Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — conséquence d'une erreur de jugement dont la cause n'est pas la méchanceté mais seulement l'incompréhension, la méconnaissance. Il appuie sa théorie par une phrase monumentale que je me dois de retranscrire : qu'aimer… - C'est l'ignorance qui nous conduit à faire de la peine, celui qui sait ne peut Il dit cela en toute simplicité et inspire un profond respect à l'auditoire de fortune que nous représentons. A présent, je sais que je vais pouvoir tout lui dire, tout lui raconter ; sa tolérance est le gage d'un grand "savoir", ne vient-il pas de l'exprimer ? Il va être enrichissant de prendre acte de son interprétation, surtout qu'il a déjà "vu", voire "compris", comme l'ont laissé filtrer ses réactions à la suite du maniement d'armes et des vitres brisées. Ce triste épisode passé, le quotidien a repris son cours et je me sens de moins en moins concerné par cette vie médiocre ; Philippe a beau dire que notre vie de bidasse va prendre une autre tournure, les "classes" se terminant, il reste encore une semaine avant que nous soit désignée notre prochaine affectation. Déjà nous savons que la plupart d'entre nous vont s'en aller grossir les rangs des forces françaises en Allemagne, et cette éventualité est loin de recueillir mes faveurs. Heureusement, je me rattache au courrier que j'envoie ou reçois et aux colis que nous partageons, le soir entre copains, avant "l'extinction des feux". Ce matin, nous avons été avertis que nous devrons nous livrer à une marche de nuit, agrémentée d'un "parcours du silence", dans les quarante-huit heures à venir. Il nous faut nous tenir prêts. A la sortie du réfectoire, la chose s'est précisée : c'est pour ce soir vingt et une heures. Nous nous retrouvons tous en treillis, barda sur le dos, fusil sur l'épaule, sauf moi (pour la raison que vous savez) à qui l'on a confié une mallette métallique : la trousse à pharmacie. Il est procédé à un appel et nous voilà partis dans l'obscurité et le froid. A l'avant, une Jeep nous précède, roulant au pas, à l'arrière, une ambulance ferme la marche. De temps à autre, des Jeeps remontent la colonne, attendent en bordure de route, nous éclairant au passage, puis nous doublent de nouveau une fois le dernier homme passé. La marche est relativement rapide, elle a le don de nous réchauffer. Celle-ci durera deux bonnes heures, entre deux allées de sapins qui laissent penser à des fantômes sous leur manteau de - 78 -

— L'Initiation — neige. Le martèlement de nos pas sur le bitume ne suffit pas à étouffer le ululement des oiseaux de nuit que nous dérangeons dans leur intimité. Un ordre strict jaillit de la gorge de l'aspirant : - Compagnie, halte ! Certains, le souffle court, parlent avec une certaine anxiété du retour, mais sont vite ramenés au silence par la voix grave du capitaine, en personne, qui nous explique ce qu'il attend de nous. Il va s'agir de pénétrer dans le bois et d'effectuer un parcours spécialement aménagé, en rampant sous des rouleaux de barbelés auxquels sont suspendus des morceaux de ferraille, et ce, le plus rapidement possible (chronomètre à l'appui) et surtout sans bruit. D'où la judicieuse appellation de "parcours du silence". Les rouleaux se développent sur deux cents mètres environ, et en y prenant bien garde, on doit pouvoir passer relativement facilement sans faire tinter les "colifichets" suspendus au- dessus de nos têtes. Ce qui est plus désagréable, c'est qu'il va falloir ramper dans la neige sale, autrement dit dans la boue. Mais nous n'en sommes pas à une absurdité près ; d'ailleurs, il n'y a pas lieu de nous inquiéter puisque notre vieille connaissance d'adjudant, en veine d'humour, a cru bon de devoir ajouter que les bains de boue étaient un excellent remède contre les rhumatismes. Il ne fait aucun doute que cet indésirable personnage va avoir un œil spécialement posé sur ceux qui lui ont manifesté quelque antipathie d'une manière plus ou moins déguisée, et dont je me prétends. Eh bien, ne le décevons pas ! Jusqu'à la lune qui a voulu être de la fête et qui sera l'un des éclairagistes de service au spectacle que nous nous apprêtons à donner. Spectacle qui aurait pu s'intituler "Lumière sans son" et qui s'avérera être un "son sans lumière"... Mais il me faut d'abord vous procurer quelques précisions quant à la stratégie employée pour mener à bien un tel exercice. A l’une des extrémités du rouleau de fil de fer barbelé, un projecteur et son manipulateur sont juchés sur une Jeep. Aux côtés de "l’éclairagiste", opère un "radio" qui transmet à son vis-à-vis, placé à l'autre bout, sur une autre Jeep illuminée d’identique manière, - 79 -

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conséquence d'une erreur de jugement dont la cause n'est pas la méchanceté mais seulement<br />

l'incompréhension, la méconnaissance. Il appuie sa théorie par une phrase monumentale que je<br />

me dois de retranscrire :<br />

qu'aimer…<br />

- C'est l'ignorance qui nous conduit à faire de la peine, celui qui sait ne peut<br />

Il dit cela en toute simplicité et inspire un profond respect à l'auditoire de fortune que<br />

nous représentons. A présent, je sais que je vais pouvoir tout lui dire, tout lui raconter ; sa<br />

tolérance est le gage d'un grand "savoir", ne vient-il pas de l'exprimer ? Il va être enrichissant<br />

de prendre acte de son interprétation, surtout qu'il a déjà "vu", voire "compris", comme l'ont<br />

laissé filtrer ses réactions à la suite du maniement d'armes et des vitres brisées.<br />

Ce triste épisode passé, le quotidien a repris son cours et je me sens de moins en moins<br />

concerné par cette vie médiocre ; Philippe a beau dire que notre vie de bidasse va prendre une<br />

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désignée notre prochaine affectation. Déjà nous savons que la plupart d'entre nous vont s'en<br />

aller grossir les rangs des forces françaises en Allemagne, et cette éventualité est loin de<br />

recueillir mes faveurs. Heureusement, je me rattache au courrier que j'envoie ou reçois et aux<br />

colis que nous partageons, le soir entre copains, avant "l'extinction des feux".<br />

Ce matin, nous avons été avertis que nous devrons nous livrer à une marche de nuit,<br />

agrémentée d'un "parcours du silence", dans les quarante-huit heures à venir. Il nous faut nous<br />

tenir prêts.<br />

A la sortie du réfectoire, la chose s'est précisée : c'est pour ce soir vingt et une heures.<br />

Nous nous retrouvons tous en treillis, barda sur le dos, fusil sur l'épaule, sauf moi (pour<br />

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est procédé à un appel et nous voilà partis dans l'obscurité et le froid.<br />

A l'avant, une Jeep nous précède, roulant au pas, à l'arrière, une ambulance ferme la<br />

marche. De temps à autre, des Jeeps remontent la colonne, attendent en bordure de route, nous<br />

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marche est relativement rapide, elle a le don de nous réchauffer. Celle-ci durera deux bonnes<br />

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