Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — Gérard accusa le coup. Attisé par ma brusquerie, l'effet de surprise se transforma vite en un malaise général. Lucette et Jean n'avaient pas mis longtemps à comprendre la raison de mon geste, échangeant un regard complice qui ne pouvait échapper à personne, et encore moins à notre ami : la cassette programmée par Gérard comportait, en effet, l'enregistrement du dernier discours de Rasmunssen. Je l'avais laissée sur l'appareil, à mille lieues de prévoir que quelqu'un d'autre que mon épouse ou moi-même eût pu en actionner la mise en marche. L'incident tourna court, repris que nous fûmes par les réalités du moment où, desserts, échanges de cadeaux et coups de téléphone formulant les annuels souhaits de santé et de prospérité s'en vinrent se partager la fin de la soirée. Cependant, sans que l'on en fût réellement conscients, le déclic contrarié d'un magnétophone allait provoquer un autre déclic : celui qui devait autoriser Gérard à vivre en notre compagnie un peu plus de deux années d'une exceptionnelle richesse. Dans la première quinzaine de janvier, mon état de santé oblige le docteur Marcantoni à me faire interrompre, une fois de plus, le travail. Hypotension, manque de sommeil s'ajoutant au cheminement d'une multitude de pensées qui se bousculent dans mon esprit, tout cela contribue à rendre ma présence au bureau tout à fait inutile, pis encore, néfaste pour mon environnement qui me subit. Je suis donc à la maison, pratiquement inactif, m'efforçant de recouvrer mes forces. Un après-midi, alors que Lucette s'est rendue chez sa mère, la porte d'entrée résonne de deux petits coups discrets. Sur le seuil, dans le faible éclairage du palier, se tient Gérard. Il a pris une journée de congé et prétend qu'il était urgent qu'il me vît. Je l'invite à s'asseoir. Il refuse poliment, mais je le sens grave, préoccupé. Il dit ne pas vouloir me déranger longtemps et m'annonce qu'il nous conserve son amitié, déclarant toutefois qu'il préfère se dissocier de notre groupe. En effet, il avoue se sentir de trop, un peu comme cela lui était déjà arrivé à une ou deux reprises, lorsqu'il s'était étonné d'un certain mutisme de Jean. Son regard, plus étincelant et plus perçant que jamais, m'engage à prendre les devants et à lui signifier qu'il doit cette démarche au geste maladroit que j'ai commis le 31 décembre dernier. Troublé par ce qu'il considère comme de la perspicacité, il acquiesce dans un soupir. A ma seconde proposition, il daigne s'asseoir, alors que j'entreprends de lui expliquer la raison de ma réaction quelque peu - 328 -

immodérée. — L'Initiation — Considérant qu'il me faut commencer par le début, je lui pose, par acquit de conscience, la question qui se veut déjà une réponse : - On t'a déjà parlé de moi, à propos de certaines choses, disons, particulières ? - Bien sûr ! me répond-il, ajoutant néanmoins sans se troubler outre mesure : Ce que je souhaiterais, c'est entendre ta version des faits. Au fur et à mesure que je lui résume l'histoire, sans en omettre, évidemment, les principaux détails, je le sens captivé, tandis que les cigarettes qu'il allume successivement tremblent au bout de ses doigts. Combien de temps dure mon laïus ? Je n'en sais trop rien. Ce dont je m'aperçois, en revanche, c'est que l'émotion parvient à son comble lorsque le silence s'installe à l’issue de l’écoute des enregistrements des conversations que nous avons avec ces Etres venus d'ailleurs. Pour ma part, il s'agit vraisemblablement du fait de me sentir libéré de ce fardeau qui encombrait ma conscience et nuisait à l'authenticité de l'amitié ; en ce qui concerne Gérard, ce surplus émotionnel est davantage lié à l'idée d'un aboutissement axé sur ce que l'espèce humaine est en droit d'attendre d'elle-même. Cette tension ne retombera qu'avec l'arrivée de Lucette qui suspend notre dialogue. A présent, la complicité se veut totale, et tout le monde se sent mieux ; pourtant, compte tenu de ce qui adviendra par la suite, j'interpréterai longtemps les réticences qui avaient retardé le moment de tout dévoiler à Gérard comme un signe précurseur de ce qui allait arriver, une sorte de mise en garde de mon "inconscient" dont j'aurai fait piètre usage. Seule Karzenstein aura les arguments pour me déculpabiliser quasi complètement d'avoir immiscé Gérard Pietrangelli dans cette qualité de vie qu’excepté Lucette et, à un degré moindre, Jean Platania, personne n'a pu suivre à ce jour dans la continuité. Il n'y a pas lieu de s'étonner énormément de cet état de choses car Karzenstein avait bien spécifié que nous serions peu à recevoir cet enseignement et que beaucoup s'en écarteraient : force est de déduire que la Loi des Echanges, en son expression abstraite, ne pose pas ses conditions, elle les impose. L'avenir saura progressivement mieux nous éclairer sur la cause - et quelquefois même les causes - de notre incapacité à gérer plus harmonieusement nos existences ainsi que sur la précarité des notions dont on les entoure. - 329 -

