Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — - Cela est en liaison avec ce qui t'est survenu à l'occasion du maniement d'armes... Il y a du Jacques Warnier et du Pascal Petrucci chez ce Mikaël-là, et je brûle d'envie de tout lui dire, sur-le-champ. Sans doute a-t-il perçu mon intention mal maîtrisée, toujours est-il qu'il diffère lui-même l'épanchement de mes confidences en ces termes : - Nous aurons l'occasion de causer de tout cela ultérieurement car il est acquis que nous n'en resterons pas là, loin s'en faut. Cette remarque me donna à penser fugitivement qu'il pouvait faire partie de l'Organisation Magnifique (conditionnement, quand tu nous tiens !). C'est vingt ans plus tard que me sera définie, en des termes d'une rarissime éloquence, l'importance fondamentale du rôle que ce garçon, exceptionnel, sut tenir dans l'existence qu'il m'a été donné de mener ici-bas. Je ne manquerai pas de vous soumettre cette pertinente et émouvante analyse, en temps voulu. Pour l'heure, nous nous confinerons à la chronologie de ce qu'il advint, lors de ce mois de mars 1968, et à ce qui s'ensuivit. Le calendrier atteste que nous venons de sortir de l'hiver ; toutefois ceci ne laisse nullement transparaître la prochaine éclosion d'un quelconque bourgeon. Effectivement, si la neige n’adhère plus sur les tuiles et les différentes allées de la caserne, elle fait toujours partie du décor, s'attardant sur les immenses sentinelles impassibles auxquelles donnent à penser les sapins alentour. Qu'ils sont loin mes pins maritimes ! Que ne donnerais-je pas pour en voir apparaître un ? Pin parasol de préférence… comme l'a si joliment su écrire Georges Brassens. Ce matin, premier jour du printemps, nous avons eu droit à une séance de vaccination et nous nous trouvons tous consignés, à attendre, auprès de nos lits, une "revue de détail", c'est-à-dire un contrôle en règle de nos affaires, de nos armoires et bien évidemment de la chambre elle- même. L'adjudant, responsable de l'inspection, semble de mauvais poil et il ne tarde pas à le manifester. Ayant répandu sur le sol le contenu de quelques armoires, mal rangées à son goût, il n'hésite pas à projeter la guitare de Mikaël au beau milieu de la pièce, invitant celui-ci à la ramasser. Devant le refus symbolisé par l'immobilité de mon camarade, le sous-officier, dont je soupçonne le bon sens atténué par l'effet de quelque boisson alcoolisée mal dissipé, se permet d'envoyer un grand coup de pied dans l'instrument. En dépit du fait que ce dernier soit demeuré dans sa housse de protection, nous pouvons en imaginer sans peine l'état au vu d’un tel - 76 -

— L'Initiation — traitement. Les cordes de la guitare ont vibré, comme pour laisser échapper une plainte n'arrachant à Mikaël que cette seule phrase : - La musique est destinée à adoucir les mœurs, sans doute ne le saviez-vous pas… Cette réflexion, fort à propos, lui coûte une semaine de corvées diverses. Dans les minutes qui suivent, je me vois attribuer, sans raison, une corvée dite "corvée d'abords" (ramassage des mégots et autres immondices pouvant joncher les abords des bâtiments). Cette mesure empreinte de sollicitude a sûrement pris sa source dans le fait que Mikaël est mon ami et que, environ quinze jours auparavant, j'ai été exempté de certains services. Ceci m'octroie notamment le privilège de n'avoir pratiquement jamais affaire à ce grossier personnage d'adjudant, lequel m'identifie sans nul doute à un tire-au-flanc, ce qui est tout à fait son droit. Justement, en matière de droit, je m'accorde illico celui de sourire et d'échanger un clin d'œil avec Mikaël Calvin lorsque ce "triste sire" de sous-officier s'allonge de tout son long sur le parquet, après avoir heurté, non innocemment, la guitare ou plus exactement ce qu'il en reste. Il ne faut pas se leurrer, le pauvre instrument est dans un piteux état : une fois extrait de sa housse, il présente un aspect qui laisse envisager l'irrémédiable ; la caisse est crevée à un endroit et profondément fendue à d'autres, le manche, auquel certaines cordes ne tiennent plus, est vilainement écaillé. Bref, seul un luthier de grand talent peut espérer remettre décemment en état cette guitare, et il est plus que probable, comme le souligne Mikaël avec sa grande lucidité, que jamais ne se retrouvera, quoi que l'on fasse, la sonorité d'origine de l'instrument. Conséquemment à ce qui vient de se produire, le climat de la chambrée a viré à l'orage : chacun est outré par tant de cruauté, de sauvagerie. Pour ma part, je demeure prostré au pied de mon lit et en viens à rêver de posséder les moyens surnaturels de ceux auxquels je dois de vivre tout ce que j'ai pu raconter dans les chapitres qui précèdent. Que j'aimerais, en ces instants, plonger dans l'inquiétude et la peur ceux qui bafouent la justice, ceux qui entretiennent l'iniquité et se complaisent dans l'irrespect de leur prochain ! Une lame de rasoir par-ci, un tube de néon par-là !... Mais Mikaël me réveille de ma torpeur, sa voix apaisante calme tout le monde, et je trouve sa dignité grandiose dans le malheur. Son regard est plus transparent que jamais, son langage, dépourvu de toute haine, répand une force qui endigue toute colère, toute rancœur. Il parle de pardon sans jamais prononcer le mot, il interprète ce geste comme étant la - 77 -

