations : on<br />
remplace le nom d’action en -re par un nom désignant le lieu, l’agent, le<br />
bénéficiaire, etc.<br />
Roum. Intermedieri vize<br />
7 Les dérivés du verbe aborder ont des sens très différents : abordage «opération de manoeuvre» (mar.) et abord<br />
«action d’aborder qqn.» ; pour exprimer l’action abstraite on utilise donc l’hétéronyme approche (anglicisme).<br />
83
Fr. Agence visas<br />
Roum. Cursuri operare<br />
Fr. Cours pour opérateurs<br />
4. Expansion<br />
Une structure analytique (locution ou périphrase) devient, en L’, l’équivalent<br />
d’une structure incorporante de la langue L. À défaut d’un terme hétéronyme en<br />
français (lacune lexicale), on a recours à une périphrase qui explicite le sens du nom en<br />
-re, réalisant une analyse sémantique du mot roumain. Le syntagme utilisé comporte un<br />
nom opérateur [+Action] suivi d’un nom en construction prépositionnelle (ou, parfois,<br />
d’un adjectif), dont le radical correspond (formellement et/ou sémantiquement) à celui<br />
du nom roumain en -re.<br />
♦ Roum. N-re - Fr. N1 [+Action] + Prép (en, de) + N’2<br />
Ex. evidenţiere (cf. a evidenţia) - mise en évidence (cf. mettre en évidence)<br />
amanetare - mise en gage<br />
recondiţionare - remise en état (cf. remettre en état)<br />
fotografiere - prise de photos (cf. prendre des photos)<br />
brevetare - délivrance / obtention d’un brevet d’invention<br />
scumpire - hausse des prix<br />
ieftinire - baisse des prix<br />
conspectare - prise de notes<br />
etapizare - établissement des étapes à parcourir<br />
culturalizare - diffusion de la culture (DFR)<br />
♦ Roum. N-re - Fr. N’ + Adj’<br />
Ex. chimizare - traitement chimique, utilisation de produits chimiques chirurgicalizare<br />
- traitement chirurgical.<br />
♦ Roum. N-re - Fr. action / fait de + V’ Inf<br />
Il s’agit là d’une traduction-définition, qui consiste à expliquer le sens du mot<br />
roumain à l’aide d’un nom de sens très général (action / fait de..., action consistant à...)<br />
suivi du correspondant du verbe de base à l’infinitif.<br />
Ex. asumare – le fait d’assumer<br />
ambiguizare - action consistant à rendre ambigu<br />
fundamentare - le fait d’établir, d’appuyer sur des bases solides<br />
reaşezare - action d’établir sur de nouvelles bases<br />
prelucrare (cf. a prelucra pe cineva) - action de persuader, d’influencer qqn.<br />
84
conturare1 (cf. a contura, «a schiţa, a trasa conturul unui obiect») - action de tracer<br />
le contour de...; conturare 2 (cf. a (se) contura, «a (se) închega în forme precise»)<br />
- action consistant à donner / prendre des contours précis, fermes.<br />
♦ Roum. N-re - Fr. N1’ + Prep + N’<br />
Dans le cas des constructions asyndétiques du roumain, par exemple, on peut<br />
réaliser l’étoffement du nom -re, par l’introduction d’un nom explicitant et d’une<br />
préposition qui transforme le nom en –re en complément du premier nom :<br />
Roum. Formare operatori<br />
Fr. Stage de formation pour opérateurs<br />
5. Transposition<br />
5.1. Équivalences dans la classe verbo-nominale ou verbale<br />
Roum. N-re - Fr. V’<br />
Un nom d’action en –re a pour correspondant, en français, une forme verbale,<br />
qui peut être un verbe non fini (à un mode non personnel : infinitif, participe, gérondif) 8<br />
ou, parfois, un verbe fini (à un mode personnel : indicatif ou subjonctif).<br />
5.1.1. Infinitif présent<br />
Assez fréquemment, on traduit l’infinitif long du roumain à l’aide d’un infinitif<br />
présent – forme nominale du verbe, exprimant le nom d’une action.<br />
5.1.1.1. Transposition simple<br />
Le plus souvent, l’infinitif est à la voix active.<br />
Roum. Este prima încercare de transgresare a limitei. (România literară)<br />
Fr. C’est la première tentative de transgresser les limites.<br />
On rencontre parfois aussi l’infinitif factitif :<br />
Roum. Ei îşi fac planul aruncării în aer a unui transport. (T.Popovici)<br />
Fr. Ils établissent un plan pour faire sauter un transport. (trad. A.Vifor)<br />
Dans le cas des infinitifs longs préfixés avec ne- qui n’ont pas d’équivalent dans<br />
la classe nominale, on a recours à la forme négative de l’infinitif.<br />
Roum. Există pericolul neînţelegerii problemelor noi ce se pun. (presse, 1989)<br />
Fr. On risque de ne pas comprendre les problèmes nouvellement surgis.<br />
Le recours à l’infinitif (qu’il s’agisse d’un verbe simple ou bien d’une structure<br />
à verbe opérateur) est une solution traductionnelle qui se justifie pour différentes<br />
raisons :<br />
8 Espèce verbo-nominale, cf. T. Cristea (1982).<br />
85
- Le français n’a pas de nom signifiant «l’action de...» qui soit un dérivé du<br />
verbe correspondant au verbe de base du roumain 9 (lacune lexicale).<br />
Roum. ...scopul investigaţiei: găsirea banilor Ceauşeştilor. (Renaşterea<br />
bănăţeană).<br />
Fr. ...le but de l'investigation: trouver l'argent des Ceauşescu.<br />
Roum. Pentru depăşirea problemelor complexe din economia mondială.<br />
(presse, 1989)<br />
Fr. Pour surmonter les difficultés complexes de l'économie mondiale. (Il<br />
n'existe pas de dérivé nominal du verbe surmonter.)<br />
Voici d'autres noms en -re qui peuvent être rangés dans la même catégorie:<br />
conferire, familiarizare, imortalizare, ironizare, nuanţare, rămânere, etc. 10<br />
- Le dérivé nominal du verbe correspondant au verbe de base du roumain n'est<br />
pas l'équivalent du nom en -re, ayant un autre sens.<br />
Roum. ...participă la modelarea conştiinţelor. (A.Blandiana)<br />
Fr. ...il contribue à modeler les consciences.<br />
Il existe bien le dérivé modelage ayant le trait [+Action], mais il a un sens concret, ce<br />
qui ne convient pas dans le contexte.<br />
Roum. Pentru asigurarea dezvoltării fiecărei naţiuni. (presse, 1989)<br />
Fr. En vue d'assurer le développement de chaque nation.<br />
Le dérivé assurance n'est pas l'équivalent du nom d'action asigurarea.<br />
Roum. Prevenirea bolii tromboembolice cu Heparină vizează în primul<br />
rând împiedicarea coagulării plasmatice. (Simpozion de Flebologie,<br />
Timişoara, 1992).<br />
Fr. La prévention de la thromboembolie au moyen d'Héparine vise tout<br />
d'abord à empêcher la coagulation plasmatique.<br />
Le dérivé empêchement signifie "ce qui empêche d'agir", ayant donc le trait [-<br />
Action].<br />
Roum. O nouă generaţie care dărâmă idolii de ieri contribuie astfel la<br />
repararea unei nedreptăţi mai vechi. (Al.Philippide)<br />
Fr. Une nouvelle génération qui immole les idoles d'hier contribue ainsi à<br />
remédier une injustice faite auparavant. (trad. I.Eliade) – C’est une solution<br />
élégante qui fait appel à un infinitif, le verbe choisi n’ayant en fait pas de<br />
correspondant nominal.<br />
9 «La transposition a un caractère obligatoire si la dérivation est bloquée en français» (T. Cristea, 1982 : 149).<br />
Encore faut-il qu’il existe en français un verbe correspondant au verbe de base du roumain.<br />
10 Cf. les verbes français conférer, se familiariser, trouver, immortaliser, etc.<br />
86
- Il y a incompatibilité contextuelle entre le dérivé nom d'action et un verbe qui<br />
est son terme régissant.<br />
Roum. Se încearcă recuperarea semnificaţiei pornind de la legenda<br />
Caloianului. (C.Velescu, 1992)<br />
Fr. On essaie de récupérer la signification en partant de la légende du<br />
Caloïan.<br />
Le verbe essayer se construit avec un verbe ou un nom [-Action], mais non avec un<br />
nom [+Action] tel que récupération.<br />
- La présence de déterminations du nom en –re ; en l'absence de ces<br />
déterminations, l'équivalent nominal serait possible.<br />
Roum. Fantastica putere de concentrare într-un destin individual a destinului<br />
colectiv. (A.Blandiana)<br />
Fr. Le fantastique pouvoir de concentrer la destinée collective dans une<br />
destinée individuelle.<br />
Le syntagme pouvoir de concentration correspond au verbe se concentrer; concentrer<br />
est un verbe transitif, suivi par un complément d'objet direct.<br />
- Il faut éviter la répétition du suffixe -tion ou de la préposition de dans le cas<br />
d'un groupe nominal plus long (le nom en -re est suivi de diverses déterminations). La<br />
transposition nom - infinitif est une solution préférentielle qui permet d'alléger la<br />
phrase.<br />
Roum. Căile de perfecţionare şi îmbunătăţire a întregii activităţi. (presse,<br />
1989)<br />
Fr. Les moyens de perfectionner et d’améliorer toute l’activité. (Et non «les<br />
moyens de perfectionnement et d’amélioration de toute l’activité», qui est une tournure<br />
gauche et lourde.)<br />
- On évite l’emploi d’une construction à sens passif, plus lourde que la<br />
tournure correspondante de sens actif.<br />
Roum. ...atâta timp cât corelarea semnificaţiilor celor două opere poate fi<br />
înfăptuită. (C.Velescu, 1993)<br />
Fr. ...du moment qu’il est possible de mettre en corrélation les significations<br />
des deux oeuvres.<br />
Solution préférable à: «du moment que la mise en corrélation des significations des<br />
deux oeuvres est possible».<br />
- Pour éviter une construction un peu gauche ou moins élégante, on change la<br />
structure actancielle de la phrase.<br />
Roum. Ca într-un studio în care urmează să înceapă filmarea. (Geo Bogza)<br />
87
Fr. Comme dans un studio où l’on va commencer à filmer / à tourner (et non:<br />
«où va commencer le tournage»).<br />
5.1.1.2. Transposition + étoffement<br />
Le nom en -re du roumain est traduit en français par un verbe à l’infinitif,<br />
précédé par certains termes susceptibles d’expliciter des nuances sémantiques ou des<br />
rapports sémantico-syntaxiques implicites en roumain. Nous avons vu identifier, dans<br />
ce sens, deux types de situations:<br />
a) Le verbe à l’infinitif est précédé par un nom, auquel il est rattaché par la<br />
préposition de. Cette structure peut être utilisée dans le cas d’une lacune lexicale du<br />
français, ce qui arrive assez souvent lorsque l’infinitif long du roumain a la fonction de<br />
sujet, mais aussi dans d’autres cas. On retrouve là, en tout premier lieu, l’archilexème<br />
fait, que nous avons déjà signalé, dans la périphrase le fait de + infinitif ou le fait que +<br />
verbe fini.<br />
Roum.«Obişnuinţa» pe care o aduce cu sine locuirea într-un anumit topos.<br />
(Corneliu Mircea)<br />
Fr. L’«habitude» qui vient du fait que l’on habite dans un certain topos.<br />
Roum. Interogaţia logică, firească, conţinută în simpla gândire (şi numire) a<br />
principiului. C.Mircea)<br />
Fr. L’interrogation logique et toute naturelle qu’implique le simple fait de<br />
penser (et de nommer) le principe.<br />
On pourrait avoir recours aussi à une périphrase comportant, comme terme<br />
opérateur, le nom acte; par exemple, filosofare pourrait être traduit par acte de<br />
philosopher.<br />
Il est également possible d’utiliser un nom qui exprime une idée modale:<br />
R. ... decelarea lor presupunând, ea însăşi, o hermeneutică specializată. (C.<br />
Velescu)<br />
Fr. ... la possibilité même de les déceler 11 supposant une herméneutique<br />
spécialisée.<br />
b) L’infinitif long du roumain, complément d’un nom auquel il est relié par une<br />
préposition (de, pentru) est traduit par un infinitif rattaché au nom régissant au moyen<br />
d’une proposition relative comportant le verbe permettre (de), ou bien au moyen d’un<br />
participe présent opérateur qui explicite le rapport sémantique exprimé par le<br />
complément (consistant à, visant à, servant à, permettant de) 12 .<br />
11 Le dérivé décèlement est très rarement employé.<br />
12 Voir d’ailleurs les paraphrases utilisées dans les dictionnaires explicatifs français.<br />
88
Roum. Generaţiile ce vin vor trebui echipate cu instrumente de stăpânire<br />
a ecranelor care fatalmente vor interveni între oameni şi lucruri. (M.<br />
Maliţa)<br />
Fr. Les générations à venir devront être munies d’instruments qui puissent<br />
leur pemettre de maîtriser les écrans s’interposant fatalement entre les hommes<br />
et les choses.<br />
Roum. Metodele fizice de combatere a stazei venoase profunde a membrelor<br />
inferioare. (Simpozion de Flebologie)<br />
Fr. Les méthodes physiques permettant de combattre la stase veineuse<br />
profonde des membres inférieurs.<br />
5.1.2. Infinitif passé<br />
Cette forme de l’infinitif, qui a une valeur verbale plus nette, peut apparaître<br />
dans une construction exprimant un rapport temporel d’antériorité.<br />
Roum. După îndepărtarea zonelor cutanate compromise în regiunea ulcerului<br />
