Le rêve lyrique en Colombie au XIX siècle - Université Paris-Sorbonne
Le rêve lyrique en Colombie au XIX siècle - Université Paris-Sorbonne
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<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
École Doctorale Concepts Et Langages (Ed 0433)<br />
Membres du Jury :<br />
Rondy TORRES LÓPEZ<br />
\__\__\__\__\__\__\__\__\__\__\__\<br />
(N° d’<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t attribué par la bibliothèque)<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong><br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong><br />
Prémisses, œuvres et dev<strong>en</strong>ir<br />
Thèse de Musicologie<br />
dirigée par<br />
Mme Danièle PISTONE, professeur<br />
Mme Brigitte FRANÇOIS-SAPPEY (<strong>Paris</strong>, CNSMDP)<br />
Mme le Professeur María NAGORE, présid<strong>en</strong>te (Madrid, <strong>Université</strong><br />
Complut<strong>en</strong>se)<br />
Mme le Professeur Danièle PISTONE, directeur de thèse (<strong>Université</strong> de <strong>Paris</strong>-<br />
<strong>Sorbonne</strong>)<br />
M. B<strong>en</strong>jamín YÉPEZ CHAMORRO (Madrid, Institut Complut<strong>en</strong>se de Sci<strong>en</strong>ces<br />
Musicales « ICCMU »)<br />
Janvier 2009
2<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
3<br />
Remerciem<strong>en</strong>ts<br />
À ma directrice de recherche, Mme Danièle PISTONE. Tout <strong>au</strong> long de ces années, elle m’a<br />
sout<strong>en</strong>u et <strong>en</strong>couragé dans cette av<strong>en</strong>ture intellectuelle. Ses nombreuses lectures et corrections<br />
ont permis que cette recherche pr<strong>en</strong>ne forme.<br />
À Brigitte FRANÇOIS-SAPPEY, qui a pris sous sa protection la redécouverte d’Ester lorsque<br />
j’étais son élève <strong>au</strong> Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de <strong>Paris</strong>, <strong>en</strong><br />
2002. Son <strong>en</strong>thousiasme et son appui sans réserves m’ont <strong>en</strong>couragé dans cette longue étude<br />
sur PONCE DE LEÓN.<br />
À B<strong>en</strong>jamin YÉPEZ. C’est lui qui a guidé mes premiers pas lorsque j’ai comm<strong>en</strong>cé à<br />
travailler, <strong>en</strong> 2000, sur la musique colombi<strong>en</strong>ne.<br />
À Margarita LÓPEZ, ma mère. Ses nombreuses corrections et ses conseils m’ont permis de<br />
me lancer dans ce long travail qui <strong>au</strong>ra duré près de quatre ans.<br />
À Vic<strong>en</strong>te TORRES, mon père, pour son vif <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t durant les derniers mois. Ses<br />
nombreuses corrections, ses suggestions pertin<strong>en</strong>tes, la discussion de mes traductions <strong>en</strong><br />
français, son exig<strong>en</strong>ce concernant le style, ont été décisifs quant à la forme définitive de ce<br />
texte.<br />
À Jaime QUEVEDO, directeur du C<strong>en</strong>tro de Docum<strong>en</strong>tación musical de Bogotá, pour sa<br />
tâche difficile et désintéressée dans le mainti<strong>en</strong> de la culture musicale colombi<strong>en</strong>ne. Il m’a<br />
ouvert avec émotion le fonds sur Ponce de <strong>Le</strong>ón conservé à la Biblioteca Nacional. Sans son<br />
aide, il eût été impossible d’explorer l’œuvre du compositeur colombi<strong>en</strong>.<br />
À Elsa et Lucia PONCE DE LEÓN, petites-filles du compositeur ; à Maria Cl<strong>au</strong>dia et Lucia<br />
SARMIENTO, arrière-petites-filles. <strong>Le</strong>s nombreuses discussions à Bogotá m’ont permis de<br />
connaître sous un <strong>au</strong>tre angle le compositeur.<br />
Bi<strong>en</strong> d’<strong>au</strong>tres personnes que j’ai croisées durant ces années sont redevables des plus grands<br />
remerciem<strong>en</strong>ts. Chanteurs et musici<strong>en</strong>s lors des différ<strong>en</strong>tes interprétations d’Ester à <strong>Paris</strong> ou à<br />
Bogotá ; les institutions qui m’ont aidé, l’<strong>Université</strong> de <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV), le<br />
CNSMDP, la Biblioteca Luis Angel Arango de Bogotá.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
4<br />
A<br />
u bout d’une journée passée <strong>au</strong>près des manuscrits de Ponce de <strong>Le</strong>ón, plongé dans la<br />
presse des années 1880, j’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds, <strong>au</strong> sortir de la Bibliothèque Luis Ángel Arango de<br />
Bogotá, une fanfare militaire qui bat la retraite. Mon imagination, habituée <strong>au</strong>x rues de la<br />
Candelaria – anci<strong>en</strong> quartier colonial de Bogotá – nourrie par des mois de lecture et dev<strong>en</strong>ue<br />
familière avec un temps révolu, me transporte alors dans les années 1876.<br />
La banda s’ouvre un chemin dans la foule nombreuse qui suit le cortège. Cette même<br />
fanfare dont Ponce de <strong>Le</strong>ón eut jadis à la direction. L’émotion est forte. <strong>Le</strong>s villancicos –<br />
chants de noël – <strong>en</strong>tonnés par les clairons, clarinettes et carillons se mêl<strong>en</strong>t à des airs<br />
populaires, des bribes de la Panthère rose suivies de la marche d’Aida, <strong>en</strong>chaînée à un<br />
bambuco colombi<strong>en</strong>. <strong>Le</strong> même mélange de g<strong>en</strong>res qui se retrouvait dans les programmes d’il<br />
y a plus de 130 ans : Str<strong>au</strong>ss, Verdi, bambucos, etc. Assister à un tel spectacle, suivre le défilé<br />
et déboucher sur la Plaza de Bolívar ; se retrouver dans le cœur de l’anci<strong>en</strong>ne ville, <strong>en</strong>touré<br />
des monum<strong>en</strong>ts-symboles de la nouvelle république du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, le Capitolio national, la<br />
Cathédrale et sa prom<strong>en</strong>ade <strong>en</strong> h<strong>au</strong>teur – anci<strong>en</strong>ne alameda – surplombés <strong>au</strong> loin par la<br />
montagne de Monserrate ; écouter <strong>en</strong>fin cette musique rythmée et désaccordée, tout cela<br />
provoque <strong>en</strong> moi une s<strong>en</strong>sation intemporelle qui me rapproche du compositeur dont je suis les<br />
traces depuis quelques années. La ville n’est plus sa ville des années 1870. Mais les rues sont<br />
là et l’<strong>en</strong>thousiasme que provoque ce défilé musical est le même que celui que décrivai<strong>en</strong>t les<br />
voyageurs étrangers à Bogotá.<br />
Comm<strong>en</strong>t douter alors de l’importance de Ponce de <strong>Le</strong>ón, director de la banda de Bogotá !<br />
En cette veille de Noël, me voilà certain de l’admiration que Ponce pouvait alors susciter. Me<br />
voilà face à un Ponce de <strong>Le</strong>ón inexistant, mais qui pourtant apparaît devant mes yeux. C<strong>en</strong>t<br />
mètres plus loin, <strong>en</strong> remontant les rues qui grimp<strong>en</strong>t vers la montagne de Guadalupe, le<br />
Teatro Colón, anci<strong>en</strong> Coliseo Maldonado, berce<strong>au</strong> de l’opéra à Bogotá, r<strong>en</strong>ferme dans<br />
l’indiffér<strong>en</strong>ce de son passé les secrets des créations d’Ester, du Castillo misterioso et de<br />
Florinda.<br />
Face à un défilé militaire, à l’édifice où se fit l’opéra, je pr<strong>en</strong>ds consci<strong>en</strong>ce que cette étude<br />
s’<strong>en</strong>racine dans une réalité qui a laissé des traces pour qui veut bi<strong>en</strong> les voir <strong>en</strong>core. Et cette<br />
histoire, cette imagination qui me propulse sans cesse dans un temps méconnu, la voilà qui se<br />
construit <strong>au</strong>tour d’un personnage : le profesor José María Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
T<br />
Avant-propos<br />
erres baignées par la Mer des Caraïbes et l’océan Pacifique, marquant la limite nord-<br />
ouest du contin<strong>en</strong>t sud-américain, traversées par une triple cordillère, rempart naturel<br />
protégeant des villes construites <strong>en</strong> nids d’aigle ; pays <strong>au</strong>x diverses faces, dont les fraîcheurs<br />
andines limit<strong>en</strong>t la chaleur tropicale, <strong>en</strong>richi par un afflux de populations europé<strong>en</strong>nes puis<br />
africaines ; telle est la <strong>Colombie</strong>. Un pays de contrastes et de différ<strong>en</strong>ces, dans lequel toute<br />
t<strong>en</strong>tative d’unification reste vaine. Villes <strong>au</strong> seuil de la modernité, contournées de forêts où les<br />
libertés ess<strong>en</strong>tielles sont bafouées. Théâtre de la lutte <strong>en</strong>tre exotisme et barbarie, personne<br />
n’<strong>au</strong>ra échappé à cette vision contradictoire de la <strong>Colombie</strong> depuis l’époque de la Conquête<br />
jusqu’à nos jours.<br />
Mais que sait-on de sa musique ? Qui sait que, dans les années 1870, un compositeur<br />
colombi<strong>en</strong> écrivit des opéras avec succès, représ<strong>en</strong>tés par des troupes europé<strong>en</strong>nes qui<br />
cherchai<strong>en</strong>t fortune <strong>au</strong> pays d’El Dorado ?<br />
Au <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, la <strong>Colombie</strong>, comme d’<strong>au</strong>tres pays du contin<strong>en</strong>t américain, s’émancipe de<br />
la monarchie espagnole. Suiv<strong>en</strong>t alors plusieurs déc<strong>en</strong>nies p<strong>en</strong>dant lesquelles les dirigeants<br />
cherch<strong>en</strong>t un type de gouvernem<strong>en</strong>t à adopter, alors que se pose la question de définir une<br />
id<strong>en</strong>tité nationale. Que connaît-on de ce <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> ? <strong>Le</strong>s intellectuels – hommes d’état,<br />
écrivains, poètes, polémistes, les mêmes qui assist<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x premières œuvres <strong>lyrique</strong>s – ont<br />
laissé le témoignage d’un monde idéal où il fait bon vivre, ori<strong>en</strong>té par une dynamique de<br />
progrès vers l’idéal de vie europé<strong>en</strong>. Cette vision, <strong>au</strong>jourd’hui qualifiée de romantique et<br />
d’utopique, s’inscrit dans un projet de construction id<strong>en</strong>titaire qui est le fruit d’une élite<br />
lettrée.<br />
<strong>Le</strong> revers de cette société (vie rurale, p<strong>au</strong>vreté et misère urbaine, exploitation), longtemps<br />
resté à l’ombre, est de mieux <strong>en</strong> mieux connu depuis les années 1960. De façon générale, les<br />
plus réc<strong>en</strong>tes études anthropologiques pass<strong>en</strong>t <strong>au</strong> crible ce <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> colombi<strong>en</strong>, prés<strong>en</strong>tant<br />
une vision plurielle de cette société consolidée <strong>au</strong>tour d’une unité nationale, paradoxalem<strong>en</strong>t<br />
cim<strong>en</strong>tée <strong>au</strong>tour de l’exclusion.<br />
La bibliographie colombi<strong>en</strong>ne sur le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> est vaste. Depuis 2002, alors que<br />
j’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ais mes premières études sur l’opéra colombi<strong>en</strong>, la production historiographique<br />
sur cette période n’a cessé de s’<strong>en</strong>richir. Cela m’a permis de mieux compr<strong>en</strong>dre cette société<br />
dans laquelle naquir<strong>en</strong>t les premiers opéras. Par ailleurs la reproduction digitale de docum<strong>en</strong>ts<br />
5<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
6<br />
anci<strong>en</strong>s (Gallica <strong>en</strong> France, Blaa-digital <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>) met à notre disposition un outil<br />
ess<strong>en</strong>tiel lorsque nous travaillons loin des fonds étudiés. Pour ne donner qu’un exemple, le<br />
Papel periódico ilustrado, l’un des journ<strong>au</strong>x les plus importants publié <strong>en</strong>tre 1881 et 1888 à<br />
Bogotá, est <strong>au</strong>jourd’hui <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t consultable <strong>en</strong> ligne ! Comm<strong>en</strong>t oublier ces longues<br />
heures d’att<strong>en</strong>te à l’hémérothèque de la bibliothèque Luis Angel Arango pour avoir accès à un<br />
poste de lecture de microfilm. Un clic suffit <strong>au</strong>jourd’hui pour voir apparaître sur un écran<br />
d’ordinateurs les fac-similés de tous les numéros !<br />
Même si la recherche dans le domaine de la musique sur cette période républicaine reste<br />
<strong>en</strong>core sommaire, quelques études publiées depuis peu laiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trevoir un terrain fertile<br />
pour la recherche musicologique. Nous espérons à notre tour apporter de nouve<strong>au</strong>x élém<strong>en</strong>ts<br />
de connaissance avec cette étude sur le fait opératique à Bogotá.<br />
Ce travail s’inscrit dans un projet d’études qui a pris son <strong>en</strong>vol durant l’année universitaire<br />
2002-2003. Parti à la découverte du répertoire colombi<strong>en</strong> de musique savante, j’ai d’abord<br />
effectué un travail sur la musique pour piano du XX e <strong>siècle</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> 1 . Lors d’un séjour de<br />
recherche à Bogotá, j’ai aperçu le manuscrit <strong>au</strong>tographe de l’opéra Ester. Tout de suite, par<br />
curiosité et goût pour l’inédit, je me suis proposé de partir à la découverte de cette partition,<br />
de ce compositeur et de son œuvre. C’est dans la classe de Culture musicale de Brigitte<br />
François-Sappey <strong>au</strong> Conservatoire National de Musique et de Danse de <strong>Paris</strong> que j’ai eu<br />
l’occasion de travailler <strong>en</strong>fin sur Ester, premier opéra de Ponce (1874). Travail que j’ai<br />
prolongé dans le cadre d’un DEA à l’université de <strong>Paris</strong> IV sous la direction de Danièle<br />
Pistone (2004). Parallèlem<strong>en</strong>t je me suis intéressé à la vision que pouvai<strong>en</strong>t avoir les<br />
Europé<strong>en</strong>s sur l’Amérique, toujours dans l’opéra, <strong>en</strong> travaillant notamm<strong>en</strong>t sur le manuscrit<br />
<strong>au</strong>tographe de la tragédie <strong>lyrique</strong> Pizarre ou la Conquête du Pérou (1785) de Pierre-Joseph<br />
Candeille 2 .<br />
La réalisation de ces trav<strong>au</strong>x, m’a poussé à élargir mon étude doctorale à l’<strong>en</strong>semble des<br />
œuvres <strong>lyrique</strong>s de Ponce de <strong>Le</strong>ón : quatre ouvrages aboutis et représ<strong>en</strong>tés à Bogotá, ainsi que<br />
de courts extraits de nombreuses zarzuelas à ce jour disparues. J’ai <strong>au</strong>ssi attaché une att<strong>en</strong>tion<br />
1 <strong>Le</strong> piano : éb<strong>au</strong>che d’une histoire de la musique colombi<strong>en</strong>ne <strong>au</strong> XX e <strong>siècle</strong>. Mémoire de maîtrise<br />
sous la direction de M. Fischer. <strong>Université</strong> de <strong>Paris</strong> – <strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV), 2003.<br />
2 Au temps des Lumières, Pizarre ou la Conquête d’un nouvel Ailleurs. Mémoire de Culture musicale<br />
sous la direction de B. François-Sappey. CNSMDP, 2004.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
particulière à la redécouverte du compositeur, afin de le replacer dans son temps et compléter<br />
ainsi l’approche que l’on peut avoir de son œuvre.<br />
Étudier Ester, le Castillo, Florinda, c’était partir de ri<strong>en</strong> ! Basé sur des manuscrits<br />
<strong>au</strong>tographes et des journ<strong>au</strong>x d’époque, je propose <strong>en</strong>fin une histoire détaillée de l’opéra à<br />
Bogotá <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> <strong>au</strong> cours d’une recherche qui <strong>au</strong>ra duré cinq années.<br />
Je ti<strong>en</strong>s <strong>au</strong>ssi à remercier symboliquem<strong>en</strong>t les villes qui ont mis à ma disposition un<br />
matériel bibliographique. L’ess<strong>en</strong>tiel de cette étude a été effectué à Bogotá et à <strong>Paris</strong>. <strong>Le</strong>s<br />
sources musicales, ainsi que la presse du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, sont conservés à Bogotá. L’Institut<br />
Ibéro-Américain de Berlin, avec sa collection importante de littérature sur l’Amérique Latine,<br />
m’a permis de consulter des ouvrages abs<strong>en</strong>ts des collections bogotaines. Enfin, grand<br />
paradoxe, certaines sources littéraires des collections colombi<strong>en</strong>nes, disparues ou<br />
incommunicables, ont pu être consultées dans des <strong>en</strong>droits <strong>au</strong>ssi inatt<strong>en</strong>dus que la<br />
Bibliothèque du Congrès (Washington) ou la Bibliothèque nationale de Suède (Stockholm).<br />
Parallèlem<strong>en</strong>t j’ai attaché une forte importance à la diffusion des résultats de mes<br />
recherches. En novembre 2006 la mairie de Bogotá m’a contacté afin de réaliser une<br />
confér<strong>en</strong>ce sur l’opéra Ester <strong>au</strong> foyer du Teatro Colón, dans un cycle de confér<strong>en</strong>ces sur<br />
l’opéra dans le cadre du festival annuel Ópera al parque.<br />
De plus, mes intérêts <strong>en</strong> tant que musicologue ont toujours croisé ceux de l’interprète. Dès<br />
le début de mon étude je me suis donné pour objectif principal la redécouverte musicale des<br />
opéras de Ponce. La toute première représ<strong>en</strong>tation publique d’extraits d’Ester a eu lieu à<br />
l’Amphithéâtre Richelieu de la <strong>Sorbonne</strong> le 22 mars 2004, dans une version que j’avais<br />
arrangée pour <strong>en</strong>semble réduit. Durant trois années, alors que je dirigeais l’<strong>en</strong>semble Voces<br />
Nuevas, nous avons proposé des programmes ayant un rapport avec l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>,<br />
n’hésitant pas à inclure des œuvres du grand répertoire itali<strong>en</strong>, ou des inédits tel le Songe<br />
d’Alzire, cavatine qui ouvre Pizarre ou la Conquête du Pérou de P.-J. Candeille.<br />
L’événem<strong>en</strong>t le plus important a été la prés<strong>en</strong>tation à Bogotá d’Ester avec solistes, chœur et<br />
orchestre d’origine, placés sous ma direction. C<strong>en</strong>t tr<strong>en</strong>te-trois ans après la création de<br />
l’opéra, le Teatro Colón de Bogotá était à nouve<strong>au</strong> la scène de cette redécouverte historique<br />
les 4, 7 et 10 novembre 2007 dans le cadre du Festival Ópera al parque organisé par la ville<br />
de Bogotá. Ponce de <strong>Le</strong>ón rescapé de l’oubli, nous espérons prochainem<strong>en</strong>t continuer la<br />
restitution de ses ouvrages sur la scène.<br />
7<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
8<br />
Et l’av<strong>en</strong>ir ? Je l’annonçais dès mes premiers trav<strong>au</strong>x : <strong>au</strong> terme de cette longue étude, je<br />
s<strong>en</strong>s la nécessité d’élargir mon regard sur l’<strong>en</strong>semble du contin<strong>en</strong>t latino-américain, tout <strong>en</strong><br />
restant dans le g<strong>en</strong>re peu connu de l’opéra. Ildegonda, opéra du Mexicain Melesio Morales, a<br />
déjà été <strong>en</strong>registré et joué avec succès. D’<strong>au</strong>tres œuvres att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t d’être redécouvertes,<br />
interprétées, telles Atahualpa de l’Itali<strong>en</strong> Enrico Pasta, premier opéra écrit à Lima <strong>au</strong><br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Ces représ<strong>en</strong>tations sont <strong>en</strong>core exceptionnelles mais nous espérons qu’elles se<br />
répéteront : tout un monde est <strong>en</strong>core à découvrir.<br />
Ce travail m’a permis <strong>au</strong>ssi de découvrir l’importance des troupes itinérantes itali<strong>en</strong>nes<br />
p<strong>en</strong>dant tout le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Il s’agit d’un sujet que je voudrais approfondir par la suite.<br />
En tant que musicologue, mon devoir est désormais de r<strong>en</strong>dre accessible cette étude <strong>au</strong>x<br />
lecteurs colombi<strong>en</strong>s <strong>en</strong> proposant une traduction de mon texte. En tant qu’interprète, je<br />
continue dans la voie franchie avec Ester, notamm<strong>en</strong>t dans la programmation d’<strong>au</strong>tres<br />
ouvrages de Ponce de <strong>Le</strong>ón à Bogotá. Il est certain que l’opéra latino-américain restera<br />
toujours <strong>au</strong> c<strong>en</strong>tre de mes intérêts de chercheur et d’interprète.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
D<br />
Introduction<br />
OPÉRA BOGOTAIN<br />
Nous félicitons très cordialem<strong>en</strong>t le jeune José María Ponce, pour le brillant succès qu’il a<br />
obt<strong>en</strong>u dans son apparition comme compositeur [et 3 ] musici<strong>en</strong>, ainsi que les <strong>au</strong>tres jeunes g<strong>en</strong>s<br />
qui avec tant de soin ont contribué à l’éclat de l’exécution. L’<strong>en</strong>treprise était lourde, les<br />
difficultés énormes ; bi<strong>en</strong> s’<strong>en</strong> sortir, s’<strong>en</strong> sortir avec éclat dans de telles circonstances, est un<br />
événem<strong>en</strong>t, et un événem<strong>en</strong>t très notable !<br />
Et que ferons-nous, les Bogotains, pour l’opéra colombi<strong>en</strong> ? Non ! Non : Que cette voix qui<br />
allait dire RIEN se taise ! Qu’elle se taise ; car oui, nous ferons quelque chose, et be<strong>au</strong>coup –<br />
Quoi ? Assister toujours, sans <strong>en</strong> rater une seule, à toutes les représ<strong>en</strong>tations gratis que donne<br />
le jeune Ponce…<br />
ÓPERABOGOTANA.<br />
Felicitamosmuycordialm<strong>en</strong>tealjov<strong>en</strong>JoséMaríaPonce,porelbrillanteéxitoquehat<strong>en</strong>ido<br />
<strong>en</strong> su estr<strong>en</strong>o como compositor músico; no m<strong>en</strong>os que a los otros jóv<strong>en</strong>es que tan<br />
esmeradam<strong>en</strong>tecooperaronalbrillodelaejecución.Laempresaeramagna,lasdificultades<br />
inm<strong>en</strong>sas;salirbi<strong>en</strong>,salirconlucimi<strong>en</strong>to<strong>en</strong>semejantescircunstancias,esunsucesoiun<br />
sucesonotabilísimo.<br />
I¿quéharemoslosbogotanos<strong>en</strong>prodelaóperabogotana?No!no:calleesavozqueibaa<br />
decirNADA!calle;quesíhemosdehacerimuchoimucho–Qué?Concurrirsiempre,sinfaltar<br />
<strong>au</strong>nasola,acuantasfuncionesdéeljov<strong>en</strong>Poncegrátis…<br />
ElBogotano(III.119),15décembre1865<br />
estiné à marquer l’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, le nom de José María Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón apparaît pour la première fois dans la presse de Bogotá lorsqu’il est question<br />
« d’opéra bogotain ». L’<strong>au</strong>teur anonyme pouvait-il savoir que José María Ponce de <strong>Le</strong>ón, et<br />
lui seul, allait faire l’opéra bogotain ?<br />
En décembre 1865, le journal El Bogotano emploie pompeusem<strong>en</strong>t le terme « opéra » pour<br />
un opéra bouffe 4 . Sans doute – si ce n’est pour éloge – pour signifier l’admiration et l’émotion<br />
face à l’apparition de la première œuvre <strong>lyrique</strong> écrite <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. Une musique dont nous<br />
n’avons <strong>au</strong>jourd’hui <strong>au</strong>cune trace, écrite par un jeune homme de vingt ans qui v<strong>en</strong>ait de<br />
participer comme souffleur à l’Opéra. Ponce de <strong>Le</strong>ón, dans son trou de souffleur, s’imaginait-<br />
il que neuf ans après, le tout Bogotá acclamerait son premier opéra Ester ? Qu’il devi<strong>en</strong>drait<br />
l’un des maestros les plus connus de la ville ? Que sa place serait bi<strong>en</strong>tôt sur l’estrade du chef<br />
d’orchestre ?<br />
3<br />
Il est probable qu’il manque la conjonction « et » puisque Ponce accompagnait <strong>au</strong> piano la création<br />
de son œuvre (voir § 3.3.2.)<br />
4<br />
Nous verrons par la suite qu’il s’agit de l’opéra-bouffe Un alcalde a la antigua y dos primos a la<br />
moderna (1865) d’après la comédie de José María Samper.<br />
9<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
10<br />
Au <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, la production musicale colombi<strong>en</strong>ne prés<strong>en</strong>te un florilège de courtes pièces<br />
pour piano, pour guitare ou de chansons. Ces valses, contradanzas, bambucos, dont la<br />
principale fonction est d’animer les longues soirées, se trouv<strong>en</strong>t à la croisée <strong>en</strong>tre un monde<br />
savant et populaire. En même temps, des musici<strong>en</strong>s europé<strong>en</strong>s – chanteurs itali<strong>en</strong>s ou<br />
virtuoses du clavier – introduis<strong>en</strong>t un nouve<strong>au</strong> répertoire, radicalem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t de ces<br />
miniatures prêchant par leur style léger : l’opéra.<br />
À Bogotá, l’opéra est d’abord l’assemblage de courts extraits d’œuvres itali<strong>en</strong>nes, si ce ne<br />
sont des fantaisies pour piano sur des thèmes d’opéras. Jusqu’à ce qu’<strong>en</strong> 1858 arrive la<br />
compagnie itali<strong>en</strong>ne Bazzani. <strong>Le</strong> Coliseo Maldonado va <strong>en</strong>fin accueillir pour la première fois<br />
sur sa scène un opéra complet. Cep<strong>en</strong>dant, la création locale reste la même – valses,<br />
quadrilles, polkas – même si l’influ<strong>en</strong>ce du style belcantiste est indéniable dans la musique<br />
des années 1860. C’est alors qu’<strong>en</strong> 1867, trois compositeurs colombi<strong>en</strong>s, José María Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón, Juan Crisóstomo Osorio et Daniel Figueroa, écriv<strong>en</strong>t trois zarzuelas <strong>en</strong> un acte. Sept<br />
ans plus tard, <strong>en</strong> 1874, est créé le premier opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón, Ester, œuvre de grande<br />
<strong>en</strong>vergure dont le manuscrit <strong>au</strong>tographe comporte plus de c<strong>en</strong>t feuilles recto-verso 5 , suivie par<br />
deux <strong>au</strong>tres ouvrages <strong>au</strong>x dim<strong>en</strong>sions comparables : El Castillo misterioso puis Florinda.<br />
Dans un <strong>en</strong>tourage accoutumé à la miniature musicale, nul n’eût pu s’att<strong>en</strong>dre à la naissance<br />
de tels colosses !<br />
Mais qu’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d-on par opéra dans le contexte colombi<strong>en</strong> du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> ? Qu’est-ce qu’un<br />
opéra pour le jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón, découvrant p<strong>en</strong>dant dix ans les représ<strong>en</strong>tations<br />
pittoresques d’ouvrages <strong>lyrique</strong>s à Bogotá, déconcerté par la magnific<strong>en</strong>ce de la scène<br />
parisi<strong>en</strong>ne qu’il fréqu<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre 1867 et 1870 ? Comm<strong>en</strong>t musici<strong>en</strong>s et librettistes colombi<strong>en</strong>s<br />
ont-ils abordé ce g<strong>en</strong>re europé<strong>en</strong> dans les années 1870 ? Quelle approche pouvai<strong>en</strong>t-ils avoir<br />
du g<strong>en</strong>re, de sa structure ? Comm<strong>en</strong>t ont-ils p<strong>en</strong>sé l’opéra ?<br />
À travers cette étude nous tâcherons de définir, docum<strong>en</strong>ts à l’appui, l’opéra dans la<br />
<strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. L’opéra comme spectacle civilisateur qui arrive de l’Europe ;<br />
l’opéra comme œuvre musicale à travers les quelques partitions composées à Bogotá ; mais<br />
<strong>au</strong>ssi l’opéra comme phénomène social, marquant une nette rupture dans le quotidi<strong>en</strong>.<br />
Quelques personnalités ressort<strong>en</strong>t dans le panorama <strong>lyrique</strong> de cette période. Tout d’abord<br />
le seul compositeur d’opéras durant tout le <strong>siècle</strong>, José María Ponce de <strong>Le</strong>ón (1845-1882),<br />
dont nous proposons ici une première biographie comme résultat de nos recherches. Ses<br />
5 Cela correspond à un conducteur de plus de 300 pages <strong>en</strong> édition moderne.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
œuvres ont créé le mirage de la naissance d’un opéra national. Mais à sa mort <strong>au</strong>cun<br />
compositeur n’a pu continuer sur la voie qu’il avait ouverte. L’opéra national – pour <strong>au</strong>tant<br />
que l’on puisse parler de national – est l’opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Nous regroupons son œuvre<br />
<strong>en</strong> deux catégories. Ses compositions de jeunesse, de « l’avant-<strong>Paris</strong> » : le final pour El<br />
Embozado de Córdoba (1865) ; l’opéra bouffe Un alcalde a la antigua y dos primos a la<br />
moderna (1865) ; sa zarzuela chica créée <strong>au</strong> Coliseo par une troupe europé<strong>en</strong>ne, El Vizconde<br />
(1867). À <strong>Paris</strong> il <strong>au</strong>rait composé un opéra bouffe, <strong>Le</strong>s Dix, sur lequel nous n’avons <strong>au</strong>cune<br />
information. Puis apparaiss<strong>en</strong>t les trois grands ouvrages de Ponce, œuvres de « l’après-<br />
<strong>Paris</strong> », écrits pour le Coliseo de Bogotá, représ<strong>en</strong>tés par des troupes itali<strong>en</strong>nes et espagnoles :<br />
l’opéra biblique Ester (1874), la zarzuela grande El Castillo misterioso (1876) et son Grand<br />
Opéra Florinda (1880).<br />
Un <strong>au</strong>tre nom indissociable de l’opéra colombi<strong>en</strong>, sans doute celui qui <strong>au</strong>ra voulu être<br />
l’apôtre du national, est Rafael Pombo (1833-1912). Poète, écrivain, journaliste, mélomane,<br />
traducteur de livrets itali<strong>en</strong>s, ingénieur… la liste est bi<strong>en</strong> plus longue ; R. Pombo est un de ces<br />
personnages touche-à-tout qui trouv<strong>en</strong>t leur place dans la société du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Il est <strong>en</strong><br />
partie l’<strong>au</strong>teur du livret d’Ester et celui de Florinda. Ami de Ponce, <strong>au</strong>teur de sa première<br />
biographie, Pombo s’<strong>en</strong>gagera avec d’<strong>au</strong>tres intellectuels pour faire vivre l’opéra à Bogotá, et<br />
souti<strong>en</strong>t l’émerg<strong>en</strong>ce de Ponce comme compositeur <strong>lyrique</strong>. Son discours récupère l’art de ce<br />
musici<strong>en</strong> dans une dialectique nationaliste, alors que la <strong>Colombie</strong> traverse une phase de<br />
recherche de sa personnalité et de construction id<strong>en</strong>titaire.<br />
Enfin des noms, des noms itali<strong>en</strong>s, Enrico Rossi, Egisto Petrilli, Oreste Sindici, Dario<br />
d’Achiardi, Emilio Conti ; des noms de divas, Eug<strong>en</strong>ia Bellini, la Mazzeti, Fiorellini de<br />
Balma, les sœurs Bice et Elisa D’Aponte, la B<strong>en</strong>ic ; des noms qui fir<strong>en</strong>t l’opéra à Bogotá, car<br />
l’opéra – à Bogotá comme dans toutes les Amériques – est avant tout l’œuvre d’Itali<strong>en</strong>s,<br />
d’Espagnols ou de Français qui, embarqués dans des troupes <strong>lyrique</strong>s, répand<strong>en</strong>t l’opéra<br />
romantique comme de la poudre à travers tout le monde.<br />
On <strong>au</strong>ra be<strong>au</strong> chercher dans les <strong>en</strong>cyclopédies prés<strong>en</strong>tes et anci<strong>en</strong>nes, la plupart de ces<br />
noms n’y figur<strong>en</strong>t pas. Pour d’<strong>au</strong>tres, notamm<strong>en</strong>t pour Ponce de <strong>Le</strong>ón, on trouvera des<br />
informations contradictoires et f<strong>au</strong>sses. Cette étude porte donc bi<strong>en</strong> son nom de recherche,<br />
recherche dans les archives, dans les collections musicales, qui a mobilisé un corpus<br />
important de docum<strong>en</strong>ts divers.<br />
11<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
12<br />
Tout d’abord – car ce travail est indissociable d’une réalité musicale – la partition. Nous<br />
avons cherché dans différ<strong>en</strong>tes bibliothèques de Bogotá un corpus dont nous ne soupçonnions<br />
pas l’importance. <strong>Le</strong>s manuscrits <strong>au</strong>tographes d’Ester et du Castillo sont conservés <strong>au</strong> CDM<br />
de Bogotá, dans un très bon état. Il existe égalem<strong>en</strong>t une quantité de parties (solistes, chœurs<br />
et orchestre) qui permett<strong>en</strong>t une reconstitution historique de ces deux opéras 6 . En revanche, le<br />
manuscrit de Florinda est à ce jour disparu des rayons de la bibliothèque du Conservatoire de<br />
Bogotá. Nous ne connaissons qu’une copie chant-piano réalisée pour la reprise de l’œuvre <strong>en</strong><br />
1893, ainsi que les parties des solistes. Il existe égalem<strong>en</strong>t la partie de 1 er violon de la zarzuela<br />
El Vizconde, ainsi que celle de plusieurs ouvertures et pots-pourris qui repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des thèmes<br />
de ses opéras et qui peuv<strong>en</strong>t apporter des lumières pour une reconstitution de sa musique.<br />
Un deuxième corpus fondam<strong>en</strong>tal a été celui de la presse de Bogotá. Nous avons parcouru<br />
plusieurs périodiques qui retrac<strong>en</strong>t la vie de l’opéra dans cette ville. L’analyse de ces textes<br />
nous permet de connaître les acteurs, les œuvres, les dates et le quotidi<strong>en</strong> de la représ<strong>en</strong>tation<br />
<strong>lyrique</strong>. Sans eux, ce travail eût été pure supposition. Différ<strong>en</strong>ts extraits issus de la presse<br />
colombi<strong>en</strong>ne des années 1863-1905 apparaiss<strong>en</strong>t <strong>au</strong> fil de la lecture, comme témoignages des<br />
contemporains. Je m’<strong>en</strong> fais le traducteur de l’espagnol vers le français et ai choisi de laisser<br />
toujours apparaître la version originale : le lecteur hispanophone pourra ainsi savourer les<br />
tournures linguistiques utilisées alors <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
Même si la littérature sur le phénomène <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> est sommaire, il f<strong>au</strong>t signaler<br />
les quelques ouvrages qui nous ont donné des pistes, plutôt que des certitudes, dans nos<br />
recherches : l’histoire de la musique <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> et l’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> de<br />
J. I. Perdomo Escobar (1979 et 1980), ainsi que les trav<strong>au</strong>x réc<strong>en</strong>ts de M. Lamus Obregón<br />
(2004). Ouvrages qui doiv<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant être lus avec réserve car, à la lumière de nos<br />
recherches, ils conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t un certain nombre d’imprécisions et d’erreurs.<br />
Ainsi, notre étude est avant tout bâtie sur l’analyse des sources musicales et périodiques –<br />
les archives nationales de <strong>Colombie</strong> et de Bogotá ont complété notre partie biographique sur<br />
Ponce –, des sources de première main que nous avons <strong>en</strong>suite passées <strong>au</strong> crible avec un souci<br />
interdisciplinaire, fortem<strong>en</strong>t inspiré des approches des Cultural Studies 7 . En effet, l’intérêt du<br />
phénomène <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> est tout <strong>au</strong>tre du mom<strong>en</strong>t que nous portons un regard qui sort<br />
du cadre strictem<strong>en</strong>t musical. À cet effet un troisième groupe de lectures est v<strong>en</strong>u compléter<br />
6<br />
Nous détaillons le matériel disponible pour chacun des ouvrages dans la Partie II de cette étude, ainsi<br />
que dans la bibliographie des sources.<br />
7<br />
Nous avons suivi <strong>en</strong> 2003 une formation à distance <strong>au</strong> CLACSO (Consejo Latinoamericano de<br />
Ci<strong>en</strong>cias Sociales – Bu<strong>en</strong>os Aires, Arg<strong>en</strong>tine) intitulée <strong>Le</strong>s estudios culturales <strong>en</strong> Latinoamerica.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
notre analyse pour l’<strong>en</strong>richir d’un cadre théorique multidisciplinaire. Nous avons donc lu la<br />
société colombi<strong>en</strong>ne du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> à la lumière des connaissances historiques, sociales, mais<br />
<strong>au</strong>ssi anthropologiques (étude de g<strong>en</strong>res, étude sur la création des états-nations américains, sur<br />
les rapports <strong>en</strong>tre littérature et politique) avec une forte composante de critique postcoloniale.<br />
À notre tour, nous proposons une lecture de l’opéra itali<strong>en</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> et de l’opéra<br />
national <strong>en</strong> résonance avec cette époque passionnante, celle de la quête d’une id<strong>en</strong>tité.<br />
Certains termes récurr<strong>en</strong>ts dans notre étude, polysémiques et ambigus dans un <strong>au</strong>tre<br />
contexte, sont définis dès à prés<strong>en</strong>t :<br />
Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade (nom colonial) ; Grande-<strong>Colombie</strong> (1821) ; République de la Nouvelle-<br />
Gr<strong>en</strong>ade (1832) ; Confédération-Gr<strong>en</strong>adine (1857) ; États-Unis de <strong>Colombie</strong> (1862) ;<br />
République de <strong>Colombie</strong> (1886), <strong>au</strong>tant d’appellations qui marqu<strong>en</strong>t une étape politique et une<br />
configuration géographique dans la l<strong>en</strong>te construction de la république qui atteint sa forme<br />
définitive <strong>en</strong> 1886. L’opéra fleurit à Bogotá durant la période fédéraliste qui s’ét<strong>en</strong>d <strong>en</strong>tre<br />
1857 et 1886. Nous utiliserons ces différ<strong>en</strong>ts noms lorsque nous parlerons d’une étape<br />
politique ou sociale spécifique. Cep<strong>en</strong>dant les contemporains se qualifiai<strong>en</strong>t indifféremm<strong>en</strong>t<br />
de Colombi<strong>en</strong>s ou de Novo-Gr<strong>en</strong>adins (cf. la presse), termes que nous utiliserons égalem<strong>en</strong>t<br />
pour qualifier les habitants de la période 1862-1886. En revanche nous conservons le terme<br />
<strong>Colombie</strong> 8 pour faire référ<strong>en</strong>ce à une notion large qui transc<strong>en</strong>de les divisions politiques, qui<br />
cherche à <strong>en</strong>glober un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’appart<strong>en</strong>ance affective à un même groupe malgré les<br />
différ<strong>en</strong>ces que nous pourrons décrire par la suite.<br />
Bogotá, anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t Santa Fé de Bogotá, capitale de différ<strong>en</strong>ts états c<strong>en</strong>tralistes (1821,<br />
1832 et 1886), capitale de la Province de Cundinamarca, représ<strong>en</strong>te un espace hors régions<br />
qui est la nation. Tout se fait à Bogotá et, durant le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, l’opéra colombi<strong>en</strong> sera<br />
exclusivem<strong>en</strong>t l’opéra bogotain.<br />
<strong>Le</strong> Coliseo est le théâtre de l’opéra à Bogotá. Nous avons retracé son histoire dans le<br />
premier chapitre de cette étude, depuis ses origines <strong>en</strong> 1792 jusqu’à l’actuel Teatro Colón qui<br />
nous accueil <strong>au</strong>jourd’hui <strong>au</strong> même emplacem<strong>en</strong>t. <strong>Le</strong> Coliseo Maldonado, du nom de son<br />
8 <strong>Colombie</strong> est le nom forgé <strong>en</strong> 1806 par Miranda, précurseur vénézuéli<strong>en</strong> de l’indép<strong>en</strong>dance, <strong>en</strong><br />
souv<strong>en</strong>ir de Christophe Colomb, pour désigner l’<strong>en</strong>semble de l’Amérique espagnole, repris par Bolivar<br />
lors de l’inst<strong>au</strong>ration de la Grande-<strong>Colombie</strong><br />
13<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
14<br />
directeur p<strong>en</strong>dant les déc<strong>en</strong>nies 1860-1870, sera à jamais associé à l’arrivée de l’opéra itali<strong>en</strong><br />
à Bogotá et à la naissance de l’opéra national colombi<strong>en</strong>.<br />
Enfin, il est ici nécessaire de cerner un <strong>en</strong>semble de mots qui se répèt<strong>en</strong>t dans la littérature<br />
du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> colombi<strong>en</strong>, que nous utiliserons tout <strong>au</strong> long de cette étude :<br />
barbarie/civilisation, progrès et Nation. Nous regroupons ces termes qui à notre avis sont<br />
dép<strong>en</strong>dants les uns des <strong>au</strong>tres. Dans la p<strong>en</strong>sée des hommes de lettres, civilisation et barbarie<br />
sont deux états opposés d’une société. La t<strong>en</strong>sion qui permet de passer d’un état naturel,<br />
barbare, vers une nouvelle configuration civilisée est le progrès. Cette dynamique vertueuse<br />
et symbolique construit la Nation. La Nation est donc ce vers quoi doiv<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>dre les<br />
différ<strong>en</strong>tes parties qui conform<strong>en</strong>t un tout – hétérogénéité dans l’homogénéité – dans une<br />
synthèse qui n’est pas unitaire. Une lecture sociologique répandue assimile la construction<br />
id<strong>en</strong>titaire et nationale à une construction unitaire. Nous sommes <strong>en</strong> revanche de l’avis de<br />
ceux qui voi<strong>en</strong>t la création d’un état-nation comme le résultat d’une t<strong>en</strong>sion d’exclusion 9 . En<br />
proférant la différ<strong>en</strong>ce dans une unité symbolique nationale, certains groupes cré<strong>en</strong>t des<br />
relations de pouvoir qui permett<strong>en</strong>t de dominer l’<strong>au</strong>tre. Nous verrons même <strong>en</strong> quoi l’opéra<br />
dit national est avant tout un opéra qui exclut, un opéra élitiste.<br />
Même si nous avons l’occasion de rev<strong>en</strong>ir sur ces termes qui à eux seuls font l’objet de<br />
plusieurs études sociologiques, nous aborderons ici une problématique complexe, dans<br />
laquelle barbarie et civilisation sont des termes maniables, utilisés selon le gré des <strong>au</strong>teurs,<br />
des époques, qui ne peuv<strong>en</strong>t pas être ram<strong>en</strong>és à une vision réductionniste répandue :<br />
barbarie = Amérique ; civilisation = Europe.<br />
Nous avons essayé d’utiliser un minimum d’abréviations. Tout <strong>au</strong> plus les sigles CDM pour<br />
le C<strong>en</strong>tro de Docum<strong>en</strong>tación Musical de Bogotá, annexe musical de la Biblioteca Nacional de<br />
Colombia ; la Biblioteca Luis Ángel Arango, égalem<strong>en</strong>t à Bogotá, est indiquée par ses initiales<br />
BLAA.<br />
Un mot <strong>en</strong>fin sur les noms des opéras cités. Nous avons essayé de conserver le nom <strong>en</strong><br />
itali<strong>en</strong>, espagnol ou français, selon la langue dans laquelle il a été chanté. Ainsi une troupe<br />
espagnole chantera généralem<strong>en</strong>t El Barbero de Sevilla alors que les Itali<strong>en</strong>s donneront Il<br />
barbiere di Siviglia.<br />
9 C’est notamm<strong>en</strong>t la thèse sout<strong>en</strong>ue par J. A. Arias Vanegas (2005) que nous développerons <strong>en</strong><br />
conclusion de cette étude.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Pour comm<strong>en</strong>cer notre parcours à travers l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, nous chercherons d’abord à<br />
définir le terme même d’opéra. Définition peut-être vaine pour un « g<strong>en</strong>re » difficilem<strong>en</strong>t<br />
saisissable – le terme d’opéra est le plus souv<strong>en</strong>t anachronique, abs<strong>en</strong>t du titre, étranger <strong>au</strong><br />
contexte de l’œuvre – mais qui nous fait aborder certains sujets comme ceux de la structure ou<br />
de la fonction de l’opéra. La problématique de la fonction attribuée à l’opéra r<strong>en</strong>voie <strong>au</strong>x<br />
origines mêmes du g<strong>en</strong>re. Si l’opéra est dev<strong>en</strong>u un acteur ess<strong>en</strong>tiel de la vie politique et<br />
culturelle <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, peut-on <strong>en</strong> dire <strong>au</strong>tant des premiers représ<strong>en</strong>tants du g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong> ?<br />
C’est sur cette réflexion que nous voulons à la fois ouvrir et fermer cette étude sur l’opéra <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong>.<br />
Quelle a pu être la fonction du g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong> dans la société latino-américaine durant les<br />
différ<strong>en</strong>tes périodes qui précèd<strong>en</strong>t le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> ? Quels sont l’impact et la place de l’opéra<br />
itali<strong>en</strong> dans les nouvelles républiques qui cherch<strong>en</strong>t le salut civilisateur dans toute<br />
manifestation v<strong>en</strong>ue de l’Europe ? Enfin, quel discours accompagne l’éclosion de l’opéra<br />
national <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> et l’ori<strong>en</strong>te vers une quête id<strong>en</strong>titaire nationale ?<br />
Si une telle problématique t<strong>en</strong>d le schéma sous-jac<strong>en</strong>t à notre étude, nous proposons un plan<br />
<strong>en</strong> deux parties pour aborder un répertoire inconnu. La première partie décrit le contexte qui a<br />
conduit à la naissance d’un opéra national. Nous retraçons l’histoire de l’opéra dans le<br />
Nouve<strong>au</strong>-Monde (chapitre 1) avant de détailler le cas précis de la <strong>Colombie</strong> (chapitre 2), pour<br />
<strong>en</strong>suite proposer une biographie détaillée du compositeur (chapitre 3), abs<strong>en</strong>te <strong>au</strong>jourd’hui<br />
<strong>en</strong>core de l’historiographie musicale colombi<strong>en</strong>ne.<br />
La deuxième partie se construit <strong>au</strong>tour des trois principales créations <strong>lyrique</strong>s de Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón : Ester (1874), El Castillo misterioso (1876) et Florinda (1880). Ces trois chapitres<br />
marqu<strong>en</strong>t sans doute notre contribution la plus importante à la musicologie colombi<strong>en</strong>ne : à<br />
partir des manuscrits de ces œuvres, nous avons réussi à retracer tous leurs parcours<br />
(conception, réalisation, création, réception et postériorité).<br />
Des annexes vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t compléter notre travail, <strong>en</strong> montrant des informations que nous<br />
considérons utiles pour une meilleure clarté dans la compréh<strong>en</strong>sion de notre travail. Nous<br />
avons tout d’abord reconstitué un cal<strong>en</strong>drier <strong>lyrique</strong> des spectacles proposés par six troupes<br />
itali<strong>en</strong>nes ou espagnoles de passage à Bogotá <strong>en</strong>tre 1865 et 1880 (Annexe I). Nous donnons<br />
<strong>en</strong>suite un bref panorama de l’activité <strong>lyrique</strong> parisi<strong>en</strong>ne durant les années 1867-1869, alors<br />
que Ponce de <strong>Le</strong>ón vivait à <strong>Paris</strong> (Annexe II). L’Annexe III prés<strong>en</strong>te la vie de Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
<strong>en</strong> quelques dates. Nous proposons <strong>en</strong>suite une analyse littéraire et musicale d’Ester<br />
15<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
16<br />
(Annexe IV). En effet, nous avons choisi de ne pas <strong>en</strong>trer dans des détails téchniques tout le<br />
long de notre étude. Nous avons établi les différ<strong>en</strong>ts exemples music<strong>au</strong>x qui illustr<strong>en</strong>t cette<br />
quatrième annexe avec le logiciel de saisie musicale Finale ® , à partir des manuscrits<br />
origin<strong>au</strong>x et de nos trav<strong>au</strong>x d’édition pour les différ<strong>en</strong>ts concerts réalisés. Nous proposons <strong>en</strong><br />
Annexe V une traduction de l’introduction du livret de Florinda, écrite par son <strong>au</strong>teur, Rafael<br />
Pombo. Pour finir, l’annexe VI prés<strong>en</strong>te la structure musicale de cet opéra. Nous invitons le<br />
lecteur à faire de continuels allers-retours <strong>en</strong>tre le corps du texte et les annexes.<br />
Au terme de ce long parcours chronologique, une fois que le lecteur sera <strong>au</strong>ssi familier que<br />
possible avec l’œuvre de Ponce de <strong>Le</strong>ón, son temps, son contexte, nous donnerons réponse<br />
<strong>au</strong>x questions qui innerv<strong>en</strong>t cette étude, à savoir le succès ou l’échec dans la quête d’un Opéra<br />
national <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Première Partie<br />
-<br />
Des racines pour un opéra national ?<br />
Avant même de prés<strong>en</strong>ter les ouvrages <strong>lyrique</strong>s de Ponce de <strong>Le</strong>ón, partitions qui posèr<strong>en</strong>t<br />
les bases pour un opéra national <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, il s’impose dans une première partie de décrire<br />
et expliquer le contexte dans lequel naquir<strong>en</strong>t ces opéras, contexte à la fois culturel<br />
(chapitres 1 et 2) et humain (chapitre 3).<br />
Il convi<strong>en</strong>t d’abord de définir le terme d’opéra, définition problématisée <strong>au</strong>tour des notions<br />
de forme et de fonction. Alors que les ouvrages de Ponce apparaiss<strong>en</strong>t à la fin du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>,<br />
nous remonterons le temps pour découvrir les prémices du phénomène <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> Amérique<br />
durant l’époque coloniale, avant d’insister sur le triomphe de l’opéra itali<strong>en</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Cela nous permet d’un part de mettre <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce l’abs<strong>en</strong>ce de tradition <strong>lyrique</strong>, ainsi que la<br />
grande brèche qu’il existe <strong>en</strong>tre les œuvres de l’ère coloniale espagnole et celles de l’époque<br />
républicaine (après 1810). D’<strong>au</strong>tre part, cet aperçu contin<strong>en</strong>tal nous permettra de situer le cas<br />
colombi<strong>en</strong> <strong>en</strong> rapport avec d’<strong>au</strong>tre pays. Dû à un isolem<strong>en</strong>t géographique, l’opéra à Bogotá<br />
arrive tardivem<strong>en</strong>t. Car l’opéra <strong>en</strong> Amérique est un opéra exporté d’Europe, dont le principal<br />
vecteur sera tout <strong>au</strong> long du <strong>siècle</strong> la compagnie itinérante. Même si la production<br />
colombi<strong>en</strong>ne n’est pas comparable à celle d’<strong>au</strong>tres pays qui ont su constituer un riche<br />
répertoire <strong>lyrique</strong> (Mexique ou Cuba), les principales lignes de la consolidation d’un empire<br />
<strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> Amérique rest<strong>en</strong>t les mêmes d’un pays à un <strong>au</strong>tre.<br />
Que connaissons-nous de la vie musicale à Bogotá <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> ? À travers une série de<br />
considérations musicales esthétiques et historiques, le chapitre 2 donne une réponse à cette<br />
interrogation. Ainsi nous pourrons assister <strong>au</strong>x débuts difficiles de l’opéra à Bogotá, avant<br />
que la capitale ne devi<strong>en</strong>ne une destination privilégiée des troupes itinérantes itali<strong>en</strong>nes et<br />
espagnoles <strong>en</strong>tre 1864 et 1880. L’opéra à Bogotá est un spectacle, un lieu et une activité<br />
sociale, descriptions qui induis<strong>en</strong>t une réflexion sur la rupture que constitue un tel spectacle.<br />
L’opéra colombi<strong>en</strong> s’explique donc par un contexte particulier, et pr<strong>en</strong>d naissance à travers<br />
son créateur, José María Ponce de <strong>Le</strong>ón (1845-1882). <strong>Le</strong> chapitre 3 prés<strong>en</strong>te une biographie<br />
de ce compositeur né à Bogotá, ayant réalisé un séjour de trois ans à <strong>Paris</strong> avant la chute du<br />
17<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
18<br />
Second Empire. Cette biographie est la première qui se veut précise et détaillée, contrastant<br />
avec la vision romantique et embellie qui s’est transmise jusqu’à prés<strong>en</strong>t dans les princip<strong>au</strong>x<br />
ouvrages musicologiques.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
1. L’av<strong>en</strong>ture<strong>lyrique</strong>américaine<br />
L<br />
’activité musicale d’une nation a toujours été liée à son contexte politico-social. La<br />
prés<strong>en</strong>ce de c<strong>en</strong>tres music<strong>au</strong>x importants ou d’institutions musicales actives est le<br />
résultat de politiques culturelles efficaces. Cette prés<strong>en</strong>ce est <strong>au</strong>ssi indicatrice d’une situation<br />
de paix et de prospérité, conditions ess<strong>en</strong>tielles pour que l’État puisse <strong>en</strong>courager la création<br />
artistique. Cette dernière remarque pr<strong>en</strong>d un s<strong>en</strong>s particulièrem<strong>en</strong>t valable dans les pays<br />
latino-américains : on peut observer un ballet <strong>en</strong>tre le va-et-vi<strong>en</strong>t des troupes <strong>lyrique</strong>s<br />
étrangères <strong>en</strong> fonction de la succession de guerres civiles dans le contin<strong>en</strong>t.<br />
Nous allons d’abord chercher à déterminer les limites du g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong> lié à la scène <strong>en</strong><br />
cernant les différ<strong>en</strong>ts paramètres qui font d’une œuvre un opéra. <strong>Le</strong>s différ<strong>en</strong>ts points évoqués<br />
vont constituer <strong>au</strong>tant d’axes de réflexion qui se retrouveront le long de cette étude ; certains<br />
même donneront lieu à un développem<strong>en</strong>t plus important. C’est le cas de la problématique<br />
que suscite la question de la fonction de l’opéra dans la société. Pour y répondre nous<br />
analyserons les différ<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>jeux soci<strong>au</strong>x et culturels du milieu bogotain <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
En essayant de définir le g<strong>en</strong>re opératique, nous nous appuyons sur l’<strong>en</strong>semble du répertoire<br />
europé<strong>en</strong> qui cumule près de trois <strong>siècle</strong>s d’histoire lorsque vi<strong>en</strong>t éclore <strong>en</strong> 1874 le premier<br />
ouvrage de Ponce de <strong>Le</strong>ón. À la lumière de la tradition <strong>lyrique</strong> europé<strong>en</strong>ne, des ouvrages<br />
comme Ester ou Florinda peuv<strong>en</strong>t se démarquer, se compr<strong>en</strong>dre et pr<strong>en</strong>dre un s<strong>en</strong>s nouve<strong>au</strong><br />
par un jeu de miroirs et d’oppositions. Fermer les yeux sur le passé europé<strong>en</strong> serait une erreur<br />
méthodologique : on ne peut pas faire table rase d’un g<strong>en</strong>re <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> ancré dans la vie<br />
sociale <strong>en</strong> Europe et dans les Amériques <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. De la même façon, cerner l’œuvre<br />
colombi<strong>en</strong>ne comme un opéra, sans pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte son origine géographique, serait<br />
condamner par avance à l’échec une œuvre qui peut difficilem<strong>en</strong>t être comparée à celles des<br />
compositeurs contemporains europé<strong>en</strong>s.<br />
Amériques, vastes contrées,<br />
Peuples que Dieu fit naître <strong>au</strong>x portes du soleil,<br />
Vous, nations hyperborées,<br />
Que l’erreur <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t dans un si long sommeil,<br />
Serez-vous pour jamais à sa fureur livrées,<br />
Pour n’avoir pas su qu’<strong>au</strong>trefois,<br />
Dans un <strong>au</strong>tre hémisphère, <strong>au</strong> fond de la Syrie,<br />
<strong>Le</strong> fils d’un charp<strong>en</strong>tier, <strong>en</strong>fanté par Marie,<br />
R<strong>en</strong>ié par Chéphas, expira sur la croix ?<br />
Voltaire, épître à Uranie (1726, publie <strong>en</strong> 1772)
20<br />
Cette étude nous mène <strong>au</strong>ssi dans le monde du miroir, du double. <strong>Le</strong> compositeur latino-<br />
américain est-il le double de son confrère europé<strong>en</strong> ? Comm<strong>en</strong>t se fait l’écoute d’un opéra de<br />
Rossini de New York à Bu<strong>en</strong>os Aires ? À <strong>Paris</strong>, le public est « curieux de savoir comm<strong>en</strong>t on<br />
compr<strong>en</strong>d les concertos de Beethov<strong>en</strong> <strong>au</strong> Chili 1 ». L’opéra d’outre-Atlantique, miroir de<br />
l’opéra europé<strong>en</strong>, ne (re)(dé)forme-t-il pas la réalité du g<strong>en</strong>re ? À l’image de ces<br />
questionnem<strong>en</strong>ts, les outils analytiques de la musicologie latino-américaine demeur<strong>en</strong>t<br />
proches de ceux de la musicologie europé<strong>en</strong>ne, tout <strong>en</strong> insistant sur le besoin d’un regard<br />
pluridisciplinaire pour compr<strong>en</strong>dre une réalité qui se veut à la fois originale et ancrée dans la<br />
tradition europé<strong>en</strong>ne.<br />
1.1. Opéra?Réflexionsurl’impossibilitédedéfinirung<strong>en</strong>re<br />
L’opéra se définit comme un g<strong>en</strong>re musical 2 . <strong>Le</strong> g<strong>en</strong>re est-il, comme le définit le Petit<br />
Robert, une « catégorie d’œuvres, définie par la tradition » ? En s’appuyant sur la tradition, le<br />
problème de l'inclassable se trouve reporté sur cette <strong>au</strong>tre généralité qu’est la tradition. Car<br />
comm<strong>en</strong>t définir <strong>en</strong> quelques mots un opéra qui, avec plus de quatre <strong>siècle</strong>s d’histoire, des<br />
ramifications locales, un r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> théorique continu, est réinv<strong>en</strong>té dans chaque œuvre ?<br />
<strong>Le</strong> langage quotidi<strong>en</strong>, tout comme le métalangage musicologique, ont fait de l’opéra une<br />
notion large et lâche qui ôte la possibilité d’<strong>en</strong> faire une catégorie manipulable. L’opéra serait<br />
une sur-catégorie regroupant des œuvres <strong>au</strong>ssi variées que le dramma per musica, la tragédie<br />
<strong>lyrique</strong>, l’opera seria ou le Gesamtkunstwerk. Une sur-catégorie où se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t sous la<br />
même <strong>en</strong>seigne des personnalités <strong>au</strong>ssi distinctes que Mozart, Verdi, Str<strong>au</strong>ss ou Debussy. Une<br />
sur-catégorie qui gomme les particularismes du g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong> propre à chaque époque, à<br />
chaque nation, parfois même à chaque compositeur.<br />
Pourtant un élém<strong>en</strong>t commun donne une cohésion à cet <strong>en</strong>semble qui pr<strong>en</strong>d ses racines à<br />
l’<strong>au</strong>be du XVII e <strong>siècle</strong> dans les camerate itali<strong>en</strong>nes : la scène, <strong>en</strong>droit privilégié d’une<br />
r<strong>en</strong>contre fusionnelle <strong>en</strong>tre dramaturgie et musique. L’opéra a tout de l’arbre généalogique,<br />
avec quelques œuvres fondatrices et une desc<strong>en</strong>dance adaptée <strong>au</strong> style de chaque époque et<br />
nation.<br />
1 Lors des concerts donnés à <strong>Paris</strong> <strong>en</strong> 1868 par le pianiste chili<strong>en</strong> Fred Guzman (« Concerts et<br />
<strong>au</strong>ditions musicales de la semaine », Revue et gazette musicale de <strong>Paris</strong> (35 n° 9), 1 er mars 1868 : 70).<br />
2 Définition proposée par <strong>Le</strong> Petit Robert (éd. 2003) ; g<strong>en</strong>eric term selon l’article « opera »du Grove<br />
Dictionary ou <strong>en</strong>core « género musical » dans le Diccionario de la música Española e<br />
Hispanoamericana.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
À prés<strong>en</strong>t nous essaierons de cerner l’ess<strong>en</strong>ce du g<strong>en</strong>re opéra <strong>en</strong> essayant de dégager<br />
certains aspects ess<strong>en</strong>tiels. Pour déceler les constantes du g<strong>en</strong>re opéra, nous nous aidons de<br />
trav<strong>au</strong>x ethnomusicologiques, notamm<strong>en</strong>t d’un article de Bernard Lortat-Jacob qui propose<br />
une réflexion sur la notion de g<strong>en</strong>re musical 3 .<br />
1.1.1.<br />
Certains g<strong>en</strong>res music<strong>au</strong>x se définiss<strong>en</strong>t par une invariante structurelle, c’est-à-dire par une<br />
organisation précise lors de la mise <strong>en</strong> écrit des idées musicales. Dans la musique dite<br />
savante, le langage parlé est le modèle fédérateur de la forme musicale. L’œuvre est<br />
assimilable à une dynamique expressive et linéaire, comparée par certains à un langage,<br />
L’exemple unique de ce qu’<strong>au</strong>rait pu être – s’il n’y avait pas eu l’inv<strong>en</strong>tion du langage, la<br />
formation des mots, l’analyse des idées – la communication des âmes 4 .<br />
<strong>Le</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> met définitivem<strong>en</strong>t fin à une double perception que pouvai<strong>en</strong>t exprimer les<br />
théorici<strong>en</strong>s de la musique : sci<strong>en</strong>ce des sons ancrée dans le monde de la spéculation ou art<br />
discursif (division qui pr<strong>en</strong>d ses origines dans l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t médiéval du quadrivium et du<br />
trivium). Si pour J. Ph. Rame<strong>au</strong> « la musique est la sci<strong>en</strong>ce des sons 5 », Rousse<strong>au</strong> nuance cette<br />
assertion sci<strong>en</strong>tifique et insiste sur la nature consubstantielle du chant et du langage :<br />
Si la parole n’a pas comm<strong>en</strong>cé par du Chant, il est sûr, <strong>au</strong> moins, qu’on chante partout où l’on<br />
parle 6 .<br />
C’est la volonté d’exprimer les passions qui <strong>au</strong>rait dicté, selon Rousse<strong>au</strong>, les premiers<br />
sons 7 . Expression ou imitation des passions, cette p<strong>en</strong>sée s’impose définitivem<strong>en</strong>t comme<br />
véritable credo pour les compositeurs <strong>lyrique</strong>s du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, <strong>au</strong> l<strong>en</strong>demain des réformes<br />
mélodramatiques de Gluck et Calzabigi. En 1867, le compositeur colombi<strong>en</strong> Juan Crisóstomo<br />
Osorio, professeur de Ponce de <strong>Le</strong>ón, n’hésite pas à affirmer :<br />
La première condition pour un bon opéra, pratiquem<strong>en</strong>t son objet exclusif est l’imitation.<br />
Elprimerrequisitopar<strong>au</strong>nabu<strong>en</strong>aópera,icasisuexclusivoobjetoeslaimitación 8 .<br />
Sans vouloir <strong>en</strong>trer dans ce débat qui trouve son apogée <strong>au</strong> temps des <strong>en</strong>cyclopédistes, et<br />
qui semble passionner les cercles mélomanes bogotains des années 1860, il est intéressant de<br />
3<br />
B. Lortat-Jacob, 1992.<br />
4<br />
Marcel Proust (1913/1988), Du coté de chez Swann. <strong>Paris</strong> : Gallimard-La Pléiade (III) : 762.<br />
5<br />
Telle est la première phrase du Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels (1722) de Jean-<br />
Philippe Rame<strong>au</strong>.<br />
6<br />
J. J. Rousse<strong>au</strong>, 1767/1995a : 916.<br />
7<br />
J. J. Rousse<strong>au</strong>, 1781/1995b : 410. (Chapitre XII : Origine de la musique).<br />
8<br />
J. C. Osorio, « Revista Musical. Ópera », El m<strong>en</strong>sajero (I.59), 8 janvier 1867 : 234.<br />
21<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
22<br />
compr<strong>en</strong>dre comm<strong>en</strong>t l’analogie avec le langage parlé va évoluer <strong>en</strong> une théorie de la forme.<br />
Conséqu<strong>en</strong>ce : l’apparition d’un vocabulaire analytique qui morcelle une œuvre <strong>en</strong> idées<br />
musicales, phrases, énoncés, thèmes, sujets ou motifs, selon une conception discursive, donc<br />
linéaire dans le temps. Cet « art [...] si profondém<strong>en</strong>t et si <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t compris, semblable à<br />
une langue universelle 9 » devi<strong>en</strong>t l’ultime métaphore d’une dialectique platonici<strong>en</strong>ne, où la<br />
musique dans sa définition schop<strong>en</strong>h<strong>au</strong>ri<strong>en</strong>ne<br />
… n’est pas une reproduction des Idées, mais une reproduction de la volonté <strong>au</strong> même titre que<br />
les Idées elles-mêmes 10 .<br />
Autrem<strong>en</strong>t dit, même si la musique relève d’un ailleurs absolu, elle n’est intelligible que<br />
parce qu’elle se prés<strong>en</strong>te à nous sous une forme organisée, un langage.<br />
Envisagée comme un logos, la musique est forme. On peut bi<strong>en</strong> sûr <strong>en</strong>trer dans le détail<br />
(forme virelai, aria, sonate, thème et variation, etc.), mais on peut s’<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir à l’hypothèse que<br />
tout schéma formel se déduit d’une forme organisée transc<strong>en</strong>dante qui est celle du langage, de<br />
ce logos, à la fois discours et intellig<strong>en</strong>ce. C’est une adaptation de la p<strong>en</strong>sée thomiste à la<br />
musique : la forme est 11 .<br />
Cette forme est celle d’un perpétuel dev<strong>en</strong>ir. Un état initial soumis à un conflit, dont<br />
l’aboutissem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>d vers la rest<strong>au</strong>ration biaisée de la structure initiale 12 , une réexposition,<br />
une récapitulation, un « double » qui dans la musique française porte <strong>en</strong> son nom cette idée de<br />
semblable mais différ<strong>en</strong>t. Remarquons que cette même dynamique tripartite est celle de la<br />
dramaturgie : situation initiale / péripétie / catastrophe. On retrouve – pour r<strong>en</strong>ouer avec le<br />
discours – la dialectique aristotélici<strong>en</strong>ne qui d’une hypothèse va vers une thèse <strong>en</strong> passant par<br />
le processus organisé de l’argum<strong>en</strong>tation. <strong>Le</strong> contraste – la réfutation – <strong>en</strong>richit ce discours<br />
continu musical : qu’il s’agisse de la partie c<strong>en</strong>trale de l’aria da capo, du développem<strong>en</strong>t d’un<br />
mouvem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> forme sonate, des différ<strong>en</strong>ts mouvem<strong>en</strong>ts d’une symphonie, le principe de<br />
variété <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre une dialectique de l’opposition dans la musique.<br />
Dans le cas de l’opéra, la notion de grande forme est vouée à l’échec du mom<strong>en</strong>t où l’on<br />
considère l’hétérogénéité du répertoire. Quels points communs formels peut-on trouver <strong>en</strong>tre<br />
9<br />
A. Schop<strong>en</strong>h<strong>au</strong>er, (1819/1996) : 327.<br />
10<br />
Ibid. : 329.<br />
11<br />
L’ess<strong>en</strong>ce des choses préexiste avec la forme.<br />
12<br />
Ossature de formes <strong>au</strong>ssi diverses que l’aria da capo ou la forme sonate.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
un opera seria, « œuvre inaboutie, œuvre ‘ouverte’ mais sévèrem<strong>en</strong>t réglem<strong>en</strong>tée » 13 et un<br />
opéra mozarti<strong>en</strong>, innervé par des structures tonales et formelles inamovibles comme l’a décrit<br />
Charles Ros<strong>en</strong> dans <strong>Le</strong> Style classique ? Quelle ressemblance peut-on trouver <strong>en</strong>tre des opéras<br />
<strong>en</strong> « tiroir » 14 et les actes wagnéri<strong>en</strong>s investis par une seule p<strong>en</strong>sée mélodique de longue<br />
haleine ? Ces comparaisons insolites <strong>au</strong>ront pour mérite de mettre l’acc<strong>en</strong>t sur la nécessité de<br />
relativiser et de ram<strong>en</strong>er tout opéra à un contexte précis ; cette abstraction sera importante <strong>au</strong><br />
mom<strong>en</strong>t où l’on s’intéressera <strong>au</strong> cas de l’opéra colombi<strong>en</strong>.<br />
En vérité, il s’agit d’un problème de vocabulaire puisque le terme opéra ne veut plus ri<strong>en</strong><br />
dire lorsque l’on suit quatre <strong>siècle</strong>s de création. On peut parler d’un plan type de l’opéra-<br />
comique, de l’opéra romantique itali<strong>en</strong>, etc. Mais ici <strong>en</strong>core le compositeur dispose d’une<br />
grande liberté, sans contraintes tonales ou rythmiques comme pour la musique instrum<strong>en</strong>tale.<br />
De plus, toute t<strong>en</strong>tative de description des formes fixes est confrontée <strong>au</strong>x innombrables<br />
exceptions et variations internes <strong>au</strong> g<strong>en</strong>re.<br />
L’aspect formel ne peut donc pas suffire à définir le g<strong>en</strong>re opératique, même s’il peut<br />
s’avérer un élém<strong>en</strong>t décisif dès lors que l’on replace un ouvrage <strong>lyrique</strong> dans un style, une<br />
époque, une région. Dans le cas des œuvres de Ponce de <strong>Le</strong>ón, la structure <strong>en</strong> numéros, dont<br />
chacun adopte une forme-type du répertoire itali<strong>en</strong>, inscrit son œuvre dans la sphère du bel<br />
canto – ou de la zarzuela espagnole des années 1850 dont les modèles stylistiques sont à<br />
retrouver <strong>en</strong> Italie.<br />
On peut déjà mettre <strong>en</strong> lumière un double rapport <strong>en</strong>tre langage et musique dans le g<strong>en</strong>re<br />
<strong>lyrique</strong> : la musique <strong>en</strong> tant que métalangage, vi<strong>en</strong>t habiller un langage poétique, le livret. <strong>Le</strong><br />
discours assure ainsi à grande échelle la cohér<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre principe musical et dramatique. Il me<br />
semble important d’insister sur cette p<strong>en</strong>sée qui reproduit <strong>en</strong> musique une logique linéaire<br />
propre <strong>au</strong> discours, lorsque nous déplaçons notre réflexion sur l’œuvre de Ponce de <strong>Le</strong>ón. À<br />
partir de 1870, la recherche d’une id<strong>en</strong>tité nationale devi<strong>en</strong>t un souci des p<strong>en</strong>seurs latino-<br />
américains. Hommes des Lumières <strong>au</strong> <strong>siècle</strong> de l’Industrie 15 , les rhétorici<strong>en</strong>s, grammairi<strong>en</strong>s,<br />
poètes cherch<strong>en</strong>t à construire la nation à travers l’acte d’écriture. Cette « politique impériale<br />
13 I. Moindrot, 1993 : 115. Rappelons que les chanteurs de « l’époque des castrats » avai<strong>en</strong>t un<br />
répertoire propre dans lequel ils brillai<strong>en</strong>t particulièrem<strong>en</strong>t, qu’ils exigeai<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x compositeurs<br />
d’insérer dans les opéras.<br />
14 Où l’on peut retirer ou ajouter à volonté des morce<strong>au</strong>x, comme dans le cas de l’opera seria. Nous<br />
r<strong>en</strong>voyons <strong>au</strong>x anecdotes rapportées par B<strong>en</strong>edetto Marcello dans <strong>Le</strong> théâtre à la mode, vers 1720,<br />
traduction d’E. David, Lyon : Aléas éditeur, 1991.<br />
15 Voir l’ouvrage de S. Castro-Gómez, 2005.<br />
23<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
24<br />
du langage 16 » crée une république lettrée, où seul a accès <strong>au</strong> pouvoir celui qui écrit. <strong>Le</strong><br />
pot<strong>en</strong>tiel fondateur du texte n’échappe pas à ceux qui comm<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les créations d’Ester puis<br />
de Florinda, donnant à ces œuvres une portée nationale qui dépasse de loin les ambitions<br />
artistiques de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Ses partitions – <strong>au</strong>x dim<strong>en</strong>sions colossales si l’on p<strong>en</strong>se <strong>au</strong>x<br />
courtes pièces contemporaines publiées dans les journ<strong>au</strong>x pour piano ou guitare – marqu<strong>en</strong>t<br />
une étape de plus dans la quête d’un monde « civilisé », europé<strong>en</strong>.<br />
<strong>Le</strong> compositeur joue malgré lui un rôle politique non dit : construire une nation instruite et<br />
complexe ; mettre fin <strong>au</strong>x superstitions barbares d’une ère antérieure par l’avènem<strong>en</strong>t d’un<br />
temps linéaire <strong>en</strong> musique, celui de l’opéra, à l’antipode d’un temps sphérique qui dans<br />
l’imaginaire est celui des musiques populaires, inlassablem<strong>en</strong>t répétitives. Temps à l’<strong>en</strong>contre<br />
de la raison, associé à une notion vague de s<strong>au</strong>vagerie, que les dirigeants politiques<br />
cherchai<strong>en</strong>t à suppléer dans la mémoire collective.<br />
L’opéra pourrait être défini par une de ses caractéristiques de mise <strong>en</strong> forme : il s’agit d’une<br />
œuvre dramatique <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t ou partiellem<strong>en</strong>t chantée, dont le but est la représ<strong>en</strong>tation sur<br />
une scène.<br />
À l’origine le couple récitatif-aria constitue le noy<strong>au</strong> de l’expéri<strong>en</strong>ce opératique. Ce binôme<br />
formel découle d’un impératif dramatique ; la narration ou l’expression d’un affect sont à<br />
l’origine d’un « répertoire poétique des formes musicales 17 . » C’est l’occasion d’insister sur<br />
les fondations littéraires de l’opéra et de rappeler qu’<strong>au</strong> XVII e <strong>siècle</strong>, le librettiste est<br />
l’architecte de l’opéra. De ce fait, la structure opératique dép<strong>en</strong>d d’un livret. Fidèle <strong>au</strong>x trois<br />
étapes de la dramaturgie (exposition / péripétie / catastrophe), celui-ci s’adapte à différ<strong>en</strong>tes<br />
configurations : les cinq actes de la tragédie de Quin<strong>au</strong>lt, les trois actes métastasi<strong>en</strong>s, les deux<br />
actes issus du répertoire buffo ou <strong>au</strong> XX e <strong>siècle</strong> des opéras <strong>en</strong> un seul acte, voir même l’opéra-<br />
minute.<br />
La récurr<strong>en</strong>ce de structures musicales variées assure la cohér<strong>en</strong>ce stylistique d’un <strong>en</strong>semble<br />
d’œuvres à l’intérieur de chaque époque, à la suite d’un compromis <strong>en</strong>tre compositeurs et<br />
librettistes. Ainsi l’aria da capo s’adapte à la vocalité d’une époque précise. Même si elle est<br />
dev<strong>en</strong>ue un mom<strong>en</strong>t att<strong>en</strong>du de bravoure gutturale, son principe formel était dicté par le<br />
compromis <strong>en</strong>tre dramaturgie et musique : l’apposition de deux s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts contrastants.<br />
L’opéra itali<strong>en</strong> romantique est consolidé par des sc<strong>en</strong>as <strong>en</strong> trois parties (recitativo, tempo di<br />
16 S. Castro-Gómez, 2005 : 13.<br />
17 I. Moindrot, 1993 : 119.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
mezzo cantabile et cabaletta). Ici <strong>en</strong>core la forme musicale suit le discours dramatique qui<br />
d’une situation initiale narrative est ori<strong>en</strong>té vers l’exaltation de la cabalette.<br />
Ces structures musicales apparaiss<strong>en</strong>t <strong>au</strong>ssi dans la macro-forme de tout un acte. Ainsi<br />
l’acte du Grand Opéra français comm<strong>en</strong>ce par un chœur (décor musical) et sert de préambule<br />
à une scène d’intimité. S’<strong>en</strong>suit un cresc<strong>en</strong>do dramatique étoffé par le retour progressif des<br />
différ<strong>en</strong>ts personnages, jusqu’à la grande scène de foule du Final d’acte. C’est ce même<br />
schéma qui se retrouve dans les actes d’ouverture d’Ester, du Castillo misterioso et de<br />
Florinda de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
<strong>Le</strong> livret est donc un ag<strong>en</strong>t primordial dans l’opéra ; il galbe la forme même de la musique<br />
et de l’évolution des différ<strong>en</strong>tes parties musicales sans toutefois imposer une unique solution<br />
<strong>au</strong> compositeur comme certains g<strong>en</strong>res music<strong>au</strong>x inféodés à des textes qui font figure<br />
d’univers<strong>au</strong>x (c’est le cas des messes et écrits de la liturgie catholique qui pour certains<br />
demeur<strong>en</strong>t inchangés depuis le Moy<strong>en</strong> Âge et se retrouv<strong>en</strong>t dans un vaste espace culturel<br />
franchissant les limites de l’Europe).<br />
Lorsque Bernard Lortat-Jacob propose une réflexion sur la notion de g<strong>en</strong>re musical 18 , il<br />
avance égalem<strong>en</strong>t comme critère d’approche du g<strong>en</strong>re la fonction, <strong>au</strong> détrim<strong>en</strong>t d’une<br />
structure qui apparaît comme une variable propre à chaque culture – nous v<strong>en</strong>ons de voir la<br />
validité de cette affirmation dans le cas de l’opéra. <strong>Le</strong>s ethnomusicologues « ont le privilège<br />
d’observer sur le terrain comm<strong>en</strong>t se mari<strong>en</strong>t les pratiques sociales et musicales 19 ». Il<br />
semblerait que ce même privilège accompagne le monde de l’opéra : de tout temps une<br />
littérature circum-opératique a fleuri <strong>en</strong> marge du répertoire, permettant <strong>au</strong>jourd’hui <strong>en</strong>core<br />
d’observer et de lire ce tissage qu’il existe <strong>en</strong>tre l’opéra et sa fonction dans une société<br />
donnée.<br />
<strong>Le</strong>s pays latino-américains n’échapp<strong>en</strong>t pas à la règle : la traversée de l’opéra itali<strong>en</strong> <strong>au</strong><br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> était d’une telle importance qu’<strong>au</strong>cune saison ne terminait sans laisser derrière elle<br />
nombre de comptes-r<strong>en</strong>dus et d’écrits sur cette réception du phénomène <strong>lyrique</strong>.<br />
18 B. Lortat-Jacob, 1992.<br />
19 Ibid. : 5.<br />
25<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
26<br />
1.1.2.<br />
<strong>Le</strong>s gouverneurs ne doiv<strong>en</strong>t jamais perdre de vue que l’art peut se passer d’eux tandis qu’ils ne<br />
peuv<strong>en</strong>t pas se passer de l’art.<br />
La caricature, 16 avril 1850 20<br />
À travers son histoire, totalem<strong>en</strong>t intégré dans la vie sociale, l’art <strong>lyrique</strong> a toujours été <strong>en</strong><br />
interaction constante avec les contextes politiques, économiques et soci<strong>au</strong>x dont il est issu. Il<br />
reflète la situation politique d’une société donnée, <strong>en</strong> même temps qu’il délivre à cette société<br />
un message politique, plus ou moins codé selon les époques.<br />
Conçus <strong>au</strong> sein de la noblesse et de la roy<strong>au</strong>té europé<strong>en</strong>ne, l’opéra et le ballet sont liés dès<br />
leurs origines à des systèmes <strong>au</strong>toritaires qui mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> scène leurs richesses matérielles et<br />
morales. <strong>Le</strong>s intermèdes flor<strong>en</strong>tins dansés et chantés de La Pellegrina (1589) montr<strong>en</strong>t un<br />
Ferdinand I er de Médicis / Apollon ordonnateur de l’univers-monde ; l’humanisme d’Orphée<br />
est celui de la maison des Gonzague à Mantoue. Au XVII e <strong>siècle</strong>, plaisir et pouvoir sont les<br />
deux mobiles qui illustr<strong>en</strong>t la p<strong>en</strong>sée classique et innerv<strong>en</strong>t la production d’opera seria, de<br />
tragédies <strong>lyrique</strong>s, du théâtre élisabéthain ou du Siècle d’Or espagnol. Encore <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>,<br />
des régimes politiques ont leur propre fond de toile musicale : Off<strong>en</strong>bach restera à jamais le<br />
chantre du Second Empire ; Verdi <strong>au</strong>ra été associé <strong>au</strong> mouvem<strong>en</strong>t de ralliem<strong>en</strong>t contre la<br />
prés<strong>en</strong>ce <strong>au</strong>trichi<strong>en</strong>ne à Milan. Il est donc possible de mettre à découvert un phénomène de<br />
corrélation <strong>en</strong>tre des noms de compositeurs, d’œuvres, d’interprètes ou même de g<strong>en</strong>res<br />
music<strong>au</strong>x avec une nation, un régime ou une personnalité politique. Quelques binômes<br />
célèbres travers<strong>en</strong>t ainsi l’histoire de l’opéra : Louis XIV et la tragédie <strong>en</strong> musique de<br />
Quin<strong>au</strong>lt et Lully ; Philippe V et Farinelli ; Napoléon et Fernand Cortez de Spontini ; Wagner<br />
et la folie de Louis II de Bavière ; Lady Macbeth du district de Mts<strong>en</strong>sk et la c<strong>en</strong>sure<br />
stalini<strong>en</strong>ne. Ainsi le contexte historique d’une nation forge son id<strong>en</strong>tité musicale et peut<br />