— Les Visiteurs de l'Espace-Temps —<br />

Gérard accusa le coup. Attisé par ma brusquerie, l'effet de surprise se transforma vite<br />

en un malaise général. Lucette et Jean n'avaient pas mis longtemps à comprendre la raison de<br />

mon geste, échangeant un regard complice qui ne pouvait échapper à personne, et encore<br />

moins à notre ami : la cassette programmée par Gérard comportait, en effet, l'enregistrement<br />

du dernier discours de Rasmunssen. Je l'avais laissée sur l'appareil, à mille lieues de prévoir que<br />

quelqu'un d'autre que mon épouse ou moi-même eût pu en actionner la mise en marche.<br />

L'incident tourna court, repris que nous fûmes par les réalités du moment où, desserts,<br />

échanges de cadeaux et coups de téléphone formulant les annuels souhaits de santé et de<br />

prospérité s'en vinrent se partager la fin de la soirée. Cependant, sans que l'on en fût réellement<br />

conscients, le déclic contrarié d'un magnétophone allait provoquer un autre déclic : celui qui<br />

devait autoriser Gérard à vivre en notre compagnie un peu plus de deux années d'une<br />

exceptionnelle richesse.<br />

Dans la première quinzaine de janvier, mon état de santé oblige le docteur Marcantoni à<br />

me faire interrompre, une fois de plus, le travail. Hypotension, manque de sommeil s'ajoutant<br />

au cheminement d'une multitude de pensées qui se bousculent dans mon esprit, tout cela<br />

contribue à rendre ma présence au bureau tout à fait inutile, pis encore, néfaste pour mon<br />

environnement qui me subit. Je suis donc à la maison, pratiquement inactif, m'efforçant de<br />

recouvrer mes forces.<br />

Un après-midi, alors que Lucette s'est rendue chez sa mère, la porte d'entrée résonne de<br />

deux petits coups discrets. Sur le seuil, dans le faible éclairage du palier, se tient Gérard. Il a<br />

pris une journée de congé et prétend qu'il était urgent qu'il me vît. Je l'invite à s'asseoir. Il<br />

refuse poliment, mais je le sens grave, préoccupé. Il dit ne pas vouloir me déranger longtemps<br />

et m'annonce qu'il nous conserve son amitié, déclarant toutefois qu'il préfère se dissocier de<br />

notre groupe. En effet, il avoue se sentir de trop, un peu comme cela lui était déjà arrivé à une<br />

ou deux reprises, lorsqu'il s'était étonné d'un certain mutisme de Jean. Son regard, plus<br />

étincelant et plus perçant que jamais, m'engage à prendre les devants et à lui signifier qu'il doit<br />

cette démarche au geste maladroit que j'ai commis le 31 décembre dernier. Troublé par ce qu'il<br />

considère comme de la perspicacité, il acquiesce dans un soupir. A ma seconde proposition, il<br />

daigne s'asseoir, alors que j'entreprends de lui expliquer la raison de ma réaction quelque peu<br />

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