jambier... (Simpozion de Flebologie)<br />
Fr. Après avoir écarté les zones cutanées compromises dans la région de<br />
l’ulcère jambier...<br />
5.1.3. Participe passé (construction participiale)<br />
Roum. O dată cu împlinirea întâmplărilor... (A.Blandiana)<br />
Fr. Une fois les événements accomplis...<br />
Roum. O dată cu înfăptuirea acestui program... (presse, 1989)<br />
Fr. Une fois ce programme accompli...<br />
5.1.4. Participe présent<br />
Le nom en -re a la fonction de complément du nom. On a la structure<br />
suivante:<br />
Roum. N1 + Prép + N2 (-re) + N3 (génitif)<br />
Fr. N1’ + Part.prés. + N3’ (COD)<br />
Roum. O puternică forţă de dinamizare a întregii activităţi. (presse, 1989)<br />
Fr. Une grande force dynamisant toute l’activité (capable de dynamiser...)<br />
5.1.5. Participe passé composé<br />
La forme verbale dite participe passé composé (à valeur d’accompli) exprime<br />
l’idée d’antériorité, étant employée dans le cadre d’un complément cironstanciel.<br />
89
Roum. Prin stabilirea echivalenţei (...) între starea orizontalităţii şi cea a<br />
verticalităţii, sîntem în măsură să aducem în discuţie un al treilea<br />
exemplu de creaţie nonfigurativă. (C.Velescu)<br />
Fr. Ayant établi cette équivalence (...) entre l’état d’horizontalité et celui de<br />
verticalité, nous pouvons mettre en discussion un troisième exemple de création<br />
non- figurative.<br />
5.1.6. Gérondif<br />
Le gérondif est utilisé pour exprimer le moyen ou la concomitance.<br />
Roum. Prin coroborarea datelor clinice... (Simpozion de Flebologie…)<br />
Fr. En corroborant les données cliniques...<br />
Roum. O dată cu aplicarea fermă a acestor principii... (presse, 1989)<br />
Fr. Tout en appliquant fermement ces principes...<br />
Roum. Prin ce va compensa el ariditatea limbajului cu semenii? Prin<br />
cultivarea poeziei, a artei, a amiciţiei şi a iubirii. (M.Maliţa)<br />
Fr. Par quoi compensera-t-il l’aridité des moyens de communication avec<br />
ses semblables? En cultivant la poésie, l’art, l’amitié et l’amour.<br />
Roum. ... printr-un raţionament sau prin însuşirea părerilor unor critici ajung<br />
la încredinţarea că se află în faţa unor opere valoroase. (G.Călinescu)<br />
Fr. ... par la voie d’un raisonnement ou bien en s’appropriant les opinions de<br />
certains critiques, ils acquièrent la conviction de se trouver devant une oeuvre<br />
de valeur.<br />
5.1.7. Verbe fini<br />
Dans la traduction on a recours à une proposition subordonnée qui explicite les<br />
relations sémantico-syntaxiques de la structure profonde.<br />
5.1.7.1. Le verbe de la subordonnée est à l’indicatif. On peut avoir affaire à<br />
deux types de constructions:<br />
a) Le nom en -re ayant la fonction de complément du nom (en génitif ou<br />
prépositionnel) est traduit par une proposition relative introduite par le relateur où.<br />
Roum. În măsura dezvoltării forţelor de producţie... (presse, 1989)<br />
Fr. Dans la mesure où se développent les forces productives…<br />
Roum. Unul din momentele de confruntare a principiilor democraţiei cu<br />
nemiloasa realitate concretă. (Renaşterea bănăţeană)<br />
90
Fr. L’un des moments où les principes de la démocratie se trouvent<br />
confrontés à l’impitoyable réalité des faits. (On a également opéré ici un<br />
étoffement, par l’introduction du verbe se trouver.)<br />
Roum. E posibil ca intervalul 1907-1910 să coincidă cu perioada de constituire<br />
în conştiinţa sculptorului (...) a conceptului de «grup mobil». (C.Velescu)<br />
Fr. Il est possible que l’intervalle 1907-1910 ait coïncidé avec la période où<br />
s’est formé, dans la conscience du sculpteur (...), le concept de «groupe<br />
mobile».<br />
b) Le nom en -re joue la fonction de complément circonstanciel, étant traduit<br />
par une proposition circonstancielle introduite par la conjonction si.<br />
Roum. Fuzionarea semnificaţiilor celor două opere devine posibilă prin<br />
raportarea lor la un al treilea termen al ecuaţiei interpretative. (C.Velescu)<br />
Fr. On peut, dès lors, faire fusionner les significations des deux oeuvres si on<br />
les rapporte à un troisième terme de l’équation interprétative. (ou : en les<br />
rapportant...)<br />
5.1.7.2. Le verbe de la subordonnée est au subjonctif (en construction active ou<br />
passive). Le nom en -re du roumain est un complément d’objet direct ou un<br />
complément circonstanciel de but.<br />
Roum. Pentru soluţionarea într-un termen scurt a problemelor multiple şi<br />
complexe ale progresului tehnic. (presse, 1989)<br />
Fr. Pour que soient trouvées, dans de brefs délais, des solutions aux<br />
problèmes multiples et complexes du progrès technique.<br />
Roum. Schimbările minore petrecute în biroul executiv (...) nu sînt suficiente<br />
pentru definirea poziţiei Frontului. (Expres Magazin)<br />
Fr. Les changements mineurs qui ont eu lieu au sein du bureau exécutif (...)<br />
ne suffisent pas pour qu’on puisse définir la position du Front.<br />
Roum. Dacă sesizarea de sine presupune alinierea la reperul universal al<br />
Fiinţei... (C.Mircea)<br />
Fr. Si l’appréhension de soi présuppose qu’on s’aligne au repère universel de<br />
l’Être...<br />
5.2. Transposition croisée (dans la classe nominale)<br />
Roum. N1(-re) + N2 - Fr. N2’ + Adj’<br />
La structure du roumain qui comporte un nom (N1) en -re ayant le trait<br />
sémantique [+Action progressive] (correspondant à un verbe éventif ou causatif), suivi<br />
d’un N (N2) en génitif, peut être traduite en français (solution préférentielle) au moyen<br />
d’un nom (N’) en fonction de sujet ou d’objet direct ou indirect (correspondant à N2),<br />
91
suivi d’un adjectif au comparatif ou du participe présent ou passé (à valeur d’adjectif)<br />
d’un verbe [+Progressif] (correspondant à N1).<br />
6. Réduction<br />
Roum. Sporirea aportului ştiinţei. (presse, 1989)<br />
Fr. La contribution grandissante de la science.<br />
Roum. O intensificare puternică a eforturilor, o îmbunătăţire a muncii în<br />
toate domeniile de activitate.(presse, 1989)<br />
Fr. Des efforts plus intenses, une activité meilleure sans tous les domaines.<br />
Roum. Autorul insistă asupra amplificării complexităţii structurale a figurii.<br />
(A.Vlăduţ)<br />
Fr. L’auteur insiste sur la complexité structurale accrue de cette figure.<br />
♦ Roum. N-re + SP - Fr. N’<br />
Une structure analytique en L a pour correspondant en L’ une structure<br />
incorporante. Ainsi, une locution nominale du roumain, formée d’un nom opérateur en<br />
-re et d’un SP et correspondant à une locution verbale (V +SP), a pour équivalent en<br />
français un nom [+Action].<br />
Ex. dare în vileag (cf. a da în vileag) - divulgation (cf. divulguer).<br />
♦ Roum. N1 (-re) + N2 - Fr. N2’<br />
On opère l’effacement du nom [+Action] : le sens exprimé par le nom en –re en<br />
roumain est conservé en français à travers le sens global du verbe.<br />
Le nom en -re, suivi par un autre nom (un génitif objectif), est à interpréter<br />
comme un simple opérateur; il peut donc être supprimé sans que la phrase en souffre.<br />
D’ailleurs, il arrive souvent qu’il n’y ait pas de terme équivalent en français. L’idée de<br />
l’action exprimée par l’infinitif long du roumain reste implicite en français, grâce au<br />
contexte.<br />
Roum. Dezvoltarea noastră este legată de ducerea unei politici raţionale...<br />
(presse, 1989)<br />
Fr. Notre développement est étroitement lié à une politique rationnelle...<br />
Le verbe a duce (o politică) a pour équivalent mener (une politique), tandis que le<br />
nom ducere (le fait de mener une politique) n’a pas d’équivalent en français.<br />
Roum. Se impune să acordăm o atenţie deosebită asigurării echilibrului<br />
ecologic. (presse, 1989)<br />
Fr. Il faut prêter une attention particulière à l’équilibre écologique.<br />
92
Roum. Un comitet naţional (...) care militează pentru instituirea administraţiei<br />
naţionale şi bisericeşti de sine stătătoare. (I. Munteanu)<br />
Fr. Un comité national (...) militant pour une administration nationale et<br />
ecclésiastique autonome.<br />
La suppression de N1’ est déterminée aussi par des raisons stylistiques: on évite ainsi la<br />
rencontre de deux noms en -tion (l’institution d’une administration).<br />
On opère le même type de transcodage par effacement du nom d’action en –re<br />
dans les constructions asyndétiques du roumain (formules utilisées dans la langue du<br />
commerce et de la publicité) du type N1-re + N2 ou N1 + N2-re + N3 :<br />
Roum. Vânzări timbre<br />
Fr. Timbres<br />
Roum. Rezolvări acte notariale<br />
Fr. Actes notariés<br />
Roum. Copiere chei<br />
Fr. Clés-minute (mais on rencontre aussi : Reproduction de clés )<br />
Roum. Târg pentru vânzare automobile<br />
Fr. Foire automobile<br />
Roum. Orar funcţionare piaţă<br />
Fr. Horaire du marché<br />
♦ Roum. V + Prép + N1(-re) + N2 (génitif) - Fr. V’ + N2’<br />
Le nom d’action est supprimé en tant que lexème, mais son sens est maintenu en<br />
tant que sème dans la structure sémantique du verbe. On a affaire là à des constructions<br />
causatives du roumain qui reçoivent une interprétation globale, leur équivalent en<br />
français étant un verbe causatif à la voix active ou passive.<br />
Roum. ... au dus la creşterea răspunderii. (presse, 1989)<br />
Fr. ... ont affermi le sens des reponsabilités.<br />
Roum. Atâta timp cât nu se va ajunge la lichidarea războaielor. (presse, 1989)<br />
Fr. Tant que les guerres ne seront pas liquidées.<br />
Les constructions de ce type du roumain sont souvent marquées par ce qu’on a<br />
appelé la langue de bois 13 , caractérisée par la tendance à un verbiage vide de sens. La<br />
traduction exige que l’on opère une simplification de l’expression, qui gagne ainsi en<br />
clarté et en concision.<br />
7. Conclusion<br />
13 Voir à ce sujet le livre de Françoise Thom (1987).<br />
93
En partant des difficultés rencontrées dans la traduction et des fautes typiques<br />
commises par les apprenants, nous avons envisagé les noms d’action en -re, catégorie<br />
lexico-sémantique spécifique du roumain, dans la perspective des opérations de<br />
transcodage mises en jeu lors du passage au français. Nous poursuivions, ce faisant, un<br />
but essentiellement pratique: constituer, à l’intention des traducteurs d’une part et des<br />
apprenants d’autre part, un ensemble de structures lexicales et lexico-syntaxiques,<br />
représentant les équivalences possibles des infinitifs longs substantivés (noms<br />
[+Action]) du roumain.<br />
7.1. Les noms d’action en -re ont une fréquence considérable dans le roumain<br />
actuel, surtout dans les textes de facture «intellectuelle», caractérisés par un vocabulaire<br />
assez abstrait. On peut rencontrer les infinitifs longs aussi bien dans les textes de<br />
spécialité que dans la langue de la presse littéraire et socio-politique.<br />
Une mention à part doit être faite pour les exemples de presse qui datent d’avant<br />
décembre 1989 (la presse officielle communiste), et qui relèvent de la langue de bois. Il<br />
faut dire que les structures en cause continuent à être utilisées : la langue actuelle, en<br />
pleine effervescence, dans une société qui cherche à mettre en place de nouvelles<br />
structures sociales et mentales, en est encore tout émaillée 14 .<br />
7.2. En étudiant les équivalences des noms d’action en -re, on constate la<br />
diversité des procédés de transcodage auxquels on peut (ou, souvent, on doit) avoir<br />
recours, la variété des solutions qui s’offrent au traducteur. La complexité de cet<br />
ensemble de structures traductionnelles est due à la double nature des infinitifs longs,<br />
qui tiennent à la fois du nom et du verbe. Les équivalents des noms d’action en -re se<br />
situent, par conséquent, soit dans la sphère nominale, soit dans la sphère verbale. Dans<br />
tous les cas, cependant, le rapport avec cette dernière reste évident.<br />
L’étude systématique des équivalences des noms d’action en -re met en<br />
évidence la relation étroite que l’on peut établir entre la traduction et la paraphrase,<br />
entre la traduction inter- et intralinguale.<br />
Les équivalences proposées représentent tantôt des solutions obligatoires - en<br />
fonction de certaines contraintes, imposées soit par le système lexical du français<br />
(lacunes lexicales), soit par le contexte -, tantôt des solutions facultatives,<br />
préférentielles, auxquelles on a recours pour des raisons d’ordre stylistique.<br />
