Tome 1 - "L'Initiation"

Tome 1 - "L'Initiation" Tome 1 - "L'Initiation"

gfol1.jantel.esperluette.com
from gfol1.jantel.esperluette.com More from this publisher
25.06.2013 Views

— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — Pourtant, bien que devenant peu à peu conscients qu'un absolu régit notre quotidien, nous nous devons obligatoirement d'assumer ce dernier au fil des situations qu'il nous procure. Ainsi il nous faut héberger de nouveau Pierre Giorgi : son logement de fonction vient d'être récupéré assez arbitrairement par l'entreprise qui l'emploie. Outre cet hébergement, nous avons surtout la garde de ses affaires qu'il a entreposées chez nous en attendant de trouver un nouveau logement. C'est un autre ami, un de ses collègues de travail, Loris Micelli, qui pourvoit le plus souvent au gîte et au couvert du malheureux Pierre. Loris et sa compagne Christiane sont des personnes sympathiques et serviables que nous voyons de temps à autre et que certaines phases de notre existence mouvementée n'effraient pas le moins du monde. Mis préalablement au courant de la question par Pierre, ils ne sont pas hostiles aux phénomènes qui ont quelquefois cours, tel celui que je vais vous relater. Cela se passe un samedi. Jigor nous a avisés que Lucette et moi vivrions un isolement prolongé de quarante-huit heures environ. Ce n'est pas la première fois qu’une pareille situation se présente, une simple précaution restant à prendre dans ce cas de figure : prévenir la famille et les amis de notre indisponibilité durant le laps de temps donné. Nous avons donc agi en conséquence et conseillé à tous ceux qui étaient susceptibles de venir nous voir de s'abstenir. Tous, sauf Pierre que nous n'avons pu joindre ni au magasin, ni chez Loris et Christiane. Et ce qui devait arriver arriva. Notre ami, qui doit visiter une maison à louer, fait son apparition, conduit par Loris, afin de changer de linge de corps, de chemise et de costume, effets qu'il a placés dans notre penderie. Il est moins de dix-huit heures lorsqu'il sonne à l’entrée, mais il nous est impossible de lui ouvrir : tout est verrouillé par les soins de "qui l'on sait". Nous communiquons donc à travers la porte et expliquons notre situation à Pierre qui nous fait état de la sienne. Nous convenons donc, à condition qu'on nous en laisse la possibilité, de faire passer par le balcon, à l'intérieur d'un sac et par le moyen d'une ficelle, le linge en question. Aucune objection ne vient s'opposer à notre intention, aussi nous entreprenons de passer à l'acte. Le bâtiment A de la cité des Chartreux, où nous demeurons, se situe au 80 de la rue Albe, une rue très passante, parallèle au périphérique donnant accès à l'autoroute nord de Marseille. Autant dire que notre initiative ne passe pas inaperçue : les occupants des véhicules arrêtés au gré des feux de signalisation, les piétons qui déambulent ainsi que le responsable de - 330 -

— L'Initiation — l'agence immobilière avec lequel Pierre est en passe de traiter ont tout le loisir d'assister à l'exercice de corde lisse auquel se livrent un sac en plastique contenant du petit linge et un cintre qui supporte un costume et une chemise. La situation est cocasse car, du haut de notre troisième étage, nous pouvons imaginer ce que sont en train de tenter d'expliquer Pierre et Loris, le plus sérieusement possible, à l'homme de l'agence qui a l'air décontenancé et paraît faire un effort considérable pour comprendre. Le prolongement de cette fin de semaine, pas tout à fait comme les autres, va déterminer une orientation de ma situation dite sociale grâce à un contrôle médical effectué par mon employeur à notre domicile. Nous sommes toujours enfermés dans l'appartement quand, ce lundi en début de matinée, un coup de sonnette retentit. Derrière le panneau de la porte, je mets au courant le personnage - lequel prétend être un visiteur médical chargé de m'examiner - de mon impossibilité de lui ouvrir, prétextant que ma femme, en partant, m'a enfermé et a emporté les clefs avec elle. Ce dernier, assez conciliant, glisse un avis de passage sous la porte et m'invite à le signer, ce à quoi je me prête, lui rendant l'imprimé par la même voie. Le lendemain, alors que les serrures, enfin libérées, nous permettent de goûter à une plus grande amplitude de gestes, nous constatons, en nous rendant à la boîte aux lettres, que je suis l'objet d'une convocation chez le médecin-conseil dans les quarante-huit heures à venir. Certes, cela ne me réjouit pas, mais, étant en règle, pourquoi redouterais-je quoi que ce soit ? Le surlendemain me voit donc me rendre à cet examen sans véritable crainte. Non sans avoir remis au médecin les ordonnances prescrivant mon traitement, je me soumets à sa visite de contrôle ; ceci entériné, il m'incite à commenter les derniers événements survenus. Je me conforme à sa requête, l’informant de la cause de mon état et de tout ce que, par répercussion, cela engendre. De toute évidence, je ne lui apprends rien de très nouveau ; il a mon dossier entre les mains, connaît parfaitement Lucette et a eu à examiner nombre d'employés dont je suis censé perturber l'état de santé. Nous parlons des entrevues que le professeur Serratrice m'accorda quelque six années auparavant, et il se plaît à reconnaître que je représente un cas épineux, un cas qui dépasse les compétences du médecin généraliste qu'il est. Il me conseille donc poliment de consulter un psychiatre et en avise Humbert Marcantoni par une lettre qu'il me remet à son intention. Je reprends néanmoins le chemin du bureau : le médecin-conseil m'a notifié la reprise - 331 -

