Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — Bien que tenaillé par l'angoisse de devoir partir jouer au "petit soldat" dans les dix jours qui viennent, je ressens une indicible impression de bien-être, je me sens comme blanchi, innocenté de quelque méfait que je n'aurais pas commis, mais dont je serais quelque part responsable : non, je n'ai pas "menti" et, par la même occasion, je sais que mes amis, ayant divulgué le triomphe de Killy avant l'heure, vont se trouver revalorisés par tous ceux qui savent. Tous ceux qui ont eu vent de l'affaire du 17 février grâce à eux. Nous allons enfin être reconnus ! Comme j'aimerais me rendre à Marseille et voir la mine de tous les Saint Jean Bouche-d'Or qui nous avaient tant décriés ! Mais je n'en aurai pas le loisir, une bronchite me gardera au lit jusqu'à l'avant-veille de mon départ sous les drapeaux. Tout juste pourrai-je téléphoner à mes amis pour savourer ce que nous pouvions baptiser "notre victoire". Mais déjà le quai de la gare de Toulon s'éloigne au bruit des roues du convoi qui, lentement mais sûrement, va rejoindre Epinal où un régiment dit de "transmissions" m'attend. Il est vingt et une heures, nuit et humidité enveloppent mon père à qui j'adresse, de la fenêtre du compartiment que j'occupe, un geste de la main qui ressemble à s'y méprendre à celui que nous échangeâmes quelques mois auparavant, lors de notre première séparation. Ma mère, elle, a préféré rester dans la voiture pour ne pas avoir à exprimer publiquement des effusions toujours déplaisantes dans ces moments-là. Perdu dans mes pensées, je remarque à peine que le wagon est bondé de jeunes gens de mon âge, recrutés eux aussi pour la bonne cause de la défense de notre beau pays. Nous roulons toute la nuit, oubliant sur notre passage des lumières et des gares qu'il est possible de distinguer en effaçant la buée des vitres qui, au fur et à mesure que nous nous rapprochons du but, se trouvent flagellées par une pluie discontinue. Le petit jour congédie peu à peu l'arrière- garde de la nuit et installe un pâle soleil timide, tandis que le train perd de la vitesse. Certains de mes compagnons de voyage émergent d'un sommeil profond, cela sent l'arrivée prochaine. Il semble que le froid traverse la tôle des wagons mais cela tient au fait que nous nous sommes plus ou moins engourdis, étant restés assis près de dix heures, pratiquement sans bouger. Nous sommes accueillis à la gare d'Epinal par un officier et quelques sous-officiers qui - 66 -

— L'Initiation — nous conduisent dans le hall où il est procédé à un recensement des appelés. L'opération dure une petite demi-heure mais l'attente, elle, se prolonge car d'autres conscrits doivent arriver par d'autres trains. C'est vers dix heures que, par une température avoisinant les cinq degrés au- dessous de zéro, les quelques dizaines de nouvelles recrues, dont je fais partie, prennent place dans les peu confortables camions militaires destinés à nous conduire au casernement. Durant le parcours, je constate que nous croisons beaucoup de soldats et j'apprends que la ville abrite plusieurs corps d'armée ; cela n'est pas sans me rappeler mon enfance où les rues d'Alger se trouvaient sillonnées par nombre de véhicules militaires. Rien ne manque au décor, pas même les patrouilles de la police militaire ; à quelques nuances près, je trouve qu'une ville de garnison ressemble assez à une ville en état de siège. Et cela n'est pas de nature à m'enthousiasmer, n'ayant jamais eu trop d'affinités avec tout ce qui "fleurait" la guerre et ses dérivés. La caserne dans laquelle je suis affecté paraît immense. Une fois passé le portail, le convoi se disloque, les camions restituent leur chargement et nous répondons, debout, valises aux pieds, à un nouvel appel destiné non pas à prouver que personne ne s'est perdu depuis la gare, mais à nous affilier à une section d'après des critères qui m'échappent totalement. J'apprends ainsi que je suis devenu le "transmetteur" Jean-Claude Pantel et que je dois toujours me présenter comme tel. Nous sommes ensuite conduits, en rang par quatre, dans une sorte de grande salle de classe où il nous est dit ce que l'on attend de nous. Ainsi nous sont remises deux ou trois feuilles de papier sur lesquelles nous prenons des notes : noms et grades des officiers et sous-officiers prévus pour notre encadrement, adresse où nous devons nous faire expédier courrier et colis et, bien évidemment, la nature de nos activités. Il semble que le premier mois nous "octroiera" force corvées et manipulations d'armes. Lever à six heures, petit déjeuner, éducation physique militaire obligatoire, avec notamment beaucoup de course à pied (ce qui n'est pas pour me déplaire), et puis, selon les semaines, marches de nuit ou "parcours du silence" (?). Selon les termes de l'officier (un aspirant, à ce qu'il paraît), il s'agira là d'une période d'enseignement destinée à nous faire rompre avec nos habitudes, période peu plaisante mais nécessaire appelée "les classes". Quelques questions fusent de-ci de-là, puis l'officier de service lève la séance, non sans - 67 -

— Les Visiteurs de l'Espace-Temps —<br />

Bien que tenaillé par l'angoisse de devoir partir jouer au "petit soldat" dans les dix jours<br />

qui viennent, je ressens une indicible impression de bien-être, je me sens comme blanchi,<br />

innocenté de quelque méfait que je n'aurais pas commis, mais dont je serais quelque part<br />

responsable : non, je n'ai pas "menti" et, par la même occasion, je sais que mes amis, ayant<br />

divulgué le triomphe de Killy avant l'heure, vont se trouver revalorisés par tous ceux qui<br />

savent. Tous ceux qui ont eu vent de l'affaire du 17 février grâce à eux.<br />

Nous allons enfin être reconnus ! Comme j'aimerais me rendre à Marseille et voir la<br />

mine de tous les Saint Jean Bouche-d'Or qui nous avaient tant décriés ! Mais je n'en aurai pas<br />

le loisir, une bronchite me gardera au lit jusqu'à l'avant-veille de mon départ sous les drapeaux.<br />

Tout juste pourrai-je téléphoner à mes amis pour savourer ce que nous pouvions baptiser<br />

"notre victoire".<br />

Mais déjà le quai de la gare de Toulon s'éloigne au bruit des roues du convoi qui,<br />

lentement mais sûrement, va rejoindre Epinal où un régiment dit de "transmissions" m'attend. Il<br />

est vingt et une heures, nuit et humidité enveloppent mon père à qui j'adresse, de la fenêtre du<br />

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préféré rester dans la voiture pour ne pas avoir à exprimer publiquement des effusions toujours<br />

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Perdu dans mes pensées, je remarque à peine que le wagon est bondé de jeunes gens de<br />

mon âge, recrutés eux aussi pour la bonne cause de la défense de notre beau pays. Nous<br />

roulons toute la nuit, oubliant sur notre passage des lumières et des gares qu'il est possible de<br />

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Il semble que le froid traverse la tôle des wagons mais cela tient au fait que nous nous<br />

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