Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — flou, bien que la lucidité ne m'ait nullement trahi en cet instant. En effet, avec, paraît-il, un aplomb formidable, je rétorquai aux dires de Jimmy : - Pas du tout ! La vignette est sous le christ ! Mes compagnons s'enquirent alors : - Quel christ ?… Ce à quoi je leur répondis avec une identique certitude : - Mais le christ qui se trouve sous la table !… Nous nous baissâmes sur-le-champ et récupérâmes effectivement une statuette de plâtre à l'effigie de Jésus qui, en temps normal, fréquentait une des tables de nuit de notre chambre à coucher. Sous le socle, adhérait la vignette de la voiture de Pierre que nous décollâmes aisément. Sans vouloir à tout prix symboliser quoi que ce fût, ceci demeurait bien de nature, ainsi que je viens de l'écrire précédemment, à maintenir le caractère "suprahumain" de ce que nous vivions à travers le verbe et le geste, ou, si l'on préfère, par l'esprit et les sens… Les allées du parc de l'hôpital Sainte-Marguerite craquent sous nos pas qui foulent allègrement les feuilles mortes tombées des platanes. Lucette vient d'être confirmée de six nouveaux mois dans son arrêt de travail par le service du professeur Tatossian. Cette prolongation doit la conduire au milieu du printemps prochain, et nous ne nous doutons pas (comme j'ai déjà pu le dévoiler), en ce milieu d'automne, que s'est enclenché le processus qui va la conduire à sa mise en invalidité. Certes, il s'ensuit, de ce fait, une légère perte de salaire, laquelle, il convient de le dire, se trouve largement compensée par le capital santé que retrouve peu à peu ma compagne, dont on ne vantera jamais assez le mérite d'avoir partagé avec moi ce que peu de personnes auraient accepté d'endurer. Comme chaque année, en décembre, les gens sont heureux. Du moins le paraissent- ils… Nous procédons aux achats des cadeaux pour la famille et les amis : qui donc ignore le plaisir de faire plaisir ? Pas Gérard Pietrangelli, en tout cas, qui s'est singulièrement rapproché du petit groupe que nous formons avec Dakis, Yoann Chris, Pierre Giorgi et, bien entendu, Jean Platania. Gérard nous accompagne donc dans nos emplettes et a même émis le souhait que nous nous réunissions lors du dernier soir de l'année. - 326 -

— L'Initiation — Echaudés par l'expérience de l'année précédente, nous n'avons pas cru bon de promettre à mes beaux-parents notre présence pour clore 1976. Sait-on jamais, Rasmunssen est tout à fait susceptible de venir nous formuler, à sa façon, ses vœux pour l'an neuf. Rasmunssen ou l'un de ses comparses, ne serait-ce que pour tester la leçon dispensée le 31 décembre 1975. Finalement, nous nous rassemblerons avec Lucette, Jean et Gérard, sans tambour ni trompette, autour de la table de l'amitié pour fabriquer quelques souvenirs et parler un peu de l'avenir. L'interprétation, tout à fait improvisée, qu'il nous est donné de faire des conversations que nous tiennent nos "Amis d'ailleurs", au hasard de l'argumentation inhérente aux propos que nous tenons, ajoutée à la longue et mystérieuse maladie de Lucette, qui la contraint à cesser toute activité alors qu'elle donne l'impression de se porter comme un charme : tout cela froisse quelque peu Gérard chez qui nous percevons bien le désir de saisir le fondement profond de tout cela. Certes, il est censé, du moins officiellement, ignorer tout de ce que nous vivons, mais la discrétion de notre ami n'exclut nullement qu'il ait été mis au courant par nos collègues de bureau de notre situation. La discussion bat son plein ; Gérard, par opposition à notre attitude empreinte de résignation (due au fait que nous savons plus ou moins ce que sont nos limites), juge qu'il y a beaucoup à faire pour changer la société et que c'est là le rôle des gens de notre âge, puis, s'emportant un tantinet, qu'il est hors de propos que lui, à vingt-deux ans, se range aux côtés des victimes expiatoires que nous représentons à ses yeux. Comment, en l'écoutant, ne pas se reporter, en ce qui me concerne, quelques années auparavant en Allemagne où un garçon, tout juste plus jeune que lui, était animé d’une fougue à peine un peu plus tendre dans ce qu'il argumentait au sujet du devenir de l'homme ?… Un silence obstiné s'est emparé de moi, et Jean reste le nez dans son assiette. Lucette propose alors que nous mettions de la musique, histoire d'adoucir un brin les mœurs. Gérard, exprimant une gêne, se lève pour apaiser ce qu'il a, sans le désirer pour autant, déclenché par ses propos. Il se dirige vers le bahut où se trouve posé le radiocassette et appuie sur la touche de mise en route du magnétophone… Un haut-le-corps me souleva spontanément de ma chaise et me fit intervenir afin d'interrompre la bande qui venait juste de s'amorcer. - Non, pas cette cassette ! m'écriai-je, il n'y a rien dessus !… - 327 -