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traitement. Les cordes de la guitare ont vibré, comme pour laisser échapper une plainte<br />

n'arrachant à Mikaël que cette seule phrase :<br />

- La musique est destinée à adoucir les mœurs, sans doute ne le saviez-vous pas…<br />

Cette réflexion, fort à propos, lui coûte une semaine de corvées diverses. Dans les<br />

minutes qui suivent, je me vois attribuer, sans raison, une corvée dite "corvée d'abords"<br />

(ramassage des mégots et autres immondices pouvant joncher les abords des bâtiments). Cette<br />

mesure empreinte de sollicitude a sûrement pris sa source dans le fait que Mikaël est mon ami<br />

et que, environ quinze jours auparavant, j'ai été exempté de certains services. Ceci m'octroie<br />

notamment le privilège de n'avoir pratiquement jamais affaire à ce grossier personnage<br />

d'adjudant, lequel m'identifie sans nul doute à un tire-au-flanc, ce qui est tout à fait son droit.<br />

Justement, en matière de droit, je m'accorde illico celui de sourire et d'échanger un clin d'œil<br />

avec Mikaël Calvin lorsque ce "triste sire" de sous-officier s'allonge de tout son long sur le<br />

parquet, après avoir heurté, non innocemment, la guitare ou plus exactement ce qu'il en reste.<br />

Il ne faut pas se leurrer, le pauvre instrument est dans un piteux état : une fois extrait de sa<br />

housse, il présente un aspect qui laisse envisager l'irrémédiable ; la caisse est crevée à un<br />

endroit et profondément fendue à d'autres, le manche, auquel certaines cordes ne tiennent plus,<br />

est vilainement écaillé. Bref, seul un luthier de grand talent peut espérer remettre décemment<br />

en état cette guitare, et il est plus que probable, comme le souligne Mikaël avec sa grande<br />

lucidité, que jamais ne se retrouvera, quoi que l'on fasse, la sonorité d'origine de l'instrument.<br />

Conséquemment à ce qui vient de se produire, le climat de la chambrée a viré à l'orage :<br />

chacun est outré par tant de cruauté, de sauvagerie. Pour ma part, je demeure prostré au pied<br />

de mon lit et en viens à rêver de posséder les moyens surnaturels de ceux auxquels je dois de<br />

vivre tout ce que j'ai pu raconter dans les chapitres qui précèdent. Que j'aimerais, en ces<br />

instants, plonger dans l'inquiétude et la peur ceux qui bafouent la justice, ceux qui entretiennent<br />

l'iniquité et se complaisent dans l'irrespect de leur prochain ! Une lame de rasoir par-ci, un tube<br />

de néon par-là !... Mais Mikaël me réveille de ma torpeur, sa voix apaisante calme tout le<br />

monde, et je trouve sa dignité grandiose dans le malheur. Son regard est plus transparent que<br />

jamais, son langage, dépourvu de toute haine, répand une force qui endigue toute colère, toute<br />

rancœur. Il parle de pardon sans jamais prononcer le mot, il interprète ce geste comme étant la<br />

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