14 On peut encore rencontrer des constructions typiques pour la langue de bois qui définit le discours communiste,<br />
par exemple les tournures nominales d’une lourdeur tout à fait caractéristique, qui rappellent les exemples cités par<br />
Françoise Thom (1987 : 181) du type prendre la décision de la cessation du feu, pour décider de cesser le feu. Voir<br />
aussi M.Ţenchea, «Unele observaţii asupra folosirii infinitivului lung în limba română actuală», G.I.Tohăneanu -<br />
70, Timişoara, Ed. Amphora, 1995, p.528-533.<br />
94
7.3. Les questions que nous venons de discuter peuvent intéresser le domaine de<br />
la didactique dans la mesure où l’emploi des équivalents français des infinitifs longs<br />
substantivés du roumain donne lieu à certaines fautes interférentielles.<br />
Ces fautes concernent des aspects tels que :<br />
- la forme des noms en -ation, susceptibles d’être déformés sous l’influence du<br />
roumain ; ex. *élibération pour libération, cf. roum. eliberare ; *homogénisation pour<br />
homogénéisation, cf. roum. omogenizare; *valorification pour valorisation, cf. roum.<br />
valorificare;<br />
- l’emploi de dérivés du verbe de base inexistants en français ; ex. *ironisation,<br />
d’après le roumain ironizare «action d’ironiser»; l’équivalent du mot roumain<br />
sancţionare n’est pas *sanctionnement, mais bien sanction (le mot sancţiune du<br />
roumain indique le résultat de l’action).<br />
- l’emploi de dérivés du verbe correspondant au verbe de base du roumain, mais<br />
ayant un autre sens. Ainsi, il n’y a aucun rappport entre roum. procurare «action de<br />
procurer» et fr. procuration (roum. procură). On pourrait y ajouter evitare «action<br />
d’éviter», dont l’équivalent ne peut être ni le mot évitage (mar.), ni le mot évitement<br />
(vieux ou technique).<br />
Des difficultés apparaissent également dans certains cas où les structures verbonominales<br />
ou verbales s’imposent comme équivalents des infinitifs longs.<br />
7.4. Les dictionnaires bilingues (roumain-français) doivent être utilisés avec<br />
circonspection ; il faudra toujours compléter, préciser, nuancer et quelquefois corriger<br />
les indications qu’ils donnent, et ce à l’aide des dictionnaires français explicatifs, pour<br />
mieux éclairer les sens et les emplois des lexèmes en question.<br />
Qu’est-ce qu’on peut reprocher à ce type de dictionnaires en ce qui concerne les<br />
infinitifs longs substantivés du roumain? Les mots sans équivalent nominal (lacunes<br />
lexicales) sont généralement ignorés, et il faut alors se reporter au verbe de base (qui<br />
parfois est absent aussi) pour que l’on puisse construire une périphrase. Les dérivés de<br />
sens négatif comportant le préfixe ne- (tels que nerespectare, nerezolvare,<br />
nesatisfacere, etc.) n’y figurent pas. Certains néologismes, enregistrés en tant que tels<br />
dans les dictionnaires roumains, ou qui sont fréquemment employés dans la langue<br />
actuelle, sont également absents dans les dictionnaires bilingues ; ex. impulsionare - fr.<br />
stimuler, impulser (anglicisme), donner une impulsion. Dans le cas des mots<br />
polysémiques (fourches lexicales), certains sens sont omis (ex. prelucrare - cf. a<br />
prelucra [pe cineva] «mettre qqn. au fait d’une situation et essayer de le convaincre<br />
d’agir en conséquence»), et il manque les syntagmes-type qui permettraient de<br />
distinguer les différents hétéronymes d’un terme. L’article conturare du dictionnaire<br />
bilingue (1992) est également incomplet, puisqu’on n’indique que l’équivalent mise en<br />
évidence. Les solutions traductionnelles proposées sont parfois discutables ; ex.<br />
95
fundamentare, traduit par consolidation (DFR,1992), bien que le verbe a fundamenta<br />
soit traduit par documenter, appuyer sur une base solide.<br />
Les dictionnaires bilingues, tels qu’ils sont conçus généralement, ne peuvent pas<br />
rendre compte des solutions auxquelles on doit avoir recours dans le cas de certaines<br />
lacunes lexicales, que l’on résout par des transpositions, ni de la plupart des<br />
équivalences syntagmatiques (lexico-syntaxiques), imposées par le contexte (on peut<br />
signaler, pourtant, une heureuse exception: pour le nom coborâre on donne le syntagme<br />
la coborâre, traduit par le gérondif en descendant).<br />
7.5. Le cas des noms d’action en -re ne peut que souligner la nécessité d’une<br />
grammaire de la traduction, en tant qu’instrument de travail destiné aux apprenants et<br />
aux traducteurs. Complémentaire du dictionnaire bilingue, cette grammaire<br />
comprendrait un répertoire de structures traductionnelles (lexèmes, formes et structures<br />
grammaticales). Notre étude vise, précisément, à répondre à ce besoin, par la<br />
constitution d’un fragment d’une telle grammaire.<br />
96
LA PRÉPOSITION ÎNTRU DU ROUMAIN<br />
ET SES ÉQUIVALENTS EN FRANÇAIS<br />
1. Situation de întru dans la langue roumaine<br />
Le relateur prépositionnel întru a un statut assez particulier, non seulement à<br />
l’intérieur du système des prépositions du roumain, mais aussi par rapport aux autres<br />
langues romanes, où il ne trouve pas vraiment d’équivalent.<br />
Întru provient de l’adverbe latin intro, signifiant «dedans». Dans l’ancienne<br />
langue, întru était en concurrence avec la préposition în (lat. in), toutes les deux<br />
exprimant essentiellement l’intériorité. Întru était à l’origine plus précis que în,<br />
exprimant l’idée d’un mouvement ou d’un état à l’intérieur d’un lieu ou dans les limites<br />
d’un intervalle temporel. Ainsi, pour le fr. j’entre dans la maison on disait intru în<br />
casă, mais pour je le cherche dans la maison, il fallait dire îl caut întru casă 1 . Par la<br />
suite, les deux relateurs sont devenus synonymes.<br />
Dans le vieux roumain, întru connaissait des emplois nombreux et variés 2 . Dans<br />
la langue actuelle, întru apparaît principalement comme variante distributionnelle de la<br />
préposition în, sous la forme élidée într-, devant certains mots commençant par une<br />
voyelle : un(ul), o, una ou quelques mots en a- , p. ex. într-un an «en / dans un an»,<br />
într-o zi, «un jour», într-una din zile «un de ces jours», într-altă zi «un autre jour», la<br />
forme întru ne pouvant apparaître, en principe, que devant des mots qui commencent<br />
par une consonne.<br />
Întru / într- apparaît également dans un certain nombre de locutions adverbiales<br />
(p. ex. într-o parte şi într-alta «de part et d’autre, de tous les côtés», într-una «sans<br />
cesse», întru totul «entièrement», întru toate «en toutes choses», într-adevăr «en effet,<br />
réellement», într-un suflet «en toute hâte», într-adins «à dessein», într-o doară «à<br />
tout hasard», într-un târziu, «sur le tard, finalement», într-atât «à ce point-là») ou<br />
verbales (p. ex. a fi într-o dungă / într-o ureche «être toqué»). Dans certains cas, les<br />
1 Cf. Academia Română, Dicţionarul limbii române, Imprimeria Naţională, Bucarest, 1934.<br />
2 Dans le dictionnaire de 1934 on trouve une analyse détaillée et nuancée de tous ces emplois, complétée, dans<br />
chaque cas, par les équivalents français de la préposition.<br />
97
éléments constitutifs se sont soudés en un seul mot (ex. întrucât, «puisque»,<br />
întrucâtva, «dans une certaine mesure», «en quelque sorte») 3 .<br />
Întru est utilisé assez souvent dans des expressions figées appartenant au<br />
langage religieux (p. ex. a adormi întru Domnul «s'endormir dans le Seigneur», fraţi<br />
întru Cristos «frères en Christ», etc.), et dont le modèle a pu influencer, dans une<br />
certaine mesure, l’emploi de la préposition dans la langue moderne.<br />
La préposition întru jouit d’une faveur toute particulière dans la langue actuelle.<br />
On peut constater une extension assez considérable des emplois de întru, qui est<br />
fréquemment employé dans des syntagmes libres, sous sa forme non élidée, devant des<br />
mots à initiale consonantique, et parfois même devant une voyelle. Il est vrai que ces<br />
emplois (parfois abusifs) dénotent une certaine recherche, et l'on pourrait y déceler une<br />
pointe de snobisme.<br />
Sous la plume de nombreux intellectuels, certains emplois anciens de întru sont<br />
ressuscités (on peut néanmoins constater une préférence assez marquée pour les<br />
emplois «abstraits»). On pourrait affirmer que l'emploi de întru dans le roumain actuel<br />
est essentiellement fait de survivances et de «résurrections».<br />
En fait, c’est grâce au philosophe Constantin Noica - qui a mis en valeur la<br />
richesse sémantique du fonds ancien du vocabulaire roumain - que certains vieux mots,<br />
dont întru, se sont remis à vivre. Pour Noica, întru est un terme central qui définit<br />
l'essence même de la spiritualité et de toute la civilisation roumaines 4 . Il exprime une<br />
modalité particulière de ressentir l'être : dans la conscience du peuple roumain, fiinţa<br />
(«l’être») signifie «un fel de a fi întru» («une manière d'être dans», mais en même<br />
temps «sous le signe de, pour»). C. Noica a fait là-dessus un commentaire fascinant,<br />
qui a fortement marqué le discours philosophique et littéraire roumain. À la suite de<br />
Noica, on utilise întru non seulement dans le langage philosophique, mais aussi dans la<br />
langue de la critique littéraire, dans la presse, ainsi que dans les émissions de la<br />
télévision roumaine consacrées à la littérature et à l'art. Les emplois aujourd'hui<br />
multipliés de întru - par rapport à ceux qu’enregistrent les dictionnaires - relèvent<br />
d'intentions diverses : on peut identifier des emplois qui répondent à un souci<br />
d'archaïsme, des emplois ironiques ou plaisants, ou qui relèvent d'une intention<br />
parodique, ludique. Il est évident que, dans la plupart des cas, l'emploi de întru est<br />
fortement connoté. Mais il est tout aussi évident que certaines structures avec întru sont<br />
en voie de s’imposer dans la langue actuelle.<br />
Nous avons proposé 5 une analyse syntaxique et sémantique des syntagmes du<br />
roumain actuel introduits par le relateur întru, en mettant en lumière les structures<br />
3<br />
Voir aussi les composés avec de- et pre-, à savoir dintru / dintr- et printr- (ex. dintru început "dès le début, dès<br />
l'abord", dintr-o dată "tout d'un coup", printr-o fericită întâmplare "par un heureux hasard".<br />
4<br />
C. Noica, Sentimentul românesc al fiinţei, Editura Eminescu, Bucarest, 1978.<br />
5<br />
M.Ţenchea, 1999.<br />
98
syntagmatiques à l’intérieur desquelles fonctionne cette préposition et les rôles<br />
sémantiques qu’elles peuvent réaliser. C’est à partir de cette analyse que nous<br />
proposerons des équivalences en roumain, en tenant compte du contexte distributionnel,<br />
des fonctions syntaxiques du SP en întru et des valeurs sémantiques réalisées dans<br />
chaque type de situation. Nous insisterons surtout sur les syntagmes libres, tout en<br />
signalant un certain nombre de structures automatisées.<br />
2. Équivalents roumains de întru<br />
2.1. L’originalité de întru n’est pas sans soulever un certain nombre de<br />
difficultés pour la traduction. C.Noica faisait d’ailleurs remarquer que întru ne trouve<br />
pas facilement d’équivalent dans les grandes langues européennes. Qu’en est -il du<br />
français ?<br />
Si l’on consulte des dictionnaires bilingues (roumain-français), on peut<br />
constater qu’ils s’avèrent de peu d’utilité : ils présentent les choses de façon<br />
incomplète, se contentant d’indiquer les équivalences des structures automatisées. Pour<br />
les emplois anciens ou archaïsants, on peut cependant se reporter au Dictionnaire de<br />
l’Académie de 1934, qui indique, pour chaque type de contexte où apparaît întru, ses<br />
correspondants français. On y trouve ainsi 25 équivalents possibles - le plus souvent<br />
des prépositions ou des locutions prépositives - , classés en fonction des sens exprimés<br />
dans les différentes constructions signalées. Nous les reproduisons ici dans l’ordre<br />
alphabétique : à, à l’égard de, à l’intérieur, au cours de, au sein de, avec, chez, comme,<br />
contre, dans, de, durant, en, en guise de, grâce à, jusqu’à, où, par, parmi, par suite de,<br />
pendant, pour, quant à, sur, vers.<br />
Dans ce qui suit, nous proposerons des équivalents pour le relateur întru tel<br />
qu’il fonctionne à l’intérieur des différents types de structures que nous avons<br />
identifiées (Tenchea, 1999).<br />
