Tome 1 - "L'Initiation"

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25.06.2013 Views

quelconque clémence juridique. — Les Visiteurs de l'Espace-Temps — Carcéral pour carcéral, mieux vaut, à choisir, un isolement cellulaire à l'hôpital de Trèves qu'un emprisonnement en la forteresse de Landaü. Qui plus est, tout séjour passé en prison reste dû à l'armée, ce qui retarde d'autant le retour à la vie civile. S'il persiste, à cet instant, un doute en mon for intérieur, il s'estompe rapidement en me remémorant le vieil adage : "Les paroles s'envolent, les écrits restent." C'est donc à une succession de pages blanches que se trouve confronté le médecin- commandant, en venant aux nouvelles en fin de matinée. Quelques éclats de voix en sus, il me rappelle à l'ordre en développant la même argumentation. C'est une sorte d'ultimatum qu'il me fixe, en me signifiant qu'il reviendra prendre connaissance de mes écrits dans l'après-midi. En m'apportant mon repas de la mi-journée, l'infirmier-major, avec beaucoup de mansuétude, m'encourage à me conformer aux directives de son supérieur, m'assurant que je ne serai pas renvoyé dans mon régiment. Il ajoute, pour appuyer sa thèse, que le commandant est un homme de parole, qu'il dissimule, sous des airs bourrus, de grandes qualités de cœur. Du fait, il n'a jamais agi à l'encontre des intérêts des soldats qui lui avaient été envoyés, bien au contraire... Est-ce le ton persuasif du sergent-chef ? Est-ce un regain de confiance en moi, inhérent aux dires antérieurs de Mikaël Calvin ? Toujours est-il que, sitôt ma ration de "pénitent" avalée, je me mets à relater, de ligne en ligne, de feuille en feuille, tout ce qui a contribué à engager ma participation bien involontaire à l'élaboration de ce climat de désordre m'ayant conduit entre ces murs. C'est bien une autoaccusation que je rédige, puisque je n'y fais pas état de persécution mais plutôt "d'effets physiques" que je ne contrôle pas, comme j'ai pu le confier, à Landaü, au lieutenant Meporema. A deux reprises, de mon for intérieur émerge l'envie de détruire ce "manuscrit", et puis, mea culpa pour mea culpa, j'appose, ainsi qu'il me l'a été demandé, ma signature au terme de ma "confession". C'est aux alentours de seize heures que le docteur de Toffol prend possession de mes écrits. C'est un peu avant dix-sept heures que son infirmier-major vient m'aider à remplir un imprimé en double exemplaire. Imprimé dont l'en-tête ne laisse planer aucune équivoque, - 102 -

— L'Initiation — puisqu'il mentionne en caractères gras : "Demande de pension". Il convient de dire ici que toute affection entraînant le renvoi dans ses foyers d'un appelé, après un délai de trois mois, est susceptible de valoir au "réformé" une pension. C'est l'antériorité ou la postériorité de ladite affection qui décidera, sous l’autorité d'une commission spéciale de réforme, de la non-attribution ou bien de l'obtention de la "rente" ou "pension". C'est sur un nuage que je remplis dûment l'imprimé, sans me préoccuper de ce qu'il adviendra a posteriori. Pour l'heure, une seule chose m'importe : je vais être libéré. Mieux encore : libre ! Dans les trois semaines qui suivirent, je quittai donc l'hôpital militaire de Trèves afin de rejoindre Landaü, doté du plus beau cadeau qui fût, en la circonstance, pour mon vingtième anniversaire : un bulletin de convalescence de trois mois renouvelables à l'hôpital Sainte-Anne de Toulon. Et ce, jusqu'à la décision officielle attestant ma "réforme". C’est donc à Landaü que je vais rendre mon paquetage, faire établir mon billet de train et, surtout, revoir Mikaël Calvin (hélas pour la dernière fois). Mikaël m'accompagnera dans toutes les démarches inhérentes à mon départ, visiblement ému. Pourtant il ne cherche pas à faire valoir, en ces instants, ses prémonitions quant à ma libération anticipée. Tout juste me confie-t-il, chemin faisant vers la gare, qu'une page de sa vie est en passe de se tourner, que plus rien, désormais, ne sera comme avant et qu'il ne sait pas bien pourquoi il a, lui, été confronté à tout cela. Je le trouve quelque peu mélancolique. Sur le quai il enchaîne... Emettant des réserves sur ce qui s'est passé et continue de se passer en France, il craint une récupération du mouvement, qu'il qualifie de révolutionnaire, par le pouvoir. Il dit que la "routine" a toujours conduit à un état de "léthargie" conditionnant l'homme à ce qu'il nomme "l'éternelle soumission". Il parle de "l'égocentrisme" qui annihile tous les effets du progrès. Il a cette phrase terrible dont je ne situerai la signification totale que quelques mois plus tard : - Aimer, c'est se rendre utile à l'égard de chacun. Lorsque l'on prend conscience de ne plus servir autrui, et donc l'Amour, il convient de savoir mettre fin à l'inutilité… Puis il se reprend en m'impliquant dans ce qu'il appelle "la vigilance" : - Tu te dois, en rapport avec ce que tu vis et ce que tu es appelé à vivre, de manifester - 103 -

