Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — pire, bien que n'étant, au demeurant, impliqué en rien dans ce qui semble être en train de se tramer depuis mon départ du régiment. Je suis devenu, sans l'avoir jamais souhaité, un accoutumé des locaux de la Sûreté civile ou militaire : dépositions ou interrogatoires sont parties intégrantes de mon existence. Celle-ci ne dérogera pas à la règle des précédentes quant à son caractère administratif, aux accents faussement conviviaux. Bien que n'étant entendu qu'en tant que témoin, je suis avisé des retombées néfastes qui ne manqueraient pas de survenir pour ma personne si, d'une façon ou d'une autre, je portais assistance à un déserteur, lequel s’est adonné de surcroît à des actes de terrorisme (pour reprendre les termes employés par l'officier de la Sécurité militaire dirigeant les débats). Mon paraphe apposé au bas de ma déposition - fort réduite du reste -, on me signifie qu'il reste du domaine du possible que je sois de nouveau convoqué par rapport à l'évolution de l'enquête. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une affaire d'Etat, je suis bien conscient que rien ne sera laissé au hasard pour récupérer le pauvre Mikaël. Ce sont-là, à n'en pas douter, les "stigmates" du désormais historique mai 68. J'apprendrai quelque vingt-cinq ans plus tard, par l'intermédiaire de "ceux" qui posèrent la question qui ouvre ce livre, que la plus grande souffrance est celle qui fait constater l'incapacité qui est nôtre à réaliser ce que l'on a à cœur de faire, au moment où la situation se révèle à notre connaissance. J'avouerai sans détour ma propension à m'être souvent trouvé et à me trouver encore exposé à cet état de fait qui n'engendre rien d'autre que la résignation et un profond sentiment d'injustice, pour ne pas dire de dégoût, à l'égard du mensonge permanent dont on entoure notre éducation dès le plus jeune âge. Alors, une fois de plus, il faudrait dire : Pour ne pas changer, je vais laisser le "temps" faire son œuvre, en d'autres mots, je vais attendre... Chantal, d'abord, va m'aider à patienter. Oh ! Je ne lui conte que ce qui m'a conduit à me retrouver auprès d'elle bien avant la date escomptée et qui la rend heureuse. Le reste, je le garde sous silence, comme je le fais d'ailleurs avec mes parents. Il est hors de question, pour moi, d'inquiéter ceux qui, en continuité, exercent des sentiments affectifs à mon égard. C'est la meilleure formule, à mon humble avis, pour éviter tout débordement risquant d'occasionner des troubles plus graves. Sans faire montre de mes préoccupations, je m'attache à adopter une - 108 -

— L'Initiation — attitude de circonstance par rapport à ma libération anticipée, le rire communicatif de mon amie Chantal faisant le reste. De plus, une joie, comme elle le dit si bien, n'arrivant jamais seule, elle m'apprend que le concours qu'elle a passé l’autorise à se voir retenue pour l'E.N.S.E.P. (Ecole nationale supérieure d'éducation physique), sise à Châtenay-Malabry, dans la banlieue sud de Paris. Son départ est prévu pour la mi-octobre, dans un tout petit mois... Face à la rade de Toulon, en prenant la mer, on peut accéder, une fois sur l'autre rive, à une plage nommée Les Sablettes. Je m’y rends de temps à autre pour honorer un été qui renonce à capituler. Pour cela, j'emprunte une navette dont les allers-retours se font toutes les demi-heures. Et c'est à l'occasion d'un de ces retours que je m'assieds, à l'arrière du bateau, auprès d'une jeune fille qui va se trouver, à son tour, mêlée à ces péripéties dont vous n'ignorez plus rien désormais. C'est un petit bout de femme de vingt ans dont la jovialité transparaît sans peine lorsqu'on a l'opportunité de se perdre dans ses deux grands yeux rieurs : supports d'un regard pétillant de malice et d'intelligence. Elle répond au prénom de Claudine, au nom de Goulet et passe le plus clair de l'année, lorsqu'il n'y a pas trop de grèves, à étudier les lettres à Lyon en faculté. Ici, elle est en vacances chez Renée Coutance, sa tante, pharmacienne à Toulon. Il est bon d'indiquer, à cette occasion, en fonction de ce qui va se passer ultérieurement, que Renée habite à deux pas du port, en plein centre-ville, au quatrième étage du 92 cours Lafayette, d'où elle domine l'un de ces "marchés de Provence" ayant su inspirer Gilbert Bécaud. Claudine, avec laquelle je vais me lier d'amitié, fréquente assidûment un jeune journaliste écrivain lyonnais - Gil Saulnier - qu’elle compte me présenter prochainement. J'ai mis au courant ma nouvelle amie de ma situation sociale du moment, mais j'ai cru bon d'en taire les véritables origines. A cent lieues d'être militariste, Claudine s'est réjouie du fait que je me trouvais en attente du verdict du conseil de réforme devant entériner la décision du professeur de Toffol : mon retour définitif dans mes foyers pour "inadaptation à la vie en communauté". Dans l'immédiat, c'est à l'hôpital Sainte-Anne que je me dois de me rendre pour me mettre en règle, c'est-à-dire pour prolonger mon congé de convalescence. Mon père m'y - 109 -