En tant qu’élément de relation, la préposition întru met en rapport un terme a<br />
et un terme b (a întru / într- b), ses latitudes combinatoires se manifestant dans les<br />
structures syntagmatiques que voici :<br />
- V întru / într- N (ou substitut)<br />
- N1 întru / într- N2 (ou substitut)<br />
- Adj întru / într- N<br />
- V / N într- Adv.<br />
Le terme a est, le plus souvent, un verbe ou un nom ; on peut rencontrer aussi<br />
des adjectifs qui proviennent de participes, mais ces constructions sont beaucoup plus<br />
rares. Le terme b est presque toujours un nom, mais on peut, dans certains cas, avoir<br />
affaire à un substitut pronominal (personnel ou démonstratif, relatif, indéfini,<br />
interrogatif). De façon tout à fait exceptionnelle, întru peut se combiner aussi avec un<br />
99
infinitif. Les syntagmes où la préposition se combine avec un adverbe sont peu<br />
nombreux et constituent des structures figées.<br />
Les syntagmes construits avec întru peuvent assumer diverses fonctions<br />
syntaxiques : complément circonstanciel, complément d’objet indirect, complément du<br />
nom (en roumain «atribut substantival prepoziţional»), complément de l’adjectif<br />
(interprété, dans la syntaxe roumaine, comme un complément de point de vue incident<br />
ŕ un adjectif), ou, parfois, attribut (en roumain «nume predicativ»).<br />
À l’intérieur des structures étudiées, le lexème prépositionnel întru peut<br />
fonctionner soit comme attributeur de rôle sémantique (c’est ce qui arrive dans la<br />
plupart des cas), soit, parfois, comme transmetteur de rôle 6 , dans les cas où le terme<br />
régissant exige un déterminant obligatoire; c’est alors le terme a qui contrôle la<br />
construction du complément dont il détermine la préposition introductrice 7 .<br />
Nous avons étudié les structures avec întru en fonction des rôles sémantiques<br />
qu’elles réalisent. En fait, elles admettent deux types de lecture (l’interprétation des<br />
syntagmes est orientée par le contexte): localisation (visée coïncidente), auquel cas<br />
întru est à mettre en rapport avec le relateur în («dans»), et destination (visée finale),<br />
lorsque întru exprime des valeurs sémantiques proches de spre (signifiant «vers», mais<br />
aussi «pour»).<br />
Nous avons distingué, pour chacun des rôles sémantiques que nous avons<br />
identifié, d’une part les structures avec într-, variante distributionnelle de în, et, d’autre<br />
part, les structures avec întru.<br />
Le tableau ci –dessous rend compte des résultats de notre analyse, que nous<br />
allons utiliser dans ce qui suit.<br />
6 Voir G. Rauch (1994).<br />
7 Cf. M. Riegel et alii (1994).<br />
Rôles sémantiques într- într<br />
u<br />
I. Localisation (visée coïncidente) ~ în<br />
1. Locatif spatial ou spatialisé + +<br />
2. Situatif temporel + -<br />
3. Instrumental + -<br />
4. Manière + +<br />
5. Point de vue (domaine de référence) - +<br />
100
II. Destination (visée finale) ~ spre<br />
1. Directionnel + +<br />
2. But (intentionnalité) - +<br />
3. Projection temporelle - +<br />
4. Objet résultatif + +<br />
2.2. Localisation - visée coïncidente<br />
La préposition întru / într- exprime essentiellement un rapport d‘intériorité,<br />
étant, en principe, synonyme de în «dans / en». Une entité concrète ou abstraite ou un<br />
procès (exprimés par le terme a) seront situés à l’intérieur d’un «lieu» (dans le sens<br />
large du terme), repère spatial ou spatialisé exprimé par le terme b, espace «extensif»<br />
constituant une référence extérieure au sujet parlant 8 , et qui peut être conçu en tant que<br />
contenant.<br />
2.2.1. Locatif spatial (ou spatialisé)<br />
La préposition marque l’intériorité par rapport à un repère spatial ou spatialisé<br />
impliqué par le procès. Întru / într- fonctionne ici comme attributeur de rôle : il attribue<br />
au N [+Lieu] le rôle de situant, de repère spatial, à l’intérieur duquel on situe - de façon<br />
approximative - une entité concrète ou un procès / état.<br />
2.2.1.1. Structures avec într-<br />
♦ V [±Activité] într- Dét.indéfini N [+Lieu extensif]<br />
Le SP est un CC de lieu, exprimant soit un inessif [- Orientation], soit un illatif<br />
[+ Orientation]. Équivalents de într- : dans, Ø.<br />
Roum. Locuieşte într-un oraş mare / în acest oraş<br />
Fr. Il habite une grande ville / dans cette ville<br />
Roum. S-a urcat într-un copac / în copacul din faţa casei<br />
Fr. Il a grimpé dans un arbre / dans l'arbre qui se trouve devant la maison<br />
Roum. Într-o lume în care nu se întâmplă nimic (C.Noica) / în lumea de azi<br />
Fr. Dans un monde où il ne se passe rien / dans le monde actuel<br />
Roum. Am găsit aceste informaţii într-o carte recent apărută / în cartea pe<br />
care mi-ai împrumutat-o<br />
Fr. J'ai trouvé ces renseignements dans un livre récemment paru / dans le<br />
livre que tu m'as prêté<br />
8 Cf. P.Charaudeau (1992).<br />
101
2.2.1.2. Structures avec întru<br />
Bien qu’il soit parfois l’équivalent sémantique de în, întru acquiert très souvent<br />
d’autres significations, pouvant même s’opposer à în de façon explicite.<br />
La relation d’intériorité exprimée par întru présente certaines particularités, que<br />
nous essaierons de mettre en évidence à travers les commentaires de Noica.<br />
En fait, dans ce type de situations il s’agit d’une vision d’intériorité profonde 9 ,<br />
d’une intériorité englobante. Nous dirons qu’il y a solidarité et consubstantialité entre<br />
le situant et le situé, qui ne se trouvent pas dans un simple rapport de contenant -<br />
contenu, et qui deviennent respectivement tout et partie. Englobé et englobant, partie et<br />
tout, chose et horizon 10 - voilà les termes que la préposition întru met en rapport.<br />
Lorsque le lieu de référence est un lieu abstrait (c’est bien le relateur qui confère au<br />
référent le statut de lieu), la relation d’intériorité s’accompagne de l’idée d’une tension,<br />
qui est l’aspiration de la partie et du tout, ensemble, vers un au-delà, visant à dépasser<br />
le lieu-repère. C’est cette tension qui constitue, selon Noica, le spécifique de la<br />
préposition întru 11 . A fi («être») signifie, dans la vision de Noica, a fi întru (ceva),<br />
«être à l’intérieur de» et, en même temps, «sous le signe de (quelque chose)». Pour<br />
Noica, întru exprime la fermeture, la clôture, en même temps que l’ouverture; il s’agit<br />
donc d’une «clôture qui s’ouvre», d’une «limite non limitante», întru signifiant à la<br />
fois l’intériorité et la visée finale, în «dans» et spre «vers»).<br />
♦ V a fi întru N [Lieu extensif] (ou substitut),<br />
où N est un repère spatial ou spatialisé. Le nom est construit soit sans déterminant, soit<br />
avec un déterminant indéfini (article un, o) ou un adjectif numéral. Le SP est interprété,<br />
en syntaxe roumaine, plutôt comme attribut (en français on parlera d’un complément de<br />
lieu essentiel). Équivalents français possibles : à l’intérieur de, dans l’espace de, sous<br />
le signe de, dans l’horizon de.<br />
Roum. Astfel, prin determinările propriei sale istorii, civilizaţia noastră a fost<br />
întru un spaţiu dat. (C.Noica)<br />
Fr. Ainsi, de par les déterminations de sa propre histoire, notre civilisation s’est<br />
située à l’intérieur d’un espace donné.<br />
Roum. S-a spus că civilizaţia noastră este între două lumi. Nu cumva întru două<br />
lumi? (C.Noica)<br />
9 Nous empruntons l'expression, une fois de plus, à P.Charaudeau (1992).<br />
10 La notion d’horizon comporte une idée d’ouverture, de perspective.<br />
11 Le contenant et le contenu se glissent, ensemble, vers quelque chose d’inconnu, coïncidant dans le devenir. On<br />
peut citer ici C.Vandeloise (dans Prépositions. Méthodes d'analyse, Presses Universitaires de Lille, 1993), qui parle<br />
de la force qu'exerce le contenant sur le contenu, affirmant que le mouvement du contenant entraîne un mouvement<br />
similaire du contenu, ce qui semble se vérifier parfaitement dans le cas de întru.<br />
102
Fr. On a affirmé que notre civilisation était située entre deux mondes. Est-ce<br />
qu’elle ne se situe pas, plutôt, dans l’espace de (et sous le signe de) deux<br />
mondes à la fois?<br />
Dans l’exemple ci -dessous, nous avons eu recours à une autre solution,<br />
comportant le substantif horizon :<br />
Roum. ...între ceea ce este ceva şi lucrul întru care el este nu mai încape<br />
distanţă. (C.Noica)<br />
Fr. ...il n’y a aucune distance possible entre ce que quelque chose est et<br />
l’horizon qui le contient.<br />
Întru se trouve parfois opposé de façon explicite à în :<br />
Roum. Lumea nu e sub fiinţă, nu e în fiinţă, este întru ea. (C.Noica)<br />
Fr. Le monde n’est pas sous le règne de l’être, il n’est pas dans l’être non<br />
plus, il est dans l’horizon de l’être.<br />
Pour Noica, a fi în ceva implique une vision statique, l’idée d’une clôture, tandis que a<br />
fi întru ceva implique une vision dynamique, l’idée d’une «clôture qui s’ouvre».<br />
♦ N1 [-Processif] întru N2 [Abstrait]<br />
Roum. ...căci prin ea însăşi tradiţia înseamnă păstrarea întru spirit a ceea ce a<br />
fost bun în trecut. (C.Noica)<br />
Fr. ...car, par elle même, la tradition signifie la conservation dans horizon<br />
spirituel de tout ce qu'il y a eu de meilleur dans le passé.<br />
2.2.2. Locatif (situatif) temporel<br />
Structure : V [Action / Etat] într- Dét. indéfini N [+Division temporelle]<br />
Trois interprétations sont possibles:<br />
- Situatif [-Durée] : le relateur într- (équivalent de în) marque la situation<br />
approximative d’un procès ou d’un état à l’intérieur d’une période plus ou moins<br />
longue ; l’intervalle situationnel est inclus dans cette période, qui est conçue comme<br />
contenant du procès. Équivalents français : dans, Ø, par.<br />
Roum. Într-o frumoasă dimineaţă de primăvară ... / În dimineaţa aceea<br />
Fr. Par une belle matinée de printemps / ce matin-là<br />
Roum. Într-o bună zi dispăru / În ziua aceea<br />
Fr. Un beau jour il disparut / ce jour-là<br />
Roum. Într-un moment de neatenţie.../ în acel moment<br />
Fr. Dans un moment d’inattention / à ce moment-là<br />
- Distance temporelle. Într- est ici l'équivalent de peste «dans», impliquant une<br />
vision prospective. Équivalent français : dans.<br />
103
qT)».<br />
Roum. Mă întorc (de azi) într-o săptămână / în două săptămâni<br />
Fr. Je serai de retour dans une semaine / dans deux semaines<br />
- Durée remplie par un certain procès. Într- signifie, dans ce cas, «en (+<br />
Roum. Într-un an, a scris două romane / În doi ani, a scris cinci romane<br />
Fr. En un an, il a écrit deux romans / En deux ans, il a écrit cinq romans.<br />
2.2.3. Instrumental<br />
Structure avec într- :<br />
Roum. Se îmbrăcă într-o piele de urs<br />
Fr. Il se vêtit d’une peau d’ours<br />
2.2.4. Manière (à partir de l’idée d’un espace figuré, d’un «lieu» abstrait)<br />
Structure : V într- Indéfini N [-Concret].<br />
Le syntagme avec într- constitue, le plus souvent, une locution adverbiale, ayant<br />
la fonction de complément circonstanciel de manière.<br />
Roum. Într-un anumit fel / în acest fel<br />
Fr. D’une certaine manière / de cette manière<br />
Roum. Răspunseră într-un glas...<br />
Fr. Ils répondirent tous à la fois…<br />
2.2.5. Point de vue, domaine de référence (à partir de l’idée d’un lieu abstrait)<br />
La structure type est N1 întru N2 , où le terme b est un nom abstrait. Întru<br />
signifie ici «du point de vue de, en ce qui concerne, pour ce qui est de, quant à, dans le<br />
domaine de, en matière de, sous le signe de».<br />
♦ N1 [Abstrait] întru N2 [Abstrait]<br />
N1 (ou un autre élément du contexte) exprime l’idée d’un lien qui unit les<br />
membres d’une collectivité (p. ex. comuniune «communion», solidaritate «solidarité»,<br />
regăsire «retrouvailles», etc.), qui se définit, précisément, en fonction d’un certain<br />
repère - concept ou domaine de référence abstrait, exprimé par N2. Dans la traduction,<br />
nous avons utilisé la préposition dans.<br />
Roum. ...mizând şi pe complicitatea dumneavoastră întru şagă. (G. Pruteanu,<br />
oral, TVR1)<br />
Fr. ...en misant aussi sur votre complicité dans la plaisanterie.<br />
Roum. ...a dăruit semenilor clipe unice de bucurie întru muzică. (România<br />
liberă, 17.08.1996)<br />
104
Fr. Il a offert à ses semblables des instants uniques de joie dans la musique.<br />
♦ N1 [Personne] întru N2 [Domaine abstrait]<br />
N1 se rapporte à des personnes appartenant à la même collectivité, définie en<br />