donner une empreinte caractéristique à l’opéra, lorsque celui-ci existe. On peut se demander si<br />
les mêmes rouages peuv<strong>en</strong>t s’appliquer dans le cas des jeunes républiques américaines, où les<br />
paysages artistique et politique sont à bi<strong>en</strong> des égards différ<strong>en</strong>ts de l’Europe.<br />
Quel type de relation peut-on établir <strong>en</strong>tre pouvoir et opéra dans le contin<strong>en</strong>t latino-<br />
américain ? Dans le cas de la <strong>Colombie</strong> ?<br />
<strong>Le</strong> régime colonial, avec ses représ<strong>en</strong>tants du roi <strong>en</strong> Amérique, cherche à recréer dans<br />
chaque vice-roy<strong>au</strong>me une cour à l’image de celle des Habsbourg puis des Bourbons <strong>en</strong><br />
Espagne : palais, cathédrales, reconstitution d’une aristocratie locale avec des titres<br />
20 Cité par J. Fulcher, 1987 : 122.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
nobiliaires, représ<strong>en</strong>tations d’opéras. Car s’il y a des représ<strong>en</strong>tations <strong>lyrique</strong>s, celles-ci rest<strong>en</strong>t<br />
confiées <strong>au</strong>x scènes privées de l’aristocratie espagnole jusqu’à la fin de l’époque coloniale <strong>en</strong><br />
1809. La nouvelle ère républicaine, après les revers d’une indép<strong>en</strong>dance brutale, refonde sa<br />
tradition <strong>lyrique</strong> sur de nouvelles racines. V<strong>en</strong>u d’Italie, de France puis d’Espagne, sans li<strong>en</strong>s<br />
avec ses antécéd<strong>en</strong>ts coloni<strong>au</strong>x, l’opéra du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> trouvera un sol fertile dans les<br />
Amériques.<br />
<strong>Le</strong>s premières représ<strong>en</strong>tations de spectacles music<strong>au</strong>x <strong>en</strong> Europe sont associées <strong>au</strong>x grands<br />
événem<strong>en</strong>ts des dynasties importantes. La production d’une image et d’une musique laisse<br />
une trace qui construit l’histoire officielle <strong>en</strong> plaçant certains acteurs privilégiés dans ses<br />
articulations.<br />
La Nouvelle-Espagne, la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade, la Nouvelle-Castille et la Vice-roy<strong>au</strong>té du Rio<br />
de la Plata 21 sont dev<strong>en</strong>ues à la fin du XVIII e <strong>siècle</strong> de riches vice-roy<strong>au</strong>tés sur lesquelles<br />
l’Empire espagnol, terres où le soleil ne se couche jamais, assied sa puissance. <strong>Le</strong>s vice-rois<br />
des Indes-Occid<strong>en</strong>tales, représ<strong>en</strong>tants du roi d’Espagne sur le sol américain, avai<strong>en</strong>t établi des<br />
cours dans les grandes capitales, Mexico, Sanfa Fé de Bogotá, Lima et Bu<strong>en</strong>os Aires. Ces<br />
capitales répondai<strong>en</strong>t à plusieurs fonctions. Elles s’érigeai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> c<strong>en</strong>tres administratifs où<br />
étai<strong>en</strong>t prises les décisions politiques. Mais ces cours expatriées devai<strong>en</strong>t <strong>au</strong>ssi être un modèle<br />
de civilisation et de savoir vivre selon les lointains codes europé<strong>en</strong>s. <strong>Le</strong>s grands événem<strong>en</strong>ts<br />
de la monarchie espagnole donnai<strong>en</strong>t lieu à des fêtes somptueuses, différées de plusieurs mois<br />
étant donné la distance 22 .<br />
Dans un milieu naturel <strong>en</strong>core mal maîtrisé, l’importance de la célébration, du faste, du<br />
luxe, de la représ<strong>en</strong>tation et de la musique sied donc à une <strong>au</strong>torité administrative et<br />
religieuse. La reconstruction d’un espace connu – l’espace europé<strong>en</strong> – est un interminable<br />
processus dont l’équilibre est difficile à obt<strong>en</strong>ir : les colonies adapt<strong>en</strong>t leur paysage urbain à la<br />
ville espagnole 23 et t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de transformer le milieu rural avec de nouvelles plantes, anim<strong>au</strong>x<br />
et méthodes de production. La géographie et l’homme <strong>en</strong> sort<strong>en</strong>t modifiés, avec une<br />
21 La Nouvelle-Espagne est l’actuel Mexique. La Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade cont<strong>en</strong>ait ce qui <strong>au</strong>jourd’hui est la<br />
<strong>Colombie</strong>, le V<strong>en</strong>ezuela, l’Équateur et le Panama. La Nouvelle-Castille le Pérou et le Chili. Enfin le<br />
Rio de la Plata est l’anci<strong>en</strong> nom de l’Arg<strong>en</strong>tine.<br />
22 Avant l’implantation de la navigation à vapeur <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, et donc p<strong>en</strong>dant toute l’époque<br />
coloniale, il fallait compter une moy<strong>en</strong>ne de soixante-dix jours pour remonter des villes côtières sur la<br />
Mer des Caraïbes jusqu’à Bogotá (G. R. Mejía Pavony, 2000 : 115).<br />
23 <strong>Le</strong>s villes américaines suiv<strong>en</strong>t une construction régulière <strong>en</strong> damier <strong>au</strong>tour d’une place c<strong>en</strong>trale<br />
délimitée par une cathédrale et le conseil de la ville.<br />
27<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
28<br />
production toujours plus importante, <strong>au</strong> prix d’épidémies et d’un déséquilibre<br />
<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tal qui décime les populations natives 24 .<br />
La création d’un espace symbolique, récupéré sur une nature s<strong>au</strong>vage, ayant comme<br />
obligation morale l’instruction des hommes, pr<strong>en</strong>d un s<strong>en</strong>s par la volonté civilisatrice qui<br />
accompagne depuis toujours la construction de l’Amérique. Espace expressif, point de<br />
croisem<strong>en</strong>t de toutes les représ<strong>en</strong>tations et productions symboliques qui constitu<strong>en</strong>t l’id<strong>en</strong>tité<br />
d’une collectivité donnée, regroupant différ<strong>en</strong>tes caractéristiques qui permett<strong>en</strong>t de<br />
différ<strong>en</strong>cier un groupe humain, il s’agit ici d’une définition de culture que propose la critique<br />
culturelle des Cultural Studies 25 .<br />
Ce dialogue perman<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre représ<strong>en</strong>tation et id<strong>en</strong>tité est l’axe principal de la réflexion que<br />
nous <strong>en</strong>gageons <strong>au</strong>tour d’un événem<strong>en</strong>t musical, sa représ<strong>en</strong>tation et sa réception dès lors<br />
qu’il est placé hors de son lieu d’origine 26 . En embrassant d’un rapide coup d’œil la fonction<br />
des premières manifestations musicales europé<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> Amérique du Sud, nous arrivons <strong>en</strong><br />
1874 pour affiner notre étude sur le cas particulier de la naissance d’un opéra national <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong>.<br />
L’histoire du g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong> sur le sol américain se construit jusqu’<strong>au</strong> début du XX e <strong>siècle</strong> <strong>en</strong><br />
trois étapes – nous y revi<strong>en</strong>drons dans le détail. Spectacles de cour, où la musique participait à<br />
un <strong>en</strong>semble sans <strong>en</strong> être l’objet principal ; représ<strong>en</strong>tations religieuses dont les mises <strong>en</strong><br />
scènes s’accompagnai<strong>en</strong>t de musique ; le g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong> était inhér<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x représ<strong>en</strong>tations<br />
ponctuelles organisées par des dignitaires aristocratiques ou religieux. Vi<strong>en</strong>t une deuxième<br />
période qui introduit l’opéra comme spectacle public dans les principales villes américaines.<br />
Des troupes itinérantes v<strong>en</strong>ues d’Italie et de France vont propager cet opéra dont on parle tant<br />
outre-mer. <strong>Le</strong>ur arrivée est vécue comme un signe de progrès, à l’heure où l’homme<br />
américain veut vivre à la même <strong>en</strong>seigne que l’Europé<strong>en</strong>. Enfin dans une troisième étape les<br />
compositeurs latino-américains se lanc<strong>en</strong>t à leur tour dans la composition d’opéras. Il est alors<br />
nécessaire d’analyser ce double de l’opéra europé<strong>en</strong> sous le prisme de la « traduction<br />
culturelle » impliquant « l’idée de dislocation, relocation et déplacem<strong>en</strong>t 27 ».<br />
24 M. Sarup, 1999 : 29.<br />
25 M.C. Suescún Pozas, 2002 : 198.<br />
26 Voir Músicas <strong>en</strong> transición regroupant neuf essais traitant la relation <strong>en</strong>tre musique et nation dans<br />
un monde postmoderne « qui acc<strong>en</strong>tue la séparation <strong>en</strong>tre les sons et leurs <strong>en</strong>droits d’origine » (A.<br />
M. Ochoa et A. Cragnolini, 2002 : 7)<br />
27 « Toda traducción cultural conlleva la idea de dislocación, relocación y desplazami<strong>en</strong>to », S. Castro-<br />
Gómez, 2005 : 15.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Ces premiers opéras <strong>au</strong>tochtones, variantes du g<strong>en</strong>re itali<strong>en</strong>, dat<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t de la<br />
deuxième moitié du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. En dehors de quelques pages précoces comme la Part<strong>en</strong>ope<br />
(1711) de Sumaya, l’opéra latino-américain est un fait réc<strong>en</strong>t dans l’histoire de la musique.<br />
Néanmoins sa modernité est indéniable : <strong>en</strong> le replaçant dans son contexte contin<strong>en</strong>tal, l’opéra<br />
survi<strong>en</strong>t tôt pour des pays sans tradition musicale, habitués <strong>au</strong> répertoire miniaturiste de la<br />
H<strong>au</strong>smusik, sans jamais avoir abordé le g<strong>en</strong>re symphonique.<br />
Opéra ou zarzuela ? Il est vain et difficile de séparer ces deux types de représ<strong>en</strong>tations sur<br />
les scènes latino-américaines. Un même théâtre accueillait une troupe d’acteurs/chanteurs qui<br />
pouvai<strong>en</strong>t interpréter des tonadillas, des zarzuelas et des opéras traduits <strong>en</strong> espagnols. S’il<br />
existait une distinction <strong>en</strong>tre un g<strong>en</strong>re sérieux et un g<strong>en</strong>re comique, comme on pouvait<br />
opposer à <strong>Paris</strong> l’Académie de Musique <strong>au</strong>x bouffons de la foire Saint-L<strong>au</strong>r<strong>en</strong>t, la réformation<br />
de la zarzuela <strong>en</strong> Espagne dans les années 1850 (zarzuela chica et grande) finit par apporter<br />
une confusion générale sur l’appellation « zarzuela ». Nous avons relevé les principales<br />
contradictions qui alim<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t ce débat générique dans le cinquième chapitre de cette étude<br />
(étude de la zarzuela El Castillo misterioso de Ponce de <strong>Le</strong>ón). Il convi<strong>en</strong>t <strong>au</strong>ssi de souligner<br />
qu’une courte pièce pour voix et piano, assemblant quatre ou cinq numéros de musique, était<br />
considérée comme une zarzuela ! D’où le nombre impressionnant de zarzuelas écrites sur le<br />
nouve<strong>au</strong> contin<strong>en</strong>t : plus de trois mille 28 . Chiffre à <strong>en</strong>visager avec préc<strong>au</strong>tion. Ne dit-on pas<br />
que Ponce de <strong>Le</strong>ón a composé une dizaine de zarzuelas ? Il f<strong>au</strong>drait <strong>en</strong>core préciser qu’il<br />
s’agit de zarzuelas chicas ; qu’une seule fut créée à Bogotá (El Vizconde) ; que la seule<br />
zarzuela grande <strong>au</strong>x dim<strong>en</strong>sions impressionnantes a été une œuvre d’exception (El Castillo<br />
misterioso), la seule de ce g<strong>en</strong>re écrite <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> ; et que si l’on connaît les noms des<br />
<strong>au</strong>tres ouvrages, il ne reste plus <strong>au</strong>cune partition (<strong>en</strong> supposant qu’elles ai<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t existé).<br />
Comm<strong>en</strong>t expliquer le succès de la zarzuela <strong>en</strong> Amérique du Sud ? Tout d’abord, ses<br />
dim<strong>en</strong>sions abordables pour tout musici<strong>en</strong> ou amateur n’étai<strong>en</strong>t pas comparables à la grande<br />
mobilisation de moy<strong>en</strong>s sollicitée par l’opéra. Un piano suffisait pour accompagner les<br />
chanteurs ; <strong>en</strong> effet l’intérêt était partagé <strong>en</strong>tre la musique et la dramaturgie, contrairem<strong>en</strong>t à<br />
l’opéra où la musique pr<strong>en</strong>ait le devant, lassant rapidem<strong>en</strong>t un public non averti. Chantée et<br />
parlée <strong>en</strong> castillan, mettant sur scène des personnages du quotidi<strong>en</strong>, la zarzuela gagne<br />
immédiatem<strong>en</strong>t les faveurs du public et « vit une deuxième vie » <strong>en</strong> Amérique 29 . Lors des<br />
fermetures estivales des théâtres espagnols ou des mom<strong>en</strong>ts de crises, des troupes itinérantes<br />
28 E. Casares Rodício, 2002 : 1.<br />
29 Ibid. : 2.<br />
29<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
30<br />
afflu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Amérique avec un répertoire moderne de zarzuelas. Si l’opéra tarde à arriver <strong>au</strong>x<br />
Amériques, les nouvelles zarzuelas produites <strong>en</strong> Espagne sont <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dues avec seulem<strong>en</strong>t<br />
quelques mois de décalage.<br />
La composition d’opéra reste intimem<strong>en</strong>t liée à une vision euroc<strong>en</strong>triste du monde et les<br />
compositeurs att<strong>en</strong>dront la fin du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> pour donner une portée nationaliste à leurs<br />
œuvres <strong>lyrique</strong>s. Pour le musicologue étasuni<strong>en</strong> Gerard Béhague, cette période qualifiée de<br />
« synchronisation » avec l’Europe établit les bases pour une introspection musicale qui<br />
pr<strong>en</strong>dra force dans les années 1920 30 . Écrire un opéra montre l’acquisition d’un savoir-faire et<br />
constitue la r<strong>en</strong>ommée nationale d’un compositeur. À partir de là, on compr<strong>en</strong>d le<br />
cheminem<strong>en</strong>t esthétique qui conduira les écoles nationales à se distinguer du répertoire de<br />
l’Europe <strong>au</strong> début du XX e <strong>siècle</strong>.<br />
Pourtant, <strong>en</strong> 1870, le fantôme de l’idéal national n’est pas <strong>en</strong>core v<strong>en</strong>u troubler l’esprit des<br />
musici<strong>en</strong>s. On écrit de la musique à l’europé<strong>en</strong>ne, dont le but est de divertir et de briller <strong>en</strong><br />
société. Pour les intellectuels, c’est une chance de savoir qu’un compositeur ayant achevé un<br />
opéra a grandi avec eux, qu’il ira joindre son nom et celui de son pays à ceux des grands<br />
maîtres. Une fois de plus il est question d’atteindre cet idéal civilisateur par le biais de l’art.<br />
C’est d’ailleurs ces hommes de lettres qui pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la plume lors des comptes-r<strong>en</strong>dus<br />
d’opéras. Cette réception dont parl<strong>en</strong>t les nombreux articles de presse, témoignage d’une élite<br />
lettrée dét<strong>en</strong>trice du pouvoir 31 , est celle qui a construit l’histoire officielle de l’opéra du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> latino-américain. <strong>Le</strong> cas particulier de la <strong>Colombie</strong>, que nous montrerons dans le<br />
détail, est représ<strong>en</strong>tatif de la réalité d’<strong>au</strong>tres nations du contin<strong>en</strong>t.<br />
À nous de réviser ces sources, rubriques qui exclu<strong>en</strong>t toute <strong>au</strong>tre forme musicale non<br />
europé<strong>en</strong>ne, et qui filtre la réalité 32 . À nous de déconstruire le textoc<strong>en</strong>trisme et de considérer<br />
ces archives comme « des sables fabriqués sur lesquels les luttes de pouvoir – <strong>en</strong> incluant<br />
celles que génère notre prés<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> tant que chercheur – définiss<strong>en</strong>t et obscurciss<strong>en</strong>t les<br />
sources et informations <strong>au</strong>xquelles nous avons accès 33 . » Exclusion dans l’exclusion ? La<br />
30<br />
G. Béhague, 1979. Voir <strong>au</strong>ssi la première partie « Vers une école nationale », R. Torres, 2003.<br />
31<br />
C’est le sujet de l’ouvrage de M. Deas, 1993.<br />
32<br />
Il suffit de lire les récits de voyages divergeants des nombreux av<strong>en</strong>turiers europé<strong>en</strong>s ayant foulé le<br />
sol de Bogotá <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
33<br />
« […] ar<strong>en</strong>as construidas <strong>en</strong> las cuales las luchas de poder – incluidas las g<strong>en</strong>eradas por nuestra<br />
propia pres<strong>en</strong>cia [como investigadores] – actúan para definir y oscurecer las fu<strong>en</strong>tes y la información a<br />
la cual accedemos. » F. Mallon, The Promise and Dilema of Subaltern Studies: Perspectives from<br />
Latin American History. Cité par G. Bustos, 2002 : 62.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
prés<strong>en</strong>ce de l’opéra dans la presse colombi<strong>en</strong>ne du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> finit par pr<strong>en</strong>dre l’allure d’une<br />
geste héroïque culturelle.<br />
1.2. <strong>Le</strong>sspectacles<strong>lyrique</strong>sdansl’AmériqueLatinecoloniale<br />
Durant l’époque coloniale, qui s’ét<strong>en</strong>d de la découverte de l’Amérique (fin du XV e <strong>siècle</strong>)<br />
<strong>au</strong>x années 1810, une seule institution musicale est active : l’Église. <strong>Le</strong>s grandes cathédrales<br />
sud-américaines accueill<strong>en</strong>t des maîtres de chapelle, maestros de capilla, v<strong>en</strong>us d’Espagne et<br />
d’Italie. Ils form<strong>en</strong>t des chantres et des compositeurs de musique dans le style de Palestrina,<br />
<strong>en</strong>core <strong>au</strong> début du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. En marge de cette pratique musicale, certaines cours<br />
pratiquai<strong>en</strong>t des divertissem<strong>en</strong>ts music<strong>au</strong>x. Pourtant la docum<strong>en</strong>tation est sommaire,<br />
contrairem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x archives des cathédrales qui conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une grande quantité de musique<br />
manuscrite. Cep<strong>en</strong>dant certains grands événem<strong>en</strong>ts étai<strong>en</strong>t l’occasion pour les <strong>au</strong>torités<br />
d’organiser de grandes fêtes avec musique : les fêtes coloniales.<br />
1.2.1.<br />
<br />
En juin 1538, François I er et Charles Quint conclu<strong>en</strong>t la t<strong>rêve</strong> de Nice. Pour célébrer cette<br />
paix, un événem<strong>en</strong>t assez extraordinaire est organisé dans la Nouvelle-Espagne. Transformée<br />
<strong>en</strong> un bois merveilleux, puis <strong>en</strong> une grande scène de théâtre, la plaza mayor de Mexico<br />
devi<strong>en</strong>t la scène d’un spectacle imposant, La Conquista de Rodas, à laquelle particip<strong>en</strong>t<br />
Espagnols, Indigènes et Noirs africains 34 :<br />
Au lever du jour, la ville de Rhodes parut <strong>au</strong> c<strong>en</strong>tre de la plaza mayor, avec ses tours, ses<br />
donjons…<br />
Amanecióotrodía<strong>en</strong>mitaddelamismaplazamayorhechalaciudaddeRodasconsustorres<br />
yalm<strong>en</strong>as... 35 <br />
Chaque bâtim<strong>en</strong>t mettait <strong>en</strong> scène un divertissem<strong>en</strong>t avec musique. Des chantres formés <strong>au</strong><br />
contrepoint, ainsi que des ménestrels jouant chalume<strong>au</strong>x, trompettes, sacqueboutes, douçaines<br />
et timbales accompagnai<strong>en</strong>t cette grande fête 36 . Devançant d’un demi-<strong>siècle</strong> les spectacles<br />
music<strong>au</strong>x du Ballet comique de la Reyne (1581 à <strong>Paris</strong>) ou de La Pellegrina (1589 à<br />
34<br />
C. Bernand et S. Gruzinski, 1991 : 365.<br />
35<br />
Bernal Díaz del Castillo, Historia verdadera de la Conquista de la Nueva España. Cité par<br />
C. Bernand et S. Gruzinski, 1991 : 679.<br />
36<br />
« […] hubo grandes edificios como teatros postizos […] y <strong>en</strong> cada uno su acto y su repres<strong>en</strong>tación<br />
con sus cantores y ministriles altos de chirimías y sacabuches y dulzainas y otros instrum<strong>en</strong>tos de<br />
música, trompetas y atabales. » Bartolomeo de Las Casas, Historia de las Indias. Cité par C. Bernand<br />
et S. Gruzinski, 1991 : 679.<br />
31<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
32<br />
Flor<strong>en</strong>ce), les vice-roy<strong>au</strong>tés viv<strong>en</strong>t <strong>au</strong> rythme de la R<strong>en</strong>aissance europé<strong>en</strong>ne 37 . La vie<br />
musicale, associée <strong>au</strong>x banquets, <strong>au</strong>x grandes cérémonies, à l’église, suit désormais l’actualité<br />
musicale europé<strong>en</strong>ne avec un décalage que l’on retrouve <strong>en</strong>core <strong>au</strong> début du XX e <strong>siècle</strong>.<br />
Différ<strong>en</strong>ts spectacles avec musique se succèd<strong>en</strong>t dans le contin<strong>en</strong>t. On citera La Conquista<br />
de Jerusalén représ<strong>en</strong>tée par les Franciscains et les Indi<strong>en</strong>s de Tlaxcala (Mexique) le 12 juin<br />
1539 pour la Fête-Dieu 38 ; <strong>au</strong> début du XVII e <strong>siècle</strong> est célébré près de Potosi (Pérou) l’acte<br />
sacram<strong>en</strong>tal El dios Pan du poète sévillan Diego Mexia de Fernangil 39 . L’Amérique brille<br />
<strong>en</strong>core de l’éclat de l’Âge d’Or espagnol à travers ces quelques exemples. Nous espérons que<br />
dans les années à v<strong>en</strong>ir la recherche musicologique suivra le pas de trav<strong>au</strong>x de R. Stev<strong>en</strong>son,<br />
A. Pacquier, E. Bermúdez, et associée à des interprètes comme G. Garrido, permettra de<br />
mieux connaître ce répertoire de l’Amérique dite baroque. Ce faste r<strong>en</strong>aissant et baroque,<br />
cantonné dans des villes privilégiées, ne s<strong>au</strong>ra effacer les revers de la Colonia : viol<strong>en</strong>ces,<br />
esclavages, exterminations et épidémies.<br />
Remarquons cep<strong>en</strong>dant que ce g<strong>en</strong>re de représ<strong>en</strong>tation se retrouve <strong>en</strong>core <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Ainsi l’ambassadeur français à Bogotá, Auguste <strong>Le</strong> Moyne se souvi<strong>en</strong>dra :<br />
À l’occasion de la Fête Dieu, la place principale de Bogotá offre p<strong>en</strong>dant plusieurs jours un<br />
spectacle assez curieux ; elle est transformée, <strong>au</strong> moy<strong>en</strong> de plantations improvisées, <strong>en</strong> une<br />
espèce de jardin <strong>au</strong>quel on donne le nom de Paradis et dans lequel se réuniss<strong>en</strong>t, comme dans<br />
un champ de foire, des Indi<strong>en</strong>s ou <strong>au</strong>tres habitants des campagnes voisines de Bogotá 40 .<br />
<strong>Le</strong>s nombreuses représ<strong>en</strong>tations théâtrales sont agrém<strong>en</strong>tées par des intermèdes chantés.<br />
Même phénomène qu’<strong>en</strong> Europe, l’intermède chanté devi<strong>en</strong>t <strong>au</strong>tonome et évolue vers l’opéra.<br />
En 1701, le premier opéra américain dont on ait trace à ce jour est représ<strong>en</strong>té à Lima : La<br />
Púrpura de la Rosa. Cet opéra est écrit pour célébrer l’intronisation de Philippe V de<br />
Bourbon, petit-fils de Louis XIV, le jour de ses 18 ans. Opéra américain de par<strong>en</strong>ts espagnols,<br />
le livret est de la main de Calderón de la Barca, <strong>au</strong>teur du Grand théâtre du Monde, qui déjà<br />
<strong>en</strong> 1682 avait inspiré le livret anonyme du premier opéra anglais : V<strong>en</strong>us & Adonis de John<br />
Blow. Quant à la musique, elle est l’œuvre du compositeur espagnol Tomás de Torrejón y<br />
37 e<br />
Au XVI <strong>siècle</strong>, le Roy<strong>au</strong>me de Naples apparti<strong>en</strong>t à l’Empire de Charles Quint ; pour les relations<br />
<strong>en</strong>tre la Castille et les différ<strong>en</strong>ts états itali<strong>en</strong>s p<strong>en</strong>dant la R<strong>en</strong>aissance, voir le chapitre VI : l’Europe<br />
Impériale dans C. Bernand et S. Gruzinski, 1991.<br />
38<br />
Ibid. : 367.<br />
39<br />
A. Pacquier, 1996 : 245.<br />
40<br />
A. <strong>Le</strong> Moyne, 1880 : 200. <strong>Le</strong> chevalier <strong>Le</strong> Moyne, vice-consul de Charles X <strong>en</strong> Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade,<br />
décrit la situation de 1824, qui a peu évoluée <strong>en</strong> 1870.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Velasco (1644-1728), maître de chapelle de la Cathédrale de Lima, « le plus h<strong>au</strong>t poste<br />
musical de toute l’Amérique du Sud 41 » <strong>en</strong> ce temps.<br />
À Mexico, où se ti<strong>en</strong>t une <strong>au</strong>tre cour vice-royale, le compositeur mexicain Manuel de<br />
Sumaya 42 (ca. 1678-1755) met <strong>en</strong> musique El Rodrigo (1708) puis La Part<strong>en</strong>ope (1711) sur le<br />
poème itali<strong>en</strong> de Silvio Stampiglia 43 . Il existe <strong>au</strong>jourd’hui un livret bilingue publié lors de<br />
cette représ<strong>en</strong>tation exceptionnelle de La Part<strong>en</strong>ope 44 . La musique, la première qui ait été<br />
composée par un musici<strong>en</strong> natif du contin<strong>en</strong>t, est <strong>en</strong> revanche perdue.<br />
La Conquista de Santa Fé de Bogota de Fernando de Orbea, écrite vers la fin du<br />
XVII e <strong>siècle</strong>, serait la première œuvre <strong>lyrique</strong> écrite <strong>en</strong> Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade, proposant un texte<br />
<strong>en</strong>trecoupé d’airs, de récitatifs et de chœurs 45 . D’<strong>au</strong>tres représ<strong>en</strong>tations <strong>lyrique</strong>s dont on ait un<br />
témoignage dat<strong>en</strong>t de la seconde moitié du XVIII e <strong>siècle</strong>. La zarzuela Los Pesares de la<br />
hermosura <strong>au</strong>rait été représ<strong>en</strong>tée à Bogotá <strong>en</strong> 1760 ; El V<strong>en</strong><strong>en</strong>o de la hermosura <strong>en</strong> 1784 dans<br />
le départem<strong>en</strong>t de Santander, <strong>au</strong> nord-est du pays 46 . Il s’agit ici du g<strong>en</strong>re princier de la<br />
zarzuela baroque, bi<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>t de celui du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Il est cep<strong>en</strong>dant fort probable que la<br />
cour itinérante du vice-roi de la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade ait accueilli davantage de spectacles avec<br />
musique. La question reste ouverte pour de futures recherches.<br />
C’est le mom<strong>en</strong>t de rev<strong>en</strong>ir à notre problématique initiale : quelle est la fonction de ces<br />
manifestations <strong>lyrique</strong>s ? En célébrant des événem<strong>en</strong>ts ponctuels (naissance de princes, actes<br />
sacram<strong>en</strong>t<strong>au</strong>x, etc.), le spectacle <strong>lyrique</strong> devi<strong>en</strong>t une vitrine de la richesse du pouvoir <strong>en</strong> place.<br />
Sa fonction rejoint celle de l’opera seria ou de la tragédie <strong>lyrique</strong> de la fin du XVII e <strong>siècle</strong> qui<br />
diffusait l’idéal politique de l’empire éclairé 47 , placé sous le mandat d’un souverain clém<strong>en</strong>t et<br />
juste, maître de ses passions.<br />
Si ces œuvres particip<strong>en</strong>t <strong>au</strong> mythe du despotisme éclairé, un nouve<strong>au</strong> paramètre est<br />
pourtant ici ess<strong>en</strong>tiel : l’occasion. B. Lortat-Jacob fait une distinction <strong>en</strong>tre fonction et<br />
41<br />
A. Pacquier, 1996 : 240.<br />
42<br />
On r<strong>en</strong>contre <strong>au</strong>ssi l’orthographe Zumaya, Soumaya.<br />
43<br />
J.O. Sosa (s.d.).<br />
44<br />
Représ<strong>en</strong>tée à Naples <strong>en</strong> 1699 (musique de Luigi Manzo) puis reprise par différ<strong>en</strong>ts compositeurs <strong>au</strong><br />
XVIII e <strong>siècle</strong> : <strong>en</strong> 1703 (Caldara) ; 1707 à V<strong>en</strong>ise ; <strong>en</strong> 1722 (Dom<strong>en</strong>ico Sarro) ; <strong>en</strong> 1730 (Ha<strong>en</strong>del) et<br />
<strong>en</strong> 1738 (Vivaldi). La Part<strong>en</strong>ope mexicaine a lieu pour célébrer le patron du roi Philippe V (R.<br />
Stev<strong>en</strong>son, 1992d : 363).<br />
45<br />
J.I. Perdomo Escobar, 1979.<br />
46 C. Iriarte, 2001 : 118.<br />
47 I. Moindrot, 1993 : 274-275.<br />
33<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
34<br />
occasion 48 , et insiste sur ces manifestations qui ont lieu ponctuellem<strong>en</strong>t, délivrant un message<br />
lors d’un événem<strong>en</strong>t précis. L’opéra serait donc tributaire d’occasions <strong>en</strong> ses débuts, alors que<br />
par la suite, lorsque le spectacle intègre une économie de consommation, la fonction<br />
(moralisatrice, édifiante, cathartique ou divertissante) va dev<strong>en</strong>ir une particularité de l’opéra<br />
propre à chaque époque. En parlant d’occasion, les festivités musicales américaines se<br />
rattach<strong>en</strong>t à un cal<strong>en</strong>drier lointain. Pour ces Espagnols déracinés <strong>en</strong> Amérique, qui redessin<strong>en</strong>t<br />
l’espace américain selon un tracé europé<strong>en</strong>, cette nouvelle imposition d’un temps de l’ailleurs<br />
achève une conquête symbolique et expressive : le temps de l’Europe devi<strong>en</strong>t à son tour celui<br />
du Nouve<strong>au</strong> Monde.<br />
<strong>Le</strong> besoin pour l’oligarchie coloniale de maint<strong>en</strong>ir son id<strong>en</strong>tité espagnole fait passer sous<br />
sil<strong>en</strong>ce les spectacles populaires où la musique jouait un rôle important 49 . « L’histoire est<br />
connaissance mutilée 50 » et les récits officiels des archives coloniales « nous laiss<strong>en</strong>t ignorer<br />
be<strong>au</strong>coup de choses, mais <strong>en</strong>core ils nous laiss<strong>en</strong>t ignorer que nous les ignorons 51 . » Cela va<br />
dans le s<strong>en</strong>s de la construction d’une histoire officielle, définie par la critique postmoderne<br />
structuraliste comme « produit inhér<strong>en</strong>t limité <strong>au</strong>x intérêts de classes 52 . » <strong>Le</strong>s études latino-<br />
américanistes, fortem<strong>en</strong>t influ<strong>en</strong>cées par les subaltern studies, se conc<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>au</strong>jourd’hui sur<br />
cette <strong>au</strong>tre histoire, abs<strong>en</strong>te du récit historique de la nation.<br />
Mais rev<strong>en</strong>ons à cette histoire officielle, pour suivre notre parcours à travers le temps.<br />
D’abord célébrant un événem<strong>en</strong>t ponctuel dans un cadre privé, le spectacle musical espagnol<br />
<strong>en</strong> Amérique est à mettre <strong>au</strong> même nive<strong>au</strong> que ceux de la cour de Mantoue, des Médicis ou<br />
des réjouissances d’H<strong>en</strong>ri IV, même si les moy<strong>en</strong>s sont tout <strong>au</strong>tres. Ce n’est que vers la fin du<br />
XVIII e <strong>siècle</strong> que l’arrivée de chanteurs et de comédi<strong>en</strong>s espagnols puis itali<strong>en</strong>s fait éclater le<br />
cadre privé du spectacle. Ils vont remporter avec succès un nouve<strong>au</strong> défi : imposer l’opéra des<br />
pays méditerrané<strong>en</strong>s <strong>en</strong> Amérique Latine.<br />
1.2.2.<br />
L’exploitation agricole, minière et humaine des colonies espagnoles accélère l’apparition de<br />
grands c<strong>en</strong>tres économiques placés sous le monopole de la couronne espagnole. La répartition<br />
inégale du capital – du moins celui qui reste <strong>en</strong> Amérique – restructure l’horizon social avec<br />
48 B. Lortat-Jacob, 1992 : 15.<br />
49 On p<strong>en</strong>se notamm<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x coplas, jeu où plusieurs chanteurs se répond<strong>en</strong>t <strong>en</strong> improvisant sur un<br />
sujet donné.<br />
50<br />
P. Veyne, 1971/1996 : 26.<br />
51<br />
Ibid.<br />
52<br />
G. Bustos, 2002 : 64.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
l’apparition d’une bourgeoisie marchande qui cherche à vivre selon le modèle europé<strong>en</strong>. L’or,<br />
les richesses naturelles, tout comme l’av<strong>en</strong>ture, attir<strong>en</strong>t des Europé<strong>en</strong>s. Eux <strong>au</strong>ssi cherch<strong>en</strong>t à<br />
construire une société à l’image des métropoles europé<strong>en</strong>nes dans le Nouve<strong>au</strong> Contin<strong>en</strong>t, une<br />
société où le divertissem<strong>en</strong>t est de mise :<br />
Trois <strong>siècle</strong>s après la Conquête, les comédi<strong>en</strong>s et les musici<strong>en</strong>s de la Péninsule tournai<strong>en</strong>t leurs<br />
regards vers les Indes, berce<strong>au</strong>x de villes nouvelles, assez riches pour être séduites par le luxe<br />
et consacrer leurs loisirs <strong>au</strong>x ornem<strong>en</strong>ts. À Cuba, comme à Saint-Domingue, la canne à sucre<br />
avait eu pour effet de faire apparaître les premiers carrosses. Ceux-ci allai<strong>en</strong>t servir désormais à<br />
aller <strong>au</strong> théâtre 53 .<br />
Des troupes espagnoles arriv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Amérique, profitant d’une situation politique stable.<br />
Comme <strong>au</strong> Teatro de la Cruz de Madrid, théâtre et musique font parts égales dans leur<br />
répertoire. <strong>Le</strong>s nombreux passages chantés ou dansés, tels la tonadilla 54 , saynete, jotas,<br />
habaneras, etc. vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t agrém<strong>en</strong>ter des situations riches <strong>en</strong> coups de théâtre.<br />
La docum<strong>en</strong>tation qui nous est parv<strong>en</strong>ue sur ces premiers spectacles est sommaire. « Aucun<br />
docum<strong>en</strong>t ne permet de le savoir » 55 , « On dit que… », « Il paraîtrait que… », « Joua-t-on tel<br />
opéra ? » Telles sont les conjectures sur la base desquelles naît l’histoire de l’opéra <strong>en</strong><br />
Amérique du Sud ; histoire pourtant bi<strong>en</strong> docum<strong>en</strong>tée si l’on songe <strong>au</strong>x formes musicales<br />
d’expression subalternes dont il ne reste que des témoignages biaisés par la c<strong>en</strong>sure culturelle.<br />
Ce n’est qu’à partir des années 1830 que l’histori<strong>en</strong> dispose d’une docum<strong>en</strong>tation apportant<br />
des témoignages sur l’activité théâtrale : programmes, critiques de journ<strong>au</strong>x, revues<br />
musicales, livrets traduits et édités. Pourtant notre expéri<strong>en</strong>ce nous montre que même la<br />
presse prés<strong>en</strong>te des informations lacunaires, souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>thousiaste lors de l’arrivée de troupes<br />
étrangères, puis donnant de moins <strong>en</strong> moins de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts sur une saison <strong>lyrique</strong> qui<br />
s’essouffle.<br />
Avant de nous intéresser <strong>au</strong> cas de la <strong>Colombie</strong>, nous avons voulu replacer son activité<br />
<strong>lyrique</strong> dans un contexte contin<strong>en</strong>tal. Cette démarche répond à un double propos : dans un<br />
souci de mise <strong>en</strong> contexte, découvrir les grands traits de l’activité <strong>lyrique</strong> de pays qui ont<br />
partagé une histoire commune. C’est <strong>au</strong>ssi l’occasion de faire un bilan provisoire des<br />
connaissances de ce chapitre de l’histoire de la musique.<br />
53 A. Carp<strong>en</strong>tier, 1946 : 85.<br />
54 Tonadilla : intermezzo chanté <strong>en</strong>tre les actes d’une pièce de théâtre (plus rarem<strong>en</strong>t d’un opéra) dans<br />
le théâtre espagnol des XVIII e et <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>s. L’action met <strong>en</strong> jeu des personnages populaires et la<br />
tonadilla est dev<strong>en</strong>ue un petit opéra-comique, comme l’Intermezzo napolitain.<br />
55 A. Carp<strong>en</strong>tier, 1946 : 87.<br />
35<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
36<br />
1.3. <strong>Le</strong>scompagnies<strong>lyrique</strong>sitinérantesassièg<strong>en</strong>tl’Amériquedu<br />
<strong>XIX</strong>e<strong>siècle</strong><br />
Quelques exemples choisis dans un vaste répertoire nous permett<strong>en</strong>t de résumer l’av<strong>en</strong>ture<br />
<strong>lyrique</strong> américaine <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. <strong>Le</strong>s grandes capitales <strong>lyrique</strong>s – Montréal, Toronto, New<br />
York, Mexico, La Havane, Bogotá, Caracas, Lima, Montevideo, Bu<strong>en</strong>os Aires – partag<strong>en</strong>t<br />
une histoire commune. P<strong>en</strong>dant la colonisation espagnole, anglaise ou française, les<br />
manifestations musicales rest<strong>en</strong>t liées à la célébration du pouvoir europé<strong>en</strong>. Dès la fin du<br />
XVIII e <strong>siècle</strong> un répertoire musical articulé <strong>au</strong>tour de la scène théâtrale fait son apparition :<br />
tonadillas, zarzuelas, sainetes dans le monde hispanique ; opéras-comiques français et anglais<br />
dans le style du Beggar’s Opera dans l’hémisphère nord 56 . Notons que la dynamique de la<br />
troupe itinérante (espagnole, anglaise ou française) se met <strong>en</strong> place dès la fin du XVIII e <strong>siècle</strong>.<br />
La Havane, porte marchande vers Séville, est l’une des premières villes américaines à<br />
instituer l’opéra. En 1776 le Teatro Principal ouvre ses portes avec une représ<strong>en</strong>tation de<br />
Didone Abbandonata 57 . À partir de ce mom<strong>en</strong>t des troupes espagnoles ou locales propos<strong>en</strong>t<br />
une activité continue, où la musique vi<strong>en</strong>t agrém<strong>en</strong>ter le spectacle. Par mom<strong>en</strong>t des opéras<br />
<strong>en</strong>tiers sont représ<strong>en</strong>tés. Ainsi <strong>en</strong> 1791, l’opéra-comique de Grétry Zemire y Azor o El amor<br />
de un padre y el deber de una hija (1771) est joué par une troupe espagnole :<br />
<strong>Le</strong> samedi 17 sera représ<strong>en</strong>té le grand et célèbre opéra Zémire et Azore ou L’Amour d’un père<br />
et le devoir d’une fille, <strong>en</strong> quatre actes, traduit <strong>en</strong> espagnol.<br />
La musique est du célèbre compositeur Gretri (sic) ; elle sera agrém<strong>en</strong>tée de plusieurs<br />
mutations, on verra des personnages s’élever dans les airs, <strong>au</strong> troisième acte <strong>en</strong> particulier, on<br />
prés<strong>en</strong>tera un miroir magique dans lequel il y <strong>au</strong>ra trois personnes qui chanteront un trio. Un<br />
bal grandiose reh<strong>au</strong>ssera cette représ<strong>en</strong>tation 58 .<br />
Nous retrouvons ici tous les élém<strong>en</strong>ts du faste de la tragédie <strong>lyrique</strong> et de l’opera seria, via<br />
le g<strong>en</strong>re comique : machineries, changem<strong>en</strong>ts de décors, illusions de magie et de merveilleux,<br />
le tout couronné par un bal 59 . Cette esthétique du divertissem<strong>en</strong>t va être modifiée avec<br />
l’avènem<strong>en</strong>t d’un nouvel ordre social <strong>en</strong> Europe. Sa reconduite <strong>en</strong> Amérique Latine<br />
s’explique <strong>en</strong>tre <strong>au</strong>tres par l’insularité politique de l’Espagne à la fin du XVIII e <strong>siècle</strong>, comme<br />
par le passage de comédi<strong>en</strong>s issus de l’Anci<strong>en</strong> Régime.<br />
56<br />
G. G. Jones, 1992 : 711 ; S. Sommer, 1992 : 586.<br />
57<br />
Nous ignorons quelle mise <strong>en</strong> musique du poème du Métastase fut alors <strong>en</strong>t<strong>en</strong>due (R. Stev<strong>en</strong>son,<br />
1992e : 669).<br />
58<br />
Coupure de presse citée par A. Carp<strong>en</strong>tier, 1946 : 89.<br />
59 e<br />
Il ne s’agit pas ici du ballo qui v<strong>en</strong>ait clore les opéras du XVIII <strong>siècle</strong>, mais d’un bal <strong>au</strong>quel pr<strong>en</strong>ait<br />
part le public.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Une troupe française arrivée à La Havane <strong>en</strong> 1801 va prés<strong>en</strong>ter des œuvres de Grétry,<br />
Cambert, La Borde, Monsigny, Gossec, Audinot ou Pergolèse 60 . Son succès est tel que lors de<br />
son départ, des artistes cubains fond<strong>en</strong>t une compagnie locale pour représ<strong>en</strong>ter des ouvrages<br />
de Crébillon ou Philidor. Puis <strong>en</strong> 1810, des artistes espagnols s’install<strong>en</strong>t à La Havane. <strong>Le</strong><br />
répertoire foisonnant mêle des œuvres françaises de la désuète tragédie <strong>lyrique</strong>, des pastorales<br />
ou des opéras-comiques de Cambert, Grétry, Monsigny, Dalayrac ; le style itali<strong>en</strong> paraît dans<br />
des œuvres de Pergolèse, Cimarosa ou Paisiello, avant la déferlante rossini<strong>en</strong>ne. La zarzuela<br />
et les tonadillas des Espagnols Blas de Laserna, Pablo Esteve ou du ténor Manuel García<br />
complèt<strong>en</strong>t la variété des spectacles chantés <strong>en</strong> ce début de <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
1.3.1.<br />
L’émancipation des colonies américaines – <strong>en</strong> même temps qu’<strong>en</strong> Europe Rossini s’impose<br />
comme le compositeur d’opéras – ouvre la porte <strong>au</strong>x Itali<strong>en</strong>s. Un véritable déferlem<strong>en</strong>t des<br />
troupes itinérantes itali<strong>en</strong>nes marque le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Allant de ville <strong>en</strong> ville, elles tourn<strong>en</strong>t<br />
avec un même répertoire et cré<strong>en</strong>t un nouve<strong>au</strong> langage commun à tout le contin<strong>en</strong>t. Par leur<br />
biais, la vogue europé<strong>en</strong>ne pour Rossini, Bellini, Verdi s’ét<strong>en</strong>d <strong>en</strong> Amérique ; des<br />
personnages comme Lucia, Lucrezia ou Violetta devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les emblèmes du Romantisme.<br />
L’importance de ce phénomène est telle que Gilles de Van vi<strong>en</strong>t à parler de<br />
« l’internationalisation du monde <strong>lyrique</strong> » :<br />
<strong>Le</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> voit l’opéra se propager <strong>au</strong>-delà des limites de l’Europe et le mouvem<strong>en</strong>t<br />
s’accélère à la fin du <strong>siècle</strong>. <strong>Le</strong>s artistes qui errai<strong>en</strong>t sur la place de la Scala <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant qu’un<br />
ag<strong>en</strong>t les contacte pour les <strong>en</strong>voyer où que ce soit <strong>en</strong> Italie ou <strong>en</strong> Europe, n’hésit<strong>en</strong>t pas à<br />
traverser l’Atlantique dans l’espoir d’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts moins précaires : <strong>en</strong> 1889, 1 200 personnes<br />
quitt<strong>en</strong>t Milan pour se r<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> Amérique du Sud 61 .<br />
On reti<strong>en</strong>t le rôle fondam<strong>en</strong>tal de certaines personnalités, tel (l’Espagnol) Manuel García 62<br />
qui, à la demande de Lor<strong>en</strong>zo Da Ponte, immigré <strong>au</strong>x États-Unis depuis 1805, introduit<br />
l’opéra itali<strong>en</strong> à New York puis à Mexico ; on reti<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t l’importance d’une œuvre<br />
phare, Il barbiere de Siviglia de Rossini, premier opéra interprété à Bu<strong>en</strong>os Aires et à New<br />
York 63 <strong>en</strong> 1825, à Mexico 64 <strong>en</strong> 1827, à Bogotá <strong>en</strong> 1836.<br />
60 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992e : 669.<br />
61 Gilles de Van, 2000 : 27.<br />
62 Manuel García (1771-1832), ténor, compositeur, pédagogue, directeur de troupes d’opéras, vécut à<br />
Séville, Madrid, Naples, <strong>Paris</strong>, Londres. Il se prés<strong>en</strong>te comme un véritable Europé<strong>en</strong> (J. Radomski,<br />
1992 : 345-346). Ses filles, La Malibran et P<strong>au</strong>line Viardot, marqueront l’histoire de l’interprétation<br />
<strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> Europe.<br />
63 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992b : 633 et S. Sommer, 1992 : 586.<br />
64 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992g : 364.<br />
37<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
38<br />
L’histoire de l’opéra à Cuba est un récit riche <strong>en</strong> événem<strong>en</strong>ts et <strong>en</strong> œuvres. Son activité<br />
<strong>lyrique</strong> exceptionnelle est liée à la place privilégiée de l’île dans la carte maritime du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Par sa position stratégique, Cuba était le port de débarquem<strong>en</strong>t des compagnies<br />
<strong>lyrique</strong>s qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>ter leur chance dans le Nouve<strong>au</strong> Monde. Il f<strong>au</strong>t <strong>au</strong>ssi souligner la<br />
prospérité d’une économie fondée sur l’exploitation de la canne à sucre et du tabac, qui permit<br />
le financem<strong>en</strong>t de théâtres, musici<strong>en</strong>s et costumes v<strong>en</strong>us d’Italie. La r<strong>en</strong>ommée de l’activité<br />
<strong>lyrique</strong> de l’île va <strong>en</strong> grandissant, ce qui permet de programmer des œuvres récemm<strong>en</strong>t créées<br />
<strong>en</strong> Europe : Norma (1836) <strong>en</strong> 1838 ; Il trovatore (1853) <strong>en</strong> 1856.<br />
Tout comme La Havane, Mexico devi<strong>en</strong>t une destination privilégiée de l’opéra. Mexico,<br />
capitale de la Nouvelle-Espagne, avait vu fleurir un grand nombre de somptueuses<br />
constructions qui <strong>au</strong>jourd’hui <strong>en</strong>core constitu<strong>en</strong>t l’un des attraits de la ville. Sa proximité avec<br />
le port de Veracruz – villes raccordées dans les années 1840 par un chemin de fer – la<br />
rapproche de l’Europe. Grande capitale située <strong>en</strong>tre la limite sud/nord de l’Amérique, elle<br />
profite de la visite de troupes <strong>en</strong> escale vers les États-Unis, vers le V<strong>en</strong>ezuela et la Nouvelle-<br />
Gr<strong>en</strong>ade. <strong>Le</strong>s t<strong>en</strong>tatives politiques pour imposer un régime monarchique après son<br />
indép<strong>en</strong>dance <strong>en</strong> 1811, les guerres civiles, le bras de fer de Napoléon III qui place Maximili<strong>en</strong><br />
comme Empereur du Mexique (1863-1867) donn<strong>en</strong>t sa particularité à l’histoire mexicaine 65 .<br />
<strong>Le</strong>s cas cubain et mexicain sont ceux qui prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les histoires les plus dynamiques quant<br />
à l’implantation d’une tradition d’opéra <strong>en</strong> Amérique Latine. <strong>Le</strong>ur situation géographique<br />
privilégiée, riches capitales ouvertes <strong>au</strong> monde, intersections <strong>en</strong>tre le Nord et le Sud, <strong>en</strong>tre<br />
l’Amérique et l’Europe, <strong>au</strong>x proximités de l’Atlantique, explique ce r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> perman<strong>en</strong>t et<br />
facile des acteurs de la scène <strong>lyrique</strong>.<br />
Deux <strong>au</strong>tres capitales portuaires, Bu<strong>en</strong>os Aires et New York, adopt<strong>en</strong>t rapidem<strong>en</strong>t l’opéra<br />
itali<strong>en</strong>. Mais un <strong>au</strong>tre « circuit <strong>lyrique</strong> » que celui qui sied <strong>au</strong>x pays des Caraïbes se dessine<br />
<strong>au</strong>tour d’elles – même si le Mexique se prés<strong>en</strong>te comme point d’attache pour certaines<br />
troupes.<br />
Bu<strong>en</strong>os Aires découvre l’opéra <strong>en</strong> 1825 ; le succès est tel qu’<strong>en</strong> 1854 la ville propose tr<strong>en</strong>te<br />
créations 66 ! Aujourd’hui <strong>en</strong>core nous avons des échos de cet âge d’or <strong>lyrique</strong> à travers<br />
l’image du Teatro Colón, in<strong>au</strong>guré <strong>en</strong> 1857 avec La Traviata. Plus tardif, l’opéra arg<strong>en</strong>tin<br />
65 Dès les années 1820, le Mexique a <strong>en</strong> vain essayé d’adopter un régime monarchique. <strong>Le</strong> Brésil est le<br />
seul pays d’Amérique ayant opté pour un régime monarchique (1823-1889) après son indép<strong>en</strong>dance<br />
du Portugal.<br />
66 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992b : 633.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
apparaît avec La gatta bianca (1877) de Francisco Hargreaves, La Pampa de Berutti (1897) et<br />
Il Fidanzato del mare (1897) de Panizza. C’est surtout durant le XX e <strong>siècle</strong> que l’école<br />
arg<strong>en</strong>tine d’opéra se hissera <strong>en</strong> chef de file, avec des compositeurs de la taille d’un Ginastera.<br />
1.3.2.<br />
Nous avons évoqué cet <strong>au</strong>tre « circuit <strong>lyrique</strong> » <strong>au</strong>tour de Bu<strong>en</strong>os Aires et de New York. <strong>Le</strong><br />
parcours newyorkais intègre la Nouvelle-Orléans, une des rares villes à avoir bénéficié d’une<br />
tradition d’opéra importée de la France. En effet le Théâtre Saint-Pierre, le Théâtre d’Orléans<br />
ou le Fr<strong>en</strong>ch Opera House ouvr<strong>en</strong>t leurs scènes <strong>au</strong>x œuvres de Grétry, Méhul, Isouard,<br />
Dalayrac ou <strong>en</strong>core Boïeldieu 67 . Comme <strong>en</strong> Arg<strong>en</strong>tine, l’opéra itali<strong>en</strong> est introduit à New<br />
York <strong>en</strong> 1825 (par Manuel García) 68 . Ainsi New York bénéficie des troupes françaises allant<br />
<strong>en</strong> direction de la Nouvelle-Orléans, même si les œuvres de Cherubini, Auber, Boïeldieu, etc.<br />
sont vite abandonnées <strong>au</strong> détrim<strong>en</strong>t de la veine itali<strong>en</strong>ne.<br />
<strong>Le</strong>s troupes itinérantes françaises visitant l’Amérique, nous v<strong>en</strong>ons de le voir, sont peu<br />
nombreuses. La Havane, New York, occasionnellem<strong>en</strong>t Mexico reçoiv<strong>en</strong>t la visite de Français<br />
<strong>en</strong> transit vers la Nouvelle-Orléans. Exceptionnellem<strong>en</strong>t, on les retrouve dans d’<strong>au</strong>tres<br />
capitales portuaires. Ainsi la compagnie française de Jeanne F<strong>au</strong>compré <strong>au</strong>rait donné les<br />
premiers spectacles <strong>lyrique</strong>s <strong>en</strong> 1808 à Caracas : Pizarre ou la Conquête du Pérou de Pierre-<br />
Joseph Candeille 69 , des extraits de Don Giovanni et de La Flûte <strong>en</strong>chantée. Bu<strong>en</strong>os Aires<br />
connaît une saison française (1852-1854) avec des œuvres d’Adam, Auber, Boïeldieu, Hérold,<br />
Isouard, Thomas, Bazin, Halévy, Meyerbeer 70 .<br />
Pourtant tous les regards sont portés vers <strong>Paris</strong>. <strong>Le</strong>s créations <strong>lyrique</strong>s parisi<strong>en</strong>nes – Grands<br />
opéras, opéras-comiques ou œuvres itali<strong>en</strong>nes – sont citées par la presse, même si ces<br />
ouvrages rest<strong>en</strong>t pour la plupart inconnus <strong>en</strong> Amérique. Paradoxalem<strong>en</strong>t, ce sont les<br />
spectacles de zarzuela espagnole des années 1850 qui introduis<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> le répertoire<br />
français. Aucune étude à notre connaissance n’a <strong>en</strong>core traité ce sujet. Mais <strong>en</strong> lisant certains<br />
titres de zarzuelas annoncées par la presse de Bogotá 71 – La hija de Madame Angot (<strong>Le</strong>coq),<br />
La Estrella del norte (d’après Meyerbeer), Soirée de Cachupin et <strong>au</strong>tres opéras-comiques<br />
67 J. Belsom, 1992 : 584.<br />
68 S. Sommer, 1992 : 586.<br />
69 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992c : 726. Pizarre, opéra à la croisée du style ramiste et de l’avancée gluckiste,<br />
avait été créé <strong>en</strong> 1785 à l’Académie Royale de Musique de <strong>Paris</strong>. Voir R. Torres López, CNSMDP,<br />
[2004].<br />
70 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992b : 633.<br />
71 Saison prés<strong>en</strong>tée par la troupe espagnole de Josefa Mateo <strong>en</strong> 1876 à Bogotá.<br />
39<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
40<br />
d’Off<strong>en</strong>bach donnés <strong>en</strong> espagnol – il est indéniable de constater que les troupes espagnoles<br />
servir<strong>en</strong>t alors de vecteur d’une esthétique française… sans oublier les racines françaises dans<br />
la zarzuela de Barbieri.<br />
1.4. L’Amérique<strong>au</strong>rythmedel’Europe<br />
Alors que l’opéra itali<strong>en</strong> s’est fortem<strong>en</strong>t implanté dans le Nouve<strong>au</strong> Monde, les compositeurs<br />
<strong>au</strong>tochtones, pour la plupart ayant grandi musicalem<strong>en</strong>t dans leur pays, vont comm<strong>en</strong>cer à<br />
écrire des opéras de style itali<strong>en</strong>.<br />
<strong>Le</strong>s premières œuvres, antérieures à la déferlante itali<strong>en</strong>ne, date des deux premières<br />
déc<strong>en</strong>nies du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. On peut citer à Cuba la formation de troupes locales qui <strong>en</strong>courage<br />
la création d’une zarzuela cubaine. L’opéra América y Apolo, texte de Manuel de Zequeira y<br />
Arango est composé à Cuba <strong>en</strong> 1809. Comme pour La Part<strong>en</strong>ope mexicaine, la partition de ce<br />
premier opéra cubain et le nom de son compositeur demeur<strong>en</strong>t <strong>au</strong>jourd’hui inconnus.<br />
Plusieurs ouvrages voi<strong>en</strong>t le jour <strong>au</strong> début du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, dont on ignore le nom des<br />
compositeurs :<br />
Date Titre de l’opéra Librettiste<br />
1807 América y Apolo Manuel de Zequeira y Arango<br />
1811 Los apuros de Covarrubias Castillo<br />
1814 Las cuatro columnas del trono español Luis Antonio Guerra<br />
1814 El mejor día de la Habana Luis Antonio Guerra<br />
1817 Un loco hace un ci<strong>en</strong>to Cristiani<br />
1817 El vinagrero Cristiani<br />
1817 Clarisa Cristiani<br />
1825 Fátima y Zélima o los dos prisioneros José Antonio Cocco<br />
Table<strong>au</strong> 1: Quelques ouvrages <strong>lyrique</strong>s écrits à Cuba <strong>au</strong> début du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Alors même que les premiers opéras <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus <strong>au</strong> Mexique datai<strong>en</strong>t des années 1708 et 1711<br />
– nous avons évoqué Rodrigo et La Part<strong>en</strong>ope de Sumaya – il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre un <strong>siècle</strong> pour<br />
qu’<strong>en</strong> 1805 Mexico découvre un <strong>au</strong>th<strong>en</strong>tique opéra itali<strong>en</strong> avec Il barbiere di Siviglia de<br />
Paisiello. À partir de ce mom<strong>en</strong>t les troupes itinérantes vont répandre le goût pour l’opéra.<br />
<strong>Le</strong>s mélomanes s’accoutum<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x œuvres de Rossini, Cimarosa, puis Bellini, Donizetti et<br />
<strong>en</strong>fin Verdi. Manuel García, le ténor et compositeur espagnol, arrive <strong>au</strong> Mexique <strong>en</strong> 1827<br />
avec ses deux filles, María Malibran (dix-neuf ans) et P<strong>au</strong>lina (six ans). <strong>Le</strong> public, qui<br />
l’accueille par d’énormes ovations, n’hésite pourtant pas à quitter la salle alors qu’il chante le<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Comte d’Almaviva du barbiere de Rossini – rôle qu’il avait créé <strong>en</strong> 1816 à Rome – <strong>en</strong><br />
itali<strong>en</strong> 72 , alors que l’usage était de chanter l’opéra dans la langue locale !<br />
L’effervesc<strong>en</strong>ce d’une ville qui reçoit année après année des compagnies <strong>lyrique</strong>s<br />
<strong>en</strong>courage les compositeurs mexicains à écrire des opéras, selon les modèles itali<strong>en</strong>s. Dès les<br />
premières années du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> naît un répertoire national avec deux comédies de Manuel<br />
Ar<strong>en</strong>zana <strong>en</strong> 1805 (El Extranjero et Los dos ribales [sic.] <strong>en</strong> amor) 73 . <strong>Le</strong> premier ouvrage<br />
composé dans le Mexique indép<strong>en</strong>dant est El solitario (1824) de Stefano Cristiani.<br />
En Arg<strong>en</strong>tine, le premier opéra écrit est l’œuvre de l’itali<strong>en</strong> Mazza sur un livret d’Antonio<br />
José da Silva Las variedades de Proteo (1760) 74 . À Montréal, Joseph Quesnel écrit le premier<br />
ouvrage <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> 1790 : Colas et Colinette, ou <strong>Le</strong> bailli dupé, destiné à être interprété après<br />
<strong>Le</strong> médecin malgré lui de Molière 75 .<br />
1.4.1.<br />
Dans les années 1840, alors que le succès de l’opéra itali<strong>en</strong> ne se dém<strong>en</strong>t plus <strong>en</strong> Amérique,<br />
l’histoire opératique passe à une nouvelle étape, qui va permettre d’installer définitivem<strong>en</strong>t le<br />
g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong> dans le nouve<strong>au</strong> paysage culturel américain.<br />
C’est l’époque où les anci<strong>en</strong>s Coliseos espagnols sont aménagés <strong>en</strong> théâtres d’opéras ; où<br />
l’on construit de véritables palais <strong>lyrique</strong>s, <strong>en</strong>treprises onéreuses qui font souv<strong>en</strong>t appel à des<br />
architectes itali<strong>en</strong>s et des matéri<strong>au</strong>x europé<strong>en</strong>s. N’est-il pas impressionnant de voir à quel<br />
point le phénomène <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>t à modifier le paysage urbain des grandes capitales ?<br />
L’architecture coloniale espagnole doit vite faire place <strong>au</strong>x chantiers républicains : Teatro<br />
Principal à Mexico (1926), Teatro Tacón à La Havane (1833), Teatro Caracas (1854), Teatro<br />
Solís à Montevideo (1856), Teatro Colón à Bu<strong>en</strong>os Aires (1857) ; plus tard, le Metropolitain<br />
Opera House de New York (1883). Certaines de ces nouvelles scènes devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une<br />
destination de préfér<strong>en</strong>tielle pour les grands solistes, telles celles de Montevideo, Bu<strong>en</strong>os<br />
Aires puis New York.<br />
Dans ce nouve<strong>au</strong> paysage – l’espace américain calque l’espace europé<strong>en</strong> – les compagnies<br />
itali<strong>en</strong>nes peuv<strong>en</strong>t s’installer longuem<strong>en</strong>t dans les Amériques. En 1848 deux Itali<strong>en</strong>s <strong>en</strong>gagés<br />
par le Teatro Tacón mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> musique des livrets d’<strong>au</strong>teurs cubains. Ainsi est créé <strong>en</strong> janvier<br />
72 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992f : 364. Garcia déf<strong>en</strong>dit ses convictions sur la nécessité de chanter les opéras<br />
dans leur langage d’origine dans un long article publié dans le journal mexicain El Sol.<br />
73 Ibid.<br />
74 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992b : 633.<br />
75 G. Jones, 1992 : 710.<br />
41<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
42<br />
1848 l’opéra <strong>en</strong> un acte de Giovanni Bottesini (1821-1889) Colón <strong>en</strong> Cuba (livret de Ramon<br />
de Palma, partition <strong>au</strong>jourd’hui disparue). En février de cette même année, Luigi Artiti (1822-<br />
1903) crée son opéra Gulnara o el Corsario sur un livret de Rafael María de M<strong>en</strong>dieve,<br />
partition <strong>au</strong>jourd’hui conservée 76 . La Havane put profiter de la prés<strong>en</strong>ce de ces deux<br />
musici<strong>en</strong>s qui, grâce à leur amitié avec de nombreux compositeurs itali<strong>en</strong>s, dont Verdi,<br />
peuv<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>ter des opéras quelques mois seulem<strong>en</strong>t après leur création. En invitant à<br />
Cuba des chanteurs itali<strong>en</strong>s, <strong>en</strong> développant un goût pour la culture du bel canto dans l’île, ces<br />
deux musici<strong>en</strong>s ont profondém<strong>en</strong>t marqué l’histoire de l’opéra cubain p<strong>en</strong>dant les déc<strong>en</strong>nies<br />
suivantes 77 .<br />
Au Pérou, Carlo Enrico Pasta aborde un sujet innovant dans son Atahualpa de 1875 : la<br />
problématique indigène (égalem<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>té <strong>en</strong> 1870 dans Il Guarany du Brésili<strong>en</strong> Carlos<br />
Gomes). <strong>Le</strong> compositeur et son librettiste Antonio Ghislanzoni, tout deux Itali<strong>en</strong>s, touch<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
visionnaires à un sujet qui devi<strong>en</strong>dra l’apanage du nationalisme musical <strong>au</strong> XX e <strong>siècle</strong> dans<br />
les différ<strong>en</strong>ts pays latino-américains. Nous sommes actuellem<strong>en</strong>t à la recherche du<br />
manuscrit 78 de cet opéra, écrit à Lima, créé <strong>au</strong> théâtre Paganini de Gêne le 23 novembre 1875,<br />
puis à Lima <strong>en</strong> 1877.<br />
Prés<strong>en</strong>ter les détails de cette r<strong>en</strong>aissance <strong>lyrique</strong> itali<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> Amérique dépasserait le cadre<br />
de cette étude. Il suffit de rappeler qu’une même histoire et un même répertoire se retrouv<strong>en</strong>t<br />
d’un pays à un <strong>au</strong>tre, avec pour variantes les noms des acteurs. Ces compositeurs itali<strong>en</strong>s,<br />
chanteurs, chefs d’orchestre ou musici<strong>en</strong>s d’orchestre, n’hésit<strong>en</strong>t pas à poser les bases pour<br />
une production locale <strong>lyrique</strong>.<br />
1.4.2.<br />
Si nous avons pu citer quelques opéras ou zarzuelas composés avant 1850, c’est surtout à<br />
partir de la deuxième partie du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> que la génération de compositeurs latino-<br />
américains, <strong>en</strong>richie par le contact avec des opéras, comm<strong>en</strong>ce à écrire des ouvrages <strong>lyrique</strong>s.<br />
Dans un premier élan, les musici<strong>en</strong>s américains utilis<strong>en</strong>t ou adapt<strong>en</strong>t des livrets europé<strong>en</strong>s<br />
76 D. Fernandez, 2007.<br />
77 <strong>Le</strong> contrebassiste Bottesini et le violoniste Arditi eur<strong>en</strong>t par la suite une carrière de chefs<br />
d’orchestres qui les conduisit dans les principales villes d’Amérique du Nord puis dans les grandes<br />
capitales europé<strong>en</strong>nes. Bottesini dirigea la première représ<strong>en</strong>tation d’Aida <strong>au</strong> Caire <strong>en</strong> 1871. Nous<br />
t<strong>en</strong>ons à signaler l’exist<strong>en</strong>ce des mémoires écrites par Arditi (My Reminisc<strong>en</strong>ces, London : Skeffington<br />
& Son, 1896), docum<strong>en</strong>t important pour une future recherche sur la prés<strong>en</strong>ce de l’opéra itali<strong>en</strong> <strong>en</strong><br />
Amérique.<br />
78 Nous avons trouvé un exemplaire de la réduction piano-chant de cet ouvrage dans la bibliothèque de<br />
l’<strong>Université</strong> de Berkeley (Californie). Nous ignorons si le manuscrit du conducteur existe <strong>en</strong>core.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
connus. Catalina di Guisa du Mexicain Paniagua repr<strong>en</strong>d le livret de Romani ; à Bogotá Ester<br />
est écrite à partir de la pièce éponyme de Racine ; le cubain Villate met <strong>en</strong> musique Zilia de<br />
Solera.<br />
Dans cette seconde moitié de <strong>siècle</strong>, pratiquem<strong>en</strong>t tous les pays voi<strong>en</strong>t fleurir des œuvres<br />
nationales. L<strong>au</strong>reano Fu<strong>en</strong>tes Matons (1825-1898) connaît un grand succès avec la création de<br />
son opéra biblique La hija de Jefté à Santiago de Cuba (1874) 79 , contemporain d’un <strong>au</strong>tre<br />
opéra biblique : Ester de Ponce de <strong>Le</strong>ón. À Caracas est créé <strong>en</strong> 1873 l’opéra Virginia de José<br />
Angel Montero 80 . Mais c’est sans doute <strong>au</strong> Mexique que la liste d’opéras composés par des<br />
compositeurs loc<strong>au</strong>x est la plus impressionnante.<br />
L’art mexicain, puisant dans une tradition précolombi<strong>en</strong>ne qui a toujours été source de<br />
fierté, est l’une des expressions les plus pér<strong>en</strong>nes du contin<strong>en</strong>t américain. Sa tradition <strong>lyrique</strong>,<br />
même si elle n’a <strong>au</strong>cun rapport avec le passé, ne dém<strong>en</strong>t pas cette dynamique, dont nous<br />
donnons à prés<strong>en</strong>t un aperçu dans une liste qui ne se veut pas exh<strong>au</strong>stive 81 :<br />
Date Nom de l’opéra Compositeur<br />
1835 Adelaida y Comingio Vega<br />
1859 Catalina de Guisa C<strong>en</strong>obio Paniagua (1821-1892)<br />
1863 Romeo y Julieta Melesio Morales (1828-1908)<br />
Pietro d’Abano C. Paniagua<br />
Clotilde di Cos<strong>en</strong>za Octaviano Valle<br />
Los dos Foscaris Mateo Torres Serratos<br />
1864 Agorante, rey de la Nubia Miguel M<strong>en</strong>eses (1839-1900)<br />
Pirro de Aragón <strong>Le</strong>onardo Canales<br />
1866 Ildegonda (<strong>en</strong>registré sur CD) M. Morales<br />
1871 Don Quijote <strong>en</strong> la v<strong>en</strong>ta <strong>en</strong>cantada Miguel Planas<br />
Guatimotzín Aniceto Ortega (1825-1875)<br />
1877 Gino Corsini M. Morales<br />
1891 Cleopatra M. Morales<br />
1892 Colón <strong>en</strong> Santo Domingo Julio Morales (1860-1922)<br />
1893 Keofar Felipe Villanueva<br />
1900 Atzimba Ricardo Castro (1864-1907)<br />
1902 Zulema (redécouvert <strong>en</strong> concert <strong>en</strong> 1999) Ernesto Elorduy (1855-1913)<br />
1906 La ley<strong>en</strong>da de Rudel R. Castro<br />
1910 Nicolas Bravo Rafael J. Tello (1872-1946)<br />
Table<strong>au</strong> 2 : Opéras mexicains (1835-1910)<br />
79 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992d : 315.<br />
80 R. Stev<strong>en</strong>son, 1992c : 726.<br />
81 Liste établie d’après l’article de J. O. Sosa : La Ópera Mexicana. 1708-2000, disponible sur<br />
Internet http://www.weblaopera.com/articulos/arti24.htm, et de R. Stev<strong>en</strong>son, 1992f et 1992g.<br />
Sosa, spécialiste de l’opéra mexicain, est l’<strong>au</strong>teur du Diccionario de la Ópera Mexicana (2005) que<br />
nous n’avons pas pu trouver dans les différ<strong>en</strong>tes bibliothèques consultées <strong>en</strong> Europe et <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
Cet ouvrage se révèle être une source fondam<strong>en</strong>tale lors d’une étude sur le fait opératique <strong>en</strong><br />
Amérique Latine.<br />
43<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
44<br />
Certains de ces ouvrages, comme Guatimotzín, fur<strong>en</strong>t interprétés par des chanteurs de<br />
l’<strong>en</strong>vergure d’un Enrico Tamberlick 82 , alors <strong>au</strong> Mexique. En plus des œuvres précédemm<strong>en</strong>t<br />
citées, J. O. Sosa précise qu’il reste près de quatre-vingt-dix opéras qui n’ont pas <strong>en</strong>core été<br />
créés. Cette liste est sans comparaison <strong>en</strong> Amérique ! La création <strong>lyrique</strong>, ainsi que le goût<br />
pour l’opéra, était toujours <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us par l’activité des troupes itinérantes, qui dans le cas du<br />
Mexique, s’installai<strong>en</strong>t pour de nombreuses années.<br />
Certains pays <strong>en</strong>courag<strong>en</strong>t la production d’opéras nation<strong>au</strong>x assez tôt. Ainsi <strong>en</strong> 1857,<br />
l’Empereur du Brésil crée l’Imperial Academia de Música e Opera National dont la finalité<br />
est la production d’<strong>au</strong> moins un opéra brésili<strong>en</strong> par an. <strong>Le</strong> cas le plus connu est celui de<br />
Carlos Gomes, qui grâce à une bourse octroyée par l’Empereur après la créations de son opéra<br />
Joana de Flandres (1863), s’établit <strong>en</strong> Europe où il fait carrière dans les théâtres itali<strong>en</strong>s de<br />
Milan et de Gênes 83 .<br />
Cet exemple nous permet d’aborder <strong>en</strong>fin, pour mettre un terme à cette av<strong>en</strong>ture <strong>lyrique</strong> de<br />
tout un contin<strong>en</strong>t <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, les cas rares de quelques compositeurs ayant vécu <strong>en</strong><br />
Europe.<br />
1.4.3.<br />
Gaspar Villate (1851-1891) compte parmi ces compositeurs qui eur<strong>en</strong>t la chance de<br />
s’installer <strong>en</strong> Europe et d’y voir représ<strong>en</strong>ter leurs œuvres sur des scènes importantes. Après<br />
<strong>Le</strong>s premières Armes de Richelieu créé à La Havane <strong>en</strong> 1871, Villate s’installe à <strong>Paris</strong> où il<br />
donne <strong>au</strong> Théâtre des Itali<strong>en</strong>s son opéra Zilia (1877, livret de Solera). En 1880 il crée La<br />
Czarine <strong>au</strong> Théâtre Royal de La Haye sur un texte d’Armand Sylvestre. À Madrid, il met <strong>en</strong><br />
musique le livret de la poétesse cubaine Gertrudis Gómez de Avellaneda : Baltazar (1885).<br />
Ses partitions, éditées à <strong>Paris</strong>, sont <strong>au</strong>jourd’hui conservées dans le départem<strong>en</strong>t de Musique de<br />
la BnF. Espérons d’avoir l’occasion de les voir sortir un jour de l’oubli !<br />
<strong>Le</strong> compositeur mexicain le plus connu de nos jours est Melesio Morales, <strong>au</strong>teur de quatre<br />
opéras représ<strong>en</strong>tés sur les scènes de Mexico… et de Flor<strong>en</strong>ce ! Morales a consigné ses<br />
souv<strong>en</strong>irs dans Mi libro verde de apuntes e impresiones (Mon livre vert de notes et<br />
d’impressions), qui n’a été publié qu’<strong>en</strong> 1999. Il dépeint la situation de l’opéra des années<br />
1860-1880 <strong>au</strong> Mexique, qui comme les <strong>au</strong>tres pays dép<strong>en</strong>dait de la prés<strong>en</strong>ce – et de l’humeur<br />
– d’artistes itali<strong>en</strong>s. La mise <strong>en</strong> scène de ses premiers opéras ne fut possible que grâce à l’aide<br />
82 Enrico Tamberlick créa le rôle de Cu<strong>au</strong>htémoc (R. Stev<strong>en</strong>son, 1992e : 364).<br />
83 G. Béhagues, 1992 : 483.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
de l’empereur Maximili<strong>en</strong> ; son séjour <strong>en</strong> Europe (Flor<strong>en</strong>ce et <strong>Paris</strong>) et la création<br />
d’Ildegonda 84 à Flor<strong>en</strong>ce fur<strong>en</strong>t financés par des mécènes mexicains. Et à la presse de faire<br />
l’écho de cette première :<br />
Étranger. – Flor<strong>en</strong>ce. Ildegonda, opéra nouve<strong>au</strong> d’un jeune compositeur mexicain,<br />
M. Moralès, vi<strong>en</strong>t d’être représ<strong>en</strong>té <strong>au</strong> théâtre Pagliano. C’est, d’après nos correspondants et la<br />
presse spéciale, un ouvrage d’une toute <strong>au</strong>tre portée que la plupart que ceux qui surgiss<strong>en</strong>t à<br />
chaque instant <strong>en</strong> Italie 85 .<br />
L’œuvre de Morales est redécouverte depuis peu. Outre l’édition réc<strong>en</strong>te de son Libro<br />
verde, l’opéra Ildegonda a été <strong>en</strong>registré <strong>en</strong> 1995 86 . En mai 2007, une deuxième reprise de<br />
l’opéra marquait l’ouverture du Festival cultural de Mayo dans la province de Jalisco<br />
(Mexique) 87 . De telles <strong>en</strong>treprises sont <strong>en</strong>courageantes et témoign<strong>en</strong>t d’une volonté commune<br />
pour la redécouverte du répertoire <strong>lyrique</strong> du contin<strong>en</strong>t. Espérons que d’<strong>au</strong>tres pays sortiront à<br />
leur tour des partitions de l’oubli.<br />
<strong>Le</strong>s cas de Melesio Morales et de Carlos Gomes illustr<strong>en</strong>t positivem<strong>en</strong>t la t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre<br />
pouvoir et opéra. <strong>Le</strong> Mexique et le Brésil sont les deux seuls exemples où les gouvernem<strong>en</strong>ts<br />
– <strong>en</strong> l’occurr<strong>en</strong>ce deux empereurs – ai<strong>en</strong>t appuyé un projet d’opéras loc<strong>au</strong>x. Ces souverains<br />
ont compris le besoin d’<strong>en</strong>courager les arts nation<strong>au</strong>x pour faire parler de leurs pays dans un<br />
contexte qui annonce une première globalisation : accélération de la navigation maritime,<br />
développem<strong>en</strong>t du télégraphe, expositions universelles, etc. Grâce à cet <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t les<br />
œuvres de Morales et de Gomes pur<strong>en</strong>t avoir une exist<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> Europe, ce qui à l’époque était<br />
la seule reconnaissance possible pour un compositeur latino-américain.<br />
Rafael Pombo, librettiste de Ponce de <strong>Le</strong>ón, était consci<strong>en</strong>t de cette réalité lorsqu’il écrivait<br />
avec amertume :<br />
Triste, angoissée, sans cesse attaqué par le mépris de ses compatriotes, telle fut la vie de<br />
l’artiste raté [Ponce de <strong>Le</strong>ón]. Tout pays cultivé se fut fait un honneur de l’<strong>en</strong>voyer à ses frais<br />
dans les c<strong>en</strong>tres civilisés, de l’<strong>en</strong>courager, de le sout<strong>en</strong>ir (comme l’Empereur du Brésil avec<br />
Carlos Gómes) et ainsi de pouvoir inscrire son nom <strong>au</strong> palmarès des immortels.<br />
Triste,afanadayperpetuam<strong>en</strong>tecombatida[...]poreldesconocimi<strong>en</strong>todesuscompatriotas,<br />
fuelavidadelmalogradoartista[...]alquecualquierpaísculto<strong>en</strong>arteshabríat<strong>en</strong>idoahonra<br />
trasladarasusexp<strong>en</strong>sasalosc<strong>en</strong>trosdelacivilización,yestimularlo,costearlo(comoel<br />
EmperadordelBrasilaCarlosGómez)hastainscribirsunombre<strong>en</strong>elmundo<strong>en</strong>terodelalista<br />
84 Solera écrivit le livret <strong>en</strong> deux actes et la musique d’Ildegonda, qui fut créée à Milan <strong>en</strong> 1840.<br />
Morales repr<strong>en</strong>d le même livret pour son opéra <strong>en</strong> 1866.<br />
85 Revue et gazette musicale de <strong>Paris</strong>, 11 avril 1869 : 127.<br />
86 Voir la discographie dans la bibliographie.<br />
87 Voir http://www.festivaldemayo.org/fcmj2007/ildegona.htm<br />
45<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
46<br />
delosinmortales 88 .<br />
Bogotá, de par sa situation géographique, va vivre p<strong>en</strong>dant près d’un demi-<strong>siècle</strong> <strong>en</strong> marge<br />
de cette euphorie latino-américaine pour l’art <strong>lyrique</strong>. À prés<strong>en</strong>t nous allons prés<strong>en</strong>ter la ville,<br />
ses institutions, sa vie musicale avant la grande rupture que marque l’arrivée de l’opéra<br />
itali<strong>en</strong>.<br />
88 R. Pombo, 1883 : 199.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
2. L'arrivéemirifiquedel'opéraàBogotá<strong>au</strong><strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong><br />
B<br />
Ville particulière qui vit retirée du monde, qui r<strong>en</strong>ferme dans son nid de nuages ses moy<strong>en</strong>s, sa<br />
civilisation, son génie et ses <strong>rêve</strong>s. Il semblerait qu’un esprit de la montagne l’offrît sur une<br />
main, telle une ville votive, <strong>au</strong> dieu des espaces.<br />
Pierre d’Espagnat, Souv<strong>en</strong>irs de la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade (1901) 1<br />
ogotá, ville construite à 2600 mètres sur la cordillère des Andes, souffre d’un double<br />
isolem<strong>en</strong>t géographique. P<strong>en</strong>dant toute l’époque de la Colonia et jusqu’à l’apparition<br />
de la navigation à vapeur sur le fleuve Magdal<strong>en</strong>a (vers 1830), il fallait compter jusqu’à<br />
soixante-dix jours 2 pour remonter le fleuve de son embouchure à Honda, port de<br />
débarquem<strong>en</strong>t vers Bogotá. <strong>Le</strong>s récits de voyages racont<strong>en</strong>t avec force détails cette av<strong>en</strong>ture :<br />
conditions extrêmes de chaleur, abs<strong>en</strong>ce de moy<strong>en</strong>s de transport commodes, danger des<br />
f<strong>au</strong>ves et caïmans… Arrivés à Honda, plusieurs jours à travers d’étroits s<strong>en</strong>tiers sur les<br />
montagnes att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t les voyageurs, avant d’accéder <strong>au</strong> plate<strong>au</strong> bogotain. La citation qui<br />
suit, extraite des carnets de voyages du diplomate arg<strong>en</strong>tin Miguel Cané, donne une idée sur<br />
la difficulté de transporter meubles, pianos, décors d’opéras vers Bogotá, <strong>en</strong>core <strong>en</strong> 1882 :<br />
Sur nos pas nous croisons des caravanes d’Indi<strong>en</strong>s porteurs, chargeant le sempiternel piano.<br />
Rare est à Bogotá la maison qui n’<strong>en</strong> possède pas, même les plus modestes. <strong>Le</strong>s familles font<br />
toutes sortes de sacrifices pour acheter l’instrum<strong>en</strong>t, qui coûte trois fois plus que partout<br />
ailleurs dans le monde. Imaginez-vous le prix du fret qui pèse sur un piano ! Transport depuis<br />
l’usine à Saint-Nazaire, de là à Barranquilla, vingt ou tr<strong>en</strong>te jours ; de là à Honda, quinze ou<br />
vingt jours si le fleuve Magdal<strong>en</strong>a le permet ; <strong>en</strong>suite huit ou dix hommes pour le porter sur<br />
leurs ép<strong>au</strong>les p<strong>en</strong>dant deux ou trois semaines ! <strong>Le</strong>s dos voûtés, suants, appuyés sur de grands<br />
bâtons qui serv<strong>en</strong>t à sout<strong>en</strong>ir le piano lorsqu’ils se repos<strong>en</strong>t, ces p<strong>au</strong>vres Indi<strong>en</strong>s grimp<strong>en</strong>t par<br />
des p<strong>en</strong>tes presque impossibles pour une mule. Dans ce cas, le poids retombe sur les quatre de<br />
derrière qu’il f<strong>au</strong>t relever toutes les cinq minutes. Par mom<strong>en</strong>ts les forces s’épuis<strong>en</strong>t, le piano<br />
tombe <strong>au</strong> milieu du chemin.<br />
Vamos<strong>en</strong>contrandoacadapasocaravanasdeindiosportadores,conduci<strong>en</strong>doeleterno<br />
piano.Raraeslacasa<strong>en</strong>Bogotá,qu<strong>en</strong>oloti<strong>en</strong>e,aúnlasmáshumildes.Lasfamiliashac<strong>en</strong><br />
sacrificiosdetodosgénerosparacomprarelinstrum<strong>en</strong>to,quelescuestatresvecesmásque<br />
<strong>en</strong> toda otraparte del mundo. ¡Figuraos el recargode flete quepesa sobre un piano;<br />
transportedelafábricaaSaintNazaire,deallíaBarranquilla,veinteotreintadías,deallía<br />
1 Nous n’avons pas pu trouver la version originale <strong>en</strong> français. Nous proposons une version <strong>en</strong> français<br />
d’une traduction (citée par G. R. Mejía Pavony, 2000 : 97). « Bogotá se pres<strong>en</strong>ta como una ciudad<br />
única que vive una vida especial y retirada del mundo, que lleva consigo <strong>en</strong> ese nido de nubes sus<br />
recursos, su civilización, su g<strong>en</strong>io y sus sueños. Se diría que un trasgo de la montaña la ofrece <strong>en</strong> una<br />
mano, como una ciudad votiva, al dios de los espacios. »<br />
2 Avec la navigation à vapeur (vers 1850) il fallait compter une dizaine de jours <strong>en</strong> remontant le<br />
Magdal<strong>en</strong>a (cinq <strong>en</strong> chemin inverse). En 1866, trois compagnies ont le monopole du transport sur le<br />
Magdal<strong>en</strong>a. Finalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1891 il était possible de faire le voyage à New York <strong>en</strong> une semaine. <strong>Le</strong><br />
voyage vers l’Europe durait jusqu’à quatre semaines. (Voir G. R. Mejía Pavony, 2000 : 114-118).