— Les Visiteurs de l'Espace-Temps —<br />

Pourtant, bien que devenant peu à peu conscients qu'un absolu régit notre quotidien,<br />

nous nous devons obligatoirement d'assumer ce dernier au fil des situations qu'il nous procure.<br />

Ainsi il nous faut héberger de nouveau Pierre Giorgi : son logement de fonction vient d'être<br />

récupéré assez arbitrairement par l'entreprise qui l'emploie. Outre cet hébergement, nous avons<br />

surtout la garde de ses affaires qu'il a entreposées chez nous en attendant de trouver un<br />

nouveau logement. C'est un autre ami, un de ses collègues de travail, Loris Micelli, qui<br />

pourvoit le plus souvent au gîte et au couvert du malheureux Pierre. Loris et sa compagne<br />

Christiane sont des personnes sympathiques et serviables que nous voyons de temps à autre et<br />

que certaines phases de notre existence mouvementée n'effraient pas le moins du monde. Mis<br />

préalablement au courant de la question par Pierre, ils ne sont pas hostiles aux phénomènes qui<br />

ont quelquefois cours, tel celui que je vais vous relater.<br />

Cela se passe un samedi. Jigor nous a avisés que Lucette et moi vivrions un isolement<br />

prolongé de quarante-huit heures environ. Ce n'est pas la première fois qu’une pareille situation<br />

se présente, une simple précaution restant à prendre dans ce cas de figure : prévenir la famille<br />

et les amis de notre indisponibilité durant le laps de temps donné. Nous avons donc agi en<br />

conséquence et conseillé à tous ceux qui étaient susceptibles de venir nous voir de s'abstenir.<br />

Tous, sauf Pierre que nous n'avons pu joindre ni au magasin, ni chez Loris et Christiane. Et ce<br />

qui devait arriver arriva. Notre ami, qui doit visiter une maison à louer, fait son apparition,<br />

conduit par Loris, afin de changer de linge de corps, de chemise et de costume, effets qu'il a<br />

placés dans notre penderie. Il est moins de dix-huit heures lorsqu'il sonne à l’entrée, mais il<br />

nous est impossible de lui ouvrir : tout est verrouillé par les soins de "qui l'on sait". Nous<br />

communiquons donc à travers la porte et expliquons notre situation à Pierre qui nous fait état<br />

de la sienne. Nous convenons donc, à condition qu'on nous en laisse la possibilité, de faire<br />

passer par le balcon, à l'intérieur d'un sac et par le moyen d'une ficelle, le linge en question.<br />

Aucune objection ne vient s'opposer à notre intention, aussi nous entreprenons de passer à<br />

l'acte. Le bâtiment A de la cité des Chartreux, où nous demeurons, se situe au 80 de la rue<br />

Albe, une rue très passante, parallèle au périphérique donnant accès à l'autoroute nord de<br />

Marseille. Autant dire que notre initiative ne passe pas inaperçue : les occupants des véhicules<br />

arrêtés au gré des feux de signalisation, les piétons qui déambulent ainsi que le responsable de<br />

- 330 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!