fonction d’un repère abstrait, exprimé par N2. On retrouve ici le modèle de certaines<br />
expressions du domaine religieux, telle que : fraţi întru Domnul - fr.“frères dans le<br />
Seigneur”. Nous avons eu recours à la locution en matière de ou à d’autres solutions.<br />
Roum ...alături de Marx, tartorele nostru întru ideologie. (Timişoara,<br />
17.03.1997)<br />
Fr. ...à côté de Marx, notre grand manitou en matière d’idéologie.<br />
C’est le possessif nostru qui introduit ici l’idée d’une collectivité, d’un certain type de<br />
communauté.<br />
Dans l’exemple ci-dessous, nous avons changé la structure de la phrase, le<br />
substantif ses collègues nous apparaissant comme suffisant pour pour évoquer l’idée<br />
d’une communauté:<br />
Roum. ... mult mai descuiat decât majoritatea colegilor săi întru diplomaţie.<br />
(Ziua, 24.05.1997)<br />
Fr. ...un esprit beaucoup plus ouvert que la plupart des diplomates, ses<br />
collègues<br />
♦ Adj (participe) întru N [Abstrait]<br />
Le contexte introduit l’idée de plusieurs entités, entre lesquelles il existe<br />
certaines relations, qui présentent des ressemblances ou des différences par rapport à un<br />
critère (point de vue) exprimé par N. Équivalents français : dans, par («du point de vue<br />
de» , «en ce qui concerne»).<br />
Roum. ... ţări strâns înrudite întru latinitate. (V.Bălteanu, préface du livre<br />
L.Blaga, Poezii – Poesie, 1995)<br />
Fr. ...des pays étroitement apparentés par leur latinité.<br />
Roum. ...cele două categorii de intelectuali învrăjbite întru «credinţă». (Ziua,<br />
8.09.1997)<br />
Fr. ...les deux catégories d’intellectuels devenues ennemies dans la «foi».<br />
2. 3. Destination, visée finale<br />
Într- / întru est à interpréter ici comme équivalent de spre («vers» et «pour»).<br />
2.3.1. Directionnel<br />
105
Le SP désigne un lieu abstrait envisagé comme aboutissement (par opposition<br />
au locatif strict) 12 . Întru signifie ici «vers», exprimant un mouvement orienté vers le<br />
repère Le contexte comprend des mots dont la signification première est spatiale.<br />
♦ V [+Mouvement] într- Adv [+Lieu] (dans quelques locutions)<br />
Roum. O iei într-acolo<br />
Fr. Tu vas de ce côté-là<br />
♦ V [+Mouvement ] întru N [-Lieu] (interprétation spatiale due au contexte).<br />
Équivalent français : vers.<br />
Roum. ...viaţa se deschide întru viitor. (C.Noica)<br />
Fr. …la vie s’ouvre vers l’avenir.<br />
Grâce à întru, le nom viitor acquiert ici les traits d’un repère spatialisé, qui est une<br />
limite finale ; c’est le verbe a se deschide «s’ouvrir» qui impose la lecture<br />
directionnelle du SP.<br />
2.3.2. But (intentionnalité)<br />
On envisage une «entité concrète ou abstraite vers laquelle est dirigé le<br />
procès» 13 . C’est le relateur întru qui apparaît dans ces cas, signifiant «pour, afin de, en<br />
vue de, en quête de». Le SP a la fonction de CC de but ou celle de CN.<br />
a) Le terme b est un nom [+Processif] (ou un V Inf) :<br />
♦ V [+Action] întru N[+Processif]<br />
Le terme a de la relation est un verbe qui dénote une action, une activité ; il peut<br />
aussi prendre la forme du participe passé. Le terme b de la relation est un nom<br />
[+Processif] , qui est, presque toujours, un infinitif long (nom d’action en -re)<br />
correspondant, dans la plupart des cas, à un verbe transitif. Ce nom est le plus souvent<br />
déterminé par un possessif ou par un CN (génitif objectif), mais il peut aussi ne<br />
recevoir aucune détermination. Grâce à întru, qui fonctionne dans ce cas comme<br />
attributeur de rôle, l’action dénommée par l’infinitif long est considérée en tant que<br />
«point» final, en tant que limite à atteindre. Équivalent français : afin de.<br />
Roum. Dar fără voia mea acţiunea pe care o întreprindeam întru consolarea<br />
durerii (...) era contra-revoluţionară. (M.Călinescu & I.Vianu, Amintiri în<br />
dialog, 1994)<br />
Fr. Pourtant l’action que j’entreprenais afin de soulager la douleur s’avérait,<br />
malgré moi, contre-révolutionnaire.<br />
12 Cf. M. Riegel et alii (1994 : 126).<br />
13 Riegel et alii (1994 : 125).<br />
106
Roum. Mare pacoste pe capul nostru această Televiziune «echidistantă» care<br />
ne mai percepe şi bani întru otrăvirea noastră cea de fiecare zi. (România<br />
liberă, 13.04.1995)<br />
Fr. Quelle calamité, cette Télévision «équidistante», qui, en plus, nous fait<br />
payer des taxes afin de nous empoisonner jour après jour.<br />
Parfois le nom en -re est précédé du préfixe négatif ne-, ce qui lui confère le<br />
statut d’un nom d’état. Dans les exemples ci -dessous, on a affaire à des structures<br />
semi-figées.<br />
Roum. Cei 50 de morţi din Beliş cărora poliţia clujeană le-a ridicat recent un<br />
monument întru nemurirea lor. (Renaşterea Bănăţeană, 4.02.1997)<br />
Fr. Les 50 hommes tués à Beliş à la mémoire desquels la police de Cluj vient<br />
d'ériger un monument.<br />
Roum. Ion I.C.Brătianu, aşezat în inima ţării, la Alba Iulia, întru neuitare.<br />
(România liberă, 18.09.1995)<br />
Fr. Le buste de Ion C.Brătianu, placé au coeur męme du pays, ŕ Alba Iulia,<br />
pour éternelle mémoire.<br />
♦ V [+Action] întru V Inf (variante possible, mais, en fait, extrêmement rare). La<br />
traduction remplace le SP par une proposition subordonnée de but introduite par afin<br />
que. Nous avons trouvé un seul exemple de ce type, qui relève, d'ailleurs, d'une<br />
intention ludique.<br />
Roum. Îi cer politicos permisiunea de a o invita la mine, în celălalt capăt al<br />
Bucureştiului, întru a mai tăifăsui, întru a ne mai cunoaşte. (Almanah<br />
Caţavencu, 1995)<br />
Fr. Je lui demande poliment la permission de l'inviter chez moi, à l'autre bout<br />
de Bucarest, afin que nous puissions bavarder et que nous puissions mieux<br />
nous connaître.<br />
♦ N1 [+Processif] (ou équivalent) întru N2 [+Processif] (nom d’action en -re).<br />
Équivalents français de întru : afin de (+ Infinitif), pour (+ N).<br />
Roum. Transfer de energie/ Întru generare / de energii. (M. Petcu, Semne<br />
însingurate, 1994)<br />
Fr. Transfert d’énergie / Afin de générer / d’autres énergies.<br />
Roum. ...trei memorii colective (...) întru apărarea năpăstuiţilor. (D.Ţepeneag,<br />
Un român la Paris)<br />
Fr. ...trois mémoires collectifs (...) pour la défense des opprimés.<br />
Roum Aşa deci şi aici, devenirea întru devenire (...) este întreruptă. (C. Noica)<br />
Fr. Il en est de même ici : le devenir pour le devenir (...) est interrompu.<br />
Roum. O devenire întru generaţie şi corupţie, adică întru pieire... (C. Noica)<br />
107
Fr. Un devenir pour l’engendrement et la corruption, donc pour la mort.<br />
b) Le terme b est un nom [-Processif] :<br />
♦ V [+Dynamisme] întru N [Abstrait] (ou équivalent). Nous avons proposé comme<br />
équivalents de întru les relateurs prépositionnels en quête de et pour.<br />
Roum. Ne imaginăm semnele / Şi apoi ne clădim / Întru ceea ce este coerent.<br />
(M.Petcu, Semne însingurate)<br />
Fr. On imagine les signes / Et puis on se construit / En quête du cohérent.<br />
Roum. Motivul acesta al pruncului, ce nu vrea să apară pe lume, fără a şti întru<br />
ce anume, revine în câteva basme româneşti. (C. Noica)<br />
Fr. Ce leitmotiv de l’enfant qui refuse de venir au monde, avant de savoir<br />
précisément pour quoi, se retrouve dans plusieurs contes roumains.<br />
♦ N1 [+Processif] întru N2 [Abstrait]<br />
On peut proposer divers équivalents de întru, tels que : en vue de, pour la cause<br />
de, que nous avons utilisés dans les exemples ci-dessous :<br />
Roum. Modelul său spiritual şi moral este Eugen Lovinescu, la care admiră<br />
pasiunea exemplară, onestitatea şi martirajul întru literatură. (Limba şi<br />
literatura română, cl . a XII-a, 1993)<br />
Fr. Son modèle spirituel et moral est Eugen Lovinescu, dont il admire la<br />
passion exemplaire, l’honnêteté, ainsi que le martyre qu’il a subi pour la cause<br />
de la littérature.<br />
Roum. Porţile deschise / Devin încercare / Întru altă dimensiune. (M. Petcu,<br />
Semne însingurate)<br />
Fr. Les portes ouvertes / Deviennent tentative / En vue d’une autre dimension.<br />
♦ V [+Dynamisme] întru N[Abstrait]<br />
Dans la traduction française, on peut utiliser la préposition à.<br />
Roum. A trudit întru gloria regelui. (oral, TVR2, 22.09.1995)<br />
Fr. Il a travaillé à la gloire du roi.<br />
L’idée d’une limite finale atteinte (la conséquence) semble être présente aussi dans<br />
cette phrase.<br />
♦ V (a ura) întru N ou N1 (urare) întru N2 : l’idée exprimée est celle d’une<br />
projection dans l’avenir.<br />
Roum. Iar colegii din Uniunea Scriitorilor îi urează literatură îmbelşugată,<br />
întru bucuria cititorilor săi! (Orizont, 17.05.1996) Fr. Et ses collègues de<br />
108
l’Union des Ecrivains lui souhaitent d’écrire encore beaucoup de livres, pour la<br />
grande joie de ses lecteurs!<br />
Dans l’exemple ci-dessous on a affaire à une structure locutionnelle :<br />
Roum. ... urare întru sănătate, noroc şi fericire. (Renaşterea Bănăţeană)<br />
Fr. ... des voeux de santé, de bonheur et de joie.<br />
2.3.3. Destination temporelle (projection)<br />
Un SP construit avec întru marque l’idée de durée + projection. Întru signifie<br />
ici «pour».<br />
Structure : V[+Action] întru N[+Temps].<br />
Întru est suivi par un nom ou SN [+Durée] ; il s’agit souvent d’une durée<br />
illimitée. On a affaire ici à des séquences plus ou moins automatisées, et l’on retrouve,<br />
une fois de plus, le langage religieux.<br />
Roum. Imaginea tradiţională a iadului - de cazan uriaş cu smoală în care sunt<br />
fierţi păcătoşi întru veşnicie... (Renaşterea Bănăţeană)<br />
Fr. L'image traditionnelle de l'enfer, comme une immense chaudière remplie<br />
de poix bouillante où l'on jette les damnés pour toute l'éternité...<br />
Roum. Un mare suflet a plecat întru eternitate. (Renaşterea Bănăţeană,<br />
14.02.1996)<br />
Fr. Une grande âme vient de nous quitter pour l’éternité.<br />
Roum. Să trăieşti întru mulţi ani! - structure figée, synonyme de La mulţi ani!<br />
Fr. Je vous souhaite une longue vie.<br />
2.3.4. Objet résultatif<br />
Le SP marque l’entité concrète ou abstraite, l’objet, l’être ou l’état des choses<br />
qui est la conséquence du procès 14 . Le relateur întru / într- fonctionne, dans ce cas,<br />
comme transmetteur de rôle.<br />
Într- apparaît dans des syntagmes exprimant l’idée d’une transformation, d’un<br />
changement d’état. Structure :<br />
♦ V a (se) transforma, a (se) preface) într- (Dét. indéfini) N .<br />
Le SP remplit la fonction de COI. L’équivalent français de într- est la préposition en.<br />
Roum. S-a prefăcut într-o pasăre.<br />
Fr. Il s'est transformé en oiseau.<br />
14 Cf. Riegel et alii (1994 : 125).<br />
109
Roum. Ţara s-a transformat precipitat într-o gaură neagră balcanică... (Ziua,<br />
1.04.1997)<br />
Fr. Le pays s’est transformé précipitamment en un trou noir balkanique...<br />
La structure N1 într- (Dét.indéfini) N2 (résultat de la nominalisation de la<br />
structure précédente) est possible aussi (le SP devient alors CN).<br />
Roum Transformarea ţării într-o gaură neagră balcanică...<br />
Fr. La transformation du pays en un trou noir balkanique...<br />
b) Întru apparaît uniquement dans des expressions appartenant au domaine de la<br />
religion : V (a hirotoni) întru N / N1 (hirotonire) întru N2 (N / N2 est un nom construit<br />
sans déterminant, désignant une fonction ecclésiastique, tels que : preot, «prêtre»,<br />
diacon, «diacre»). L’équivalent français de cette construction du roumain ne comporte<br />
pas de préposition.<br />
Roum. Aceste cuvinte (...) mă întorc la timpurile hirotonirii mele întru preot.<br />
(Viaţa creştină, 22.02.1997)<br />
Fr. Ces mots (...) me rappellent l'époque où j'ai été ordonné prêtre.<br />
3. Conclusion<br />
Comme on a pu le voir à travers les exemples cités, la traduction en français de<br />
întru mobilise – en fonction des contextes spécifiques où apparaît cette préposition -<br />
des lexèmes et des structures d’une assez grande diversité, situées dans la sphère des<br />
déterminations spatio-temporelles ou bien dans la sphère notionnelle 15 , correspondant à<br />
des relations plus «abstraites» entre des entités et/ou des procès. On pourrait d’ailleurs<br />
identifier, dans la langue actuelle, certains emplois spécifiques de întru, qui sont les<br />
plus fréquents aujourd’hui : il s’agit, précisément, de deux de ses emplois «abstraits»<br />
- le but et le point de vue.<br />