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Echaudés par l'expérience de l'année précédente, nous n'avons pas cru bon de<br />

promettre à mes beaux-parents notre présence pour clore 1976. Sait-on jamais, Rasmunssen<br />

est tout à fait susceptible de venir nous formuler, à sa façon, ses vœux pour l'an neuf.<br />

Rasmunssen ou l'un de ses comparses, ne serait-ce que pour tester la leçon dispensée le 31<br />

décembre 1975. Finalement, nous nous rassemblerons avec Lucette, Jean et Gérard, sans<br />

tambour ni trompette, autour de la table de l'amitié pour fabriquer quelques souvenirs et parler<br />

un peu de l'avenir. L'interprétation, tout à fait improvisée, qu'il nous est donné de faire des<br />

conversations que nous tiennent nos "Amis d'ailleurs", au hasard de l'argumentation inhérente<br />

aux propos que nous tenons, ajoutée à la longue et mystérieuse maladie de Lucette, qui la<br />

contraint à cesser toute activité alors qu'elle donne l'impression de se porter comme un<br />

charme : tout cela froisse quelque peu Gérard chez qui nous percevons bien le désir de saisir le<br />

fondement profond de tout cela. Certes, il est censé, du moins officiellement, ignorer tout de ce<br />

que nous vivons, mais la discrétion de notre ami n'exclut nullement qu'il ait été mis au courant<br />

par nos collègues de bureau de notre situation.<br />

La discussion bat son plein ; Gérard, par opposition à notre attitude empreinte de<br />

résignation (due au fait que nous savons plus ou moins ce que sont nos limites), juge qu'il y a<br />

beaucoup à faire pour changer la société et que c'est là le rôle des gens de notre âge, puis,<br />

s'emportant un tantinet, qu'il est hors de propos que lui, à vingt-deux ans, se range aux côtés<br />

des victimes expiatoires que nous représentons à ses yeux. Comment, en l'écoutant, ne pas se<br />

reporter, en ce qui me concerne, quelques années auparavant en Allemagne où un garçon, tout<br />

juste plus jeune que lui, était animé d’une fougue à peine un peu plus tendre dans ce qu'il<br />

argumentait au sujet du devenir de l'homme ?… Un silence obstiné s'est emparé de moi, et Jean<br />

reste le nez dans son assiette. Lucette propose alors que nous mettions de la musique, histoire<br />

d'adoucir un brin les mœurs. Gérard, exprimant une gêne, se lève pour apaiser ce qu'il a, sans le<br />

désirer pour autant, déclenché par ses propos. Il se dirige vers le bahut où se trouve posé le<br />

radiocassette et appuie sur la touche de mise en route du magnétophone…<br />

Un haut-le-corps me souleva spontanément de ma chaise et me fit intervenir afin<br />

d'interrompre la bande qui venait juste de s'amorcer.<br />

- Non, pas cette cassette ! m'écriai-je, il n'y a rien dessus !…<br />

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