Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — groupes, aller chercher chez le fourrier. Le tout après nous être changés, plus exactement mis en "tenue de combat" ou treillis. Il nous est également intimement recommandé de nous rendre chez le coiffeur du régiment, en alternance, pour ne pas nous gêner dans nos évolutions et ne pas embouteiller "magasin", chambres et "salon de coiffure (!)"… Tous ces va-et-vient ont pour effet majeur de faire passer le temps à la vitesse grand V. C'est une véritable effervescence qui règne entre et dans les baraquements ; vus d'en haut, nous devons faire penser à une fourmilière. Il doit être un peu plus de dix-sept heures lorsque je sors de chez le coiffeur. Il serait plus exact, je pense, de dire le "tondeur". Car le bougre ne se sert pour ainsi dire que d'un seul instrument : la tondeuse. D'ailleurs nous ne ressortons d'entre ses mains que vaguement ressemblants à ce que nous étions avant d'avoir bénéficié de ses services. Ceci tendant peut-être à expliquer cela. Dix-huit heures : dernier rassemblement de la journée pour nous rendre au réfectoire et prendre le repas du soir. Nous regagnons alors nos chambres où trois d'entre nous se retrouvent corvéables, devant aller chercher du charbon pour alimenter le chauffage. L'extinction des feux survint à vingt-deux heures, je repensai alors longtemps à tous ceux que j'avais quittés, et il me tardait d'être au lendemain pour pouvoir expédier mon premier courrier. Celui-ci avait été rédigé à la hâte, assis sur mon lit, après le dîner, pendant que d'autres avaient préféré terminer la soirée en se rendant au "foyer", bâtiment situé au centre de la caserne, faisant office de lieu de rencontre, bar, salle de jeux et boutique de souvenirs. Le réveil, sans être foncièrement brutal, fut pour le moins sonore, à défaut d'être musical comme semblaient vouloir le laisser entendre les quelques notes qu'avait cru bon devoir nous dispenser un préposé au clairon. Mais n'en avais-je pas été averti, quelques années auparavant, par Jacques Brel, lequel prétendait dans une de ses chansons (et à juste titre d'ailleurs) qu'un clairon est une trompette en uniforme ? Toujours est-il que chacun s'activa pour éviter d'arriver le dernier au premier rassemblement de la journée, la chose se voulant sanctionnée par une corvée dont je tairai ici l'appellation. Petit déjeuner, toilette, lever des couleurs, gymnastique et instruction militaire me laissèrent tout juste le temps d'expédier mes premières lettres écrites la veille. - 70 -

— L'Initiation — Le repas de midi terminé, je ressentis le besoin de marcher, histoire de faire un peu plus ample connaissance avec les lieux. Deux garçons m'emboîtèrent le pas, ils avaient laissé filtrer quelques petits rayons de soleil en échangeant divers propos dont la couleur tranchait avec la couleur locale, quelques fins de syllabes traînant le pas, comme cela sait se faire dès que l'on se retrouve quelque part en dessous de Valence. Sans m'identifier, comme pouvaient le faire quelquefois mes parents (à l'instar de nombreux rapatriés d'Afrique du Nord), à un "déraciné", j'étais à même d'accepter qu'en certaines circonstances on pût s'attacher à un souvenir en fonction d'un critère aussi subjectif que celui des racines géographiques. C'est donc avec plaisir que j'accomplis ma petite balade en compagnie de deux Méridionaux bon teint : un Montpelliérain prénommé Philippe et surtout Mikaël Calvin, un enfant de cette "cité des violettes" que nous chante si bien Claude Nougaro. Philippe est un grand gaillard amène, très gestuel, qui semble prendre tout du bon côté, bien qu'il admette volontiers qu'il se trouve sous les drapeaux parce qu'on l'y a envoyé. Il sera mon voisin de chambrée durant tout mon séjour à Epinal. Mikaël, lui, s'élève, tout au plus, à un mètre soixante-cinq du sol. Il s'est fait remarquer dès notre arrivée au "corps" du fait qu'il transbahutait avec lui une superbe guitare "douze cordes" avec laquelle il avait su charmer nos oreilles, alors que nous attendions dans le hall de la gare d'Epinal. Il parle peu, mais ses yeux, d'un bleu limpide, "chantent" une mélodie qui semble ne jamais devoir se terminer. Il affiche un sourire que je qualifierai de timide. De toute évidence, c'est un garçon réservé, mais quelque chose émane de sa personne qui laisse transparaître une intelligence indéniable. Lui non plus ne se réjouit pas de se trouver là, mais il manifeste une approche incontestablement plus critique de la vie militaire que Philippe. Je crois déceler en ses propos, qu'il épanche calmement, une aversion totale à l'égard des contraintes que nous impose notre mode de vie. Il est vrai que nous sommes en mars 1968 et que "l'air du temps" se prête à ce genre de réaction. De nos jours, les observateurs diraient que Mikaël Calvin faisait partie de "la vague hippie". Pour ma part, je puis avancer, aujourd'hui, sans crainte de me tromper, que des - 71 -

