Tome 1 - "L'Initiation"

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— Les Visiteurs de l'Espace-Temps — beaucoup de vigilance, tu fais partie de ceux qui peuvent réveiller ou garder éveillées les consciences… Je me sens gêné, comme je l'ai toujours été, par cette dimension qu'il m'octroie et que je ne trouve pas justifiée. J'essaie de remettre les choses à leur place en lui rappelant, une fois de plus, que c'est bien lui, Mikaël, qui a su, par son influence, me mener à cet état de confiance, de conscience même, et que sans son ardeur communicative en le verbe comme en l'acte, je n'aurais jamais interprété et appliqué de façon si "constructive" ce que je subissais à présent depuis bientôt un an. Je lui demande, eu égard à tout ceci, de prendre garde à sa "foi", de juguler ses élans "d'idéalisme" et puis, avant tout, de ne pas trop s'illusionner sur mon compte. Ce à quoi il me répond (citant Titus Lucretius) : - Toute existence humaine est une course à l'illusion, pour ajouter aussitôt : Certaines illusions valent que nous participions à la course ! Et de me remercier encore en prenant congé, alors que ne sachant trop que dire, je me contente, dans un sanglot réfréné, de promettre de lui écrire. Trèves, une petite incursion au Luxembourg (Apach), Metz, et là, correspondance directe pour Marseille. Un omnibus me rapatrie alors à Toulon où mes parents sont surpris et heureux de me revoir au bout de quatre mois d'absence. La joie des retrouvailles, le bonheur de respirer de nouveau l'air marin sous un ciel on ne peut plus bleu. Bien sûr, ma famille ne comprend pas très bien, d'autant plus qu’il m’est impossible d’expliquer ce qui a réellement occasionné ma "réforme", et pour cause ! Il en sera toujours temps si "l'aventure" que je vis prend une tournure que je ne puisse soustraire au grand jour. Peu à peu, je reprends mes habitudes. Je partage mes journées entre la plage et l'athlétisme en compagnie de mes amis et camarades d'antan. "Les Desperados", toutefois, jouent sans moi : ils ont renouvelé quelque peu leur répertoire durant mon absence. Mes "confidents" toulonnais Chantal et Alain ont déserté Toulon à l’occasion de ces vacances et je n'ai personne à qui raconter mes quatre derniers mois, comme je voudrais le faire, sans rien omettre. Fidèle à mes promesses, j'écris. J'écris à mes compagnons de misère demeurés en Allemagne. Mais j'écris aussi des chansons. Oh ! J'avais déjà mis bout à bout des mots et de la musique, au lycée tout d'abord, où j'amusais mes camarades de classe en - 104 -

— L'Initiation — parodiant des œuvres connues, à l'U.S.A.M. ensuite, où, pendant les déplacements effectués pour aller participer aux compétitions régionales, je modifiais encore les paroles des chansons à succès de l'époque en fonction des anecdotes qui parsemaient la vie du club. Seulement voilà : quelque chose a changé en ce mois de juillet 1968, je sens une autre source d'inspiration m'envahir. Et si, en compagnie de mon père le plus souvent, j'en constate les effets, je n'en situe pas bien la cause, bien que je ne puisse nier, au hasard de mes introspections, qu'il y a quelqu'un, de l'autre côté du Rhin, qui n'y est pas étranger. Ainsi, au cours du mois, j'écris deux morceaux : "Neige sur le Rhin" suivi de "Bonhomme de Sable, Château de Neige". J'y vois là l'épanchement d'une prise de conscience en fonction d'événements dont l'importance, voire la gravité, ne m'auraient que très peu agressé naguère. Il semble que j'ai perdu de cette belle insouciance dont je me voulais le plus fidèle "chevalier servant", il y a tout juste un an. Je pose énormément de questions à mon père sur ce qui a secoué la France lors de ma courte apparition sous les drapeaux, je cherche à me documenter sur les révoltes et autres révolutions de l'histoire du monde, j'achète et lis notamment "La Révolution Anarchiste", un ouvrage volumineux et bien hermétique pour moi, alors. Néanmoins, j'y retrouve des personnages dont le nom ne m'est plus du tout étranger : Bakounine, Proudhon. Je perçois bien un agacement chez mon père qui ne nourrit qu'une idée : me voir réintégrer la vie professionnelle à la Sécurité sociale. De cette dernière, d’ailleurs, ma notification de titularisation vient enfin d'échoir dans la boîte aux lettres familiale. Ma mère, moins concernée, fait office de médiatrice dans les discussions plus ou moins orageuses que nous avons quelquefois en prenant les repas. Est-ce le fait qu’il ne se produise plus rien de "surnaturel" en ces instants ? Je ne peux y répondre à l'heure où j'écris ces lignes. Toujours est-il que je me sens parfaitement équilibré, sûr de moi, et que, chaque soir, en regardant sur le balcon le ciel étoilé qui veille sur Toulon, je rêve à un monde meilleur et je m'y projette, sans que j'en définisse convenablement ni le fond ni les formes. Paradoxalement, en m'ouvrant, pour ainsi dire, les yeux sur moi-même, Mikaël Calvin m'a surtout fait regarder autour de moi... Un quart de siècle après, je crois pouvoir certifier que l'acuité de cette vision des - 105 -