— L'Initiation —<br />

puisqu'il mentionne en caractères gras : "Demande de pension".<br />

Il convient de dire ici que toute affection entraînant le renvoi dans ses foyers d'un<br />

appelé, après un délai de trois mois, est susceptible de valoir au "réformé" une pension. C'est<br />

l'antériorité ou la postériorité de ladite affection qui décidera, sous l’autorité d'une commission<br />

spéciale de réforme, de la non-attribution ou bien de l'obtention de la "rente" ou "pension".<br />

C'est sur un nuage que je remplis dûment l'imprimé, sans me préoccuper de ce qu'il<br />

adviendra a posteriori. Pour l'heure, une seule chose m'importe : je vais être libéré. Mieux<br />

encore : libre !<br />

Dans les trois semaines qui suivirent, je quittai donc l'hôpital militaire de Trèves afin de<br />

rejoindre Landaü, doté du plus beau cadeau qui fût, en la circonstance, pour mon vingtième<br />

anniversaire : un bulletin de convalescence de trois mois renouvelables à l'hôpital Sainte-Anne<br />

de Toulon. Et ce, jusqu'à la décision officielle attestant ma "réforme".<br />

C’est donc à Landaü que je vais rendre mon paquetage, faire établir mon billet de train<br />

et, surtout, revoir Mikaël Calvin (hélas pour la dernière fois).<br />

Mikaël m'accompagnera dans toutes les démarches inhérentes à mon départ,<br />

visiblement ému. Pourtant il ne cherche pas à faire valoir, en ces instants, ses prémonitions<br />

quant à ma libération anticipée. Tout juste me confie-t-il, chemin faisant vers la gare, qu'une<br />

page de sa vie est en passe de se tourner, que plus rien, désormais, ne sera comme avant et<br />

qu'il ne sait pas bien pourquoi il a, lui, été confronté à tout cela. Je le trouve quelque peu<br />

mélancolique. Sur le quai il enchaîne...<br />

Emettant des réserves sur ce qui s'est passé et continue de se passer en France, il craint<br />

une récupération du mouvement, qu'il qualifie de révolutionnaire, par le pouvoir. Il dit que la<br />

"routine" a toujours conduit à un état de "léthargie" conditionnant l'homme à ce qu'il nomme<br />

"l'éternelle soumission". Il parle de "l'égocentrisme" qui annihile tous les effets du progrès. Il a<br />

cette phrase terrible dont je ne situerai la signification totale que quelques mois plus tard :<br />

- Aimer, c'est se rendre utile à l'égard de chacun. Lorsque l'on prend conscience de ne<br />

plus servir autrui, et donc l'Amour, il convient de savoir mettre fin à l'inutilité…<br />

Puis il se reprend en m'impliquant dans ce qu'il appelle "la vigilance" :<br />

- Tu te dois, en rapport avec ce que tu vis et ce que tu es appelé à vivre, de manifester<br />

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