48<br />
Honda,quinceoveintedías,sielMagdal<strong>en</strong>alopermite;luego,ochoodiezhombrespara<br />
llevarloahombrosdurantedosotressemanas!Encorvados,sudorosos,apoyándose<strong>en</strong>los<br />
grandesbastonesquelessirv<strong>en</strong>parasost<strong>en</strong>erelpiano<strong>en</strong>susmom<strong>en</strong>tosdedescanso,esos<br />
pobresindiostrepandeclivesdeunainclinacióncasiimposibleparalamula.Enesoscasos,el<br />
pesocaesobreloscuatrodeatrás,queesnecesariorelevarcadacincominutos.Aveceslas<br />
fuerzasseagotan,elpianosevi<strong>en</strong>ealsueloyqueda<strong>en</strong>mediodelcamino 3 .<br />
Malgré cet isolem<strong>en</strong>t géographique « Bogotá, par le rôle important que lui donna la<br />
domination espagnole, et par la nature du régime politique [c<strong>en</strong>tralisé de la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade<br />
<strong>en</strong>tre 1830 et 1853], fut le c<strong>en</strong>tre de gravité de la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade. Bogotá fut la nation<br />
<strong>en</strong>tière 4 . »<br />
Afin de combattre cet isolem<strong>en</strong>t, apparut une culture littéraire assez importante. <strong>Le</strong>s<br />
Europé<strong>en</strong>s de passage à Bogotá étai<strong>en</strong>t toujours étonnés, après un voyage qui les confrontait à<br />
un milieu tropical hostile, de trouver une ville culte – on parlera de l’Athènes du Sud –<br />
perchée sur les montagnes :<br />
La <strong>Colombie</strong> s’est réfugiée dans les h<strong>au</strong>teurs, fuyant la pénible vie des côtes, comp<strong>en</strong>sant<br />
l’abs<strong>en</strong>ce totale de progrès matériels par une culture intellectuelle incomparable. Il est certes<br />
curieux d’arriver à dos de mule, à travers des s<strong>en</strong>tiers primitifs dans la montagne, <strong>en</strong> dormant<br />
dans des <strong>au</strong>berges moy<strong>en</strong>âgeuse, à une ville <strong>au</strong> goût littéraire raffiné, d’exquise civilité sociale,<br />
où l’on parle des dernières découvertes sci<strong>en</strong>tifiques comme <strong>au</strong> sein d’une académie<br />
europé<strong>en</strong>ne.<br />
Colombia se ha refugiado <strong>en</strong> las alturas, huy<strong>en</strong>do de la p<strong>en</strong>osa vida de las costas,<br />
indemnizándose,porunaculturaintelectualincomparable,delafaltacompletadeprogresos<br />
materiales.Es,porcierto,curiosollegarsobreunamula,pors<strong>en</strong>dasprimitivas<strong>en</strong>lamontaña,<br />
durmi<strong>en</strong>do <strong>en</strong> posadas de la Edad Media, a una ciudad de refinado gusto literario, de<br />
exquisitacivilidadsocialydondesehabladelosúltimosprogresosdelaci<strong>en</strong>ciacomo<strong>en</strong>el<br />
s<strong>en</strong>odeunaacademiaeuropea 5 .<br />
Alors que jusqu’à prés<strong>en</strong>t nous avons survolé plusieurs pays d’Amérique <strong>en</strong> indiquant, dans<br />
une progression chronologique, les différ<strong>en</strong>tes étapes d’une histoire de l’opéra, nous allons à<br />
prés<strong>en</strong>t détailler le cas de la <strong>Colombie</strong>.<br />
Peut-on proposer une chronologie de l’avant et l’après opéra ? Esthétiquem<strong>en</strong>t, <strong>au</strong>cune date<br />
charnière ni événem<strong>en</strong>t ponctuel ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>forcer cette articulation. L’opéra arrive dans<br />
les années 1860, de façon parallèle et interposée par rapport <strong>au</strong> quotidi<strong>en</strong> musical colombi<strong>en</strong>.<br />
3 M. Cané, 1884/1968 : 142.<br />
4 C’est nous qui soulignons. « Bogotá, por el papel importante que le asignó la dominación española, y<br />
por la naturaleza del anterior régim<strong>en</strong> político, fue, hasta hace pocos días, el c<strong>en</strong>tro de la gravedad de<br />
la Nueva Granada; Bogotá fue, política y socialm<strong>en</strong>te, la nación <strong>en</strong>tera... » La Opinión, 18 août 1863.<br />
Cité par G. R. Mejía Pavony, 2000 : 96.<br />
5 M. Cané, 1884/1968 : 189.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Il est cep<strong>en</strong>dant intéressant de constater que les années 1860 marqu<strong>en</strong>t une rupture<br />
politique, élaborant un cadre propice pour l’avènem<strong>en</strong>t de l’opéra 6 . La nouvelle république,<br />
qui jusqu’alors conservait les institutions du régime espagnol, fait place à une ère libérale<br />
<strong>au</strong>tour de nombreuses réformes administratives. L’un des événem<strong>en</strong>ts les plus marquants de<br />
cette période est la Comisión Corográfica (1858), <strong>en</strong>treprise sci<strong>en</strong>tifique qui cherche à définir<br />
l’id<strong>en</strong>tité nationale à travers l’étude de la géographie, l’histoire, l’économie et la société, qui<br />
marqua l’esprit du temps.<br />
2.1. <strong>Le</strong>contextemusical<br />
No hace diez años nuestro gusto musical dormía. Uno que otro meteoro luminoso alumbraba<br />
las sombras dejando una huella armoniosa i luego se iba, dejando recuerdos como los<br />
primeros de la infancia, como los de un sueño que pasó 7 .<br />
“Ópera”, El Iris¸ n° 20, 8 décembre 1866.<br />
La première moitié du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> répond à la volonté de consolider des institutions<br />
d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t et de pratique musicale <strong>en</strong> Amérique Latine, avec notamm<strong>en</strong>t l’apparition des<br />
premières écoles de musique. Certaines villes voi<strong>en</strong>t leur parution assez tôt 8 . D’<strong>au</strong>tres, comme<br />
Bogotá, confin<strong>en</strong>t l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t musical dans le domaine du privé. La formation des<br />
premiers musici<strong>en</strong>s est donc une formation incomplète, qui s’appuie sur l’imitation.<br />
2.1.1.<br />
<strong>Le</strong>s modèles, Herz, Thalberg, Hünt<strong>en</strong>, Bosisio, Lanner, Moscheles, Meyer puis Donizetti 9 ,<br />
donn<strong>en</strong>t le ton à un répertoire qui privilégie l’écriture mélodique. L’harmonie est simple et le<br />
cadre rythmique est celui de la danse (vals, polkas, contredanses, galopas, redovas, etc.). La<br />
simplicité de l’écriture et la brièveté de la forme exclu<strong>en</strong>t toute pratique contrapuntique,<br />
variationnelle, comme le travail motivique.<br />
Ce répertoire, qui a pour seule ambition la be<strong>au</strong>té de l’instant, est une musique<br />
fonctionnelle dont le but est de procurer une distraction mondaine. Joué <strong>au</strong> piano, chanté ou<br />
dansé, il accompagne les tertulias, équival<strong>en</strong>ts des salons littéraires à Bogotá 10 . Répertoire<br />
6 Nous ne faisons ici qu’esquisser les principales lignes de l’évolution de la <strong>Colombie</strong>. C’est dans le<br />
chapitre 3 que nous décrirons <strong>en</strong> détail l’histoire du pays, <strong>en</strong> parallèle avec la vie de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
7 « Il y a dix ans à peine notre goût musical sommeillait. Un météore lumineux v<strong>en</strong>ait par mom<strong>en</strong>ts<br />
éclairer les ombres, laissant derrière soi un sillage harmonieux, des souv<strong>en</strong>irs semblables à ceux de<br />
l’<strong>en</strong>fance, à un songe qui passe. »<br />
8 1819 à Caracas, 1823 à Mexico, 1841 à Rio, 1846 <strong>au</strong> Salvador (E. Duque, 1998 : 13).<br />
9 E. Duque, 1998 : 23.<br />
10 Ibid. : 30.<br />
49<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
50<br />
resté manuscrit, dont certaines feuilles ont pu être s<strong>au</strong>vées grâce à des cahiers de jeunes filles<br />
ou dans des collections musicales privées.<br />
Dans le domaine de l’interprétation musicale, nous pouvons émettre l’hypothèse que la<br />
musique dép<strong>en</strong>dait toujours d’une <strong>au</strong>tre expression artistique, fortem<strong>en</strong>t associée à une<br />
fonction de divertissem<strong>en</strong>t. Nous avons ainsi vu comm<strong>en</strong>t tout spectacle théâtral devait être<br />
agrém<strong>en</strong>té de musique. Par ailleurs on compr<strong>en</strong>d que le public avait l’habitude de danser dans<br />
les concerts – musique indissociable donc d’une fonction de divertissem<strong>en</strong>t – puisque la<br />
Sociedad Filarmónica interdit formellem<strong>en</strong>t de danser p<strong>en</strong>dant les concerts, contrairem<strong>en</strong>t à<br />
ce qui se faisait <strong>au</strong> Coliseo 11 .<br />
Ces premières années républicaines donn<strong>en</strong>t donc naissance à un répertoire important de<br />
H<strong>au</strong>smusik. En revanche les rares représ<strong>en</strong>tations données <strong>au</strong> théâtre de Bogotá sembl<strong>en</strong>t être<br />
de qualité douteuse, à <strong>en</strong> croire le ministre plénipot<strong>en</strong>tiaire français :<br />
<strong>Le</strong>s acteurs qui jouai<strong>en</strong>t de temps <strong>en</strong> temps n’étai<strong>en</strong>t pas des g<strong>en</strong>s de la profession, mais des<br />
artisans ou de simples amateurs, on conçoit ce que le spectateur devait att<strong>en</strong>dre de leur<br />
médiocrité. P<strong>en</strong>dant toute la durée de mon séjour à Bogotá [1828-1839], jamais <strong>au</strong>cune troupe<br />
de véritables comédi<strong>en</strong>s n’est v<strong>en</strong>ue s’y établir pour donner des représ<strong>en</strong>tations ; deux ou trois<br />
fois seulem<strong>en</strong>t j’y ai vu s’arrêter, durant un ou deux mois, des troupes françaises de danseurs<br />
de cordes, d’escamoteurs et de jongleurs… 12<br />
La seconde moitié du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, sous le sce<strong>au</strong> d’une p<strong>en</strong>sée libérale et d’un commerce<br />
ouvert à l’extérieur grâce à l’essor de la navigation à vapeur, s’accompagne de grands projets<br />
et de réalisations culturels qui répond<strong>en</strong>t à l’idéal du progrès <strong>en</strong> s’éloignant de la « barbarie<br />
coloniale ». La musique profite de l’apparition de la lithographie <strong>en</strong> 1848. Des dessins et des<br />
partitions sont prés<strong>en</strong>tés comme des pièces de collection, du fait de l’excell<strong>en</strong>te qualité du<br />
papier et du tirage 13 . La musicologue E. Duque, dans sa réc<strong>en</strong>te publication <strong>en</strong> fac-similé des<br />
lithographies publiées par le journal El Neo-Granadino, propose une approche esthétique de<br />
la musique écrite <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong>tre 1810 et 1850 :<br />
<strong>Le</strong> premier répertoire imprimé <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> constitue une <strong>au</strong>th<strong>en</strong>tique carte postale des mœurs<br />
de l’époque : œuvres courtes, évocatrices et descriptives, basées sur des airs de danse, de<br />
construction simple, destinée <strong>au</strong> plaisir du public, pleines de grâce et de charme 14 .<br />
11 Ibid.<br />
12 A. <strong>Le</strong> Moyne, 1880 : 195-196.<br />
13 E. Duque, 1998 : 11.<br />
14 « […] el primer repertorio impreso <strong>en</strong> Colombia constituye una <strong>au</strong>téntica tarjeta postal costumbrista<br />
de época: obras cortas, evocadoras, y descriptivas, basadas <strong>en</strong> aires de danza, de manufactura s<strong>en</strong>cilla,<br />
destinadas al agrado del público y dotadas de gracia y <strong>en</strong>canto. » (E. Duque, 1998 : 15).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
La prés<strong>en</strong>ce de musici<strong>en</strong>s europé<strong>en</strong>s et nord-américains <strong>en</strong> Amérique du Sud contribua de<br />
façon fondam<strong>en</strong>tale à l’adoption d’une pratique du récital de concert, ainsi qu’à un<br />
élargissem<strong>en</strong>t du répertoire vers un répertoire virtuose. <strong>Le</strong> rôle de Siegfried Neukomm <strong>au</strong><br />
Brésil (1816-1821), de Louis More<strong>au</strong> Gottschalk <strong>au</strong>x Antilles, <strong>au</strong> Chili ou <strong>en</strong> Uruguay fut<br />
décisif quant à la définition d’une culture musicale dans l’imaginaire de la naissante<br />
bourgeoisie latino-américaine 15 .<br />
En 1851, les virtuoses allemands et hollandais Auguste Louis Moeser (violon), Ernst<br />
Lubeck (piano) et Frans Co<strong>en</strong><strong>en</strong> (violons) 16 fir<strong>en</strong>t grande impression à Bogotá 17 . Témoignage<br />
des goûts du temps, voici le début du programme de leur dernier concert à Bogotá donné le<br />
7 novembre 1852 18 :<br />
1. La mélancolie, élégie pour violon de Prume<br />
2. Grande fantaisie sur des thèmes de La muette de Portici d’Auber de Thalberg<br />
3. Cavatine : In che a Dio spiegasti l’ali de Lucia di Lammermoor<br />
4. Duo concertant et brillant sur des thèmes de La sonnambula de Bellini pour<br />
piano et violon de Charles de Bériot.<br />
Exemple 1 : Programme du concert du 7 novembre 1852<br />
(virtuoses europé<strong>en</strong>s à Bogotá)<br />
Ce programme de concert de 1852 laisse <strong>en</strong>trevoir un <strong>au</strong>tre monde, celui de l’opéra, pour le<br />
mom<strong>en</strong>t peu connu à Bogotá. Il est intéressant de voir comm<strong>en</strong>t les premiers échos de l’opéra<br />
romantique arriv<strong>en</strong>t interposés par le biais de transcriptions d’œuvres comme El carnaval de<br />
V<strong>en</strong>ecia, Fra Diavolo ou Il barbiere di Siviglia 19 . Cep<strong>en</strong>dant, un tel événem<strong>en</strong>t apparaît<br />
détaché de l´histoire de la musique du pays 20 . En effet, cette école du virtuose ne trouvait pas<br />
de sol fertile à Bogotá, <strong>en</strong> dehors du nom de Párraga (ca.1826-1895), compositeur<br />
vénézuéli<strong>en</strong> actif à Bogotá, <strong>au</strong>teur de la fantaisie brillante Bambuco, Aires nacionales neo-<br />
granadinos, dont la musique fut éditée à <strong>Le</strong>ipzig par Breitkopf & Härtel 21 .<br />
15<br />
E. Duque, 1998 : 13.<br />
16<br />
<strong>Le</strong> violoniste et compositeur Frans Co<strong>en</strong><strong>en</strong> (Rotterdam, 1826-<strong>Le</strong>id<strong>en</strong> 1904) r<strong>en</strong>contre H<strong>en</strong>ri Herz <strong>en</strong><br />
1848 à New York avec qui il continue sa tournée américaine, puis donne des concerts <strong>au</strong> Mexique, <strong>au</strong><br />
V<strong>en</strong>ezuela et à Cuba. Après un bref retour <strong>en</strong> Europe Co<strong>en</strong><strong>en</strong> repart <strong>en</strong> Amérique du Sud pour une<br />
longue tournée avec son compatriote le pianiste hollandais Ernst Lübeck. (J.T. Bokum, 2001 : 84).<br />
Moeser était le neveu d’Alexander von Humboldt qui <strong>en</strong> 1800 traverse la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade <strong>en</strong><br />
direction de Quito. À travers ses écrits, il donne la première vision de l’Amérique, regard romantique<br />
et euroc<strong>en</strong>trique sur une nature <strong>en</strong>core vierge.<br />
17<br />
C. Iriarte, 1999 : 824.<br />
18<br />
D’après une reproduction de l’affiche publiée dans J.I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 133.<br />
19<br />
C. Iriarte, 2001 : 118.<br />
20<br />
« La actividad musical […] a cargo de los extranjeros […] puede desvincularse de la historia<br />
musical del país. » (C. Iriarte, 1999 : 824-825).<br />
21<br />
B. Yépez, 2001 : 480.<br />
51<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
52<br />
2.1.2.<br />
Nuestros músicos por lo g<strong>en</strong>eral son rutinarios; se dedican solam<strong>en</strong>te a ejecutar obras aj<strong>en</strong>as<br />
[…] Esto es c<strong>au</strong>sa que no t<strong>en</strong>gamos un repertorio de música verdaderam<strong>en</strong>te nacional… 22<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
El Zipa (II.48), 10 juillet 1879<br />
Au milieu du <strong>siècle</strong>, de nombreuses sociétés de concerts voi<strong>en</strong>t le jour. L’Anglais H<strong>en</strong>ry<br />
Price, musici<strong>en</strong>, dessinateur et botaniste, fonde <strong>en</strong> 1846 le premier orchestre perman<strong>en</strong>t de<br />
<strong>Colombie</strong>, la Sociedad Filarmónica de Conciertos (qui donne cinquante-quatre concerts <strong>en</strong>tre<br />
1846 et 1857) 23 . Suiv<strong>en</strong>t la Sociedad Lírica (1848-54) consacrée à la musique religieuse,<br />
dirigée par Guarín 24 ; l’Unión Musical (1858) et la Sociedad Filarmónica Santa Cecilia<br />
(1868) dont le but est « d’empêcher l’inqualifiable habitude de jouer des extraits d’opéras […]<br />
à l’église 25 . »<br />
Avec la création des orchestres, le répertoire est bi<strong>en</strong> naturellem<strong>en</strong>t élargi, comme <strong>en</strong><br />
témoigne ce programme d’un concert donné le 24 avril 1849 à Bogotá, publié dans le journal<br />
El Día :<br />
SociedadFilarmónica.<br />
Programmeduconcertn°24<br />
Premièrepartie.<br />
1. OuvertureTriomphale(Price)<br />
2. «LaDicha»chansonparJ.A.B<strong>en</strong>net<br />
3. Symphonieàhuitmains(Beethov<strong>en</strong>)Señores<br />
Price,Guarín,LindigetQuijano<br />
4. “ElPescador”,chanson(Guarín)SeñoritaM.<br />
TeresaTrimiño<br />
5. Valses:“AmorFlügel”(Lanner)<br />
DeuxièmePartie.<br />
1. Ouverture:“LaVioleta”(Carafa)<br />
2. QuadrillesàhuitmainsdeHers(sic.)arrangées<br />
par (Lindig) Señoritas Flor<strong>en</strong>tina Zapata et<br />
TrinidadPlata,etseñoresLindigetGuarín<br />
3. “La promesa” chanson (Rossini) Señorita M.<br />
TeresaTrimiño<br />
4. Duos pour pianos (Pixis) Señores Price et<br />
Guarín<br />
5. Valses:“SanPetersburgo”(Lanner)<br />
Exemple 2 : Programme du concert du 24 avril 1849<br />
(Sociedad Filarmónica de Bogotá)<br />
<br />
SociedadFilarmónica.<br />
Programadel24°concierto<br />
PartePrimera.<br />
1. OverturaTriunfal.(Price)<br />
2. «LaDicha»canciónSeñorJ.A.B<strong>en</strong>net<br />
3. Sinfonía a ocho manos (Beethov<strong>en</strong>) Señores<br />
Price,Guarín,LindigyQuijano<br />
4. “El Pescador”, canción (Guarín) Señorita M.<br />
TeresaTrimiño<br />
5. Valses:“AmorFlügel”(Lanner)<br />
ParteSegunda.<br />
1. Overtura:“LaVioleta”(Carafa)<br />
2. Cuadrillasaochomanos,porHers,arregladas<br />
por (Lindig) Señoritas Flor<strong>en</strong>tina Zapata y<br />
TrinidadPlata,yseñoresLindigyGuarín<br />
3. “La promesa” canción (Rossini) Señorita M.<br />
TeresaTrimiño<br />
4. Duodepianos(Pixis)SeñoresPriceyGuarín<br />
5. Valses:“SanPetersburgo”(Lanner)<br />
22 « Nos musici<strong>en</strong>s sont généralem<strong>en</strong>t routiniers. Ils se consacr<strong>en</strong>t à jouer des œuvres d’<strong>au</strong>trui. Ceci est<br />
la c<strong>au</strong>se que nous n’ayons pas de répertoire de musique véritablem<strong>en</strong>t national… »<br />
23 J.I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 69.<br />
24 E. Duque, 1998 : 12.<br />
25 J.I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 71.
Nous remarquerons que ce programme paraît comme une excroissance du répertoire de<br />
salon, articulé <strong>au</strong>tour de chansons ou de danses. À noter <strong>au</strong>ssi la prés<strong>en</strong>ce d’œuvres originales<br />
(Price, Guarín, les arrangem<strong>en</strong>ts de Lindig), ainsi qu’une transcription d’une symphonie de<br />
Beethov<strong>en</strong> pour claviers 26 . Généralem<strong>en</strong>t des ouvertures et des extraits d’œuvres de Rossini et<br />
Bellini v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t compléter la soirée, même si ce n’est pas ici le cas. Un dernier paramètre<br />
important nous dévoil<strong>en</strong>t ces affiches : les noms des interprètes. Price, Lindig 27 , Guarín et<br />
Quijano, interprètes, pédagogues et compositeurs – musici<strong>en</strong>s professionnels – sont<br />
accompagnés par des amateurs ou par des jeunes filles de la bourgeoisie.<br />
L’École de Musique de la Philharmonie (Escuela de música de la Filarmónica) ouvre ses<br />
portes <strong>en</strong> 1847 sous la direction de H<strong>en</strong>ry Price 28 . Cette institution devi<strong>en</strong>dra l’Academia<br />
nacional de música <strong>en</strong> 1879 dirigée par Jorge Price. En 1910, Guillermo Uribe Holguín <strong>en</strong><br />
fait le Conservatorio de música <strong>en</strong> repr<strong>en</strong>ant le modèle parisi<strong>en</strong> de la Schola Cantorum.<br />
On joue désormais de la musique de concert à Bogotá, ce qui va susciter l’apparition<br />
d’écrits sur la musique : Arte de leer, escribir y dictar música (Diego Fallón, 1867) ;<br />
Diccionario de música precedido de una teoría g<strong>en</strong>eral del arte y especial del piano (Juan<br />
Crisóstomo Osorio, 1867) 29 . Cette même année, J.C. Osorio publie dans le journal El<br />
M<strong>en</strong>sajero de Bogotá des comptes-r<strong>en</strong>dus sur la saison d’opéra <strong>en</strong> cours. Sa tribune, écrite<br />
dans le but « d’instruire et illustrer le peuple 30 » devi<strong>en</strong>t un véritable traité sur l’opéra.<br />
Professeur de Ponce de <strong>Le</strong>ón, nous <strong>au</strong>rons l’occasion de rev<strong>en</strong>ir sur Osorio et ses écrits dans<br />
le chapitre suivant.<br />
Dans le domaine de la pédagogie musicale apparaiss<strong>en</strong>t les ouvrages d’Andrés Agudelo :<br />
<strong>Le</strong>cciones de música 31 (1858) puis Pulsación, digitación y expresión <strong>en</strong> el piano (1878) qui<br />
s’inspire de la méthode de 1872 d’Hort<strong>en</strong>se Par<strong>en</strong>t, élève de Félix <strong>Le</strong> Couppey (1811-1887)<br />
<strong>au</strong> Conservatoire de <strong>Paris</strong> 32 .<br />
26<br />
De quelle symphonie s’agit-il ? Ont-ils joué un seul mouvem<strong>en</strong>t ou toute la symphonie ? Notons que<br />
ce g<strong>en</strong>re d’imprécision est fort courant à l’époque.<br />
27<br />
Nous avons peu d’information sur Lindig (musici<strong>en</strong> allemand ?). On appr<strong>en</strong>d dans un article du<br />
8 mars 1859 du journal El Comercio de Bogotá qu’il était professeur de musique (cité par R. Jiménez<br />
Arango, 1965).<br />
28<br />
J. I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 63.<br />
29<br />
Ibid. : 80-83.<br />
30<br />
J.C. Osorio, « Revista musical. Ópera », El m<strong>en</strong>sajero (I.49), 27 décembre 1866 : 195.<br />
31<br />
<strong>Le</strong>cciones de música, Precedidas de una introducción histórica, regida cada una de su respectivo<br />
programa i acompañadas de láminas litografiadas (Voir le compte-r<strong>en</strong>du de R. Jiménez Arango,<br />
1965).<br />
32<br />
R. Torres López, [2003] : 57.<br />
53<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
54<br />
La création d’institutions musicales n’est pas un cas isolé. Sont égalem<strong>en</strong>t créées<br />
l’Académie de Dessin et de Peinture (Academia de Dibujo y Pintura, 1846) ; la Société<br />
protectrice de Théâtre (Sociedad protectora de Teatro, 1849). En 1849 débute la construction<br />
d’une grande salle de concerts, bals, expositions, ainsi que pour l’école de la Filarmónica 33 .<br />
<strong>Le</strong>s fondations sont posées, mais l’abs<strong>en</strong>ce de fonds <strong>en</strong>traîne la faillite du projet. En 1855<br />
Lor<strong>en</strong>zo María Lleras créé la première compagnie colombi<strong>en</strong>ne de théâtre, la Dramática<br />
nacional, dont nous <strong>au</strong>rons l’occasion de reparler.<br />
C’est vers ce milieu du <strong>siècle</strong> que des troupes <strong>lyrique</strong>s itali<strong>en</strong>nes vont <strong>en</strong>fin s’av<strong>en</strong>turer<br />
jusqu’à Bogotá. <strong>Le</strong>ur arrivée, leurs spectacles, leur vie quotidi<strong>en</strong>ne ont été consignés avec<br />
maints détails dans la presse, ce qui permet <strong>au</strong>jourd’hui de reconstituer une histoire <strong>au</strong>ssi<br />
précise que possible de ces messagers de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. Il paraît important de bi<strong>en</strong><br />
situer leur arrivée dans le contexte précédemm<strong>en</strong>t décrit : implanter l’opéra <strong>au</strong>paravant eut été<br />
un fiasco (d’ailleurs les troupes des années 1830 et 1840 ne réussir<strong>en</strong>t jamais à s’imposer dans<br />
le milieu). Mais à partir de 1850, l’opéra devi<strong>en</strong>t rupture. Rupture musicale, mais <strong>au</strong>ssi dans<br />
la société, dans le temps, dans les habitudes des Bogotains.<br />
2.1.3.<br />
Il existe à ce jour peu d’ouvrages spécialisés sur le phénomène <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. La<br />
historia de la ópera <strong>en</strong> Colombia de Perdomo Escobar apparaît <strong>en</strong> 1979. Plus récemm<strong>en</strong>t, la<br />
série de trav<strong>au</strong>x de Marina Lamus Obregón sur le théâtre <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> vi<strong>en</strong>t<br />
apporter un nouvel éclairage sur la scène bogotaine. <strong>Le</strong> thème de l’opéra y est largem<strong>en</strong>t<br />
abordé – nous avons déjà insisté sur l’impossibilité de séparer les scènes dramatiques et<br />
<strong>lyrique</strong>s. Lors de nos recherches à Bogotá nous avons consulté la presse de ces années-là<br />
concernant Ponce de <strong>Le</strong>ón. Ainsi avons-nous recueilli un corpus de littérature journalistique<br />
qui s’ét<strong>en</strong>d de 1866 à 1880. Nous avons pourtant relevé d’importantes contradictions <strong>en</strong>tre ce<br />
que nous appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ces sources, et l’analyse qui <strong>en</strong> est faite dans les ouvrages précédemm<strong>en</strong>t<br />
cités 35 . Une analyse détaillée de l’histoire de l’opéra itali<strong>en</strong> et des troupes <strong>lyrique</strong>s à Bogotá<br />
33<br />
<strong>Le</strong> chantier, qui durera trois ans, sera finalem<strong>en</strong>t fermé <strong>en</strong> raison du manque de souscripteurs.<br />
(E. Duque, 1998 : 13).<br />
34<br />
« [L’opéra] contribue à nous civiliser (et <strong>en</strong> matière de be<strong>au</strong>x-arts à nous tirer de la barbarie) ». El<br />
Día, 18 février 1848 (cité par E. Duque, 1998 : 13).<br />
35<br />
L’erreur la plus importante concerne la date de création de l’opéra Florinda de Ponce de <strong>Le</strong>ón, qui<br />
est effectivem<strong>en</strong>t annoncé pour juillet 1879, mais qui ne sera créé qu’<strong>en</strong> novembre 1880.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
[La ópera] contribuye a civilizarnos (y <strong>en</strong> materia de bellas artes a sacarnos de la<br />
barbarie) 34 .
este toujours d’actualité, même si ses grandes lignes d’activité à Bogotá et dans d’<strong>au</strong>tres<br />
villes colombi<strong>en</strong>nes sont bi<strong>en</strong> connues.<br />
Sans vouloir embrasser le phénomène de la troupe itinérante dans toute sa complexité – cela<br />
impliquerait tracer sur une carte un parcours géographique, mais <strong>au</strong>ssi musical – nous allons à<br />
prés<strong>en</strong>t aborder l’arrivée des troupes <strong>lyrique</strong>s itinérantes à Bogotá. <strong>Le</strong> contexte culturel, tel<br />
que nous l’avons exposé, se prêtait à l’accueil les Itali<strong>en</strong>s, et à la création d’une véritable<br />
demande d’opéras sur quelques déc<strong>en</strong>nies.<br />
Parmi les curiosités arrivées à Bogotá <strong>en</strong> 1833 avec le premier vapeur sur le Magdal<strong>en</strong>a, se<br />
trouvait la compagnie <strong>lyrique</strong> espagnole Villalba 36 . Même si les musicologues donn<strong>en</strong>t<br />
différ<strong>en</strong>tes versions sur l’activité de cette troupe composée de quelques acteurs, Francisco<br />
Villalba offre un avant-goût d’opéra à Bogotá <strong>en</strong> programmant des séances <strong>lyrique</strong>s. C’est lui<br />
qui <strong>en</strong> 1836 <strong>au</strong>ra donné le premier opéra à Bogotá, El barbero de Sevilla. Opéra ou extraits ?<br />
On ne s<strong>au</strong>ra imaginer la qualité d’une interprétation réunissant musici<strong>en</strong>s de fanfares,<br />
chanteurs populaires et les quelques choristes des églises qui ne craignai<strong>en</strong>t pas le blâme de<br />
l’Église 37 .<br />
Entre 1833 et 1837 Villalba serait v<strong>en</strong>u plusieurs fois à Bogotá 38 . Il est de retour à Bogotá<br />
<strong>en</strong> 1847-1848 avec « la première compagnie qui se soit av<strong>en</strong>turée à remonter ces sommets<br />
andins 39 ». Cette compagnie <strong>au</strong>rait été composée d’une tr<strong>en</strong>taine d’artistes (dont un contre-<br />
ténor) qui, malgré leur âge avancé et la médiocrité de leurs performances, suscitèr<strong>en</strong>t un vif<br />
intérêt à Bogotá. Au programme El Trovador, El Califa de Bagdad, El Barbero de Sevilla,<br />
Lucia de Lammermoor, La Italiana <strong>en</strong> Argel, C<strong>en</strong>er<strong>en</strong>tola, La Gazza Ladra … ou plutôt des<br />
extraits des ces opéras puisque jusque dans les années 1860,<br />
[…] les compagnies d’opéra chantai<strong>en</strong>t des morce<strong>au</strong>x de chaque partition, <strong>en</strong> les mutilant à<br />
<strong>en</strong>vie selon leur néglig<strong>en</strong>ce.<br />
…lascompañíasdeoperacantabantrozosdecadapartición,mutilándoloshastadondeles<br />
dabalaganailoexigíasuabandono 40 .<br />
<strong>Le</strong>s différ<strong>en</strong>ts <strong>au</strong>teurs se contredis<strong>en</strong>t quant <strong>au</strong>x dates et œuvres interprétées par Villalba à<br />
Bogotá, raison pour laquelle nous adoptons un conditionnel qui relève peu de l’écrit<br />
36<br />
Gonzales Cajiao, 1986.<br />
37<br />
M. Lamus Obregón, 2004 : 370-371.<br />
38<br />
Voir J.I. Perdomo Escobar, 1979 : 11-12.<br />
39<br />
Ibid. : 12.<br />
40<br />
« Espectáculos civilizadores » (A.C.), La Opinión (III.126), 5 juillet 1865: 211.<br />
55<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
56<br />
sci<strong>en</strong>tifique. Même si Villalba a réussi à monter des opéras à Bogotá – ce qui semble un<br />
véritable exploit <strong>en</strong>core <strong>en</strong> 1840 – il s’agit de représ<strong>en</strong>tations extraordinaires, qui<br />
n’<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t <strong>au</strong>cune tradition ni continuité d’un répertoire, contrairem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x troupes<br />
<strong>lyrique</strong>s de la déc<strong>en</strong>nie suivante. En 1839 d’importants extraits d’opéras sont interprétés par la<br />
compagnie espagnole de Torres et Martinez puis <strong>en</strong> 1845 par celle de Mateo Furnier 41 . Mais<br />
là <strong>en</strong>core, il s’agit de faits détachés.<br />
Au tournant du <strong>siècle</strong> une personnalité littéraire fait infléchir l’histoire des arts scéniques à<br />
Bogotá. Lor<strong>en</strong>zo María Lleras organise <strong>en</strong> 1855 la première troupe colombi<strong>en</strong>ne de théâtre, la<br />
Compañía dramática nacional. Nous <strong>au</strong>rons l’occasion de parler de Lleras dans le chapitre<br />
suivant. L’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> lui est redevable à bi<strong>en</strong> des égards : c’est lui qui a<br />
organisé la première tournée d’une compagnie itali<strong>en</strong>ne à Bogotá <strong>en</strong> 1858, la Compagnie<br />
Bazzani 42 ; c’est lui qui a <strong>en</strong>couragé et c<strong>au</strong>tionné la première prés<strong>en</strong>tation publique d’une<br />
œuvre de Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> 1865.<br />
Villalba et Lleras se disput<strong>en</strong>t donc la prim<strong>au</strong>té de l’opéra à Bogotá, à dix années<br />
d’intervalle. <strong>Le</strong>s spectacles proposés par Lleras et la Bazzani (juin 1858- juin 1859) sembl<strong>en</strong>t<br />
cep<strong>en</strong>dant répondre davantage <strong>au</strong> critère d’opéra (décors conv<strong>en</strong>ables, moins de coupures,<br />
chanteurs de bonne qualité, orchestre de vingt musici<strong>en</strong>s 43 ) et rest<strong>en</strong>t dans la mémoire des<br />
Bogotains comme la première compagnie <strong>lyrique</strong> à atteindre Bogotá.<br />
Parmi les chanteurs on retrouve le soprano Rossina Olivieri de Luisia, le ténor Enrico Rossi<br />
Guerra, le baryton Eug<strong>en</strong>io Luisia 44 … des noms qui jouerai<strong>en</strong>t un rôle important dans l’opéra<br />
colombi<strong>en</strong> jusque dans les années 1880. <strong>Le</strong>ur répertoire est égalem<strong>en</strong>t celui qui va<br />
monopoliser la scène p<strong>en</strong>dant plus de deux déc<strong>en</strong>nies : Romeo e Giulietta, Norma, Lucrezia<br />
Borgia, Marino Faliero, Ernani, Atila, Il barbiere di Siviglia, Macbeth, María de Rohan,<br />
Lucia, La figlia del regim<strong>en</strong>to 45 . Pour la première fois, les opéras chantés <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> vont être<br />
répétés semaine après semaine 46 . <strong>Le</strong> cachaco 47 pourra se piquer de siffler la cavatine d’un<br />
41 M. Lamus Obregón, 2004 : 371-372.<br />
42 Plusieurs erreurs figur<strong>en</strong>t dans différ<strong>en</strong>ts recueils. Perdomo Escobar (1979 : 13) donne comme<br />
année 1848 (erreur d’impression ?). C. Iriarte (2001 : 118-120) affirme que la Dramática nacional<br />
organisa une saison de douze opéras, alors qu’il s’agit de la saison organisée par la Bazzani.<br />
43 J.I. Perdomo Escobar, 1979 : 14.<br />
44 Luisia est à tour de rôle chanteur, impresario (Compagnie Luisia-Rossi, Compagnie d’Achiardi),<br />
professeur d’itali<strong>en</strong>, de français avant de traduire le livret original d’Ester <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> <strong>en</strong> 1874 (« Revista<br />
de Teatro. Ester » El Tradicionista (M.S.), (III.345), 7 juillet 1874 : 1505).<br />
45 J.I. Perdomo Escobar, 1979 : 14.<br />
46 M. Lamus Obregón, 2004 : 376.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
opéra joué <strong>au</strong> Coliseo. À l’image des feuilletons télévisés actuels – les tel<strong>en</strong>ovelas – la ville se<br />
passionnera pour le quotidi<strong>en</strong> de ces nouvelles idoles. L’opéra devi<strong>en</strong>t une telle curiosité, que<br />
des habitants des contrées lointaines accour<strong>en</strong>t pour voir de leurs propres yeux cet art <strong>au</strong>quel<br />
la froideur des Bogotains ne résiste pas 48 !<br />
2.2. L’âged’ordel’opéraàBogotá:18641882<br />
Se observa <strong>en</strong> casi todos [los santafereños] un deseo insaciable de saber…<br />
Hay hombres bastante instruidos, reina <strong>en</strong> todos un gusto delicado, expresión fina, y si hubiera<br />
cultivo, pudiera ser esto un París.<br />
<strong>Le</strong>ttre signée L.R., attribuée à un sci<strong>en</strong>tifique français de passage à Bogotá <strong>en</strong> 1823 49 .<br />
La Bazzani marque le début d’une nouvelle ère musicale à Bogotá ; elle ouvre la brèche,<br />
grâce à laquelle naîtrons les ouvrages de Ponce de <strong>Le</strong>ón. <strong>Le</strong> table<strong>au</strong> suivant donne le nom des<br />
onze troupes qui dans l’espace d’une vingtaine d’années se produis<strong>en</strong>t <strong>au</strong> Coliseo. On<br />
constate qu’il s’agit exclusivem<strong>en</strong>t de troupes itali<strong>en</strong>nes, à l’exception de la troupe espagnole<br />
de Josefa Mateo (1876).<br />
Année Compagnie <strong>lyrique</strong> Répertoire colombi<strong>en</strong><br />
1833-1845 Prémices aves les spectacles prés<strong>en</strong>tés par<br />
Villalba<br />
1858 Compagnie itali<strong>en</strong>ne Bazzani<br />
1863-1864 Compagnie itali<strong>en</strong>ne Luisia-Rossi<br />
1865 Compagnie italo-espagnole Sindici-Isaza (Ponce de <strong>Le</strong>ón est souffleur)<br />
1866-1867 Compagnie itali<strong>en</strong>ne Cavaletti Créations de trois zarzuelas<br />
colombi<strong>en</strong>nes de Ponce de <strong>Le</strong>ón, Osorio<br />
et Figueroa.<br />
1868-1869 Compagnie itali<strong>en</strong>ne Visoni<br />
1871-1872 Compagnie itali<strong>en</strong>ne Thiolier<br />
1874 Compagnie itali<strong>en</strong>ne Rossi-d’Achiardi Création d’Ester<br />
47 Équival<strong>en</strong>t du mondain parisi<strong>en</strong> à Bogotá, le cachaco est l’aristocrate bogotain qui ne travaille pas,<br />
fréqu<strong>en</strong>te les tertulias, les bals et les spectacles du Coliseo, et dont la galanterie est un atout<br />
indisp<strong>en</strong>sable du quotidi<strong>en</strong>.<br />
48 Anecdote de José María Vergara y Vergara rapportée par M. Lamus Obregón (2004 : 376).<br />
49 « On observe chez la plupart des Bogotains un désir insatiable de connaissance. Il y a des hommes<br />
assez instruits ; il y règne un goût délicat, une expression fine, et nul doute qu’avec plus d’éducation<br />
ceci pourrait être un <strong>Paris</strong>. » (Cité par B. Yépez, 2002 : 738).<br />
57<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
58<br />
1876 Compagnie espagnole de zarzuela Mateo Création de El Castillo misterioso.<br />
1879 Compagnie itali<strong>en</strong>ne Petrelli Composition de Florinda et nouvelle<br />
version d’Ester.<br />
1880 Compagnie itali<strong>en</strong>ne Desantis Projet (inabouti) de reprise d’Ester et de<br />
création de Florinda<br />
1880 Compagnie itali<strong>en</strong>ne B<strong>en</strong>ic Création de Florinda.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Table<strong>au</strong> 3 : Compagnies <strong>lyrique</strong>s europé<strong>en</strong>nes à Bogotá<br />
(1833-1880)<br />
Six de ces troupes s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t dans la création d’un répertoire national. Par ailleurs, le nom<br />
de Ponce de <strong>Le</strong>ón apparaît associé dès 1865 à l’opéra bogotain. Enfin il convi<strong>en</strong>t de préciser<br />
que l’<strong>en</strong>tre-deux-saisons est toujours un temps actif p<strong>en</strong>dant lequel certains artistes itali<strong>en</strong>s et<br />
colombi<strong>en</strong>s essai<strong>en</strong>t de reconstituer une troupe colombo-itali<strong>en</strong>ne. Ces troupes mixtes<br />
essui<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t un échec <strong>au</strong> bout de quelques représ<strong>en</strong>tations.<br />
<strong>Le</strong>s saisons d’opéra sont <strong>au</strong>ssi une école expérim<strong>en</strong>tale pour les chanteurs et acteurs<br />
colombi<strong>en</strong>s. Dès les premières représ<strong>en</strong>tations d’opéras <strong>en</strong> 1858 – nous n’avons pas de<br />
r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts sur les années précéd<strong>en</strong>tes – les troupes font appel à des Colombi<strong>en</strong>s pour<br />
compléter la répartition et conformer les chœurs. Ceux-ci, exclusivem<strong>en</strong>t masculins dans une<br />
société qui voit <strong>en</strong>core d’un œil suspect la femme-actrice, sont des chœurs de trois ou quatre<br />
voix, ce qui implique une grande responsabilité de la part de ces chanteurs 50 . Ainsi nous<br />
retrouvons les mêmes noms d’une année à l’<strong>au</strong>tre : Honorato Barriga, José María Bohórquez,<br />
Simón Espinoza… certains se feront remarquer et créeront des personnages dans les<br />
différ<strong>en</strong>tes pièces de Ponce de <strong>Le</strong>ón : Alejo García et Antonio Espina (Un alcalde a la<br />
antigua…), Juan Domínguez (Asaf dans Ester) ou <strong>en</strong>core Epifanio Garay (Un alcalde…, El<br />
Vizconde et son grand rôle, celui du prophète juif Rubén dans Florinda) qui sera une grande<br />
figure du chant <strong>lyrique</strong> dans les années 1880 51 .<br />
Il s’agit d’une école pour les chanteurs, mais <strong>au</strong>ssi pour tout amateur de musique, comme il<br />
apparaît dans ce texte de 1879 :<br />
<strong>Le</strong>s demoiselles qui suiv<strong>en</strong>t une éducation musicale ne peuv<strong>en</strong>t avoir d’école plus efficace que<br />
le théâtre. Écouter avec att<strong>en</strong>tion un opéra v<strong>au</strong>t bi<strong>en</strong> mieux pour elles que vingt-cinq leçons<br />
reçues dans le salon de leur maison. Ne laissons pas tomber l’opéra. C’est la distraction la plus<br />
noble et la plus distinguée que l’intellig<strong>en</strong>ce humaine ait conçue.<br />
Lasseñoritasqueseeducan<strong>en</strong>lamúsica,nopued<strong>en</strong>t<strong>en</strong>erunaescuelamáseficazqueel<br />
50 Certains opéras comme Ester faisai<strong>en</strong>t appel à un chœur féminin qui chantait … <strong>en</strong> coulisses.<br />
51 Cette liste de chanteurs colombi<strong>en</strong>s n’est pas exh<strong>au</strong>stive. Voir la presse de l’époque, ainsi que les<br />
listes de chanteurs dressées par M. Lamus Obregon (2004 : 373-419).
teatro.Oírconat<strong>en</strong>ciónunaóperaesmuchomejorparaellasqueveinticincolecciones<br />
recibidas<strong>en</strong>lasaladesucada.Nodejemoscaerlaópera.Esel<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>imi<strong>en</strong>tomásnobley<br />
máscultoquehaideadolaintelig<strong>en</strong>ciahumana 52 .<br />
Il existe égalem<strong>en</strong>t un répertoire national non opératique, mais qui se donne à l’opéra. <strong>Le</strong>s<br />
<strong>en</strong>tractes étai<strong>en</strong>t l’occasion pour les musici<strong>en</strong>s et compositeurs colombi<strong>en</strong>s de se produire,<br />
proposant le répertoire habituel de mélodies ou de pièces pour piano. Intermèdes à l’ombre du<br />
grand spectacle, la presse ne parle que très rarem<strong>en</strong>t de ces amusem<strong>en</strong>ts music<strong>au</strong>x dont nous<br />
connaissons peu de choses 53 .<br />
Cep<strong>en</strong>dant les préjugés qui éloign<strong>en</strong>t la femme de la scène peuv<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t avoir de lourdes<br />
conséqu<strong>en</strong>ces. <strong>Le</strong> compositeur mexicain Melesio Morales évoque ainsi l’annulation d’une<br />
représ<strong>en</strong>tation d’Il trovatore pour une œuvre de charité à Mexico – cela <strong>au</strong>rait pu avoir lieu à<br />
Bogotá – après que deux de ses élèves :<br />
Se sont crues avilie <strong>en</strong> marchant sur les planches, et avant d’arriver à cet extrême préférèr<strong>en</strong>t<br />
annuler. Si ces filles, ou plutôt leurs familles, ont cru déshonorant le fait d’employer leurs<br />
tal<strong>en</strong>ts philharmoniques pour la c<strong>au</strong>se de l’<strong>en</strong>fance, seulem<strong>en</strong>t parce que cela impliquait le<br />
besoin de sortir sur la scène théâtrale, misère humaine !<br />
Secreyeron<strong>en</strong>vilecidasporpisarlastablasyantesdellegaraesteextremoprefirieron<br />
negarse.Siestasniñas,mejordicho,sisusfamiliasseimaginarondeshonrosoelemplearsus<br />
tal<strong>en</strong>tosfilarmónicosafavordelaniñez,tansóloporqueestepasoimportabalanecesidadde<br />
saliralaesc<strong>en</strong>ateatral,¡miseriahumana 54 !<br />
Chaque compagnie <strong>lyrique</strong> bâtit sa saison sur les traces de précéd<strong>en</strong>tes (reprise de<br />
costumes, des décors, des musici<strong>en</strong>s d’orchestre qui s’habitu<strong>en</strong>t <strong>au</strong> répertoire) dans une<br />
dynamique progressiste. À <strong>en</strong> croire la presse, la compagnie actuelle est toujours meilleure<br />
que la précéd<strong>en</strong>te, et cela jusqu’<strong>au</strong>x années 1893. Il <strong>en</strong> va sans doute d’un public de plus <strong>en</strong><br />
plus exigeant, progressivem<strong>en</strong>t habitué <strong>au</strong>x opéras, qui exige de la part des compagnies plus<br />
de qualité d’une année à l’<strong>au</strong>tre.<br />
Compagnie <strong>lyrique</strong> Luisia-Rossi (1863-février 1865)<br />
La sonnambula est la grande nouve<strong>au</strong>té de cette saison, reprise quatre fois 55 . En alternance :<br />
Lucia, Norma, Ernani, Gemma di Vergi, La Traviata, Il trovatore, Maria de Rohan, L’elisir<br />
d’amore... Parmi les chanteurs, le ténor romain Oreste Sindici (1837-1904) s’installe à<br />
52 « El Hebreo », Diario de Cundinamarca (X.2494), 6 mai 1879 : 394.<br />
53 Ceux-ci ne sont cités que lorsque des personnalités y particip<strong>en</strong>t. En 1879, une colonne revi<strong>en</strong>t<br />
longuem<strong>en</strong>t sur la création d’une sérénade de Ponce de <strong>Le</strong>ón, La Virg<strong>en</strong> de ojos negros, lors d’une<br />
représ<strong>en</strong>tation de Rigoletto. Nous <strong>en</strong> reparlons dans le chapitre 6 de cette étude.<br />
54 M. Morales, Mns/1999 : 58.<br />
55 M. Lamus Obregón, 2004 : 379.<br />
59<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
60<br />
Bogotá. Sindici est peut-être le seul nom qui soit resté connu jusqu’à nos jours : il est le<br />
compositeur de l’hymne national colombi<strong>en</strong> <strong>en</strong> 1887, adopté officiellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1920.<br />
Avec cette compagnie, Bogotá s’habitue à des troupes qui propos<strong>en</strong>t plusieurs saisons<br />
<strong>lyrique</strong>s sur une année, avec des ouvrages répétés, et des nouve<strong>au</strong>tés annoncées pour la<br />
deuxième saison. Cep<strong>en</strong>dant – ce sera le cas pour toutes les compagnies – la saison se termine<br />
brusquem<strong>en</strong>t : mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus <strong>en</strong>tre les chanteurs, dislocation de la troupe, bilan économique<br />
catastrophique, le public comm<strong>en</strong>ce à se lasser des soirées du Coliseo <strong>au</strong> bout de quelque<br />
temps.<br />
Compagnie <strong>lyrique</strong> Sindici-Isaza (mars-décembre 1865)<br />
Sindici revi<strong>en</strong>t à Bogotá comme impresario et primo t<strong>en</strong>ore, avec de nombreux chanteurs<br />
de la compagnie précéd<strong>en</strong>te. Cette fois-ci, Rigoletto est la grande nouve<strong>au</strong>té de la saison. <strong>Le</strong>s<br />
interprètes s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t d’avantage dans la préparation et la prés<strong>en</strong>tation des spectacles.<br />
Certains ont connu de grands succès à Cuba et à Mexico, et sav<strong>en</strong>t qu’<strong>en</strong> fidélisant un public,<br />
l’opéra peut dev<strong>en</strong>ir une <strong>en</strong>treprise r<strong>en</strong>table. <strong>Le</strong> public répond positivem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x efforts et<br />
constate les progrès réalisés dans les dernières années :<br />
Ce n’est qu’<strong>au</strong>jourd’hui, et seulem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>jourd’hui, que nous avons <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du chanter une œuvre<br />
<strong>en</strong>tière sans mutilations ni suppressions.<br />
hoy,iúnicam<strong>en</strong>tehoy,esquehemosoídocantarunaobracompletasincerc<strong>en</strong>ami<strong>en</strong>tosni<br />
supresiones 56 .<br />
Information méconnue, mais importante pour notre étude, le jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón est<br />
associé à cette troupe <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> tant que souffleur. <strong>Le</strong> futur compositeur d’opéras étudie<br />
certains ou tous les opéras de cette saison : La sonnambula, Don Pascuale, Lucia, Il<br />
trovatore, Un ballo in maschera, La Traviata, I Lombardi et Luisa Miller, ainsi que la<br />
zarzuela de Gaztambide El Juram<strong>en</strong>to.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón profite alors de ce véritable bain <strong>lyrique</strong> pour composer ses deux premiers<br />
opus. Tout d’abord un Finale pour la pièce espagnole El embozado de Cordova dont nous ne<br />
disposons malheureusem<strong>en</strong>t d’<strong>au</strong>cune information sur la musique ou les circonstances de<br />
création. Cette même année – décembre 1865 – il crée un opéra bouffe <strong>en</strong> deux actes et seize<br />
numéros d’après une pièce de théâtre colombi<strong>en</strong>ne : Un alcalde a la antigua y dos primos a la<br />
moderna 57 . Il s’agit de spectacles privés, donnés sur l’<strong>au</strong>tre scène de Bogotá, la scène privée<br />
(ici la maison de L. M. Lleras), celle qui reste <strong>en</strong> marge du Coliseo exclusivem<strong>en</strong>t réservé <strong>au</strong>x<br />
56 « Espectáculos civilizadores » (A.C.), La Opinión (III.126), 5 juillet 1865: 211.<br />
57 Voir §.3.3.2.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Europé<strong>en</strong>s. Ces deux spectacles se donn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> marge d’une saison <strong>lyrique</strong> 58 ; cep<strong>en</strong>dant sans<br />
cette saison itali<strong>en</strong>ne, il est certain que Ponce n’eût jamais <strong>en</strong>visagé d’écrire ces œuvres.<br />
Compagnie <strong>lyrique</strong> Cavaletti (décembre 1866- juin 1867)<br />
Une année s’est écoulée, et Bogotá reçoit une nouvelle compagnie italo-espagnole. La<br />
Cavaletti marque une nouvelle étape dans l’art <strong>lyrique</strong> : Juan del Diestro, l’impresario<br />
espagnol, associé avec sa femme, le soprano itali<strong>en</strong> Matilde Cavaletti, propos<strong>en</strong>t un répertoire<br />
éclectique et nouve<strong>au</strong> à Bogotá. <strong>Le</strong>s soirées sont rallongées et, comme dans les théâtres<br />
europé<strong>en</strong>s, on ne se cont<strong>en</strong>te plus d’un seul opéra. Au c<strong>en</strong>tre un opéra itali<strong>en</strong> ou une zarzuela<br />
grande, <strong>en</strong>trecoupé d’<strong>en</strong>tractes music<strong>au</strong>x, complété <strong>en</strong> fin de soirée par une zarzuela chica <strong>en</strong><br />
un acte 59 .<br />
Moderne et progressiste, s’éloignant du sillon tout tracé du bel canto, la compagnie<br />
Cavaletti s’<strong>en</strong>gage <strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t à Bogotá : elle passe commande de zarzuelas chicas à des<br />
compositeurs colombi<strong>en</strong>s. Cette année de 1867 voit ainsi naître les premières zarzuelas chicas<br />
de Ponce de <strong>Le</strong>ón (El Vizconde), Juan Crisóstomo Osorio (El Postillón de la Rioja) et Daniel<br />
Figueroa (Jacinto) 60 . Trois titres qui repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des livrets connus, mais dont la musique<br />
originale fait preuve d’une nouvelle étape dans l’implantation du phénomène <strong>lyrique</strong> à<br />
Bogotá :<br />
La compagnie <strong>lyrique</strong> nous donne des preuves du progrès du pays et pour la première fois<br />
représ<strong>en</strong>te notre répertoire musical. […] Ces jours sont appelés à faire date dans notre histoire.<br />
Lacompañíalíricanosestádandomuestrasdeladelantodelpaís,yrepres<strong>en</strong>tandopor<br />
primeraveznuestrorepertoriomusical;[…]estosdíasdebieranhacerépoca<strong>en</strong>nuestra<br />
historia 61 .<br />
Malgré le fait que ces productions nationales soi<strong>en</strong>t chantées par des Europé<strong>en</strong>s, le public<br />
boude l’opéra ces soirs-là. Juan del Diestro doit essuyer un fiasco économique et après avoir<br />
monté ces trois zarzuelas, il devra abandonner le projet de mettre <strong>en</strong> scène les œuvres<br />
(achevées ?) de Julio Quevedo, Vic<strong>en</strong>te Vargas de la Rosa et Cayetano Pereira 62 . Quant à<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, cette chance unique de voir son Vizconde interprété par la Cavaletti <strong>au</strong>ra<br />
décidé sa famille de l’<strong>en</strong>voyer cette même année <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre des études à <strong>Paris</strong>.<br />
58<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón a dédié chacun des numéros de son Alcalde a une personnalité, dont les membres de<br />
la compagnie Sindici-Isaza. (Voir § 3.3.2)<br />
59<br />
Nous revi<strong>en</strong>drons sur ces termes de zarzuela chica et grande dans le chapitre 5.<br />
60<br />
El Vizconde de Ponce de <strong>Le</strong>ón est créé le 24 janvier 1867. En revanche nous n’avons pas pu<br />
retrouver de comptes-r<strong>en</strong>dus sur la création des œuvres d’Osorio et de Figueroa.<br />
61<br />
« Teatro », La República (2), 10 juillet 1865 : 8 (cité par M. Lamus Obregón, 2004 : 384).<br />
62 Ibid. : 385.<br />
61<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
62<br />
P<strong>en</strong>dant ce temps, Bogotá accueille la compagnie Visoni (1868-1869) qui r<strong>en</strong>oue avec le<br />
répertoire habituel itali<strong>en</strong> ; <strong>en</strong> 1871 la compagnie Thiolier ne réussit pas à fidéliser un<br />
public 63 . Et la ville connaîtra alors un mom<strong>en</strong>t fort dans son histoire <strong>lyrique</strong> avec les<br />
compagnies itali<strong>en</strong>nes et espagnoles qui arriv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1874, 1876, 1878, 1879 et 1880. L’œuvre<br />
de Ponce de <strong>Le</strong>ón – ses opéras Ester (1874/1879), Florinda (1879/1880) et sa zarzuela El<br />
Castillo misterioso (1876) – est redevable de ces troupes <strong>lyrique</strong>s. Nous y revi<strong>en</strong>drons dans la<br />
deuxième partie de cette étude.<br />
2.2.1.Rossid’Achiardi<br />
Que la navegación […] les sea b<strong>en</strong>igna a nuestros deseados huéspedes, i que nuestras bellas y<br />
nuestros cachacos se prepar<strong>en</strong> a admirar i gozar 64 .<br />
Diario de Cundinamarca, 14 novembre 1873.<br />
Lorsqu’une compagnie <strong>lyrique</strong> itali<strong>en</strong>ne était att<strong>en</strong>due à Bogotá, tous les regards se<br />
tournai<strong>en</strong>t vers elle. Publicité ? Curiosité ? Intérêt artistique ? Toujours est-il que nous<br />
pouvons nous donner une idée de l’expectative créée par cette att<strong>en</strong>te <strong>en</strong> suivant la presse. Ce<br />
phénomène de réception nous permet égalem<strong>en</strong>t de reconstituer l’av<strong>en</strong>ture de la traversée de<br />
l’Atlantique dans les années 1870, chemin vers/de la « civilisation » dans lequel certains<br />
devai<strong>en</strong>t s’<strong>en</strong>gager.<br />
La compagnie Rossi-d’Achiardi, créatrice de l’Ester de Ponce de <strong>Le</strong>ón, débute sa saison <strong>au</strong><br />
Coliseo Maldonado le jeudi 1 er janvier 1874, avec une représ<strong>en</strong>tation d’Ernani. Pourtant, dès<br />
le mois de novembre 1873, on suit de près leur trace. <strong>Le</strong>s membres de la compagnie,<br />
regroupés par Rossi <strong>en</strong> Italie, embarqu<strong>en</strong>t à Livourne le 7 novembre pour le grand voyage 65 .<br />
<strong>Le</strong>s différ<strong>en</strong>ts chanteurs sont nommés : Virginia Fiorellini de Balma (« prima donna<br />
soprano »), Mariana Bianchi Fiorivesi (« prima donna mezzo-soprano »), Giovanni Colucci<br />
(ténor), Giovani Zucchi (baryton) et Domingo Pelleti (basse). Grande nouve<strong>au</strong>té, la<br />
compagnie est complétée par un peintre qui a pour tâche de faire les décors et la scénographie<br />
(il signor Daville) qu’on peut supposer d’origine française, et de six instrum<strong>en</strong>tistes.<br />
Après un mois de voyage transatlantique et quelque dix jours de navigation sur le fleuve<br />
Magdal<strong>en</strong>a, ils sont à Honda le 10 décembre. La remontée vers Bogotá à travers les<br />
montagnes ne dure que quatre jours puisque le Diario de Cundinamarca du 14 décembre<br />
salue leur arrivée dans la capitale.<br />
63<br />
Ibid. : 387-390.<br />
64<br />
« Que la navigation soit bénigne à nos hôtes att<strong>en</strong>dus, et que nos belles et nos cachacos [Bogotains]<br />
se prépar<strong>en</strong>t à admirer et jouir ».<br />
65<br />
« Compañía lírica », Diario de Cundinamarca (V.1184), 14 novembre 1873 : 46.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Arrivée précédée d’une <strong>au</strong>tre symbolique, quelques jours plus tôt. Ainsi, on lit dans les<br />
pages du journal bogotain du 6 décembre 1873 :<br />
Afin de satisfaire la curiosité de ceux qui désir<strong>en</strong>t connaître les personnes de la compagnie, le<br />
bure<strong>au</strong> du Club Américain a mis à la disposition du public les portraits des deux belles<br />
cantatrices et des quatre musici<strong>en</strong>s princip<strong>au</strong>x, dont le premier violon.<br />
Parasatisfacerlacuriosidaddequi<strong>en</strong>esdeseanconocerelpersonaldedichacompañía,se<br />
hanpuestoalavistadelpúblico,<strong>en</strong>elescritoriodelClubAmericano,losretratosdelasdos<br />
bellascantantesidecuatroprofesoresprincipales,inclusoelprimerviolín 66 .<br />
<strong>Le</strong> chef d’orchestre, Dario d’Achiardi, est bi<strong>en</strong> connu à Bogotá. Prés<strong>en</strong>t lors des<br />
précéd<strong>en</strong>tes saisons <strong>lyrique</strong>s, il <strong>au</strong>ra égalem<strong>en</strong>t œuvré pour diffuser l’opéra dans d’<strong>au</strong>tres<br />
villes colombi<strong>en</strong>nes. C’est lui qui conduit la première compagnie <strong>lyrique</strong> à Medellin avec le<br />
ténor Rossi et le baryton Luisia 67 .<br />
Active p<strong>en</strong>dant près de six mois, attirant la société <strong>au</strong> Coliseo les jeudis et dimanches, la<br />
compagnie Rossi-d’Achiardi va prés<strong>en</strong>ter seize opéras, soit une soixantaine de<br />
représ<strong>en</strong>tations. Et quels spectacles !<br />
<strong>Le</strong> répertoire, exclusivem<strong>en</strong>t itali<strong>en</strong> – Ester apparaît <strong>au</strong> dernier mom<strong>en</strong>t – est connu des<br />
Bogotains. On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d des opéras de Verdi (Ernani, Il trovatore, Atila, Nabuco, La Traviata et<br />
Rigoletto), de Bellini (Norma et Giulietta e Romeo), de Donizetti (Lucrezia Borgia, Lucia,<br />
Elisir d’amore, Poliuto), Jone, o L’ultimo giorno di Pompei (1858) du compositeur Errico<br />
Petrella, et, bi<strong>en</strong> sûr, la création d’Ester de Ponce de <strong>Le</strong>ón. En produisant sur la scène de<br />
Bogotá un répertoire connu, que certains musici<strong>en</strong>s de l’orchestre et choristes sav<strong>en</strong>t déjà, on<br />
peut effectivem<strong>en</strong>t supposer une amélioration de la qualité du spectacle musical <strong>au</strong> fil des<br />
années.<br />
Après une série de succès – nous reparlerons du cas d’Ester dans le chapitre 4 de cette étude<br />
– la compagnie <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d son retour vers l’Italie le 6 août 1874. Même si nous ignorons les<br />
détails des derniers jours des Itali<strong>en</strong>s à Bogotá, nous pouvons supposer qu’<strong>au</strong> terme de six<br />
mois, la perte d’intérêt de la part du public était dev<strong>en</strong>ue trop grande pour justifier une<br />
prolongation de la saison.<br />
<strong>Le</strong>s compagnies postérieures qui s’établiront <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> pour quelques mois ont toutes<br />
une histoire semblable. La dernière, conduite par le soprano Emilia B<strong>en</strong>ic, <strong>au</strong>ra à sa charge la<br />
création de Florinda de Ponce <strong>en</strong> 1880.<br />
66 « Compañía lírica », Diario de Cundinamarca (V.1184), 6 décembre 1873 : 122.<br />
67 Ils prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t le répertoire itali<strong>en</strong> habituel : Lucia di Lammermoor, La Traviata, Elisir d’amore et<br />
Atila (E. Gónima, 1909).<br />
63<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
64<br />
Paradoxalem<strong>en</strong>t ces trois déc<strong>en</strong>nies <strong>lyrique</strong>s pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t fin <strong>en</strong> 1880 avec le départ de la<br />
compagnie B<strong>en</strong>ic, suivi de la mort de Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> 1882. Jusqu’<strong>en</strong> 1890 Bogotá relègue<br />
l’opéra dans la pénombre. À partir de ce mom<strong>en</strong>t se succèd<strong>en</strong>t les compagnies Z<strong>en</strong>ardo<br />
(1890), Z<strong>en</strong>ardo-Lambardi (1891), Azzali (1893, 1895, 1896, 1897 et 1898). Cep<strong>en</strong>dant la<br />
situation a changé : il s’agit de compagnies itali<strong>en</strong>nes <strong>en</strong>gagées par le gouvernem<strong>en</strong>t national,<br />
donnant l’opéra <strong>au</strong> Teatro Municipal ou <strong>au</strong> Teatro Colón, avec un répertoire purem<strong>en</strong>t<br />
europé<strong>en</strong>. Florinda de Ponce de <strong>Le</strong>ón sera reprise quatre fois dans la saison de 1893. Et puis<br />
l’oubli. En l’abs<strong>en</strong>ce de compositeurs de taille qui puiss<strong>en</strong>t poursuivre le projet de Ponce,<br />
l’opéra colombi<strong>en</strong> disparaît. C’est pour cette raison que nous n’aborderons pas les<br />
compagnies <strong>lyrique</strong>s suivantes.<br />
2.2.2.<br />
<strong>Le</strong>s troupes itinérantes, généralem<strong>en</strong>t composées de chanteurs, d’un directeur et d’un chef<br />
d’orchestre, étai<strong>en</strong>t parfois accompagnées de musici<strong>en</strong>s, notamm<strong>en</strong>t de violonistes. Mais la<br />
ville qui les accueillait devait pourvoir le gros de l’orchestre. Dans des villes sans <strong>en</strong>sembles<br />
perman<strong>en</strong>ts, on peut imaginer le résultat final. <strong>Le</strong> chef d’orchestre adaptait et réécrivait les<br />
parties séparées de chacun des opéras, <strong>en</strong> fonction des instrum<strong>en</strong>ts disponibles. À Bogotá, les<br />
quelques musici<strong>en</strong>s se réunissai<strong>en</strong>t quand l’occasion se prés<strong>en</strong>tait d’accompagner des<br />
chanteurs v<strong>en</strong>us d’ailleurs. Influ<strong>en</strong>cées par l’esthétique du bel canto, les pages de musiques<br />
colombi<strong>en</strong>nes écrites par ses interprètes occasionnels repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les tournures mélodiques et<br />
harmoniques du répertoire itali<strong>en</strong>. Que l’on songe <strong>au</strong>x pièces de caractère et mélodies de<br />
Santos Quijano, Julio Quevedo, Joaquín Guarín…<br />
La Sociedad Filarmónica va pouvoir seconder les troupes <strong>lyrique</strong>s. De la même façon que<br />
le langage opératique sert d’école <strong>au</strong>x compositeurs, les différ<strong>en</strong>ts chefs d’orchestre et les<br />
exig<strong>en</strong>ces des chanteurs qui se produis<strong>en</strong>t à Bogotá vont inciter à une amélioration notoire du<br />
nive<strong>au</strong> de l’orchestre.<br />
<strong>Le</strong> Vénézuéli<strong>en</strong> Anastasio Bello Montero dirige la saison d’opéra de 1848 avec la<br />
Compañía Española de Variedades de Villalba. L’orchestre sans expéri<strong>en</strong>ce, composé<br />
d’amateurs, suscite des réactions peu <strong>en</strong>courageantes :<br />
En écrivant le mot orchestre, ce terrible piccolo qui depuis quelques jours sonne un peu trop<br />
h<strong>au</strong>t, a sifflé dans notre ouïe ; nos oreilles sont-elles les seules à l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ainsi ? Ou est-ce ce<br />
que l’on nomme harmonie ?<br />
Un souv<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> <strong>en</strong>traîne un <strong>au</strong>tre. Il nous semble que l’orchestre doit jouer <strong>au</strong>x <strong>en</strong>tractes les<br />
morce<strong>au</strong>x qu’il a judicieusem<strong>en</strong>t étudiés. Autrem<strong>en</strong>t on croirait assister à une répétition,<br />
situation à éviter devant tant de personnes…<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Alescribirlapalabraorquestanoshachiflado<strong>en</strong>eloídoaquelterriblefl<strong>au</strong>tínquehadías<br />
su<strong>en</strong><strong>au</strong>npuntomásalto;talvezsonaráasíparanuestrassolasorejas,otalvezestose<br />
llamaráarmonía[...]<br />
Unrecuerdonostraeotro.Nosparecequelaorquestadebetocar<strong>en</strong>los<strong>en</strong>treactosloque<br />
t<strong>en</strong>gabi<strong>en</strong>estudiado,porquesino,pareceráqueestá<strong>en</strong>sayando,yestonodebehacerse<br />
delantedetantag<strong>en</strong>te 68 .<br />
L’orchestre de la première saison <strong>lyrique</strong> (1858) est composé de dix-neuf musici<strong>en</strong>s : six<br />
violons, deux altos, un violoncelle et une contrebasse, une flûte, deux clarinettes, un cornet à<br />
pistons, deux cors, un basson, un ophicléide et des timbales 69 .<br />
Dix années se sont écoulées et, <strong>en</strong> 1868, l’orchestre qui accompagne la compagnie Visoni<br />
prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong>core des difficultés :<br />
L’orchestre est un composé de v<strong>en</strong>ts, de cordes et d’instrum<strong>en</strong>ts bruyants, dont l’organisation<br />
hétérogène ne peut qu’être défectueuse. Elle manque de violons et de contrebasses, possède<br />
trop d’instrum<strong>en</strong>ts bruyants, dont les vibrations bless<strong>en</strong>t ; la voix des artistes sur scène est trop<br />
souv<strong>en</strong>t noyée et l’oreille du spectateur saturée. Il est d’ailleurs difficile que des musici<strong>en</strong>s<br />
habitués à d’<strong>au</strong>tres styles instrum<strong>en</strong>t<strong>au</strong>x et rythmiques, avec peu d’expéri<strong>en</strong>ce dans l’art<br />
difficile d’accompagner un opéra, puiss<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ir une parfaite harmonie et ne pas troubler<br />
le concert des chanteurs. Cep<strong>en</strong>dant, l’orchestre fit de son mieux et mérita des<br />
appl<strong>au</strong>dissem<strong>en</strong>ts spontanés.<br />
La orquesta es un compuesto de música de vi<strong>en</strong>to, de cuerdas y de instrum<strong>en</strong>tos<br />
contund<strong>en</strong>tes,cuyaheterogéneaorganizaciónnopuedem<strong>en</strong>osqueserdefectuosa;puespor<br />
unaparte,faltandoviolinesycontrabajosysobrandoinstrum<strong>en</strong>tosruidososydevibración<br />
hiri<strong>en</strong>te,lavozdelosartistasdelaesc<strong>en</strong>aquedamuchasvecesahogada,asícomoeloídodel<br />
espectador algo <strong>en</strong>sordecido, y por otra, es difícil que músicos de difer<strong>en</strong>tes estilo<br />
instrum<strong>en</strong>tal y rítmico, poco experim<strong>en</strong>tados <strong>en</strong> el difícil acompañami<strong>en</strong>to de óperas<br />
mant<strong>en</strong>ganlaperfectaarmoníaqueserequiereparanoperturbarelconciertoconlos<br />
cantores.Sinembargo,laorquestasaliólomejorposibleymereció<strong>en</strong>log<strong>en</strong>eralespontáneos<br />
apl<strong>au</strong>sos 70 .<br />
Comme le laisse <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre cet extrait, tous les musici<strong>en</strong>s de Bogotá, amateurs, musici<strong>en</strong>s de<br />
la fanfare militaire, à l’église, ou de pratique populaire, tous habitués à jouer dans différ<strong>en</strong>ts<br />
styles, se retrouvai<strong>en</strong>t dans cet orchestre réuni chaque fois que des Itali<strong>en</strong>s arrivai<strong>en</strong>t <strong>au</strong><br />
théâtre. Cette mobilité du compositeur colombi<strong>en</strong> – qui est celle du musici<strong>en</strong> du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> –<br />
met <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce l’abs<strong>en</strong>ce de cloisons <strong>en</strong>tre une pratique amateur et professionnelle, pour<br />
certains <strong>en</strong>tre un répertoire savant et populaire. Cep<strong>en</strong>dant l’abs<strong>en</strong>ce d’un orchestre<br />
perman<strong>en</strong>t à Bogotá constitue une véritable <strong>en</strong>trave pour le développem<strong>en</strong>t d’une tradition<br />
symphonique.<br />
68 El Día, cité par J. I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 129.<br />
69 J.I. Perdomo Escobar, 1979 : 14.<br />
70 « Ópera italiana », La Paz (31), 8 septembre 1868. Cité par M. Lamus Obregón, 2004 : 389.<br />
65<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
66<br />
P<strong>en</strong>dant les années qui suiv<strong>en</strong>t, le chiffre de vingt musici<strong>en</strong>s varie peu. Encore <strong>en</strong> 1876,<br />
R. Pombo parle de cet orchestre de « vingt instrum<strong>en</strong>ts 71 ». En revanche, les critiques<br />
chang<strong>en</strong>t de ton quant à la qualité de l’orchestre. Ainsi le compte-r<strong>en</strong>du d’une représ<strong>en</strong>tation<br />
de la compagnie espagnole <strong>en</strong> 1876 :<br />
L’orchestre, stimulé par son habile chef, a démontré qu’il est capable de satisfaire l’ouïe<br />
délicate et le goût exigeant de ceux qui compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l’art divin de l’harmonie<br />
Laorquesta,estimuladaporsuhábildirector,demostróqueescapazdesatisfacereloído<br />
delicadoyelgustoexig<strong>en</strong>tedelos<strong>en</strong>t<strong>en</strong>didos<strong>en</strong>elartedivinodelaarmonía 72 .<br />
Un dernier élém<strong>en</strong>t concernant l’orchestre est à souligner. <strong>Le</strong>s saisons de 1874 et de 1876<br />
intègr<strong>en</strong>t un saxophone <strong>au</strong> sein de l’orchestre, comme l’indiqu<strong>en</strong>t les deux partitions écrites<br />
par Ponce. On ne s’<strong>au</strong>ra jamais assez s’étonner sur la prés<strong>en</strong>ce d’un tel instrum<strong>en</strong>t à Bogotá.<br />
Cep<strong>en</strong>dant, le saxophone semble être un instrum<strong>en</strong>t qui s’est répandu très rapidem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
Amérique, égalem<strong>en</strong>t utilisé dans l’opéra Romeo y Julieta (1863) et dans la Messe du<br />
Mexicain Melesio Morales 73 . Une étude sur la prés<strong>en</strong>ce de l’instrum<strong>en</strong>tarium europé<strong>en</strong> <strong>en</strong><br />
Amérique reste à compléter.<br />
L’opéra n’est pas une activité exclusive des musici<strong>en</strong>s. Pour que l’opéra puisse vivre, le<br />
public doit y être préparé. Certains hommes – parmi eux Lleras et Pombo – se sont acquittés<br />
de cette tâche grâce à un objet à portée de tous : le livret. À partir de 1858 Lor<strong>en</strong>zo María<br />
Lleras traduit, comm<strong>en</strong>te et publie les livrets arrangés pour Bogotá des opéras itali<strong>en</strong>s<br />
représ<strong>en</strong>tés par la compagnie Bazzani 74 . Il existe un exemplaire du livret de Romeo y Julieta<br />
de Bellini portant l’indication <strong>au</strong>tographe « premier opéra représ<strong>en</strong>té à Bogotá le 27 juillet<br />
1858 75 ». Ces textes – qui par ailleurs nous confirm<strong>en</strong>t que les opéras étai<strong>en</strong>t chantés <strong>en</strong><br />
itali<strong>en</strong> – sont établis dans le but d’aider un public ignorant <strong>en</strong> matière d’opéra à compr<strong>en</strong>dre le<br />
spectacle, à suivre l’action et à avoir des pistes d’écoute.<br />
Rafael Pombo, le grand poète colombi<strong>en</strong> du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, adaptateur d’une partie du livret<br />
d’Ester, <strong>au</strong>teur du livret de la Florinda, édite <strong>en</strong> 1878 une revue musicale, El Cartucho. À<br />
travers ses dix-huit numéros parus, des livrets sont publiés dans leur traduction <strong>en</strong> espagnol,<br />
71 « El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (R. Pombo), El Tradicionista (V.491), 2 mai 1876 : 1381.<br />
72 Deuxième représ<strong>en</strong>tation de la zarzuela El secreto de una Dama. Diario de Cundinamarca du<br />
24 mars 1876. Cité par B. Yépez, 1996.<br />
73 M. Morales, Mns/1999 : XXXIV.<br />
74 J.I. Perdomo Escobar, 1979 : 14.<br />
75 Ibid.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
avec un guide critique de la musique. La revue El Telegrama, parue <strong>en</strong>tre 1890 et 1893,<br />
imprime <strong>au</strong>ssi des livrets d’opéras sous forme de feuilletons. <strong>Le</strong>s livrets d’Ester et de<br />
Florinda prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t tous deux les sujets des drames, ainsi qu’une biographie de Ponce. C’est<br />
d’ailleurs ces docum<strong>en</strong>ts qui nous ont permis de reconstituer une biographie du compositeur.<br />
À la lecture de ce qui précède – et c'est la s<strong>en</strong>sation qui ressort d’une presse généralem<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>thousiaste – on finirait par croire que les opéras à Bogotá étai<strong>en</strong>t des spectacles<br />
exemplaires, qui laissai<strong>en</strong>t peu à dire.<br />
En 1874, la compagnie d’Achiardi fait fureur dans cette ville. <strong>Le</strong>s comptes-r<strong>en</strong>dus ne<br />
cess<strong>en</strong>t de faire des éloges <strong>au</strong>x acteurs et sur le déroulem<strong>en</strong>t de la saison qui, une fois de plus,<br />
est la meilleure que la ville ait connue. Pourtant ces phrases – qui donn<strong>en</strong>t un regard objectif<br />
et permett<strong>en</strong>t de moduler notre discours – se gliss<strong>en</strong>t dans la presse :<br />
Plusieurs fois j'ai lu des accusations contre notre société pour son manque de fréqu<strong>en</strong>tation <strong>au</strong><br />
théâtre, la qualifiant de s<strong>au</strong>vage... Mais je n'ai jamais lu la moindre observation par rapport <strong>au</strong>x<br />
grands inconvéni<strong>en</strong>ts que souffr<strong>en</strong>t les représ<strong>en</strong>tations dans notre théâtre.<br />
Hevistoconfrecu<strong>en</strong>ciaacusacionesdirigidasanuestrasociedadporlafaltadeconcurr<strong>en</strong>cia<br />
alteatro,tachándoladesalvaje….Perojamásheleídolamáspequeñaobservaciónrespetoa<br />
losgrandesinconv<strong>en</strong>i<strong>en</strong>tesdequeadolec<strong>en</strong>lasrepres<strong>en</strong>taciones<strong>en</strong>nuestroteatro 76 .<br />
Et à l'<strong>au</strong>teur d'exposer les trois raisons principales de son mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t :<br />
Des <strong>en</strong>tractes qui dur<strong>en</strong>t une « éternité » : « le public est traité comme un domestique<br />
méprisable que l'on peut faire att<strong>en</strong>dre plusieurs heures devant la porte 77 » ;<br />
le manque de bonnes manières des hommes « qui inond<strong>en</strong>t de fumée tout l'édifice » ;<br />
<strong>Le</strong> désordre le plus total pour r<strong>en</strong>trer et sortir du théâtre.<br />
Il f<strong>au</strong>drait sortir du théâtre « ivre de plaisir, fou d'amour pour Fiorellini, <strong>au</strong> point d'aller<br />
embrasser ne serait-ce que la serrure de sa porte 78 ». Mais la longue att<strong>en</strong>te des <strong>en</strong>tractes brise<br />
le charme. <strong>Le</strong>s g<strong>en</strong>s se dévisag<strong>en</strong>t d'une loge à une <strong>au</strong>tre, on passe le public <strong>en</strong> revue avec les<br />
jumelles pour savoir qui est prés<strong>en</strong>t, d’<strong>au</strong>tres s'<strong>en</strong>dorm<strong>en</strong>t. Alors que le théâtre se remplit de<br />
fumée, il est impossible de sortir pr<strong>en</strong>dre l'air sous peine de devoir rester dehors. Et l'<strong>au</strong>teur<br />
résume :<br />
Sortir du spectacle à deux heures et demie du matin ! Sortir énervé, plein de contusions, <strong>en</strong><br />
76<br />
« Teatro », Diario de Cundinamarca (V.1351), 16 juin 1874 : 716.<br />
77<br />
« Se trata al público como un criado despreciable a qui<strong>en</strong> se puede dejar varias horas esperando <strong>en</strong><br />
la puerta de la calle » (Ibid.)<br />
78<br />
« Ebrio de placer, loco de amor por Fiorellini, a punto de ir a besar, <strong>au</strong>nque fuera la chapa de su<br />
puerta » (Ibid.)<br />
67<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
68<br />
s<strong>en</strong>tant la fumée! ... Devoir se lever à six heures pour aller travailler... Cela n'est pas le grand<br />
plaisir, à vrai dire.<br />
Salirdelafunciónalasdosimediadelamañana!...salirconfiebredefastidio,ll<strong>en</strong>ode<br />
contusionesioli<strong>en</strong>doahumo!...t<strong>en</strong>erquelevantarsealasseisatrabajar…estonoesgran<br />
deliciaquedigamos 79 .<br />
2.2.3.ColiseoMaldonado<br />
À plusieurs reprises, la presse se fait l’écho d’un public qui se plaint des conditions<br />
lam<strong>en</strong>tables du seul théâtre de Bogotá. Grâce à la prés<strong>en</strong>ce d’Europé<strong>en</strong>s sur les planches du<br />