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Le repas de midi terminé, je ressentis le besoin de marcher, histoire de faire un peu plus<br />

ample connaissance avec les lieux. Deux garçons m'emboîtèrent le pas, ils avaient laissé filtrer<br />

quelques petits rayons de soleil en échangeant divers propos dont la couleur tranchait avec la<br />

couleur locale, quelques fins de syllabes traînant le pas, comme cela sait se faire dès que l'on se<br />

retrouve quelque part en dessous de Valence. Sans m'identifier, comme pouvaient le faire<br />

quelquefois mes parents (à l'instar de nombreux rapatriés d'Afrique du Nord), à un "déraciné",<br />

j'étais à même d'accepter qu'en certaines circonstances on pût s'attacher à un souvenir en<br />

fonction d'un critère aussi subjectif que celui des racines géographiques.<br />

C'est donc avec plaisir que j'accomplis ma petite balade en compagnie de deux<br />

Méridionaux bon teint : un Montpelliérain prénommé Philippe et surtout Mikaël Calvin, un<br />

enfant de cette "cité des violettes" que nous chante si bien Claude Nougaro.<br />

Philippe est un grand gaillard amène, très gestuel, qui semble prendre tout du bon côté,<br />

bien qu'il admette volontiers qu'il se trouve sous les drapeaux parce qu'on l'y a envoyé. Il sera<br />

mon voisin de chambrée durant tout mon séjour à Epinal.<br />

Mikaël, lui, s'élève, tout au plus, à un mètre soixante-cinq du sol. Il s'est fait remarquer<br />

dès notre arrivée au "corps" du fait qu'il transbahutait avec lui une superbe guitare "douze<br />

cordes" avec laquelle il avait su charmer nos oreilles, alors que nous attendions dans le hall de<br />

la gare d'Epinal. Il parle peu, mais ses yeux, d'un bleu limpide, "chantent" une mélodie qui<br />

semble ne jamais devoir se terminer. Il affiche un sourire que je qualifierai de timide. De toute<br />

évidence, c'est un garçon réservé, mais quelque chose émane de sa personne qui laisse<br />

transparaître une intelligence indéniable.<br />

Lui non plus ne se réjouit pas de se trouver là, mais il manifeste une approche<br />

incontestablement plus critique de la vie militaire que Philippe. Je crois déceler en ses propos,<br />

qu'il épanche calmement, une aversion totale à l'égard des contraintes que nous impose notre<br />

mode de vie.<br />

Il est vrai que nous sommes en mars 1968 et que "l'air du temps" se prête à ce genre de<br />

réaction. De nos jours, les observateurs diraient que Mikaël Calvin faisait partie de "la vague<br />

hippie".<br />

Pour ma part, je puis avancer, aujourd'hui, sans crainte de me tromper, que des<br />

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