La plupart des équivalents que nous avons proposés se retrouvent sur la liste des<br />
correspondants français des structures anciennes mentionnés dans le Dictionnaire de<br />
l’Académie Roumaine de 1934. Nous y avons ajouté afin de, en vue de, sous le signe<br />
de, en quête de, dans l’horizon de et même Ø.<br />
Întru du roumain est donc tout cela : dans, ŕ l’intérieur de, dans l’espace de,<br />
mais aussi pour, en vue de, en quęte de, etc., exprimant aussi bien la localisation que la<br />
destination et impliquant aussi bien une vision statique, que - le plus souvent - une<br />
vision dynamique 16 . La recherche des équivalents français de întru nous a permis de<br />
(ou, plutôt, nous a obligée à) mieux cerner la signification tellement riche de ce<br />
15<br />
Cf. les trois champs d’application du sens fondamental exprimé par les prépositions (spatial, temporel et<br />
notionnel) dont parlait B. Pottier (1962).<br />
16<br />
C. Noica (1978) affirme même que toutes les prépositions, dans leur rigidité et leur précision, seraient des cas<br />
particuliers de la processualité exprimée par întru.<br />
110
elateur prépositionnel, envisagé dans toute sa complexité. La traduction de întru<br />
(surtout dans le cas des syntagmes appartenant au domaine philosophique) est,<br />
effectivement, une interprétation. Nous pensons, néannmoins, que les solutions que<br />
nous avons proposées pourraient être complétées et nuancées, à travers l’étude d’un<br />
corpus plus vaste - d’ailleurs assez difficile à réunir, étant donné le nombre somme<br />
toute relativement réduit d’occurrences de întru.<br />
La traduction française a donc contribué à mieux éclairer les significations de<br />
la préposition întru en roumain, en explicitant certaines nuances ; il est tout aussi vrai,<br />
pourtant, que la traduction appauvrit – forcément - la signification si riche de întru<br />
dans certains de ses emplois.<br />
Quoi qu’il en soit, la recherche des correspondants de întru en français<br />
souligne, une fois de plus, l’originalité de cette préposition du roumain, ainsi que les<br />
difficultés – considérables, mais peut-être pas insurmontables – de la traduction.<br />
111
III<br />
SUR QUELQUES MAUVAIS USAGES<br />
DE LA TERMINOLOGIE LINGUISTIQUE FRANÇAISE<br />
CHEZ LES APPRENANTS ROUMAINS<br />
Nous nous proposons de signaler ici certains emplois fautifs des termes du<br />
métalangage (portant sur différents aspects de la linguistique française), tels que nous<br />
les avons relevés dans les copies de nos étudiants en français langue étrangère<br />
(première ou deuxième spécialité).<br />
On peut regrouper les fautes en question en plusieurs catégories :<br />
1. Fautes d’orthographe :<br />
♦ fautes qui mettent en cause la lettre h, à savoir :<br />
- mots écrits sans h ; ex. *ortographe (pour orthographe), *incoatif (pour<br />
inchoatif)<br />
- mots affublés d’un h (après la consonne t) ; ex. *cathégorie (pour<br />
catégorie), *systhème (pour système), *therme (pour terme), *méthonymie (pour<br />
métonymie), *méthaphore (pour métaphore). On peut parler, dans ces cas,<br />
d’hypercorrection – due au fait que, très souvent, les mots savants d’origine grecque<br />
comportent le groupe th. Ce type de faute apparaît pourtant aussi dans les mots<br />
d’origine latine.<br />
- la lettre h mal placée à l’intérieur d’un mot ; ex. *réthorique (au lieu de<br />
rhétorique).<br />
♦ confusion entre les graphèmes i et y :<br />
- la lettre i utilisée à la place de y ; ex. *synonime (pour synonyme),<br />
*métonimie (au lieu de métonymie)<br />
- y mis à la place de i ; ex. *épythète (au lieu de épithète).<br />
♦ absence de e final ; ex. *verb (au lieu de verbe), vraisemblablement sous<br />
l’influence de l’anglais.<br />
112
♦ présence d’un u dans le mot langage, écrit *language d’après le modèle du mot<br />
français langue et surtout sous l’influence du mot anglais language.<br />
♦ confusion sur différentes lettres : la voix pronominale devient ainsi *la voie<br />
pronominale, avec un jeu de mots – involontaire, certes – sur les homonymes voix et<br />
voie 1 , et le mot exemple est écrit *example, sous l’influence de l’anglais.<br />
2. Fautes de grammaire, portant sur les catégories du genre et du nombre :<br />
♦ fautes qui mettent en jeu la catégorie du genre :<br />
- confusion quant au genre de certains noms (sous l’influence du roumain) :<br />
noms masculins employés comme féminins, ex. *syntagme nominale (au lieu de<br />
syntagme nominal ; en roumain sintagmă nominală), *une ordre [des mots] (en<br />
français le nom est masculin, mais l’équivalent roumain ordinea [cuvintelor] est un<br />
nom féminin), ou noms féminins employés comme masculins, ex. *un épithète (au lieu<br />
de *une épithète, en roumain un epitet), *étude comparatif (au lieu de étude<br />
comparative, en roumain studiu comparativ)<br />
- fautes d’acord ; ex. *la langue français (pour la langue française,<br />
probablement sous l’influence du syntagme synonyme le français) ; *textes descriptives<br />
ou narratives (au lieu de textes descriptifs ou narratifs, d’après la forme des adjectifs<br />
roumains : texte descriptive sau narative)<br />
- accord fautif, par hypercorrection ; ex. *langue standarde (au lieu de langue<br />
standard ; c’est par analogie ou par désir de régularité que l’on ajoute la marque du<br />
féminin au mot invariable standard, qui est un anglicisme)<br />
♦ fautes qui mettent en jeu la catégorie du nombre . On rencontre fréquemment,<br />
sous la plume de nos étudiants, des pluriels simplifiés et «régularisés» en –s, qui<br />
servent à éluder le pluriel irrégulier - partant plus difficile – en –aux. Ex.<br />
*compléments adverbials (pour compléments adverbiaux), *temps / modes verbals<br />
(pour temps / modes verbaux), *moyens lexicals (pour moyens lexicaux).<br />
3. Fautes de lexique, portant soit sur la forme, soit sur le sens des termes :<br />
A. Mots déformés (substantifs et adjectifs)<br />
♦ Changement de suffixe et / ou ajout d’une ou deux syllabes dans les mots<br />
dérivés. On peut signaler, à cet égard, plusieurs types de fautes :<br />
- Emploi abusif du suffixe –ation dans des mots correspondant à des noms<br />
roumains en –are (c’est une correspondance assez fréquente, en fait) ou bien à des<br />
noms terminés en –ţie ou –(ţ)iune. Ex. *exprimation (au lieu de expression, roum.<br />
exprimare), *combination (pour combinaison) : « possibilités de combination »,<br />
*diphtongation (et même *diphtongaisation, au lieu de diphtongaison, roum.<br />
1 On retrouve ce jeu de mots - volontaire, cette fois - chez le linguiste Ludo Melis, dans le titre de son ouvrage La<br />
voie pronominale (coll. “Champs linguistiques”, Paris - Louvain-la-Neuve, Duculot, 1990).<br />
113
diftongare), *inversation (au lieu de inversion, roum. inversiune et inversare),<br />
*cultivation (de la langue) (roum. cultivarea limbii « défense de la langue »,<br />
*termination (pour terminaison, roum. terminaţie), *acceptation (pour acception, par<br />
confusion des paronymes) : « les mots acquièrent des sens nouveaux, des acceptations<br />
nouvelles » ; roum. accepţie ou accepţiune) ; on trouve parfois une sorte de suffixe<br />
renforcé: –alisation. Ex. *ponctualisation (pour ponctuation) : «comme<br />
ponctualisation, il y a le point d’interrogation» ; roum. punctuaţie), *structuralisation<br />
(pour structuration : roum. structurare) : « la structuralisation du texte ».<br />
- Le suffixe –oire se substitue au suffixe –if (féminin –ive) ; ex. *interrogation<br />
délibératoire (pour interrogation délibérative), *phrase négatoire pour phrase<br />
négative ; il s’agit là, sans doute, d’un lapsus calami, puisque cette forme apparaît une<br />
seule fois sous la plume d’une étudiante d’un très bon niveau), ou *courbe<br />
interrogatoire (c’est le contour intonatoire d’une phrase interrogative). Le même<br />
suffixe –oire est parfois utilisé dans des exemples tels que *conjonctions<br />
coordonatoires ou *subordonatoires (pour conjonctions de coordination ou de<br />
subordination).<br />
- Il y a également changement de suffixe dans le cas du mot *corrélateur, dans<br />
*termes corrélateurs (au lieu de termes corrélatifs), formation assez vraisemblable,<br />
d’ailleurs, vu la quantité de mots construits sur ce modèle dérivationnel.<br />
- Emploi fautif du suffixe –ique, dans les adjectifs *atonique (ex. « voyelles<br />
finales atoniques » , au lieu de atones, par analogie avec l’antonyme toniques ; on évite<br />
ainsi l’assymétrie du couple de mots atone - tonique) ou *romanique (ex. « création<br />
romanique » , pour création romane, d’après le roum. romanică).<br />
- Emploi fautif du suffixe –esque, sous l’influence directe du roumain ; ex. *du<br />
latinesque altus (cf. en roumain din latinescul altus).<br />
- Confusion des suffixes -al, -el, -aire, -er (-ère) ; il peut s’y ajouter des fautes<br />
d’orthographe. Ex. *langage familliel et *langage familiaire (au lieu de langage<br />
familier), ou encore *langue familiale (pour langue familière) ; *locutions adverbielles<br />
(pour locutions adverbiales), *spatiel (au lieu de spatial).<br />
♦ Autres déformations, dues à :<br />
- l’influence de paronymes ou d’autres termes français (fautes internes). Ex.<br />
*gendre à la place de genre (l’image graphique du mot renvoie à une prononciation qui<br />
semble être facilitée par l’épenthèse de d (cf. le mot gendre signifiant en roumain<br />
ginere) ; *langues romaines (au lieu de langues romanes, en roumain limbi romanice ;<br />
voir aussi la corrélation roum. roman – fr. romain) ; *vers, au lieu du terme latin versus<br />
(vs.) ; *moyens segmentiels, au lieu de séquentiels (*segmentiel est dû au<br />
rapprochement avec suprasegmental). On peut citer aussi *phrase déclamative (au lieu<br />
de phrase déclarative) ou encore des «créations» personnelles telles que :<br />
114
*interrogation interfictive, pour interrogation fictive (par exemple, dans le cas d’une<br />
phrase interrogative à valeur injonctive, du type : Allez-vous bientôt vous taire ?).<br />
- l’influence du roumain ou de l’anglais (fautes interférentielles). Ex. *component<br />
(au lieu de composant, dans un syntagme tel que *component abstrait, d’après le roum.<br />
component), *vocale pour voyelle (sous l’influence du roum. vocală) ; *élidation (pour<br />
élision, cf. roum. elidare) ; *adjective (pour adjectif, en roumain adjectiv), *proposition<br />
subordonnée subiective (pour proposition subordonnée sujet, en roumain propoziţie<br />
subordonată subiectivă), *modes nepredicatives (pour désigner les modes non<br />
personnels, non prédicatifs, d’après le roumain moduri nepredicative), *opposite<br />
(employé pour opposé, sous l’influence de l’anglais ; ex. « l’imparfait est considéré<br />
comme l’opposite du passé simple »).<br />
B. Confusions sémantiques et calques du roumain. Ex. la passivité, utilisé pour le<br />
passif ; paraphrase, employé à la place de périphrase (par confusion de paronymes) ;<br />
*signe d’interrogation, au lieu de point d’interrogation (en roumain semnul<br />
întrebării) ; *formes flexibles, pour formes variables, fléchies (en roumain forme<br />
flexibile) ; *substantif articulé, c’est-à-dire construit avec un article (d’après le roum.<br />
articulat) ; *mode impersonnel, pour mode non personnel (en roumain mod<br />
nepersonal ; emploi fautif du préfixe im- , confusion grave due à l’ignorance du sens<br />
du mot impersonnel tel qu’il est utilisé en grammaire française). Dans la terminologie<br />
syntaxique on rencontre de nombreux faux amis, tels que : *complément circonstanciel<br />
de mode (au lieu de complément circonstanciel de manière), attribut, employé pour<br />
désigner un complément du nom (d’après le roumain atribut), *complétive adjectivale,<br />
pour parler d’une proposition subordonnée relative, équivalent d’un adjectif (là encore,<br />
on a affaire à un calque du roumain).<br />
***<br />
Nous avons pu faire une bonne petite récolte d’exemples témoignant d’un<br />
mauvais usage des termes linguistiques. Certaines fautes sont plus fréquentes,<br />
représentant des cas typiques, d’autres – plus rares ou accidentelles. Si nous les<br />
signalons ici, ce n’est pas en vue de constituer un «bêtisier» ou une «foire au cancre»,<br />
mais pour attirer l’attention sur un certain relâchement de l’intérêt pour l’étude<br />
systématique de la linguistique – qui n’est pas sans inquiéter, il faut l’avouer - que l’on<br />