Coliseo, les directeurs du théâtre pourront <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre des réformes qui vont dans le s<strong>en</strong>s<br />
d’une amélioration de l’édifice. Il convi<strong>en</strong>t à prés<strong>en</strong>t de retracer l’histoire du seul théâtre<br />
officiel de Bogotá <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> qui, <strong>au</strong>jourd’hui <strong>en</strong>core sous le nom de Teatro Colón, est un<br />
des h<strong>au</strong>ts-lieux de la vie culturelle de Bogotá.<br />
La théâtralisation du quotidi<strong>en</strong> était pourtant un élém<strong>en</strong>t important comme résultante de<br />
l’architecture coloniale espagnole. Celle-ci recrée un théâtre urbain construit <strong>au</strong>tour d’une<br />
place principale. L’arrivée à Bogotá, après un long voyage, provoquait une vive impression <strong>au</strong><br />
voyageur : la ville même est disposée comme un théâtre, avec les montagnes servant de fond<br />
de scène, les places publiques, les églises, les prom<strong>en</strong>ades dans la ville (altozano), les lieux de<br />
pèlerinage. La représ<strong>en</strong>tation fait égalem<strong>en</strong>t partie de la vie de tous les jours. Elle est régie<br />
par certaines règles de conv<strong>en</strong>ances (les habits, la bi<strong>en</strong>séance, les postures, le langage) qui<br />
plac<strong>en</strong>t tous et chacun dans un ordre social préétablit. Telle est son importance que ce savoir-<br />
vivre est consigné dans des manuels d’urbanité, qui pour le lecteur moderne devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
caricature d’un mode de vie sur-joué 81 .<br />
<strong>Le</strong> théâtre était pourtant un bâtim<strong>en</strong>t capital de la scène sociale, qui ajoutait à l’éclat des<br />
métropoles europé<strong>en</strong>nes. Dans les villes américaines, il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre la fin du XVIII e <strong>siècle</strong><br />
pour la construction des premiers théâtres publics. En 1792, José Dionisio de Villar et Tomás<br />
Ramírez demand<strong>en</strong>t une lic<strong>en</strong>ce <strong>au</strong> vice-roi pour la construction d’un théâtre à Santa Fé de<br />
Bogotá. <strong>Le</strong> 27 octobre 1793 la salle du Coliseo Ramírez – repr<strong>en</strong>ant le plan du théâtre<br />
madrilène de La Cruz – est in<strong>au</strong>gurée par l’Espagnole Nicolasa Villar 82 . Malgré l’opposition<br />
79 Ibid.<br />
80 « …sanctuaire des Muses et <strong>en</strong>droit de récréation pour le meilleur de notre société ».<br />
81 On p<strong>en</strong>se particulièrem<strong>en</strong>t <strong>au</strong> Manual de Urbanidad (1853) de Manuel Carreño.<br />
82 D’une capacité de deux c<strong>en</strong>t places, le premier Coliseo est l’œuvre de l’architecte espagnol<br />
Domingo Esquiaqui (E. Bermudez, 2000).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
… el santuario de las musas i reci<strong>en</strong>to de recreación de nuestra selecta sociedad… 80<br />
Diario de Cundinamarca, 14 novembre 1873
de l’Église, les représ<strong>en</strong>tations adopt<strong>en</strong>t un rythme régulier, <strong>en</strong>core <strong>en</strong> usage à la fin du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> : le Coliseo ouvre ses portes les jeudis et dimanches, s<strong>au</strong>f p<strong>en</strong>dant le Carême. Dès<br />
1794, le Coliseo devi<strong>en</strong>t un h<strong>au</strong>t lieu de la vie sociale, où sont organisés spectacles et bals.<br />
Ces longues réjouissances pouvai<strong>en</strong>t durer jusqu’à quatre nuits ; on danse le m<strong>en</strong>uet, le passe-<br />
pied, la bretaña, la contradanza, le fandango, le torbellino et <strong>au</strong>tres danses espagnoles ou<br />
créoles dans un monde <strong>en</strong>core dép<strong>en</strong>dant de l’Espagne.<br />
P<strong>en</strong>dant les premières années de la vie républicaine, le Coliseo demeure un lieu important<br />
de la vie sociale à Bogotá. Mais <strong>en</strong> l’abs<strong>en</strong>ce d’activité sout<strong>en</strong>ue, un abandon progressif est à<br />
déplorer, <strong>au</strong> point que l’ambassadeur français à Bogotá <strong>en</strong>tre 1828 et 1839 note :<br />
La ville de Bogotá, à l’époque où je résidais [1828-1839], n’avait qu’un très p<strong>au</strong>vre théâtre<br />
dont la salle, à plusieurs rangs de loges, était à peu près <strong>au</strong>ssi grande que celle du théâtre des<br />
Variétés à <strong>Paris</strong> ; mais la charp<strong>en</strong>te <strong>en</strong> était grossière et sans <strong>au</strong>cune ornem<strong>en</strong>tation. L’éclairage<br />
s’y faisait simplem<strong>en</strong>t <strong>au</strong> moy<strong>en</strong> de chandelles et de quinquets, ce qui indique qu’il était<br />
détestable. <strong>Le</strong>s loges n’avai<strong>en</strong>t, pas plus que le parterre, de banquettes ; il fallait y <strong>en</strong>voyer<br />
d’avance des sièges si on voulait s’asseoir. Bi<strong>en</strong> que des pancartes collées sur les murs<br />
indiquass<strong>en</strong>t qu’il était déf<strong>en</strong>du de fumer dans la salle, néanmoins, p<strong>en</strong>dant les <strong>en</strong>tractes, il y<br />
avait peu de personnes qui n’<strong>en</strong>freigniss<strong>en</strong>t pas cette déf<strong>en</strong>se <strong>en</strong> fumant un cigare ou une<br />
cigarette dans les corridors.<br />
Comme, par f<strong>au</strong>te de voitures, on ne pouvait sortir de chez soi qu’à pied, chaque affiche, le<br />
jour d’une représ<strong>en</strong>tation, portait qu’il n’y <strong>au</strong>rait pas de spectacle dans le cas où il pleuvrait<br />
dans la soirée 83 .<br />
En 1840 les frères Maldonado achèt<strong>en</strong>t le Coliseo 84 . À partir de ce mom<strong>en</strong>t, le théâtre de<br />
Bogotá est connu sous le nom de Coliseo Maldonado. P<strong>en</strong>dant quatre déc<strong>en</strong>nies le Coliseo<br />
Maldonado accueillera les spectacles proposés par des étrangers (opéra, zarzuela, théâtre,<br />
cirque, prestidigitation) et sera la scène des créations des trois œuvres <strong>lyrique</strong>s de Ponce.<br />
Chaque compagnie <strong>lyrique</strong> suscite des trav<strong>au</strong>x et des réformes du Coliseo. Ainsi la<br />
compagnie Sindici-Isaza (1865) lutte contre l’« abandon génial » du théâtre :<br />
La scène était une misère : [la compagnie] l’a améliorée avec de nouve<strong>au</strong>x et très bons décors.<br />
L’intérieur du théâtre […] était lam<strong>en</strong>tablem<strong>en</strong>t négligé et sale : elle a fait disparaître cet<br />
abandon, le remplaçant avec déc<strong>en</strong>ce et propreté. L’anci<strong>en</strong>ne toile était une honte […] : elle lui<br />
<strong>en</strong> a substitué une <strong>au</strong>tre qui <strong>au</strong> moins remplit sa principale fonction.<br />
Elesc<strong>en</strong>arioer<strong>au</strong>namiseria:ellalohamejoradoconnuevasimuibu<strong>en</strong>asdecoraciones.El<br />
interiordelteatro[…]estabalam<strong>en</strong>tablem<strong>en</strong>tedescuidadoysucio:ellahahechodesaparecer<br />
ese abandono, remplazándolo con la dec<strong>en</strong>cia y la limpieza. El telón antiguo era una<br />
vergü<strong>en</strong>za[…]:ellalohasustituidoconotroquesiquierall<strong>en</strong>asuprincipalobjeto 85 .<br />
83 A. <strong>Le</strong> Moyne, 1880 : 195.<br />
84 Espriella Ossío, 1997 : 104.<br />
85 « Espectáculos civilizadores » (A.C.), La Opinión (III.126), 5 juillet 1865 : 211.<br />
69<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
70<br />
Cette anci<strong>en</strong>ne toile semble avoir été dans un tel état, qu’<strong>en</strong> raison de son état vétuste, elle<br />
est comparée <strong>au</strong>x « drape<strong>au</strong>x de Pizarre » 86 !<br />
Dix années sont passées, et de nouvelles plaintes contre l’état du théâtre sont adressées à<br />
son directeur, Bruno Maldonado : m<strong>au</strong>vaises conditions d’hygiène, habitude de fumer, de<br />
n’ouvrir qu’une seule porte, etc. :<br />
Nous sommes désolés que le théâtre continue à être dans ce lam<strong>en</strong>table état de malpropreté que<br />
nous avons déjà rapporté. Nous voudrions que les haleines parfumées des fleurs vivantes qui y<br />
vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ne fuss<strong>en</strong>t pas neutralisées par une ambiance pourrie par l’humidité, les restes des<br />
cigarettes et <strong>au</strong>tres immondices qui donn<strong>en</strong>t <strong>au</strong> sanctuaire d’Apollon l’aspect d’une prison ou<br />
d’un hôpital abandonné.<br />
S<strong>en</strong>timosqueelteatrosiga<strong>en</strong>ellam<strong>en</strong>tableestadodedesaseodequeyahemosdado<br />
cu<strong>en</strong>ta.Quisiéramosqueloshálitosembalsamadosdelasfloresvivi<strong>en</strong>tesqueaélconcurr<strong>en</strong>,<br />
no fues<strong>en</strong> neutralizados con el ambi<strong>en</strong>te inficionado por la humedad, los desechos del<br />
cigarrilloiotrasinmundiciasqueledanalsantuariodeApoloelaspectodeunacárcelodeun<br />
hospitaldescuidados 87 .<br />
Et lorsque Maldonado <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d des trav<strong>au</strong>x dans le Coliseo p<strong>en</strong>dant le carême 1876, la<br />
réaction du public est immédiate :<br />
<strong>Le</strong>s améliorations introduites dans l’<strong>en</strong>ceinte ont contribué à la spl<strong>en</strong>deur du spectacle.<br />
M. Bruno Maldonado mérite admiration et <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t pour qu’il continue à cont<strong>en</strong>ter son<br />
propre goût et celui des amants du théâtre.<br />
Lasmejorasintroducidas<strong>en</strong>ellocalcontribuyeronalaespl<strong>en</strong>didezdelespectáculo.Elseñor<br />
Bruno Maldonado merece por ello una expresión de <strong>en</strong>comio y de estímulo para que<br />
continúecont<strong>en</strong>tandosupropiogustoieldelosamantesdelteatro 88 .<br />
À partir des années 1879, des rumeurs cour<strong>en</strong>t sur la fermeture du Coliseo Maldonado qui<br />
tombe <strong>en</strong> ruines.<br />
Par honneur pour leur ville natale, les propriétaires de cet immeuble devrai<strong>en</strong>t faire quelques<br />
efforts pour le mettre dans un état de déc<strong>en</strong>ce qui puisse nous prév<strong>en</strong>ir à tous de montrer la<br />
misère dans laquelle il se trouve à ceux qui arriv<strong>en</strong>t pour la première fois d’Europe ou de<br />
n’importe qu’elle <strong>au</strong>tre partie civilisée du monde à cette capitale…<br />
Porhonordesuciudadnativa,losdueñosdeesteedificodebieranhacercualquieresfuerzo<br />
paraponerlo<strong>en</strong>unestadodedec<strong>en</strong>ciaqu<strong>en</strong>osevitaraatodoselbochornodequeconcurran<br />
averlamiseria<strong>en</strong>quesehallalosqueporprimeravezvi<strong>en</strong><strong>en</strong>deEuropaodecualquierotra<br />
partecivilizadadelmundoaestacapital 89 .<br />
86 « Teatro », La Opinion (III.117), 3 mai 1865 : 142. Rappelons que Pizarre est le Conquistador<br />
espagnol qui <strong>au</strong> XVI e <strong>siècle</strong> soumit l’Empire Inca.<br />
87 « Ópera cómica », Diario de Cundinamarca (VII.1867), 28 février 1876 : 385.<br />
88 « Zarzuela », Diario de Cundinamarca (VII.1906), 17 avril 1876 : 541.<br />
89 « El edificio del teatro », Diario de Cundinamarca (X.2417), 11 décembre 1878 : 90.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Il sera exproprié <strong>en</strong> septembre 1884 par le gouvernem<strong>en</strong>t du présid<strong>en</strong>t Núñez, amateur<br />
d’opéra, qui décide alors sa démolition pour faire construire un théâtre national 90 .<br />
Ce nouve<strong>au</strong> théâtre national, baptisé Teatro Colón – du nom du navigateur génois – est un<br />
théâtre à l’itali<strong>en</strong>ne, construit par des Itali<strong>en</strong>s, pour des spectacles itali<strong>en</strong>s. La liste qui suit ne<br />
nous dém<strong>en</strong>tira pas ! L’architecte <strong>en</strong> chef se nomme Pietro Cantini. Filippo Mastellari, avec<br />
son assistant Guiseppe R<strong>en</strong>avini, peign<strong>en</strong>t le plafond. L’ornem<strong>en</strong>tation (modelos, stucs, etc.)<br />
est l’œuvre de Tempestini et de Fracassini. <strong>Le</strong>s plafonds du vestibule du salon de concerts et<br />
de la salle de la billetterie sont peints par Buonp<strong>en</strong>sieri y Terrazzini. L’installation électrique<br />
est faite par la compagnie flor<strong>en</strong>tine Mall<strong>en</strong>chini y Cia ; le technici<strong>en</strong> Guiseppe Vergano<br />
dirige le montage des générateurs électriques. Enfin le ride<strong>au</strong> de scène, telón de boca, est<br />
peint à Flor<strong>en</strong>ce par Anibale Gatti, puis expédié à Bogotá (il arrive <strong>en</strong> février 1891) 91 .<br />
<strong>Le</strong> Teatro Colón, d’une capacité de six c<strong>en</strong>ts places 92 , ouvre ses portes le 12 octobre 1892.<br />
Mais il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre le 26 octobre 1895 pour le concert officiel d’in<strong>au</strong>guration 93 . Ce soir-là,<br />
Ernani est interprété par la compagnie Azzali, Agusto Azzali qui deux ans <strong>au</strong>paravant<br />
dirigeait à Bogotá la seule reprise posthume d’une œuvre de Ponce de <strong>Le</strong>ón : Florinda 94 .<br />
L’architecte Pietro Cantini <strong>au</strong>ra largem<strong>en</strong>t contribué à la modification du paysage urbain de<br />
Bogotá à la fin du <strong>siècle</strong>. Appelé pour achever le chantier du Capitole National (initié <strong>en</strong> 1847<br />
par le Danois Thomas Reed), il fonde par la suite une école d’architecture, obti<strong>en</strong>t une chaire<br />
à l’<strong>Université</strong> nationale. Outre le Teatro Colón, on peut <strong>au</strong>jourd’hui voir d’<strong>au</strong>tres de ses<br />
constructions : l’Hôpital San José, le pavillon du Parque C<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ario, celui du Parque de los<br />
Periodistas ou <strong>en</strong>core la chapelle de Sainte Isabelle d’Hongrie de la Cathédrale 95 .<br />
<strong>Le</strong> Teatro Colón, comme tout théâtre construit dans les villes américaines, a une valeur<br />
symbolique qu’il est ici important de rappeler :<br />
<strong>Le</strong> grand théâtre europé<strong>en</strong> pour l’opéra, le ballet, l’opérette, la zarzuela, le drame, la comédie<br />
ou les variétés fut <strong>au</strong>ssi le modèle adopté dans les pays latino-américains. <strong>Le</strong> grand édifice qui<br />
polarisait l’activité mondaine consistant à se montrer, réunissait de façon singulière et<br />
exclusive un certain nombre de notables des classes sociales riches et moy<strong>en</strong>nes. Cet édifice se<br />
retrouve dans les grands théâtres construits à telle fin à Bu<strong>en</strong>os Aires, Mexico ou Rio de<br />
Janeiro. <strong>Le</strong>s villes colombi<strong>en</strong>nes ne pouvai<strong>en</strong>t pas aspirer à posséder les extraordinaires<br />
bâtim<strong>en</strong>ts des villes citées, et ne connur<strong>en</strong>t pas un essor économique soudain et fabuleux,<br />
comme ce fut le cas à Man<strong>au</strong>s […] où il fut possible de construire un théâtre énorme, préparé<br />
90<br />
G. Mejía Pavony, 2000 : 211.<br />
91<br />
A. Silva, 1999 : 37.<br />
92<br />
Ibid. : 39.<br />
93<br />
Espriella Ossío, 1997 : 89.<br />
94<br />
« La Florinda », El Telegrama (VII.2021), 22 juillet 1893 : 8051.<br />
95 A. Silva, 1999 : 36.<br />
71<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
72<br />
<strong>en</strong> Italie dont le marbre fut apporté par l’Amazone 96 .<br />
Seul théâtre à Bogotá p<strong>en</strong>dant tout le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, le Teatro Colón ne connut que la brève<br />
concurr<strong>en</strong>ce du Teatro Municipal. Construit <strong>en</strong> 1890, démoli arbitrairem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1852 97 , le<br />
Municipal accueillait des concerts de musique instrum<strong>en</strong>tale, des <strong>en</strong>sembles populaires, des<br />
zarzuelas… et des opéras. La compagnie Azzali y interpréta Il trovatore pour l’in<strong>au</strong>guration.<br />
Il f<strong>au</strong>drait <strong>au</strong>ssi faire m<strong>en</strong>tion de ces scènes non officielles, maisons privées ou écoles, qui<br />
offrai<strong>en</strong>t un espace additionnel lorsque le Coliseo était loué. Ces tréte<strong>au</strong>x improvisés dans les<br />
patios accueillir<strong>en</strong>t de nombreuses créations colombi<strong>en</strong>nes, dont l’opéra bouffe de jeunesse de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón Un alcalde a la antigua. <strong>Le</strong>s acteurs sont obligés de chercher de nouve<strong>au</strong>x<br />
espaces car le Coliseo s’ouvre exclusivem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x étrangers 98 .<br />
En l’abs<strong>en</strong>ce de scène p<strong>en</strong>dant les années 1880, de nombreuses zarzuelas colombi<strong>en</strong>nes<br />
fur<strong>en</strong>t créées dans des maisons privées, dans un cadre semblable à celui du salon littéraire.<br />
Parmi ces zarzuelas, on reti<strong>en</strong>t les noms de Similia Similibus (1883) de Teresa Tanco et les<br />
nombreuses œuvres de Juan Crisóstomo Osorio qui <strong>au</strong>jourd’hui sont méconnues.<br />
2.2.4.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
A partir donc de la tombée de la nuit, la vie extérieure était d’<strong>au</strong>tant<br />
plus éteinte à Bogotá pour le reste de la journée qu’il n’y avait dans la ville<br />
<strong>au</strong>cun rest<strong>au</strong>rant, <strong>au</strong>cun café ni <strong>au</strong>cun établissem<strong>en</strong>t de récréation publique qui<br />
pût attirer du monde <strong>au</strong> dehors, comme dans nos grandes cités d’Europe 99 .<br />
Auguste <strong>Le</strong> Moyne.<br />
La vie à Bogotá <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> est une vie réglée par une routine quotidi<strong>en</strong>ne qui laisse<br />
difficilem<strong>en</strong>t place à l’inatt<strong>en</strong>du. <strong>Le</strong>s journées, semblables les unes par rapport <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres,<br />
s’organis<strong>en</strong>t de la façon suivante 100 :<br />
Réveil <strong>au</strong> levé du soleil<br />
Petit-déjeuner vers sept heures du matin<br />
Première tranche de travail <strong>en</strong>tre huit et treize heures<br />
Deuxième tranche <strong>en</strong>tre quinze et dix-huit heures<br />
Vers dix-huit heures tout ferme (s<strong>au</strong>f les pulperias, équival<strong>en</strong>t du cabaret, et certaines<br />
96 G. Téllez, Germán, « La arquitectura y el urbanismo <strong>en</strong> la época republicana » dans Manual de<br />
Historia de Colombia (II) : 535 (cité par B. Yépez, 1998). La maison d’opéra de Man<strong>au</strong>s a été<br />
immortalisée dans le film Fitzcarraldo de Werner Herzog (1982).<br />
97 <strong>Le</strong> présid<strong>en</strong>t L<strong>au</strong>reano Gomez ordonna sa démolition <strong>en</strong> 1952 pour des raisons de sécurité nationale.<br />
En effet le théâtre était adjac<strong>en</strong>t <strong>au</strong> Palacio de Nariño, édifice où habit<strong>en</strong>t les présid<strong>en</strong>ts de la<br />
<strong>Colombie</strong>.<br />
98 F. Gonzales Cajiao, 1986.<br />
99 A. <strong>Le</strong> Moyne, 1880 : 189.<br />
100 G.R. Mejía Pavony, 2000 : 467.
pharmacies)<br />
La nuit (pour les classes privilégiées) : soupers, visites, tertulias, soirées avec<br />
musique, poésie, bals, dîners organisés <strong>en</strong> honneur à un étranger <strong>en</strong> visite ou d’un<br />
personnage important<br />
Vingt-deux heures, temps d’aller se coucher, non sans avoir préalablem<strong>en</strong>t vidé les<br />
poubelles dans la rue.<br />
Routine <strong>en</strong>racinée dans les pratiques sociales, <strong>en</strong>cadrée par les prières, chaque chose se fait<br />
<strong>en</strong> son temps, et l’oisiveté est perçue comme un gaspillage. Pour certains, cette perception du<br />
temps est proche d’une vision médiévale transmise par sa perman<strong>en</strong>ce dans le monde<br />
hispanique, associée à une ère d'obscurantisme colonial.<br />
Ainsi les Bogotains s'<strong>en</strong>nui<strong>en</strong>t :<br />
Bogotá s’<strong>en</strong>dort ! Voilà qui est bi<strong>en</strong> vrai. Aujourd’hui la société bogotaine n’a ri<strong>en</strong> pour se<br />
distraire. <strong>Le</strong> théâtre est fermé ; tertulias, bals, concerts, tout est fini, il n’y a plus dans cette<br />
ville qu’une seule occupation : dormir.<br />
Bogotáseduerme!Estosíqueescierto.Hoynocu<strong>en</strong>talasociedadbogotanaconquéni<strong>en</strong><br />
quédistraerse.Elteatroestácerrado;tertulias,bailes,conciertos,todosehaacabado,yano<br />
hay<strong>en</strong>estaciudadsinounaocupación;dormir 101 .<br />
L’opéra, comme tous les spectacles représ<strong>en</strong>tés à Bogotá, marque une rupture par la<br />
t<strong>en</strong>tative d’investir l’espace-temps nocturne.<br />
<strong>Le</strong>s routines faisai<strong>en</strong>t que les semaines se suivai<strong>en</strong>t les une après les <strong>au</strong>tres sans grandes<br />
variations. Pour cette raison, les grandes célébrations collectives pr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t une grande valeur<br />
qui structurait les journées de la capitale […] elles marquai<strong>en</strong>t une rupture 102 .<br />
La nuit dure <strong>au</strong>tant que le jour p<strong>en</strong>dant toute l'année à Bogotá 103 . Ainsi elle prolonge le<br />
quotidi<strong>en</strong> dans le monde du mystère, s’ouvre à l’inconnu et à la superstition, notamm<strong>en</strong>t dans<br />
une ville qui adopte tardivem<strong>en</strong>t l’éclairage public. Au fur et à mesure que pass<strong>en</strong>t les années,<br />
Bogotá propose des cafés et rest<strong>au</strong>rants nocturnes. Dans les années 1870, après le dernier<br />
lever de ride<strong>au</strong>, on allait souper <strong>au</strong> Grand Hotel, comme dans les villes europé<strong>en</strong>nes :<br />
Caprice des mœurs ! Sortir du théâtre, où tout est poésie, idéalisme et spiritualité, pour v<strong>en</strong>ir<br />
dans un hôtel manger de l’ajiaco 104 , des pommes de terre frites, et des œufs brouillés !<br />
Faiblesses humaines !<br />
101<br />
« Crónicas de la ciudad », La Opinión, 28 novembre 1865 (Cité par G. Mejía Pavony, 2000 : 477).<br />
102<br />
« Las rutinas practicadas […] ocasionaban que las semanas se sucedieran unas a otras sin mayor<br />
variación. Por esta razón, las grandes celebraciones colectivas adquirían un gran valor d<strong>en</strong>tro de la<br />
estructura del tiempo que daba forma a las jornadas capitalinas […] eran ruptura » (G.R. Mejía<br />
Pavony, 2000 : 471).<br />
103<br />
Du fait de sa latitude proche de la ligne équatoriale, le jour et la nuit dur<strong>en</strong>t <strong>en</strong>viron douze heures<br />
chacun.<br />
104<br />
Soupe typique de la région de Bogotá faite à base de pommes de terre.<br />
73<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
74<br />
Caprichos de las costumbres! salir del teatro <strong>en</strong> donde todo es poesía, idealismo i<br />
espiritualidad, para v<strong>en</strong>ir a un hotel a comer ajiaco, papas fritas y pericos! Flaquezas<br />
humanas 105 !<br />
Il existe deux espaces nocturnes privilégiés : la maison, véritable châte<strong>au</strong> fort 106 où se<br />
confine l'espace familial et mondain qui déti<strong>en</strong>t les codes de la morale et de la bi<strong>en</strong>séance,<br />
permettant une pratique codée de la galanterie. En marge de cet espace valide se cache<br />
l'espace de l'interdit, celui des pulperías, construit <strong>au</strong>tour de la consommation d'alcool et d'un<br />
rapport s<strong>en</strong>suel et charnel avec la femme. Pour se déplacer dans la ville, les personnes doiv<strong>en</strong>t<br />
porter une lampe ou se faire précéder par un porteur 107 . La ville avait sans doute un aspect<br />
bi<strong>en</strong> particulier avec ses feux follets.<br />
La représ<strong>en</strong>tation théâtrale, rare durant des années, à raison de deux fois par semaine lors<br />
des grandes saisons, acc<strong>en</strong>tue la rupture avec les pratiques quotidi<strong>en</strong>nes. <strong>Le</strong> temps de l’opéra<br />
est un temps cyclique – non uniforme – <strong>en</strong> fonction des visites des compagnies <strong>lyrique</strong>s. Mais<br />
sa situation dans la sphère de l'officiel ou de l'interdit n'est pas toujours clairem<strong>en</strong>t établie.<br />
Pour une partie de la société, le théâtre est une pratique pernicieuse, condamnée par l'église,<br />
dangereuse pour le salut des âmes. En même temps, d'<strong>au</strong>tres y voi<strong>en</strong>t un chemin vers la<br />
civilisation. Ce conflit d'intérêts accompagne chaque saison <strong>lyrique</strong> et dramatique – il peut <strong>en</strong><br />
partie expliquer le choix d'un sujet biblique pour le premier opéra colombi<strong>en</strong>, Ester. D’où des<br />
réactions comme celle qui suit, qui mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> scène un contrepoint lexical opposant les<br />
termes de civilisation et d’obscurantisme :<br />
Un estimable curé a c<strong>en</strong>suré âcrem<strong>en</strong>t les personnes qui assistai<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x théâtres. Ces<br />
conceptions n'éveill<strong>en</strong>t <strong>en</strong> nous que de la tristesse : on <strong>au</strong>ra be<strong>au</strong> dire que nous sommes dans un<br />
pays civilisé, où la tolérance existe, nous nous retrouvons comme il y a vingt ans, dans le<br />
même obscurantisme et la même régression.<br />
Unrespetadosacerdotec<strong>en</strong>suróacrem<strong>en</strong>tealaspersonasqueconcurríanalosteatros.Esos<br />
conceptosdespiertan<strong>en</strong>nosotrostansolotristeza;pormuchoquedigamosqueestamos<strong>en</strong><br />
unpaíscivilizado,<strong>en</strong>dondeexistelatolerancia,estamoscomoahoraveinteaños,<strong>en</strong>el<br />
mismooscurantismoi<strong>en</strong>elmismoatraso 108 .<br />
Vers 1855 – et c’est sans doute à cet incid<strong>en</strong>t que fait allusion l’<strong>au</strong>teur de l’article cité – un<br />
curé avait giflé publiquem<strong>en</strong>t le dramaturge José María Samper, <strong>au</strong>teur d’Un alcalde a la<br />
antigua, pour exprimer son désaccord avec le drame Dios corrige, no mata (Dieu corrige, ne<br />
105<br />
« ¡Qué se repita! », Diario de Cundinamarca (VII.1911), samedi 22 avril 1876 : 563.<br />
106<br />
G.R. Mejía Pavony, 2000 : 153.<br />
107<br />
Ibid. : 438.<br />
108<br />
« Teatro » (R.L.C.), Diario de Cundinamarca (V.1278), 7 mars 1874 : 424.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
tue pas) 109 . Durant les années suivantes, l’anecdote sera évoquée à plusieurs reprises pour<br />
montrer du doigt une Église intolérante et réactionnaire.<br />
Pourquoi un tel rejet de la part de l’Église ? Sans doute <strong>en</strong> réaction à ce regard qui a<br />
t<strong>en</strong>dance à érotiser la scène ; ce regard masculin, androc<strong>en</strong>triste 110 , le seul à avoir accès à la<br />
prise de parole et qui nous a laissé tous les témoignages de l’opéra à Bogotá.<br />
2.2.5.<br />
La société du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> à Bogotá est une société d'exclusion des g<strong>en</strong>res. On parle du be<strong>au</strong><br />
sexe et du sexe fort 112 . Au Coliseo, deux scènes se font face, comme d’ailleurs dans tous les<br />
théâtres d’opéras. Sur le prosc<strong>en</strong>ium la donna est idéalisée par sa be<strong>au</strong>té, sa jeunesse et sa<br />
dextérité vocale. Il s'agit toujours d’une femme europé<strong>en</strong>ne, la seule qui puisse monter sur<br />
scène sans être discréditée dans un monde où le théâtre effraie (preuve <strong>en</strong> est l'abs<strong>en</strong>ce de<br />
femmes colombi<strong>en</strong>nes dans les spectacles ou dans les chœurs d'opéras).<br />
Cep<strong>en</strong>dant, la condition d'acteur et d'actrice évolue positivem<strong>en</strong>t durant le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Rappelons qu’<strong>au</strong> début du <strong>siècle</strong>, leurs dépouilles ne pouvai<strong>en</strong>t être <strong>en</strong>terrées <strong>au</strong> cimetière de<br />
Bogotá 113 . Mais les temps chang<strong>en</strong>t et vers 1870 ce sont eux qui amèn<strong>en</strong>t le bon goût, et qui<br />
dit bon goût à cette époque dit civilisation. La prima donna n'est plus seulem<strong>en</strong>t une femme<br />
belle et europé<strong>en</strong>ne ; elle devi<strong>en</strong>t à son tour le personnage qu'elle incarne. Tous y<br />
reconnaiss<strong>en</strong>t les héroïnes romantiques de Chate<strong>au</strong>briand, Byron, Lamartine ou Hugo. La<br />
scène déshumanise ces prime donne qui perd<strong>en</strong>t leur humanité et devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l’idéal féminin,<br />
le weiblich, de leurs personnages, ajoutant avec leur faciès europé<strong>en</strong> une touche d’exotisme<br />
r<strong>en</strong>versé. Aux <strong>au</strong>teurs de pr<strong>en</strong>dre leurs plumes pour leur <strong>en</strong>voyer des vers, saison après<br />
saison :<br />
109 M. Lamus Obregón, 2004 : 134.<br />
110 <strong>Le</strong> néologisme <strong>en</strong> anglais est de M. L. Pratt, 1992 :193.<br />
111 « <strong>Le</strong>s plus charmantes fleurs de notre riant et délicieux jardin »<br />
112 S. Bermúdez Quintana, 1993.<br />
113 M. Lamus Obregón, 2004 : 68.<br />
Las más galanas flores de nuestro risueño p<strong>en</strong>sil 111 .<br />
Diario de Cundinamarca (V.1281), 11 mars 1874.<br />
75<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
76<br />
¿Quiéntuvivazmirada<br />
Puedeatreverseacontemplar<strong>en</strong>calma<br />
Sins<strong>en</strong>tirsubyugada,<br />
Esclava,avasallada,<br />
A la luz de tus ojos la del alma 114 ?<br />
La zarzuela prés<strong>en</strong>te une rupture à cette conception de la femme-actrice : les personnages<br />
mis <strong>en</strong> scène font partie du quotidi<strong>en</strong>. On ne va plus célébrer un personnage dramatique, mais<br />
l’actrice <strong>en</strong> chair et <strong>en</strong> os qui joue le rôle. Sans <strong>en</strong>trer dans une étude de g<strong>en</strong>re, on peut se<br />
poser la question de savoir si ces actrices europé<strong>en</strong>nes ont eu une quelconque influ<strong>en</strong>ce sur la<br />
condition de la femme dans les sociétés latino-américaines du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Si <strong>au</strong> nom de l’art,<br />
le public a comm<strong>en</strong>cé à accepter que ses propres femmes mont<strong>en</strong>t sur les scènes de théâtre.<br />
Ou si <strong>au</strong> contraire elles étai<strong>en</strong>t dépourvues de tout côté humain, et apparaissai<strong>en</strong>t comme des<br />
divinités v<strong>en</strong>ues pour plaire et <strong>en</strong>chanter le public selon les époques.<br />
Une deuxième scène fait face <strong>au</strong>x planches du théâtre : les loges. Car l'opéra est <strong>au</strong>ssi un<br />
scénario social. La prés<strong>en</strong>ce d’un public féminin vi<strong>en</strong>t relever le déroulem<strong>en</strong>t d’une soirée et<br />
constitue un partie intégrante du décor de la salle. <strong>Le</strong>s assimilant à des « fleurs » ou à des<br />
« astres », les hommes peign<strong>en</strong>t une véritable cosmographie galante :<br />
<strong>Le</strong>s pupilles bleues, couleur du ciel, tournant dans de charmantes orbites, et les yeux noirs,<br />
éparpillant des rayons d'amour et d'espérance, mêlai<strong>en</strong>t leur lumière et reh<strong>au</strong>ssai<strong>en</strong>t ainsi la<br />
lueur des lampes qui p<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t dans l'<strong>en</strong>ceinte.<br />
Laspupilasazules,colordelcielo,girando<strong>en</strong>órbitasprimorosas,ilosojosnegrosesparci<strong>en</strong>do<br />
rayosdeamoriesperanzamezclabansuluzirealzabanconellalalumbredelaslámparas<br />
p<strong>en</strong>di<strong>en</strong>tesatrechos<strong>en</strong>elrecinto 115 .<br />
La femme se fond dans les décors du spectacle, comme lors de cette représ<strong>en</strong>tation de La<br />
Traviata :<br />
Profusion de lumières, luxe des décorations, grand apparat scénique, ri<strong>en</strong> ne manquait hier soir.<br />
Et nous devons ajouter que la be<strong>au</strong>té féminine eut <strong>au</strong>ssi ses dignes représ<strong>en</strong>tantes qui servir<strong>en</strong>t<br />
d'ornem<strong>en</strong>t et de complém<strong>en</strong>t à la séance.<br />
Profusióndeluces,lujodedecoraciones,grandesaparatosescénicos,nadadeesofaltó<br />
anoche.Idebemosagregarquelabellezafem<strong>en</strong>inatuvotambiénsusdignasrepres<strong>en</strong>tantes<br />
quesirvierondeornatoicomplem<strong>en</strong>toalafunción 116 .<br />
114<br />
« A la simpática y muy distinguida cantatriz española Señora Josefa Mateo » (Fil<strong>en</strong>o), El Verjel<br />
colombiano (III.27), 29 avril 1874 : 213.<br />
115<br />
« Compañía lírica », Diario de Cundinamarca (V.1238), 19 janvier 1874 : 262.<br />
116<br />
« La Traviata », Diario de Cundinamarca (V.1279), 9 mars 1874 : 426.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Qui, ton vif regard<br />
Peut oser contempler dans le calme<br />
Sans s<strong>en</strong>tir subjuguée,<br />
Esclave, soumise,<br />
Àlalumièredetesyeux,celledel’âme?
Dans les deux cas, le regard (masculin) est le même : la femme est un objet de<br />
contemplation, elle est paysage 117 , dans cette vision androc<strong>en</strong>triste du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Que ce<br />
soit celle qui joue de son corps et de sa voix ; que ce soit celle qui fait preuve de qualités<br />
morales (puisque intéressée et touchée par l’opéra), la femme est désir, et la verbalisation de<br />
ce désir ne peut être que poétisée.<br />
En revanche que peut-on dire, si ce n'est que le strict nécessaire, sur les hommes ?<br />
N’oublions pas Colucci, Zucchi et Pelleti [chanteurs de la saison] ; mais du fait d'appart<strong>en</strong>ir <strong>au</strong><br />
sexe fort, il est naturel qu’ils ne nous produis<strong>en</strong>t pas de si douces émotions que le sexe faible.<br />
Nosequedaronatrás<strong>en</strong>mim<strong>en</strong>teColucci,ZucchiiPelletti,sinoporpert<strong>en</strong>eceralsexofuerte<br />
que,comoesmuynatural,nonosproducetandulcesemocionescomoelsexodébil 118 .<br />
<strong>Le</strong> ténor Colucci, créateur d’Asuero dans Ester, jouit à Bogotá d’un grand accueil ; on parle<br />
d’un timbre de voix nouve<strong>au</strong>, sans précéd<strong>en</strong>t 119 . <strong>Le</strong>s éloges que lui réserve la critique sont<br />
d’un tout <strong>au</strong>tre ordre. Il est comparé à une nature grandiose et puissante, <strong>au</strong>x chutes de<br />
Tequ<strong>en</strong>dama 120 :<br />
On peut dire de Colucci ce que l'on dit de notre Tequ<strong>en</strong>dama : qu'il était terriblem<strong>en</strong>t be<strong>au</strong>.<br />
Bi<strong>en</strong> puede decirse de Colucci lo que se dice de nuestro Tequ<strong>en</strong>dama, que estaba<br />
terriblem<strong>en</strong>tebello 121 .<br />
L’opéra est représ<strong>en</strong>tation, et la représ<strong>en</strong>tation du corps touche un problème majeur dans les<br />
sociétés latino-américaines. C’est <strong>en</strong> effet par le corps, et à travers son rapport avec le monde,<br />
que certains groupes se différ<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>t des <strong>au</strong>tres dans la construction de la nation 122 . <strong>Le</strong>s<br />
formes de nudité sont rejetées, comme marquant la limite <strong>en</strong>tre monde s<strong>au</strong>vage et civilisé.<br />
Même à l’opéra la quasi-nudité scandalise. Il va de soi que dans ces conditions, le ballet sera<br />
toujours rejeté de la scène. En 1865 on annonce l’arrivée du baryton Petrilli et de sa femme,<br />
« célèbre danseuse 123 ». Cep<strong>en</strong>dant, la presse ne parle pas de ballets dansés dans des opéras. Il<br />
f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre 1880 pour que la compagnie Desantis arrive à Bogotá avec le premier corps de<br />
ballet assez complet 124 . <strong>Le</strong>s premiers spectacles provoqu<strong>en</strong>t des tollés d’indignation ; les<br />
117 « […] the woman is landscape », M.L. Pratt, 1992 : 193.<br />
118 « Teatro », Diario de Cundinamarca (V.1351), 16 juin 1874 : 715.<br />
119 Pourquoi Ponce de <strong>Le</strong>ón n’a-t-il pas écrit d’aria pour ténor solo dans Ester ?<br />
120 Chutes d’e<strong>au</strong> <strong>au</strong>x <strong>en</strong>virons de Bogotá. Au <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, tout voyageur se r<strong>en</strong>dant à Bogotá ne<br />
pouvait partir de la ville sans avoir connue cette nature <strong>en</strong>core s<strong>au</strong>vage et impressionnante.<br />
121 « Teatro », Diario de Cundinamarca (V.1256), 10 février 1874 : 337.<br />
122 Voir l’ouvrage de Z. Pedraza Gómez, 1999.<br />
123 « Nueva Compañía lírica », La Opinión (III.100), 4 janvier 1865 : 7.<br />
124 M. Lamus Obregón, 2004 : 399.<br />
77<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
78<br />
dames se retir<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant le spectacle <strong>en</strong> signe de protestation. Pourtant le ballet finit par être<br />
supporté par le public :<br />
Cette belle représ<strong>en</strong>tation [de Lucia] prit fin avec un ballet bi<strong>en</strong> exécuté, <strong>au</strong>quel tout le public a<br />
assisté, malgré le scandale qu’avai<strong>en</strong>t provoqué la veille les habits des danseuses, habits<br />
indisp<strong>en</strong>sables pour distinguer et admirer les pas difficiles et les figures recherchées, <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong><br />
que pour donner <strong>au</strong> spectacle une certaine irréalité qui <strong>en</strong> fait une vision fantastique sans ri<strong>en</strong><br />
de terrestre et qui par conséqu<strong>en</strong>t ne peut constituer un motif de scandale pour ceux qui n’y<br />
vont que pour admirer les be<strong>au</strong>tés de l’art.<br />
Finalizótanbellafunciónconunbailebi<strong>en</strong>ejecutado,alcualseaguardótodalaconcurr<strong>en</strong>cia,<br />
apesardelescándaloquehabíanc<strong>au</strong>sadolanocheanteriorlosvestidosdelasartistas,<br />
vestidosquesonindisp<strong>en</strong>sablestantoparaquesepuededistinguirseyadmirarselosdifíciles<br />
pasosyacompasadasfigurasqueejecutan,comoparadaralespectáculociertaidealidadque<br />
lohaceaparecercomounavisiónfantásticaqu<strong>en</strong>adati<strong>en</strong>edeterr<strong>en</strong>alyqueporlomismono<br />
puedesermotivodeescándaloparalosquesolovamosaadmirarlasbellezasdelarte 125 .<br />
2.3. Opéraitali<strong>en</strong>,zarzuelaetopéranational<br />
Funcióndeteatro<br />
Llovióal<strong>en</strong>trar,ymuchahermosadama<br />
Hechasopaycontosalpalcollega.<br />
Sealzaeltelón,y<strong>en</strong>toncess<strong>en</strong>osruega<br />
Queexcusemosuncambio<strong>en</strong>elprograma.<br />
<br />
EmpiezaelCanto.Desdeelcoroinflama<br />
Pormofaochistealpúblicounalega<br />
Olegodelpaís;ynososiega<br />
Aunquetru<strong>en</strong><strong>en</strong>lamúsicayeldrama.<br />
<br />
Siemprequeelritmoesllano,algúnvecino<br />
Consupalootacónmárcaloexacto;<br />
Yotrovaelariacanturreandoindino.<br />
<br />
Cigarrillodoquier;cada<strong>en</strong>treacto<br />
Enorme…Enfin,desértomemohíno<br />
YdemiamoralArtemeretracto.<br />
RafaelPombo 126 <br />
Au terme de cette première partie, le lecteur dispose d’élém<strong>en</strong>ts pour se faire une idée de la<br />
réalité du spectacle <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> Amérique. La vie musicale à Bogotá a été décrite, dessinant un<br />
cadre historique et culturel, utile pour la suite de notre analyse. Sans ces informations il serait<br />
impossible de bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre notre étude, véritable zoom sur certains noms évoqués jusqu’à<br />
125 « Ópera Italia », El Zipa (III.1), 14 août 1880 : 37.<br />
126 R. Pombo, Mns/1970 : 369.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Séance de théâtre<br />
Comme il pleuvait, de belles dames<br />
Trempées, toussant, arriv<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x loges<br />
La toile se lève, et on nous prie<br />
D’excuser un changem<strong>en</strong>t dans le programme.<br />
<strong>Le</strong> Chant comm<strong>en</strong>ce. Depuis le chœur on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<br />
Par raillerie, un ignorant<br />
Ou ignorante du pays et ils ne s’apais<strong>en</strong>t pas<br />
Même si la musique et le drame tonn<strong>en</strong>t.<br />
Lorsque le rythme devi<strong>en</strong>t plat, quelqu’un<br />
Bat la mesure soit avec son bâton, soit avec son pied<br />
Un <strong>au</strong>tre chantonne l’aria sans <strong>au</strong>cun embarras<br />
Des cigarettes partout, chaque <strong>en</strong>tracte<br />
Eternel… <strong>en</strong>fin je déserte tristem<strong>en</strong>t<br />
En me rétractant de mon amour pour l’Art.
prés<strong>en</strong>t : tout d’abord Ponce de <strong>Le</strong>ón, seul compositeur d’opéras, père de l’opéra bogotain.<br />
Mais égalem<strong>en</strong>t ses ouvrages, Ester, El Castillo misterioso et Florinda, qui seront prés<strong>en</strong>tés<br />
<strong>en</strong> deuxième partie.<br />
Ce premier chapitre, que l’on pourrait définir comme une brève histoire de l’opéra <strong>en</strong><br />
Amérique, rappelle les princip<strong>au</strong>x traits de la conquête <strong>lyrique</strong>. Spectacles <strong>lyrique</strong>s<br />
indissociables du pouvoir p<strong>en</strong>dant toute l’époque coloniale ; opéras comme signes de progrès<br />
pour les nouvelles nations du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Loin d’être exh<strong>au</strong>stive, cette description<br />
s’accompagne de certaines réflexions culturelles et anthropologiques qui montr<strong>en</strong>t cette<br />
transculturation <strong>lyrique</strong> sous différ<strong>en</strong>ts angles, qu’il serait par ailleurs intéressant de comparer<br />
avec d’<strong>au</strong>tres contin<strong>en</strong>ts.<br />
Nous avons prés<strong>en</strong>té le cas particulier de Bogotá – mais Bogotá est la nation – et de ses<br />
institutions musicales qui présageai<strong>en</strong>t difficilem<strong>en</strong>t l’émerg<strong>en</strong>ce d’une pratique <strong>lyrique</strong>,<br />
<strong>en</strong>core moins d’opéras colombi<strong>en</strong>s. Nous nous sommes attaché à nommer les différ<strong>en</strong>tes<br />
compagnies <strong>lyrique</strong>s, vecteurs de civilisation, sans lesquelles tout opéra eût été impossible<br />
dans le contin<strong>en</strong>t américain. Enfin nous avons décrit la pratique de cet opéra à Bogotá, ses<br />
spectacles, son édifice, le Coliseo Maldonado sous l’œil androc<strong>en</strong>triste de son public.<br />
Dans ce contexte, l’opéra est cassure dans les pratiques sociales des habitants ; l’opéra est<br />
rupture dans le répertoire musical, passage abrupt de la miniature musicale <strong>au</strong> gigantisme<br />
d’un spectacle accompagné d’un <strong>en</strong>semble important, sans œuvres intermédiaires (sonate,<br />
musique de chambre, symphonie).<br />
<strong>Le</strong> musicologue Gerard Béhague distingue quatre périodes dans l’histoire musicale de<br />
l’Amérique Latine : assimilation, imitation, récréation et transformation du répertoire 127 . Dans<br />
le cas de la <strong>Colombie</strong>, nous pouvons appliquer les deux premières phases – assimilation et<br />
imitation – à la production musicale du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. C’est dans ce cadre théorique que nous<br />
pouvons compr<strong>en</strong>dre la notion d’opéra national. Dans les années qui nous intéress<strong>en</strong>t, le<br />
national est l’imitation de l’europé<strong>en</strong> (contrairem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x écoles dites « nationales » <strong>en</strong> Europe<br />
qui cherch<strong>en</strong>t l’originalité dans le particularisme). National est à compr<strong>en</strong>dre dans le s<strong>en</strong>s<br />
d’une production locale, dans la mesure du possible avec des interprètes loc<strong>au</strong>x, comme<br />
l’explique un proche du compositeur mexicain Melesio Morales <strong>en</strong> 1866 :<br />
Si le pays a des <strong>au</strong>teurs et des interprètes, nous n’<strong>au</strong>rons plus besoin d’étrangers pour créer et<br />
élever un art national.<br />
127 G. Béhagues, 1979 : 285.<br />
79<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
80<br />
T<strong>en</strong>i<strong>en</strong>doelpaís<strong>au</strong>toreseintérpretespropios,nonecesitaremosextrañosparacrearyelevar<br />
unart<strong>en</strong>acional 128 .<br />
Assimilation et imitation, la critique postcoloniale rep<strong>en</strong>se ces pratiques <strong>au</strong> moy<strong>en</strong> de<br />
nouve<strong>au</strong>x outils : les zones de contact, espaces privilégiés de la transculturation. <strong>Le</strong> Coliseo<br />
dans les différ<strong>en</strong>tes villes est une de ces zones de contact – contact zones d’après<br />
l’anthropologue Mary Louise Pratt –, de mise <strong>en</strong> contact d’individus <strong>au</strong> préalable séparés par<br />
une conjoncture géographique et historique dans un même espace-temps 129 , qui discut<strong>en</strong>t et<br />
interagiss<strong>en</strong>t dans une relation asymétrique de domination et de subordination 130 . Cette zone<br />
de contact opère une transculturation, passage de culture, de savoirs ; une façon pour les<br />
sujets colonisés de se représ<strong>en</strong>ter eux-mêmes avec les termes des colonisateurs 131 . En ce s<strong>en</strong>s<br />
l’opéra permet de créer une culture europé<strong>en</strong>ne, de se s<strong>en</strong>tir europé<strong>en</strong> ; notion que nous avons<br />
assimilée, selon les écrits de l’époque, <strong>au</strong> progrès.<br />
Pour le mom<strong>en</strong>t, l’idéal id<strong>en</strong>titaire réside <strong>en</strong> Europe. La critique postcoloniale, sous la<br />
plume de Saïd, Bhabha et Spivak, nous explique que le colonialisme, puis l’impérialisme, <strong>en</strong><br />
plus d’un projet territorial et économique, avait pour int<strong>en</strong>tion la construction de nouve<strong>au</strong>x<br />
sujets. L’éducation des natifs, projet impérialiste s’il <strong>en</strong> est, façonne des personnes<br />
dép<strong>en</strong>dantes et subordonnées à une <strong>au</strong>torité et un mode de vie allochtone 132 . Au <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>,<br />
l’une des principales composantes de la culture europé<strong>en</strong>ne est « l’idée que l’id<strong>en</strong>tité<br />
europé<strong>en</strong>ne est supérieure <strong>en</strong> comparaison <strong>au</strong>x peuples et cultures non-europé<strong>en</strong>s 133 ».<br />
<strong>Le</strong>s prémices de l’opéra, puis l’opéra <strong>en</strong> Amérique Latine, se pos<strong>en</strong>t alors comme un « outil<br />
culturel constructeur de s<strong>en</strong>s 134 » : celui de l’appart<strong>en</strong>ance à une élite. Quête d’une<br />
appart<strong>en</strong>ance ibérique puis europé<strong>en</strong>ne, donc lointaine et étrangère, l’opéra comme<br />
production culturelle est-il voué à l’échec ?<br />
Dans un mom<strong>en</strong>t de recherche id<strong>en</strong>titaire, acc<strong>en</strong>tuée <strong>au</strong> sortir du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, l’opéra est<br />
une étape cruciale dans cette dynamique sociologique : musique espagnole, itali<strong>en</strong>ne ou<br />
128<br />
Rapporté par Melesio Morales <strong>en</strong> 1866. Cité par K. Bellingh<strong>au</strong>s<strong>en</strong> dans l’introduction de<br />
M. Morales, Mns/1999 : XXV.<br />
129<br />
« “Contac zone” is an attempt to invoke the spatial and temporal copres<strong>en</strong>ce of subjects previously<br />
separated by geographic and historical disjunctures, and whose trajectories now intersect. »<br />
(M. L. Pratt, 1992 : 7).<br />
130<br />
« Social spaces where disparate cultures meet, clash, and grapple with each other, oft<strong>en</strong> in highly<br />
asymmetrical relation of domination and subordination… » (Ibid. : 4).<br />
131<br />
« Instances in witch colonized subjects undertake to repres<strong>en</strong>t themselves in ways that <strong>en</strong>gage with<br />
colonizer’s own terms. » (Ibid. : 6).<br />
132<br />
Thèse sout<strong>en</strong>ue par E. Saïd dans Ori<strong>en</strong>talism. Voir M. Sarup, 1999 : 22.<br />
133 Ibid.<br />
134 P. Vila, 2002 : 23.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
française, point culminant de l’initiative d’une culture hégémonique qui veut reproduire<br />
l’<strong>en</strong>vahisseur, puis l’échec lors de l’articulation avec le local. Par articulation nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons<br />
la projection de la musique sur une population à travers le discours contradictoire de la<br />
critique qui lui donne un s<strong>en</strong>s, bi<strong>en</strong> plus important que celui de sa facture artisanale 135 .<br />
L’opéra latino-américain ne s’intègre-t-il pas à la nouvelle définition de la culture proposée<br />
par le sociologue Wallerstein ? « La culture est une série de phénomènes différ<strong>en</strong>ts d’une<br />
<strong>au</strong>tre série de phénomènes (« plus raffinés » que ceux-ci) <strong>au</strong> sein du même groupe 136 . » Dans<br />
un monde <strong>en</strong> quête de son id<strong>en</strong>tité politique, de t<strong>en</strong>sions sociales, le théâtre <strong>lyrique</strong> apparaît<br />
comme catalyseur et dissipateur de t<strong>en</strong>sions 137 . Il est donc inutile de mesurer son importance<br />
<strong>en</strong> fonction de la qualité du répertoire joué, du nombre d’œuvres portées à la scène, du<br />
nombre de créations colombi<strong>en</strong>nes données chaque année, ni d’après les critiques<br />
<strong>en</strong>thousiastes ou hostiles <strong>au</strong> spectacle. L’opéra et la zarzuela ne peuv<strong>en</strong>t pas être détachés de<br />
leur rôle social : les habitants de Bogotá cherch<strong>en</strong>t dans leurs divertissem<strong>en</strong>ts à établir un<br />
modèle de vie à l’image lointaine de ce qui se passe dans le vieux contin<strong>en</strong>t. L’<strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t<br />
pour l’europé<strong>en</strong> s’explique alors par ce besoin de sortir de la barbarie coloniale et de pénétrer<br />
de plein fouet dans un monde civilisé.<br />
Musicalem<strong>en</strong>t, la production de zarzuelas et d’opéras est fondam<strong>en</strong>tale pour atténuer la<br />
distance qui existe avec l’Europe. Des compositeurs comme Rossini, Bellini, Auber, plus tard<br />
Verdi, sont le point de jonction <strong>en</strong>tre un pays qui a tout à découvrir et un monde <strong>au</strong> sommet<br />
de son art <strong>lyrique</strong>. Alors que la Bellini, la Rossina, la Thiolier, la Cavaletti, la Florellini de<br />
Balma, les sœurs Bice et Elisa D’Aponte ou la B<strong>en</strong>ic triomph<strong>en</strong>t successivem<strong>en</strong>t sur les<br />
planches de Bogotá, les compositeurs colombi<strong>en</strong>s comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à écrire des danses et des<br />
mélodies pour le piano, les premiers écrivains répand<strong>en</strong>t dans leurs romans la veine<br />
romantique 138 .<br />
C’est dans ce cadre culturel complexe que se situ<strong>en</strong>t la vie et l’œuvre de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Ses opéras sont le résultat d’une assimilation inconditionnelle des modèles <strong>lyrique</strong>s prés<strong>en</strong>ts à<br />
Bogotá.<br />
135 Ibid.<br />
136 I. Wallerstein, 1999 : 165.<br />
137 B. Yépez, 1996.<br />
138 <strong>Le</strong> roman María (1863) de Jorge Isaacs est considéré comme le premier chef-d’œuvre de la<br />
littérature colombi<strong>en</strong>ne romantique.<br />
81<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
3. JoséMaríaPONCEDELEÓN(18451882),compositeur<br />
colombi<strong>en</strong>d’opéras<br />
C<br />
onnaître Ponce de <strong>Le</strong>ón, retracer son parcours, écrire sa biographie, voilà qui devint<br />
un travail passionnant, alors que tous semblai<strong>en</strong>t avoir oublié l’artiste. Peu à peu, <strong>au</strong><br />
fil des lectures, trouvailles sur trouvailles, il a été possible de découvrir un compositeur, dont<br />
même la date de naissance pose problème.<br />
En quelle année naît Ponce de <strong>Le</strong>ón ?<br />
Selon Rafael Pombo, José María naquit le 16 février 1845 à Bogotá 1 . Toutes les biographies<br />
du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> conserv<strong>en</strong>t 1845 comme date de naissance. Quelques années plus tard, le<br />
musicologue Perdomo Escobar rajeunit le compositeur d’une année, plaçant sa naissance <strong>en</strong><br />
1846. Cette erreur se retrouve dans les plus réc<strong>en</strong>ts ouvrages et apparaît dans toutes les pages<br />
d’Internet faisant référ<strong>en</strong>ce <strong>au</strong> compositeur. Nous avons cherché sans succès son acte de<br />
baptême <strong>au</strong>x archives de la Cathédrale de Bogotá. A-t-il brûlé lors de l’inc<strong>en</strong>die des archives<br />
<strong>en</strong> 1947 ? Même sa tombe reste muette : <strong>au</strong>cune date, <strong>au</strong>cun r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t, si ce n’est le nom<br />
du compositeur sur une sobre plaque <strong>en</strong> béton.<br />
L’acte de décès du compositeur vi<strong>en</strong>t embrouiller les pistes <strong>en</strong> précisant que celui-ci est<br />
décédé « à l’âge de 41 ans ». Or, que l’on place sa naissance <strong>en</strong> 1845 ou 1846, cela lui donne<br />
tout <strong>au</strong> plus… 37 ans. À croire qu’il s’agit ici d’une erreur de copie lors de la saisie<br />
typographique des archives manuscrites du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
On connaît <strong>en</strong> revanche, et sans équivoque, la date de sa mort. La presse fait écho de la<br />
disparition inatt<strong>en</strong>due de Ponce de <strong>Le</strong>ón le 21 septembre 1882 à onze heures du soir 2 . Date<br />
que vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t confirmer deux docum<strong>en</strong>ts officiels : l’acte de décès 3 , ainsi que les archives du<br />
cimetière de Bogotá 4 . Ponce de <strong>Le</strong>ón a donc vécu à Bogotá <strong>en</strong>tre 1845 et 1882. Il meurt à<br />
l’âge de 37 ans d’une mort dont nous ignorons la c<strong>au</strong>se. Il <strong>au</strong>ra connu deux régimes<br />
politiques, deux grandes guerres civiles et <strong>au</strong>ra traversé une époque fascinante dans l’histoire<br />
du pays, marquée par le débat passionné de la construction d’une id<strong>en</strong>tité nationale. <strong>Le</strong>s<br />
artistes se mobilis<strong>en</strong>t pour établir des repères culturels, à la tête desquels le poète Rafael<br />
Pombo, ami de Ponce, librettiste et promoteur d’un opéra national.<br />
1<br />
R. Pombo, 1874 : 9.<br />
2<br />
R[afael] P[ombo], « José María Ponce de <strong>Le</strong>ón », El Conservador (II, 158), 23 septembre 1882 : 630.<br />
3<br />
Archivo G<strong>en</strong>eral de la Nación, Congreso, Notaria 2ª de Bogotá, “Defunciones” (187) folios 371 r° et<br />
v°; 400 v° et 401 r°.<br />
4<br />
Archivo de Bogotá “EDIS Cem<strong>en</strong>terios” A-Z. N° top. 201-236-0705 : 42.
Image 1: Portrait de Ponce de <strong>Le</strong>ón par Felipe Gutiérrez,<br />
gravé par A. Rodriguez ( Papel periodico ilustrado)<br />
<strong>Le</strong> portrait physique de Ponce était la copie fidèle de sa physionomie morale : traits énergiques, regard<br />
sévère mais doux, front ouvert et h<strong>au</strong>tain cerclé par des rides qui annonçai<strong>en</strong>t <strong>au</strong>tant de difficultés<br />
vaincues ; et ses cheveux noirs et libres, que quelques cheveux blancs v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t arg<strong>en</strong>ter.<br />
Âme errante, toujours <strong>en</strong> lutte avec les matérialités de la vie, on ne pouvait l’oublier une fois vu ; et sa<br />
supériorité s’imposait à tous ceux qui avai<strong>en</strong>t à faire avec lui. La Sybille, qui r<strong>en</strong>dait immortels les<br />
hommes de l’Antiquité, semblait avoir veillé son berce<strong>au</strong> et oint sa tête avec l’huile des élus.<br />
ElretratofísicodePonceer<strong>au</strong>ntrasuntofieldesufisionomíamoral:facciones<strong>en</strong>érgicas,miradaseveraperodulce,<br />
fr<strong>en</strong>teespaciosayaltivasurcadaporarrugasqueanunciabanotrastantasdificultadesv<strong>en</strong>cidas;yelpelonegroy<br />
resuelto,arg<strong>en</strong>tadoaquíyalláporunaqueotracanaprematura.<br />
Almaviajeraluchandosiempreconlasmaterialidadesdelavida,noseborrabadelamemori<strong>au</strong>navezvisto;ysu<br />
superioridadseimponíaatodoslosquelotrataban.LaSibila,quehacíainmortalesaloshombresdelaantigüedad,<br />
comoquehabíaarrulladosucunayungidosucabezaconelóleodelosescogidos 5 .<br />
5 J. M. Rosales, « A la memoria de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón », El Telegrama (VII.2041),<br />
16 août 1893 : 8131.<br />
83<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
84<br />
Nous allons à prés<strong>en</strong>t proposer une biographie du compositeur. Tout d’abord il nous a<br />
semblé ess<strong>en</strong>tiel d’effectuer ce récit <strong>en</strong> parallèle avec l’histoire de la <strong>Colombie</strong>. L’œuvre de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón est à maints égards tributaire du contexte historique et culturel des années<br />
1870-1880. Même si c’est une période criblée de guerres civiles, Ponce de <strong>Le</strong>ón a vécu le<br />
meilleur mom<strong>en</strong>t pour s’<strong>en</strong>gager dans la construction d’un opéra national.<br />
Après avoir détaillé le modus operandi que nous avons utilisé pour cette partie de notre<br />
étude, nous prés<strong>en</strong>tons le compositeur selon trois grandes périodes, de longueurs inégales,<br />
mais que nous croyons être marquantes dans sa vie.<br />
Au c<strong>en</strong>tre d’une vie vécue à Bogotá, un court séjour à <strong>Paris</strong> (1867-1870), expéri<strong>en</strong>ce<br />
<strong>en</strong>richissante s’il <strong>en</strong> est pour tout musici<strong>en</strong> latino-américain confronté <strong>au</strong>x limites<br />
académiques de son contin<strong>en</strong>t. Nous insistons particulièrem<strong>en</strong>t sur ces premières années<br />
(1845-1870) qui s’étal<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre Bogotá et <strong>Paris</strong>, formatrices et marquantes pour le jeune<br />
musici<strong>en</strong>. À son retour <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, Ponce de <strong>Le</strong>ón est chef de la banda militaire de Bogotá.<br />
Nous insisterons sur l’importance de cette fonction dans le parcours du musici<strong>en</strong> : la pratique<br />
professionnelle du chef devi<strong>en</strong>t un laboratoire d’écriture pour le compositeur. Nous nous<br />
sommes moins attardé sur la période 1870-1882, véritable chemin vers la maturité. Ces douze<br />
années recoup<strong>en</strong>t les chapitres de la 2 e partie, consacrés à l’étude des trois œuvres <strong>lyrique</strong>s de<br />
Ponce prés<strong>en</strong>tées à Bogotá.<br />
3.1. Poncede<strong>Le</strong>ón<strong>au</strong>jourd’hui<br />
Établir <strong>au</strong>jourd’hui une biographie précise de Ponce de <strong>Le</strong>ón reste un travail difficile. Au<br />
terme de notre étude réalisée <strong>en</strong>tre Bogotá et <strong>Paris</strong>, nous avons pu regrouper de nombreuses<br />
informations éparses ; nous avons découvert des docum<strong>en</strong>ts et des informations qui nous <strong>en</strong><br />
dis<strong>en</strong>t davantage sur la vie du compositeur. Cep<strong>en</strong>dant, be<strong>au</strong>coup de questions subsist<strong>en</strong>t.<br />
Avant donc de reconstituer une biographie du compositeur, nous allons prés<strong>en</strong>ter le cadre<br />
contextuel de notre travail et le corpus adjac<strong>en</strong>t des écrits qui nous ont servi à rétablir une<br />
image objective de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
3.1.1.<br />
<strong>Le</strong> compositeur mort, son souv<strong>en</strong>ir a survécu une dizaine d’années à Bogotá, pour <strong>en</strong>suite<br />
disparaître avec le nouve<strong>au</strong> <strong>siècle</strong>. Aucune archive personnelle ni correspondance n’ont été<br />
conservées. Ses <strong>en</strong>fants, Maria Ester et Francisco perd<strong>en</strong>t leur père alors qu’ils sont <strong>en</strong>core <strong>en</strong><br />
bas âge. L’ayant à peine connu, impossible de tisser de véritables li<strong>en</strong>s, de transmettre une<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
mémoire familiale. Par ailleurs, la famille <strong>au</strong>rait eu des difficultés économiques. Au cours des<br />
nombreux déménagem<strong>en</strong>ts, <strong>en</strong> proie à des difficultés matérielles, le patrimoine de José María<br />
a peu à peu été perdu. Rares sont les objets qui ont survécu jusqu’à nos jours <strong>au</strong> sein de sa<br />
famille : un retable espagnol du XVI e <strong>siècle</strong> ; un daguerréotype de Mercedes, l’épouse du<br />
compositeur ; le portrait de José María peint <strong>en</strong> 1880 par le peintre mexicain Felipe<br />
Gutierrez ; <strong>en</strong>fin quelques photos des <strong>en</strong>fants du compositeur.<br />
Trois types de docum<strong>en</strong>ts nous ont permis de retracer la vie de Ponce de <strong>Le</strong>ón : les<br />
biographies écrites lors de son vivant ou posthumes ; des docum<strong>en</strong>ts officiels (acte de<br />
mariage, de décès) ; des extraits de la presse de Bogotá. Il suffit <strong>en</strong> effet d’une ligne dans les<br />
journ<strong>au</strong>x de son époque pour donner un nouvel éclairage sur le quotidi<strong>en</strong> de Ponce de <strong>Le</strong>ón,<br />
affirmant, détaillant ou <strong>au</strong> contraire semant le doute sur ce qui semblait être une certitude.<br />
Notre travail de biographe s’est donc articulé <strong>en</strong> deux temps. Tout d’abord rechercher,<br />
répertorier et recompiler les sources afin de vérifier les informations cont<strong>en</strong>ues dans les<br />
biographies. Écrites sans rigueur sci<strong>en</strong>tifique, dans un style trop souv<strong>en</strong>t hagiographique, ces<br />
biographies nécessitai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet d’une révision afin de contrecarrer les nombreuses erreurs et<br />
m<strong>en</strong>songes que l’on retrouve jusque dans les plus réc<strong>en</strong>ts écrits. Parallèlem<strong>en</strong>t, la<br />
confrontation avec divers archives, manuscrits et partitions nous à permis de déduire certains<br />
aspects ignorés de la vie du compositeur ou de mettre fin à des lég<strong>en</strong>des formées <strong>au</strong> fil des<br />
années.<br />
3.1.2.<br />
Rafael Pombo, librettiste d’Ester et de Florinda, ami de Ponce de <strong>Le</strong>ón, promoteur d’une<br />
école d’art nationale, est <strong>au</strong>ssi le premier biographe du compositeur. Mais comm<strong>en</strong>t être<br />
objectif dans ces conditions ? R. Pombo n’est-il pas à l’origine d’une vision excessivem<strong>en</strong>t<br />
élogieuse sur le compositeur ?<br />
Nous avons regroupé les biographies selon deux catégories : celles que l’on peut considérer<br />
comme des sources, écrites du vivant du compositeur par des personnes l’ayant connu – par<br />
ce fait mettant <strong>en</strong> question l’objectivité du texte –, et celles, plus réc<strong>en</strong>tes, qui les<br />
paraphras<strong>en</strong>t.<br />
Nous disposons de deux sources biographiques (1882 et 1893), <strong>en</strong> plus d’un dossier publié<br />
<strong>en</strong> 1883 sur le compositeur lors de sa mort.<br />
85<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
86<br />
<strong>Le</strong> 23 septembre 1882, <strong>au</strong> l<strong>en</strong>demain du décès de Ponce de <strong>Le</strong>ón, R. Pombo, biographe<br />
fidèle du musici<strong>en</strong>, publie dans le journal El Conservador une biographie complète.<br />
Aujourd’hui nous pouvons analyser ce texte comme une biographie écrite <strong>en</strong> feuilletons sur<br />
plusieurs années, regroupant des notices biographiques antérieures publiées <strong>en</strong> 1874 et <strong>en</strong><br />
1880.<br />
En 1874, quelques jours avant la création d’Ester à Bogotá, R. Pombo édite le livret<br />
bilingue. L’introduction conti<strong>en</strong>t une prés<strong>en</strong>tation de l’<strong>au</strong>teur, alors âgé de 29 ans, et raconte<br />
dans le détail la g<strong>en</strong>èse de l’opéra 6 . Ces pages constitu<strong>en</strong>t la première notice biographique de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, publiée la veille de son premier grand succès. La suite apparaît <strong>en</strong> 1880,<br />
égalem<strong>en</strong>t dans le livret d’un opéra : Florinda. Ce nouve<strong>au</strong> texte est sommaire et apporte peu<br />
d’informations sur les années 1874-1880. Notons qu’<strong>en</strong> 1876, lors de la création du Castillo<br />
misterioso, R. Pombo publie une longue analyse de l’ouvrage, mais ne fait pas allusion <strong>au</strong><br />
parcours personnel du compositeur. Finalem<strong>en</strong>t l’<strong>au</strong>teur refond ses deux articles <strong>en</strong> un seul,<br />
publié <strong>en</strong> septembre 1882, qu’il vi<strong>en</strong>t compléter avec de nouvelles informations.<br />
La reprise de Florinda <strong>en</strong> 1893 <strong>au</strong> Teatro Municipal réveille un grand <strong>en</strong>thousiasme et<br />
remet d’actualité l’unique compositeur d’opéras <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, mort alors depuis dix ans. José<br />
Miguel Rosales diffuse alors une biographie de Ponce dans le journal El Telegrama. Une<br />
première esquisse est datée du 21 juillet 1893. Mais face <strong>au</strong> succès des trois représ<strong>en</strong>tations de<br />
Florinda, Rosales repr<strong>en</strong>d sa plume et complète son texte avec davantage de détails, publiée<br />
le 16 août 1893. Fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t, la biographie de Rosales reproduit le parcours prés<strong>en</strong>té<br />
par R. Pombo dix ans <strong>au</strong>paravant, <strong>en</strong> ajoutant des informations que nous n’avons pu<br />
confirmer, qui ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t sans doute de la transmission orale de la part de l’<strong>en</strong>tourage du<br />
compositeur.<br />
En avril 1883, le Papel periódico ilustrado consacre son numéro m<strong>en</strong>suel à la mémoire du<br />
compositeur, mort sept mois <strong>au</strong>paravant. La biographie de R. Pombo y est reproduite, ainsi<br />
qu’une sélection d’articles de journ<strong>au</strong>x bogotains parus <strong>en</strong>tre 1874 et 1880. Des extraits des<br />
discours prononcés sur la tombe de Ponce de <strong>Le</strong>ón par des notoriétés y sont égalem<strong>en</strong>t<br />
retranscrits. Enfin des docum<strong>en</strong>ts administratifs et des attestations de récomp<strong>en</strong>ses vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
constituer un véritable dossier artistique du compositeur. Pour la première fois, deux pages<br />
d’un de ses opéras sont imprimées <strong>en</strong> version chant-piano 7 . <strong>Le</strong> portrait peint par Felipe<br />
6 « La ópera y su <strong>au</strong>tor » (R. Pombo, 1874 : 7-10).<br />
7 <strong>Le</strong> Prélude (piano) du troisième acte de Florinda, ainsi que les dernières mesures de l’opéra<br />
(Florinda/piano).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Gutiérrez est gravé sur la première page 8 , avec la signature du compositeur. Enfin les<br />
dernières pages reproduis<strong>en</strong>t le croquis du m<strong>au</strong>solée qui doit être érigé à la mémoire du<br />
maestro : un buste de Ponce sur un piédestal laissant apparaître les noms de ses principales<br />
œuvres. Sans <strong>au</strong>cun doute, ce 37 e numéro du Papel periódico ilustrado constitue la source la<br />
plus fiable et complète pour établir une biographie de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Nous disposons ainsi de six docum<strong>en</strong>ts publiés <strong>en</strong>tre 1874 et 1893 – nos sources – pour<br />
établir une biographie du compositeur. Voici une récapitulation de ce matériel de première<br />
main, prés<strong>en</strong>té chronologiquem<strong>en</strong>t selon la date de parution des différ<strong>en</strong>ts textes :<br />
1874 : Introduction du livret d’Ester par R. Pombo<br />
1880 : Introduction du livret de Florinda par R. Pombo<br />
1882 : « José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. » (R. Pombo), El Conservador (VII) n° 158,<br />
23 septembre 1882 : 630. Article reprís dans Papel periódico ilustrado, n° 37<br />
1883 : Papel periódico ilustrado (II) n° 37, 1 er avril 1883 : 198-199. Ce numéro a<br />
récemm<strong>en</strong>t été numérisé et est disponible sur Internet :<br />
http://www.lablaa.org/blaavirtual/historia/paperi/v2/v37/37/indice.htm<br />
1893 : « A la memoria de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. » (José Miguel Rosales), El<br />
Telegrama (VII) n° 2027, 29 juillet 1893 : 8074<br />
1893 : « A la memoria de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. » (J. M. Rosales), El Telegrama (VII)<br />
n° 2041, 16 août 1893 : 8131<br />
Table<strong>au</strong> 4 : <strong>Le</strong>s biographies de Ponce de <strong>Le</strong>ón écrites <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Toutes ces référ<strong>en</strong>ces apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à des périodiques du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> et à des ouvrages<br />
n’ayant pas donné lieu à de réc<strong>en</strong>tes rééditions. Ils sont donc difficile d’accès, et jusqu’à<br />
prés<strong>en</strong>t n’avai<strong>en</strong>t jamais été répertoriés 9 . Par ailleurs toute la littérature dont nous disposons<br />
sur Ponce de <strong>Le</strong>ón est exclusivem<strong>en</strong>t bogotaine. Il serait intéressant d’élargir nos recherches<br />
sur la presse d’<strong>au</strong>tres pays latino-américains afin de savoir si son œuvre eut quelques échos <strong>en</strong><br />
dehors de la <strong>Colombie</strong>. Enfin signalons que ces biographies conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des informations<br />
erronées qui ont traversé le temps, parfois même avec be<strong>au</strong>coup d’insistance : Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
ne fut jamais étudiant <strong>au</strong> Conservatoire Impérial de <strong>Paris</strong> ; de la même façon, l’année du<br />
retour à Bogotá est 1870 et non 1871, comme l’attest<strong>en</strong>t les biographies écrites par<br />
R. Pombo 10 .<br />
Au XX e <strong>siècle</strong>, le musicologue colombi<strong>en</strong> José Ignacio Perdomo Escobar fait la somme des<br />
connaissances de l’histoire de la musique <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> dans son Historia de la música <strong>en</strong><br />
8<br />
Que nous avons reproduit précédemm<strong>en</strong>t.<br />
9<br />
Comme le montre les bibliographies des différ<strong>en</strong>tes notices écrites sur le compositeur dans les plus<br />
réc<strong>en</strong>tes ouvrages musicologiques.<br />
10<br />
Un article de presse daté du 20 octobre 1870 salue le retour de Ponce de <strong>Le</strong>ón à Bogotá (« La<br />
música » (Unos amigos), Diario de Cundinamarca (II.278) : 56).<br />
87<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
88<br />
Colombia et dans son ouvrage La ópera <strong>en</strong> Colombia. Ses écrits se sont imposés comme<br />
référ<strong>en</strong>ces pour les articles de dictionnaires et d’<strong>en</strong>cyclopédies internation<strong>au</strong>x. Son Historia,<br />
parue pour la première fois <strong>en</strong> 1938 11 , a connu cinq éditions, la dernière datant de 1980. Son<br />
livre sur l’opéra est publié <strong>en</strong> 1979. Si ce n’est dire que sa vie durant, Perdomo Escobar s’est<br />
appliqué à redécouvrir l’histoire musicale <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. À sa mort, il a légué un fonds<br />
important de livres, de partitions et d’instrum<strong>en</strong>ts anci<strong>en</strong>s à la BLAA. Ce fonds Perdomo<br />
Escobar conti<strong>en</strong>t plusieurs manuscrits de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Son ouvrage sur l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, ainsi que le XV e chapitre de son Historia, prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />
l’une des plus complètes biographies de Ponce de <strong>Le</strong>ón, illustrée par des photographies de<br />
manuscrits, de fac-similés et de programmes d’opéras du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Bi<strong>en</strong> que l’<strong>au</strong>teur ne<br />
cite <strong>au</strong>cune de ses sources 12 , on reconnaît qu’il mène à bout, dans un style plus proche du<br />
roman que de l’objectivité historique, la synthèse des textes des livrets d’Ester et de Florinda,<br />
ainsi que du Papel periódico ilustrado sur Ponce de <strong>Le</strong>ón. Nous ne pouvons donc pas<br />
considérer ce texte comme une source pour notre étude. En revanche, il constitue un<br />
témoignage important de l’évolution de la réception de Ponce à travers l’historiographie de la<br />
musique colombi<strong>en</strong>ne.<br />
<strong>Le</strong>s articles « Ponce de <strong>Le</strong>ón » du New Grove, Opera New Grove, Diccionario de la música<br />
española e iberoamericana repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t tous les informations de Perdomo Escobar – donc<br />
indirectem<strong>en</strong>t celles de R. Pombo – avec les mêmes erreurs que nous avons déjà soulignées.<br />
Cette littérature s’avère importante pour l’analyse de l’image de Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>au</strong> XXI e<br />
<strong>siècle</strong>, mais ne peut pas être considérée comme source pour notre étude. <strong>Le</strong> musicologue<br />
Egberto Bermúdez est le seul à avoir émis des réserves sur certaines de ces données<br />
biographiques, et a notamm<strong>en</strong>t insisté sur l’abs<strong>en</strong>ce de docum<strong>en</strong>ts qui prouv<strong>en</strong>t qu’il fut<br />
étudiant à <strong>Paris</strong> 13 . Voici une liste des principales biographies de Ponce de <strong>Le</strong>ón, écrites<br />
récemm<strong>en</strong>t sans doute à partir de l’Historia de Perdomo Escobar :<br />
New Grove,<br />
Opera New Grove,<br />
Diccionario de la música española e iberoamericana<br />
Compositores colombianos. Vida y obra. (Instituto colombiano de Cultura, 1992)<br />
disponible sur http://www.lablaa.org/blaavirtual/musica/blaa<strong>au</strong>dio/compo/ponce/ponce.htm<br />
E. Bermúdez : Historia de la música <strong>en</strong> Santafé y Bogotá (2000)<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Table<strong>au</strong> 5 : <strong>Le</strong>s principales biographies réc<strong>en</strong>tes de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
11<br />
J. I. Perdomo Escobar, Esbozo histórico sobre la música colombiana, Bogotá : Boletín<br />
latinoamericano de música, 1938.<br />
12 e<br />
La Bibliografía de son Historia de la música ne comporte pas d’ouvrages du <strong>XIX</strong> <strong>siècle</strong>.<br />
