Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — Nos pérégrinations au hasard des rues de la ville nous ont conduits à déambuler dans Botafogo, un quartier assez typique où des chanteurs, s'accompagnant à la guitare, ont charmé nos sens au son de mélodies nostalgiques. La voix veloutée de ces hommes peut s'interpréter comme une prière, quand bien même ne comprend-on pas le portugais. Leur musique est tout à fait adaptée à ce qu'il nous est donné de voir, et pourtant, ceux des leurs qui écoutent adoptent un balancement du corps et un pas chaloupé qui me font dire que les Brésiliens sont davantage prédisposés à danser qu'à marcher, et que la misère, en ses diverses aptitudes, connaît aussi la musique, si l'on veut bien m'autoriser cette expression. Il n'est que de visiter les écoles de samba où l'on peut apprendre que tout le monde, ici, sacrifie les économies qu'il peut réaliser (!) à la préparation du carnaval annuel. Ainsi, sans le savoir vraiment, ma chanson, écrite quelque six années plus tôt, exprimait assez authentiquement, dans son expression interprétative du divertissement, l'oubli que ce dernier confère à l'universelle misère, laquelle s'accommode on ne peut mieux de l'indifférence qui l'entoure. Extraordinaire de violence, un de ces fameux orages tropicaux a secoué la forêt avoisinante ainsi que les vingt-six étages de l'hôtel que nous nous apprêtions à quitter pour effectuer l'une des excursions qu'il nous restait à faire. La pluie, se déversant en cataractes, a ensuite martelé la ville pendant plus d'une heure, diminuant fortement la visibilité. Elle nous a incités à remettre l'excursion au lendemain, et nous en avons profité pour acheter quelques souvenirs en ville. Sur ces entrefaites, alors que nous traînons notre curiosité dans une sorte de galerie marchande, notre attention se porte en direction d'un petit attroupement. Un homme distribue d'une main des petits bouts de papier qui doivent mentionner une adresse, secouant de l'autre une écuelle métallique cabossée qui fait tinter quelques pièces que les touristes lui ont laissées. Un autre tape sur des bongos, tandis qu'un troisième agite des maracas et se trémousse autour d'une femme d'allure assez bizarre : chez nous, elle s’apparenterait volontiers à une de ces gitanes "diseuses de bonne aventure". Les guides de notre voyage organisé récupèrent quelques-uns des morceaux de papier tendus et nous traduisent ce qui s'y trouve inscrit : il s'agit d'une publicité invitant à se rendre à une soirée où se verra célébré un rite de macumba. Ils nous déconseillent aussitôt de nous y rendre, les véritables séances de macumba se déroulant, paraît-il, notamment à São Paulo et Bahia, et non pas à Rio où le charlatanisme - 308 -

— L'Initiation — prend souvent le pas sur l'authenticité de cette pratique. Alors que nous sommes sur le point de nous éloigner, la femme, prostrée jusque-là, se dirige brusquement vers notre groupe d’un air décidé. Elle s'arrête devant moi, me fixe, puis elle me désigne un cordon qu'elle porte autour du cou, au bout duquel est suspendue une chouette en métal doré. Elle se l'ôte promptement et, avant que je n'aie pu esquisser l'ombre d'un mouvement, noue le pendentif sur ma poitrine. Elle fait des gestes dont je n'interprète pas plus le sens que je ne saisis celui des paroles qu'elle me dit ; cependant, elle refuse avec énergie les cruzeiros que je désire lui donner. Le guide me signifie alors qu'il ne faut pas que j'insiste, cela étant de nature à l'offenser, et il me traduit ce qu'avec force mimiques elle lui indique, à savoir qu'il faut que je garde cette chouette autour de mon cou aussi longtemps que je resterai à Rio. Quelques plaisanteries plus ou moins douteuses fusent de-ci de-là de la part de certains membres de notre groupe, mais je n'y prête pas attention, faisant au contraire bonne figure à tous, vraisemblablement afin d'essayer de donner le change devant le trouble qui m'envahit. La forêt de Tijuca où nous pouvons voir des hévéas géants, de somptueuses cascades, le jardin botanique où nous découvrons des nénuphars énormes (victoria regia, apte à recevoir le poids d'un homme) ainsi que des oiseaux au plumage chatoyant se partagent les derniers jours que nous passons à Rio de Janeiro. Je n'oublierai pas, et pour cause, le célèbre Pain de Sucre où je me verrai immortalisé, chouette autour du cou, sous forme de photo-souvenir, après avoir contemplé l'immense beauté de la baie de Guanabara. Le jour du départ arrive : il est six heures du matin lorsque nous effectuons, dans le hall d'entrée de l'hôtel, le recensement de tous les membres du voyage. Certains sont même inquiets : la rumeur d'une grève affectant les compagnies aériennes italiennes court avec insistance. Lucette, Louis et son épouse ne cachent nullement qu'ils prolongeraient volontiers cette escapade brésilienne s'il se révélait exact qu'un mouvement social, de quelque nationalité qu'il soit, nous empêchait de rentrer en France. D'autres - dont, bien évidemment, je fais partie - en sont même à souhaiter que se produise une telle éventualité. Mais l'imprévu va se manifester tout à fait autrement en la circonstance, alors que nous venons de parvenir, à bord d'un confortable autobus, à l'aéroport de Rio. Une dame, avec laquelle nous avons eu l'occasion d'échanger quelques propos à - 309 -