peut constater de la part de nos étudiants en français langue étrangère, parfois peu<br />
familiarisés avec le métalangage, faute de lecture dans ce domaine. Les nombreuses<br />
confusions et les fréquents à-peu-près que nous avons signalés dans l’utilisation du<br />
métalangage trahissent l’ignorance de certaines notions de linguistique et, de manière<br />
générale, un apprentissage superficiel de la langue française.<br />
Comme nous venons déjà de le montrer, la mauvaise utilisation des termes du<br />
métalangage par les étudiants en français langue étrangère trouve de multiples<br />
explications. L’influence de la langue maternelle (le roumain) ou d’une autre langue<br />
115
étrangère (telle que l’angais) y est pour beaucoup. Il est vrai aussi que l’assimilation de<br />
la terminologie linguistique – en syntaxe, surtout - présente certaines difficultés : les<br />
nombreuses ressemblances qui existent entre le français et le roumain risquent souvent<br />
de masquer les différences, d’où les fautes interférentielles assez fréquentes que l’on<br />
peut constater. Dans d’autres cas, c’est l’analogie avec les formes existantes en français<br />
ou la confusion des paronymes qui joue. Des cas de lapsus calami (les plus rares, en<br />
fait) peuvent se présenter aussi.<br />
Les différents types de fautes dont nous venons de parler ne sont pas spécifiques<br />
pour le domaine de la linguistique, se retrouvant, dans l’interlangue des apprenants,<br />
dans l’utilisation des termes de la langue courante. Nous avons voulu souligner ici<br />
l’importance des termes du métalangage dans l’enseignement systématique et conscient<br />
du français : ces termes désignent des notions opératoires qui sont des repères essentiels<br />
de la pensée et du discours linguistique. C’est pourquoi l’emploi correct de ces<br />
structures (du point de vue de la forme et du sens) nous semble très important, et nous<br />
pensons qu’il devrait préoccuper davantage aussi bien les enseignants que les<br />
enseignés.<br />
116
LINGUISTIQUE CONTRASTIVE<br />
ET HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE :<br />
CONVERGENCES DÉCALÉES<br />
La linguistique contrastive met en évidence, dans le processus d’apprentissage<br />
d’une langue étrangère, une catégorie à part de fautes – de nature phonétique,<br />
grammaticale, lexicale, sémantique ou pragmatique – qui, étant dues à l’influence de la<br />
langue maternelle, sont appelées fautes interférentielles.<br />
Les fautes typiques commises par les apprenants du français ayant comme<br />
langue maternelle le roumain peuvent être classées en deux catégories : fautes<br />
absolues, consistant dans l’emploi de structures phoniques ou lexico-grammaticales<br />
inexistantes en français (ex. *contourer, pour tracer le contour, cf. roum. a contura ;<br />
*un proteste, pour une protestation, cf. roum. un protest, *assigurer pour assurer, cf.<br />
roum. a asigura) et fautes relatives, c’est-à-dire formes et structures qui existent en<br />
français, mais qui sont mal utilisées quant à leur sens (c’est ce qu’on appelle les faux<br />
amis ; ex. ajouter au lieu de aider, cf. roum. a ajuta), ou bien du point de vue du<br />
contexte syntaxique ou situationnel où elles sont intégrées (ex. l’emploi de la<br />
préposition en au lieu de de dans *vêtu en noir, pour vêtu de noir, cf. roum. îmbrăcat<br />
în negru ; ou encore l’emploi de l’énoncé *l’affichage est interdit, censé correspondre<br />
au roumain afişajul interzis, lŕ oů le français utilise le tour défense d’afficher). Dans<br />
tous les cas, le repčre en fonction duquel est porté le jugement d’acceptabilité est le<br />
français standard.<br />
On pourrait cependant nuancer les choses, en diversifiant les points de vue. Si<br />
l’on prend en considération la stratification du français contemporain (les niveaux de<br />
langue), on constate que certaines constructions qui, rapportées à la langue standard,<br />
apparaissent comme fautives, sont pourtant acceptables au niveau du français populaire<br />
ou familier. Ainsi les constructions avec si conditionnel, où la langue populaire emploie<br />
«assez souvent le conditionnel et parfois le futur» (Grevisse, 1986 :1686), exclus dans<br />
la langue standard, ex. :<br />
Si tu voudrais, on travaillerait ensemble.<br />
(Carco, in Grevisse :1686)<br />
(en français standard : Si tu voulais…). L’emploi, dans l’interlangue des apprenants<br />
roumains, du futur ou du conditionnel aprčs si conditionnel pourrait, éventuellement,<br />
117
apparaître comme un décalage dû à la non-adéquation au contexte situationnel ; en fait,<br />
les élèves ou les étudiants roumains qui utilisent cette construction n’ont sans doute pas<br />
la conscience de cette différence de registre.<br />
Outre cette stratification du français en synchronie, il serait intéressant<br />
d’envisager également une stratification en diachronie. On peut constater ainsi qu’un<br />
certains nombre des erreurs que les apprenants commettent en maniant la langue cible<br />
sont à considérer comme telles en synchronie, mais elles ne le sont pas en diachronie.<br />
Tout en apparaissant comme incorrectes dans la langue contemporaine, les formes et<br />
les structures en question étaient pourtant utilisées en tant que telles ŕ un moment donné<br />
de l’histoire du français (ancien français, moyen français ou français classique) ; elles<br />
sont disparues par la suite, pour céder la place à d’autres structures.<br />
Ceci est valable aussi bien pour les fautes internes (dues l’influence du systčme<br />
de la langue cible) que pour les fautes interférentielles (dues à l’influence de la langue<br />
base). Pour ce qui est des fautes internes, on peut relever certaines formes, incorrectes<br />
en français standard, qui s’expliquent par l’analogie avec d’autres éléments du système<br />
du français, et qui se trouvent coďncider avec des formes en usage à une certaine<br />
époque. Ainsi, le féminin pluriel *cettes roses (pour ces roses), formé à partir du<br />
singulier cette rose, rejoint le pluriel cestes roses de l’ancien français. Ou encore, la<br />
prononciation sans [r] final des infinitifs en -ir (ex. finir prononcé [fini] ou dormir -<br />
[dormi] ) renvoie au moyen français, période caractérisée par la chute généralisée des<br />
consonnes finales (y compris dans les infinitifs en -er, en -ir et en -oir), partiellement<br />
rétablies à partir du XVIIe siècle (pour les verbes du IIe et du IIIe groupes, mais non<br />
pas pour ceux du Ier groupe, en -er).<br />
Quant aux fautes interférentielles, dont nous nous occupons ici, nous allons citer<br />
un certain nombre de faits d’ordre lexical, mais surtout d’ordre grammatical. Il va de<br />
soi que nous ne pouvons nullement prétendre à l’exhaustivité, et ce n’est d’ailleurs pas<br />
notre propos.<br />
♦ La dérivation. Ex. le substantif *sériosité (rattaché à l’adjectif sérieux ; cf.<br />
roum. seriozitate, dérivé de serios), employé à la place de l’adjectif substantivé (le)<br />
sérieux. Ce mot était pourtant en usage en moyen français, étant proscrit comme<br />
archaïsme au XVIIe siècle.<br />
♦ Le genre des noms. Ex *la doute, pour le doute (cf. roum. îndoiala, nom<br />
féminin). Féminin en ancien français (cf. Greimas, Dictionnaire de l’ancien français),<br />
il l’est encore au XVIIe siècle lorsqu’il signifie «appréhension, soupçon» (Vaugelas le<br />
déclare masculin) :<br />
Ma doute n’est pas vaine.<br />
(Rotrou, in Dictionnaire du français classique)<br />
118
Quant au substantif épithète, employé fautivement au masculin par les<br />
apprenants (d’après le roum. un epitet), il connaissait au XVIIe siècle un emploi<br />
hésitant, pouvant être aussi bien masculin que féminin (cf. Dictionnaire du français<br />
classique).<br />
♦ L’absence d’article. Les exemples du type *Je mange pain (pour Je mange<br />
du pain, cf. roum. Mănânc pâine) ou *Il boit vin (pour Il boit du vin, roum. Bea vin)<br />
où l’article partitif manque, rappellent en fait les constructions de l’ancien français.<br />
L’article partitif «n’existe quasiment pas en a.fr. : boire vin, mangier pain» (Picoche<br />
& Marchello-Nizia, 1989 : 223), son usage moderne datant du moyen français. Le<br />
modèle syntaxique de l’ancien français se retrouve encore au XVIIe siècle ; dans les<br />
phrases ci-dessous on peut noter l’absence de l’article partitif devant l’objet direct :<br />
Je voulois gagner tems pour ménager ta vie.<br />
(Corneille, in Haase : 304)<br />
Je lui ai demandé instruction et il m’a jeté des pierres.<br />
(Guez de Balzac, in Haase : 304)<br />
♦ La construction de certains verbes. L’emploi transitif direct (incorrect<br />
aujourd’hui) du verbe pardonner (*pardonner qqn. au lieu de pardonner à qqn.)<br />
s’explique par l’emploi transitif du verbe correspondant du roumain (a ierta pe cineva).<br />
Pourtant cette construction était encore normale en français classique, à preuve<br />
l’exemple que voici :<br />
Dieu pardonne ceux qui y ont répandu cet esprit.<br />
(Mme de Maintenon, in Haase : 135)<br />
♦ La voix. Certains verbes ont changé d’emploi au cours de l’histoire du<br />
français, et leur utilisation fautive par les apprenants roumains rappelle précisément un<br />
état de langue révolu. Ainsi, le verbe craindre, que les élèves et les étudiants, sous<br />
l’influence du roumain a se teme, font souvent précéder du pronom réfléchi (*se<br />
craindre), était employé comme verbe pronominal en ancien français (cf. Condeescu,<br />
1973 : 108). Le verbe jouer devient, par analogie avec le roumain a se juca, se jouer,<br />
tout comme au XVIIe siècle :<br />
On n’est point capable de se jouer longtemps lorsqu’on a dans l’esprit une<br />
passion si sérieuse.<br />
(Molière, in Haase : 141)<br />
Inversement, le verbe s’évader, essentiellement pronominal en français<br />
moderne, est employé fautivement comme verbe non pronominal ; la forme *évader,<br />
due au modèle du roumain a evada, était cependant usuelle au XVIIe siècle, signifiant<br />
«partir, se sauver» :<br />
Nous nous amusons trop, il est temps d’évader.<br />
119
(Corneille, in Dictionnaire du français classique)<br />
♦ L’emploi des modes. Dans les subordonnées circonstancielles exprimant la<br />
concession, introduites par quoique ou bien que, on rencontre souvent l’indicatif au lieu<br />
du subjonctif, ce qui est dû à l’influence de la langue maternelle des apprenants. Ex.<br />
*quoiqu’il pleut, au lieu de quoiqu’il pleuve (cf. roum. deşi plouă). Cependant, on<br />
constate en français, surtout dans la langue parlée, mais aussi dans la langue écrite, la<br />
tendance à employer l’indicatif, qui exprime plus nettement la réalité d’un fait, comme<br />
dans l’exemple que voici :<br />
Bien que nous fûmes (…) très attentifs.<br />
(A.France, in Grevisse : 1679)<br />
L’hésitation entre indicatif et subjonctif était courante en français classique ; dans les<br />
textes du XVIIe siècle on rencontre très souvent l’indicatif, témoin l’exemple cidessous<br />
:<br />
Quoique (…) elle n’avoit pas mérité d’être flattée.<br />
(Bossuet, in Haase :195)<br />
♦ L’emploi des temps après si conditionnel. La construction, fautive par<br />
rapport à la langue standard, avec le futur (ex. *si j’aurai le temps au lieu de si j’ai le<br />
temps, cf. roum dacă voi avea timp) rappelle un emploi pareil – bien qu’assez rare –<br />
dans l’ancienne langue, sur le modèle du latin :<br />
Si je monterai el ciel, tu illuec iés ; si je descendrai en enfer, tu iés. «Si je monte<br />
au ciel, tu es là ; si je descends en enfer, tu y es présent.»<br />
(Psautier d’Oxford, in Anglade : 210)<br />
En voici un autre exemple datant du XVIe siècle :<br />
Si ce mien labeur sera si heureux que de vous contenter, à Dieu en soit la<br />
louange.<br />
(Amyot, in Grevisse : 1686)<br />
♦ La négation totale sans pas. Ex. *Tu ne dois partir, pour Tu ne dois pas<br />
partir, cf. roum Nu trebuie să pleci. Tout comme en roumain, l’ancien français ne<br />
connaissait, dans une première étape, que la construction – proche du latin – avec un<br />
seul formant (ne) :<br />
Et se ce fere ne volez. «Et si vous ne voulez pas faire cela.»<br />
(La Chastelaine de Vergi, in Raynaud de Lage : 127)<br />
Le deuxième élément de la négation, corrélatif de ne, ne s’est imposé que plus<br />
tard, la construction initiale avec ne seul ayant toutefois laissé des traces dans la langue<br />
soutenue (ex. Je n’ose sortir).<br />
120
♦ L’emploi du pronom personnel forme tonique. La construction fautive<br />