13 E. Bermúdez, 2000 : 176.
Nous nous sommes donc donné comme devoir de rev<strong>en</strong>ir <strong>au</strong>x sources biographiques afin de<br />
pouvoir justifier chaque r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t sur la vie du compositeur colombi<strong>en</strong>. Cep<strong>en</strong>dant,<br />
s’agissant de textes souv<strong>en</strong>t trop élogieux, donnant peu de détails, il a fallu constituer un<br />
deuxième corpus de sources. Une lecture détaillée des princip<strong>au</strong>x périodiques de Bogotá <strong>en</strong>tre<br />
1863-1867 et 1874-1882 nous a permis de trouver <strong>au</strong> compte-gouttes différ<strong>en</strong>ts articles,<br />
parfois une ligne, sur Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
3.1.3.<br />
La presse, véritable tribune politique <strong>en</strong>gagée sur fond de débat idéologique, prés<strong>en</strong>te<br />
l’actualité sous différ<strong>en</strong>ts angles. Mais qu’elle soit de lignée libérale ou conservatrice, elle<br />
conti<strong>en</strong>t toujours une colonne de faits divers, hechos diversos. Ces pages constitu<strong>en</strong>t un outil<br />
précieux pour reconstituer la vie du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, notamm<strong>en</strong>t le déroulem<strong>en</strong>t quotidi<strong>en</strong> des<br />
saisons d’opéra. La lecture de ces hechos diversos nous donne des informations sur le<br />
compositeur, sur le déroulem<strong>en</strong>t des spectacles, sur la réception de l’opéra et <strong>en</strong> particulier<br />
d’Ester, du Castillo misterioso et de Florinda.<br />
Nous avons consulté les fonds des hémérothèques de la Bibliothèque nationale de <strong>Colombie</strong><br />
et de la BLAA à Bogotá. Be<strong>au</strong>coup de ces journ<strong>au</strong>x ne sont disponibles qu’à l’état de<br />
microfilm, ce qui r<strong>en</strong>d la lecture difficile. Certains étai<strong>en</strong>t temporairem<strong>en</strong>t exclus de la<br />
consultation ; d’<strong>au</strong>tres sont incomplets. Ainsi les tirages des années 1880 à 1882 du Diario de<br />
Cundinamarca, l’un des princip<strong>au</strong>x journ<strong>au</strong>x de l’époque, était indisponibles lors de nos<br />
dernières recherches à Bogotá. <strong>Le</strong> corpus de publications périodiques que nous avons<br />
consultées est donc constitué par :<br />
1863 : El Conservador<br />
1865 : El Bogotano<br />
1866 : El Iris<br />
1866-1867 : El M<strong>en</strong>sajero<br />
1874 : El Tradicionista<br />
1874-1882 : Diario de Cundinamarca<br />
1876 : El Verjel colombiano<br />
1878-1880 : El Zipa<br />
Table<strong>au</strong> 6 : Périodiques consultés, publiés du vivant de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Remarquons qu’il existe d’<strong>au</strong>tres journ<strong>au</strong>x dont nous connaissons l’exist<strong>en</strong>ce, que nous<br />
n’avons pas pu trouver, ainsi que des revues musicales dont on annonce la parution, mais dont<br />
<strong>au</strong>cun exemplaire n’apparaît dans les fonds de ces bibliothèques.<br />
89<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
90<br />
Même si le style journalistique du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> est un style <strong>en</strong>gagé et subjectif, ces<br />
docum<strong>en</strong>ts écrits sur le vif, critiques des déf<strong>au</strong>ts du spectacle, nous aid<strong>en</strong>t <strong>au</strong>jourd’hui à<br />
restituer une image plus fiable de la scène du Coliseo des années 1860-1880. Pourtant,<br />
nombre de ces articles, signés par R. Pombo ou par d’<strong>au</strong>tres admirateurs de Ponce, sont trop<br />
élogieux.<br />
Quelques docum<strong>en</strong>ts administratifs vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>richir notre corpus d’étude sur Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón. Il s’agit de :<br />
Acte de mariage : Archivo G<strong>en</strong>eral de la Nación, fond Congreso, Notaria 2ª de Bogotá,<br />
Tome 6 Matrimonios, folio 74 r°<br />
Acte de décès : Archivo G<strong>en</strong>eral de la Nación, fond Congreso, Notaria 2ª de Bogotá,<br />
“Defunciones” (187) folios 371 r° et v°; 400 v° et 401 r°<br />
Archive du cimetière de Bogotá : Archivo de Bogotá EDIS Cem<strong>en</strong>terios A-Z. número top.<br />
201-236-0705 : 42<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Table<strong>au</strong> 7 : Docum<strong>en</strong>ts administratifs sur Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Enfin des partitions <strong>au</strong>tographes constitu<strong>en</strong>t un dernier <strong>en</strong>semble de sources. Confrontés<br />
avec la presse, ces manuscrits nous ont aidé à découvrir des aspects ignorés du parcours de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón. Nous avons ainsi pu déterminer qu’il existe deux versions d’Ester (1874 et<br />
1879) et que celle de 1879 ne fut jamais créée du vivant du compositeur. Des parties séparées<br />
d’ouvertures, de pots-pourris, indiqu<strong>en</strong>t que Ponce participait à de nombreux événem<strong>en</strong>ts<br />
artistiques accompagnés de musique, sans pour <strong>au</strong>tant donner plus de détails.<br />
Nous avons <strong>au</strong>ssi dépouillé l’énorme corpus constitué par la presse parisi<strong>en</strong>ne des années<br />
1867 à 1870 à la recherche d’indices sur Ponce de <strong>Le</strong>ón. Nous avons consulté La Revue et<br />
gazette musicale de <strong>Paris</strong> et <strong>Le</strong> Ménestrel, ainsi que le RIPM sans toutefois trouver<br />
d’information sur le compositeur colombi<strong>en</strong>.<br />
Une partie de notre recherche a donc consisté à récupérer et à classer un corpus de<br />
docum<strong>en</strong>ts de première main, que nous avons <strong>en</strong>suite confrontés avec les biographies<br />
existantes. C’est grâce à ce retour <strong>au</strong>x sources que nous pouvons <strong>au</strong>jourd’hui proposer une<br />
biographie du compositeur, biographie étoffée <strong>en</strong> détails, avec des référ<strong>en</strong>ces précises, qui<br />
replac<strong>en</strong>t Ponce de <strong>Le</strong>ón dans une réalité difficile que personne n’ignorait de son vivant. Il<br />
s’agit là de notre plus grand apport quant à la perception que l’on peut avoir du compositeur<br />
colombi<strong>en</strong>, 126 ans après sa mort.
3.2. <strong>Le</strong>soriginesespagnolesd’unefamill<strong>en</strong>ovogr<strong>en</strong>adine<br />
Lorsqu’une personnalité mourait, il était usage à Bogotá de publier des recueils exaltant le<br />
parcours du défunt. C’est grâce à une de ces Couronnes funèbres 14 – celle de l’ingénieur<br />
Manuel Ponce de <strong>Le</strong>ón (1829-1899), demi-frère du grand-père du compositeur – que nous<br />
avons découvert des r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts inédits sur l’origine des Ponce de <strong>Le</strong>ón à Bogotá <strong>en</strong><br />
remontant le temps de quatre générations.<br />
Diego Ponce de <strong>Le</strong>ón, l’ancêtre le plus anci<strong>en</strong> connu de la famille, était Regidor de Málaga<br />
<strong>en</strong> Espagne <strong>au</strong> début du XVIII e <strong>siècle</strong>. Nom d’origine noble, héritiers de la Maison des Arcos<br />
<strong>au</strong> Sud de l’Espagne, les ancêtres du compositeur devai<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant appart<strong>en</strong>ir <strong>au</strong>x branches<br />
cadettes de la famille – <strong>en</strong> Espagne l’aîné seul hérite – qui devai<strong>en</strong>t exercer des fonctions<br />
administratives et militaires pour gagner leur vie.<br />
Francisco, fils du second mariage de Diego, naquit <strong>en</strong> 1747. Dev<strong>en</strong>u lieut<strong>en</strong>ant des<br />
arbalétriers dans la garde personnelle du Vice-roi de la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade, Antonio Flórez,<br />
Francisco traverse l’Atlantique <strong>en</strong> 1775 et s’installe à Bogotá. Il est l’exemple même de ces<br />
<strong>en</strong>fants cadets de l’aristocratie espagnole qui choisiss<strong>en</strong>t la carrière militaire comme échelon<br />
social, plutôt que de dev<strong>en</strong>ir hidalgos. En s’installant <strong>en</strong> Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade, son double statut<br />
de militaire et d’Espagnol lui ouvre une place privilégiée dans l’aristocratie locale.<br />
Francisco se marie à Bogotá avec María Ana Prieto y Dávila, femme issue de cette noblesse<br />
blanche à Bogotá qui t<strong>en</strong>te de conserver ses intérêts de classe par les rouages du mariage. De<br />
leur union naît <strong>en</strong> 1784 José María, grand-père du compositeur, premier Ponce de <strong>Le</strong>ón né à<br />
Bogotá. Marié à son tour <strong>en</strong> 1809 – année qui marque le début de la guerre d’Indép<strong>en</strong>dance –<br />
il a un fils : Eusebio. Celui-ci épouse Sofia Ramirez. De leur mariage naît <strong>en</strong> 1845 José María,<br />
père de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
La famille traverse donc ces années charnières, p<strong>en</strong>dant lesquelles le régime monarchique<br />
colonial bascule vers la nouvelle république. Il est intéressant de noter que si le premier Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón à Bogotá arrive <strong>au</strong> service de la couronne, son arrière-petit-fils mettra son œuvre<br />
musical <strong>au</strong> service de la nouvelle république. Quatre générations qui assist<strong>en</strong>t et particip<strong>en</strong>t<br />
<strong>au</strong>x transformations de la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade coloniale jusqu’<strong>au</strong>x États-Unis de <strong>Colombie</strong><br />
<strong>en</strong> 1863.<br />
14 « Biografía de Manuel Ponce de <strong>Le</strong>ón, Ing<strong>en</strong>iero civil, miembro del antiguo cuerpo de ing<strong>en</strong>ieros<br />
nacionales, miembro de la sociedad colombiana de ing<strong>en</strong>ieros, profesor de la Universidad Nacional »<br />
(J. M. González B.) in Francisco Fonseca Plazas, Corona fúnebre a la memoria del Ing<strong>en</strong>iero señor<br />
Manuel Ponce de <strong>Le</strong>ón, impr<strong>en</strong>ta Luis Holguín, Bogotá, 1899.<br />
91<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
92<br />
Francisco et son fils José Maria apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à l’anci<strong>en</strong> régime, la Colonie. Tout juste<br />
arrivé d’Espagne, Francisco fonde une famille appart<strong>en</strong>ant de facto à l’élite novo-gr<strong>en</strong>adine<br />
qui considère l’européannité comme un capital culturel, élém<strong>en</strong>t de distinction et de<br />
domination 15 . Mais un v<strong>en</strong>t de liberté secoue la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade. L’indép<strong>en</strong>dance des États-<br />
Unis (1776) puis la Révolution française (1789) vont alim<strong>en</strong>ter l’esprit de révolte face <strong>au</strong><br />
pouvoir espagnol. En 1781 éclate la première insurrection contre l’<strong>au</strong>torité coloniale <strong>au</strong> nord<br />
de la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade. Francisco fait partie de l’armée <strong>en</strong>voyée pour arrêter les insurgés.<br />
Mais l’expédition est un fiasco et Francisco, déguisé <strong>en</strong> moine pour s’<strong>en</strong>fuir, r<strong>en</strong>tre à Bogotá.<br />
C’est même lui qui <strong>au</strong>rait provoqué la fuite de l’administration, <strong>en</strong> annonçant une situation<br />
hors de contrôle 16 !<br />
Eusebio Ponce de <strong>Le</strong>ón, petit-fils de Francisco l’Espagnol et père du compositeur, naît sujet<br />
du roi d’Espagne et meurt citoy<strong>en</strong> colombi<strong>en</strong>. Eusebio, novo-gr<strong>en</strong>adi<strong>en</strong> de deuxième<br />
génération, est fils du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> colombi<strong>en</strong>.<br />
Ce début de <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> <strong>en</strong> Amérique du Sud est marqué par la lutte <strong>au</strong> nom de la liberté.<br />
Deux guerres d’indép<strong>en</strong>dance épuis<strong>en</strong>t la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade. Celle de 1809-1815 aboutit à la<br />
création de la Confédération des Provinces Unies de Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade. Mais les Espagnols<br />
qui cherch<strong>en</strong>t à récupérer leurs colonies ripost<strong>en</strong>t et sèm<strong>en</strong>t le régime de la Terreur. En 1814<br />
Ferdinand VII récupère la couronne d’Espagne des mains de Napoléon. La « Pacification »<br />
des colonies insurgées (1815-1819) crée <strong>en</strong>tre Espagnols et Américains une situation de non-<br />
retour. La deuxième guerre d’indép<strong>en</strong>dance (1819-1822) sous le commandem<strong>en</strong>t de Simón<br />
Bolívar aboutit à la création d’une supra-nation, la république de la Grande-<br />
<strong>Colombie</strong> (Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade, V<strong>en</strong>ezuela et Équateur). Bolívar, présid<strong>en</strong>t, désigne Bogotá<br />
pour capitale. Moins de dix ans après le Congrès de Vi<strong>en</strong>ne (1815) qui avait ratifié la nouvelle<br />
carte de l’Europe, le contin<strong>en</strong>t américain propose à son tour une nouvelle situation<br />
géopolitique.<br />
L’année 1819 marque donc le début du <strong>XIX</strong> e <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. Pourtant cette supra-nation est<br />
vite incapable de proposer une issue <strong>au</strong>x projets politiques utopiques de Bolívar. Dès 1826<br />
s’annonce le déclin de la Grande-<strong>Colombie</strong>. L’anci<strong>en</strong> conflit contre la puissance espagnole<br />
15 Vocabulaire repris de P. Bourdieu par Castro-Gómez dans son analyse sur la société coloniale <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong>. (S. Castro-Gómez, 2005 : 71.) Rappelons que pour be<strong>au</strong>coup d’Europé<strong>en</strong>s, l’installation <strong>en</strong><br />
Amérique était un moy<strong>en</strong> d’asc<strong>en</strong>sion sociale.<br />
16 Pedro M. Ibañez, Crónicas de Bogotá, Tome II, Impr<strong>en</strong>ta de la Luz, Bogotá, 1891.<br />
http://www.lablaa.org/blaavirtual/historia/cronicas/capi26.htm<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
tourne à la guerre fratricide et se solde par l’éclatem<strong>en</strong>t de la Grande-<strong>Colombie</strong> <strong>en</strong> trois pays.<br />
En 1831 la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade devi<strong>en</strong>t un état indép<strong>en</strong>dant.<br />
Francisco, Jose María et Eusebio Ponce de <strong>Le</strong>ón assist<strong>en</strong>t donc à la naissance tourm<strong>en</strong>tée de<br />
cette nouvelle république. Quel était leur statut p<strong>en</strong>dant ces années ? Desc<strong>en</strong>dants d’un<br />
officier du régime colonial, ils ont dû embrasser la c<strong>au</strong>se républicaine afin d’échapper <strong>au</strong>x<br />
fusillades qui cherchai<strong>en</strong>t à terrasser l’<strong>en</strong>nemi espagnol.<br />
Eusebio, né vers 1810, mort <strong>en</strong> 1876 17 , traverse la plus grande période d’instabilité<br />
politique. La nouvelle configuration administrative exige un nouvel mode de vie. Pour garder<br />
privilèges et richesses, les Ponce de <strong>Le</strong>ón ne peuv<strong>en</strong>t plus vivre <strong>en</strong> seigneurs de l’anci<strong>en</strong><br />
régime. Il est nécessaire d’intégrer le monde de la nouvelle bourgeoisie marchande capitaliste<br />
et de pr<strong>en</strong>dre place dans la vie active du travail. Pour l’histori<strong>en</strong> J. Jaramillo, l’anci<strong>en</strong><br />
chevalier chréti<strong>en</strong> issu de la société hispanique doit désormais pr<strong>en</strong>dre le rôle de l’homo<br />
œconomicus ou de l’homo politicus 18 .<br />
Nous ignorons quelle était l’activité principale d’Eusebio Ponce de <strong>Le</strong>ón. Sans faire partie<br />
de l’élite politique ou foncière, il peut cep<strong>en</strong>dant offrir à ses <strong>en</strong>fants une éducation dans les<br />
meilleures écoles de Bogotá. <strong>Le</strong> milieu familial <strong>en</strong>courage l’exercice des arts, stimule les<br />
tal<strong>en</strong>ts music<strong>au</strong>x des <strong>en</strong>fants, les pousse à des études littéraires 19 . Eusebio va jusqu’à financer<br />
le séjour d’études de son fils à <strong>Paris</strong>. Il s’agit du parcours obligé de tout Novo-Gr<strong>en</strong>adin aisé<br />
pour conserver une place privilégiée dans la société bogotaine du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Une lecture sociologique plus poussée met <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce la reproduction d’un phénomène de<br />
distinction :<br />
[…] La prét<strong>en</strong>tion de la pureté de sang, de jouir de la condition du noble blanc, était un signe<br />
distinctif des criollos. Il était important de se mettre <strong>en</strong> scène socialem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant que blanc<br />
pour ainsi être accepté par les strates sociales les plus préémin<strong>en</strong>tes 20 .<br />
Or, nous verrons par la suite comm<strong>en</strong>t cette création de différ<strong>en</strong>ce dans un contexte d’unité<br />
nationale est un axe structurant du contexte esthétique <strong>au</strong>quel participe Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
17<br />
Aucun registre officiel à ce jour ne nous a permis de connaître la date de naissance d’Eusebio Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón. Il vint <strong>au</strong> monde après le mariage de ses par<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> 1809. En revanche, son acte de décès<br />
précise qu’il est mort à Bogotá le 8 août 1876 (AGN, Congreso, Notaria 2ª de Bogotá, “Defunciones”<br />
(187) folios 371 r° et v°; 400 v° et 401 r°).<br />
18<br />
J. Jaramillo Uribe, 2001 : 7-11.<br />
19<br />
R. Pombo, 1874 : 9.<br />
20<br />
« […] la pret<strong>en</strong>sión de limpieza de sangre, […] de gozar de la condición de ser noble blanco, era<br />
signo distintivo que permitía a los criollos difer<strong>en</strong>ciarse socialm<strong>en</strong>te de los mestizos y demás grupos<br />
sociales. Lo importante era […] esc<strong>en</strong>ificarse socialm<strong>en</strong>te como blancos y ser aceptados como tales<br />
por los estratos sociales más preemin<strong>en</strong>tes. » (S. Castro-Gómez, 2005 : 70-71).<br />
93<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
94<br />
3.3. <strong>Le</strong>spremièresannées(1845–1867)<br />
José María Ponce de <strong>Le</strong>ón voit le jour à Bogotá le 16 février 1845. Il est <strong>en</strong>fant de la<br />
troisième génération d’une famille installée à Bogotá depuis soixante-dix ans. Il naît dans un<br />
contexte de guerre, où la nation s’<strong>en</strong>flamme pour des questions concernant le régime politique<br />
à adopter, le droit à la citoy<strong>en</strong>neté, la participation des classes défavorisées à la vie politique<br />
et le rôle de l’église dans la société 21 . Ces polémiques <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t la Guerre des Suprêmes<br />
(1839-1841) puis celles de 1851 et de 1854.<br />
Jusqu’à l’âge de quinze ans, José María étudie dans trois des écoles les plus r<strong>en</strong>ommées de<br />
la ville. <strong>Le</strong>s remises <strong>en</strong> questions du système éducatif, cheval de bataille dans les guerres des<br />
années 1850, provoqu<strong>en</strong>t la fermeture ou l’ouverture d’écoles, selon leur ralliem<strong>en</strong>t<br />
idéologique (libéral ou conservateur), dont les principales victimes sont les Jésuites, expulsés<br />
à plusieurs reprises, puis rappelés <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
Il nous semble important d’évoquer ce courant positiviste de la nouvelle école républicaine<br />
novo-gr<strong>en</strong>adine, <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> pour situer Ponce de <strong>Le</strong>ón dans un contexte culturel, que pour<br />
compr<strong>en</strong>dre les grands chantiers intellectuels et civils des années 1870-1880, fruits de ce<br />
système éducatif.<br />
Dès les premières années d’indép<strong>en</strong>dance, la priorité avait été donnée à l’organisation d’un<br />
système d’éducation publique, abs<strong>en</strong>t et fortem<strong>en</strong>t critiqué sous le régime espagnol. Jusque<br />
dans les années 1850, de nombreuses écoles publiques sont créées et les filles obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
l’accès à l’éducation. Cep<strong>en</strong>dant l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t des lettres reste prioritaire, et son cont<strong>en</strong>u<br />
religieux est l’héritage de la monarchie espagnole.<br />
<strong>Le</strong> gouvernem<strong>en</strong>t libéral mis <strong>en</strong> place dans les années 1850 propose une réforme de fond du<br />
système éducatif colombi<strong>en</strong>. <strong>Le</strong> présid<strong>en</strong>t José Hilario López décrète la séparation <strong>en</strong>tre l’État<br />
et l’Église. Dès 1844 les particuliers peuv<strong>en</strong>t fonder des écoles – privilège <strong>au</strong>paravant dét<strong>en</strong>u<br />
par l’État – et les par<strong>en</strong>ts sont libres de choisir l´école de leurs <strong>en</strong>fants. La loi du 15 mai 1850<br />
<strong>au</strong>torise la laïcité des écoles 22 , ce qui conduit à l’expulsion des Jésuites <strong>en</strong> 1851 23 . Mariano<br />
Ospina Rodriguez, ministre, puis présid<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1857, résume la nouvelle situation :<br />
<strong>Le</strong> but de la formation scolaire est l’instruction morale et religieuse, l’urbanité, la grammaire et<br />
l’orthographe de la langue castillane, l’arithmétique commerciale, la t<strong>en</strong>ue de livres, la<br />
21 F.E. González, 2006 : 23.<br />
22 « L’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t dans tous les domaines des sci<strong>en</strong>ces, des arts et des lettres est libre dans la<br />
République. » (Loi du 15 mai 1850, citée par J. Jaramillo Uribe, 1989 : 239).<br />
23 A. Tirado Mejía, 1989: 169.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
géométrie, les principes de la géographie et de l’histoire de la Nouvelle Gr<strong>en</strong>ade… 24<br />
La nouvelle école se veut moderne, mettant <strong>en</strong> avant l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifique, même s’il<br />
reste difficile de s’éloigner d’une Église be<strong>au</strong>coup trop prés<strong>en</strong>te dans les m<strong>en</strong>talités. Tournée<br />
vers le progrès, cette nouvelle école prépare la génération du chemin de fer, du télégraphe, de<br />
la navigation à vapeur. En insistant sur une bonne maîtrise de la langue espagnole, elle forme<br />
les hommes de lettres qui dirigeront le pays durant toute la seconde moitié du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
C’est dans ce cadre culturel, équilibrant formation humaniste et technique, traversé par une<br />
t<strong>en</strong>sion inhér<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre État et Église, que le jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d ses études.<br />
D’après la biographie de R. Pombo, Eusebio veut faire de son fils José María un homme de<br />
lettres. L’<strong>en</strong>fant fréqu<strong>en</strong>te successivem<strong>en</strong>t les écoles de Yerbabu<strong>en</strong>a, de San Bartolomé puis<br />
celle des Jésuites 25 .<br />
L’école de Yerbabu<strong>en</strong>a, située à une tr<strong>en</strong>taine de kilomètres <strong>au</strong> nord de Bogotá près du pont<br />
del Común, était une école privée, de ligne libérale, dirigée par une grande figure du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> : Manuel Marroquín (1827-1908). Poète, journaliste, grammairi<strong>en</strong>,<br />
ministre avant de dev<strong>en</strong>ir présid<strong>en</strong>t de la République, Marroquín représ<strong>en</strong>te le Novo-Gr<strong>en</strong>adin<br />
du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> qui met toute sa virtuosité d’écrivain <strong>au</strong> service de la construction d’un État<br />
national, de cette République lettrée dont nous reparlerons <strong>en</strong> conclusion.<br />
Après le Colegio de Yerbabu<strong>en</strong>a, Ponce de <strong>Le</strong>ón est élève <strong>au</strong> Colegio de San Bartolomé,<br />
école fréqu<strong>en</strong>tée par l’élite de Bogotá <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Fondé <strong>en</strong> 1604 par les Jésuites, le San<br />
Bartolomé est le plus anci<strong>en</strong> collège de Bogota, qui existe <strong>en</strong>core de nos jours. Lorsqu’<strong>en</strong><br />
1859 les Jésuites sont <strong>au</strong>torisés à rev<strong>en</strong>ir, ils repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la direction de l’école.<br />
Précisons cep<strong>en</strong>dant que la lutte contre l’Église n’est pas un refus de la religion catholique.<br />
C’est un combat social contre un ordre traditionnel où le clergé était l’élém<strong>en</strong>t c<strong>en</strong>tral :<br />
L’Église incarnait une société statique et rigidem<strong>en</strong>t hiérarchisée, p<strong>en</strong>sée à partir du modèle<br />
d’une société médiévale idéale et d’une conception anhistorique du monde et de l’église,<br />
privilégiant les catégories d’un ordre naturel et d’une harmonie sociale, <strong>au</strong> détrim<strong>en</strong>t du<br />
changem<strong>en</strong>t historique d’un ordre <strong>en</strong> perpétuelle mouvance 26 .<br />
24 « El propósito de la formación escolar, es la instrucción moral y religiosa, la urbanidad y la<br />
corrección y propiedad de la lectura, la gramática y la ortografía de la l<strong>en</strong>gua castellana, la aritmética<br />
comercial, la t<strong>en</strong>eduría de libros, la geometría, el diseño y su aplicación a la agrim<strong>en</strong>sura, los<br />
principios de la geografía y la historia de la Nueva Granada. » (J. Jaramillo Uribe, 1989 : 226).<br />
25 R. Pombo, 1874 : 9.<br />
26 « La iglesia se había <strong>en</strong>carnado <strong>en</strong> una sociedad estática y rígidam<strong>en</strong>te jerarquizada, que se p<strong>en</strong>saba<br />
desde el modelo de una sociedad medieval idealizada y una concepción ahistorica del mundo y de la<br />
95<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
96<br />
La viol<strong>en</strong>ce de la guerre fait-elle partie du quotidi<strong>en</strong> pour les Colombi<strong>en</strong>s du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> ?<br />
Neuf guerres civiles, deux conflits internation<strong>au</strong>x, ainsi qu’une douzaine de rebellions<br />
régionales 27 laisse le pays exsangue <strong>au</strong> cours du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Enfant, José María vit sous une<br />
période de guerre <strong>en</strong> 1851. Ce conflit, opposant les esclavagistes contre les nouvelles lois<br />
d’abolition de l’esclavage, dégénéra <strong>en</strong> un conflit contre l’Équateur. Puis la révolution de<br />
1854 touche Bogotá : Gólgotas et Draconi<strong>en</strong>s – artisans et commerçants – s’oppos<strong>en</strong>t quant<br />
<strong>au</strong> choix d’un système économique protectionniste ou libre-échangiste. Encore <strong>en</strong> 1859, les<br />
exclus du gouvernem<strong>en</strong>t lèv<strong>en</strong>t les armes <strong>en</strong> signe de protestation contre l’influ<strong>en</strong>ce de plus<br />
<strong>en</strong> plus contestée de Bogotá comme capitale 28 . Cette nouvelle guerre fait basculer la<br />
Républica de la Nueva Granada vers un régime ultra-fédéraliste et libéral. La nouvelle<br />
constitution de 1863, dédiée à Victor Hugo, est fédéraliste 29 . <strong>Le</strong> pays est baptisé de son<br />
troisième (et avant-dernier) nom : les États-Unis de <strong>Colombie</strong>, conformés par neuf états<br />
souverains. Pour mettre fin à « l’infernale influ<strong>en</strong>ce du clergé sur les masses ignorantes 30 » le<br />
représ<strong>en</strong>tant du Pape est expulsé, ainsi que les Jésuites, et les bi<strong>en</strong>s de l’église sont expropriés.<br />
En 1860, Bogotá est assiégée. Pour Ponce de <strong>Le</strong>ón, âgé de quinze ans, cette guerre marque la<br />
fin de l’<strong>en</strong>fance et l’<strong>en</strong>trée dans le monde adulte.<br />
<strong>Le</strong>s guerres d’indép<strong>en</strong>dance et le souv<strong>en</strong>ir des Émin<strong>en</strong>ts de la Patrie sont <strong>en</strong>core prés<strong>en</strong>ts<br />
pour la jeunesse des années 1850. Dans un milieu attisé par des conflits idéologiques<br />
bipartites, l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t dans la c<strong>au</strong>se libérale ou conservatrice avait souv<strong>en</strong>t un arrière fond<br />
passionné, non sans rapport avec le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t romantique qui animait la révolution de 1848 à<br />
<strong>Paris</strong>. R. Pombo, soldat âgé de 21 ans <strong>en</strong> 1854, s’<strong>en</strong>gage dans une lutte qu’il croit héroïque<br />
contre un despote, le général Melo. Sur le champ de bataille, le soldat cède la place <strong>au</strong> poète :<br />
Entodoslossemblantessimpatía<br />
Adhesión,amistad,pintada<strong>en</strong>cu<strong>en</strong>tro,<br />
Soyamigodeci<strong>en</strong>qu<strong>en</strong>oconozco,<br />
Soyhermanodemilquehastaahoraveo<br />
[…]<br />
Todosson<strong>en</strong>tusiastasys<strong>en</strong>sibles<br />
Cuandov<strong>en</strong>quesojuzgansusderechos… 31 <br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Sur tous les visages, je trouve dépeintes<br />
Sympathie, adhésion et amitié.<br />
Je suis ami de c<strong>en</strong>t inconnus<br />
Je suis frère de mille que je découvre<br />
[…]<br />
Ils sont tous <strong>en</strong>thousiastes et s<strong>en</strong>sibles<br />
En voyant leurs droits oppressés.<br />
Iglesia, que privilegiaba las categorías del ord<strong>en</strong> natural y de la armonía social por <strong>en</strong>cima de las<br />
categorías del cambio histórico de un ord<strong>en</strong> siempre cambiante. » (F. E. Gonzales, 2006 : 49).<br />
27<br />
J. Jaramillo Uribe, 1989 : 171.<br />
28<br />
J-P. Min<strong>au</strong>dier, 1992 : 146-149.<br />
29<br />
Victor Hugo, ayant reçu une copie de cette constitution par un groupe de parlem<strong>en</strong>taires, <strong>au</strong>rait<br />
déclaré : « Ce devait être un pays peuplé d’anges », expression qui met <strong>en</strong> lumière le décalage <strong>en</strong>tre<br />
cette constitution radicalem<strong>en</strong>t libérale et la réalité du pays. (Ibid. : 151).<br />
30<br />
F.E. González, 2006 : 72.<br />
31<br />
Extrait d’un poème de R. Pombo, soldat, écrit <strong>en</strong> 1854 (B.H. Robledo, 2005 : 82).
Dans l’imaginaire des jeunes républicains, les guerres civiles constitu<strong>en</strong>t le prolongem<strong>en</strong>t<br />
des guerres de libération de 1810-1820 à l’intérieur même des frontières colombi<strong>en</strong>nes. Ils<br />
cherch<strong>en</strong>t à leur tour à participer à la l<strong>en</strong>te construction d’un état souverain (république ou<br />
province <strong>au</strong>tonome), et ainsi figurer <strong>au</strong> même rang que les pères de la patrie dans l’histoire du<br />
pays. D’où cet <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t passionné dans les conflits loc<strong>au</strong>x <strong>au</strong>xquels personne ne semble<br />
échapper.<br />
José María Ponce de <strong>Le</strong>ón n’échappe pas à la guerre. En 1860, âgé de quinze ans, le voilà<br />
<strong>en</strong>gagé dans les troupes du gouvernem<strong>en</strong>t. L’armée insurrectionnelle du général Mosquera<br />
approche de Bogotá. Il f<strong>au</strong>t donc organiser la déf<strong>en</strong>se de la capitale. Ponce de <strong>Le</strong>ón, <strong>en</strong>rôlé<br />
dans l’armée, se retrouve serg<strong>en</strong>t, sous-lieut<strong>en</strong>ant d’artillerie, lieut<strong>en</strong>ant, puis capitaine dans<br />
un court laps de temps 32 . Cette rapide asc<strong>en</strong>sion pour un jeune homme sans expéri<strong>en</strong>ce dans<br />
les armes montre une réalité sociale : le corps militaire n’était pas professionnalisé. On<br />
reprochera souv<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x rebelles et à l’armée d’utiliser de jeunes <strong>en</strong>fants comme chair à<br />
canon… situation qui <strong>au</strong>jourd’hui <strong>en</strong>core est monnaie courante dans certaines régions<br />
colombi<strong>en</strong>nes.<br />
Rafael Pombo narre avec un héroïsme excessif les exploits militaires du musici<strong>en</strong>, alors que<br />
Ponce est fait prisonnier et apparti<strong>en</strong>t <strong>au</strong> camp des vaincus. Lors de la déf<strong>en</strong>se de Bogotá le<br />
18 juillet 1861, José María a à sa charge huit soldats pour la déf<strong>en</strong>se d’un fort <strong>au</strong>x abords de<br />
la capitale (San Diego et le Campo-santo 33 ). Alors que sept de ses hommes sont tués, il a tout<br />
juste le temps d’<strong>en</strong>terrer avec le soldat survivant les pièces d’artillerie, avant de tomber blessé<br />
sous les lances de l’<strong>en</strong>nemi qui le croit mort. Rétabli de ses blessures, dev<strong>en</strong>u capitaine, il<br />
continue à se battre – Bogotá avait été prise – et participe <strong>au</strong>x batailles de <strong>Le</strong>nguasaque et<br />
Turmequé.<br />
Jusqu’à prés<strong>en</strong>t cet épisode militaire de la vie du jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón, rapporté avec détails<br />
et héroïsme dans sa première biographie 34 , était inconnu. La finalité du récit de sa bravoure<br />
est importante : Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> sort mûri, courageux et valeureux. Il rejoint la c<strong>au</strong>se des<br />
Émin<strong>en</strong>ts de la Patrie, de tous ceux qui se sont <strong>en</strong>gagés pour la construction de la nation.<br />
Même si son action n’a ri<strong>en</strong> d’héroïque, R. Pombo conclut :<br />
32 « Ocho días fue sarg<strong>en</strong>to, y pasó a alférez de artillería a órd<strong>en</strong>es de los jefes Liborio Escallón y<br />
Cornelio Borda ; […] Asc<strong>en</strong>dió a t<strong>en</strong>i<strong>en</strong>te def<strong>en</strong>dió a Pu<strong>en</strong>te-grande durante un día. » (R. Pombo,<br />
1874 : 9)<br />
33 Vraisemblablem<strong>en</strong>t là où se situe de nos jours le parc C<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ario, <strong>en</strong> plein cœur de la ville.<br />
34 R. Pombo, 1874 : 9.<br />
97<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
98<br />
Ainsi José María Ponce de <strong>Le</strong>ón porte avec honneur son valeureux nom [<strong>Le</strong>ón veut dire lion] et<br />
<strong>au</strong>cun de ses par<strong>en</strong>ts ne peut le sous-estimer.<br />
ConstapuesqueJOSÉMARÍAPONCEDELEÓNllevaconhonorsuhazañosoapellido,yqu<strong>en</strong>ingún<br />
pari<strong>en</strong>tesuyoti<strong>en</strong>ederechoamirarloporsobreelhombro 35 .<br />
Cette image d’un homme valeureux, guerrier, cultivé et artiste – relecture du noble espagnol<br />
dans l’imaginaire du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> – fait apparaître le héros romantique que R. Pombo a<br />
souv<strong>en</strong>t voulu dépeindre. Car <strong>au</strong>x yeux de tous, seuls les grands hommes pouvai<strong>en</strong>t s’<strong>en</strong>gager<br />
dans une démarche légitime de construction id<strong>en</strong>titaire.<br />
Il ne manque plus que l’élém<strong>en</strong>t religieux, plaçant l’homme sous la protection d’une<br />
provid<strong>en</strong>ce divine pour accomplir une destiné toute tracée. Et à Perdomo Escobar d’ajouter un<br />
dernier mot :<br />
Durant la guerre de 1860 il portait un christ <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t que lui avait donné sa mère, doña Sofia.<br />
Une balle arriva directem<strong>en</strong>t sur son cœur. Cep<strong>en</strong>dant le christ fit office de talisman ; il reçut le<br />
coup, la bale s’y <strong>en</strong>castra et le s<strong>au</strong>va d’une mort certaine 36 .<br />
Capitaine, miraculé, martyr, la littérature ne nous prés<strong>en</strong>te-t-elle pas un Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
éloigné d’une réalité bourgeoise et nonchalante ? À vouloir <strong>en</strong> faire un surhomme protégé par<br />
la provid<strong>en</strong>ce, la naissance de l’opéra colombi<strong>en</strong> apparaît comme un <strong>en</strong>jeu dépassant<br />
l’homme, dont le parcours tout tracé est mis sous la protection de la divinité.<br />
3.3.1.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón doit ses premières notions de musique à un charp<strong>en</strong>tier, Saturnino Russi,<br />
humble artisan qui lui appr<strong>en</strong>d le solfège et les premiers rudim<strong>en</strong>ts d’harmonie 37 . À l’école de<br />
Yerbabu<strong>en</strong>a il reçoit des cours de piano et d’harmonie avec Juan Crisóstomo Osorio 38 . Et<br />
voilà toute l’éducation musicale de José María ! En véritable <strong>au</strong>todidacte, le futur compositeur<br />
d’opéras fait preuve d’une véritable passion pour cet art qu’il a peu étudié – la ville offre peu<br />
de moy<strong>en</strong>s – mais qu’il cherche à tout prix à faire si<strong>en</strong>.<br />
Juan Crisóstomo Osorio (1836-1887), pianiste, compositeur de zarzuelas, déploya à Bogotá<br />
une grande activité de pédagogue. On lui doit <strong>en</strong>tre <strong>au</strong>tres une méthode de piano et un<br />
35 Ibid.<br />
36 « En la guerra del 60 llevó a la campaña un cristo de plata que le había dado su madre, doña Sofía.<br />
Una bala certera le llegó directam<strong>en</strong>te al corazón; empero el cristo sirvió de sagrado talismán, recibió<br />
el golpe, la bala se <strong>en</strong>cartuchó y lo libró de segura muerte. » (J. I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 99-<br />
100).<br />
37 R. Pombo, 1874 : 9.<br />
38 Ibid.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
dictionnaire de musique 39 . Critique musical dans les journ<strong>au</strong>x, ses colonnes figur<strong>en</strong>t comme<br />
de véritables cours où il s’évertue à éduquer les Bogotains <strong>en</strong> matière de musique. C’est <strong>au</strong>ssi<br />
lui qui salue dans un article la première représ<strong>en</strong>tation <strong>au</strong> Coliseo Maldonado d’une pièce du<br />
jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> janvier 1867.<br />
José María Ponce de <strong>Le</strong>ón incarne cette génération de musici<strong>en</strong>s d’Amérique Latine qui<br />
reçoiv<strong>en</strong>t une formation musicale <strong>au</strong>près d’amateurs ou d’artistes n’ayant jamais quitté le<br />
pays. En <strong>Colombie</strong>, l’apparition d’une académie de musique est tardive. Il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre 1882,<br />
année de la disparition de Ponce, pour que soit institutionnalisée à Bogotá l’Academia de<br />
Música. Jusqu’alors, la musique est <strong>en</strong>seignée dans les écoles et dans les cercles privés ou<br />
famili<strong>au</strong>x. Car savoir jouer du piano, de la guitare ou chanter était signe de distinction et de<br />
richesse. Qu’elles fuss<strong>en</strong>t publiques ou privées, les écoles proposai<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t<br />
musical. On peut égalem<strong>en</strong>t lire dans la presse des annonces de cours privés par des musici<strong>en</strong>s<br />
connus dans la ville ou par des Itali<strong>en</strong>s arrivés lors d’une saison d’opéra. Mais l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t<br />
reste avant tout une question d’amateurs et le musici<strong>en</strong> ne sera jamais considéré comme un<br />
véritable professionnel. Ponce de <strong>Le</strong>ón est une exception, lui qui a pu vivre grâce à son<br />
activité de chef de la Banda de Bogotá. Encore <strong>en</strong> 1874, le compositeur Ignacio Figueroa<br />
publie une lettre ouverte <strong>au</strong> directeur du Diario de Cundinamarca, dans laquelle il insiste sur<br />
la « nécessité impérieuse » d’établir à Bogotá une classe d’harmonie et de composition <strong>en</strong><br />
faisant appel à un professeur allemand ou français 40 .<br />
C’est pourtant dans ces conditions difficiles, avec un bagage musical restreint, que Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón fait ses premières preuves comme compositeur, qu’il connaît les premiers succès, et<br />
qu’il parvi<strong>en</strong>t à réunir <strong>au</strong>tour de lui l’admiration de ces contemporains. Contrairem<strong>en</strong>t à un<br />
grand nombre de musici<strong>en</strong>s bogotains, José María <strong>au</strong>ra la chance d’aller <strong>en</strong> Europe dans la<br />
seule int<strong>en</strong>sion d’étudier la musique. Il est parmi les premiers musici<strong>en</strong>s véritablem<strong>en</strong>t<br />
professionnels à Bogotá, dans un milieu où la musique ne permettait pas de gagner sa vie.<br />
3.3.2.Unalcaldealaantigua…<br />
Après la fin de la guerre de 1861, la vie repr<strong>en</strong>d un cours normal à Bogotá. Durant cette<br />
nouvelle période d’accalmie, la ville se relève peu à peu et les portes du théâtre ouvr<strong>en</strong>t à<br />
nouve<strong>au</strong>. À partir de cette date, et p<strong>en</strong>dant plus de vingt ans, le Coliseo Maldonado ne cessera<br />
39<br />
Diccionario de música, precedido de la teoría g<strong>en</strong>eral del arte y especial del piano, Impr<strong>en</strong>ta Galán,<br />
Bogotá, 1867.<br />
40<br />
« Remitidos » (I. Figueroa), Diario de Cundinamarca (V. 1410), 21 août 1874: 952.<br />
99<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
100<br />
de prés<strong>en</strong>ter des pièces de théâtre, des numéros de cirque et des opéras. Jamais la ville n’<strong>au</strong>ra<br />
connu une telle activité des arts représ<strong>en</strong>tatifs <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Nous allons suivre un parcours hypothétique du jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón qui, de spectateur,<br />
accède <strong>au</strong> rang de compositeur. Quelle était la vie théâtrale à Bogotá lorsque José María était<br />
<strong>en</strong>core <strong>en</strong>fant ? Quels sont ses débuts <strong>en</strong> tant que compositeur ? Entre-temps, il exerce une<br />
activité importante, jusqu’alors ignorée, p<strong>en</strong>dant la saison de la compagnie italo-espagnole<br />
Cavaletti <strong>en</strong> 1865.<br />
La nouvelle stabilité politique qui fait suite à la guerre de 1854, <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre un v<strong>en</strong>t de<br />
r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> dans les m<strong>en</strong>talités. La capitale change de nom : « Santafé se meurt, mais de ses<br />
c<strong>en</strong>dres se lève Bogotá, joy<strong>au</strong> de la Savane, vierge béate 41 . » La ville veut se moderniser. De<br />
nouve<strong>au</strong>x bâtim<strong>en</strong>ts sont construits, la guerre cède à la paix, les casernes devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des<br />
imprimeries, les militaires des citadins, on écrit des drames et des comédies 42 .<br />
Une nouvelle compagnie colombi<strong>en</strong>ne de théâtre voit le jour sous la direction de Lor<strong>en</strong>zo<br />
María Lleras : la Compañía dramática nacional (1855-1858). <strong>Le</strong>s affiches annonc<strong>en</strong>t des<br />
œuvres nouvelles à Bogotá, drames romantiques français et espagnols, comédies <strong>en</strong> un acte, et<br />
une quantité de créations nationales. L’orchestre qui accompagne les représ<strong>en</strong>tations est placé<br />
sous la direction de Julio Quevedo 43 , ami de Ponce de <strong>Le</strong>ón. À déf<strong>au</strong>t de détails sur la partie<br />
musicale, on suppose que la musique introduisait, illustrait, accompagnait les scènes<br />
théâtrales. L’interprétation de chants patriotiques faisait parfois même partie de la<br />
dramaturgie 44 . Ou alors des airs d’opéras v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t s’interposer <strong>au</strong> cours de la soirée.<br />
La dramática nacional de 1855 se veut innovante sur le plan esthétique et ouvre une<br />
nouvelle ère dans l’histoire du théâtre <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. Tout d’abord, elle propose une esthétique<br />
visuelle <strong>en</strong> rénovant le Coliseo. L’anci<strong>en</strong>ne disposition à l’espagnole est vite remplacée par<br />
une salle à l’itali<strong>en</strong>ne, mettant à découvert les loges. C’est une deuxième scène qui apparaît –<br />
la scène sociale dans laquelle le public est le principal acteur – préparant le phénomène<br />
mondain d’aller <strong>au</strong> théâtre. Un nouvel éclairage, un espace plus grand pour l’orchestre, une<br />
toile de scène représ<strong>en</strong>tant non plus les dieux tutélaires des arts, mais des hommes, les grands<br />
génies de l’humanité, telles sont les modifications apportées <strong>au</strong> Coliseo de Bogotá. Non<br />
41 « Santafé se muere, pero de <strong>en</strong> medio de sus restos mortales se levanta Bogotá, la joya de la Sabana,<br />
la virg<strong>en</strong> beata. » El Tiempo, 13 octobre 1857 (cité par M. Lamus Obregón, 2004 : 128).<br />
42 Ibid.<br />
43 Égalem<strong>en</strong>t directeur musical de la Compañía de la Unión de 1853.<br />
44 Ainsi La Marseillaise et <strong>Le</strong>s Girondins sont interprétés lors de la représ<strong>en</strong>tation <strong>en</strong> 1853 des<br />
Prussi<strong>en</strong>s <strong>en</strong> Lorraine, drame de Gustave <strong>Le</strong>moine, traduit à espagnol par Joaquin Hurtado de<br />
M<strong>en</strong>doza.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
moindre est le changem<strong>en</strong>t idéologique qui se produit sur les planches : un répertoire<br />
« révolutionnaire » (Hugo, Dumas, Sue…) alterne pour la première fois avec des pièces<br />
originales colombi<strong>en</strong>nes. Car Lor<strong>en</strong>zo María Lleras mise tout sur « la création d’un théâtre<br />
patriotique qui aide à rompre définitivem<strong>en</strong>t avec les li<strong>en</strong>s coloni<strong>au</strong>x 45 ». Divers <strong>au</strong>teurs<br />
colombi<strong>en</strong>s sont joués. Ainsi Un alcalde a la antigua y dos primos a la moderna, comédie de<br />
mœurs de José María Samper, dont Ponce de <strong>Le</strong>ón fait un opéra-bouffe <strong>en</strong> deux actes <strong>en</strong><br />
1865. La dramática nacional sert par ailleurs d’école à un grand nombre de jeunes débutants<br />
que nous retrouverons <strong>en</strong> tant que professionnels dans les années 1870-1880.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón compte alors de dix à treize ans. Assiste-t-il <strong>au</strong> théâtre avec sa famille ? Va-<br />
t-il <strong>au</strong>x séances pour <strong>en</strong>fants organisées par Lleras 46 ? <strong>Le</strong> contexte esthétique dans lequel il<br />
grandit vise la rest<strong>au</strong>ration du théâtre, rest<strong>au</strong>ration qui se fait <strong>en</strong> deux étapes : matérialiser<br />
l’esprit progressiste et créer un théâtre par les Colombi<strong>en</strong>s pour les Colombi<strong>en</strong>s 47 .<br />
Lleras est égalem<strong>en</strong>t le fondateur de l’école du Saint Esprit, Colegio del Espíritu Santo, qui<br />
marqua Bogotá par sa modernité : suivant le modèle des écoles étasuni<strong>en</strong>nes, donnant une<br />
importance particulière <strong>au</strong>x sci<strong>en</strong>ces naturelles et <strong>au</strong>x langues vivantes 48 . Cette école, qui<br />
compta Ponce de <strong>Le</strong>ón parmi ses élèves, joua un rôle important dans la formation de toute une<br />
génération dite « radicale », <strong>en</strong> raison de l’appellation Olimpo radical du gouvernem<strong>en</strong>t des<br />
années 1863-1886.<br />
Lleras cumule la fonction de directeur de la troupe avec celle d’impresario. Grâce à lui, à<br />
son esprit moderne et à son désir d’ouvrir le pays à la civilisation europé<strong>en</strong>ne, il va offrir à<br />
Bogotá une expéri<strong>en</strong>ce jusqu’alors inédite : la première troupe itali<strong>en</strong>ne d’opéra ! À partir de<br />
1855 et grâce <strong>au</strong> zèle de Lleras, Bogotá devi<strong>en</strong>t une capitale avec une activité culturelle<br />
surpr<strong>en</strong>ante, comme nous avons pu le constater précédemm<strong>en</strong>t.<br />
La dramática nacional d’Honorato Barriga, compagnie colombi<strong>en</strong>ne active <strong>en</strong> 1863,<br />
représ<strong>en</strong>te Duda <strong>en</strong> el alma o El embozado de Córdoba, drame espagnol de Olavarría y<br />
Huarte, créé à Madrid <strong>en</strong> 1857, dont Ponce de <strong>Le</strong>ón va mettre <strong>en</strong> musique le Finale. C’est un<br />
indice – avec Un alcalde – que le musici<strong>en</strong> devait suivre de près l’actualité théâtrale.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón évolue donc dans un milieu dont l’activité théâtrale et opératique est<br />
continue. Il est évid<strong>en</strong>t que dans un contexte ne favorisant pas les études musicales, la<br />
45<br />
M. Lamus Obregón, 2004 : 128.<br />
46<br />
Ibid. : 131.<br />
47<br />
Ibid. : 47.<br />
48<br />
J. Jaramillo Uribe, 1989 : 227.<br />
101<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
102<br />
prés<strong>en</strong>ce des Itali<strong>en</strong>s affirme la vocation du musici<strong>en</strong>. Car dès 1865, Ponce de <strong>Le</strong>ón annonce<br />
sa carrière. Il interprète <strong>en</strong> famille le final de El embozado de Córdoba qu’il vi<strong>en</strong>t de mettre<br />
<strong>en</strong> musique. On peut imaginer une séance <strong>en</strong>tre amis, le compositeur <strong>au</strong> piano, ses sœurs<br />
t<strong>en</strong>ant les rôles chantés 49 . En décembre de cette même année 1865, l’opéra bouffe Un alcalde<br />
a la antigua y dos primos a la moderna est créé dans le salon de la maison de Lor<strong>en</strong>zo María<br />
Lleras !<br />
Il semblerait qu’après une première <strong>au</strong>dition privée, Ponce organise une représ<strong>en</strong>tation<br />
publique et invite des personnes influ<strong>en</strong>tes du monde artistique 50 :<br />
Monsieur: le 17 du courant <strong>au</strong>ra lieu la représ<strong>en</strong>tation de l’opéra Un alcalde a la antigua i dos<br />
primos a la moderna, dont je suis l’<strong>au</strong>teur.<br />
J’espère que vous <strong>au</strong>rez la condesc<strong>en</strong>dance de contribuer à l’éclat de cette séance <strong>en</strong> y<br />
assistant, et que vous serez indulg<strong>en</strong>t avec un jeune homme qui a dû vaincre tant<br />
d’inconvéni<strong>en</strong>ts pour arriver péniblem<strong>en</strong>t à ses fins.<br />
Ci-joint vous trouverez le programme de la séance.<br />
Aves l’expression de mes considérations les meilleurs ;<br />
José María Ponce de L.<br />
Note : la séance <strong>au</strong>ra lieu dans le salon de la villa du docteur Lor<strong>en</strong>zo Lleras. <strong>Le</strong>s billets<br />
doiv<strong>en</strong>t être montrés à la première porte et seront remis à l’<strong>en</strong>trée du salon.<br />
Señor:eldía17delmes<strong>en</strong>curso,t<strong>en</strong>drálugarlarepres<strong>en</strong>tacióndelaóperaUnalcaldeala<br />
antiguaidosprimosalamoderna,dequesoy<strong>au</strong>tor.<br />
Espero de U. t<strong>en</strong>drá la condesc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>cia de contribuir al lucimi<strong>en</strong>to de esta función,<br />
asisti<strong>en</strong>doaella,iqueseráindulg<strong>en</strong>teconunjov<strong>en</strong>quetantosinconv<strong>en</strong>i<strong>en</strong>teshat<strong>en</strong>idoque<br />
v<strong>en</strong>cerparallegarallogrodetanp<strong>en</strong>osaempresa.<br />
Adjuntohallaráelprogramadelafunción<br />
Cons<strong>en</strong>timi<strong>en</strong>tosdeconsideraciónmesuscribodeU.Afectísimo,Q.B.S.M.<br />
JoséMaríaPoncedeL.<br />
Nota:Lafunciónt<strong>en</strong>drálugar<strong>en</strong>elsalóndelaquintadeldoctorLor<strong>en</strong>zoLleras.Lasboletasse<br />
mostraran<strong>en</strong>laprimerapuerta,ise<strong>en</strong>tregaranala<strong>en</strong>tradadelsalón.<br />
Nous retrouvons L.M. Lleras – promoteur d’un théâtre colombi<strong>en</strong> et de la première saison<br />
itali<strong>en</strong>ne à Bogotá – cette fois comme instigateur de l’opéra colombi<strong>en</strong>. Sa villa était<br />
probablem<strong>en</strong>t le local de l’école de l’Espiritu Santo, mais nous n’avons de confirmation à<br />
cette hypothèse. Voici le programme imprimé qui accompagnait cette invitation 51 :<br />
49 R. Pombo, 1874 : 9.<br />
50 Cette invitation, ainsi que le programme de la soirée, sont recopiés par J. I. Perdomo Escobar<br />
(1979 : 36). Nous ne connaissons pas ces docum<strong>en</strong>ts origin<strong>au</strong>x, ni leur lieu actuel de conservation.<br />
51 Recopié par J.I. Perdomo Escobar, 1979 : 36-37.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
THÉÂTRE<br />
Soirée <strong>lyrique</strong> d’amateurs de Bogotá<br />
Pour la nuit du 17 décembre 1865<br />
Un alcalde a la antigua y dos primos a la moderna<br />
Opéra bouffe <strong>en</strong> deux actes, par José María Ponce.<br />
Encouragé par mon amour à l’art et par les mots généreux de quelques amis, j’ai réussi, après<br />
avoir vaincu de grands inconvéni<strong>en</strong>ts, à représ<strong>en</strong>ter <strong>en</strong> privé cet essai <strong>lyrique</strong> : je crois que mes<br />
compatriotes seront indulg<strong>en</strong>ts avec un travail qui, même s’il manque de mérite intrinsèque, a<br />
celui de l’effort suprême qui a été mis <strong>en</strong> œuvre pour sa réalisation.<br />
Si le public daigne appl<strong>au</strong>dir cet opéra, ce sera exclusivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> raison du tal<strong>en</strong>t artistique des<br />
jeunes qui se sont prêtés si généreusem<strong>en</strong>t à sa représ<strong>en</strong>tation.<br />
En voulant témoigner de ma gratitude <strong>au</strong>x personnes les plus chères et celles <strong>en</strong>vers qui je<br />
professe la plus grande estime, j’ai décidé de dédicacer les numéros de cet opéra…<br />
TEATRO<br />
FunciónlíricadeaficionadosdeBogotá<br />
Paralanochedel17dediciembrede1865<br />
Unalcaldealaantiguaydosprimosalamoderna<br />
Óperabufa<strong>en</strong>dosactos,porJoséMaríaPonce.<br />
Al<strong>en</strong>tadopormiamoralarteiporbondadosaspalabrasdealgunosdemisamigos,he<br />
logrado,v<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>dograndesinconv<strong>en</strong>i<strong>en</strong>tes,poderrepres<strong>en</strong>tarprivadam<strong>en</strong>teeste<strong>en</strong>sayo<br />
lírico:creo,portantoquemiscompatriotast<strong>en</strong>dránindulg<strong>en</strong>ciaconuntrabajoque,silefalta<br />
méritointrínseco,ti<strong>en</strong>eeldelesfuerzosupremoqueh<strong>en</strong>ecesitadohacerpararealizarlo.<br />
Sielpúblicosedignaredisp<strong>en</strong>sarunapl<strong>au</strong>soaestaópera,serádebidoexclusivam<strong>en</strong>tealos<br />
tal<strong>en</strong>tosartísticosdelosjóv<strong>en</strong>esquetanbondadosam<strong>en</strong>tesehanprestadoarepres<strong>en</strong>tarla.<br />
Deseandotributarunhom<strong>en</strong>ajealaspersonasmáscarasparamíyaqui<strong>en</strong>esprofesolamás<br />
grandeestimación,heresueltodedicarlosnúmerosdeestaóperadelamanerasigui<strong>en</strong>te:<br />
D’importants élém<strong>en</strong>ts ressort<strong>en</strong>t de ce paragraphe introductif. <strong>Le</strong> terme « amateur »<br />
démarque cette séance des spectacles d’opéras <strong>en</strong> cours, proposés par la Compagnie<br />
professionnelle Sindici-Isaza. Ce docum<strong>en</strong>t nous donne par ailleurs la date de la<br />
représ<strong>en</strong>tation, et laisse <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre qu’une <strong>au</strong>dition privée a déjà eu lieu – ce qui expliquerait la<br />
parution de l’article du journal El Bogotano daté du 15 décembre 1865, « Opera bogotana 52 ».<br />
Enfin le programme qui suit nous permet de connaître la structure musicale d’une œuvre<br />
<strong>au</strong>jourd’hui perdue, ainsi que les noms des personnes de l’<strong>en</strong>tourage de Ponce :<br />
Obertura.AlseñorCrisóstomoOsorio.<br />
Actoprimero:<br />
1. Ariadelbajo:Cuántosespachos,quérollo!alseñorManuelMarroquín.<br />
2. Coro:Señoralcalde,Socorro!alseñorJulioQuevedo.<br />
3. Cavatinaparasoprano:Ohquétorm<strong>en</strong>to,quévida.AlseñorNicolásQuevedo<br />
4. Dúoparasopranoybarítono:Queestoylocoporesepardeluceros,alseñorJacinto<br />
Corredor.<br />
5. Cavatinaparat<strong>en</strong>or:dichosoelque<strong>en</strong>amor,alseñorRománIsaza.<br />
6. Dúoparasopranoyt<strong>en</strong>or:Ah!mibi<strong>en</strong>!,alseñorRafaelE.Santander.<br />
7. Quinteto:Queiniquidad!alseñorJoséCaicedoRojas.<br />
52 El Bogotano (III.119), 15 décembre 1865. Voir <strong>au</strong>ssi le début de l’Introduction de cette étude.<br />
103<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
104<br />
Actosegundo:<br />
Fugadeintroducción:alseñorVic<strong>en</strong>teNicolao<br />
8y9.Coroytercetino:alseñorDiegoFallón<br />
10. Ariayser<strong>en</strong>ata:Ohquénochetanhermosa!alseñorAlejandroPosada.<br />
11. Ariaybalada:Yebindermochosinredos.alseñorAndrésM.Pardo<br />
12. Romanzaparabarítono:Lailusiónquemim<strong>en</strong>tearrebataalseñorManuelMaría<br />
Párraga<br />
13. Esc<strong>en</strong>adelbaile:alseñorJoséG.GutiérrezP.<br />
14. Coro.<br />
15. Ariaparabajo:Mildemoniosmearrebatan,alseñorPedroVisoni<br />
16. Cuartetofinal.Seacabaronlospesares,alseñorJustoBriceño.<br />
JoséMaríaPonce<br />
Juan Crisóstomo Osorio a été le professeur de musique de Ponce. Manuel Marroquín le<br />
directeur de l’école Yerbabu<strong>en</strong>a. Julio Quevedo, musici<strong>en</strong>, ami de Ponce. Nicolas Quevedo<br />
Rachadell est le père de Julio. Musici<strong>en</strong> reconnu durant la première moitié du <strong>siècle</strong>, maître de<br />
chant de la compagnie <strong>lyrique</strong> Bazzani, il a sans doute donné des conseils <strong>au</strong> jeune<br />
compositeur. Román Isaza était le chef d’orchestre vénézuéli<strong>en</strong> de la Compagnie Sindici-<br />
Isaza et Pietro Visoni son maître de chant 53 . On retrouve le nom de Párraga, pianiste virtuose,<br />
dont nous ignorons les rapports avec Ponce.<br />
<strong>Le</strong> programme conti<strong>en</strong>t <strong>au</strong>ssi la répartition des rôles :<br />
Distributiondelacomédie:<br />
DonPascasio,Alcalde/Maire:señorAntonioEspina<br />
DoñaPetrona,suesposa/safemme:señoritaJuanaPonce<br />
Mariquita,hijasuya/safille:SeñoritaMargaritaPonce<br />
P<strong>au</strong>lino,susobrino/sonneuveu:SeñorAlejoGarcía<br />
DonPedrito,lechuguinodepueblo/jeunevillageois:señorIsidoroSturnthal<br />
DonPastor,sacristán:SeñorEpifanioGaray<br />
Directorimaestrodepiano:SeñorJoséMaríaPonce.<br />
Juana et Margarita sont les sœurs du compositeur 54 . Certains noms réapparaîtront dans le<br />
parcours artistique de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Alejo García chantera dans les chœurs des différ<strong>en</strong>tes<br />
saisons d’opéras ; Epifanio Garay créera les rôles d’Alfonso (El Vizconde, 1867) et de Rubén<br />
(Florinda, 1880). Enfin on retrouvera Antonio Espina dans les années 1880, organisateur de<br />
spectacles de marionnettes, <strong>au</strong>xquels Ponce participera <strong>en</strong> assurant la partie musicale, v<strong>en</strong>ant<br />
même à représ<strong>en</strong>ter des opéras. L’opéra bouffe est accompagné <strong>au</strong> piano par le compositeur.<br />
Enfin le programme termine par cette note :<br />
53 M. Lamus Obregón, 2004 : 382.<br />
54 R. Pombo, 1874 : 9.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
La séance <strong>au</strong>ra lieu dans le salon de la villa de M. Lor<strong>en</strong>zo María Lleras. On prie le public<br />
d’arriver le plus tôt possible puisque le ride<strong>au</strong> se lèvera à huit heures précises. Imprimé par<br />
F. Mantilla.<br />
Nota:lafunciónt<strong>en</strong>drálugar<strong>en</strong>elsalóndelaquintadeldoctorLor<strong>en</strong>zoMaríaLleras.Se<br />
suplicaalpúblicolaasist<strong>en</strong>cialomástempranoposiblepueseltelónselevantaráalasocho<br />
<strong>en</strong>punto.Impr<strong>en</strong>taacargodeF.Mantilla.<br />
La musique de cette œuvre <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> seize numéros semble perdue. Nous ne disposons<br />
d’<strong>au</strong>cun compte-r<strong>en</strong>du dans la presse ni d’<strong>au</strong>tres détails sur cette représ<strong>en</strong>tation. Cep<strong>en</strong>dant,<br />
<strong>en</strong>touré de personnes connues, n’hésitant pas à dédicacer des numéros <strong>au</strong>x musici<strong>en</strong>s de la<br />
compagnie d’opéra, Ponce de <strong>Le</strong>ón se fait l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t connaître dans le milieu musical.<br />
La consécration arrive le 24 janvier 1867, un an après Un alcalde. La troupe Cavaletti avait<br />
décidé de donner un nouvel élan à l’art national : elle <strong>en</strong>courageait les hommes de lettres et<br />
les musici<strong>en</strong>s à écrire des ouvrages que la compagnie se chargeait alors d’interpréter. Pour la<br />
première fois dans l’histoire de la musique <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, des compositeurs colombi<strong>en</strong>s –<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, Daniel Figueroa, Juan Crisóstomo Osorio – ont la chance d’assister à la<br />
création de leurs œuvres par une troupe étrangère. Même si le Vizconde de Ponce est une<br />
zarzuela chica <strong>en</strong> un acte et quelques numéros, voir son œuvre représ<strong>en</strong>tée <strong>au</strong> Coliseo par une<br />
troupe étrangère, marque le début officiel de sa vie de compositeur. Et la fin d’une période de<br />
sa vie, avant d’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> 1867 la traversé de l’Atlantique qui le conduit à <strong>Paris</strong>.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, séduit par la scène <strong>lyrique</strong>, se forme donc <strong>en</strong> <strong>au</strong>todidacte dans un milieu<br />
irrigué ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t par l’esthétique itali<strong>en</strong>ne, esthétique où se succèd<strong>en</strong>t historiquem<strong>en</strong>t<br />
bel canto puis romantisme, mais que la scène bogotaine juxtapose. <strong>Le</strong> compositeur qu’il va<br />
dev<strong>en</strong>ir dans la déc<strong>en</strong>nie de 1870 puisera son inspiration <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> dans le modèle rossini<strong>en</strong><br />
ou verdi<strong>en</strong>, fidèle à ses premiers souv<strong>en</strong>irs d’opéra.<br />
En l’abs<strong>en</strong>ce d’un conservatoire à Bogotá, d’un professeur r<strong>en</strong>ommé, quels ont pu être les<br />
contacts de Ponce de <strong>Le</strong>ón avec l’opéra ? Nous allons <strong>en</strong>visager sa première approche avec le<br />
monde <strong>lyrique</strong> sous trois angles qui nous sembl<strong>en</strong>t structurants pour la future personnalité du<br />
compositeur : l’affectif, le théorique et le pratique.<br />
Il existe tout d’abord une part affective, véritable <strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t du jeune homme pour la<br />
scène <strong>lyrique</strong>. En assistant, adolesc<strong>en</strong>t, <strong>au</strong>x représ<strong>en</strong>tations qui marqu<strong>en</strong>t le début de l’opéra à<br />
Bogotá, il fut sans doute émerveillé par les voix, les chœurs, la prés<strong>en</strong>ce d’un orchestre,<br />
105<br />
l’apparat scénique, les costumes et les décors. La qualité de l’interprétation et les conditions<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
106<br />
matérielles sont loin de ce qu’il va <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre à <strong>Paris</strong> dès 1867 ! Pourtant, <strong>en</strong> l’abs<strong>en</strong>ce de<br />
points de repère, la comparaison ne se justifie pas <strong>en</strong>core.<br />
<strong>Le</strong> jeune Ponce a eu l’occasion de travailler avec ces troupes itali<strong>en</strong>nes. Cette approche<br />
pratique, jusqu’alors ignorée, place le compositeur <strong>au</strong> cœur du spectacle et devi<strong>en</strong>t formatrice<br />
<strong>en</strong> comblant les lacunes d’une formation académique inexistante. En 1865, la compagnie<br />
Sindici-Isaza prés<strong>en</strong>te à Bogotá des spectacles mobilisant be<strong>au</strong>coup de moy<strong>en</strong>s. Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón rejoint alors la troupe <strong>en</strong> tant que souffleur 55 . Cela laisse supposer qu’il avait ses <strong>en</strong>trées<br />
à l’opéra ; qu’il avait des connaissances musicales suffisantes pour pouvoir suivre une<br />
partition d’<strong>en</strong>semble et, <strong>au</strong> besoin, être <strong>en</strong> mesure de souffler, de chanter la partie d’un acteur.<br />
Peut-être comm<strong>en</strong>çait-il <strong>au</strong>ssi à gagner l’estime du milieu musical, notamm<strong>en</strong>t avec la<br />
composition de ces deux premières partitions <strong>lyrique</strong>s (El embozado… et Un alcalde…).<br />
Cette activité, qui eût passionné tout adolesc<strong>en</strong>t féru d’opéra, reste peu docum<strong>en</strong>tée dans le<br />
parcours personnel de Ponce. Mais les conséqu<strong>en</strong>ces <strong>en</strong> sont énormes : <strong>en</strong> côtoyant des icônes<br />
telles que Lucia ou La Traviata, il vit l’opéra de l’intérieur, s’<strong>en</strong> imprègne, le mémorise. Pour<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, cela s’avère sans doute être sa meilleure école !<br />
Difficile de parler d’une approche théorique pour le jeune Ponce. En Europe, les classes de<br />
composition préparai<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t à l’écriture <strong>lyrique</strong> – la Cantate du Prix de Rome à<br />
<strong>Paris</strong> <strong>en</strong> est le meilleur exemple. En <strong>Colombie</strong>, dans l’abs<strong>en</strong>ce d’une culture musicale<br />
développée, les musici<strong>en</strong>s vont aider à la diffusion de l’opéra <strong>en</strong> s’appuyant sur une forte<br />
propagande à travers la presse. Lor<strong>en</strong>zo María Lleras est l’un des premiers à vouloir r<strong>en</strong>dre le<br />
public s<strong>en</strong>sible à l’opéra – n’oublions pas ses intérêts financiers <strong>en</strong> tant qu’impresario de la<br />
compagnie de 1858. Il élabore des livrets bilingues avec une analyse détaillée de l’action, mis<br />
à la v<strong>en</strong>te dès l’annonce d’un opéra pour que le public ait le temps de l’étudier.<br />
Rafael Pombo, r<strong>en</strong>tré <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong> 1872 après un long séjour à New York, pr<strong>en</strong>d la relève<br />
<strong>en</strong> publiant à son tour les livrets et les analyses des ouvrages prés<strong>en</strong>tés à Bogotá. Ses<br />
traductions des poèmes de Romani, Cammarano, Solera et Piave, ainsi que la fréqu<strong>en</strong>tation du<br />
Metropolitain lors de son séjour à New York, donn<strong>en</strong>t assez d’outils <strong>au</strong> futur librettiste<br />
d’Ester et de Florinda.<br />
Mais l’opéra, par sa double nature dramatique et musicale, a vite fait de dérouter un public<br />
peu averti. L’arrivée de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> provoque un nouve<strong>au</strong> débat : est-ce un spectacle<br />
à la portée des Bogotains ? Est-ce un spectacle superflu, qui divertit sans <strong>au</strong>cun<br />
<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t ?<br />
55 R. Pombo, 1874 : 9.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Sa force est dans les be<strong>au</strong>tés de l’harmonie. <strong>Le</strong>s spectateurs qui ne peuv<strong>en</strong>t pas les connaître,<br />
comme c’est le cas pour la plupart, incapable de les apprécier, estim<strong>en</strong>t par amour-propre, font<br />
des éloges par orgueil, appl<strong>au</strong>diss<strong>en</strong>t par imitation…<br />
Sufuerzaestá<strong>en</strong>lasbellezasdelaarmonía;ylosespectadoresqu<strong>en</strong>osepanconocerlas,<br />
comosucedeconlamayorpartedelosconcurr<strong>en</strong>tes,nopudi<strong>en</strong>doapreciarlas,estimanpor<br />
amorpropio,elogianpororgullo,apl<strong>au</strong>d<strong>en</strong>porimitación… 56 <br />
Juan Crisóstomo Osorio, pianiste et compositeur, professeur de piano de Ponce de <strong>Le</strong>ón,<br />
publie une tribune dans un journal de Bogotá durant la saison d’opéra de la compagnie<br />
Cavaletti pour « instruire et illustrer le peuple 57 » et ainsi mettre fin <strong>au</strong>x rétic<strong>en</strong>ces que<br />
certains pouvai<strong>en</strong>t éprouver pour l’opéra. Il s’av<strong>en</strong>ture dans une analyse musicale simplifiée<br />
pour des non-initiés. Son approche du phénomène <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> tant que compositeur nous révèle<br />
la conception théorique de l’opéra itali<strong>en</strong> <strong>en</strong> 1867 à Bogotá. Il s’agit certainem<strong>en</strong>t de notions<br />
qu’il a partagées avec le jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
La chronique de J. C. Osorio, parue <strong>en</strong>tre décembre 1866 et février 1867, est un véritable<br />
dictionnaire sur l’opéra. En contournant un discours trop technique, ses écrits constitu<strong>en</strong>t un<br />
témoignage ess<strong>en</strong>tiel pour la musicologie colombi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> abordant la problématique de la<br />
réception de l’opéra itali<strong>en</strong> dans les années 1870 à Bogotá. <strong>Le</strong> compositeur traite tout d’abord<br />
ce qui caractérise l’opéra : le chant. Il détaille les différ<strong>en</strong>tes tessitures (soprano, contralto,<br />
t<strong>en</strong>or, barítono et bajo) qui embrass<strong>en</strong>t l’ext<strong>en</strong>sion de la voix humaine. Celle-ci doit être<br />
flexible et travaillée afin de passer d’un registre de poitrine à un registre de gorge ou de tête<br />
<strong>en</strong> toute naturalité, avec une intonation juste. <strong>Le</strong> chant doit être expressif et l’acteur habile sur<br />
scène. Osorio insiste <strong>au</strong>ssi sur le naturel de la mélodie 58 – Bellini est cité comme exemple –<br />
construite avec des carrures régulières, sout<strong>en</strong>ue par un rythme cohér<strong>en</strong>t, articulée par des<br />
transitions soignées et des fins de phrases naturelles.<br />
L’accompagnem<strong>en</strong>t est un <strong>en</strong>jeu important de l’écriture : trop compliqué, il embrume le<br />
chant ; trop simple, il devi<strong>en</strong>t fatigant et monotone 59 . <strong>Le</strong>s modulations permett<strong>en</strong>t de varier le<br />
discours musical. Enfin les finals d’actes doiv<strong>en</strong>t être écrits avec un soin particulier.<br />
<strong>Le</strong> compositeur d’opéras doit pouvoir imiter. Cette imitation 60 ou traduction 61 des passions<br />
a lieu dans le cadre formel de l’aria, de la cavatina et de la romanza. L’aria 62 est la mise <strong>en</strong><br />
56<br />
« Teatro », La Ilustración (17), 29 août 1878 : 68. Cité par M. Lamus Obregón, 2004 : 29.<br />
57<br />
J. C. Osorio, « Revista musical. Ópera », El m<strong>en</strong>sajero (I.49), 27 décembre 1866 : 195.<br />
58<br />
J. C. Osorio, « Revista musical. Ópera », Ibid. (I.73), 24 janvier 1867 : 290<br />
59<br />
J. C. Osorio, « Revista musical. Ópera », Ibid. (I.59), 8 janvier 1867 : 234.<br />
60<br />
Ibid.<br />
61<br />
J. C. Osorio, « Revista musical. Ópera », Ibid. (I.102), 27 février 1867 : 407.<br />
107<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
108<br />
musique d’un mom<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tiel de la dramaturgie, que ce soit lors de l’exposition, du<br />
déroulem<strong>en</strong>t ou de la résolution du drame. L’aria se prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong> trois volets : recitado<br />
(imitation du discours parlé), andante (mélodie l<strong>en</strong>te) et allegro (mouvem<strong>en</strong>t vif). Une page<br />
chorale ou orchestrale s’intercale souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre l’andante et l’allegro. Plus courte que l’aria,<br />
la cavatine introduit les scènes principales. On pourrait la supprimer sans nuire <strong>au</strong><br />
déroulem<strong>en</strong>t de l’action. La cavatine adopte la même forme que l’aria (avec ou sans récitatif)<br />
et introduit généralem<strong>en</strong>t un dialogue <strong>en</strong>tre chœur et soliste. Enfin la romance, andante<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tal, dépeint le caractère d’un personnage, peut-être la prière adressée à une divinité.<br />
Chœurs, duos, trios, etc. ont pour seul objectif d’orner l’opéra, <strong>en</strong> introduisant de la variété<br />
et <strong>en</strong> montrant l’habileté du compositeur 63 . La combinaison des voix et des instrum<strong>en</strong>ts,<br />
l’intérêt du drame, le jeu des acteurs, la danse et le décor 64 , sont <strong>au</strong>tant d’élém<strong>en</strong>ts qui font de<br />
tout opéra un grand divertissem<strong>en</strong>t. Et J. C. Osorio de citer Voltaire :<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Il f<strong>au</strong>t se r<strong>en</strong>dre à ce palais magnifique,<br />
Où les be<strong>au</strong>x-arts, la danse, la musique,<br />
L’art de tromper les yeux pas les couleurs,<br />
L’art plus heureux de séduire les cœurs,<br />
De c<strong>en</strong>t plaisirs font un plaisir unique 65 .<br />
La fonction de l’opéra est donc de divertir, de distraire 66 et ainsi faire « oublier les<br />
calamités sociales quotidi<strong>en</strong>nes 67 ». Divertissem<strong>en</strong>t <strong>au</strong> s<strong>en</strong>s pascali<strong>en</strong> 68 , qui pr<strong>en</strong>d d’<strong>au</strong>tant<br />
plus de s<strong>en</strong>s dans un pays où se succèd<strong>en</strong>t conflits armés et crises économiques. J. C. Osorio<br />
parle de la fonction cathartique de l’opéra sans la nommer, <strong>en</strong> affirmant que la musique<br />
réveille les passions et vivifie les s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts.<br />
Une relecture des ouvrages postérieurs de Ponce de <strong>Le</strong>ón – Ester, El Castillo misterioso,<br />
Florinda – à la lumière de ces indications nous montre à quel point le jeune compositeur a dû<br />
être marqué par ces conseils. Ses arias, ses cavatines et ses romances suiv<strong>en</strong>t de près les<br />
structures musicales et dramatiques énoncées par Osorio. Peut-on reprocher à Ponce d’avoir<br />
écrit des opéras légers ? Sans doute… mais il s’agit d’une légèreté qui répond à un critère<br />
esthétique précis – celui qu’il retrouvera dans le <strong>Paris</strong> impérial des années 1870 –, à une<br />
62<br />
J. C. Osorio, « Revista musical. Ópera », Ibid. (I.68),18 janvier 1867 : 271.<br />
63<br />
Ibid.<br />
64<br />
J. C. Osorio, « Revista musical. Ópera », Ibid. (I.49), 27 décembre 1866 : 195.<br />
65<br />
Ibid.<br />
66<br />
Ibid.<br />
67<br />
J. C. Osorio, « Teatro », Ibid. (I.54), 2 janvier 1867 : 215.<br />
68<br />
« Tout ce par quoi l’homme fuit le spectacle de sa misérable condition, le jeu, mais <strong>au</strong>ssi le travail,<br />
l’activité, etc. » (J. Russ, 1991 : 76).