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pire, bien que n'étant, au demeurant, impliqué en rien dans ce qui semble être en train de se<br />

tramer depuis mon départ du régiment.<br />

Je suis devenu, sans l'avoir jamais souhaité, un accoutumé des locaux de la Sûreté civile<br />

ou militaire : dépositions ou interrogatoires sont parties intégrantes de mon existence. Celle-ci<br />

ne dérogera pas à la règle des précédentes quant à son caractère administratif, aux accents<br />

faussement conviviaux. Bien que n'étant entendu qu'en tant que témoin, je suis avisé des<br />

retombées néfastes qui ne manqueraient pas de survenir pour ma personne si, d'une façon ou<br />

d'une autre, je portais assistance à un déserteur, lequel s’est adonné de surcroît à des actes de<br />

terrorisme (pour reprendre les termes employés par l'officier de la Sécurité militaire dirigeant<br />

les débats). Mon paraphe apposé au bas de ma déposition - fort réduite du reste -, on me<br />

signifie qu'il reste du domaine du possible que je sois de nouveau convoqué par rapport à<br />

l'évolution de l'enquête. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une affaire d'Etat, je suis bien conscient que<br />

rien ne sera laissé au hasard pour récupérer le pauvre Mikaël. Ce sont-là, à n'en pas douter, les<br />

"stigmates" du désormais historique mai 68.<br />

J'apprendrai quelque vingt-cinq ans plus tard, par l'intermédiaire de "ceux" qui posèrent<br />

la question qui ouvre ce livre, que la plus grande souffrance est celle qui fait constater<br />

l'incapacité qui est nôtre à réaliser ce que l'on a à cœur de faire, au moment où la situation<br />

se révèle à notre connaissance. J'avouerai sans détour ma propension à m'être souvent trouvé<br />

et à me trouver encore exposé à cet état de fait qui n'engendre rien d'autre que la résignation et<br />

un profond sentiment d'injustice, pour ne pas dire de dégoût, à l'égard du mensonge permanent<br />

dont on entoure notre éducation dès le plus jeune âge. Alors, une fois de plus, il faudrait dire :<br />

Pour ne pas changer, je vais laisser le "temps" faire son œuvre, en d'autres mots, je vais<br />

attendre...<br />

Chantal, d'abord, va m'aider à patienter. Oh ! Je ne lui conte que ce qui m'a conduit à<br />

me retrouver auprès d'elle bien avant la date escomptée et qui la rend heureuse. Le reste, je le<br />

garde sous silence, comme je le fais d'ailleurs avec mes parents. Il est hors de question, pour<br />

moi, d'inquiéter ceux qui, en continuité, exercent des sentiments affectifs à mon égard. C'est la<br />

meilleure formule, à mon humble avis, pour éviter tout débordement risquant d'occasionner des<br />

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