*il et sa femme (au lieu de lui et sa femme) s’explique par le modèle du roumain (el şi<br />
nevasta lui) ; le roumain ne fait pas de distinction entre formes toniques et atones, pour<br />
le pronom personnel sujet. Pourtant cette construction se retrouve en ancien français :<br />
Il et Rolanz el camp furent remes. «Lui et Roland furent laissés sur le champ de<br />
bataille.»<br />
(La Chanson de Roland, in Anglade : 161)<br />
♦ L’absence du pronom personnel sujet dans les constructions<br />
impersonnelles. Dans des exemples tel que *Est tard (pour Il est tard, cf. roum. E<br />
târziu) on rejoint la situation de l’ancien français. La vieille langue pouvait très bien se<br />
passer de la présence du sujet impersonnel il, devenu obligatoire en moyen français. En<br />
voici des exemples :<br />
Ne puet altre estre. «Il ne peut en être autrement.»<br />
(La Vie de Saint Alexis, in Anglade : 161)<br />
Quatre pedrons i at. «Il y a quatre perrons.»<br />
(La Chanson de Roland, in Anglade : 162)<br />
A comparer aussi avec les constructions impersonnelles sans il du français familier et<br />
populaire (ex. Faut dire que…) ou avec les structures figées, vestiges de l’ancienne<br />
langue (si bon vous semble).<br />
♦ L’ordre des mots (verbe – sujet) dans la phrase interrogative. La<br />
construction fautive *Est parti ton frère ? (pour Ton frère est-il parti ? ou, dans la<br />
langue courante et familière, Ton frère est parti ?) s’explique par l’analogie avec le<br />
roumain (A plecat fratele tău ?). On retrouve cependant le même modèle structural dans<br />
certaines phrases interrogatives de l’ancien français :<br />
Est morte m’amie ? « Mon amie est (-elle) morte ?<br />
(La Chastelaine de Vergi, in Skrélina : 167)<br />
♦ La place du pronom complément d’un infinitif qui est lui-même<br />
complément d’un verbe modal. Dans des exemples tels que *Je le peux faire ou *Cela<br />
se peut faire (pour : Je peux le faire et Cela peut se faire), les apprenants placent le<br />
pronom personnel ou réfléchi avant le verbe support de l’infinitif, ce qui s’explique par<br />
l’influence du roumain (O pot face, Asta se poate face). Ces tours coïncident avec un<br />
modèle syntaxique usuel en français classique :<br />
Il reste à dire sur quoi se peuvent être fondés (…) ceux qui l’ont condamné.<br />
(Vaugelas, in Haase : 418)<br />
On en retrouve d’ailleurs les traces dans les parlers régionaux et dans la langue littéraire<br />
(cf. Grevisse) :<br />
121
La blessure et la souffrance (…) ne se peuvent imaginer.<br />
(Audiberti, in Grevisse : 1050)<br />
♦ La construction sans préposition des adjectifs épithètes du pronom<br />
indéfini rien. Ex. *rien bon au lieu de rien de bon (cf. roum. nimic bun). Ce type de<br />
constructions était néanmoins possible encore au XVIIe siècle, témoin l’exemple que<br />
voici :<br />
Il n’est rien mauvais que ce qui n’est point honnête.<br />
(Malherbe, in Haase : 302)<br />
♦ L’emploi de l’adverbe tant devant un adjectif. Pour intensifier un adjectif<br />
les apprenants emploient parfois tant à la place de si (ex. *tant petit, pour si petit, cf.<br />
roum. atât de mic). En fait, tant a eu, jusqu’au XVIIIe siècle, des emplois plus larges<br />
qu’en français moderne, ex. tant heureux (Picoche & Marchello-Nizia : 288).<br />
♦ L’emploi des prépositions après certains adjectifs. Le complément de<br />
l’adjectif étranger se construit en français moderne avec la préposition à ; la<br />
construction avec de, qui constitue une faute interférentielle (* étranger de qch., cf.<br />
roum. străin de…), était cependant utilisée au XVIIe siècle, à preuve l’exemple cidessous<br />
:<br />
Notre foi exceptée dont malheureusement il est étranger.<br />
(Guez de Balzac, in Haase : 268)<br />
♦ La construction du complément d’agent. Sur le modèle du roumain, les<br />
apprenants construisent souvent le complément d’agent avec la préposition de au lieu<br />
de par (ex. *La lettre a été écrite de son fils ; cf. roum. Scrisoarea a fost scrisă de fiul<br />
său), ce qui n’est pas sans rappeler des emplois pareils qui étaient habituels en moyen<br />
français et en français classique, ex. :<br />
Le foible opprimé du puissant<br />
(Corneille, in Condeescu : 293),<br />
ainsi que certains emplois du même type qui subsistent en français moderne, tels que :<br />
il n’est obéi de personne ou abandonné de tous (Picoche & Marchello-Nizia, 1989 :<br />
272).<br />
♦ La construction de certains compléments circonstanciels. Ainsi, dans les<br />
circonstants temporels où l’on trouve le relateur de à la place de depuis (ex. *Il est ici<br />
de trois jours, pour …depuis trois jours), on peut reconnaître l’influence du roumain<br />
(de trei zile). Cependant on rencontre des exemples de ce type depuis l’ancien français<br />
(ex. de grand pièce signifiant «depuis longtemps», in Anglade, 1973 : 229) et jusqu’en<br />
français classique :<br />
Mon fils et sa femme sont à R. de lundi.<br />
122
(Mme de Sévigné, in Haase : 271)<br />
En examinant les formes et les constructions qui, aujourd’hui, constituent des<br />
fautes interférentielles appartenant à l’interlangue des apprenants roumains - dues,<br />
précisément, à l’influence de leur langue maternelle -, mais qui, pendant telle ou telle<br />
période de l’histoire du français, étaient parfaitement correctes et usuelles, on peut<br />
remarquer que l’on a affaire à des exemples d’une assez grande diversité, mettant en<br />
cause plusieurs compartiments de la langue, tout particulièrement le système<br />
grammatical. Il ne s’agit pourtant pas d’un ensemble vraiment systématique, mais<br />
plutôt d’un certain nombre de faits ponctuels.<br />
Les structures en question, inacceptables de nos jours, répondent à des modèles<br />
que le français a effectivement utilisés et qu’il a abandonnés au cours de son histoire, le<br />
changement de l’usage étant généralement précédé d’hésitations entre deux formes<br />
parallèles et concurrentes. Il est d’ailleurs intéressant de constater que certaines de ces<br />
constructions coïncident non seulement avec des survivances de l’ancienne langue,<br />
mais aussi avec des tendances de la langue actuelle.<br />
Les correspondances que nous venons de relever entre des faits de langue du<br />
roumain, d’une part, et des structures appartenant à différentes étapes de l’histoire du<br />
français, d’autre part, constituent ce que nous appellerons des convergences décalées.<br />
À partir de là, on pourrait envisager d’élargir le champ de la linguistique contrastive,<br />
certaines des fautes dues à des divergences en synchronie pouvant être considérées<br />
comme des fautes relatives dans l’ordre de la diachronie.<br />
Cette rencontre entre synchronie et diachronie nous amène à souligner l’aide<br />
que l’histoire de la langue peut apporter dans l’enseignement du français langue<br />
étrangère à l’université, permettant d’expliquer non seulement les formes et les<br />
structures existantes dans la langue actuelle, mais aussi certaines formes et<br />
constructions fautives, identifiées en tant que telles en synchronie, par rapport au<br />
français standard.<br />
On peut affirmer que ces convergences décalées entre le français et le roumain<br />
correspondent à des prototypes virtuels des langues romanes ; c’est là, pensons-nous,<br />
une question qui présente un intérêt tout particulier pour la linguistique romane.<br />
123
CONCLUSION<br />
Nous avons proposé, dans ce livre, une incursion dans le domaine de la<br />
linguistique contrastive, centrée autour de plusieurs types de lexèmes et de structures<br />
grammaticales du français et du roumain, que nous avons jugés significatifs pour ce<br />
genre de problématique.<br />
Visant avant tout un but pratique, nous avons mis en rapport divers éléments<br />
appartenant aux deux langues en présence, pour constituer des ensembles de structures<br />
traductionnelles. Les équivalences entre le roumain et le français ont été établies en<br />
fonction de plusieurs facteurs : la structure sémantique des lexèmes en cause, le<br />
contexte syntagmatique, les contraintes imposées par la langue cible, ainsi que certains<br />
facteurs constitutifs de la situation d’énonciation. Nous avons laissé de côté les<br />
équivalences hors contexte, de type lexicographique, en insistant sur les équivalences<br />
contextuelles : l’essentiel, croyons-nous, c’est d’essayer de surprendre, autant que<br />
possible, la complexité et le dynamisme des structures linguistiques dans leur<br />
fonctionnement réel.<br />
Il va de soi que, vu la diversité des nuances et des situations linguistiques<br />
possibles, les solutions traductionnelles que nous avons présentées ici ne doivent pas<br />
être considérées comme absolues ou obligatoires : elles sont, sans doute, perfectibles, et<br />
elles laissent la place au libre choix du traducteur. La traduction n’est pas toujours<br />
capable de rendre toute la richesse des nuances et tout le spécifique de la langue source;<br />
malgré tout, elle reste possible, puisque la langue dispose presque toujours de moyens<br />
permettant de réaliser des compensations textuelles.<br />
L’analyse contrastive apporte toujours de nouvelles lumières sur chacune des<br />
langues prises en considération, stimulant la réflexion linguistique, quelle que soit la<br />
perspective théorique que l’on adopte et quel que soit le vecteur de traduction choisi. Il<br />
faut souligner le fait que l’analyse contrastive et son corollaire, la traduction, mettent en<br />
jeu l’ensemble des domaines de la linguistique : sémantique, syntaxe et pragmatique se<br />
rencontrent ici de la façon la plus heureuse.<br />
Nous avons insisté, de façon plus ou moins explicite, sur plusieurs types de<br />
divergences entre les deux langues envisagées, divergences qui se situent souvent<br />
uniquement sur le plan de l’expression ; pourtant la diversité des moyens d’expressions<br />
cache souvent des convergences sur le plan conceptuel. L’analyse des fautes<br />
124
interférentielles commises par les apprenants vient compléter et illustrer l’étude<br />
contrastive, dont la vocation première est, précisément, la didactique.<br />
Nous avons précisé, plus d’une fois, que l’information présentée dans les<br />
dictionnaires bilingues est souvent (par la force de choses, il faut le dire) incomplète,<br />
peu nuancée et parfois même peu systématique. Les études que nous avons réunies ici<br />
pourraient donc, d’une part, fournir les éléments nécessaires en vue d’une présentation<br />
lexicographique plus rigoureuse des correspondances entre le français et le roumain<br />
(pour les lexèmes envisagés ici) et, d’autre part, constituer un complément du<br />
dictionnaire bilingue, en présentant des répertoires de structures traductionnelles qui<br />
pourraient être des fragments d’une grammaire de la traduction, instrument utile à la<br />
fois pour les apprenants et pour les traducteurs.<br />
125
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Dictionnaire roumain-français (direction : T. Cristea, A. Cuniţă, V. Vişan), Editura<br />
Babel, Bucarest – Éditions L’Harmattan, Paris, 1992.<br />
Dicţionar francez-român, Editura Ştiinţifică, Bucarest, 1967.<br />
HANEŞ, Gheorghina, Dicţionar francez-român şi român-francez, Editura ştiinţifică şi<br />
enciclopedică, Bucarest, 1981.<br />
CHRISTODORESCU, A.-M., KAHANE, Z. & BALMUŞ, E., Dicţionar românfrancez,<br />
3e éd. revue, Editura Mondero, Bucarest, 1992.<br />
SLĂVESCU, M., MIHĂESCU-CÎRSTEANU, S. & GIROVEANU, I., Dicţionar<br />
francez-român, Editura Mondero, Bucarest, 1992.<br />
130
Avant-propos<br />
SOMMAIRE<br />
Chapitre 1<br />
♦ La préposition depuis : possibilités de transposition en roumain<br />
♦ La préposition dès et ses équivalents en roumain<br />
♦ Là - marque de l’énonciation et ses équivalents en roumain<br />
♦ Les périphrases verbales aspectuelles du français et leurs équivalents en roumain<br />
Chapitre 2<br />
♦ Les pronoms relatifs – étude contrastive (roumain-français)<br />
♦ Equivalences françaises du mode « présomptif» du roumain<br />
♦ L’infinitif long du roumain et ses équivalents en français<br />
♦ La préposition întru du roumain et ses équivalents en français<br />
Chapitre 3<br />
♦ Sur quelques mauvais usages de la terminologie linguistique française chez les<br />
apprenants roumains<br />
♦ Linguistique contrastive et histoire de la langue française: convergences décalées<br />
Conclusion générale<br />
Bibliographie<br />
131