echerche du divertissem<strong>en</strong>t, un combat esthétique pour oublier les souffrances de celui qui a<br />
connu la guerre.<br />
Admiratif de la scène <strong>lyrique</strong>, souffleur lors d’une saison itali<strong>en</strong>ne <strong>au</strong> Coliseo, Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón a un contact avec l’opéra qui se fait avant tout dans la praxis. Nous verrons que tout le<br />
long de sa vie, son rôle d’interprète constituera un véritable laboratoire. En travaillant sur les<br />
partitions des grands maîtres europé<strong>en</strong>s, face <strong>au</strong> besoin d’orchestrer et adapter ces pièces pour<br />
les musici<strong>en</strong>s de sa banda, il acquiert une connaissance des règles de l’écriture musicale qu’il<br />
n’a jamais eu l’occasion d’appr<strong>en</strong>dre dans un conservatoire.<br />
Au sortir de la guerre de 1860, l’<strong>en</strong>fant qui a connu et participé <strong>au</strong>x combats <strong>en</strong> côtoyant la<br />
mort, est dev<strong>en</strong>u un adulte. Ponce de <strong>Le</strong>ón traverse alors une époque de r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> esthétique,<br />
marquée par deux événem<strong>en</strong>ts majeurs : la recherche d’une expression nationale à travers le<br />
théâtre ; l’arrivée puis la prés<strong>en</strong>ce régulière de l’opéra à Bogotá. Durant ces années on assiste<br />
à la l<strong>en</strong>te consolidation du lieu, des artistes et des m<strong>en</strong>talités qui s’<strong>en</strong>gageront dans le projet<br />
d’un opéra national : le Coliseo réformé s’appar<strong>en</strong>te maint<strong>en</strong>ant <strong>au</strong>x théâtres à l’itali<strong>en</strong>ne qui<br />
fleuriss<strong>en</strong>t dans toute l’Europe ; le rattachem<strong>en</strong>t d’artistes loc<strong>au</strong>x <strong>au</strong>x saisons itali<strong>en</strong>nes<br />
contribue à la l<strong>en</strong>te acclimatation de l’opéra. La jeune génération, dont Ponce de <strong>Le</strong>ón fait<br />
partie, grandit <strong>en</strong>semble dans ce contexte qui prépare l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t le terrain pour que, dans les<br />
années 1875, ils s’uniss<strong>en</strong>t unanimem<strong>en</strong>t dans un projet commun : la création d’un opéra<br />
colombi<strong>en</strong>.<br />
Mais pour l’heure la famille de Ponce de <strong>Le</strong>ón, s<strong>en</strong>sible <strong>au</strong>x succès de son <strong>en</strong>fant dans le<br />
monde <strong>lyrique</strong>, réceptive à la réussite du Vizconde, décide d’une destination qui ne peut que<br />
bouleverser José María : <strong>Paris</strong>.<br />
3.4. <strong>Paris</strong>:lechocdescultures(18671870)<br />
<strong>Paris</strong> ! Peut-on imaginer le choc culturel, l’émerveillem<strong>en</strong>t, le dépaysem<strong>en</strong>t d’un jeune<br />
Colombi<strong>en</strong> arrivant à <strong>Paris</strong> <strong>en</strong> 1867 ?<br />
Tournée vers l’av<strong>en</strong>ir capitaliste, Bogotá est une ville qui <strong>en</strong> 1870 n’a pas <strong>en</strong>core pu se<br />
délier de son passé colonial. L’église règle <strong>en</strong>core la vie des habitants : horaire monacal <strong>au</strong><br />
son des cloches, quadrillage des rues <strong>au</strong>tour des paroisses, un seul théâtre trop souv<strong>en</strong>t<br />
fermé… la ville s’<strong>en</strong>nuie.<br />
Dans ce bruit et cette trépidation de la vie parisi<strong>en</strong>ne.<br />
Goncourt<br />
109<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
110<br />
Et soudain, <strong>Paris</strong> ! C’est le <strong>Paris</strong> des dernières années du Second Empire ; le <strong>Paris</strong> des bals<br />
masqués de l’Opéra, des quadrilles <strong>au</strong> Jardin Mabille, du Pré-Catelan <strong>au</strong> Bois de Boulogne,<br />
des jardins Crémorne. C’est le <strong>Paris</strong> de Nana 69 , d’une fin d’Empire avec son étalage de luxe ;<br />
une ville éclairée <strong>au</strong> gaz, avec son incessante recherche de plaisirs. C’est le <strong>Paris</strong> des grands<br />
théâtres impéri<strong>au</strong>x – l’Opéra de la salle <strong>Le</strong> Peletier, les Itali<strong>en</strong>s, le Théâtre-Français –, des<br />
concerts populaires de Pasdeloup <strong>au</strong> Cirque Napoléon, des cafés-concerts. C’est la capitale où<br />
l’on croise Rossini, Off<strong>en</strong>bach, Auber, Gounod, Berlioz ; où l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d Hort<strong>en</strong>se Schneider,<br />
Mme Carvalho, Mlle Nilsson, Kr<strong>au</strong>ss, la Patti ou le ténor Duprez. C’est la ville qui accueille<br />
des notoriétés étrangères comme Joachim, Johann Str<strong>au</strong>ss, Rubinstein ou Bruckner 70 .<br />
Enfin, c’est le <strong>Paris</strong> de l’Exposition universelle de 1867. L’Europe <strong>en</strong>tière s’est donné<br />
r<strong>en</strong>dez-vous <strong>au</strong> Champs-de-Mars. Plus de dix millions de visiteurs admir<strong>en</strong>t ce « musée de<br />
l’histoire du travail » <strong>en</strong>tre le 1 er avril et le 3 novembre. La musique bat à tout rompre :<br />
festivals et concours d’orphéons, d’orchestres, de chœurs, de musiques militaires. Dans les<br />
théâtres, Don Carlos et La Grande-duchesse de Gérolstein marqu<strong>en</strong>t les grands succès de la<br />
saison, alors que Rossini repr<strong>en</strong>d sa plume pour adresser un hymne à Napoléon III.<br />
<strong>Le</strong> séjour parisi<strong>en</strong> de José María (1867-1870) reste <strong>en</strong>touré d’ombres et de mystères.<br />
Comm<strong>en</strong>t a-t-il vécu ce contraste saisissant <strong>en</strong>tre la paisible Bogotá et l’effervesc<strong>en</strong>ce<br />
parisi<strong>en</strong>ne ? Quel put être le choc de la découverte de cette capitale du monde civilisé ? Aucun<br />
docum<strong>en</strong>t officiel n’a été trouvé à ce jour. Son nom ne figure sur <strong>au</strong>cune des listes d’élèves ou<br />
d’<strong>au</strong>diteurs du Conservatoire Impérial. A-t-il était hébergé par un particulier ? Car son nom<br />
n’apparaît pas sur les demandes de résid<strong>en</strong>ces déposées <strong>au</strong>x Archives de <strong>Paris</strong> 71 . La recherche<br />
reste ouverte, et nous espérons trouver un jour une piste qui s<strong>au</strong>ra confirmer que Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón a vécu à <strong>Paris</strong>. Une partition, Bolivar, signée « J.M. Ponce de <strong>Le</strong>ón », portant le sce<strong>au</strong><br />
de la Bibliothèque Impériale et la date de 1868 écrite <strong>en</strong> rouge, est l’une des rares traces du<br />
compositeur à <strong>Paris</strong> (sans que cela confirme définitivem<strong>en</strong>t sa prés<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> France). Aucune<br />
correspondance <strong>en</strong>tre <strong>Paris</strong> et Bogotá ne vi<strong>en</strong>t aider le chercheur. Il est donc difficile, voire<br />
impossible, de décrire la vie parisi<strong>en</strong>ne de Ponce.<br />
69<br />
<strong>Le</strong> roman de Zola, qui se déroule <strong>en</strong>tre 1867 et 1870 peut nous aider à compléter une vision du <strong>Paris</strong><br />
qu’a connu Ponce.<br />
70<br />
Recompilation d’événem<strong>en</strong>ts rapportés dans la Revue et gazette musicale de <strong>Paris</strong> et dans <strong>Le</strong><br />
Ménestrel des années 1867-1870.<br />
71<br />
Plusieurs registres déposés <strong>au</strong>x Archives de <strong>Paris</strong> cont<strong>en</strong>ant les demandes d’admission à domicile, et<br />
de naturalisations, n’ont cep<strong>en</strong>dant pas pu nous être communiqués, étant donné leur m<strong>au</strong>vais état de<br />
conservation.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Nous supposons donc que José María arrive à <strong>Paris</strong> <strong>au</strong> printemps 1867, quelques mois après<br />
la création de sa zarzuela <strong>en</strong> un acte El Vizconde à Bogotá (janvier 1867). Après deux mois de<br />
voyage, il arrive dans la capitale française et participe <strong>au</strong> concours de composition organisé<br />
par l’Exposition universelle (la date limite d’<strong>en</strong>voi d’un Hymne de la Paix étant fixée <strong>au</strong> 5<br />
juin 1867). Ponce de <strong>Le</strong>ón va donc demeurer un peu plus de trois ans à <strong>Paris</strong>, jusqu’<strong>au</strong><br />
déclanchem<strong>en</strong>t de la guerre <strong>en</strong> 1870.<br />
<strong>Le</strong> 19 juillet 1870 Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Moins de deux mois plus tard,<br />
le 2 septembre, la capitulation de Sedan marque la fin du Second Empire. Durant l’hiver<br />
1870-1871, <strong>Paris</strong> est assiégé. Famine, froid, épidémie… tel est le nouve<strong>au</strong> visage du <strong>Paris</strong> de<br />
la Commune de 1871. Ponce de <strong>Le</strong>ón, marqué par les révolutions colombi<strong>en</strong>nes de 1860,<br />
préfère quitter la France face <strong>au</strong> désastre qui s’annonce. Ainsi lit-on dans la presse de Bogotá<br />
du 20 octobre 1870 une lettre datée du 15 octobre qui salue Ponce 72 . Il s’agit d’une preuve<br />
irréfutable qui situe le retour de Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> octobre 1870, qui dém<strong>en</strong>t la version de<br />
R. Pombo (reprise ultérieurem<strong>en</strong>t) d’un retour à Bogotá <strong>en</strong> septembre 1871.<br />
Nous avons structuré ce chapitre sur <strong>Paris</strong> <strong>en</strong> deux volets. À prés<strong>en</strong>t nous aborderons le<br />
contexte musical parisi<strong>en</strong>. En essayant de nous mettre à la place de Ponce, nous découvrirons<br />
les nouve<strong>au</strong>tés marquantes pour tout musici<strong>en</strong> arrivé des Amériques ; nous ferons un détour<br />
par l’Exposition universelle de 1867 et l’état d’esprit qui l’accompagne. Nous évoquerons les<br />
différ<strong>en</strong>tes manifestations musicales parisi<strong>en</strong>nes – opéras, concerts, salons – <strong>en</strong> évoquant la<br />
prés<strong>en</strong>ce de musici<strong>en</strong>s latino-américains qu’a pu côtoyer Ponce.<br />
Dans un second temps nous replacerons Ponce dans ce contexte, le peu que nous savons sur<br />
ce séjour, les conséqu<strong>en</strong>ces que nous pouvons <strong>en</strong> tirer, tout <strong>en</strong> gardant <strong>en</strong> vue les visées<br />
esthétiques du <strong>Paris</strong> des années 1870.<br />
3.4.1.<br />
L’Exposition universelle de 1867 prés<strong>en</strong>te un aperçu des progrès de la facture instrum<strong>en</strong>tale<br />
et de la culture musicale, <strong>en</strong> regard avec le goût musical de la fin des années 1860. S’agissant<br />
d’une des premières manifestations spectaculaires de <strong>Paris</strong> qui a pu éblouir Ponce de <strong>Le</strong>ón,<br />
nous allons détailler les princip<strong>au</strong>x traits qui r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t <strong>au</strong> fait musical <strong>en</strong> 1867.<br />
La course vers l’amélioration des instrum<strong>en</strong>ts de musique a donné un élan à la facture<br />
instrum<strong>en</strong>tale. Au service d’une virtuosité spectaculaire, d’une puissance d’émission du son et<br />
72 « La música » (Unos amigos), Diario de Cundinamarca (II.278), 20 octobre 1870 : 56.<br />
111<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
112<br />
d’une justesse absolue, les facteurs de musique, nombreux et innovants, réalis<strong>en</strong>t des exploits<br />
techniques qui sont exposés <strong>en</strong> 1867 dans la galerie des arts libér<strong>au</strong>x du Palais de<br />
l’Exposition.<br />
<strong>Le</strong>s grands ateliers affich<strong>en</strong>t leurs instrum<strong>en</strong>ts qui sembl<strong>en</strong>t avoir atteint un degré de<br />
perfectionnem<strong>en</strong>t sans précéd<strong>en</strong>t ; les saxophones <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans l’orchestre de l’Opéra <strong>en</strong> 1868<br />
avec Hamlet d’Ambroise Thomas ; les cors et cornets à pistons de la maison Courtois<br />
profit<strong>en</strong>t du regain des fanfares et de la musique militaire <strong>en</strong> cette fin d’Empire. L’émerg<strong>en</strong>ce<br />
de la facture américaine, notamm<strong>en</strong>t de la maison newyorkaise Steinway & Sons 73 , prés<strong>en</strong>te<br />
une compétition sérieuse <strong>au</strong>x ateliers parisi<strong>en</strong>s de Pleyel et d’Érard. L’ère industrielle a<br />
<strong>en</strong>gagé dans son av<strong>en</strong>ture plusieurs contrées monde : des instrum<strong>en</strong>ts et des partitions v<strong>en</strong>us<br />
du Brésil, Chili, Uruguay, Arg<strong>en</strong>tine, Maroc ou <strong>en</strong>core de l’Égypte complèt<strong>en</strong>t cette vitrine de<br />
la scène musicale internationale. Et <strong>au</strong> public de s’émerveiller devant des « pianos<br />
staticophones, des pianos <strong>au</strong>tomatiques, piano symphonista, piano-orphéon, piano-<br />
violon 74 ! »<br />
À Bogotá, Ponce de <strong>Le</strong>ón profitera indirectem<strong>en</strong>t de cette facture parisi<strong>en</strong>ne lorsque – <strong>au</strong><br />
grand étonnem<strong>en</strong>t des histori<strong>en</strong>s d’<strong>au</strong>jourd’hui – il écrira ses œuvres <strong>lyrique</strong>s pour un<br />
orchestre compr<strong>en</strong>ant saxophone, saxhorns et cornets à pistons.<br />
Élève d’Alexis Ch<strong>au</strong>vet, Ponce de <strong>Le</strong>ón sera sans doute s<strong>en</strong>sible <strong>au</strong> grand r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> de la<br />
musique d’orgue, sout<strong>en</strong>u par les chantiers <strong>en</strong>trepris par Cavaillé-Coll, Peschard-Barker ou<br />
Merklin-Schütze dans toute la France. La déc<strong>en</strong>nie 1860-1870 est la grande déc<strong>en</strong>nie de<br />
l’orgue. La remise à neuf des tribunes parisi<strong>en</strong>ne passionne la capitale 75 . Des organistes tels<br />
que <strong>Le</strong>fébure-Wély, César Frank, Saint-Saëns, Ch<strong>au</strong>vet, Guilmant, Widor 76 reh<strong>au</strong>ss<strong>en</strong>t de<br />
l’éclat de leurs noms un répertoire remis <strong>au</strong> goût du jour. Aussi l’in<strong>au</strong>guration de l’orgue<br />
Cavaillé-Coll de Notre-Dame le 6 mars 1868 pr<strong>en</strong>d les allures d’un événem<strong>en</strong>t mondain. À la<br />
tribune se succèd<strong>en</strong>t Ch<strong>au</strong>vet, Saint-Saëns (qui exécute sa Marche de la Cantate de<br />
l’Exposition), Franck, Loret (jouant du Bach), Durand et Guilmant 77 .<br />
73 Ibid., n° 12, 24 mars 1867 : 90.<br />
74 Em. M. de Monter, Revue et gazette musicale de <strong>Paris</strong> (34 n°16), 21 avril 1867 : 121.<br />
75 Cavaillé-Coll refait l’orgue des églises Saint-Thomas d’Aquin, Saint-Bernard de la Chapelle, Sainte-<br />
Merry, La Trinité, Sainte-Clotilde, Notre-Dame-des-Lorettes, La Madeleine, Saint-Sulpice… et, bi<strong>en</strong><br />
sur, l’orgue de la cathédrale de Notre-Dame in<strong>au</strong>guré <strong>en</strong> 1868. (H. Klotz/K. Lueders, 2001 : 297).<br />
76 N. Dufourq, 1991 : 53.<br />
77 « Concerts et <strong>au</strong>ditions musicales de la semaine. », Revue et gazette musicale de <strong>Paris</strong> (35 n°11),<br />
15 mars 1868 : 85.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Même Bogotá profite dans son éloignem<strong>en</strong>t du rayonnem<strong>en</strong>t des ateliers parisi<strong>en</strong>s. <strong>Le</strong><br />
nouvel orgue de l’église San-Carlos, commandé sur mesure à <strong>Paris</strong> <strong>en</strong> 1875, traverse <strong>en</strong><br />
pièces détachées un océan, remonte un fleuve puis les flancs abrupts d’une cordillère pour<br />
arriver à bon port 78 .<br />
<strong>Le</strong> progrès passe <strong>au</strong>ssi par la connaissance. L’Exposition universelle accorde une place<br />
privilégiée <strong>au</strong> sonore, à l’interprétation et à l’historicité. Des concerts historiques sont<br />
organisés <strong>au</strong> mois de juin 1867. On y propose des g<strong>en</strong>res <strong>au</strong>ssi variés que l’opéra, la musique<br />
instrum<strong>en</strong>tale ou religieuse. <strong>Le</strong>s œuvres sont signées Josquin, Palestrina, Lassus, Cavalli,<br />
Monteverdi, Lulli, Lalande, Campra, Rame<strong>au</strong>, Vinci, Gluck ou Philidor 79 , des compositeurs<br />
dont on a souv<strong>en</strong>t cru à tort que leur redécouverte était un fait réc<strong>en</strong>t. Pour initier le public à<br />
l’histoire de la musique, différ<strong>en</strong>tes sociétés organis<strong>en</strong>t des confér<strong>en</strong>ces et des cours 80 . <strong>Le</strong>s<br />
principales revues musicales parisi<strong>en</strong>nes, <strong>Le</strong> Ménestrel et la Revue et gazette musicale,<br />
publi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> plusieurs livraisons des biographies de musici<strong>en</strong>s, divers aspects sur l’histoire de<br />
la musique, parfois même des écrits appelés à dev<strong>en</strong>ir référ<strong>en</strong>ce 81 . Ce phénomène de<br />
vulgarisation, mass-média avant la lettre, caractérise la fin du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> et pose des bases<br />
solides pour une p<strong>en</strong>sée historicisante après 1871. Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du Ponce de <strong>Le</strong>ón participe <strong>en</strong><br />
tant que spectateur à cette profusion d’outils de la réception musicale. Dix ans plus tard, il<br />
sera à la tête de nombreux projets de revues musicales qui, f<strong>au</strong>te de moy<strong>en</strong>s à Bogotá, n’iront<br />
pas <strong>au</strong>-delà d’un premier tirage.<br />
Cette diffusion du savoir est int<strong>en</strong>sifiée par une activité d’édition qui va connaître une<br />
époque de gloire ininterrompue jusqu’<strong>en</strong> 1914. L’édition musicale française, <strong>en</strong> croissance<br />
expon<strong>en</strong>tielle, est <strong>en</strong> forte compétition avec les partitions allemandes à partir de 1868. On<br />
n’avait jamais connu un tel choix de musique à <strong>Paris</strong> ! De l’opéra à la chanson d’actualité, <strong>en</strong><br />
passant par la musique religieuse, militaire, d’orphéon, de fanfare, de café-concert ou par les<br />
œuvres pédagogiques, tous les g<strong>en</strong>res sont représ<strong>en</strong>tés 82 .<br />
Édition, distribution… la diffusion d’un répertoire mondain dans le cercle intime du salon<br />
vi<strong>en</strong>t compléter ces mécanismes de réception musicale. Adaptée <strong>au</strong> salon, la musique du<br />
78<br />
Une liste des actionnaires, ainsi que le détail des dép<strong>en</strong>ses (prix de l’orgue, du transport, de<br />
l’assemblage et de son <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t) est publiée dans la presse de Bogotá (« El órgano de San Carlos »<br />
(J.B. Perilla), El Tradicionista (IV.400), 16 avril 1875 : 1746).<br />
79<br />
« Exposition des œuvres musicales. Comité des concerts historiques. », Revue et gazette musicale de<br />
<strong>Paris</strong> (34 n° 22), 2 juin 1867 : 175.<br />
80<br />
Société des Orphéons et Société des Symphonistes <strong>en</strong> janvier 1869.<br />
81<br />
Fétis publie son Histoire générale de la musique à partir de 1869 dans La Revue et gazette musicale.<br />
82 A. Devriès et F. <strong>Le</strong>sure, 1988 : 8-9.<br />
113<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
114<br />
grand monde s’infiltre dans l’<strong>en</strong>ceinte familiale. En effet, les nombreuses réductions,<br />
transcriptions, pots-pourris, paraphrases, fantaisies et réminisc<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t une littérature<br />
futile, immédiate, qui donne la belle part <strong>au</strong> répertoire <strong>lyrique</strong> et des grands bals. Cette<br />
H<strong>au</strong>smusik concilie la démarche créatrice avec une praxis musicale quotidi<strong>en</strong>ne. <strong>Le</strong> répertoire<br />
<strong>en</strong> sort réactualisé, remis à goût, dans une démarche qui a lieu de « laboratoire […] où<br />
s’élabore la technique pianistique moderne 83 ». Évoquons <strong>en</strong> guise d’exemple la contradiction<br />
qui peut exister <strong>en</strong>tre l’écriture déployée – canto spianato – d’un Bellini avec sa relecture<br />
virtuose, d’actualité, faite par un Liszt. Quant à Ponce de <strong>Le</strong>ón, on n’oubliera pas qu’une<br />
grande partie de sa production pour piano et un grand nombre de ses mélodies avai<strong>en</strong>t pour<br />
scène le salon (la tertulia). Mais sans doute n’a-t-il pas fallu qu’il vînt connaître l’Europe pour<br />
s’appliquer à cette pratique musicale depuis longtemps <strong>en</strong> vogue dans les Amériques.<br />
La demande croissante de musique, les espaces variés et divers de pratique musicale –<br />
toujours plus de théâtres, de salons, d’orphéons –, l’importance même que pouvait avoir la<br />
musique comme indice de richesse intellectuelle d’une société, <strong>en</strong>courag<strong>en</strong>t un cycle de<br />
production musicale qui fait de <strong>Paris</strong> une capitale musicale <strong>en</strong> cette fin d’Empire.<br />
En rev<strong>en</strong>ant sur les détails de cette vie musicale parisi<strong>en</strong>ne, nous devinons l’impact de ce<br />
nouve<strong>au</strong> monde dans l’imaginaire de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Nous essayons d’établir un rapport <strong>en</strong>tre<br />
« l’après <strong>Paris</strong> ». Difficile pourtant de nous substituer à son sil<strong>en</strong>ce. En homme de son temps<br />
il s<strong>au</strong>ra relier l’éclat du monde parisi<strong>en</strong> à son faible écho bogotain, dans un contexte qui ne<br />
résiste pas à la comparaison. Il <strong>au</strong>ra vu in situ ce berce<strong>au</strong> de civilisation, lég<strong>en</strong>daire pour un<br />
Américain du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Nous ne pouvons certes pas affirmer que Ponce écrivit des opéras,<br />
de la musique de salon, qu’il s’<strong>en</strong>gagea dans des projets de revues musicales parce qu’il avait<br />
vécu à <strong>Paris</strong>. Mais sans doute le souv<strong>en</strong>ir vivace de <strong>Paris</strong> <strong>en</strong>tretint <strong>en</strong> lui une volonté d’aller<br />
<strong>au</strong>-delà de ce que son milieu pouvait lui offrir.<br />
<strong>Paris</strong>, trépidante de musique, émerveilla le jeune Colombi<strong>en</strong>. Qu’a-t-il pu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ?<br />
Quelles œuvres l’ont marqué ? Fréqu<strong>en</strong>tait-il tel ou tel salon ? Avait-il des <strong>en</strong>trées à tel ou tel<br />
théâtre ? Sa situation économique lui permettait-elle <strong>au</strong> moins d’assister <strong>au</strong>x diverses<br />
productions de la scène parisi<strong>en</strong>ne ? Ses amitiés lui <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t-elles ouvert des portes dans ce<br />
monde musical ? A-t-il tâché de participer activem<strong>en</strong>t à la vie musicale (choriste dans un<br />
théâtre, dans une église) ? Nous espérons trouver un jour réponse à ces questions, <strong>au</strong> hasard<br />
des recherches qui l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t établiss<strong>en</strong>t des li<strong>en</strong>s avec des personnages, des <strong>en</strong>droits ou des<br />
83 D. H<strong>au</strong>sfater, 2003b : 1230.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
situations imprévues 84 . En att<strong>en</strong>dant, nous continuons d’avancer à tâtons dans la découverte<br />
de notre compositeur.<br />
En supposant curiosité, volonté d’appr<strong>en</strong>dre et plaisir d’assister <strong>au</strong>x concerts chez le jeune<br />
musici<strong>en</strong>, ri<strong>en</strong> n’empêche d’imaginer Ponce de <strong>Le</strong>ón comme un habitué des manifestations<br />
musicales parisi<strong>en</strong>nes. Comm<strong>en</strong>t rater un seul événem<strong>en</strong>t musical, un seul concert, pour celui<br />
v<strong>en</strong>u d’une ville où la seule prés<strong>en</strong>ce d’un virtuose étranger suscitait comm<strong>en</strong>taires et<br />
souv<strong>en</strong>irs p<strong>en</strong>dant plusieurs années ! Pour le passionné d’opéra qu’il est, comm<strong>en</strong>t ne pas<br />
assister <strong>au</strong>x grands succès <strong>lyrique</strong>s des théâtres ! Comm<strong>en</strong>t ne pas fréqu<strong>en</strong>ter ces théâtres<br />
parisi<strong>en</strong>s qui éveill<strong>en</strong>t l’admiration du monde <strong>en</strong>tier, qui <strong>en</strong>core <strong>en</strong> 1870 dict<strong>en</strong>t le goût<br />
musical de la civilisation !<br />
3.4.2.<br />
Dépeindre l’activité musicale des années 1867-1870 est une <strong>en</strong>treprise qui dépasse le cadre<br />
de cette étude. « La semaine <strong>lyrique</strong> d’un <strong>Paris</strong>i<strong>en</strong> », véritable must du mondain, se partage<br />
<strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>ts théâtres de la ville 85 . L’hiver, <strong>Paris</strong> propose <strong>au</strong> moins trois soirées dans<br />
chacun des grands théâtres <strong>lyrique</strong>s, avec un répertoire de plus de c<strong>en</strong>t opéras, sans compter la<br />
profusion de petits théâtres, cafés-concerts ; <strong>au</strong> r<strong>en</strong>dez-vous des samedis et dimanches, la<br />
Société des concerts du Conservatoire et les Concerts de Pasdeloup <strong>au</strong> Cirque Napoléon. Sans<br />
évoquer la musique des églises ou des salons… Ainsi nous nous limiterons à prés<strong>en</strong>ter les<br />
œuvres qui nous sembl<strong>en</strong>t être les plus saillantes de la scène parisi<strong>en</strong>ne avant la chute du<br />
Second Empire. Il sera question de la musique <strong>lyrique</strong>, des concerts symphoniques et<br />
historiques, pour retrouver <strong>en</strong>suite le cercle restreint du salon musical.<br />
Notons que tout ce répertoire a pour dénominateur commun la recherche de l’effet. Qu’il<br />
s’agisse de la spl<strong>en</strong>deur toujours surpassée de la scène, du gigantisme de l’orchestre<br />
symphonique, de la démesure des chœurs, de la puissance des orgues, de la virtuosité du<br />
soliste, tout est voué <strong>au</strong> spectaculaire.<br />
Dans les rouages des théâtres parisi<strong>en</strong>s se décide <strong>en</strong>core <strong>en</strong> 1870 le goût. <strong>Le</strong>s quatre théâtres<br />
impéri<strong>au</strong>x de musique – Opéra, salle <strong>Le</strong> Peletier ; Théâtre-Itali<strong>en</strong>, salle V<strong>en</strong>tadour ; Opéra-<br />
115<br />
84 Des journ<strong>au</strong>x intimes de camarades de Ponce de <strong>Le</strong>ón serai<strong>en</strong>t une piste précieuse. Par ailleurs, les<br />
archives de <strong>Paris</strong> (« étrangers à <strong>Paris</strong> »), ou ceux des théâtres, pourrai<strong>en</strong>t fournir d’<strong>au</strong>tres indices<br />
complém<strong>en</strong>taires afin de mieux saisir les années parisi<strong>en</strong>nes du compositeur.<br />
85 Voir le chapitre « La semaine <strong>lyrique</strong> d’un <strong>Paris</strong>i<strong>en</strong> » de P. Barbier (1983 :143-147). L’<strong>au</strong>teur décrit<br />
la situation de la première partie du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, qui n’a pas tant changé vers 1860, si ce n’est par<br />
l’apparition de nouve<strong>au</strong>x théâtres.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
116<br />
Comique, salle Favart ; Comédie-Française – ainsi que la quantité de scènes <strong>lyrique</strong>s 86 , parmi<br />
lesquelles celles de premier ordre – le Théâtre-Lyrique, place du Châtelet – propos<strong>en</strong>t un<br />
répertoire éclectique qui va du Grand Opéra historique <strong>en</strong> cinq actes avec ballet, <strong>au</strong> seul acte<br />
bouffe truffé de dialogues.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón est <strong>en</strong> France, alors que le tout <strong>Paris</strong> ne parle que du Don Carlos de Verdi,<br />
du Roméo et Juliette de Gounod ou d’Hamlet de Thomas. Off<strong>en</strong>bach marque un de ses plus<br />
éclatants succès avec la Grande-Duchesse de Gérolstein pour l’Exposition universelle, suivie<br />
de La Périchole dans son théâtre des Bouffes-<strong>Paris</strong>i<strong>en</strong>s. La presse nous permet de revivre<br />
musicalem<strong>en</strong>t ces années, mais une fois de plus il s’avère impossible de dresser la liste du<br />
répertoire interprété. On n’insistera jamais assez sur l’emprise des Meyerbeer, Auber,<br />
Off<strong>en</strong>bach, Rossini, Bellini, Donizetti ou Verdi qui règn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> maîtres incontestés de l’art<br />
<strong>lyrique</strong>.<br />
Une stricte réglem<strong>en</strong>tation décide de la programmation des opéras. Chaque théâtre ne peut<br />
prés<strong>en</strong>ter qu’un répertoire précis et un nombre préétabli de créations par an 87 . Mais après les<br />
lois de 1864, les scènes moins prestigieuses se mett<strong>en</strong>t à leur tour à proposer des extraits<br />
d’opéras. <strong>Le</strong> goût pour le théâtre <strong>lyrique</strong> est unanime. En 1868, vingt-huit cafés-concerts sont<br />
rec<strong>en</strong>sés 88 . Soixante-trois <strong>en</strong> 1869 89 ! <strong>Le</strong> <strong>lyrique</strong> est un effet de mode qui se répand dans<br />
toutes les classes sociales, dans tous les lieux publics :<br />
<strong>Le</strong>s cafés-concerts, émancipés 90 , jou<strong>en</strong>t des opérettes, des revues, des actes d’opéras,<br />
r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t leur orchestre et devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de véritables scènes <strong>lyrique</strong>s 91 .<br />
Décidém<strong>en</strong>t l’opéra est partout !<br />
<strong>Le</strong>s concerts connaiss<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t un vif succès. Avantageant d’abord la musique vocale,<br />
élargis <strong>en</strong>suite <strong>au</strong> répertoire symphonique, <strong>en</strong> 1867 les concerts ont une place primordiale<br />
dans le <strong>Paris</strong> musical. <strong>Le</strong>s concerts historiques 92 marqu<strong>en</strong>t un tournant dans le domaine<br />
esthétique. Ils attest<strong>en</strong>t d’une « notion patrimoniale liée <strong>au</strong> désir de conserver des ouvrages<br />
86<br />
Notamm<strong>en</strong>t après un décret <strong>en</strong> 1864 supprimant les privilèges et permettant l’ouverture de nouvelles<br />
salles (N. Wild, 1989 : 18).<br />
87<br />
Deux pour l’Opéra et les Itali<strong>en</strong>s vers 1870. (Voir N. Wild, 2003a, 2003b et 2003c.)<br />
88<br />
Revue et gazette (35 n° 40), 4 octobre 1868 : 318.<br />
89<br />
Revue et gazette (36 n° 16), 18 avril 1869 : 135.<br />
90<br />
Sans doute référ<strong>en</strong>ce <strong>au</strong> décret de 1864.<br />
91<br />
Em. M de Monter, Revue et gazette (35 n° 2), 12 janvier 1868.<br />
92<br />
<strong>Le</strong>s concerts historiques prolong<strong>en</strong>t un mouvem<strong>en</strong>t qui pr<strong>en</strong>d ses origines bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> amont dans le<br />
temps et r<strong>en</strong>voie <strong>au</strong>x nouve<strong>au</strong>x concerts spirituels (1805), <strong>au</strong>x concerts organisés par Choron (<strong>au</strong>tour<br />
de 1830), de la Société de concerts du Conservatoire, active dès 1826 ou des Concerts historiques de<br />
Fétis.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
music<strong>au</strong>x », à une époque où le Louvre est transformé <strong>en</strong> musée, où le patrimoine<br />
architectural français est rest<strong>au</strong>ré par Viollet-le-Duc. <strong>Le</strong>s valeurs « moralisatrice, lucrative,<br />
rest<strong>au</strong>ratrice 93 » de ces concerts contrast<strong>en</strong>t avec une scène <strong>lyrique</strong> avide de sujets cocasses.<br />
<strong>Le</strong> concert répond égalem<strong>en</strong>t à une démarche saint-simoni<strong>en</strong>ne du <strong>siècle</strong> <strong>en</strong> apportant la<br />
culture <strong>au</strong> peuple, <strong>en</strong> favorisant la solidarité sociale 94 . C’est le cas des concerts populaires<br />
dirigés par Pasdeloup, regroupant plus de c<strong>en</strong>t musici<strong>en</strong>s. Au Cirque Napoléon, « les bancs<br />
sont durs, l’acoustique est m<strong>au</strong>vaise, l’odeur répugnante des anim<strong>au</strong>x du cirque règne, mais le<br />
public est <strong>en</strong>chanté 95 . » Et l’on se presse pour ne pas rater un concert ! <strong>Le</strong> répertoire est<br />
d’<strong>au</strong>tant plus varié que Pasdeloup accorde une place importante <strong>au</strong>x compositeurs<br />
germaniques qui, selon ses dires, doiv<strong>en</strong>t faire partie du bagage culturel obligé de tout<br />
mélomane : Haydn, Mozart, Beethov<strong>en</strong>, Weber, M<strong>en</strong>delssohn, voire même Wagner. Il<br />
<strong>en</strong>courage égalem<strong>en</strong>t les compositeurs français à v<strong>en</strong>ir élargir un répertoire symphonique<br />
<strong>en</strong>core peu étoffé.<br />
La Société de concerts du Conservatoire, placée sous la baguette de Hainl, adopte une<br />
démarche conservatrice. « Temple du classicisme, musée des œuvres musicales 96 », la Société<br />
de concerts est notamm<strong>en</strong>t connue pour ses interprétations lég<strong>en</strong>daires des symphonies de<br />
Beethov<strong>en</strong>.<br />
<strong>Le</strong> regain du symphonisme et le succès des concerts <strong>en</strong>courag<strong>en</strong>t de nombreuses initiatives<br />
musicales qui cherch<strong>en</strong>t à explorer d’<strong>au</strong>tres répertoires. Ainsi, la fondation <strong>en</strong> mai 1868 d’une<br />
Société des oratorios par Pasdeloup, in<strong>au</strong>gurée par une Passion de Bach (imprimée peu de<br />
temps après, comme le montr<strong>en</strong>t les annonces dans la presse). Malgré sa rapide disparition,<br />
cette société <strong>au</strong>ra permis <strong>au</strong> public parisi<strong>en</strong> de découvrir l’Ode à Sainte Cécile d’Ha<strong>en</strong>del,<br />
ainsi que des œuvres de Thomas, Dubois, <strong>Le</strong>prévost, B<strong>en</strong>oit. Ces concerts mobilis<strong>en</strong>t des<br />
chœurs imm<strong>en</strong>ses, typiques des effets de masse recherchés dans ces années.<br />
Il convi<strong>en</strong>t ici de rappeler que la r<strong>en</strong>aissance de l’oratorio romantique français remonte <strong>au</strong>x<br />
années 1850 avec des œuvres comme L’Enfance du Christ de Berlioz (1850) ; Tobie de<br />
Gounod (1854) ou L’oratorio de Noël de Saint-Saëns (1858). Il s’agit de la réplique française<br />
à la démarche de M<strong>en</strong>delssohn dans les années 1840 qui redécouvrait la Passion selon Saint-<br />
Mathieu de Bach dès 1829 ; les oratorios de Ha<strong>en</strong>del, Haydn et qui composait P<strong>au</strong>lus (1836)<br />
93 J. M. F<strong>au</strong>quet, 2003a : 299.<br />
94 R. P. Locke, 2003 : 1110-1111.<br />
95 E. Bernard, 2003.<br />
96 E. Bernard et J. M. F<strong>au</strong>quet, 2003.<br />
117<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
118<br />
et Elias (1846). En France, la terminologie demeure cep<strong>en</strong>dant imprécise, impressionniste,<br />
pour désigner un g<strong>en</strong>re qui s’adapte <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> <strong>au</strong> concert qu’à la scène : drame sacré, lég<strong>en</strong>de<br />
sacrée, églogue biblique… 97 des titres qui résonn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core dans Ester, ópera bíblica de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón 98 .<br />
Pour le futur compositeur d’Ester, certaines affiches attir<strong>en</strong>t plus l’att<strong>en</strong>tion que d’<strong>au</strong>tres.<br />
L’Athalie de Racine jouit d’une grande estime sur la scène parisi<strong>en</strong>ne. Elle est d’abord<br />
montée <strong>au</strong> Théâtre-Français (1859) avec une musique de Jules Coh<strong>en</strong> (qui <strong>en</strong> 1864 écrit une<br />
nouvelle musique pour les chœurs d’Ester 99 ). Puis les chœurs d’Athalie de M<strong>en</strong>delssohn 100<br />
sont chantés <strong>en</strong> 1866 à l’Athénée 101 . Quelques mois plus tard, <strong>en</strong> février 1867, a lieu la<br />
première <strong>au</strong>dition de l’intégralité de la musique de scène écrite par M<strong>en</strong>delssohn 102 .<br />
Finalem<strong>en</strong>t la pièce est reprise <strong>au</strong> Théâtre de l’Odéon à partir de juillet 1867, « spectacle<br />
imposant et grandiose 103 » où se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t les génies de Racine et de M<strong>en</strong>delssohn. Cette<br />
r<strong>en</strong>contre anachronique <strong>au</strong>ra-t-elle <strong>en</strong>core des échos dans l’esprit de Ponce de <strong>Le</strong>ón, lorsque<br />
quelques années plus tard il écrit son premier opéra d’après la pièce éponyme de Racine ?<br />
<strong>Le</strong> programme d’un concert du 27 mars 1869 attire particulièrem<strong>en</strong>t notre att<strong>en</strong>tion : un<br />
« concert spirituel de bi<strong>en</strong>faisance » joue « des fragm<strong>en</strong>ts d’Esther, par Mlle Favart, de la<br />
Comédie-Française, avec chœurs, soli, orchestre et grand orgue 104 ». À l’orgue « Teresa<br />
Carreño interprète M<strong>en</strong>delssohn avec orchestre 105 . »<br />
D’<strong>au</strong>tres concerts exceptionnels peuv<strong>en</strong>t <strong>au</strong>ssi attirer l’att<strong>en</strong>tion de Ponce de <strong>Le</strong>ón : les<br />
nombreuses in<strong>au</strong>gurations d’orgues Cavaillé-Coll dans les églises parisi<strong>en</strong>nes, dont celle de la<br />
cathédrale de Notre-Dame marque un sommet <strong>en</strong> mars 1868. S’il est vrai que Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
était un disciple d’Alexis Ch<strong>au</strong>vet, on peut imaginer qu’il ait suivi de près la modification du<br />
paysage de l’orgue parisi<strong>en</strong> à la fin des années 1860.<br />
<strong>Le</strong>s funérailles de Rossini <strong>en</strong> novembre 1868 à l’église de La Trinité s’accompagn<strong>en</strong>t d’un<br />
grand concert <strong>au</strong>x moy<strong>en</strong>s gigantesques, <strong>au</strong>quel pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t part les trois c<strong>en</strong>ts élèves du<br />
97<br />
D. H<strong>au</strong>sfater, 2003a.<br />
98<br />
<strong>Le</strong> conflit <strong>en</strong>tre le terme « oratorio » et les œuvres extraites de la Bible alim<strong>en</strong>te un débat rhétorique<br />
jusqu’à bi<strong>en</strong> avancé le XX e <strong>siècle</strong>. Par exemple Samson et Dalila, Salome, L’échelle de Jacob, mais<br />
<strong>au</strong>ssi les oratorios paï<strong>en</strong>s, scéniques, d’Honegger, de Stravinsky.<br />
99<br />
F. Stieger, 1977: 217.<br />
100<br />
Il s’agit de la musique incid<strong>en</strong>tale pour Athalie de Racine Op. 74 de M<strong>en</strong>delssohn, écrite <strong>en</strong> 1845.<br />
101<br />
Saint-Yves, D.A.D., Revue et gazette (34 n°27), 7 juillet 1867.<br />
102<br />
Revue et gazette, 3 février 1867 : 45.<br />
103<br />
Saint-Yves, D.A.D., Ibid.<br />
104<br />
« Nouvelles diverses », Revue et gazette (36 n°11), 14 mars 1869 : 94.<br />
105 Ibid.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Conservatoire ; un grand chœur est placé sous la direction de Jules Coh<strong>en</strong> (inspecteur de la<br />
Chapelle Impériale) ; Ch<strong>au</strong>vet est <strong>au</strong> grand orgue, dont il est le titulaire. Un quatuor de<br />
saxophones de Sax interprète une Marche funèbre de Beethov<strong>en</strong> arrangée par Gevaërt 106 ! <strong>Le</strong><br />
saxophone a définitivem<strong>en</strong>t acquis sa place dans l’instrum<strong>en</strong>tarium contemporain.<br />
On ne peut évoquer la pratique musicale parisi<strong>en</strong>ne sans le détour obligé par le salon. À la<br />
croisée <strong>en</strong>tre le privé et le publique, <strong>en</strong>tre le récital et le concerto de soliste, <strong>en</strong>tre l’intimité de<br />
l’hôtel particulier et la salle de concert des salons Érard ou Herz, le salon est à la fois un lieu<br />
et un g<strong>en</strong>re qui échappe à la définition. Deux types de salons reflèt<strong>en</strong>t les att<strong>en</strong>tes de la société<br />
parisi<strong>en</strong>ne de cette fin d’Empire : ceux, mondains, où la musique n’intervi<strong>en</strong>t que comme<br />
divertissem<strong>en</strong>t. En revanche, les salons music<strong>au</strong>x – certains suivis par la presse jour après jour<br />
– assur<strong>en</strong>t le rôle de passeurs vers le monde public et professionnel. C’est là que les<br />
musici<strong>en</strong>s soumett<strong>en</strong>t leurs nouvelles compositions à un public averti ; s’agissant même du<br />
« passage obligé pour les artistes étudiants ou étrangers qui veul<strong>en</strong>t être introduits dans le<br />
circuit de la vie musicale parisi<strong>en</strong>ne 107 . »<br />
La recherche d’une virtuosité toujours plus poussée, spectaculaire, donne le ton à ce<br />
répertoire. <strong>Le</strong> cahier des charges du compositeur obéit à une conv<strong>en</strong>tion structurelle (forme et<br />
harmonie), sur laquelle s’appose un langage virtuose. Il s’agit d’une virtuosité instrum<strong>en</strong>tale,<br />
<strong>en</strong>richie d’une « virtuosité créatrice 108 », qui s’inscrit dans la lignée d’un Chopin ou d’un<br />
Liszt, dans le cas particulier du piano.<br />
Virtuoses de tout âge et de tout sexe se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les uns après les <strong>au</strong>tres dans les salons<br />
Érard, Herz, Pleyel. <strong>Le</strong>urs noms défil<strong>en</strong>t, chronique après chronique, et s’inscriv<strong>en</strong>t sur une<br />
liste de plus <strong>en</strong> plus longue :<br />
Du 1 er janvier [1868 à] juillet, près de sept c<strong>en</strong>ts concerts donnés chez Érard, Pleyel et Herz 109 .<br />
Ces grandes salles de r<strong>en</strong>ommée internationale, vitrines de virtuoses, sont pourtant la<br />
dernière étape de tout un rése<strong>au</strong> de salons privés et de réunions musicales où les musici<strong>en</strong>s<br />
<strong>au</strong>ront fait leurs preuves. Combi<strong>en</strong> parmi eux rest<strong>en</strong>t sans échos, après avoir t<strong>en</strong>té <strong>en</strong> vain leur<br />
chance dans ce grand <strong>Paris</strong> ?<br />
Au risque de prés<strong>en</strong>ter une étude lacunaire, nous devons une fois de plus admettre que nous<br />
ignorons quels étai<strong>en</strong>t les salons fréqu<strong>en</strong>tés par Ponce de <strong>Le</strong>ón. Il existe cep<strong>en</strong>dant sa Marcha<br />
106<br />
Em. M. De Monter, Revue et gazette (35 n° 47), 22 novembre 1868 : 370.<br />
107<br />
J.M. F<strong>au</strong>quet, 2003c.<br />
108<br />
C. Reyn<strong>au</strong>d, 2003.<br />
109<br />
Em. M. De Monter, Revue et gazette (36 n° 1), 3 janvier 1869 : 3.<br />
119<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
120<br />
heroïca [sic.] pour piano écrite à <strong>Paris</strong>, Bolivar, dédiée A la sociedad Latino-americana. Cela<br />
nous incite à p<strong>en</strong>ser qu’il participait <strong>au</strong>x réunions de quelques diplomates ou exilés<br />
d’Amérique du Sud, tout comme il eût <strong>au</strong>ssi pu faire partie des cercles hispaniques alors<br />
nombreux à <strong>Paris</strong>. Par ailleurs, la presse de Bogotá cite parmi les œuvres de Ponce prés<strong>en</strong>tées<br />
à <strong>Paris</strong> « une marche à Bolivar, exécutée dans deux concerts dans la salle Hers [sic.] 110 ». Cet<br />
article et la partition sont <strong>au</strong>tant d’indices qui montr<strong>en</strong>t que Ponce essayait sans doute de<br />
participer <strong>au</strong>x différ<strong>en</strong>ts événem<strong>en</strong>ts music<strong>au</strong>x. En dépouillant la liste des concerts annoncés<br />
par la Revue et gazette musicale ainsi que du Ménestrel (1867-1870), le nom de Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón n’apparaît pas ; il ne figure pas « <strong>au</strong> nombre des artistes étrangers <strong>au</strong>xquels le public<br />
musical parisi<strong>en</strong> donnerait volontiers le droit de citer 111 ».<br />
En revanche, nous avons croisé le chemin de plusieurs artistes hispaniques qui se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />
à <strong>Paris</strong> durant les années que nous étudions. Tout d’abord Teresa Carreño (1853-1917),<br />
virtuose du piano et compositrice vénézuéli<strong>en</strong>ne, qui devi<strong>en</strong>t rapidem<strong>en</strong>t une notoriété parmi<br />
les interprètes parisi<strong>en</strong>s, s’affranchissant d’une lourde <strong>au</strong>torité paternelle 112 . Elle joue dans les<br />
salons privés de la princesse Mathilde 113 , se produit régulièrem<strong>en</strong>t sur la scène parisi<strong>en</strong>ne<br />
(salle Érard : 7 mai 1867 114 ; 11 mars 1868 115 ; Salle Herz le 16 mars 1868…). Compositrice,<br />
sa musique est publiée à <strong>Paris</strong> et sa fantaisie pour piano d’après l’Africaine 116 reçoit de<br />
nombreux éloges. Elle participe <strong>au</strong>ssi à des programmes de concerts avec le concours<br />
d’artistes de l’Opéra 117 .<br />
Un <strong>au</strong>tre jeune virtuose qui remporte gloire et succès à <strong>Paris</strong> est le chili<strong>en</strong> Fred Guzman. La<br />
presse retrace son parcours parisi<strong>en</strong> ; pour nous l’occasion de confirmer le rôle du salon privé,<br />
véritable tremplin des artistes :<br />
On a déjà pu apprécier le tal<strong>en</strong>t dans quelques réunions privées. M. Guzman est <strong>au</strong>ssi fort<br />
connu <strong>en</strong> Allemagne grâce <strong>au</strong> mérite des œuvres qu’il y a publiées 118 .<br />
110 « Una marcha a Bolívar ejecutada <strong>en</strong> dos conciertos <strong>en</strong> la sala Hers » (« La música », Diario de<br />
Cundinamarca (II. 278), 20 octobre 1870 : 56.<br />
111 « Concerts et <strong>au</strong>ditions musicales de la semaine. », Revue et gazette (34 n° 15), 14 avril 1867 : 118.<br />
112 Manuel Carreño, son père, est l’<strong>au</strong>teur d’un Manuel d’Urbanité, utilisé jusque dans les années 1950<br />
dans les écoles de <strong>Colombie</strong> et du V<strong>en</strong>ezuela.<br />
113 « Nouvelles diverses », Revue et gazette (34 n° 7), 17 février 1867 : 55.<br />
114 Revue et gazette, (34 n°17), 28 avril 1867 : 136. Voir le compte-r<strong>en</strong>du du concert de « cette<br />
exubérante nature » dans le n° 20, 19 mai 1867 : 161.<br />
115 « Concerts et <strong>au</strong>ditions musicales de la semaine. », Revue et gazette (35 n°10), 8 mars 1868 : 76.<br />
116 Revue et gazette (35 n° 25), 21 juin 1868 : 199.<br />
117 Concert annoncé pour le 2 avril 1869, Salle Herz. Revue et gazette (36 n° 25), 28 mars 1869 : 111.<br />
118 « Concerts et <strong>au</strong>ditions musicales de la semaine. », Revue et gazette (35 n° 5), 2 février 1868 : 38.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Il <strong>en</strong> ressort égalem<strong>en</strong>t l’importance d’être publié <strong>en</strong> Europe pour qu’un artiste américain se<br />
fasse un nom. En compagnie de sa femme, elle <strong>au</strong>ssi pianiste, et de son frère, violoniste, les<br />
Guzman organis<strong>en</strong>t des soirées hebdomadaires chez eux, avec la participation de nombreux<br />
artistes 119 . Il se prés<strong>en</strong>te el 27 février 1868, salle Herz 120 . <strong>Le</strong> programme, annoncé dans la<br />
Revue et gazette musicale du 25 février 1868, nous donne une idée du déroulem<strong>en</strong>t de ces<br />
longues soirées, où le virtuose devait briller dans des œuvres connues et le compositeur devait<br />
s’affirmer. L’occasion <strong>au</strong>ssi pour un public « curieux de savoir comm<strong>en</strong>t on compr<strong>en</strong>d les<br />
concertos de Beethov<strong>en</strong> <strong>au</strong> Chili 121 . » Au programme de cette soirée : ouverture de la Flûte<br />
<strong>en</strong>chantée (Mozart), air de Fernand Cortès (Spontini), Concerto op. 37 pour piano<br />
(Beethov<strong>en</strong>), air des Noces de Figaro (Mozart), duo concertant pour deux pianos (Weber /<br />
M<strong>en</strong>delssohn et Moscheles), Mazurke (Guzman), air du Valet de chambre (Carafa), danses de<br />
Cuba (Gottschalk), air du Barbier de Séville (Rossini) et Marche triomphale pour deux pianos<br />
concertants (Guzman).<br />
D’<strong>au</strong>tres Latino-américains se produis<strong>en</strong>t à <strong>Paris</strong>. En 1868, Josè Amat, compositeur<br />
brésili<strong>en</strong>, est à <strong>Paris</strong>, chargé par son gouvernem<strong>en</strong>t de former une troupe itali<strong>en</strong>ne pour les<br />
théâtres du Brésil 122 . Felipe Ramirez, flûtiste mexicain, donne un concert <strong>en</strong> mars 1868 123 .<br />
Eusebio Delgado, violoniste mexicain, anci<strong>en</strong> chef d’orchestre <strong>au</strong> Théâtre National de<br />
Mexico, se produit le 18 mars 1868, Salle Herz 124 . Ce n’est pas un hasard si tous ces artistes<br />
jou<strong>en</strong>t dans la salle Herz. Rappelons que celui-ci avait été fasciné par le contin<strong>en</strong>t américain<br />
lors de ses deux tournées <strong>en</strong> 1845 et <strong>en</strong> 1851, à l’occasion desquelles il donna plus de 400<br />
concerts 125 .<br />
L’Espagnol Eduardo Ocón y Rivas (1833-1901), arrivé à <strong>Paris</strong> <strong>en</strong> 1867, <strong>au</strong>rait connu<br />
Gounod et <strong>au</strong>rait été proche de Ponce de <strong>Le</strong>ón 126 . Une de ses messes <strong>au</strong>rait été interprétée à<br />
Saint-Eustache. Lors de la publication de sa barcarolle Rêvons à notre amour, la presse écrit :<br />
… nous signalerons l’heureux début d’un jeune compositeur espagnol, M. Edouard Ocon, dont<br />
119<br />
« Concerts et <strong>au</strong>ditions musicales de la semaine. », Revue et gazette (35 n° 8), 25 février 1868 : 60.<br />
120<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette (35 n° 7), 16 février 1868 : 55.<br />
121 er<br />
« Concerts et <strong>au</strong>ditions musicales de la semaine. », Revue et gazette (35 n° 9), 1 mars 1868 : 70.<br />
122<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette, (35 n°8), 25 février 1868 : 62.<br />
123<br />
« Concerts et <strong>au</strong>ditions musicales de la semaine. », Revue et gazette (35 n°11), 15 mars 1868 : 85.<br />
124<br />
« Concerts et <strong>au</strong>ditions musicales annoncés. », Ibid. : 87.<br />
125<br />
H<strong>en</strong>ri Herz publie <strong>en</strong> 1866 Mes voyages <strong>en</strong> Amérique (<strong>Paris</strong> : A. F<strong>au</strong>re), ouvrage numérisé et<br />
disponible sur Gallica.<br />
126<br />
R. Pombo rapproche le parcours des deux compositeurs lors de leurs séjours à <strong>Paris</strong> (R. Pombo,<br />
1874 : 9).<br />
121<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
122<br />
plusieurs salons parisi<strong>en</strong>s ont déjà pu apprécier le tal<strong>en</strong>t original et sympathique 127 .<br />
Mais comme pour le compositeur colombi<strong>en</strong>, les biographes d’Ocón n’ont pas à ce jour<br />
trouvé des sources fiables 128 .<br />
Ces quelques exemples témoign<strong>en</strong>t d'une étroite relation <strong>en</strong>tre une commun<strong>au</strong>té artistique<br />
latino-américaine et <strong>Paris</strong>. Seuls les plus brillants ont droit d'être cités ; mais il suffit de<br />
rappeler que les familles aisées avai<strong>en</strong>t l’habitude d’<strong>en</strong>voyer leurs <strong>en</strong>fants <strong>en</strong> Europe pour<br />
étudier – c'est le cas des Ponce – faisant ainsi des Latino-américains une grande commun<strong>au</strong>té<br />
étrangère à <strong>Paris</strong>. Ponce de <strong>Le</strong>ón a-t-il établi des li<strong>en</strong>s avec ces artistes ? A-t-il assisté à leurs<br />
concerts ? Était-ce un monde de rivalité <strong>en</strong>tre artistes ? Ou alors le souv<strong>en</strong>ir de l’Amérique<br />
r<strong>en</strong>forçait-il des li<strong>en</strong>s affectifs ?<br />
Nous avons donc esquissé un portrait de la vie musicale du <strong>Paris</strong> que Ponce de <strong>Le</strong>ón a pu<br />
connaître. Il est intéressant de p<strong>en</strong>ser que lorsque Jose María arrive à <strong>Paris</strong>, il est témoin de<br />
cette énorme vitrine du savoir-faire contemporain qu’est l’Exposition universelle. Cela lui<br />
donne un aperçu des nouvelles possibilités musicales, même s’il est consci<strong>en</strong>t du décalage qui<br />
persiste avec la <strong>Colombie</strong>. Nous reti<strong>en</strong>drons <strong>au</strong>ssi l’exig<strong>en</strong>ce d’un public avide de nouve<strong>au</strong>tés,<br />
à la recherche du spectaculaire et du grand effet. <strong>Le</strong>s limites sont poussées à l’extrême :<br />
virtuosité, gigantisme, puissance d’émission et investissem<strong>en</strong>t élargi de l’espace sonore avec<br />
l’amélioration des systèmes de clefs et de pistons qui permett<strong>en</strong>t d’émettre des notes<br />
naturelles et non plus des harmoniques.<br />
Concerts, opéras, salons, diffusion et divulgation du savoir, tel est le terrain fertile parisi<strong>en</strong><br />
pour tout compositeur. Cep<strong>en</strong>dant le style musical reste sans grandes innovations, à part<br />
quelques cas isolés, tel un Berlioz. La musique sous le Second Empire est une musique de<br />
tradition, d’école. Une musique complaisante qui cherche la futilité, la grâce et la<br />
nonchalance. <strong>Le</strong> compositeur <strong>en</strong> vogue, Off<strong>en</strong>bach, <strong>en</strong> est son chantre le plus éloqu<strong>en</strong>t, à juste<br />
titre « l’incarnation musicale de <strong>Paris</strong>, […] le plus parisi<strong>en</strong> des compositeurs 129 . »<br />
Et <strong>au</strong> critique musical Édouard-Mathieu de Monter de conclure :<br />
De l’art <strong>au</strong>stère et pur, nous <strong>en</strong> sommes v<strong>en</strong>us à une élégante promiscuité. Produire, produire<br />
<strong>en</strong>core et produire toujours, voilà le mot d’ordre. Sans doute, cette petite et fine musique,<br />
s<strong>au</strong>tillante, claire, délicatem<strong>en</strong>t orchestrée, n’est que la « monnaie de Tur<strong>en</strong>ne » ; ne nous<br />
plaignons pas toutefois, et sachons att<strong>en</strong>dre. A déf<strong>au</strong>t de génie, c’est be<strong>au</strong>coup, n’est-ce pas,<br />
127 « Nouvelles diverses », Revue et gazette (35 n° 2), 12 janvier 1868 : 15.<br />
128 G. M. T<strong>en</strong>llado, 2001 : 18.<br />
129 J-C. Yon, 2003.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
que d’avoir le charme, la distinction, la verve joyeuse, l’émotion <strong>au</strong>ssi 130 ?<br />
3.4.3.<br />
Lorsque nous avons <strong>en</strong>trepris notre travail sur Ponce de <strong>Le</strong>ón, sa vie parisi<strong>en</strong>ne se prés<strong>en</strong>tait<br />
sous trois facettes : l’étudiant <strong>au</strong> Conservatoire, l’appr<strong>en</strong>ti compositeur et l’interprète. Or les<br />
résultats de nos recherches r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> dissonance avec ces premières données. Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
n’a pas été inscrit <strong>au</strong> Conservatoire ; de son activité de compositeur ou d’interprète il ne reste<br />
pratiquem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>cune trace, si ce n’est la gravure d’une partition pour piano.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón est v<strong>en</strong>u à <strong>Paris</strong> pour suivre un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t musical de qualité et combler<br />
les lacunes de sa formation. Force est de constater que son nom ne figure sur <strong>au</strong>cune des listes<br />
d’élèves ou d’<strong>au</strong>diteurs du Conservatoire Impérial, listes <strong>au</strong>jourd’hui conservées <strong>au</strong>x Archives<br />
nationales de <strong>Paris</strong> 132 . Que p<strong>en</strong>ser alors de ce qu’écrit R. Pombo :<br />
Ses maîtres d’harmonie, de composition idéale, contrepoint et fugue ont été François Bazin, le<br />
célèbre Carafa, Ambroise Thomas et Ch<strong>au</strong>vet, organiste de la Trinité.<br />
Susmaestrosdearmonía,composiciónideal,contrapuntoyfugafueronFranciscoBazin,el<br />
célebreCaraffa,AmbrosioThomas,yCh<strong>au</strong>vet,organistadelaTrinidad 133 .<br />
Il s'agit effectivem<strong>en</strong>t de professeurs du Conservatoire ; mais José María a-t-il vraim<strong>en</strong>t<br />
suivi des cours avec eux? <strong>Le</strong>s a-t-il r<strong>en</strong>contrés occasionnellem<strong>en</strong>t ? Quelques années plus<br />
tard, on ajoute le nom de Charles Gounod à cette liste de pédagogues que quiconque eût pu<br />
<strong>en</strong>vier !<br />
La cantidad inm<strong>en</strong>sa de teatros, maromas, títeres, circos, cafés y diversiones, les da trabajo<br />
para poder sacar su vida no digamos descansadam<strong>en</strong>te, esta palabra no toca al que para<br />
ganar trabaja, pero sí, sin grandes esfuerzos basta sólo que sepa escoger su lugar. 131 .<br />
Melesio Morales, Mi libro verde de apuntes.<br />
Toujours, selon le même <strong>au</strong>teur, Ponce de <strong>Le</strong>ón serait <strong>en</strong>tré <strong>au</strong> Conservatoire de <strong>Paris</strong> après<br />
avoir obt<strong>en</strong>u la première place <strong>au</strong> concours d'<strong>en</strong>trée parmi quatre-vingts participants, <strong>en</strong><br />
130<br />
E. M. de Monter, « Revue musicale de l’année 1868 », Revue et gazette (36 n° 1), 3 janvier<br />
1869 : 3.<br />
131<br />
« La quantité imm<strong>en</strong>se de théâtres, guignols, cirques, cafés et diversions, leur donne du travail [<strong>au</strong>x<br />
musici<strong>en</strong>s latino-américains] pour pouvoir gagner leur vie, ne disons pas dans le repos, ce mot est<br />
étranger à celui qui doit travailler, mais sans grand efforts du mom<strong>en</strong>t où il sache choisir sa place »<br />
(M. Morales, Mns/1999 : 21).<br />
132 37<br />
Nous avons dépouillé les cartons AJ 157, 281, 282, 322 et 368 des Archives nationales de <strong>Paris</strong><br />
qui conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les listes des étudiants, des <strong>au</strong>diteurs libres, des p<strong>en</strong>sionnaires et des internes du<br />
Conservatoire. Nos conclusions rejoign<strong>en</strong>t celles du musicologue colombi<strong>en</strong> E. Bermúdez qui affirme<br />
« bi<strong>en</strong> que nombreux sont les <strong>au</strong>teurs à avoir affirmé qu’il [Ponce] étudia <strong>au</strong> Conservatoire de <strong>Paris</strong>, il<br />
n’existe <strong>au</strong>cun docum<strong>en</strong>t qui témoigne de son passage par cette institution. » (E. Bermúdez, 2000 :<br />
176.)<br />
133<br />
R. Pombo, 1874 : 9.<br />
123<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
124<br />
composant un Hymne de la Paix. Il existe probablem<strong>en</strong>t une confusion <strong>en</strong>tre le concours<br />
d’<strong>en</strong>trée <strong>au</strong> Conservatoire et celui organisé par l’Exposition universelle de 1867. En effet, un<br />
concours littéraire et musical avait été ouvert pour fermer avec éclat l’Exposition. Dans un<br />
premier temps, le concours littéraire invitait à la rédaction des paroles d’une Cantate de<br />
l’Exposition et d’un Hymne de la Paix. <strong>Le</strong>s textes sélectionnés étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite mis à la<br />
disposition des compositeurs pour qu’ils les mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> musique.<br />
Une commission impériale décide sur les activités musicales de l’Exposition et prévoit de<br />
nombreux concours récomp<strong>en</strong>sés par des médailles. Voici un extrait du règlem<strong>en</strong>t, publié<br />
dans la presse musicale :<br />
Art. 2. – <strong>Le</strong>s compositeurs français et étrangers sont appelés à concourir pour deux<br />
compositions musicales t<strong>en</strong>dant à célébrer l’Exposition de 1867 et la paix qui <strong>en</strong> assure la<br />
réussite :<br />
La première, dite Cantate de l’Exposition, avec orchestre et chœurs, sera d’<strong>au</strong>tant mieux<br />
appropriée à sa destination qu’elle <strong>en</strong> sera plus courte ;<br />
La seconde, dite Hymne de la Paix, ne devra compr<strong>en</strong>dre qu’un très-petit nombre de<br />
mesures 134 .<br />
<strong>Le</strong> choix des membres du comité d’évaluation – Rossini, Auber, Berlioz, Carafa, Félici<strong>en</strong><br />
David, Kastner, Thomas, Verdi, Gounod – <strong>en</strong> dit suffisamm<strong>en</strong>t sur l’importance de<br />
l’événem<strong>en</strong>t. À la mi-mars est ouvert le concours littéraire. De nombreuses indications<br />
ori<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t le style hiératique de cet exercice :<br />
La cantate de l’Exposition devra être écrite pour soli et chœurs.<br />
L’Hymne de la Paix ne devra pas cont<strong>en</strong>ir plus de quatre strophes de huit vers <strong>au</strong> plus chacune,<br />
toutes rythmées de la même manière et finissant par une rime masculine.<br />
<strong>Le</strong>s manuscrits, revêtus d’une épigraphe, devront être parv<strong>en</strong>us <strong>au</strong> commissariat général de<br />
l’Exposition universelle, av<strong>en</strong>ue de la Bourdonnaye, <strong>au</strong> plus tard le 10 avril 1867, à midi. Ils<br />
seront sous pli cacheté à l’adresse du conseiller d’État commissaire général. <strong>Le</strong> même pli<br />
conti<strong>en</strong>dra une <strong>en</strong>veloppe scellée r<strong>en</strong>fermant l’épigraphe, ainsi que le nom et l’adresse de<br />
l’<strong>au</strong>teur.<br />
[…]<br />
<strong>Le</strong>s compositeurs devront <strong>en</strong>voyer leurs manuscrits dans les formes indiquées ci-dessus pour<br />
les paroles avant le 1 er juin 1867, à midi 135 .<br />
La Revue et Gazette musicale de <strong>Paris</strong> du 5 mai 1867 donne à connaître les résultats du<br />
concours de poésie 136 . Sur six-c<strong>en</strong>t tr<strong>en</strong>te Hymnes adressés, le jury <strong>en</strong> reti<strong>en</strong>t deux :<br />
134 « Exposition Universelle. Commission impériale », Revue et gazette (34 n° 8), 24 février 1867 : 60.<br />
135 « Exposition Universelle de 1867 à <strong>Paris</strong> », Revue et gazette (34 n° 11), 17 mars 1867 : 83-84.<br />
136 <strong>Le</strong>urs <strong>au</strong>teurs, François Coppée et Gustave Chouquet, reçoiv<strong>en</strong>t chacun une médaille d’or.<br />
(« Exposition Universelle de 1867 à <strong>Paris</strong> », Revue et gazette (34 n° 18), 5 mai 1867 : 137).<br />
Romain Cornut, étudiant <strong>en</strong> rhétorique <strong>au</strong> Lycée Bonaparte remporte le prix pour la Cantate avec son<br />
texte <strong>Le</strong>s noces de Prométhée (« Nouvelles diverses », Revue et gazette (34 n° 21), 26 mai 1867 : 170).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Hymne à la paix 137<br />
Una quies, unusque labor<br />
La paix sereine et radieuse<br />
Fait respl<strong>en</strong>dir l’or des moissons.<br />
La nature est blonde et joyeuse,<br />
<strong>Le</strong> ciel est plein de grands frissons.<br />
Et <strong>au</strong>x organisateurs de guider le travail des compositeurs :<br />
Hymne à la paix<br />
« Dieu le veut ! »<br />
A l’appel viril de la France,<br />
Sous nos drape<strong>au</strong>x <strong>en</strong>trelacés,<br />
<strong>en</strong>tonnons l’hymne d’espérance ;<br />
<strong>Le</strong>s jours de haine sont passés.<br />
etc…<br />
L’Hymne de la Paix sera écrit pour une seule voix. Ce que les compositeurs doiv<strong>en</strong>t<br />
s’appliquer à produire est un chant large et bi<strong>en</strong> rythmé, réunissant, <strong>au</strong>tant que possible, les<br />
conditions voulues pour être populaire.<br />
[…]<br />
<strong>Le</strong>s manuscrits, revêtus d’une épigraphe, devront être parv<strong>en</strong>us <strong>au</strong> commissariat général de<br />
l’Exposition universelle, av<strong>en</strong>ue de la Bourdonnaye, <strong>au</strong> plus tard le 5 juin 1867, à midi. Ils<br />
seront sous pli cacheté à l’adresse du conseiller d’État commissaire général 138 .<br />
<strong>Le</strong> l<strong>au</strong>réat de la Cantate est Camille Saint-Saëns. En revanche le prix pour l’Hymne de la<br />
Paix reste vacant : « Huit c<strong>en</strong>t sept hymnes avai<strong>en</strong>t été <strong>en</strong>voyées <strong>au</strong> comité de la composition<br />
musicale. Après minutieux exam<strong>en</strong>, le comité n’a pas cru devoir décerner de prix 139 . »<br />
Il reste donc à vérifier si, parmi les 740 hymnes <strong>au</strong>jourd’hui conservés <strong>au</strong>x Archives<br />
nation<strong>au</strong>x, il est possible de retrouver la composition de Ponce de <strong>Le</strong>ón 140 . Pour l’heure, la<br />
première victoire de Ponce de <strong>Le</strong>ón à <strong>Paris</strong> est remise <strong>en</strong> question, et par là même, son statut<br />
d’étudiant <strong>au</strong> Conservatoire.<br />
Du pianiste, il n’existe que deux allusions dans la presse colombi<strong>en</strong>ne. Tout d’abord<br />
l’interprétation de sa marche Bolivar dans les salons Herz, concert qui passe inaperçu par la<br />
presse parisi<strong>en</strong>ne comme nous l’avons déjà indiqué. Dix ans après sa mort, le biographe<br />
Rosales rapporte un récital fait <strong>au</strong> Conservatoire, lors d’une soirée musicale colombi<strong>en</strong>ne :<br />
Ses dons lui valur<strong>en</strong>t l'amitié de ses condisciples qui, lors d'un de ses trav<strong>au</strong>x d'interprétation<br />
sur des Airs colombi<strong>en</strong>s, le sortir<strong>en</strong>t hissé sur leurs ép<strong>au</strong>les des salons du Conservatoire à<br />
l'occasion d'un concert national.<br />
Susrelevantesdoteslecaptaronelapreciodesuscondiscípulos,qui<strong>en</strong>es,conmotivodeun<br />
trabajosuyodeejecuciónsobreAirescolombianos,losacaron<strong>en</strong>hombrosdelossalonesdel<br />
Conservatorio <strong>en</strong> una noche <strong>en</strong> que con numerosa concurr<strong>en</strong>cia se daba un concierto<br />
125<br />
137 On remarquera la transformation de la préposition « de » <strong>en</strong> « à ».<br />
138 « Exposition des œuvres musicales. », Revue et gazette (34 n° 18), 5 mai 1867 : 139.<br />
139 « Exposition Universelle. », Revue et gazette (34 n° 24), 16 juin 1867 : 193.<br />
140 <strong>Le</strong>s boîtes F12 3097-3099 des Archives Nationales conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>au</strong>jourd’hui 740 hymnes qui<br />
devai<strong>en</strong>t être brûlés si non réclamés après la proclamation du jugem<strong>en</strong>t. (S. Inoue-Arai, 2004 : 67).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
126<br />
nacional 141 .<br />
Bi<strong>en</strong> que les concerts Herz, Pleyel-Wolf et Érard ne soi<strong>en</strong>t pas annoncés systématiquem<strong>en</strong>t,<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón n’a jamais été un virtuose du clavier. Il est normal que son nom n’apparaisse<br />
nulle part et ce n’est pas cette piste qui va nous aider à retrouver sa trace dans <strong>Paris</strong>. Qu’<strong>en</strong><br />
est-il du compositeur ?<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón – toujours selon R. Pombo – écrit des partitions à <strong>Paris</strong> : un Salve à 18 voix<br />
chanté à la Trinité et un opéra-bouffe, Los Diez (<strong>Le</strong>s Dix ?) qu’Alexis Ch<strong>au</strong>vet <strong>au</strong>rait essayé<br />
de faire jouer <strong>au</strong> Théâtre de l’Athénée. À son retour à Bogotá, Ch<strong>au</strong>vet <strong>au</strong>rait gardé la<br />
partition de Ponce, ainsi que celle du Salve 142 .<br />
<strong>Le</strong> Théâtre de l’Athénée, situé <strong>au</strong> 17 rue Scribe, construit <strong>en</strong> 1865, v<strong>en</strong>ait de rouvrir ses<br />
portes <strong>en</strong> décembre 1867 et tourna jusqu’<strong>en</strong> juin 1870 (dev<strong>en</strong>u <strong>en</strong>tre-temps Théâtre des<br />
Fantaisies-<strong>Paris</strong>i<strong>en</strong>nes puis Second-Athénée). <strong>Le</strong> succès de l’opéra-bouffe de Charles <strong>Le</strong>cocq,<br />
Fleur de Thé (avril 1868), avait contribué à faire de l’Athénée une des grandes salles de<br />
l’époque, capable d’accueillir 900 spectateurs 143 . On y jouait ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t des opéras-<br />
bouffes, des opérettes et des v<strong>au</strong>devilles sous la direction musicale de Bernardin 144 . Il peut<br />
cep<strong>en</strong>dant sembler étonnant qu’Alexis Ch<strong>au</strong>vet, organiste depuis peu à la Trinité, se soit<br />
intéressé à l’opéra-bouffe d’un compositeur inconnu.<br />
Nous t<strong>en</strong>ons à prés<strong>en</strong>ter ces personnalités que Ponce de <strong>Le</strong>ón a peut-être côtoyées à <strong>Paris</strong> :<br />
Alexis Ch<strong>au</strong>vet, Ambroise Thomas, Carafa et Bazin.<br />
Alexis Ch<strong>au</strong>vet (1837-1871) était un grand organiste parisi<strong>en</strong>. Après un parcours<br />
exemplaire <strong>au</strong> Conservatoire Impérial, il devi<strong>en</strong>t à 25 ans répétiteur de la classe de<br />
composition d’Ambroise Thomas et <strong>en</strong>seigne le contrepoint et la fugue à ses élèves, parmi<br />
lesquels J. Mass<strong>en</strong>et, Th. Dubois, H. Maréchal 145 . Ch<strong>au</strong>vet devait succéder à son maître<br />
François B<strong>en</strong>oist dans la chaire d’orgue du Conservatoire. Mais, tué par mégarde p<strong>en</strong>dant la<br />
guerre contre la Prusse, il meurt à l’âge de 34 ans.<br />
Ch<strong>au</strong>vet jouissait d’une grande estime comme juge <strong>en</strong> matière de goût musical :<br />
On avait fini par faire de Ch<strong>au</strong>vet une sorte d’arbitre <strong>en</strong> matière musicale. <strong>Le</strong>s plus habiles, les<br />
141<br />
J. M. Rosales, « A la memoria de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. », El Telegrama (VII.2041), 16 août<br />
1893 : 8131.<br />
142<br />
R. Pombo, 1874 : 9.<br />
143<br />
Voir Ph. Ch<strong>au</strong>ve<strong>au</strong>, 1999 : 85, ainsi que N. Wild, 1989 : 44.<br />
144<br />
<strong>Le</strong>s principales œuvres représ<strong>en</strong>tées fur<strong>en</strong>t : Petit-Poucet, <strong>Le</strong>s Jume<strong>au</strong>x de Bergame, <strong>Le</strong> V<strong>en</strong>geur,<br />
L’Ours et l’Amateur des jardins, <strong>Le</strong>s Horreurs de la guerre (voir La Revue et gazette).<br />
145<br />
N. Dufourcq, 1991 : 6 (note n° 7).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
mieux doués, ne dédaignai<strong>en</strong>t pas de v<strong>en</strong>ir le consulter, les uns sur des fragm<strong>en</strong>ts d’opéra, les<br />
<strong>au</strong>tres sur des esquisses symphoniques, ceux-ci sur des œuvres de longue haleine, ceux-là sur<br />
de simples mélodies : si bi<strong>en</strong>, que le maître fut am<strong>en</strong>é à créer chez lui une sorte d’École où les<br />
esprits les plus divers v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t chercher la lumière 146 .<br />
En plus de cette École du goût, il publie <strong>en</strong> 1867 ses 15 études préparatoires <strong>au</strong>x œuvres de<br />
Bach pour piano 147 , courtes pièces qui à la lecture s’avèr<strong>en</strong>t <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> être une préparation <strong>au</strong><br />
clavier de Bach, qu’un court précis de contrepoint à deux voix. Son style sérieux s’écarte<br />
donc d’une frivolité de mise dans le répertoire d’orgue de la fin de l’Empire 148 :<br />
M. Ch<strong>au</strong>vet, l’émin<strong>en</strong>t pianiste de Saint-Merry, s’est fait franchem<strong>en</strong>t appl<strong>au</strong>dir, - après<br />
Joachim ! – <strong>en</strong> jouant comme il sait le faire, c’est à-dire avec une habilité consommée, une<br />
belle fugue <strong>en</strong> sol mineur de Séb. Bach. M. Ch<strong>au</strong>vet est l’un des rares organistes qui joign<strong>en</strong>t à<br />
une sci<strong>en</strong>ce profonde et à un très be<strong>au</strong> tal<strong>en</strong>t d’exécution, une imagination heureuse et un goût<br />
sévère, qui <strong>en</strong> font l’un de nos plus remarquables improvisateurs 149 .<br />
Ce qui ne l’empêche pas d’inscrire à son répertoire des pièces de g<strong>en</strong>re, valses et<br />
romances 150 . Par ailleurs, le prés<strong>en</strong>t article fait référ<strong>en</strong>ce à un concert donné à l’Athénée ; il se<br />
peut donc qu’effectivem<strong>en</strong>t Ch<strong>au</strong>vet ait aidé le jeune colombi<strong>en</strong> <strong>au</strong>près de Jules Pasdeloup,<br />
directeur musical de l’Athénée 151 , pour la représ<strong>en</strong>tation de l’opéra-bouffe <strong>Le</strong>s Dix.<br />
Nommé organiste <strong>en</strong> avril 1868 à la Trinité 152 , in<strong>au</strong>gurant le 16 mars 1869 le nouvel orgue<br />
Cavaillé-Coll 153 , Ch<strong>au</strong>vet restera toute sa vie un personnage abordable, apprécié dans le<br />
milieu des étudiants. Ponce de <strong>Le</strong>ón a-t-il fait appel à ses conseils. Ce Salve à 18 voix créé à<br />
La Trinité a-t-il était composé sous la protection de Ch<strong>au</strong>vet ?<br />
Une <strong>au</strong>tre personnalité qu’<strong>au</strong>rait pu r<strong>en</strong>contrer Ponce à <strong>Paris</strong> est Ambroise Thomas, « le<br />
représ<strong>en</strong>tant le plus brillant de l’école française 154 . » A. Thomas vi<strong>en</strong>t de connaître le succès<br />
de Mignon et, début 1868, la presse ne parle que de son Hamlet, créé le 9 mars 1868 à<br />
