Tome 1 - "L'Initiation"

Tome 1 - "L'Initiation" Tome 1 - "L'Initiation"

gfol1.jantel.esperluette.com
from gfol1.jantel.esperluette.com More from this publisher
25.06.2013 Views

— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — Et là, chaque soir, avec la même assiduité, l'O.M. me gratifie de sa présence par l'intermédiaire de quelques pièces de monnaie qui tintent fort bruyamment sur les voitures du personnel de nuit, parquées comme il se doit dans l'enceinte de l'établissement. Sans que je puisse l'expliquer, je sais que je suis en train de vivre une rupture avec moi- même. L'immature, l'insouciant a laissé place à un personnage indéfinissable qui passe de la soumission à la révolte de façon tout à fait impromptue. Ce comportement cyclothymique m'attire des problèmes dans ma vie professionnelle : sans négliger ma tâche, je m'expose aux remontrances de mes supérieurs qui jugent que mon comportement est plutôt désinvolte. En vérité, je me préoccupe très peu de ma personne, ne considérant rien de ce qui m'arrive comme étant injustice, mais le caractère absurde de ce qu'entreprend l'homme, à travers le zèle qu'il manifeste pour parvenir à ses fins, me trouble profondément : tout me paraît dérisoire. Lorsque je fais la part des choses, je ne peux occulter la perte, bien prématurée, d’un ami âgé de vingt ans et ignorer que je suis en passe d'en perdre une autre, à peine plus vieille. Si iniquité il y a, c'est bien là qu'elle se situe à mes yeux, et qui donc pourrait me reprocher, alors, de minimiser l'importance de tout le reste ? Pas même les tireurs cachés de l'Organisation Magnifique que j'injurie, chaque soir, dans le parc de l'hôpital Saint-Joseph, alors que je me trouve être la cible de leurs projectiles habituels ! Et puis, en plein mois de mai, mettant à profit un week-end, je me suis rendu à Toulon chez monsieur et madame Varnier. Cette dernière m'informe de l'aboutissement catastrophique que les médecins viennent d'envisager pour la pauvre Chantal. Lasse de s'entendre répéter que la maladie suivait son cours et qu'il était impossible de se prononcer sur les résultats de la seconde intervention chirurgicale subie par la jeune fille, sa mère avait posé une question on ne peut plus précise au professeur qui venait de la réopérer : de guérison ? - S'il s'agissait de votre enfant, quel pronostic formuleriez-vous quant à ses chances Et la réponse était tombée, tranchante comme un couperet : - Je dirais qu'elle est perdue… Chantal se destinait donc à rejoindre Mikaël, et j'eus en cet instant une profonde aversion à l’encontre de ce monde en lequel j'étais venu sans que je fusse spécialement - 118 -

— L'Initiation — souhaité, si je me confinais à ce que je savais de ma naissance pour le moins hasardeuse. Dans le train qui me ramena le dimanche soir à Marseille, j'échafaudai nombre de projets plus sombres les uns que les autres. Ultérieurement, il nous fut enseigné (nous aurons l'occasion d'y revenir) que la plus belle Espérance était celle de pouvoir espérer encore… Convenons humblement que vivre la chose ne s’avère pas toujours très aisé. Gagné par la déprime que généraient l'issue fatale promise à mon amie, les difficultés éprouvées dans ma vie professionnelle, les agissements toujours aussi sibyllins de l'O.M. et le souvenir plus que jamais présent de Mikaël, j'assimilais l'existence humaine à un non-sens et je maudissais ceux qui m'avaient conçu, regrettant bien amèrement d'avoir survécu à l'abandon ayant succédé à ma naissance. Je m'étais fixé le moment de prendre une décision, quant à la poursuite de ma présence ici-bas, après le dénouement de la maladie de Chantal. N'ayant pu assister Mikaël et l'empêcher, de la sorte, de commettre l'irréparable, il me restait à essayer de rendre l'agonie de celle que je considérais comme ma grande sœur moins pénible. Juin 1968 : hôpital à Trèves. Juin 1969 : hôpital à Marseille. Similitude, de par ma fréquentation assidue de ces lieux ô combien dissemblables selon ce qu'on vient y faire ! Toujours est-il que je passe mes soirées à Saint-Joseph, dans un pavillon qui abrite souvent le squelette au linceul paré de la faux. A plusieurs reprises, je croiserai des gens éplorés dans les couloirs et, même une fois, un corps recouvert d'un drap, transporté sur un chariot par deux brancardiers à la morgue. M'efforçant de faire bonne figure en toutes occasions, je tiens compagnie à Chantal jusqu’à une heure avancée de la nuit, lui faisant part de mes petits ennuis, meilleur moyen de lui faire oublier les siens. Mes avatars avec l'O.M. l'ayant toujours divertie, je ne me prive pas de lui en rendre compte. Il est plus de vingt et une heures lorsque, chaque soir, j'essuie dans le parc de l'hôpital les tirs toujours précis des sbires de l'Organisation Magnifique. De guerre lasse, je ne maugrée plus contre les auteurs de ces agressions, enjambant sans me presser le portail fermé et remontant ensuite le Prado perdu dans mes pensées, plus sombres que la nuit qui m'enveloppe. Un certain soir, alors que je vais escalader l'enceinte de l'hôpital et que viennent - 119 -