— Les Visiteurs de l'Espace-Temps —<br />

Nos pérégrinations au hasard des rues de la ville nous ont conduits à déambuler dans<br />

Botafogo, un quartier assez typique où des chanteurs, s'accompagnant à la guitare, ont charmé<br />

nos sens au son de mélodies nostalgiques. La voix veloutée de ces hommes peut s'interpréter<br />

comme une prière, quand bien même ne comprend-on pas le portugais. Leur musique est tout à<br />

fait adaptée à ce qu'il nous est donné de voir, et pourtant, ceux des leurs qui écoutent adoptent<br />

un balancement du corps et un pas chaloupé qui me font dire que les Brésiliens sont davantage<br />

prédisposés à danser qu'à marcher, et que la misère, en ses diverses aptitudes, connaît aussi la<br />

musique, si l'on veut bien m'autoriser cette expression. Il n'est que de visiter les écoles de<br />

samba où l'on peut apprendre que tout le monde, ici, sacrifie les économies qu'il peut réaliser<br />

(!) à la préparation du carnaval annuel. Ainsi, sans le savoir vraiment, ma chanson, écrite<br />

quelque six années plus tôt, exprimait assez authentiquement, dans son expression<br />

interprétative du divertissement, l'oubli que ce dernier confère à l'universelle misère, laquelle<br />

s'accommode on ne peut mieux de l'indifférence qui l'entoure.<br />

Extraordinaire de violence, un de ces fameux orages tropicaux a secoué la forêt<br />

avoisinante ainsi que les vingt-six étages de l'hôtel que nous nous apprêtions à quitter pour<br />

effectuer l'une des excursions qu'il nous restait à faire. La pluie, se déversant en cataractes, a<br />

ensuite martelé la ville pendant plus d'une heure, diminuant fortement la visibilité. Elle nous a<br />

incités à remettre l'excursion au lendemain, et nous en avons profité pour acheter quelques<br />

souvenirs en ville. Sur ces entrefaites, alors que nous traînons notre curiosité dans une sorte de<br />

galerie marchande, notre attention se porte en direction d'un petit attroupement. Un homme<br />

distribue d'une main des petits bouts de papier qui doivent mentionner une adresse, secouant<br />

de l'autre une écuelle métallique cabossée qui fait tinter quelques pièces que les touristes lui ont<br />

laissées. Un autre tape sur des bongos, tandis qu'un troisième agite des maracas et se<br />

trémousse autour d'une femme d'allure assez bizarre : chez nous, elle s’apparenterait volontiers<br />

à une de ces gitanes "diseuses de bonne aventure". Les guides de notre voyage organisé<br />

récupèrent quelques-uns des morceaux de papier tendus et nous traduisent ce qui s'y trouve<br />

inscrit : il s'agit d'une publicité invitant à se rendre à une soirée où se verra célébré un rite de<br />

macumba. Ils nous déconseillent aussitôt de nous y rendre, les véritables séances de macumba<br />

se déroulant, paraît-il, notamment à São Paulo et Bahia, et non pas à Rio où le charlatanisme<br />

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