l’Opéra. Thomas, accusé de conservatisme, novateur <strong>en</strong> introduisant saxhorns et saxophones<br />
dans Hamlet, est une personnalité qui ressort <strong>au</strong>jourd’hui à peine de l’oubli. Membre de<br />
l’Institut, commandeur de la Légion d’honneur <strong>en</strong> 1868 puis directeur du Conservatoire dès<br />
1871, A. Thomas fait partie, avec Meyerbeer, des « conv<strong>en</strong>tionnels » qui « serv<strong>en</strong>t et<br />
127<br />
146<br />
« Souv<strong>en</strong>irs d’un musici<strong>en</strong>. Alexis Ch<strong>au</strong>vet » (H<strong>en</strong>ri Maréchal), <strong>Le</strong> Ménestrel, 12 août 1906 : 245<br />
(reproduit in N. Dufourcq, 1991 : 54).<br />
147<br />
Ce recueil est intégralem<strong>en</strong>t reproduit in N. Dufourcq, 1991 : 61-76.<br />
148<br />
F. Sabatier, 2001 : 543.<br />
149<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette (33 n° 149), 9 décembre 1866 : 390.<br />
150<br />
Voir la listes des ses œuvres, in N. Dufourq, 1991 : 8-9.<br />
151<br />
Wild, 1989 : 44-45.<br />
152<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette (35 n° 14), 5 avril 1868 : 111.<br />
153<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette (36 n° 11), 14 mars 1869 : 94.<br />
154<br />
<strong>Le</strong> Ménestrel, 8 mars 1868 (création de Hamlet).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
128<br />
respect<strong>en</strong>t l’ordre social 155 » à travers leurs Grands Opéras. Il fonde son <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t sur<br />
l’analyse des opéras mozarti<strong>en</strong>s et des symphonies de Beethov<strong>en</strong>. Comme déf<strong>en</strong>seur de la<br />
musique française, il incarne l’image de la tradition <strong>en</strong> France et affirme à ce sujet :<br />
Sans doute il est des chefs-d’œuvre qui sont de précieuses conquêtes pour l’art ; chaque pays<br />
doit profiter de ces conquêtes, à la condition de rester fidèle à son école et de garder son<br />
caractère distinctif 156 .<br />
Autre fait important dans le <strong>Paris</strong> musical de ces années : le débat passionné sur la musique<br />
de Wagner. <strong>Le</strong>s membres de l’académie et A. Thomas adopt<strong>en</strong>t une même attitude à cet<br />
égard : déf<strong>en</strong>dre le « génie latin contre l’invasion du germanisme 157 ». A. Thomas connaît les<br />
partitions de Wagner mais considère ce « grand musici<strong>en</strong> trop allemand pour nous 158 ». La<br />
victoire de Bismarck lors du conflit franco-prussi<strong>en</strong> r<strong>en</strong>forcera d’ailleurs ce s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />
antigermanique et exacerbera l’esprit nationaliste avec la création de la Société Nationale de<br />
Musique <strong>en</strong> 1871. Même si <strong>au</strong>cun opéra de Wagner n’est représ<strong>en</strong>té durant le séjour parisi<strong>en</strong><br />
de Ponce, n’oublions pas que Pasdeloup inscrivait régulièrem<strong>en</strong>t des extraits du maître de<br />
Bayreuth dans ses programmes. <strong>Le</strong> passage de Bruckner à <strong>Paris</strong> <strong>en</strong> 1869 est pour le jeune<br />
colombi<strong>en</strong> une des seules occasions d’écouter la musique allemande de son temps – <strong>en</strong><br />
supposant qu’il ait assisté <strong>au</strong>x concerts d’orgue donnés par Bruckner <strong>au</strong>x atelier Mercklin-<br />
Schütze 159 .<br />
Deux <strong>au</strong>tres pédagogues <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t ori<strong>en</strong>té Ponce de <strong>Le</strong>ón. Il s’agit d’Enrico Carafa,<br />
compositeur itali<strong>en</strong> installé à <strong>Paris</strong>, et de François Bazin.<br />
Michele Enrico Carafa (1778-1872) devi<strong>en</strong>t compositeur d’opéras après avoir embrassé la<br />
carrière militaire et avoir participé à plusieurs expéditions napoléoni<strong>en</strong>nes. Compositeur<br />
prolifique, il exerce son métier à l’ombre du génie de Rossini. Son grand succès parisi<strong>en</strong>,<br />
l’opéra-comique Masaniello (1827), lui assure une grande r<strong>en</strong>ommée qui lui ouvre de<br />
nombreuses portes. Il <strong>en</strong>seigne le contrepoint <strong>en</strong>tre 1840 et 1870 <strong>au</strong> Conservatoire 160 . Si son<br />
écriture est légère et fluide, ses mélodies sont cep<strong>en</strong>dant considérées banales et ne résist<strong>en</strong>t à<br />
la comparaison avec Rossini, Bellini ou Donizetti. Carafa semble avoir été un des premiers<br />
155<br />
E. Rogeboz-Malfroy, 1994 : 44.<br />
156<br />
Discours d’A. Thomas pour l’in<strong>au</strong>guration du monum<strong>en</strong>t d’Aubert, le 29 février 1877. Cité par<br />
E. Rogeboz-Malfroy, 1994 : 92.<br />
157<br />
E. Rogeboz-Malfroy, 1994 : 82.<br />
158<br />
A. Thomas : Gil Blas, 24 février 1896 (Cité par E. Rogeboz-Malfroy, 1994 : 91).<br />
159 Revue et gazette, 9 mai 1869.<br />
160 J. Budd<strong>en</strong>, 2001 : 112-114.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
contacts de Ponce de <strong>Le</strong>ón à <strong>Paris</strong>, à qui le jeune colombi<strong>en</strong> montre la partition de sa zarzuela<br />
El Vizconde, récemm<strong>en</strong>t créée à Bogotá :<br />
Carafa y a trouvé be<strong>au</strong>coup d’erreurs, mais <strong>au</strong>ssi de quoi appl<strong>au</strong>dir dans la zarzuela El<br />
Vizconde.<br />
Caraffa <strong>en</strong>contró mucho error pero también mucho que apl<strong>au</strong>dir <strong>en</strong> la zarzuela de “El<br />
Vizconde” 161. <br />
Frappé de paralysie à partir de 1867, Carafa a-t-il pu vraim<strong>en</strong>t aider Ponce de <strong>Le</strong>ón ?<br />
Enfin François Bazin (1816-1878), compositeur et chef d’orchestre, développe une activité<br />
importante de pédagogue, tout <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>dant la musique vocale et le mouvem<strong>en</strong>t orphéonique<br />
dans lequel il s’était largem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>gagé 162 . Il succède à Ambroise Thomas <strong>en</strong> 1871 dans la<br />
chaire de composition du Conservatoire. Face <strong>au</strong>x t<strong>en</strong>dances modernes d’un César Franck,<br />
Bazin incarne la t<strong>en</strong>dance conservatrice 163 , il est célébré par le pouvoir officiel :<br />
Chargé, comme son nom l’indique, de conserver les traditions des grandes époques artistiques,<br />
le Conservatoire a rempli sa mission avec un respect pieux […] Je le félicite égalem<strong>en</strong>t de la<br />
réserve prud<strong>en</strong>te avec laquelle il a toujours examiné […] des inv<strong>en</strong>tions séduisantes, mais<br />
dangereuses 164 .<br />
<strong>Le</strong>s biographies de Ponce de <strong>Le</strong>ón relat<strong>en</strong>t qu’il fut égalem<strong>en</strong>t élève de Charles Gounod.<br />
Cep<strong>en</strong>dant nous connaissons la vie de Gounod <strong>en</strong>tre 1868 et 1871 : d’abord à Rome, sujet à<br />
une crise mystique, il retourne à <strong>Paris</strong> pour l’<strong>en</strong>trée de F<strong>au</strong>st à l’Opéra le 3 mars 1869. Suit<br />
une grande dépression qui le r<strong>en</strong>d malade <strong>au</strong> début de 1870. La guerre le surpr<strong>en</strong>d <strong>en</strong><br />
villégiature <strong>au</strong> bord de la mer. On connaît la suite : ne pouvant pas supporter la victoire<br />
prussi<strong>en</strong>ne, il quitte la France et va s’installer à Londres jusqu’<strong>en</strong> 1874. Entre temps, Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón est retourné dans sa patrie. Sans être professeur, Gounod a donné des cours à Bizet et <strong>au</strong><br />
fils du violoncelliste Franchomme, pour qui il écrit un Cours de contrepoint manuscrit vers<br />
1858. En 1869-1870, époque de Ponce de <strong>Le</strong>ón à <strong>Paris</strong>, Gounod publie des chorals de<br />
Bach 165 . Par ailleurs il travail à Polyeucte d’après Corneille et revi<strong>en</strong>t <strong>au</strong> g<strong>en</strong>re opéra-oratorio<br />
biblique (alors que Saint-Saëns écrit son Samson). Ponce de <strong>Le</strong>ón a-t-il pu r<strong>en</strong>contrer<br />
Gounod ? En période personnelle de dépression, le compositeur français <strong>au</strong>rait alors pu<br />
l’ori<strong>en</strong>ter vers Esther de Racine. Des suppositions qui mérit<strong>en</strong>t d’être creusées.<br />
161 R. Pombo, 1874 : 9.<br />
162 G. Streletski, 2001 : 9-10.<br />
163 E. Hondré, 1995 : 295.<br />
164 Vaillant, Revue et gazette (35 n° 32), 9 août 1868 : 250.<br />
165 Nous remercions Brigitte François-Sappey pour ces informations sur Gounod.<br />
129<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
130<br />
Il reste <strong>en</strong>fin à explorer la piste « Wintringer ». Bolivar, la partition pour piano de Ponce,<br />
est publiée à <strong>Paris</strong> par [Mlle P.] Wintringer. Celle-ci se fait connaître <strong>en</strong> 1863 comme<br />
« éditeur-professeur 166 ». A-t-elle était le professeur de Ponce de <strong>Le</strong>ón ? Nous n’avons<br />
cep<strong>en</strong>dant pu trouver plus d’information sur ce personnage.<br />
Un dernier indice sur la prés<strong>en</strong>ce de Ponce de <strong>Le</strong>ón à <strong>Paris</strong> est <strong>au</strong>ssi resté sans suite :<br />
R. Pombo écrit que le compositeur faisait partie de l’Asociación de Maestros de París, sans<br />
doute la traduction <strong>en</strong> espagnol de l’Association des artistes musici<strong>en</strong>s de <strong>Paris</strong>. Nous avons<br />
consulté les annuaires des années 1867-1883 de cette Association, où sont inscrits les noms de<br />
tous les sociétaires 167 . En vain : le nom de Ponce de <strong>Le</strong>ón est une fois de plus abs<strong>en</strong>t !<br />
Nos différ<strong>en</strong>tes recherches nous ont permis de réfuter certains a priori sur le parcours du<br />
compositeur <strong>en</strong> France, notamm<strong>en</strong>t sur sa fréqu<strong>en</strong>tation du Conservatoire de <strong>Paris</strong> ; nous<br />
avons <strong>au</strong>ssi pu affiner divers aspects, sans toutefois trouver de réponses à nos questions<br />
(composition de l’Hymne à la Paix, contact avec quels professeurs…). Ce sont là des voies<br />
qui rest<strong>en</strong>t ouvertes pour de futurs trav<strong>au</strong>x de recherche.<br />
C’est vraisemblablem<strong>en</strong>t le décl<strong>en</strong>chem<strong>en</strong>t de la guerre de 1870 qui décide Ponce de <strong>Le</strong>ón à<br />
r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
C’était la guerre, la guerre dans toute son épouvante et ses horreurs, qui allait <strong>en</strong>sanglanter le<br />
sol de notre France.<br />
Je partis 168 .<br />
En octobre 1870, la presse de Bogotá salue le retour de Ponce de <strong>Le</strong>ón dans sa ville<br />
natale 169 . Pour Ponce de <strong>Le</strong>ón, c’est le début d’une nouvelle période de sa vie, reh<strong>au</strong>ssée par<br />
ses prét<strong>en</strong>dus succès parisi<strong>en</strong>s.<br />
Nous comptions trouver <strong>en</strong> marge de la vie musicale de Ponce des données personnelles. Il<br />
n’<strong>en</strong> est <strong>au</strong>cunem<strong>en</strong>t : <strong>au</strong>cune adresse, <strong>au</strong>cun contact, <strong>au</strong>cun courrier. Dans ses mémoires<br />
parisi<strong>en</strong>nes, le compositeur mexicain Melesio Morales prés<strong>en</strong>te deux modes de vies à <strong>Paris</strong><br />
pour les musici<strong>en</strong>s mexicains. Soucieux de gagner leur vie, ils devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t instrum<strong>en</strong>tistes,<br />
cachetonn<strong>en</strong>t là où ils peuv<strong>en</strong>t : <strong>en</strong> province, év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x bals Mabille, dans un théâtre<br />
166 A. Devriès et F. <strong>Le</strong>sure, 1988 : 429.<br />
167 Annuaire de l’association des artistes musici<strong>en</strong>s, <strong>Paris</strong>.<br />
168 J. Mass<strong>en</strong>et, Mes souv<strong>en</strong>irs 1848-1912, <strong>Paris</strong> : Lafitte, 1912 ; 81<br />
169 « La música » (Unos amigos), Diario de Cundinamarca (II.278), 20 octobre 1870 : 56. Nous avons<br />
déjà évoqué l’erreur qui s’est transmise de biographe <strong>en</strong> biographe et qui considère 1871 comme la<br />
date du retour de Ponce dans sa patrie.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
ou casino parisi<strong>en</strong>. D’<strong>au</strong>tres, plus chanceux, sont hébergés par quelques diplomates ou par de<br />
riches protecteurs. Ils y « viv<strong>en</strong>t et végèt<strong>en</strong>t » sans ne ri<strong>en</strong> faire, et lors de leur retour <strong>en</strong><br />
Amérique « ne sav<strong>en</strong>t même pas mâcher la langue française 170 . » Bi<strong>en</strong> qu’il s’agisse là de<br />
deux extrêmes, on peut y voir une réalité assez répandue sur la façon de vivre<br />
l’incontournable séjour europé<strong>en</strong> pour certains latino-américains aisés. Où situer Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón ? En dépouillant les demandes de domiciles de 1867-1870 <strong>au</strong>x Archives de <strong>Paris</strong>, nulle<br />
trace du compositeur colombi<strong>en</strong>.<br />
Une phrase ambiguë lors de son arrivée à Bogotá nous laisse cep<strong>en</strong>dant p<strong>en</strong>sifs :<br />
Oserions-nous, <strong>en</strong> saluant [Ponce de <strong>Le</strong>ón], le mettre <strong>en</strong> garde contre les dangers qu’<strong>en</strong>court la<br />
jeunesse <strong>en</strong> s’éloignant du devoir ? Nous déprécierions alors ses qualités et son caractère, <strong>en</strong> le<br />
considérant capable de céder <strong>au</strong>x m<strong>au</strong>vaises influ<strong>en</strong>ces qui, malheureusem<strong>en</strong>t, domin<strong>en</strong>t<br />
<strong>au</strong>jourd’hui la jeunesse…<br />
Sialdarleestesaludonosatreviéramosaadvertirlosdelospeligrosquecorrelajuv<strong>en</strong>tud<br />
alejándose del deber, haríamos m<strong>en</strong>osprecio de sus cualidades i de su carácter,<br />
considerándolocapazdecederalasmalasinflu<strong>en</strong>ciasque,pordesgracia,dominanhoyla<br />
juv<strong>en</strong>tud… 171 <br />
3.4.4.<br />
Nous avons essayé de prés<strong>en</strong>ter <strong>Paris</strong> sous l’œil hagard d’un compositeur colombi<strong>en</strong> <strong>en</strong><br />
1867 qui découvre cette grande capitale. Que ret<strong>en</strong>ir de ce voyage qui devi<strong>en</strong>t initiatique pour<br />
le jeune musici<strong>en</strong> ?<br />
S’il est vrai que les voyages form<strong>en</strong>t l’esprit et le cœur, je dois avoir le cœur et<br />
l’esprit admirablem<strong>en</strong>t formés, car j’ai terriblem<strong>en</strong>t voyagé dans l’anci<strong>en</strong> comme<br />
dans le nouve<strong>au</strong> monde.<br />
H<strong>en</strong>ri Herz, Mes voyages <strong>en</strong> Amérique.<br />
<strong>Le</strong>s dernières années du Second Empire sont marquées par l’opul<strong>en</strong>ce et l’organisation<br />
d’événem<strong>en</strong>ts grandioses : Exposition universelle, opéras, concerts, récitals, salons privés…<br />
La technique mise <strong>au</strong> service de la musique perfectionne l’instrum<strong>en</strong>tarium, r<strong>en</strong>d tout jouable.<br />
De nouve<strong>au</strong>x instrum<strong>en</strong>ts apparaiss<strong>en</strong>t. Interprètes et chanteurs suiv<strong>en</strong>t la course échevelée<br />
vers une virtuosité toujours plus spectaculaire. Cep<strong>en</strong>dant les critiques remarqu<strong>en</strong>t un<br />
<strong>en</strong>lisem<strong>en</strong>t fin Empire dans le style musical, qui pèche par sa légèreté. Voilà qui est bi<strong>en</strong><br />
propre à l’esprit français – on garde <strong>en</strong> mémoire l’exclamation de Font<strong>en</strong>elle « Sonate, que<br />
me veux-tu ? » – ! La balance du bon goût favorise la musique vocale, descriptive, de g<strong>en</strong>re.<br />
Et voila la contradiction de cette époque ! Car si d’une part <strong>Paris</strong> cherche la frivolité du<br />
170 M. Morales, Mns/1999 : 19.<br />
171 « La música » (Unos amigos), Diario de Cundinamarca (II.278), 20 octobre 1870 : 56.<br />
131<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
132<br />
mom<strong>en</strong>t musical, l’académie, quant à elle, s’efforce d’imposer un paradigme stylistique : le<br />
classicisme. Ce ne sera qu’avec la SNM, avec des compositeurs tels que Saint-Saëns, d’Indy,<br />
que l’école française s’<strong>en</strong>gagera dans une nouvelle direction.<br />
La non-attribution du prix pour la composition de l’Hymne de la Paix <strong>en</strong> 1867 est<br />
représ<strong>en</strong>tative des att<strong>en</strong>tes stylistiques et du clivage qui peut exister avec le goût de l’époque<br />
<strong>en</strong> 1867. <strong>Le</strong> jury, face à la vive réaction c<strong>au</strong>sée par son refus, se doit d’expliquer sa décision :<br />
La plus grande partie des morce<strong>au</strong>x que nous avons eu à juger avai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> dépit du sujet,<br />
l’allure martiale et belliqueuse ; quelques <strong>au</strong>tres, remarquablem<strong>en</strong>t écrits d’ailleurs, ne<br />
pouvai<strong>en</strong>t se passer du secours de l’orchestre et des chœurs. Aucun ne remplissait les<br />
conditions du programme 172 .<br />
Malgré cela, le Comité déclare que ce concours « a permis de constater à quelle h<strong>au</strong>teur<br />
s’est maint<strong>en</strong>u le nive<strong>au</strong> de l’art musical 173 . » Avis qui ne semble pas faire l’unanimité 174 :<br />
Sommes-nous donc, dans le domaine musical de la cantate, tombés si bas et dev<strong>en</strong>us si<br />
p<strong>au</strong>vres ? Comm<strong>en</strong>t ! Pas un musici<strong>en</strong> pour chanter la paix, ses moissons et ses bi<strong>en</strong>faits,<br />
tandis qu’il s’<strong>en</strong> est toujours r<strong>en</strong>contré pour célébrer la guerre 175 ?<br />
Comm<strong>en</strong>taire à ne pas négliger si l’on songe que cette même année, le Prix de Rome n’est<br />
pas décerné, à c<strong>au</strong>se de « la faiblesse des cantates 176 » des quatre concourants. Ces refus ne<br />
sont-ils pas le miroir du clivage qu’il existe <strong>en</strong>tre les exig<strong>en</strong>ces académiques et le style léger<br />
qui triomphe <strong>au</strong>près du public des théâtres ? Car comm<strong>en</strong>t jouer de la musique sérieuse dans<br />
un café-concert…<br />
L’un des <strong>au</strong>teurs malheureux de cette malheureuse Hymne à la Paix, <strong>au</strong> lieu de se désespérer et<br />
de perdre son temps à nommer des jurys réfractaires, M. Gaertner, a tout simplem<strong>en</strong>t porté sa<br />
partition à l’Eldorado, où elle est chantée tous les soirs avec succès 177 .<br />
Avec le peu de docum<strong>en</strong>tation concernant les années 1867-1870, il f<strong>au</strong>t reconnaître que<br />
nous ignorons les activités de Ponce de <strong>Le</strong>ón à <strong>Paris</strong>. Études ? Vie bohémi<strong>en</strong>ne ? S’il s’est fait<br />
une lég<strong>en</strong>de par la suite sur l’excell<strong>en</strong>ce de sa formation à <strong>Paris</strong>, il est nécessaire de conserver<br />
<strong>en</strong> mémoire la réalité du décalage culturel <strong>en</strong>tre les métropoles europé<strong>en</strong>nes et la périphérie<br />
américaine ; décalage qui pouvait constituer un véritable frein à l’<strong>en</strong>thousiasme des jeunes<br />
artistes. Ainsi, cette caricature signée Angel Cuervo, homme de lettres colombi<strong>en</strong> installé à<br />
172<br />
« Exposition Universelle de 1867. », Revue et gazette (34 n° 29), 21 juillet 1867 : 213.<br />
173<br />
Ibid.<br />
174<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette (34 n° 31), 4 août 1867 : 251.<br />
175<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette (34 n° 25), 23 juin 1867 : 202.<br />
176<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette (34 n° 27), 7 juillet 1867 : 218.<br />
177<br />
« Nouvelles diverses. », Revue et gazette (34 n° 32), 11 août 1867 : 258.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
<strong>Paris</strong> vers 1880, observateur privilégié et critique du comportem<strong>en</strong>t des Latino-américains à<br />
<strong>Paris</strong> :<br />
En voyant [Villavieja, un village perdu sur une cime des Andes], nul ne peut deviner que de<br />
grands génies l’habit<strong>en</strong>t, ni que l'ambition de dev<strong>en</strong>ir immortels agite ses habitants. Cep<strong>en</strong>dant,<br />
pour avoir un aperçu de leur richesse intellectuelle, il suffit d'observer les tal<strong>en</strong>ts qui de façon<br />
continue <strong>en</strong> sort<strong>en</strong>t pour émerveiller le monde <strong>en</strong>tier. La fortune annonce déjà l'arrivée <strong>en</strong><br />
Europe d'un jeune dont le gouvernem<strong>en</strong>t souti<strong>en</strong>t le voyage, afin qu'il vi<strong>en</strong>ne arracher les<br />
mêmes appl<strong>au</strong>dissem<strong>en</strong>ts qu'il obt<strong>en</strong>ait à Villavieja avec la séduction de son violon. Il arrive ;<br />
anxieux, ses compatriotes le conduis<strong>en</strong>t <strong>au</strong> Conservatoire pour qu’il <strong>en</strong>tame son parcours<br />
triomphant. <strong>Le</strong>s professeurs, à peine l’ont-ils vu poser le violon sur son ép<strong>au</strong>le, se dis<strong>en</strong>t :<br />
Ce malheureux ne sait même pas t<strong>en</strong>ir un violon.<br />
Alverla[Villavieja,unpueblo<strong>en</strong>caramado<strong>en</strong>unpicachodelosAndes],nadiepuedemaliciar<br />
queahísealbergu<strong>en</strong>grandesing<strong>en</strong>ios,niquelaambicióndeinmortalizarseagiteasus<br />
habitantes;sinembargo,paraconocerhastadóndellegasuriquezaintelectualnosinoverlos<br />
tal<strong>en</strong>tosquesal<strong>en</strong>decontinuoaasombraraluniversomundo.Yalafamaanuncialallegadaa<br />
Europadeunjov<strong>en</strong>aqui<strong>en</strong>elgobiernocosteaelviajeparaquev<strong>en</strong>gaaarrancarlosmismos<br />
apl<strong>au</strong>sosque<strong>en</strong>Villaviejaarrancóconsuviolínarrobador.Llega,y<strong>en</strong>mediodelaansiedadde<br />
suscompatriotas,loconduc<strong>en</strong>alConservatoriodemúsicaparaqueallícomi<strong>en</strong>cesucarrera<br />
triunfal;losmaestrosdesdequelev<strong>en</strong>colocarelviolín<strong>en</strong>elhombro,sedic<strong>en</strong>:Esteinfelizno<br />
sab<strong>en</strong>icogerelviolín 178 .<br />
Nous ne pouvons que conclure ces pages avec un grand point d’interrogation : qu’a fait<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón à <strong>Paris</strong> ? Que reste-t-il donc de ces trois années vécues à <strong>Paris</strong> ? La certitude<br />
qu’une lég<strong>en</strong>de s’est construite <strong>au</strong> fil du temps.<br />
3.5. <strong>Le</strong>compositeurd’opéras(18701882)<br />
¿Debemos creer <strong>en</strong> el destino? ¡No! Pues vean ustedes <strong>en</strong> seguida lo que ha sucedido […]<br />
cuando habíamos conv<strong>en</strong>ido casi <strong>en</strong> la repres<strong>en</strong>tación de una de mis óperas. Yo creo que<br />
cuando v<strong>en</strong>cidas todas las dificultades para repres<strong>en</strong>tar mis óperas, y una de ellas ya se esté<br />
cantando, ¡esa noche se cae el teatro!... 179<br />
Melesio Morales<br />
Mi libro verde de apuntes e impresiones<br />
Entre 1870 et 1882, date de son décès, Ponce de <strong>Le</strong>ón s’affirme comme compositeur<br />
<strong>lyrique</strong> avec la création <strong>au</strong> Coliseo de Bogotá de trois ouvrages : Ester (1874), El Castillo<br />
misterioso (1876) et Florinda (1880). Nommé directeur de la Fanfare de Bogotá, son activité<br />
de compositeur le conduit à écrire, outre les ouvrages <strong>lyrique</strong>s, des pièces de g<strong>en</strong>re pour piano<br />
133<br />
178 A. Cuervo, 1893 : 27.<br />
179 « F<strong>au</strong>t-il croire <strong>au</strong> destin ? Non ! Voyez donc ce qui est arrivé […] alors que nous avions décidé de<br />
représ<strong>en</strong>ter un de mes opéras. Je crois que, vaincues toutes les difficultés pour les représ<strong>en</strong>ter, et alors<br />
qu’un d’eux soit <strong>en</strong> train d’être chanté, cette nuit le théâtre s’écroule ! » (M. Morales, Mns/1999 :<br />
211).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
134<br />
et des mélodies. Il participe égalem<strong>en</strong>t à plusieurs concours d’œuvres orchestrales ou<br />
d’hymnes, dont nous n’avons cep<strong>en</strong>dant pu trouver les partitions.<br />
Nous abordons à prés<strong>en</strong>t cette troisième étape de la vie du compositeur, véritable quête de<br />
maturité, pour situer la parution de ses trois opéras dans un parcours personnel jusqu’alors<br />
peu connu. Cep<strong>en</strong>dant nous approfondirons l’analyse de ses trois ouvrages <strong>lyrique</strong>s, leurs<br />
g<strong>en</strong>èses et créations, dans la deuxième partie de cette étude.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón se marie le 29 avril 1873 avec sa cousine Mercedes Ponce de <strong>Le</strong>ón Silva à<br />
Bogotá 180 . Ils ont une première fille <strong>en</strong> 1874 qui meurt <strong>en</strong> bas âge. Quelques années plus tard<br />
naît María Ester, puis son fils Francisco, baptisé le 27 mai 1883, alors que José María est déjà<br />
mort 181 .<br />
Nous savons peu de choses sur son <strong>en</strong>tourage. Seulem<strong>en</strong>t qu’il était proche du compositeur<br />
Julio Quevedo (1829-1897). J. I. Perdomo Escobar affirme qu’ils échangeai<strong>en</strong>t volontiers des<br />
mélodies <strong>en</strong>tre eux lorsqu’ils devai<strong>en</strong>t composer des messes 182 . Une toile du peintre Ricardo<br />
Acevedo Bernal (1867-1930) montre les deux musici<strong>en</strong>s à l’orgue de la Cathédrale de<br />
Bogotá : José María, debout, regarde d’un œil bi<strong>en</strong>veillant son ami qui lit une partition à<br />
l’orgue 183 .<br />
3.5.1.EsterCastillomisterioso<br />
Une Vals de Ponce, écrite <strong>en</strong> 1873, dédicacée à Madame Thiolier laisse supposer que le<br />
compositeur a des contacts avec le monde <strong>lyrique</strong>. Marina Barbieri de Thiolier, soprano<br />
itali<strong>en</strong>ne, était arrivée <strong>en</strong> 1868 avec la troupe d’opéra Visoni. Elle s’installe à Bogotá, propose<br />
des cours de chant, participe dans des spectacles mêlant théâtre et musique, puis t<strong>en</strong>te de<br />
monter des opéras de façon intermitt<strong>en</strong>te à Bogotá dans les années 1871-1872. Très appréciée<br />
par les Bogotains, il n’est cep<strong>en</strong>dant pas étonnant de retrouver de nombreuses pages de<br />
musique ou poésies écrites <strong>en</strong> son honneur.<br />
En 1874, un concours de circonstances lance Ponce de <strong>Le</strong>ón comme compositeur d’opéras<br />
avec la création d’Ester. Nous r<strong>en</strong>voyons <strong>au</strong> chapitre consacré à cet opéra pour suivre les<br />
détails de cette g<strong>en</strong>èse. Rappelons brièvem<strong>en</strong>t ces circonstances favorables : la prés<strong>en</strong>ce à<br />
180<br />
Archives nationales de <strong>Colombie</strong>, Fondo Congreso, Notaria 2ª de Bogotá, Tome 6 Matrimonios,<br />
folio 74 r°.<br />
181<br />
Archives nationales de <strong>Colombie</strong>, livre des baptêmes de l’Église de las Nieves, à Bogotá (18-B),<br />
folio 253 r°.<br />
182<br />
J. I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 100.<br />
183<br />
Voir J. I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 96 pour la photographie de la toile et E. Bermúdez 2000 :<br />
174 pour une photographie de l’esquisse de la toile d’Acevedo.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Bogotá d’une nouvelle compagnie itali<strong>en</strong>ne, la troupe Rossi-d’Achiardi, qui accepte de<br />
monter un opéra d’un compositeur bogotain ; le concours artistique promu par le peintre<br />
mexicain Felipe Gutierrez pour célébrer les soixante-quatre ans de la République. Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón compose l’opéra <strong>en</strong> quelques semaines et Ester est interprétée <strong>au</strong> Coliseo les 2, 5 et 9<br />
juillet 1874.<br />
À partir de cette date, Ponce devi<strong>en</strong>t une personnalité reconnue dans le monde musical<br />
colombi<strong>en</strong>. Par ailleurs l’expéri<strong>en</strong>ce d’Ester l’<strong>au</strong>ra rapproché de R. Pombo, r<strong>en</strong>tré à Bogotá <strong>en</strong><br />
novembre 1872 après dix-sept ans passés à New York.<br />
On ignore ce que fait Ponce de <strong>Le</strong>ón durant l’année qui suit la création d’Ester. <strong>Le</strong><br />
gouvernem<strong>en</strong>t reconnaît les mérites du jeune compositeur et le nomme directeur d’une des<br />
deux fanfares militaires qui se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t à Bogotá deux fois par semaine. Nous serions portés<br />
à croire qu’il existait à Bogotá une seule Banda militar, certainem<strong>en</strong>t dirigée par Cayetano<br />
Pereira. Cette Banda <strong>au</strong>rait été scindée <strong>en</strong> deux fanfares, justem<strong>en</strong>t pour permettre à Ponce<br />
d’exercer une fonction officielle <strong>en</strong> tant que musici<strong>en</strong>. Il ne s’agit que d’une supposition, mais<br />
pourquoi Bogotá <strong>au</strong>rait-elle deux bandas, alors qu’il n’y a pas un seul orchestre perman<strong>en</strong>t<br />
dans toute la ville ? Nous ignorons d’ailleurs l’<strong>en</strong>trée <strong>en</strong> fonction de Ponce <strong>en</strong> tant que<br />
directeur de la Banda. Mais nous savons qu’il se produit régulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1875 puisque la<br />
presse annonce semaine après semaine les programmes music<strong>au</strong>x des deux bandas.<br />
On retrouve Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> juin 1875, lors d’une grande soirée lyrico-dramatique<br />
organisée par les Itali<strong>en</strong>s résid<strong>en</strong>ts à Bogotá pour v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> aide <strong>au</strong>x victimes du tremblem<strong>en</strong>t<br />
de terre de Cúcuta. Un programme éclectique, mêlant musique et théâtre, qui débute avec<br />
l’Ouverture d’Ester 184 .<br />
En juin 1875, se ti<strong>en</strong>t une Exposition universelle à Santiago de Chile. La <strong>Colombie</strong> est<br />
représ<strong>en</strong>tée par une délégation qui expose notamm<strong>en</strong>t des produits agricoles. Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
décide de composer un hymne pour cette Exposition, <strong>en</strong>core hanté par le souv<strong>en</strong>ir de l’Hymne<br />
à la Paix pour l’Exposition de 1867 à <strong>Paris</strong> :<br />
J’ai transmis <strong>au</strong> présid<strong>en</strong>t de la section des Be<strong>au</strong>x-arts le paragraphe où il est question du<br />
gracieux et galant don du compositeur colombi<strong>en</strong> José María Ponce de <strong>Le</strong>ón, et je lui ai<br />
demandé qu’<strong>au</strong>ssitôt l’hymne reçu, il fasse le nécessaire pour m<strong>en</strong>er à bon terme son<br />
exécution.<br />
HetrascritoalPresid<strong>en</strong>tedelaSeccióndeBellasArtes[…]elpárrafo[…]refer<strong>en</strong>teala<br />
graciosa i galante oferta del compositor colombiano don José María Ponce de <strong>Le</strong>ón,<br />
pidiéndoleque,tanluegocomollegueelhimnoanunciado,délospasosnecesariosafinde<br />
184 « Anuncios. Teatro », Diario de Cundinamarca (VI.1659), 19 juin 1875 : 756.<br />
135<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
136<br />
queseejecutecumplidam<strong>en</strong>te. 185 <br />
On appr<strong>en</strong>d dans cette même lettre que le compositeur itali<strong>en</strong> Marchetti, compositeur de<br />
l’opéra Rui Blas joué à Bogotá, écrit <strong>au</strong>ssi un hymne pour cette Exposition. Cep<strong>en</strong>dant les<br />
organisateurs de l’exposition invit<strong>en</strong>t tous les compositeurs à participer <strong>au</strong> concours musical<br />
pour l’Hymne d’ouverture de l’Exposition. Nous n’avons guerre d’informations sur ce<br />
concours ni sur la partition. <strong>Le</strong> poème, signé Rafael Pombo, n’est publié qu’<strong>en</strong> septembre<br />
1879 par la presse bogotaine 186 . Ponce de <strong>Le</strong>ón est récomp<strong>en</strong>sé par une médaille <strong>en</strong> guise de<br />
remerciem<strong>en</strong>t pour cette composition <strong>en</strong>voyée spontaném<strong>en</strong>t <strong>au</strong> Chili :<br />
J’ai le plaisir de vous <strong>en</strong>voyer le Diplôme d’honneur et la Médaille que le Jury qualificateur<br />
des objets exhibés dans l’Exposition International du Chili a décidé de vous attribuer pour la<br />
musique intitulée « Hymne des Andes – Salutations de la <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> Chili. »<br />
T<strong>en</strong>golasatisfacciónde<strong>en</strong>viarleaUstedelDiplomadehonorylaMedallaconque[el]Jurado<br />
calificadordelosobjetosexhibidos<strong>en</strong>laExposiciónInternacionaldeChiledecidiópremiara<br />
ustedporlamúsicatitulada“HimnodelosAndes–SaludodeColombiaaChile” 187 .<br />
Il est fort probable que cette partition se trouve quelque part dans les archives de Santiago<br />
de Chili, dans l’hypothèse qu’elle a été conservée.<br />
En août 1875, le bure<strong>au</strong> de la Sociedad Filarmónica ouvre à nouve<strong>au</strong> ses portes. <strong>Le</strong><br />
nouve<strong>au</strong> règlem<strong>en</strong>t stipule la prés<strong>en</strong>ce de quatre chefs d’orchestre <strong>en</strong> alternance, parmi<br />
lesquels José María Ponce de <strong>Le</strong>ón 188 .<br />
En novembre 1875, des artistes résidants essai<strong>en</strong>t de s’associer dans un premier projet de<br />
troupe nationale d’opéra. Fiorellini de Balma, créatrice du rôle d’Ester, est de nouve<strong>au</strong> à<br />
Bogotá avec son mari le ténor Balma. Faisant appel <strong>au</strong>x Itali<strong>en</strong>s restés à Bogotá et à des<br />
artistes colombi<strong>en</strong>s, ils mont<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre novembre 1875 et janvier 1876 Lucia, Ernani, La<br />
Traviata et L’elisir d’amore. L’orchestre est d’abord dirigé par Ponce de <strong>Le</strong>ón. Mais dès la<br />
seconde reprise de Lucia, Ponce s’abs<strong>en</strong>te 189 et C. Pereira pr<strong>en</strong>d le relais. Il semblerait que les<br />
conflits de 1874 <strong>en</strong>tre ces deux musici<strong>en</strong>s vont une fois de plus <strong>en</strong>v<strong>en</strong>imer la situation 190 . <strong>Le</strong><br />
projet, qui à l’origine devait pourvoir des fonds pour inviter des chanteurs itali<strong>en</strong>s à Bogotá et<br />
185 « Exposición internacional de Chile. », Diario de Cundinamarca (VI.1764), 23 octobre 1875 :<br />
1174.<br />
186 « Himno de los Andes. Saludo de Colombia a Chile <strong>en</strong> su Exposición internacional de 1875 », El<br />
Zipa (III.10), 25 septembre 1879 : 157.<br />
187 <strong>Le</strong>ttre de Manuel Antonio Cordovez, cónsul de <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> Chili, reproduite dans Papel periódico<br />
ilustrado n° 37, avril 1883 : 208.<br />
188 « Sociedad Filarmónica », Diario de Cundinamarca (VI.1721), 2 septembre 1875 : 1001.<br />
189 Diario de Cundinamarca (VI.1789), 23 novembre 1875 : 73.<br />
190 Voir le chapitre sur l’opéra Ester dans la deuxième partie de cette étude.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
ainsi élargir la compagnie 191 , est un véritable fiasco financier. <strong>Le</strong> couple Balma quitte Bogotá<br />
après une cabale montée contre eux. Mais c’est surtout l’arrivée d’une nouvelle compagnie<br />
espagnole de zarzuela qui marque la fin de ce projet de troupe <strong>lyrique</strong> nationale.<br />
Du 18 février <strong>au</strong> 16 juillet 1876, Josefa Mateo et sa troupe de zarzuela espagnole charm<strong>en</strong>t<br />
Bogotá. En avril, ils prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t la nouvelle création de Ponce de <strong>Le</strong>ón : El Castillo misterioso.<br />
Comm<strong>en</strong>t résumer ces deux années <strong>en</strong>tre Ester et le Castillo dans la vie de Ponce de <strong>Le</strong>ón ?<br />
<strong>Le</strong>s occasions qui lui sont offertes de faire de la musique sont peu nombreuses. Si à la fin de<br />
1875 il essaie de participer à une <strong>en</strong>treprise <strong>lyrique</strong> nationale, cela relève bi<strong>en</strong> vite du fiasco.<br />
Pour briller comme compositeur, le voila t<strong>en</strong>u d’écrire des partitions pour d’<strong>au</strong>tres pays – le<br />
Chili – qu’il ne pourra jamais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre. Il devi<strong>en</strong>t chef d’orchestre d’une Société<br />
Philharmonique qui pour l’instant n’existe que sur le papier, dans un milieu musical où il<br />
semble r<strong>en</strong>contrer des hostilités de la part de certains, dont Cayetano Pereira <strong>en</strong> premier lieu.<br />
Bi<strong>en</strong> sûr Ponce de <strong>Le</strong>ón est dev<strong>en</strong>u un personnage qui fait partie du quotidi<strong>en</strong> de Bogotá,<br />
avec les retraites militaires qu’il dirige jeudi et dimanche. Diriger la banda c’est <strong>au</strong>ssi réécrire<br />
les différ<strong>en</strong>ts morce<strong>au</strong>x, les instrum<strong>en</strong>ter, écrire l’accompagnem<strong>en</strong>t 192 . Un exercice qui place<br />
le compositeur <strong>au</strong> cœur même de l’écriture musicale ; une praxis d’<strong>au</strong>tant plus <strong>en</strong>richissante<br />
qu’il est confronté à l’écriture et <strong>au</strong> résultat sonore. Son répertoire gravite particulièrem<strong>en</strong>t<br />
<strong>au</strong>tour de la transcription d’opéras itali<strong>en</strong>s, de valses de Str<strong>au</strong>ss, et de danses de compositeurs<br />
bogotains ou de son propre cru.<br />
Mais Ponce de <strong>Le</strong>ón est <strong>au</strong>ssi le musici<strong>en</strong> du privé, des salons, des tertulias literarias, où se<br />
cré<strong>en</strong>t de nombreuses pièces de g<strong>en</strong>re, véritable jonction de la tradition des compositeurs à<br />
Bogotá, tout <strong>en</strong> ayant dans l’esprit le souv<strong>en</strong>ir des salons parisi<strong>en</strong>s. Il nous est <strong>en</strong> revanche<br />
impossible de citer, dater, cataloguer des pièces pour piano de cette époque.<br />
Ponce ne peut donc se plaindre de ne pas être joué. Qu’il s’agisse de ses œuvres pour piano<br />
et pour fanfare, ou de ses arrangem<strong>en</strong>ts :<br />
Tous les jours nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons, dans les bandes militaires et grâce <strong>au</strong>x pianos, les fruits mineurs<br />
de son inépuisable veine ; pièces légères de tous g<strong>en</strong>res, toujours expressives, d’une<br />
instrum<strong>en</strong>tation riche et sci<strong>en</strong>tifique, ainsi que de nombreuses transcriptions ou arrangem<strong>en</strong>ts<br />
d’opéras et d’<strong>au</strong>tres œuvres sérieuses.<br />
137<br />
191 « Crónica de Bogotá. Ópera italiana », Diario de Cundinamarca (VII.1783), 16 novembre 1875 : 49.<br />
192 Comme l’explique le ténor itali<strong>en</strong> Balma qui vante le travail de Ponce par rapport à celui de<br />
Pereira. (« Remitidos. Al público » (Balma), Diario de Cundinamarca (VII.1934), 19 mai 1876 : 655).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
138<br />
Oímostodoslosdías,<strong>en</strong>lasbandasmilitaresy<strong>en</strong>lospianos,losfrutosm<strong>en</strong>oresdesu<br />
inagotablev<strong>en</strong>a,piezasligerasdetodoslosgéneros,siempreexpresivasydericayci<strong>en</strong>tífica<br />
instrum<strong>en</strong>tación,ytranscripciones,oarreglosdeóperasyotrasobrasserias… 193 <br />
Nul doute qu’<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant le Castillo misterioso – œuvre qui depuis son unique<br />
représ<strong>en</strong>tation du 27 avril 1876 n’a jamais été rejouée – on ne perçoive une grande maîtrise<br />
dans l’écriture par rapport à Ester. Stylistiquem<strong>en</strong>t, Ponce de <strong>Le</strong>ón réussit à faire la synthèse<br />
de plusieurs styles dans le Castillo : itali<strong>en</strong>, ibérique, bouffe, tout <strong>en</strong> démontrant que<br />
l’espagnol est une langue qui convi<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong> <strong>au</strong>x numéros comiques et sérieux. Mais c’est<br />
sans doute ces quelques années <strong>en</strong> tant que directeur de la banda qui lui <strong>au</strong>ront permis de<br />
décortiquer et assimiler de nombreuses œuvres du répertoire europé<strong>en</strong>.<br />
3.5.2.Florinda<br />
En 1876 éclate dans le Sud de la <strong>Colombie</strong> une nouvelle rébellion qui tourne rapidem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
guerre civile. Une fois de plus les réformes libérales du système éducatif sont mises <strong>en</strong> c<strong>au</strong>se.<br />
Pour certains histori<strong>en</strong>s, cette nouvelle guerre de 1876 pr<strong>en</strong>d les allures d’une croisade<br />
religieuse 194 , fortem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>couragée par l’Église qui cherche à rest<strong>au</strong>rer son pouvoir, avec des<br />
archevêques qui s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t politique et militairem<strong>en</strong>t. L’Église n’hésite plus à accuser la<br />
République d’avoir « arraché la religion du cœur des Colombi<strong>en</strong>s avec les <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts<br />
athées et matérialistes, <strong>en</strong> semant le désordre et la corruption dans les familles et dans toutes<br />
les catégories sociales 195 . » <strong>Le</strong>s années de changem<strong>en</strong>t et de r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> de la déc<strong>en</strong>nie<br />
précéd<strong>en</strong>te sont remises <strong>en</strong> c<strong>au</strong>ses, vécues par certains comme une régression.<br />
L’armée du gouvernem<strong>en</strong>t libéral affronte les conservateurs, organisés <strong>en</strong> guérillas dans les<br />
différ<strong>en</strong>tes provinces. Finalem<strong>en</strong>t, ceux-ci sont vaincus <strong>en</strong> avril 1877. La paix revi<strong>en</strong>t<br />
l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t dans le pays, mais ces années de conflits idéologiques prépar<strong>en</strong>t une nouvelle ère<br />
dans l’histoire de la <strong>Colombie</strong> : la Reg<strong>en</strong>eración des années 1880.<br />
P<strong>en</strong>dant cette année de guerre nous perdons de vue Ponce de <strong>Le</strong>ón. L’activité culturelle<br />
disparaît à Bogotá. La Compagnie Mateo avait quitté le pays dès les premiers échos du conflit<br />
193 « José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. » (R. Pombo), El Conservador, 23 septembre 1882, article republié<br />
dans Papel periódico ilustrado (II. 37), 1 er avril 1883 : 198-199.<br />
194 F. E. Gonzaléz, 2006 : 97.<br />
195 « Arrancar la religión del corazón de los colombianos con las <strong>en</strong>señanzas ateas y materialistas (…)<br />
y sembrar el desord<strong>en</strong> y la corrupción <strong>en</strong> la familia y <strong>en</strong> todas las clases y estratos sociales ». (Cité par<br />
F. E. Gonzaléz, 2006 : 95).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
dans le pays. Nous savons seulem<strong>en</strong>t que le père de Ponce, Eusebio, meurt le 8 août 1876 196 .<br />
La presse publie une annonce nécrologique 197 , signe de l’estime dont le compositeur bénéficie<br />
à Bogotá.<br />
En avril 1877, s’annonce une nouvelle reconstruction du pays qui sort meurtri de cette<br />
guerre intestine, la cinquième de grande ampleur depuis la naissance de la République. <strong>Le</strong><br />
congrès s’occupe de voter de nouvelles lois, parmi lesquelles un décret du 14 juin 1877 :<br />
Grande bande de musique -. Par décret du 14 juin, les deux bandes de musique de la capitale,<br />
<strong>au</strong> service de la Garde colombi<strong>en</strong>ne, ont été fondues <strong>en</strong> une seule. La nouvelle bande comptera<br />
48 musici<strong>en</strong>s et sera organisée militairem<strong>en</strong>t. L’habile artiste Ponce de <strong>Le</strong>ón a été désigné<br />
comme directeur, élevé <strong>au</strong> grade de Serg<strong>en</strong>t-majeur.<br />
Granbandademúsica.Pordecretoejecutivode14delcorri<strong>en</strong>tesehanrefundido<strong>en</strong>una<br />
lasdosbandasdemúsicaqueexistían<strong>en</strong>estacapital,alserviciodelaGuardiacolombiana.La<br />
nuevabanda,queconstaráde48músicos,quedaorganizadamilitarm<strong>en</strong>te;i[…]hasido<br />
nombradoDirectordeella,asimiladoaSarj<strong>en</strong>tomayor,conelsueldodesuempleo,elhábil<br />
artistaseñorJoséMaríaPoncede<strong>Le</strong>ón 198 .<br />
Cette promotion permettrait « d’<strong>en</strong>courager le maestro colombi<strong>en</strong> pour qu’il puisse<br />
<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t se consacrer <strong>au</strong> développem<strong>en</strong>t de ses tal<strong>en</strong>ts music<strong>au</strong>x, et de disposer des<br />
moy<strong>en</strong>s suffisant pour que (…), sous sa direction, puisse se développer dans la capitale de la<br />
République une fanfare à la h<strong>au</strong>teur de celles des États-Unis et d’Europe 199 . »<br />
C’est sans doute le succès du Castillo et le lobby d’amis politici<strong>en</strong>s qui lui val<strong>en</strong>t cette<br />
nouvelle position. Pour le compositeur, cela représ<strong>en</strong>te davantage de rev<strong>en</strong>us, et une<br />
reconnaissance sociale accrue. Ponce de <strong>Le</strong>ón continue donc son travail de directeur de la<br />
banda, cette fois sans fanfare rivale, tout <strong>en</strong> explorant le répertoire itali<strong>en</strong> qu’il doit désormais<br />
bi<strong>en</strong> connaître, ainsi que celui des valses, polkas, marches, etc. L’extrait qui suit du Diario de<br />
Cundinamarca annonce le programme des jeudi 12 juillet et dimanche 15 juillet 1877 :<br />
- Retretas -. Para esta noche : 1ª. Final de Fascary – por Verdy ; 2ª. Ser<strong>en</strong>ata española<br />
(valse) – por Metral ; 3ª. El Jeranio (valse) – por X, i 4ª. Visony (polka) – por X.<br />
Para el domingo: 1ª. Duo de Lucía, por Donizetti; 2ª. Fuego fatuo (valses) por Str<strong>au</strong>s; 3ª.<br />
Polonesa por Matrizy, y 4ª. Doble militar por Gounod.<br />
Exemple 3 : Programme de la Fanfare dirigée par Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
12 et 15 juillet 1877.<br />
196 Archives nationales de <strong>Colombie</strong>, Fondo Congreso, Notaria 2ª de Bogotá, Tome 6 Defunciones.<br />
197 « Hechos diversos. Pésame » Diario de Cundinamarca (VI.2008), 18 août 1876 : 951.<br />
198 « Gran banda de música », Diario de Cundinamarca (VIII.2140), 19 juin 1877 : 388.<br />
199 « Honra al mérito », Diario de Cundinamarca (VIII.2118), 28 avril 1877 : 309.<br />
139<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
140<br />
<strong>Le</strong> répertoire de la nouvelle banda reste donc le même 200 : extraits d’ouvertures et numéros<br />
d’opéras itali<strong>en</strong>s ; valses de Str<strong>au</strong>ss ; pièces de Ponce de <strong>Le</strong>ón et danses anonymes, que l’on<br />
peut deviner signées par des compositeurs colombi<strong>en</strong>s. Nous ignorons si Ponce dirige la<br />
banda jusqu’<strong>en</strong> 1882, année de son décès. Un seul indice nous permet de l’affirmer : <strong>en</strong><br />
décembre 1881, le Coliseo accueille une troupe de théâtre espagnol dirigée par Annexy.<br />
L’orchestre qu’il avait <strong>en</strong>gagé lui fait déf<strong>au</strong>t et est remplacé <strong>au</strong> pied levé « par la banda que<br />
dirige Ponce de <strong>Le</strong>ón 201 ». Il s’agit certainem<strong>en</strong>t de cette Banda de Bogotá qu’il a sous sa<br />
direction depuis quatre ans et qui <strong>au</strong>ra accompagnée Ponce de <strong>Le</strong>ón le long de toute sa<br />
carrière musicale.<br />
En février 1879, alors que Ponce de <strong>Le</strong>ón est <strong>en</strong> train d’achever son opéra Florinda, alors<br />
que la compagnie Petrilli propose une saison <strong>lyrique</strong> à Bogotá, la presse annonce l’arrivée<br />
d’une compagnie infantile mexicaine de zarzuela, composée de 25 <strong>en</strong>fants 202 . Ils arriv<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
décembre, constituant une grande nouve<strong>au</strong>té pour le public bogotain. Seule critique :<br />
l’orchestre manque de musici<strong>en</strong>s. Et nous retrouvons Ponce de <strong>Le</strong>ón, dirigeant de<br />
l’harmonium, faisant de son mieux pour reh<strong>au</strong>sser le spectacle 203 . <strong>Le</strong> programme compr<strong>en</strong>d<br />
des actes et des extraits de zarzuelas espagnoles, ainsi que de courtes pièces, « table<strong>au</strong> de<br />
mœurs nationales avec musique » qui sont de courts bambucos, sérénades, ou valses de<br />
compositeurs colombi<strong>en</strong>s. Voici un exemple d’œuvres qu’a pu diriger et jouer Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
<strong>au</strong> cours d’une séance de Zarzuela infantile :<br />
Ouverture pour orchestre ; premier acte de Los Magyares ; la comédie Me convi<strong>en</strong>e esta<br />
mujer ; un trio bouffe El pret<strong>en</strong>di<strong>en</strong>te burlado ; un duo El mocito del barrio ; un duo bouffe<br />
El matrimonio secreto et un table<strong>au</strong> de mœurs nationales avec musique 204 .<br />
Certains musici<strong>en</strong>s de Bogotá, Julio Quevedo et Oreste Sindici <strong>en</strong> tête, projett<strong>en</strong>t dès le<br />
mois de juillet 1879 la fondation d’un périodique musical, outil nécessaire pour « <strong>en</strong>courager<br />
nos compositeurs, qui produis<strong>en</strong>t rarem<strong>en</strong>t, f<strong>au</strong>te de souti<strong>en</strong> (…) qui puisse les <strong>en</strong>courager à<br />
200 Programmes annoncés dans le Diario de Cundinamarca (VIII.2150, 2153, 2160).<br />
201 El Zipa (V.14), 24 décembre 1881 : 214.<br />
202 « Compañía infantil de zarzuela », Diario de Cundinamarca (X.2449), 11 février 1879 : 216.<br />
203 « Da lástima ver al intelig<strong>en</strong>te maestro señor Ponce haci<strong>en</strong>do esfuerzos <strong>en</strong> el armonium para que las<br />
piezas salgan lo mejor posible. » Dans « La zarzuela infantil », Diario de Cundinamarca (XI.2606), 19<br />
décembre 1879 : 42.<br />
204 « Compañía de zarzuela », El Zipa (III.21), 11 décembre 1879 : 325.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
s’adonner à l’étude du divin art… 205 ». Un tel projet est difficilem<strong>en</strong>t viable à Bogotá. En<br />
juillet 1880, est annoncé un journal bihebdomadaire de musique, La Lira de los Andes, dirigé<br />
par Oreste Sindici et Ponce de <strong>Le</strong>ón. <strong>Le</strong> premier numéro, qui sort fin août 206 , conti<strong>en</strong>t « une<br />
valse l<strong>en</strong>te de Ponce, expressive et bi<strong>en</strong> écrite comme toute sa musique 207 . » Lors de nos<br />
recherches à Bogotá nous n’avons pas réussi à trouver d’exemplaires de cette revue.<br />
Apparemm<strong>en</strong>t elle n’<strong>au</strong>rait pas réuni assez de souscripteurs et La Lira de los Andes, comme<br />
tant de projets culturels à Bogotá, serait restée sans l<strong>en</strong>demain.<br />
Qu’<strong>en</strong> est-il du compositeur <strong>lyrique</strong> ? Entre 1876 et 1880, R. Pombo affirme que Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón écrit deux zarzuelas 208 : El alma <strong>en</strong> un hilo et <strong>Le</strong>vantar muertos. De la première, nous<br />
avons retrouvé à Bogotá la page manuscrite d’un début de Trio. De la deuxième nous<br />
appr<strong>en</strong>ons seulem<strong>en</strong>t que Pombo s’est inspiré de la comédie espagnole de Blasco et Ramos<br />
Carrión pour <strong>en</strong> écrire un livret 209 . Ces deux œuvres, inspirées du théâtre espagnol<br />
contemporain, sont-elles preuve de l’<strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t pour la zarzuela à Bogotá <strong>en</strong> 1876 ? Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón les a-t-il écrites alors que la Compagnie Mateo était <strong>en</strong>core à Bogotá, dans l’optique<br />
de profiter de leur prés<strong>en</strong>ce et de leur proposer une deuxième composition pour la scène ? En<br />
définitive, <strong>au</strong>cune de ces deux courtes zarzuelas ne fut – et n’a jamais été – interprétée.<br />
Lorsque la situation économique se redresse, une nouvelle compagnie itali<strong>en</strong>ne d’opéra qui<br />
arp<strong>en</strong>te les pays côtiers des Caraïbes est invitée à Bogotá. La compagnie Petrilli – Egisto<br />
Petrilli avait déjà chanté à Bogotá – ouvre une saison <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> septembre 1878 qui se<br />
poursuit jusqu’<strong>en</strong> mai 1879. En juillet 1880, la basse Desantis, anci<strong>en</strong> intégrant de la Petrilli,<br />
revi<strong>en</strong>t à la tête d’une nouvelle compagnie, avec un corps de ballet. Cette compagnie B<strong>en</strong>ic,<br />
du nom de la prima donna, reste à Bogotá jusqu’<strong>en</strong> février 1881. L’histoire de Florinda,<br />
opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón qui marque sa consécration, est liée à la prés<strong>en</strong>ce de ces deux<br />
compagnies <strong>lyrique</strong>s à Bogotá, les deux dernières que Ponce de <strong>Le</strong>ón connaîtra de son vivant.<br />
Bi<strong>en</strong> que nous ayons consacré tout un chapitre à la g<strong>en</strong>èse de Florinda, nous évoquons ici les<br />
princip<strong>au</strong>x événem<strong>en</strong>ts, dans le cadre de la biographie de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
141<br />
205 «… el periódico servirá además de estímulo a nuestros compositores, qui<strong>en</strong>es pocas veces produc<strong>en</strong><br />
por no <strong>en</strong>contrar apoyo ni siquiera apl<strong>au</strong>sos que los ali<strong>en</strong>te y haga que se consagr<strong>en</strong> al estudio del<br />
divino arte. » (« Periódico musical », El Zipa (II.48), 10 juillet 1879 : 751).<br />
206 « La lira de los Andes », El Zipa (IV.3), 14 août 1880 : 37.<br />
207 « La lira de los Andes, periódico quinc<strong>en</strong>al de música dirigido por Sindici y Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
(ag<strong>en</strong>cia de “el Deber”). Ha salido la muestra… y conti<strong>en</strong>e un vals l<strong>en</strong>to, por Ponce, expresivo y bi<strong>en</strong><br />
escrito como todo lo suyo. » (« Bellas Artes », El Zipa (IV.1), 23 juillet 1880 : 8).<br />
208 R. Pombo, 1880 : 4.<br />
209 Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo], « La Florinda de Ponce de <strong>Le</strong>ón », Papel periódico ilustrado (II.37) : 206.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
142<br />
Contrairem<strong>en</strong>t à Ester et <strong>au</strong> Castillo, la gestation de Florinda se fait dans le calme. <strong>Le</strong><br />
projet naît de l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre R. Pombo et le compositeur, sans que la prés<strong>en</strong>ce d’Itali<strong>en</strong>s ou<br />
d’Espagnols <strong>en</strong> garantiss<strong>en</strong>t la création. Il s’agit donc d’une œuvre réfléchie et travaillée, à<br />
l’opposé des antérieurs ouvrages <strong>lyrique</strong>s, finis dans la hâte afin d’être joués par les locataires<br />
étrangers du Coliseo.<br />
<strong>Le</strong> poète <strong>au</strong>rait comm<strong>en</strong>cé à travailler sur le livret <strong>en</strong> 1875 et l’<strong>au</strong>rait terminé <strong>en</strong> 1878 210 .<br />
Nous ignorons <strong>en</strong> revanche quel a été le rythme de travail de Ponce de <strong>Le</strong>ón. En février 1879,<br />
alors que la compagnie Petrilli bat son plein, on appr<strong>en</strong>d par la presse que le compositeur est<br />
<strong>en</strong> train de terminer son opéra 211 . L’opéra, achevé le 24 avril 1879, est <strong>au</strong>ssitôt mis <strong>en</strong> étude<br />
par la compagnie Petrilli. En même temps, Ponce fait une grande révision d’Ester, modifiant<br />
certains numéros et changeant d’<strong>au</strong>tres. <strong>Le</strong>s Itali<strong>en</strong>s compt<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>ter ces deux opéras.<br />
Mais des échos d’une nouvelle guerre civile vide la ville de ses habitants. <strong>Le</strong> Coliseo désert,<br />
la troupe fait faillite. La création de Florinda est ajournée ; celle de la deuxième version<br />
d’Ester n’<strong>au</strong>ra jamais lieu du vivant du compositeur. Lors de cette saison d’opéra, seule une<br />
sérénade <strong>en</strong> duo de Ponce de <strong>Le</strong>ón est interprétée p<strong>en</strong>dant l’<strong>en</strong>tracte par les deux primes<br />
donnes : le bambuco La virj<strong>en</strong> de ojos negros 212 .<br />
La Virg<strong>en</strong> de negros ojos, pour piano et deux voix, est chanté dans un des <strong>en</strong>tractes d’une<br />
représ<strong>en</strong>tation de Rigoletto, donné <strong>au</strong> bénéfice de Petrilli. <strong>Le</strong> bambuco – danse typique<br />
colombi<strong>en</strong>ne – devi<strong>en</strong>dra l’ét<strong>en</strong>dard de la musique colombi<strong>en</strong>ne <strong>au</strong>x <strong>XIX</strong> e et XX e <strong>siècle</strong>s. Il<br />
existe une importante littérature pianistique à laquelle Ponce de <strong>Le</strong>ón a largem<strong>en</strong>t contribué.<br />
L’extrait qui suit nous <strong>en</strong> dit long sur le déroulem<strong>en</strong>t de ces <strong>en</strong>tractes <strong>au</strong>xquels nous avons fait<br />
déjà allusion ci-dessus :<br />
<strong>Le</strong>s deux sœurs d’Aponte ont <strong>en</strong>chanté le public, <strong>en</strong> exécutant le bambuco Virj<strong>en</strong> de negros<br />
ojos composé par le maestro Ponce de <strong>Le</strong>ón, qui a été appl<strong>au</strong>di jusqu’à la fureur. Elles sont<br />
sorties sur la scène habillées comme deux arrogantes be<strong>au</strong>tés de la Sabana, <strong>en</strong> chemises<br />
blanches bordées, foulard noir et une coiffe si gracieuse et coquette comme peut l’utiliser la<br />
plus belle et maline des jeunes filles des villages de Cundinamarca et de Boyacá.<br />
Lasdoshermanasd’Aponte<strong>en</strong>cantaronalpúblico,ejecutandoelbambuco“Virj<strong>en</strong>d<strong>en</strong>egros<br />
ojos”compuestoporelmaestroPoncede<strong>Le</strong>ón,elcualfueapl<strong>au</strong>didohastaelfuror.Salieron<br />
vestidascomodosarrogantesmozassabanerasconcamisablancamiubordadas,basquiña<br />
negraiunacorrosquitatangraciosa,tancucacomopuedeusarlalasmásguapaipicaresca<br />
210 R. Pombo, 1880 : 3.<br />
211 « Ópera italiana », El Zipa, (II.28), 13 février 1879 : 430.<br />
212 « Rigoletto », Diario de Cundinamarca (X.2469), 19 mars 1879 : 300. Voir §.4.3.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
jov<strong>en</strong>delospueblosdeCundinamarcayBoyacá 213 .<br />
Il s’agit donc d’une courte saynète mise <strong>en</strong> scène et costumée. L’accueil que lui réserve le<br />
public est, on peut le voir, plein d’<strong>en</strong>thousiasme ; un public qui sait depuis le mois de février<br />
que Ponce de <strong>Le</strong>ón est <strong>en</strong> train de finir un nouvel opéra 214 . Petit divertissem<strong>en</strong>t de type<br />
sérénade qui nous dévoile l’éclectisme du compositeur, car tout <strong>en</strong> composant des « opéras à<br />
l’europé<strong>en</strong>ne », il est capable « d’être nôtre 215 », notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> composant un air typique<br />
colombi<strong>en</strong> comme le bambuco. Malheureusem<strong>en</strong>t nous ne connaissons pas ce bambuco de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón. Ce témoignage nous r<strong>en</strong>seigne égalem<strong>en</strong>t sur le déroulem<strong>en</strong>t des <strong>en</strong>tractes,<br />
qui pouvai<strong>en</strong>t donc aller de la page soliste de piano à un <strong>en</strong>semble mis <strong>en</strong> scène, comme on le<br />
voit ici.<br />
En mai 1880, Ponce de <strong>Le</strong>ón organise une soirée privée dans laquelle il joue le premier acte<br />
de Florinda <strong>au</strong> clavier, alors que R. Pombo <strong>en</strong> lit le livret. <strong>Le</strong> nouve<strong>au</strong> Présid<strong>en</strong>t de la<br />
République, Rafael Nuñez, invité à cette soirée, constate la situation précaire des<br />
compositeurs colombi<strong>en</strong>s qui dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t des artistes étrangers pour faire valoir leurs œuvres.<br />
Puis vi<strong>en</strong>t la création du Requiem, écrit pour les funérailles de son neveu Francisco Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> juillet 1880. <strong>Le</strong> Requiem de Ponce est déchiffré dans l’église Santo Domingo, sans<br />
avoir préalablem<strong>en</strong>t été répété. Même si on peut imaginer le résultat peu satisfaisant, la messe<br />
de Ponce de <strong>Le</strong>ón s’inscrit dans la lignée des Requiem romantiques qui abord<strong>en</strong>t le texte<br />
liturgique avec des moy<strong>en</strong>s dramatiques issus de l’opéra. Imitation d’un tremblem<strong>en</strong>t de terre,<br />
de la décomposition de la nature, des harpes des anges… 216 , cette œuvre vi<strong>en</strong>t s’ajouter à la<br />
longue liste d’œuvres qui <strong>au</strong>jourd’hui rest<strong>en</strong>t à redécouvrir, avec ses deux <strong>Le</strong>çons que le<br />
public de Bogotá connaît déjà 217 .<br />
La nouvelle troupe itali<strong>en</strong>ne de 1880 va <strong>en</strong>fin s’approprier de Florinda. L’œuvre est créée<br />
le 18 novembre 1880, représ<strong>en</strong>tée cinq fois, et signifie pour Ponce de <strong>Le</strong>ón le sommet de sa<br />
carrière <strong>lyrique</strong>.<br />
143<br />
213 « Rigoletto. », Diario de Cundinamarca (X.2469), 19 mars 1879 : 300.<br />
214 « Ópera italiana » (P.), El Zipa (II.28), 13 février 1879 : 430.<br />
215 « …el bambuco Virg<strong>en</strong> de ojos negros, de Ponce de <strong>Le</strong>ón, que es una joya de nuestro género<br />
ser<strong>en</strong>atero de Santafé de Bogotá y <strong>en</strong> que prueba Ponce que no por componer óperas a la europea deja<br />
de ser nuestro, siempre que se le da la gana » (« Ópera. », El Zipa (II.32), 13 mars 1879 : 496).<br />
216 « En la misa sobresal<strong>en</strong> el Dies Irae, que imita un terremoto y descomposición de la naturaleza; el<br />
Sanctus, donde bellos acordes sost<strong>en</strong>idos de las voces, y un anchísimo acorde <strong>en</strong> pizzicato de las<br />
cuerdas, dan idea de ángeles que acompañados de sus arpas <strong>en</strong>tonan el hossana al pié del trono del<br />
Señor » (« Bellas Artes », El Zipa (IV.1), 23 juillet 1880 : 8).<br />
217 Ibid.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
144<br />
De cette année 1880 date le portrait de Ponce de <strong>Le</strong>ón peint par Felipe Gutiérrez. Rappelons<br />
qu’<strong>en</strong> 1874, le peintre mexicain, invité à Bogotá par R. Pombo, avait organisé la fête<br />
républicaine du 20 juillet avec une exposition de Be<strong>au</strong>x-arts. C’est pour cette occasion que<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón avait écrit son Ester. Gutiérrez restera toujours, dans l’esprit de R. Pombo, le<br />
promoteur de l’opéra colombi<strong>en</strong>. L’artiste mexicain est de retour à Bogotá <strong>en</strong> 1880 et assiste à<br />
la création de Florinda. Il organise une exposition de ses trav<strong>au</strong>x où l’on peut admirer le<br />
portrait de Ponce de <strong>Le</strong>ón. C’est ce portrait qui est reproduit (lithographie) dans le Papel<br />
periódico ilustrado de 1883, que nous avons eu l’occasion d’apprécier <strong>au</strong> domicile des<br />
héritiers du compositeur :<br />
Peinture et musique – Puisque nous écoutons le grand opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón, il est grand<br />
temps d’aller connaître, étudier, toucher et palper la personne du maestro, f<strong>au</strong>te de le faire sur<br />
sa personne pour ne pas le déranger <strong>en</strong> v<strong>en</strong>ant toucher sa barbe, dans l’admirable double qu’<strong>en</strong><br />
a fait son fidèle ami Gutiérrez, placé <strong>au</strong> c<strong>en</strong>tre de l’Exposition de table<strong>au</strong>x du maître<br />
mexicain… Si nous admirons dans la belle Florinda la structure et la répartition d’<strong>en</strong>semble, la<br />
combinaison des voix et des instrum<strong>en</strong>ts, la couleur, par mom<strong>en</strong>ts t<strong>en</strong>dre, champêtre, brillante,<br />
sombre, martiale, etc. et toujours dramatique (…) les toiles de Gutiérrez produis<strong>en</strong>t <strong>au</strong>tant de<br />
plaisir et nous sommes émerveillés par l’inépuisable gamme et la magistrale gradation de la<br />
tonalité de ses couleurs, de lumière et d’ombre…<br />
Pinturaymúsica–Yaqueestamosoy<strong>en</strong>dolagrandeóperadePoncede<strong>Le</strong>ón,estiempodeir<br />
aconocer,estudiar,tocarypalparlapersonadelmaestro,sino<strong>en</strong>élmismo,puespudiera<br />
desagradarlequelemanoseáramoslasbarbas,porlom<strong>en</strong>os<strong>en</strong>suadmirableduplicadode<br />
manosdesucariñosoamigoGutiérrez,quefigura<strong>en</strong>elc<strong>en</strong>trodelaExposicióndecuadrosdel<br />
maestromejicano…..Si<strong>en</strong>lapreciosa“Florinda”dePonceadmiramoseldiseñoydistribución<br />
g<strong>en</strong>eral,yeldecadacombinacióndevoceseinstrum<strong>en</strong>tos,yelcolorido,yatierno,ya<br />
campestre,yabrillante,yasombrío,yamarcial&c.ysiempredramáticodelasvariasesc<strong>en</strong>as,<br />
<strong>en</strong>losli<strong>en</strong>zosdeGutiérreznoc<strong>au</strong>sanm<strong>en</strong>osagradoymaravillasuescalainagotabley<br />
gradaciónmagistraldetonosdecolor,deluzydesombra… 218 <br />
Florinda marque indéniablem<strong>en</strong>t l’apex de la carrière de Ponce comme compositeur. Après<br />
un tel succès, on le retrouve dans des projets de moindre <strong>en</strong>vergure. De nombreuses fêtes sont<br />
organisées à Bogotá tous les mois de décembre. <strong>Le</strong> Pesebre Espina – la crèche Espina – était<br />
l’un des spectacles favoris des Bogotains, t<strong>en</strong>u dans un salon 219 . Ce théâtre de marionnettes<br />
était organisé par Antonio Espina, le même qui <strong>en</strong> 1865 avait créé le rôle bouffe de Don<br />
Pascasio dans la première partition de Ponce, Un alcalde a la antigua. La réputation du<br />
Pesebre était telle qu’il comptait d’un orchestre et de chanteurs 220 . Ponce de <strong>Le</strong>ón dirigeait ce<br />
petit <strong>en</strong>semble, sans doute assis à son harmonium, dirigeant un chœur de demoiselles 221 . Il est<br />
218 Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo], « Pintura y música », El Zipa (IV.17), 26 novembre 1880 : 274.<br />
219 « Diversiones – El pesebre Espina », El Zipa (IV.23), 13 janvier 1881 : 361.<br />
220 Selon la version de l’histori<strong>en</strong> J. V. Ortega Ric<strong>au</strong>rte, rapportée par B. H. Robledo, 1985.<br />
221 Ibid.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
même dit que la soprano B<strong>en</strong>ic et sa troupe <strong>lyrique</strong>, les créateurs de Florinda, <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t<br />
apprécié à un tel point les marionnettes qu’ils <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t monté des (extrait ?) opéras de leur<br />
répertoire.<br />
Ponce profite de toute occasion pour composer de la musique, participer <strong>au</strong>x grands<br />
événem<strong>en</strong>ts républicains. Pour célébrer l’anniversaire de la république le 20 juillet 1881, un<br />
grand concert est organisé. L’événem<strong>en</strong>t est de taille puisqu’il s’agit de faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre :<br />
I. Musique de l’Hymne national prés<strong>en</strong>té <strong>au</strong> concours, par l’orchestre dirigée par le Maestro<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón. II. Nocturne numéro 1 de Chopin par M. Uricoechea. III. Sinfonía sobre temas<br />
colombianos, prés<strong>en</strong>tée <strong>au</strong> concours, par l’orchestre. IV. Aires des Vêpres Sicili<strong>en</strong>nes, par M.<br />
Epifanio Garay. V. Valses pour grand orchestre.<br />
I.MúsicadelHimnonacionalpres<strong>en</strong>tadoalconcurso,porlaorquestadirigidaporelMaestro<br />
Poncede<strong>Le</strong>ón.II.Nocturnonúmero1deChopin,ejecutadoporelseñorJ.M.Uricoechea.III.<br />
Sinfoníasobretemascolombianos,pres<strong>en</strong>tadaalconcurso,porlaorquesta.IV.Ariadelas<br />
VísperasSicilianas,porelseñorEpifanioGaray.V.Valsesagrandeorquesta 222 .<br />
Quelques jours plus tard on appr<strong>en</strong>d que l’<strong>au</strong>teur de cette Sinfonía sur des thèmes<br />
colombi<strong>en</strong>s n’est <strong>au</strong>tre que Ponce de <strong>Le</strong>ón :<br />
<strong>Le</strong> compositeur d’Ester et de Florinda, señor Ponce de <strong>Le</strong>ón, a obt<strong>en</strong>u le prix du concours<br />
musical ouvert par le Gouvernem<strong>en</strong>t pour la composition d’une Symphonie sur des thèmes<br />
nation<strong>au</strong>x.<br />
ElcompositordeEsterydeFlorinda,señorPoncede<strong>Le</strong>ón,obtuvoelpremio<strong>en</strong>elconcurso<br />
musical abierto por el Gobierno para la composición de una Sinfonía sobre temas<br />
nacionales 223 .<br />
La veine <strong>lyrique</strong> de Ponce de <strong>Le</strong>ón semble inépuisable. Parmi les œuvres non représ<strong>en</strong>tées<br />
(éb<strong>au</strong>chées ou terminées ?), Rafael Pombo cite El Alma <strong>en</strong> un hilo, <strong>Le</strong>vantar muertos, La<br />
mujer de Putifar, El Zuavo, ainsi que des messes et la cantate La Voz humana 224 . Qu’est-il<br />
adv<strong>en</strong>u de toutes ces partitions <strong>au</strong>jourd’hui disparues ?<br />
Peu avant sa mort, Ponce de <strong>Le</strong>ón travaille sur un nouve<strong>au</strong> projet ambitieux, la cantate<br />
Bolívar. Cette œuvre devait s’inscrire dans la célébration du c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire de la naissance du<br />
héros patriotique né <strong>en</strong> 1783.<br />
Son dernier opus, contribution pour le C<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire du Libérateur, est un acte complet, le premier<br />
d’un drame-apothéose composé à la mémoire de Bolívar. <strong>Le</strong> sujet de cet acte est <strong>Le</strong> serm<strong>en</strong>t <strong>au</strong><br />
Mont sacré. Ce travail l’a comblé de satisfaction et nous espérons que, correctem<strong>en</strong>t extrait du<br />
manuscrit, il accomplira son destin, avec l’aide d’intellig<strong>en</strong>ce professionnelle et de moy<strong>en</strong>s<br />
222 « 20 de Julio », El Zipa (IV.47), 23 juillet 1881 : 738.<br />
223 « Noticias varias », El Zipa (V.5), 22 septembre 1881 : 70. Voir <strong>au</strong>ssi R. Pombo, 1883: 198.<br />
224 R. Pombo, 1883: 198.<br />
145<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
146<br />
capables de faire justice à l’inspiration de son <strong>au</strong>teur.<br />
Suúltimaobra,sutributoparaelC<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ariodelLibertador,esunactocompleto,elprimerde<br />
undramaapoteosisaBolívar;actocuyoasuntoesEljuram<strong>en</strong>todelMonteSacro.Estetrabajo<br />
lodejócont<strong>en</strong>to,yesperamosque,debidam<strong>en</strong>tesacadodelmanuscrito,cumplasudestino,<br />
conelnecesario<strong>au</strong>xiliodeintelig<strong>en</strong>ciaprofesionalyderecursosparahacerjusticiaala<br />
inspiracióndesu<strong>au</strong>tor 225 .<br />
Connaissait-il le Vasco da Gama de Bizet, ode-symphonique (créée <strong>en</strong> 1863, mais vite<br />
sortie du répertoire) ou le Christophe Colomb (1847) de F. David ? Ponce de <strong>Le</strong>ón lui-même<br />
s’était tourné vers un Vasco Nuñez de Balboa – celui qui découvrit l’océan Pacifique – sur un<br />
livret de Carrasquilla, avant d’abandonner le projet. À ce jour, nous n’avons pourtant <strong>au</strong>cune<br />
trace du manuscrit de Bolívar.<br />
Grand mélodiste, pourvu d’une veine <strong>lyrique</strong> toujours inspirée, Ponce de <strong>Le</strong>ón recevra de<br />
nombreuses récomp<strong>en</strong>ses pour son œuvre :<br />
Mars 1873. Il est nommé membre de l’Institut National des Be<strong>au</strong>x-arts des États-Unis<br />
du V<strong>en</strong>ezuela<br />
Novembre 1879. Il remporte le concours organisé par l’Exposition nationale de Tunja<br />
(Boyacá) avec son ouverture El 7 de Agosto<br />
Décembre 1880. Il reçoit une médaille d’or <strong>en</strong> reconnaissance à son parcours, avec des<br />
indications patriotiques <strong>au</strong> revers<br />
En récomp<strong>en</strong>se de Florinda, il reçoit la Cruz de Caldas de la société Polytechnique<br />
1881. Sa Sinfonía sobre temas colombianos remporte un concours à Bogotá.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Table<strong>au</strong> 8 : Récomp<strong>en</strong>ses et Prix reçus par Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
Même après sa mort, les récomp<strong>en</strong>ses et les hommages posthumes continu<strong>en</strong>t à célébrer la<br />
mémoire du compositeur :<br />
La loi 9 de 1882 (18 novembre), voté par l’État de Cundinamarca, décrète la<br />
construction d’un monum<strong>en</strong>t à la mémoire du compositeur. L’État se charge de financer<br />
ce projet où doit apparaître le buste du musici<strong>en</strong>, orné « avec le nom de ses principales<br />
œuvres musicales y l’inscription suivante : <strong>Le</strong> peuple de Cundinamarca à l’artiste Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón. Loi 9 de 1882 »<br />
225 « José María Ponce de <strong>Le</strong>ón » (R. Pombo), Papel periódico ilustrado (II.37), 1 er avril 1883 : 198.