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parodiant des œuvres connues, à l'U.S.A.M. ensuite, où, pendant les déplacements effectués<br />

pour aller participer aux compétitions régionales, je modifiais encore les paroles des chansons à<br />

succès de l'époque en fonction des anecdotes qui parsemaient la vie du club.<br />

Seulement voilà : quelque chose a changé en ce mois de juillet 1968, je sens une autre<br />

source d'inspiration m'envahir. Et si, en compagnie de mon père le plus souvent, j'en constate<br />

les effets, je n'en situe pas bien la cause, bien que je ne puisse nier, au hasard de mes<br />

introspections, qu'il y a quelqu'un, de l'autre côté du Rhin, qui n'y est pas étranger. Ainsi, au<br />

cours du mois, j'écris deux morceaux : "Neige sur le Rhin" suivi de "Bonhomme de Sable,<br />

Château de Neige". J'y vois là l'épanchement d'une prise de conscience en fonction<br />

d'événements dont l'importance, voire la gravité, ne m'auraient que très peu agressé naguère.<br />

Il semble que j'ai perdu de cette belle insouciance dont je me voulais le plus fidèle<br />

"chevalier servant", il y a tout juste un an.<br />

Je pose énormément de questions à mon père sur ce qui a secoué la France lors de ma<br />

courte apparition sous les drapeaux, je cherche à me documenter sur les révoltes et autres<br />

révolutions de l'histoire du monde, j'achète et lis notamment "La Révolution Anarchiste", un<br />

ouvrage volumineux et bien hermétique pour moi, alors. Néanmoins, j'y retrouve des<br />

personnages dont le nom ne m'est plus du tout étranger : Bakounine, Proudhon. Je perçois bien<br />

un agacement chez mon père qui ne nourrit qu'une idée : me voir réintégrer la vie<br />

professionnelle à la Sécurité sociale. De cette dernière, d’ailleurs, ma notification de<br />

titularisation vient enfin d'échoir dans la boîte aux lettres familiale. Ma mère, moins concernée,<br />

fait office de médiatrice dans les discussions plus ou moins orageuses que nous avons<br />

quelquefois en prenant les repas.<br />

Est-ce le fait qu’il ne se produise plus rien de "surnaturel" en ces instants ? Je ne peux y<br />

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sûr de moi, et que, chaque soir, en regardant sur le balcon le ciel étoilé qui veille sur Toulon, je<br />

rêve à un monde meilleur et je m'y projette, sans que j'en définisse convenablement ni le fond ni<br />

les formes. Paradoxalement, en m'ouvrant, pour ainsi dire, les yeux sur moi-même, Mikaël<br />

Calvin m'a surtout fait regarder autour de moi...<br />

Un quart de siècle après, je crois pouvoir certifier que l'acuité de cette vision des<br />

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