Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — Deux semaines plus tard, Benito Arranz nous livre une "comtoise" qu'il était en train de remettre en état, un mois auparavant à Toulon, alors que nous lui avions rendu une visite de courtoisie lors d’un week-end passé chez mes parents. Lucette avait alors éprouvé une forte attirance à la vue de cette horloge datant de la fin du siècle dernier, à tel point que nous nous étions décidés à l'acheter. Une fois adossée à l'un des pans de mur de notre hall d'entrée, et après que Benito eut enclenché son mécanisme de marche à l'aide d'une clef aux contours ô combien torturés, cette horloge me sensibilisa d'une façon surprenante. Le tic-tac du balancier, la sonnerie sourde, sa position verticale, presque hautaine, outrepassaient le rôle dans lequel chacun d'entre nous confine habituellement son mobilier. Et dans les heures qui suivirent, j'eus beaucoup de peine à détacher mon attention de cette comtoise dont je n'avais pas soupçonné qu'elle eût pu éveiller un tel trouble en moi. Je me remémorai alors ce vers de Lamartine : "Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?". La nuit passa, égrenant ses heures à la voix de notre horloge sans que ceci nous dérangeât le moins du monde. Les jours suivants, Jigor intervint à deux reprises pour nous aviser qu'il surélevait un des pieds du socle de la comtoise, celle-ci prenant du retard du fait de l'inégalité du sol et donc de la position instable dans laquelle on l'avait posée. Autant avouer que ce "meuble chantant", selon l'expression imagée de Rasmunssen, avait su séduire son monde dans cette maison, toutes espèces confondues !... Il est à peine moins de quinze heures, et je viens de consulter ma montre. Le temps me paraît long, assis à mon bureau ; je sais qu'il y a encore une heure et demie à attendre avant que nous sortions. J'ai devant moi une feuille de papier que je griffonne machinalement. Mes pensées vont à ceux que j'aime, je repense à mon père et des images défilent : je revois la pharmacie de Toulon où je perdis tant de belles semaines de vacances et je me dis que mon emploi à la Sécurité sociale est un moindre mal en comparaison ; j'entends encore dans le - 262 -

— L'Initiation — lointain la voix de mon père me dire, en cet été 1965 : Le temps c’est de l'argent, mais l'argent n'est pas du temps ! Mon chef de service m'arrache alors à mes rêveries, m'invitant à me montrer utile de façon à finir positivement cette journée. Je l'en remercie encore à ce jour : en cet instant précis, il sut éveiller dans ma tête une mélodie sur laquelle s'en vinrent se greffer les quelques vers que voici, intitulés "L'Horloge" : Sous les ronces et le lierre, cerné par les fougères, A l'écart des troupeaux, comme un vieux solitaire, Se dresse le manoir où s'enroulent mes jours, Où coulent et roucoulent et la mort et l'amour, Le cœur battant au rythme du temps qui s'éloigne, Je suis née à la ville et vis à la campagne. Dans mon manteau de bois, j'habite le salon Depuis bientôt deux siècles, sous le même plafond, Où la légende mêle demain et autrefois, Le soir à la veillée, au son d'un feu de bois, Quand l'âtre jette une ombre au socle de l'armure, Lorsque le piano nous prête la mesure… Autour de moi, on rit, on cause, on gesticule, On sommeille, on se pâme, on court, on déambule, Mais moi, imperturbable, de mes bras minuscules, A chaque jour qui naît, j'appose mes virgules, Je souille le silence lorsque le jour s'éteint Et je berce la nuit jusqu'au petit matin. Quand l'amour ne vient pas fleurir le canapé, - 263 -

— L'Initiation —<br />

lointain la voix de mon père me dire, en cet été 1965 : Le temps c’est de l'argent, mais l'argent<br />

n'est pas du temps !<br />

Mon chef de service m'arrache alors à mes rêveries, m'invitant à me montrer utile de<br />

façon à finir positivement cette journée. Je l'en remercie encore à ce jour : en cet instant précis,<br />

il sut éveiller dans ma tête une mélodie sur laquelle s'en vinrent se greffer les quelques vers que<br />

voici, intitulés "L'Horloge" :<br />

Sous les ronces et le lierre, cerné par les fougères,<br />

A l'écart des troupeaux, comme un vieux solitaire,<br />

Se dresse le manoir où s'enroulent mes jours,<br />

Où coulent et roucoulent et la mort et l'amour,<br />

Le cœur battant au rythme du temps qui s'éloigne,<br />

Je suis née à la ville et vis à la campagne.<br />

Dans mon manteau de bois, j'habite le salon<br />

Depuis bientôt deux siècles, sous le même plafond,<br />

Où la légende mêle demain et autrefois,<br />

Le soir à la veillée, au son d'un feu de bois,<br />

Quand l'âtre jette une ombre au socle de l'armure,<br />

Lorsque le piano nous prête la mesure…<br />

Autour de moi, on rit, on cause, on gesticule,<br />

On sommeille, on se pâme, on court, on déambule,<br />

Mais moi, imperturbable, de mes bras minuscules,<br />

A chaque jour qui naît, j'appose mes virgules,<br />

Je souille le silence lorsque le jour s'éteint<br />

Et je berce la nuit jusqu'au petit matin.<br />

Quand l'amour ne vient pas fleurir le canapé,<br />

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