— Les Visiteurs de l'Espace-Temps —<br />

Et là, chaque soir, avec la même assiduité, l'O.M. me gratifie de sa présence par<br />

l'intermédiaire de quelques pièces de monnaie qui tintent fort bruyamment sur les voitures du<br />

personnel de nuit, parquées comme il se doit dans l'enceinte de l'établissement.<br />

Sans que je puisse l'expliquer, je sais que je suis en train de vivre une rupture avec moi-<br />

même. L'immature, l'insouciant a laissé place à un personnage indéfinissable qui passe de la<br />

soumission à la révolte de façon tout à fait impromptue. Ce comportement cyclothymique<br />

m'attire des problèmes dans ma vie professionnelle : sans négliger ma tâche, je m'expose aux<br />

remontrances de mes supérieurs qui jugent que mon comportement est plutôt désinvolte. En<br />

vérité, je me préoccupe très peu de ma personne, ne considérant rien de ce qui m'arrive comme<br />

étant injustice, mais le caractère absurde de ce qu'entreprend l'homme, à travers le zèle qu'il<br />

manifeste pour parvenir à ses fins, me trouble profondément : tout me paraît dérisoire. Lorsque<br />

je fais la part des choses, je ne peux occulter la perte, bien prématurée, d’un ami âgé de vingt<br />

ans et ignorer que je suis en passe d'en perdre une autre, à peine plus vieille. Si iniquité il y a,<br />

c'est bien là qu'elle se situe à mes yeux, et qui donc pourrait me reprocher, alors, de minimiser<br />

l'importance de tout le reste ? Pas même les tireurs cachés de l'Organisation Magnifique que<br />

j'injurie, chaque soir, dans le parc de l'hôpital Saint-Joseph, alors que je me trouve être la cible<br />

de leurs projectiles habituels !<br />

Et puis, en plein mois de mai, mettant à profit un week-end, je me suis rendu à Toulon<br />

chez monsieur et madame Varnier. Cette dernière m'informe de l'aboutissement catastrophique<br />

que les médecins viennent d'envisager pour la pauvre Chantal.<br />

Lasse de s'entendre répéter que la maladie suivait son cours et qu'il était impossible de<br />

se prononcer sur les résultats de la seconde intervention chirurgicale subie par la jeune fille, sa<br />

mère avait posé une question on ne peut plus précise au professeur qui venait de la réopérer :<br />

de guérison ?<br />

- S'il s'agissait de votre enfant, quel pronostic formuleriez-vous quant à ses chances<br />

Et la réponse était tombée, tranchante comme un couperet :<br />

- Je dirais qu'elle est perdue…<br />

Chantal se destinait donc à rejoindre Mikaël, et j'eus en cet instant une profonde<br />

aversion à l’encontre de ce monde en lequel j'étais venu sans que je fusse spécialement<br />

- 118 -

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!