Accord 20 de 1882, voté par la municipalité de Bogotá. L’on considère la mort du<br />
compositeur comme « un malheur pour sa ville natale, pour la nation et pour les arts ».<br />
Elle cède un terrain dans le cimetière pour l’érection du monum<strong>en</strong>t <strong>en</strong> son honneur<br />
Jorge Price, directeur de la réc<strong>en</strong>te Academia nacional de Música, <strong>en</strong>voie un courrier à<br />
la veuve du compositeur. On appr<strong>en</strong>d que Ponce <strong>en</strong> était membre honoraire et le<br />
directeur annonce que son f<strong>au</strong>teuil sera recouverte d’un linceul lors de la prochaine<br />
session sol<strong>en</strong>nelle<br />
La veuve reçoit <strong>au</strong>ssi une lettre de la Société Philanthropique de Bogotá qui « pleure<br />
l’irréparable perte » du compositeur et transmet ses condoléances à la famille.<br />
Table<strong>au</strong> 9 : Récomp<strong>en</strong>ses posthumes<br />
Cep<strong>en</strong>dant, le compositeur n’obti<strong>en</strong>dra jamais ce qu’il avait le plus désiré de la part du<br />
gouvernem<strong>en</strong>t, ou d’un mécène : une aide financière lui permettant de retourner <strong>en</strong> Europe<br />
afin d’étudier et de diffuser ses différ<strong>en</strong>tes compositions.<br />
3.5.3.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón meurt le 21 septembre 1882, à onze heures du soir 226 , d’une mort dont nous<br />
ignorons la c<strong>au</strong>se.<br />
Ah ! Se un’urna è a me concesa<br />
S<strong>en</strong>za un fior non la lasciate<br />
F. Romani, Beatrice di T<strong>en</strong>da (acte II, sc. 10).<br />
Dernière minute – Deuil des Arts<br />
La ville a été <strong>au</strong>jourd’hui surprise avec la mort inatt<strong>en</strong>due et soudaine du maestro Don José<br />
María Ponce de <strong>Le</strong>ón. <strong>Le</strong>s Be<strong>au</strong>x-arts reçoiv<strong>en</strong>t un coup terrible avec la disparition de ce génie,<br />
appelé à faire briller son nom et celui de la Patrie avec les fruits de sa muse féconde. – Nous<br />
<strong>au</strong>rons prochainem<strong>en</strong>t l’occasion de lui dédier un numéro qui témoigne de notre attachem<strong>en</strong>t et<br />
de notre t<strong>en</strong>dresse. La mort de Ponce de <strong>Le</strong>ón est un deuil national, et pour les artistes, un deuil<br />
de famille.<br />
Aultimahora–LutodelasArtes<br />
Hoysehavistosorpr<strong>en</strong>didalaciudadconlainesperadamuertedelmaestroDonJoséMaría<br />
Poncede<strong>Le</strong>ón,acaecidarep<strong>en</strong>tinam<strong>en</strong>te.LasBellasArtesrecib<strong>en</strong>trem<strong>en</strong>dogolpeconla<br />
desaparicióndeesteg<strong>en</strong>io,llamadoailustrarsunombreyeldelaPatriaconlosfrutosdesu<br />
fecundonum<strong>en</strong>.–Habremosdeconsagrarlepróximam<strong>en</strong>teunnúmeroqueatestigüeel<br />
aprecioquedeélhacíamosyelcariñoqueleprofesábamos.LamuertedePoncede<strong>Le</strong>ónes<br />
duelonacional,yparalosartistasduelodefamilia 227 .<br />
226 « José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. » (R. Pombo), El Conservador, 23 septembre 1882, article republié in<br />
Papel periódico ilustrado (II.37), 1 er avril 1883 : 198-199.<br />
227 Papel periódico ilustrado, (II.27), 22 septembre 1882 : 47.<br />
147<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
148<br />
Inutile d’émettre des hypothèses que nous serions incapables de confirmer : Maladie ?<br />
Accid<strong>en</strong>t ? <strong>Le</strong> sil<strong>en</strong>ce le plus total qui règne sur son décès est à l’image de la discrétion qui<br />
<strong>en</strong>toure toute la vie de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Pour ses admirateurs, il reste le goût amer de voir<br />
disparaître un artiste qui ne fut jamais considéré à sa juste valeur. L’occasion d’élever une<br />
protestation acerbe contre un gouvernem<strong>en</strong>t inculte qui n’<strong>en</strong>couragea jamais la naissance<br />
d’académies colombi<strong>en</strong>nes :<br />
Tout l’appui qu’il reçu de nos gouvernem<strong>en</strong>ts, ce fut la cruelle complaisance qu’ils eur<strong>en</strong>t à<br />
avoir pour chef de la fanfare militaire un musici<strong>en</strong> que n’importe quel pays cultivé <strong>en</strong> arts<br />
<strong>au</strong>rait eu le mérite d’<strong>en</strong>voyer à ses propres frais <strong>au</strong>x c<strong>en</strong>tres de la civilisation ; de l’<strong>en</strong>courager,<br />
de le sout<strong>en</strong>ir (comme l’Empereur du Brésil avec Carlos Gomes), et même d’inscrire son nom<br />
parmi les immortels.<br />
Todoelapoyoquerecibiód<strong>en</strong>uestrosgobiernosfuedarseéstoslacruelcomplac<strong>en</strong>ciade<br />
t<strong>en</strong>erdejefedeunabandamilitaralquecualquierpaísculto<strong>en</strong>arteshabríat<strong>en</strong>idoahonra<br />
trasladarasusexp<strong>en</strong>sasalosc<strong>en</strong>trosdelacivilización,yestimularlo,costearlo(comoel<br />
EmperadordelBrasilaCarlosGomes)hastainscribirsunombre<strong>en</strong>elmundo<strong>en</strong>tero<strong>en</strong>lalista<br />
delosinmortales 228 .<br />
Avec la mort de Ponce, l’opéra disparaît <strong>au</strong>ssi de l’horizon bogotain. La compagnie B<strong>en</strong>ic<br />
quitte Bogotá avec, dans ses malles, la partition de Florinda. Il f<strong>au</strong>dra att<strong>en</strong>dre une dizaine<br />
d’années pour qu’une <strong>au</strong>tre troupe <strong>lyrique</strong> revi<strong>en</strong>ne proposer ses spectacles dans la capitale du<br />
pays. Entre temps, le Coliseo qui tombe <strong>en</strong> ruines est exproprié par l’État. <strong>Le</strong> gouvernem<strong>en</strong>t<br />
de Rafael Nuñez, le présid<strong>en</strong>t qui avait assisté à l’<strong>au</strong>dition privée de Florinda, se décide à<br />
construire un théâtre national, l’actuel Teatro Colón, <strong>en</strong> 1892.<br />
<strong>Le</strong>s obsèques du compositeur ont lieu dans l’église San Carlos. <strong>Le</strong> convoi funèbre traverse<br />
la ville <strong>en</strong> direction du Cimetière, alors que la Garde colombi<strong>en</strong>ne prés<strong>en</strong>te ses honneurs à son<br />
défunt chef, jouant ses compositions, les Bogotains pleur<strong>en</strong>t à son passage. Arrivés <strong>au</strong><br />
cimetière, J.M. Samper, A. Urdaneta, M. Briceño et R. Pombo pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à tour de rôle la<br />
parole pour prononcer un dernier adieu à leur ami, avec qui ils <strong>au</strong>ront tous participé <strong>au</strong> projet<br />
d’un opéra national. <strong>Le</strong> compositeur laisse sa mère, son épouse et deux <strong>en</strong>fants. Par la suite, le<br />
gouvernem<strong>en</strong>t de Bogotá <strong>au</strong>rait préféré verser à la veuve Mercedes Ponce de Ponce la somme<br />
qui à l’origine avait été votée pour construire le m<strong>au</strong>solée <strong>en</strong> l’honneur de José María 229 .<br />
Ponce est victime d’une double mort. Si Florinda est exceptionnellem<strong>en</strong>t reprise <strong>en</strong> 1893,<br />
c’est la dernière fois que la scène de Bogotá <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dra un opéra de Ponce. Abs<strong>en</strong>t durant tout<br />
228 « José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. » (R. Pombo), El Conservador, 23 septembre 1882, article republié in<br />
Papel periódico ilustrado (II.37), 1 er avril 1883 : 199.<br />
229 Nous remercions María Clara Sarmi<strong>en</strong>to, arrière-petite-fille du compositeur, de nous avoir fourni<br />
ces r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
le XX e <strong>siècle</strong>, ce n’est que tout récemm<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> novembre 2007, que le public de Bogotá a pu<br />
découvrir avec étonnem<strong>en</strong>t qu’un musici<strong>en</strong> colombi<strong>en</strong> eût jadis écrit des opéras.<br />
Car nous sommes <strong>au</strong>jourd’hui <strong>en</strong>core tributaires d’une dette <strong>en</strong>vers le compositeur :<br />
… que la terre qui eut la joie de le voir naître accomplisse son devoir de s<strong>au</strong>ver de la perte tant<br />
de trav<strong>au</strong>x précieux ; qu’elle libère Ponce de <strong>Le</strong>ón de la double mort que notre abandon impose<br />
à tant d’illustres Colombi<strong>en</strong>s ; que son nom et ses œuvres travers<strong>en</strong>t montagnes et mers, et que<br />
sa patrie et sa famille affligée récolt<strong>en</strong>t l’héritage de gloire et de bénéfices <strong>au</strong>xquels elles ont<br />
droit.<br />
…quelatierraquetuvoladichadeproducirlocumplasudeberdesalvardepérdidatantos<br />
preciosostrabajos;quelibereaPoncede<strong>Le</strong>óndeladoblemuertequedeb<strong>en</strong>anuestra<br />
incuriaotrosinsignescolombianos;quesunombreysusobrasatravies<strong>en</strong>losmontañasylos<br />
mares,yquesupatriaysudesoladafamiliarecojanlaher<strong>en</strong>ciadegloriaydeb<strong>en</strong>eficioaque<br />
ti<strong>en</strong><strong>en</strong>provecho 230 .<br />
230 « Recuerdos de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. A la gloria incru<strong>en</strong>ta de la patria », Papel periódico<br />
ilustrado (II.37), 1 er avril 1883 : 198.<br />
149<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
Deuxième Partie<br />
-<br />
<strong>Le</strong>s œuvres scéniques de Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
<strong>Le</strong> dramma per musica doit faire pleurer, frémir, mourir le public par le chant (…) Je veux une<br />
musique qui ne forme qu’une seule chose avec les mots.<br />
Bellini<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, compositeur d’opéras. Que pouvions-nous savoir de ses opéras ? <strong>Le</strong>s titres,<br />
les dates des créations, les noms des prime donne… Répertoire fantasmagorique <strong>en</strong>touré<br />
d’erreurs, la simple comparaison <strong>en</strong>tre différ<strong>en</strong>ts docum<strong>en</strong>ts laissait le chercheur perplexe :<br />
m<strong>au</strong>vaises dates de création, confusion des noms, titres mal écrits, livret <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> ou <strong>en</strong><br />
espagnol, <strong>au</strong>tant de doutes que nous allons essayer d’éclaircir. Quant à la musique, personne à<br />
ce jour ne peut <strong>en</strong> dire un mot. Manuscrite, inédite, inouïe, c’est comme s’il s’agissait d’un<br />
répertoire boudé par les interprètes, méprisé par les musicologues. Vouloir parler des opéras<br />
de Ponce de <strong>Le</strong>ón, c’est comm<strong>en</strong>cer un travail <strong>en</strong> profondeur sur un monde ignoré.<br />
Cette deuxième partie de notre étude recoupe et complète ce qui a été dit <strong>au</strong>paravant. Nous<br />
nous situons <strong>en</strong>tre 1874 et 1880, <strong>au</strong> cœur même de l’activité créatrice du compositeur <strong>lyrique</strong>,<br />
même si nous évoquons la postérité de l’œuvre de Ponce jusqu’à nos jours. Nous retrouvons<br />
des personnages, des noms de troupes <strong>lyrique</strong>s. Mais cette fois nous allons pénétrer dans<br />
l’intimité de leur quotidi<strong>en</strong>.<br />
On connaît les grandes lignes de cette histoire. Mais les détails ? C’est exclusivem<strong>en</strong>t grâce<br />
à la lecture de la presse colombi<strong>en</strong>ne qu’il est <strong>au</strong>jourd’hui possible de reconstituer un<br />
cal<strong>en</strong>drier de l’opéra à Bogotá durant les années 1870, avec le répertoire interprété. La lecture<br />
des partitions manuscrites apporte tout <strong>au</strong>tant de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts sur la composition des<br />
orchestres, des chœurs, sur les débats liés à la langue… Ces manuscrits nous ont permis de<br />
découvrir des élém<strong>en</strong>ts inédits dans la musicologie colombi<strong>en</strong>ne : exist<strong>en</strong>ce de plusieurs<br />
versions d’un opéra, matériel d’orchestre établi pour des reprises <strong>au</strong> XX e <strong>siècle</strong>…<br />
L’analyse de tous ces docum<strong>en</strong>ts, ces anecdotes, des déductions faites à partir de pistes qui<br />
se cach<strong>en</strong>t dans ces sources, <strong>en</strong>fin la reconstitution de l’énorme puzzle de l’opéra à Bogotá<br />
<strong>en</strong>tre 1867 et 1910, fait l’objet des pages suivantes.
Nous ne savions ri<strong>en</strong> sur Ester, sur le Castillo misterioso, sur Florinda. Notre ambition est<br />
de prés<strong>en</strong>ter les œuvres, leur contexte, les circonstances de leur g<strong>en</strong>èse, de leur création, puis<br />
leur dev<strong>en</strong>ir, après la mort du compositeur.<br />
Trois chapitres, bâtis <strong>au</strong>tour de chacune des œuvres <strong>lyrique</strong>s de Ponce de <strong>Le</strong>ón, prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />
l’histoire de ses deux opéras et de sa zarzuela. Cep<strong>en</strong>dant, une p<strong>en</strong>sée innerve cette première<br />
approche historique ; une p<strong>en</strong>sée qui devait occuper les <strong>au</strong>teurs de ce corpus : la création d’un<br />
Opéra national.<br />
L’opéra colombi<strong>en</strong> n’est pas le résultat de commandes. Trois élém<strong>en</strong>ts récurr<strong>en</strong>ts serv<strong>en</strong>t de<br />
base à ce répertoire. Tout d’abord le patriotisme. Pour une jeune nation, il est important<br />
d’exhiber son art lors des grandes fêtes nationales. <strong>Le</strong>s œuvres de Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>au</strong>ront<br />
toujours un ingrédi<strong>en</strong>t patriotique qui est facilem<strong>en</strong>t récupéré dans un contexte de recherche<br />
d’id<strong>en</strong>tité nationale. Un deuxième élém<strong>en</strong>t fait vivre ce répertoire : la troupe <strong>lyrique</strong><br />
itinérante. Deux des œuvres de Ponce de <strong>Le</strong>ón sont écrites dans la hâte, afin de pouvoir<br />
profiter de ces Itali<strong>en</strong>s ou de ces Espagnols qui prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t sur la scène du Coliseo Maldonado<br />
le mirage du monde civilisé.<br />
Enfin, le troisième élém<strong>en</strong>t à souligner est la volonté t<strong>en</strong>ace de Ponce de <strong>Le</strong>ón d’écrire pour<br />
la scène. Dès son plus jeune âge, il a fait ses preuves dans le domaine <strong>lyrique</strong>, comme nous<br />
avons pu l’établir précédemm<strong>en</strong>t. Profitant d’une veine mélodique exceptionnelle, travaillant<br />
avec des personnalités du monde littéraire, insistant sur son désir d’<strong>en</strong>fanter des opéras, la<br />
volonté de Ponce de <strong>Le</strong>ón n’a jamais succombé <strong>au</strong> découragem<strong>en</strong>t. La mort même le surpr<strong>en</strong>d<br />
alors qu’il écrit une œuvre majeure pour célébrer le c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire de la naissance de Simón<br />
Bolívar : l’oratorio Bolívar.<br />
<strong>Le</strong>s histoires d’Ester (chapitre 4), du Castillo misterioso (chapitre 5) et de Florinda<br />
(chapitre 6) conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le germe d’une réflexion profonde sur la société qui assiste à la<br />
création progressive du bref répertoire <strong>lyrique</strong> colombi<strong>en</strong>. Cette réflexion aborde<br />
transversalem<strong>en</strong>t des sujets déjà évoqués (place de l’acteur dans la société, de la femme dans<br />
le théâtre) et prés<strong>en</strong>te de nouvelles problématiques. Tout d’abord, la réception de l’opéra à<br />
Bogotá, et le débat esthétique qui s’<strong>en</strong>suit. Drame ? Zarzuela ? Opéra ? L’homme du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> cherche à ordonner ces différ<strong>en</strong>ts g<strong>en</strong>res dans une hiérarchie des Arts<br />
compartim<strong>en</strong>tée. Si pour certains l’opéra représ<strong>en</strong>te le sommet de la création humaine, d’<strong>au</strong>tre<br />
151<br />
dirons que c’est un art d’élite, chanté <strong>en</strong> langue étrangère, et dont le peuple n’a que faire <strong>en</strong><br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
152<br />
<strong>Colombie</strong> ! Quant à la zarzuela, on <strong>au</strong>ra du mal à cerner un g<strong>en</strong>re qui pouvait alors être<br />
associé <strong>au</strong> pire burlesque, ou <strong>au</strong> sérieux des zarzuelas grandes. Signalons que l’appellation<br />
« zarzuela » que Ponce de <strong>Le</strong>ón et Gutiérrez de Alba donn<strong>en</strong>t à leur Castillo misterioso joue<br />
contre l’œuvre. Même <strong>au</strong>jourd’hui, ce nom suscite des réserves parmi les musicologues. Nous<br />
espérons montrer comm<strong>en</strong>t cette étiquette est polysémique ; par ailleurs, notre étude insiste<br />
sur la très grande importance de cette zarzuela dans la production <strong>lyrique</strong> de Ponce.<br />
Enfin, le débat sur les influ<strong>en</strong>ces esthétiques accompagne les dix années de répertoire ici<br />
abordées. Modèle français ? Anglo-saxon ? Espagnol ? Si la question ne se pose pas pour une<br />
musique de facture itali<strong>en</strong>ne, la rédaction des livrets se fait <strong>au</strong>tour d’une carte géopolitique <strong>en</strong><br />
mutation perman<strong>en</strong>te. L’opéra colombi<strong>en</strong> est-il donc investi par un besoin de faire à<br />
l’europé<strong>en</strong>ne ?<br />
Mais pour le mom<strong>en</strong>t, notre but est de prés<strong>en</strong>ter pour la première fois dans l’histoire de la<br />
musique les chroniques de ces trois ouvrages, les seuls opéras écrits <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong><br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>… même s’il n’est pas dit que l’Histoire nous réservera toujours quelques<br />
surprises…<br />
Nous avons écouté avec grand plaisir un fragm<strong>en</strong>t de La Americana, opéra composé par le<br />
professeur Daniel Figueroa, qui nous a semblé une œuvre robuste et élégante.<br />
OímosconsumoplacereltrozodeLaAmericana,óperaquehacompuestonuestrohábil<br />
profesorelseñorDanielFigueroa,porqu<strong>en</strong>ospareciódeunarobustezieleganciamuy<br />
notable 1 <br />
4. Unopérabibliquedansunstyleitali<strong>en</strong>:Ester(1874)<br />
Q<br />
ue faisait Ponce de <strong>Le</strong>ón depuis son retour à Bogotá <strong>en</strong> octobre 1870 ? Après son<br />
séjour fait à <strong>Paris</strong> – dont les détails demeur<strong>en</strong>t inconnus – il r<strong>en</strong>tre précipitamm<strong>en</strong>t à<br />
Bogotá <strong>en</strong> 1870 alors que la guerre contre la Prusse éclate.<br />
Sans diplômes ni prix du Conservatoire Impérial, il lui revi<strong>en</strong>t néanmoins la gloire d’avoir<br />
pu faire jouer quelques unes de ses compositions à <strong>Paris</strong> : un Salve et ses Sept Paroles à<br />
l’église de la Trinité ; une opérette, <strong>Le</strong>s Dix, qui <strong>au</strong>rait été reçue (mais non jouée) <strong>au</strong> Théâtre<br />
de l’Athénée ; sa Marche pour piano Bolivar, interprétée à la Salle Herz et publiée par<br />
P. Wintringer <strong>en</strong> 1868.<br />
1 « Concierto », Diario de Cundinamarca (VI.1681), 16 juillet 1875 : 841. Il s’agit vraisemblablem<strong>en</strong>t<br />
d’un extrait d’un opéra probablem<strong>en</strong>t inachevé, qui n’a jamais été représ<strong>en</strong>té.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Cep<strong>en</strong>dant le climat culturel est bi<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>t dans sa Bogotá natale. Continue-t-il à écrire<br />
de la musique pour les salons ? De la musique religieuse ? À son arrivée, des « amis » le<br />
press<strong>en</strong>t à « faire connaître <strong>au</strong> public les bases de l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t, répondant ainsi à son désir<br />
d’<strong>en</strong>courager […] l’étude de la musique 2 ». Pourtant Ponce de <strong>Le</strong>ón n’a jamais eu d’activité<br />
de pédagogue connue. Alors que nombreux de ses contemporains propos<strong>en</strong>t des cours de<br />
piano, de chant ou d’instrum<strong>en</strong>ts, son nom ne figure nulle part dans les annonces de presse qui<br />
offr<strong>en</strong>t des leçons de musique. Rattaché à l’Academia nacional de música, il meurt alors que<br />
celle-ci vi<strong>en</strong>t d’être fondée, avant même d’avoir ouvert ses portes <strong>au</strong>x élèves.<br />
Que faisait donc Ponce de <strong>Le</strong>ón depuis le mois d’octobre 1870 ? Nous l’ignorons. Mais<br />
pour un compositeur qui <strong>au</strong>ra toujours une inspiration mélodique à fleur de pe<strong>au</strong>, il est certain<br />
qu’il a dû rester actif ; et, cela va sans dire, toujours <strong>au</strong> courant des événem<strong>en</strong>ts de la scène<br />
<strong>lyrique</strong>. Il ne peut être <strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t pour tout musici<strong>en</strong> à Bogotá <strong>en</strong> 1870 ! Proche des Itali<strong>en</strong>s, il<br />
dédie une Vals pour chant et piano à Marina Barbieri de Thiolier 3 , soprano itali<strong>en</strong>ne arrivée à<br />
Bogotá <strong>en</strong> 1868 avec la compagnie <strong>lyrique</strong> Visoni. Installée à Bogotá, elle donne des cours de<br />
chant et essaie même d’organiser une saison d’opéras <strong>en</strong> 1871 puis <strong>en</strong> 1872 avec des<br />
musici<strong>en</strong>s loc<strong>au</strong>x 4 . En 1874, elle rejoindra la Compagnie Rossi-d’Achiardi. Elle constitue<br />
l’exemple même de ces artistes arrivés avec une troupe d’opéra et qui se fix<strong>en</strong>t à Bogotá. Ils<br />
devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t professeurs (généralem<strong>en</strong>t de chant ou de piano), particip<strong>en</strong>t à des concerts,<br />
compos<strong>en</strong>t des hymnes, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>forcer les compagnies <strong>lyrique</strong>s nouvellem<strong>en</strong>t arrivées… 5<br />
Depuis 1858, cinq grandes saisons <strong>lyrique</strong>s ont passionné la capitale de la jeune<br />
République. <strong>Le</strong>s troupes itali<strong>en</strong>nes impos<strong>en</strong>t un répertoire qui voyage avec elles. La ville<br />
assiste <strong>en</strong> spectatrice passive à des opéras qui ont t<strong>en</strong>dance à se répéter dans le temps, sans<br />
pouvoir décider sur la programmation des œuvres choisies, malgré les demandes de la presse.<br />
Mais voici que deux événem<strong>en</strong>ts extraordinaires dans la vie culturelle de Bogotá vont changer<br />
le cours de l’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
En 1874 arrive à Bogotá une nouvelle compagnie d’opéra itali<strong>en</strong>ne : la Compagnie Rossi-<br />
d’Achiardi. Composée de vétérans de la scène <strong>lyrique</strong>, de nouve<strong>au</strong>x jeunes premiers et de six<br />
instrum<strong>en</strong>tistes, elle possède tous les atouts pour un succès immédiat. Son impresario,<br />
2<br />
« […] desearíamos que nuestro amigo hiciera conocer al público un prospecto de las bases de<br />
<strong>en</strong>señanza, correspondi<strong>en</strong>do así al deseo que lo anima de fom<strong>en</strong>tar <strong>en</strong> el país el estudio de la música. »<br />
(« La música », (unos amigos), Diario de Cundinamarca (II.278), 20 octobre 1870 : 56.<br />
3<br />
Vals dedicado a Madame Thiolier. Partition datée de 1873 par le compositeur, conservée <strong>au</strong> CDM.<br />
4<br />
M. Lamus Obregón, 2004 : 387-389.<br />
5<br />
<strong>Le</strong> plus célèbre des ces Itali<strong>en</strong>s adoptés par la <strong>Colombie</strong> est le ténor Oreste Sindici, compositeur de<br />
l’hymne national colombi<strong>en</strong>, arrivé à Bogotá <strong>en</strong> 1864 (voir p. 60 de cette étude).<br />
153<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
154<br />
Enrique Rossi Guerra, était déjà v<strong>en</strong>u à Bogotá <strong>en</strong> tant que primo t<strong>en</strong>ore des compagnies<br />
<strong>lyrique</strong>s Bazzani (1858) et Luisia-Rossi (1863-1864). Il connaît donc bi<strong>en</strong> la scène bogotaine,<br />
et le public n’a pas <strong>en</strong>core oublié le charme de sa voix. En 1858, il découvrait Bogotá après<br />
son triomphe à Mexico dans les années tr<strong>en</strong>te, comme ténor et comme compositeur 6 . Il a donc<br />
fait partie de cette première compagnie <strong>lyrique</strong> itali<strong>en</strong>ne qui remonte les Andes pour assiéger<br />
Bogotá de son art. La compagnie Bazzani restera longtemps associée à la grande émotion que<br />
c<strong>au</strong>sa parmi les habitants de la ville l’arrivée d’une troupe complète d’artistes de r<strong>en</strong>om. Rossi<br />
Guerra revi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1863 à la fois comme ténor et comme impresario d’une nouvelle<br />
compagnie.<br />
En 1874, il est de nouve<strong>au</strong> à Bogotá, cette fois comme impresario de la troupe itali<strong>en</strong>ne<br />
Rossi-d’Achiardi. Connaissant le goût du public pour l’opéra, pour le spectaculaire, il n’hésite<br />
pas à risquer une <strong>en</strong>treprise commerciale osée <strong>en</strong> ram<strong>en</strong>ant de Livourne cinq chanteurs, six<br />
musici<strong>en</strong>s, un chef d’orchestre et un peintre pour les décors 7 . Bogotá est éblouie et va profiter<br />
p<strong>en</strong>dant six mois de la meilleure saison <strong>lyrique</strong> jamais prés<strong>en</strong>tée. (Voir §.2.2.1)<br />
L’admiration, la reconnaissance et la grande estime dont le public bogotain fait preuve à<br />
l’égard de ces artistes itali<strong>en</strong>s sont sans <strong>au</strong>cun doute des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts importants qui vont<br />
disposer la compagnie à accepter l’<strong>en</strong>trée d’une œuvre colombi<strong>en</strong>ne dans leur répertoire.<br />
Grâce à ce geste, symbole de reconnaissance artistique, le jour comm<strong>en</strong>cera à poindre pour<br />
l’Opéra national.<br />
Un deuxième événem<strong>en</strong>t, cette fois détonateur, vi<strong>en</strong>t décider du sort de l’opéra national.<br />
<strong>Le</strong> peintre mexicain Felipe Santiago Gutiérrez (1824-1904) est à Bogotá depuis le mois<br />
d’octobre 1873 8 . Une année <strong>au</strong>paravant, il avait fait la connaissance à New York du poète<br />
colombi<strong>en</strong> Rafael Pombo. Gutiérrez, après un long exil <strong>en</strong> Europe et <strong>au</strong>x États-Unis, répond à<br />
l’invitation de R. Pombo de s’installer <strong>en</strong> Amérique du Sud et de fonder à Bogotá l’Academia<br />
Vásquez consacrée à la peinture 9 . Alors même que cette <strong>en</strong>treprise est vouée à l’échec dans un<br />
pays qui <strong>en</strong>chaîne les conflits armés ; dans un pays où le gouvernem<strong>en</strong>t se refuse à appuyer<br />
6<br />
Il fait représ<strong>en</strong>ter à Mexico son opéra <strong>en</strong> espagnol La casa deshabitada (M. Lamus Obregón, 2004 :<br />
372-380).<br />
7<br />
« Compañía lírica », Diario de Cundinamarca (V.1184), v<strong>en</strong>dredi 14 novembre 1873 : 46.<br />
8<br />
Pour la biographie du peintre mexicain, voir A. Bastida Aguilar, Felipe Santiago Gutiérrez y su<br />
época, disponible sur internet : http://www.wikilearning.com/felipe_santiago_gutierrez_y_su_epocawkc-5712.htm<br />
9<br />
<strong>Le</strong> peintre colombi<strong>en</strong> Gregorio Vásquez de Arce y Ceballos (1638-1771) est une figure saillante dans<br />
l’histoire de l’art <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> p<strong>en</strong>dant l’époque coloniale, caractérisé par un style baroque hispanoaméricain.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
financièrem<strong>en</strong>t toute initiative artistique (le cas Ponce de <strong>Le</strong>ón est bi<strong>en</strong> significatif à cet<br />
égard) ; dans un pays ou l’art est appelé à demeurer une expression culturelle élitiste,<br />
Gutiérrez <strong>au</strong>ra cep<strong>en</strong>dant établi deux académies d’art gratuites. Mais, dépassé par les<br />
événem<strong>en</strong>ts politiques, à l’orée d’une nouvelle guerre civile, il quitte la <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong> mars<br />
1875. Il part néanmoins avec la satisfaction d’avoir pu m<strong>en</strong>er à bon terme p<strong>en</strong>dant son séjour<br />
deux grandes expositions de Be<strong>au</strong>x-arts.<br />
Célébrer la patrie à travers l’art, voilà qui pouvait sembler nouve<strong>au</strong> dans un pays préférant<br />
les armes <strong>au</strong>x pince<strong>au</strong>x. Pourtant Gutiérrez ose organiser un Salon National et lance un appel<br />
public à tous les artistes colombi<strong>en</strong>s, tous g<strong>en</strong>res confondus. Ainsi, lit-on le 25 février<br />
1874 dans les colonnes du plus important journal de la capitale :<br />
Exposition National de Be<strong>au</strong>x-arts.<br />
Désireux de prés<strong>en</strong>ter un nouvel <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x artistes et <strong>au</strong>x amateurs […], j’ai eu l’idée<br />
de proposer […] une EXPOSITION DE BEAUX-ARTS qui fasse partie des célébrations du prochain<br />
Anniversaire national ; c’est pourquoi j’invite quiconque dans LA CAPITALE OU EN DEHORS DE<br />
CELLE-CI qui pratique la peinture ou la sculpture […], les architectes […], et les professeurs et<br />
exécutants de musique pour que, animés du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de fraternité qui doit unir tous les<br />
adorateurs du Be<strong>au</strong>, ils soi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>clins à éb<strong>au</strong>dir et compléter par leurs efforts l’exposition<br />
prévue.<br />
ExhibiciónNacionaldeBellasArtes<br />
Deseosodepres<strong>en</strong>tarunnuevoestímuloalosartistasiaficionados[…],mehaocurrido<br />
proponer[…]unaEXHIBICIÓNDEBELLASARTESqueformepartedelascelebracióndelpróximo<br />
Aniversarionacional,paralocualinvitoacuantosENLACAPITALOFUERADEELLApracticanla<br />
pinturaolaescultura[…],alosarquitectos[…],ialosprofesoresiejecutantesdemúsicaque,<br />
animadosdels<strong>en</strong>timi<strong>en</strong>todefraternidadquedebeuniratodoslosadoradoresdeloBello,se<br />
inclin<strong>en</strong>aam<strong>en</strong>izaricompletarconsusesfuerzoslaexhibiciónproyectada 10 .<br />
<strong>Le</strong>s expositions artistiques sont dans l’air du temps. Gutiérrez vit <strong>au</strong>x États-Unis et <strong>en</strong><br />
Europe depuis 1867. Il a ainsi visité des Salons de peinture à <strong>Paris</strong>, à Rome et à Madrid où il<br />
demeure jusqu’<strong>en</strong> 1872. Imprégné de la vitalité de cette culture europé<strong>en</strong>ne, désireux de<br />
« laisser l’Art <strong>en</strong> plus grande considération et estime que ce qui a jusqu’à prés<strong>en</strong>t été le cas <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong> 11 », Felipe S. Gutiérrez est le grand instigateur de l’art <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> durant les<br />
années 1874-1882. Tel Apollon musagète suivi de ses Muses, il gagnera l’écoute d’un<br />
musici<strong>en</strong>. José María Ponce de <strong>Le</strong>ón répond à son appel. Sa réponse s’appelle Ester.<br />
À partir de ce mom<strong>en</strong>t, les noms de Ponce de <strong>Le</strong>ón, de R. Pombo et de F. Gutiérrez<br />
resteront associés à l’opéra colombi<strong>en</strong>. <strong>Le</strong> hasard veut qu’<strong>en</strong> 1880, alors que Bogotá assiste à<br />
10 « Exhibición Nacional de Bellas Artes » (Felipe S. Gutiérrez), Diario de Cundinamarca (V.1269),<br />
25 février 1874 : 386.<br />
11 Ibid.<br />
155<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
156<br />
la création du grand chef-d’œuvre de Ponce, Florinda, le peintre mexicain est de nouve<strong>au</strong><br />
l’hôte de la ville. C’est alors qu’il peint le portrait le plus connu du compositeur (reproduit <strong>au</strong><br />
début du Chapitre 3 de cette étude).<br />
4.1. Lag<strong>en</strong>èsed’Ester<br />
<strong>Le</strong> 16 avril 1874, la ville se réveille avec l’annonce du programme du second abonnem<strong>en</strong>t<br />
de la saison <strong>lyrique</strong> qui ne termine pas de faire les délices de Bogotá. Douze soirées<br />
d’abonnem<strong>en</strong>t 13 – cinq opéras – sont prévues jusqu’<strong>au</strong> mois de juillet. À l’affiche, Gemma di<br />
Vergy et L’elisir d’amore (Donizetti), ainsi que deux nouve<strong>au</strong>tés pour la ville, Beatrice di<br />
T<strong>en</strong>da (Bellini) et Nabucodonosor (Verdi). Mais un opéra « nouve<strong>au</strong> pour cette capitale »<br />
réveille la curiosité : Ester du maestro bogotain Ponce de <strong>Le</strong>ón 14 .<br />
<strong>Le</strong> voile du doute est ainsi levé. Ponce de <strong>Le</strong>ón est bel et bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> train d’écrire un opéra<br />
dont on connaît <strong>en</strong>fin le titre et le sujet. <strong>Le</strong>s amateurs de musique s’y att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t ! Dans son<br />
édition du 14 mars 1874, soit un mois avant, le journal El Tradicionista publiait dans une de<br />
ses colonnes :<br />
Hacer óperas <strong>en</strong> Bogotá, int<strong>en</strong>tarlo siquiera, no puede ser sino el fruto de una irresistible<br />
vocación 12 .<br />
R. Pombo, introduction du livret de Florinda, 1880<br />
Don José María Ponce de <strong>Le</strong>ón est l’<strong>au</strong>teur d’un opéra (dont nous ignorons le nom), qui a<br />
tellem<strong>en</strong>t plu <strong>au</strong>x artistes itali<strong>en</strong>s – certains sont très savants dans leur art – qu’ils sembl<strong>en</strong>t être<br />
prêts à représ<strong>en</strong>ter le premier acte <strong>en</strong> guise d’appréciation. Si cette première, comme nous<br />
l’espérons, est favorable, on donnera l’opéra <strong>en</strong> <strong>en</strong>tier. Il ne s’agit pas de la composition du<br />
même señor Ponce nommée « El alcalde a la antigua ».<br />
DonJoséMaríaPoncede<strong>Le</strong>ónes<strong>au</strong>tordeunaópera(nosabemossunombre),queha<br />
parecidotanbi<strong>en</strong>aloartistasitalianos,algunosdeellosmuyconocedoresdesuarte,que<br />
pareceestándispuestosárepres<strong>en</strong>tarelprimeractocomounamuestra.Siesteestr<strong>en</strong>o,<br />
comoloesperamos,esfavorable,sedarálaóperaíntegra.Noesestalacomposicióndel<br />
mismoseñorPoncellamada“Elalcaldeálaantigua” 15 .<br />
Ester devra <strong>en</strong>core faire face à deux obstacles qui mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> danger la naissance du premier<br />
opéra colombi<strong>en</strong>. Dès le mois de mars, la rumeur court que la compagnie <strong>lyrique</strong>, <strong>en</strong><br />
banqueroute, va devoir casser son contrat avant la fin de la saison. Fin mai, une intrigue<br />
12<br />
« Faire des opéras à Bogotá, tout <strong>au</strong> moins essayer d’<strong>en</strong> faire, ne peut être que le fruit d’une<br />
irrésistible vocation. »<br />
13<br />
Donc une tr<strong>en</strong>taine de soirées <strong>en</strong> tout (voir Annexe 7.3).<br />
14<br />
« Anuncios. Teatro. Segundo abono. » (Euj<strong>en</strong>io Luisia), Diario de Cundinamarca (V.1309), 16 avril<br />
1874 : 548.<br />
15<br />
El Tradicionista (III.300), 14 mars 1874 : 1322.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
embrase le milieu artistique sur un possible boycott de l’opéra de la part des musici<strong>en</strong>s<br />
colombi<strong>en</strong>s de l’orchestre. Pourtant, contre v<strong>en</strong>ts et marées, Ester parvi<strong>en</strong>t à briller de mille<br />
feux sur la scène du Coliseo Maldonado le jeudi 2 juillet 1874, à 21 heures.<br />
Que s’est-il passé <strong>en</strong>tre le mois de février, naissance du projet d’Ester, et le 2 juillet, jour de<br />
sa création ? Si les amis de Ponce de <strong>Le</strong>ón peuv<strong>en</strong>t suivre de près l’<strong>en</strong>fantem<strong>en</strong>t de son opéra,<br />
le grand public découvrira <strong>au</strong> grand jour l’histoire d’Ester quelques jours <strong>au</strong>paravant – si ce<br />
n’est le jour même – de sa première, dans le livret publié et v<strong>en</strong>du à l’<strong>en</strong>trée du théâtre.<br />
Ce livret, édité par R. Pombo, est précédé d’une introduction <strong>en</strong> trois volets 16 . La troisième<br />
partie, « L’opéra et son <strong>au</strong>teur », esquisse la biographie de Ponce de <strong>Le</strong>ón que nous avons<br />
déjà évoquée comme source pour la rédaction de notre troisième chapitre. Par ailleurs, ce<br />
texte abonde <strong>en</strong> r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts intéressants sur la chronologie de la composition d’Ester.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón décide de prés<strong>en</strong>ter une œuvre musicale <strong>au</strong> concours ouvert par le peintre<br />
mexicain. Bruno Maldonado, directeur du Coliseo Maldonado, lui suggère le sujet de Racine :<br />
Esther. Manuel Briceño, politique et homme de lettres, rédacteur du journal La América,<br />
« improvise un livret <strong>en</strong> espagnol 17 » qui est <strong>au</strong>ssitôt mis à disposition du compositeur.<br />
4.1.1.<br />
Pourquoi avoir choisi le sujet biblique d’Esther pour un opéra colombi<strong>en</strong> ? Dans ce<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> des Nations, ne pouvait-on pas s’att<strong>en</strong>dre à un opéra national qui eût puisé dans le<br />
réservoir de l’Histoire ? Ou alors dans l’imaginaire des lég<strong>en</strong>des précolombi<strong>en</strong>nes ? Car<br />
certains intellectuels colombi<strong>en</strong>s sont consci<strong>en</strong>ts qu’il existe une source d’inspiration chez<br />
« les peuples primitifs », et que « le choc, la mort et la destruction produite lors de l’arrivée<br />
des Espagnols donnerai<strong>en</strong>t matière à un drame national 18 ». Même les souv<strong>en</strong>irs réc<strong>en</strong>ts des<br />
« guerres fratricides […] ayant lieu à chaque étape de l’exist<strong>en</strong>ce républicaine depuis<br />
l’Indép<strong>en</strong>dance 19 » constituerai<strong>en</strong>t une riche littérature épique sur la consolidation du pays, <strong>au</strong><br />
même titre que les destins héroïques des Émin<strong>en</strong>ts de la patrie. D’ailleurs, les <strong>au</strong>teurs<br />
dramatiques colombi<strong>en</strong>s avai<strong>en</strong>t press<strong>en</strong>ti où puiser la source d’une colombianité dans l’art :<br />
les drames de Luis Vargas Tejada (1802-1829), Sugamuxi, Dorami<strong>en</strong>to, Aquimín,<br />
Nemequ<strong>en</strong>e, Zaquesazipa, mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> scène un imaginaire précolombi<strong>en</strong> fictif ; <strong>en</strong> revanche<br />
157<br />
16 R. Pombo, 1874.<br />
17 Ibid. : 6-7.<br />
18 « El choque, la muerte y la destrucción ocasionada por la llegada de los españoles serían materia<br />
para el drama nacional. » (M. Lamus Obregón, 2004 : 22).<br />
19 « […] las guerras fratricidas, producidas g<strong>en</strong>erosam<strong>en</strong>te a partir de la indep<strong>en</strong>d<strong>en</strong>cia y <strong>en</strong> cada etapa<br />
de la exist<strong>en</strong>cia republicana. » (Ibid.)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
158<br />
une œuvre comme Policarpa Salavarrieta (1826) de José María Domínguez (1788-1858)<br />
s’inspire de la vie réelle de cette femme martyre de l’Indép<strong>en</strong>dance.<br />
Il est évid<strong>en</strong>t que les pères de l’Opéra national ne veul<strong>en</strong>t pas pr<strong>en</strong>dre le risque de<br />
compromettre l’œuvre à v<strong>en</strong>ir avec une thématique <strong>au</strong>ssi moderne. Sans doute parce que<br />
proposer une pièce moralisatrice est une exig<strong>en</strong>ce sur la scène bogotaine. La c<strong>en</strong>sure<br />
religieuse pèse <strong>au</strong> Coliseo, et il suffit d’un sermon fustigeant le théâtre pour qu’une troupe<br />
fasse faillite 20 . En se tournant vers l’Esther de Racine, le directeur du théâtre choisit un sujet<br />
biblique, écrit pour les jeunes demoiselles de Saint-Cyr « élev[ées] dans la piété 21 . » Voilà de<br />
quoi <strong>en</strong>courager toute demoiselle à assister à l’opéra – la presse se plaint sans cesse de leur<br />
abs<strong>en</strong>ce – sans effrayer « les pères de familles qui att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t pour leurs filles des spectacles<br />
d’une parfaite moralité 22 . »<br />
À cet aspect pratique du choix du sujet, il f<strong>au</strong>t ajouter l’asc<strong>en</strong>dant de la culture française<br />
dans les Amériques. Alors que le public est assez familiarisé avec le théâtre de Victor Hugo,<br />
de Dumas (père et fils), de G<strong>au</strong>tier ou de Souvestre, les pièces de Racine ne sont pas jouées <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong> 23 . Pourtant toute personne éduquée se doit de connaître les classiques français :<br />
La France était vue comme le plus grand modèle de l’art dramatique, <strong>au</strong> point d’avoir « imposé<br />
sa loi du goût » dans les deux contin<strong>en</strong>ts. Sur la scène étai<strong>en</strong>t mises à « preuve toutes les fibres<br />
du cœur humain dans leur volonté de l’épuiser ou de le vaincre, toujours de façon <strong>au</strong>dacieuse et<br />
grandiose 24 . »<br />
Et on peut croire que Racine, bi<strong>en</strong> qu’il ne soit pas joué, est connu d’une l’élite bogotaine :<br />
La tragédie de Racine est […] si connue par tous ceux qui ont ici étudié le français, que son<br />
seul nom peut rasséréner les pères de familles qui att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t pour leurs filles des spectacles<br />
d’une parfaite moralité.<br />
LatragediadeRacineesporfortunatanconocidadelosmuchosque<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>osotroshan<br />
estudiadoelfrancés,quesusolonombredebeprev<strong>en</strong>irafavordeunaobralíricatrabajado<br />
sobre ella a los padres de familia que desean para sus hijas espectáculos de perfecta<br />
moralidad 25 .<br />
20<br />
Thème d’actualité, le Diario de Cundinamarca critique un prête qui vi<strong>en</strong>t de réprouver ceux qui<br />
assist<strong>en</strong>t <strong>au</strong> théâtre. (« Teatro » (R.L.C.), Diario de Cundinamarca (V.1278), 7 mars 1874 : 424).<br />
21<br />
Racine, Préface d’Esther.<br />
22<br />
R. Pombo, 1874 : 4.<br />
23 e<br />
À l’exception d’une Fedra donnée à Cali à la fin du XVIII <strong>siècle</strong> (F. Gonzáles Cajiao, 1986.)<br />
24<br />
« Francia era vista como el estandarte más alto del arte dramático, tanto que había “impuesto su ley<br />
del gusto” <strong>en</strong> ambos contin<strong>en</strong>tes; <strong>en</strong> el esc<strong>en</strong>ario había puesto a “prueba a la vez todas las fibras del<br />
corazón humano <strong>en</strong> su deseo de agotarlo o de v<strong>en</strong>cerlo, siempre de una maneara <strong>au</strong>daz y<br />
deslumbrante » (M. Lamus Obregón, 2004 : 43). Entre guillemets, une citation de « Teatro »,<br />
Biblioteca de señoritas (n° 10), 6 mars 1858 : 77.<br />
25<br />
R. Pombo, 1874 : 4.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
En préférant Ester, B. Maldonado, R. Pombo et Ponce de <strong>Le</strong>ón p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t choisir un sujet qui<br />
n’a <strong>en</strong>core jamais été adapté à l’opéra. Car selon le librettiste,<br />
[…] nous ignorons qu’un opéra n’ait jamais été écrit sur ce sujet avant celui de notre<br />
compatriote. Est-ce par respect pour Lulli et Ha<strong>en</strong>del, le premier, <strong>au</strong>teur des chœurs […] de<br />
l’Esther de Racine, le second d’un oratorio du même nom…<br />
Ycontodo,ignoramosquesehayacompuestojamásunaóperasobreesteasuntoantesdela<br />
d<strong>en</strong>uestrocompatriota,quizásporrespetoaLulliyaHandel,elprimer<strong>au</strong>tordeloscoroscon<br />
queseestr<strong>en</strong>óla“Ester”deRacine,yelsegundodeunoratoriodelmismonombre… 26 <br />
R. Pombo ignore que depuis 1690, plus d’une cinquantaine d’oratorios et d’opéras ont été<br />
écrits sur le sujet biblique d’Esther 27 . Certains livrets rest<strong>en</strong>t proches des Écritures, comme<br />
Ester, la liberatrice del popolo giudaico nella Persia de Dittersdorf (Vi<strong>en</strong>ne, 1773). D’<strong>au</strong>tres,<br />
comme l’Esther d’Ha<strong>en</strong>del (Londres, 1720), adapt<strong>en</strong>t librem<strong>en</strong>t le texte de Racine 28 . Reste<br />
que les instigateurs du premier opéra colombi<strong>en</strong> ai<strong>en</strong>t éprouvé un souci d’originalité <strong>en</strong> allant<br />
chercher un sujet qu’ils croyai<strong>en</strong>t inédit – europé<strong>en</strong>, certes – mais qui n’avait jamais été<br />
adapté pour la scène <strong>lyrique</strong>.<br />
Un dernier élém<strong>en</strong>t qui semble avoir du poids dans le choix du sujet d’Esther est<br />
l’admiration pour le théâtre grec ; l’Europe, « héritière de la Grèce 29 », sert de modèle absolu<br />
pour l’idéal civilisé dont on parle tant. Et le théâtre classique racini<strong>en</strong> est vu comme un<br />
maillon <strong>en</strong>tre le prés<strong>en</strong>t et ce passé admiré.<br />
Dans la culture europé<strong>en</strong>ne classique, les histoires de l’Anci<strong>en</strong> Testam<strong>en</strong>t sont assimilées à<br />
de grandes lég<strong>en</strong>des. <strong>Le</strong> grandiose biblique du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, à la lumière du Romantisme, fait<br />
apparaître une histoire d’amour <strong>au</strong> milieu d’un conflit <strong>en</strong>tre deux peuples, deux forces ou<br />
deux pouvoirs. <strong>Le</strong> terme biblique, dans la désignation opéra biblique, est à compr<strong>en</strong>dre<br />
comme lég<strong>en</strong>daire : ri<strong>en</strong> dans Ester ne participe à un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t religieux. Tout est lég<strong>en</strong>de est<br />
mythe. Avant d’évoquer des œuvres <strong>en</strong>core inconnues à Bogotá – L’Enfance du Christ<br />
(1854), lég<strong>en</strong>de biblique de Berlioz ou la lég<strong>en</strong>de biblique de Mass<strong>en</strong>et, Hérodiade (1877) – il<br />
f<strong>au</strong>t rappeler que le public connaissait des opéras inspirés de l’Anci<strong>en</strong> Testam<strong>en</strong>t (Nabucco de<br />
Verdi). Dans une saison <strong>lyrique</strong> qui met <strong>en</strong> scène le grandiose, ri<strong>en</strong> d’étonnant que Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón et ses librettistes ai<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>ché pour le choix d’Ester. Une Ester ori<strong>en</strong>tale qui rejoint le<br />
159<br />
26 R.Pombo, 1874 : 6. <strong>Le</strong> poète attribue f<strong>au</strong>ssem<strong>en</strong>t la musique à Lully, alors que c’est Jean-Baptiste<br />
More<strong>au</strong> qui écrivit la musique pour la création d’Esther à Saint-Cyr <strong>en</strong> 1689.<br />
27 Voir les <strong>en</strong>trées « Ester » et « Esther » dans F. Stieger, 1975 : 408-410.<br />
28 Mithridate, Iphigénie <strong>en</strong> Aulide et <strong>au</strong>tres tragédies de Racine ont fait l’objet de nombreuses<br />
adaptations pour l’opéra. Voir la liste de tous les opéras inspirés par cet <strong>au</strong>teur dans l’article<br />
« Racine », Grove Dictionary of Opera.<br />
29 M. Lamus Obregón, 2004 : 43.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
160<br />
thème récurr<strong>en</strong>t de l’exotisme <strong>au</strong> <strong>siècle</strong> romantique, qui se situe dans la Perse de Nabucco ou<br />
de Semiramis, et qui recrée une image ori<strong>en</strong>talisante p<strong>en</strong>sée <strong>en</strong> dehors de l’Europe, paradoxe<br />
pour un opéra qui sera appelé national. <strong>Le</strong> sujet de la captivité du peuple juif est celui d’Ester<br />
et de Nabucco, ce qui pourrait expliquer une citation de Verdi dans le premier Chœur<br />
d’Ester 30 .<br />
Si dans un premier temps il eût semblé étonnant que les <strong>au</strong>teurs ai<strong>en</strong>t choisi le sujet<br />
d’Esther, après réflexion on convi<strong>en</strong>t qu’il ne pouvait <strong>en</strong> être <strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t : c’est un sujet à la<br />
mode par son caractère grandiloqu<strong>en</strong>t, c<strong>en</strong>tré <strong>au</strong>tour d’un personnage féminin qui évolue<br />
parmi un peuple oppressé ; un sujet idéal pour les <strong>au</strong>teurs qui dispos<strong>en</strong>t d’un év<strong>en</strong>tail allant de<br />
la scène intime à la grande scène de foule. Enfin, c’est un sujet édifiant, donc validé par la<br />
société, dont les personnages chant<strong>en</strong>t la morale de l’histoire :<br />
L’inique insol<strong>en</strong>ce<br />
A sombré dans le gouffre,<br />
Et justice et vérité<br />
S’élèv<strong>en</strong>t jusqu’<strong>au</strong> trône.<br />
4.1.2.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Hundiósealabismo<br />
Lainicuainsol<strong>en</strong>cia,<br />
Yelévansealtrono<br />
Justiciayverdad 31 .<br />
Une fois le sujet de l’opéra décidé, Ponce de <strong>Le</strong>ón travaille sur le premier acte, sans la<br />
prét<strong>en</strong>tion d’aller plus loin. R. Pombo et F. Gutiérrez ont l’occasion d’écouter le compositeur<br />
<strong>au</strong> piano jouant les trois numéros qui compos<strong>en</strong>t le premier acte. Séduits par la musique de<br />
leur ami, ils l’<strong>en</strong>courag<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t à poursuivre son opéra. D’<strong>au</strong>tant plus que Dario<br />
d’Achiardi, chef d’orchestre de la compagnie, s’<strong>en</strong>gage <strong>en</strong>vers le compositeur colombi<strong>en</strong> :<br />
Pourrais-tu avoir fini l’opéra pour le 1 er juillet ? – Je p<strong>en</strong>se pouvoir le faire, répond Ponce. –<br />
Dans ce cas nous l’exécuterons, et je l’annonce dès demain pour la deuxième saison<br />
d’abonnem<strong>en</strong>t.<br />
¿Podríast<strong>en</strong>erconcluidalaópera<strong>en</strong>día1º.deJulio?–Creoquesí,lerespondióPonce.–<br />
Pues <strong>en</strong>tonces nosotros te la ejecutamos, y la anuncio desde mañana para la segunda<br />
temporadadeabono 32 .<br />
Selon Pombo, cette conversation <strong>au</strong>rait eu lieu la veille de la dernière soirée du premier<br />
abonnem<strong>en</strong>t de la saison <strong>lyrique</strong>. <strong>Le</strong> poète date cette soirée musicale de la mi-mai, tout <strong>en</strong><br />
avouant ne pas <strong>en</strong> être sûr. Première contradiction : la seconde saison d’abonnem<strong>en</strong>ts débute<br />
30 <strong>Le</strong> chœur n°1 d’Ester repr<strong>en</strong>d textuellem<strong>en</strong>t quelques mesures du chœur d’introduction de Nabucco.<br />
31 Il s’agit des derniers vers du livret publié d’Ester.<br />
32 R. Pombo, 1874 : 7.
i<strong>en</strong> <strong>en</strong> mai. Or l’opéra est annoncé dès le mois d’avril. Cette conversation a dû donc avoir<br />
lieu avant le 14 avril 1874, date de l’apparition du nouve<strong>au</strong> programme.<br />
Une telle coïncid<strong>en</strong>ce soulève des doutes. D’<strong>au</strong>tant plus que R. Pombo est le premier à<br />
signaler des faits erronés sur la vie du compositeur. Pombo veut-il donner à l’histoire de<br />
l’opéra un aspect lég<strong>en</strong>daire <strong>en</strong> le plaçant sous l’égide non pas de la coïncid<strong>en</strong>ce mais d’un<br />
arrêt du destin ? Telle est la lecture romantique que l’on peut faire <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> d’une telle<br />
g<strong>en</strong>èse ! Ou alors cette soirée a véritablem<strong>en</strong>t eu lieu à la fin de la première saison. Mais cette<br />
fois-ci elle n’a pas été orchestrée par le destin, mais par le chef d’orchestre lui-même : la<br />
compagnie itali<strong>en</strong>ne, ayant eu écho du travail de Ponce de <strong>Le</strong>ón, cherche à mettre <strong>en</strong> scène<br />
une œuvre colombi<strong>en</strong>ne. Un tel geste donnerait un nouvel éclat <strong>au</strong>x artistes itali<strong>en</strong>s, tout <strong>en</strong><br />
permettant à la compagnie de se relever de ses réc<strong>en</strong>tes difficultés financières ; peut-être ont-<br />
ils <strong>au</strong>ssi été visionnaires <strong>en</strong> voulant lier leur prés<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> à la création du premier<br />
opéra national.<br />
<strong>Le</strong> récit continue, et à Pombo de nous raconter que les deux actes manquants sont écrits <strong>en</strong><br />
neuf jours. Ponce de <strong>Le</strong>ón consacre le mois de juin à instrum<strong>en</strong>ter son opéra et, f<strong>au</strong>te de<br />
copiste, il copie lui-même les parties séparées de l’orchestre, du chœur et des solistes, comme<br />
le voulait alors l’usage. Il s’agit de plus de 30 parties séparées, presque toutes conservées <strong>au</strong><br />
CDM de Bogotá. C’est un travail colossal de copiste, <strong>au</strong>quel il a dû sacrifier énormém<strong>en</strong>t de<br />
temps. Nous connaissons à ce sujet le témoignage de jeunesse d’un <strong>au</strong>tre compositeur, Hector<br />
Berlioz :<br />
... je me mis <strong>au</strong> travail et je copiai, <strong>en</strong> employant seize heures sur vingt-quatre, les parties<br />
séparées d’orchestre et de chœur… 33<br />
Et la tâche fut longue :<br />
La partition [de la messe sol<strong>en</strong>nelle] terminée […] je me mis à extraire moi-même les parties, à<br />
les doubler, tripler, quadrupler, etc. Au bout de trois mois elles fur<strong>en</strong>t prêtes 34 .<br />
<strong>Le</strong>s parties d’Ester sont écrites d’une main sûre et d’une écriture propre. Tout le long de sa<br />
vie, Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>au</strong>ra une excell<strong>en</strong>te calligraphie musicale. Étant donné que l’ouverture<br />
apparaît sur les dernières pages des parties d’orchestre, on <strong>en</strong> déduit qu’il l’a écrite <strong>en</strong> dernier<br />
lieu. L’influ<strong>en</strong>ce de la forme pot-pourri est confrontée à un parcours tonal propre à la forme<br />
sonate. Construite <strong>en</strong> forme sonate sans développem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>tour de trois thèmes de l’opéra, elle<br />
repr<strong>en</strong>d une structure typique de certaines ouvertures d’opéras français ou itali<strong>en</strong>s.<br />
33 H. Berlioz, Mémoires : 116.<br />
34 Ibid. : 68.<br />
161<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
162<br />
4.1.3.<br />
<strong>Le</strong> livret d’Ester, « improvisé » à la hâte, est écrit <strong>en</strong> espagnol par M. Briceño 35 . R. Pombo<br />
complète les second et troisième actes, toujours <strong>en</strong> espagnol. Pourtant l’opéra est créé <strong>en</strong><br />
itali<strong>en</strong>, selon l’usage des troupes itinérantes qui chantai<strong>en</strong>t dans leur langue d’origine. <strong>Le</strong>s<br />
parties séparées vocales établies <strong>en</strong> 1874 prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t le texte <strong>en</strong> itali<strong>en</strong>. <strong>Le</strong> poème a donc été<br />
traduit alors que Ponce de <strong>Le</strong>ón complétait la musique. Tout s’explique dans un article paru le<br />
7 juillet 1874 :<br />
… messieurs Manuel Briceño, Rafael Pombo et Eug<strong>en</strong>io Luisia, qui ont arrangé<br />
précipitamm<strong>en</strong>t le livret, mérit<strong>en</strong>t la gratitude de tous ceux qui aim<strong>en</strong>t les arts.<br />
… los señores Manuel Briceño, Rafael Pombo y Eug<strong>en</strong>io Luisia, que arreglaron<br />
precipitadam<strong>en</strong>teellibreto,sonacreedoresalagratituddetodoslosqueamanlasartes 36 .<br />
À la lecture de cet extrait, on déduit que l’impresario E. Luisia est le traducteur du livret à<br />
l’itali<strong>en</strong>, sa langue maternelle. Tout le long de cette étude, la presse va nous restituer un grand<br />
nombre d’informations sur les rôles t<strong>en</strong>us par certains personnages, que l’histoire de la<br />
musique <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> ignorait jusqu’à prés<strong>en</strong>t : traducteurs, chorégraphes, souffleurs… Bi<strong>en</strong><br />
plus qu’un fait anecdotique, cela souligne une cohér<strong>en</strong>ce interne par rapport à la mise <strong>en</strong> place<br />
d’un Opéra national.<br />
<strong>Le</strong> livret, imprimé la veille de la première d’Ester, a été remanié <strong>en</strong>tre-temps par son <strong>au</strong>teur<br />
R. Pombo : il est donc légèrem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t de celui qui sera chanté par les Itali<strong>en</strong>s. Car après<br />
avoir prés<strong>en</strong>té <strong>au</strong> compositeur et <strong>au</strong> traducteur un premier jet, « une improvisation », le poète<br />
s’av<strong>en</strong>ture « à lui donner une forme plus littéraire et expressive, alors que la musique était<br />
déjà composée et la première version <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> faite 37 . » <strong>Le</strong>s vers qui ne seront pas chantés<br />
apparaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> italique. <strong>Le</strong> public est donc averti qu’il y <strong>au</strong>ra des discordances avec le texte<br />
publié, que les chanteurs corrigeront peu à peu. De la même façon, E. Luisia a <strong>au</strong>ssi poli sa<br />
traduction pour la version imprimée. Mais une fois de plus, son nom ne figure nulle part sur<br />
l’opuscule. Ri<strong>en</strong> d’étonnant que l’impresario se soit lancé avec aisance dans cet exercice<br />
littéraire. Pour arrondir ses fins de mois, voilà qu’il s’occupait à <strong>en</strong>seigner le français et<br />
l’itali<strong>en</strong> :<br />
35 « El señor Manuel Briceño le improvisó un libreto <strong>en</strong> español… » (R. Pombo, 1874 : 6-7).<br />
36 « Revista de teatro. Esther » (M.S.), El Tradicionista (III.345), 7 juillet 1874 : 1505.<br />
37 « Nuestra ayuda no ha consistido sino <strong>en</strong> darle forma algo más literaria y expresiva, cuando ya la<br />
música estaba compuesta y hecha la primera versión al italiano. Algunas frases o versos que no se<br />
cantan, van <strong>en</strong> bastardilla. Al oír el canto se observarán varias discrepancias con el texto, que poco a<br />
poco irán corrigi<strong>en</strong>do los cantantes. » (R. Pombo, 1874 : 10).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Eug<strong>en</strong>io Luisia a l’honneur d’annoncer <strong>au</strong> public de cette ville qu’à partir du prés<strong>en</strong>t mois de<br />
janvier, il se met à la disposition des personnes qui veuill<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> l’occuper comme professeur<br />
de langue française et itali<strong>en</strong>ne. Prix conv<strong>en</strong>tionnels.<br />
Eug<strong>en</strong>ioLuisiati<strong>en</strong>eelhonordeparticiparalpúblicodeestacapitalque,desdeelpres<strong>en</strong>te<br />
mesde<strong>en</strong>eroestáadisposicióndelaspersonasquequieranocuparlecomoprofesorde<br />
idiomafrancéseitaliano.Preciosconv<strong>en</strong>cionales 38 .<br />
L’édition de ce livret dévoile déjà les aspirations personnelles du poète. Avec sa révision<br />
postdatée de quelques jours, il veut <strong>en</strong> faire une œuvre finie, <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> valable pour être<br />
chantée que pour être lue. Nous <strong>au</strong>rons l’occasion de retrouver un cas similaire avec un <strong>au</strong>tre<br />
de ses livrets : Florinda. Drame qui doit servir de modèle <strong>au</strong>x futures générations, un de ses<br />
actes est sans musique, conçu expressém<strong>en</strong>t pour la seule lecture. R. Pombo aspire, sans le<br />
dire, à un art total, dans lequel musique et poésie serai<strong>en</strong>t à la fois complém<strong>en</strong>taires et <strong>au</strong>to-<br />
suffisantes. <strong>Le</strong> temps presse et cette aspiration n’est pas <strong>au</strong>ssi mûre dans le livret d’Ester que<br />
dans celui de Florinda.<br />
4.1.4.<br />
<strong>Le</strong>s quelques répétitions de l’opéra ont dû comm<strong>en</strong>cer fin juin. Il est fort probable que les<br />
chanteurs ai<strong>en</strong>t appris leurs parties peu de jours avant la première. N’oublions pas que c’est<br />
une troupe professionnelle, habituée à monter une œuvre très rapidem<strong>en</strong>t. En revanche,<br />
l’orchestre – qui n’était pas un orchestre perman<strong>en</strong>t – a dû avoir très peu de temps pour<br />
préparer l’opéra. La création d’Ester a peut-être même été un exercice de déchiffrage<br />
amélioré pour certains musici<strong>en</strong>s.<br />
Qui étai<strong>en</strong>t donc les musici<strong>en</strong>s qui constituai<strong>en</strong>t l’orchestre de l’opéra <strong>en</strong> 1874 ?<br />
En 1863 le chef d’orchestre itali<strong>en</strong> Dario d’Achiardi arrive à Bogotá <strong>au</strong> sein de la<br />
compagnie itali<strong>en</strong>ne Luisia-Rossi. On le retrouve à la tête de l’orchestre de l’opéra <strong>en</strong> 1866<br />
(compagnie Cavaletti) ; il réside dans la capitale jusqu’<strong>en</strong> 1870. En 1874, il est impresario et<br />
chef d’orchestre de la nouvelle troupe Rossi-d’Achiardi. Quelles étai<strong>en</strong>t alors les fonctions du<br />
chef d’orchestre ?<br />
Tout d’abord, il devait réunir des musici<strong>en</strong>s pour former un orchestre d’opéra. Une fois cet<br />
<strong>en</strong>semble mis <strong>en</strong> place (nous l’appellerons « orchestre de l’opéra », bi<strong>en</strong> que ce soit un<br />
orchestre occasionnel reconstruit à chaque saison), à lui d’instrum<strong>en</strong>ter les opéras, c'est-à-dire<br />
de les adapter pour cet orchestre local. À partir de quoi le travail des répétitions pouvait<br />
comm<strong>en</strong>cer.<br />
38 « Anuncios », Diario de Cundinamarca (V.1225), 12 janvier 1874 : 212.<br />
163<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
164<br />
En 1866, d’Achiardi crée une « société <strong>lyrique</strong> » baptisée le Sexteto de la Harmonía qui<br />
réunit les musici<strong>en</strong>s les plus prestigieux de la ville. Cette « harmonie fait allusion à un<br />
<strong>en</strong>semble d’instrum<strong>en</strong>ts à v<strong>en</strong>t […], mais qui dans [le cas de Bogotá] incluait quelques cordes<br />
et un piano 39 . » <strong>Le</strong> Sexteto est composé de deux violons (Dario d’Achiardi et son fils<br />
Enrique), une flûte (Vic<strong>en</strong>te Vargas de la Rosa), un cornet à pistons (Cayetano Pereira), une<br />
contrebasse (Julio Quevedo) et un piano (Daniel Figueroa) 40 . Donnant des concerts, des<br />
sérénades, cet <strong>en</strong>semble est le noy<strong>au</strong> de l’orchestre de l’opéra de plusieurs saisons (1869,<br />
1871 et 1874). Grâce <strong>au</strong> Sexteto de la Harmonía, le public peut égalem<strong>en</strong>t découvrir des<br />
œuvres alors inconnues de Mozart, Haydn, Beethov<strong>en</strong>, M<strong>en</strong>delssohn et Schumann 41 .<br />
En mai 1868 est créée la Sociedad Filarmónica de Santa Cecilia qui a pour but de pourvoir<br />
de bonne musique l’église de San Carlos à Bogotá 42 . Seule société musicale active <strong>en</strong> 1874,<br />
elle réunit la plupart des musici<strong>en</strong>s de la capitale. Son directeur, Cayetano Pereira, est une<br />
personnalité que nous r<strong>en</strong>controns plusieurs fois. Il jouait du cornet à pistons dans le Sexteto<br />
de la Harmonía et dirigeait <strong>au</strong>ssi l’une des deux bandas nationales, fanfares qui offrai<strong>en</strong>t un<br />
divertissem<strong>en</strong>t musical régulier dans la ville 43 .<br />
Dario d’Achiardi, dans une lettre ouverte publiée dans le Diario de Cundinamarca, raconte<br />
comm<strong>en</strong>t il a mis <strong>en</strong> place l’orchestre de l’opéra 44 : connaissant la situation musicale de la<br />
capitale, d’Achiardi ramène avec lui <strong>en</strong> 1874 six musici<strong>en</strong>s itali<strong>en</strong>s : Mancini, Balma, Emilio<br />
Conti, Francisco Giglioli (violon 45 ?), Emilio Martini (trompette à cylindre 46 ) et Buonafede<br />
Pettini (trombone) 47 . D’Achiardi s’adresse à C. Pereira, présid<strong>en</strong>t de la Santa Cecilia, afin de<br />
solliciter son aide et de pouvoir compléter un orchestre pour accompagner la compagnie<br />
<strong>lyrique</strong>. La rivalité <strong>en</strong>tre ces deux hommes pr<strong>en</strong>d la proportion d’un véritable règlem<strong>en</strong>t de<br />
comptes, <strong>au</strong>x risques et périls d’annuler la saison <strong>en</strong> cours et d’ajourner la création d’Ester –<br />
nous <strong>en</strong> reparlerons par la suite.<br />
39 E. Bermúdez, 2000 : 201.<br />
40 Ibid.<br />
41 Perdomo Escobar, 1938/1980 : 75.<br />
42 Ibid. : 70-71.<br />
43 « Las bandas militares », Diario de Cundinamarca (V.1246), 28 janvier 1874 : 296.<br />
44 «« Los socios de Santa Cecilia » (Dario Achiardi), Diario de Cundinamarca (V.1360), 17 juin<br />
1874 : 752.<br />
45 <strong>Le</strong> samedi 3 mai 1879 est organisé un concert <strong>en</strong> honneur du départ de Bogotá de Francisco Giglioli.<br />
Nous supposons qu’il s’agit du musici<strong>en</strong> arrivé cinq ans <strong>au</strong>paravant avec d’Achiardi. Information<br />
intéressante : il joue du violon et du piano. (« Concierto. », Diario de Cundinamarca (X.2491),<br />
30 avril 1879 : 382).<br />
46 Indifféremm<strong>en</strong>t appelé tromba, clarín, trompeta, il s’agit bi<strong>en</strong> d’une trompette à cylindre. En effet la<br />
partie séparée de « trompeta de cilindro » d’Ester est signée par Emilio Martini.<br />
47 M. Lamus Obregón, 2004 : 390.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Quelques jours avant la création d’Ester, l’expectative est à son comble. La presse s’indigne<br />
de l’attitude des musici<strong>en</strong>s de l’orchestre, rétic<strong>en</strong>ts à jouer dans Ester. <strong>Le</strong> climat est t<strong>en</strong>du,<br />
mais cela p<strong>en</strong>chera sans doute <strong>en</strong> faveur de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Hormis le sombre nuage de la<br />
discorde qui <strong>au</strong>rait pu faire annuler la création d’Ester, une voix unanime s’élève, annonçant<br />
un nouve<strong>au</strong> chef-d’œuvre.<br />
<strong>Le</strong> rédacteur de la colonne musicale du Diario de Cundinamarca avoue « avoir savouré »<br />
depuis son bure<strong>au</strong> voisin de la maison de la soprano, « de très belles mélodies et de brillants<br />
<strong>en</strong>sembles 48 ». Et d’ajouter : « les mêmes artistes qui vont l’interpréter parl<strong>en</strong>t [de l’opéra]<br />
dans des termes très flatteurs 49 . » Car ce sera toujours le regard de ces personnes averties et<br />
europé<strong>en</strong>nes qui, tout le long de la carrière <strong>lyrique</strong> de Ponce de <strong>Le</strong>ón, donnera le goût et,<br />
d’une certaine façon, le feu vert pour que ses opéras accèd<strong>en</strong>t à la scène.<br />
On peut <strong>en</strong>core lire :<br />
Des personnes averties dis<strong>en</strong>t qu’Ester possède de grandes be<strong>au</strong>tés et lui <strong>au</strong>gur<strong>en</strong>t un brillant<br />
succès. Si tout se passe bi<strong>en</strong>, comme nous l’espérons, <strong>en</strong> raison des soins apportés à sa<br />
préparation, le nouvel opéra sera une gloire nationale…<br />
Personas conocedoras dic<strong>en</strong> que la Ester ti<strong>en</strong>e grandes bellezas y pronostican un éxito<br />
brillantealafunción.Siellasalebi<strong>en</strong>,comoloesperamos,mercedalesmeroconqueseha<br />
preparado,lanuevaóperaseráuneglorianacional… 50 <br />
Un dernier élém<strong>en</strong>t vi<strong>en</strong>t d’<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> jeu : l’aspect patriotique. Car si la population est<br />
invitée à assister à la naissance d’un chef-d’œuvre, elle est avant tout invitée à la naissance<br />
d’un chef-d’œuvre national. Et cet amor patrio 51 , cet « amour pour la patrie », doit être<br />
l’argum<strong>en</strong>t définitif pour convaincre ceux qui montrerai<strong>en</strong>t une quelconque rétic<strong>en</strong>ce à se<br />
r<strong>en</strong>dre <strong>au</strong> théâtre. Sans oublier qu’Ester est la réponse de Ponce de <strong>Le</strong>ón à l’Exposition de<br />
Gutiérrez qui vi<strong>en</strong>t célébrer les soixante-quatre ans d’indép<strong>en</strong>dance de la <strong>Colombie</strong> face à la<br />
couronne espagnole.<br />
Devant cet <strong>en</strong>thousiasme collectif, les critiques ne sont pas leurrés. Et il est toujours<br />
intéressant de pouvoir mettre les points sur les i et d’y voir plus clair lors d’une première<br />
réaction qui peut aveugler ou cacher la réalité :<br />
Nous sommes loin de croire que l’opéra Ester est une œuvre finie, parfaite ; mais du point de<br />
165<br />
48 « Gracias a la vecindad de la señora Fiorellini, desde nuestra oficina hemos saboreado ya bellísimas<br />
melodías i brillantes concertados de canto. » (« Novedad artística », Diario de Cundinamarca<br />
(V.1370), 30 juin 1874 : 789).<br />
49 « Los mismos artistas que van a ejecutarla hablan de ella <strong>en</strong> términos mui [sic.] lisonjeros. » (Ibid.).<br />
50 « Cundinamarca. Crónica local. Ópera », El Tradicionista (III.344), 30 juin 1874 : 1502.<br />
51 « Novedad artística », Diario de Cundinamarca (V.1370), 30 juin 1874 : 789.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
166<br />
vue musical, il s’agit d’une œuvre élégante ; et peu nombreux sont les compositeurs qui ont pu<br />
prés<strong>en</strong>ter, comme première œuvre de longue haleine, une composition <strong>au</strong>ssi originale et avec<br />
<strong>au</strong>tant de charmes. Elle annonce, avec un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t mélodique noble, l’instinct des grands<br />
effets, que les situations et l’argum<strong>en</strong>t du livret pourrai<strong>en</strong>t conduire à un développem<strong>en</strong>t plus<br />
complet.<br />
<strong>Le</strong>josestamosdecreerquelaóperadeESTHER[sic.]se<strong>au</strong>naobraacabada,perfecta;pero<br />
musicalm<strong>en</strong>tehablando,esunaobradistinguida,ynotodosloscompositoreshanpres<strong>en</strong>tado<br />
porprimeraobradelargoali<strong>en</strong>to,unaqueseatanoriginalycont<strong>en</strong>gatantasbellezas.Ella<br />
anunciaconuns<strong>en</strong>timi<strong>en</strong>tomelódicomuynotable,elinstintodelosgrandesefectos,tal<strong>en</strong>to<br />
áquelascircunstanciasyelargum<strong>en</strong>todellibretopued<strong>en</strong>darmáscompletodesarrollo 52 .<br />
Comme ultime preuve d’amitié <strong>en</strong>vers le compositeur colombi<strong>en</strong>, Fiorellini de Balma,<br />
prima donna de la compagnie, a choisi la création d’Ester comme soirée donnée à son<br />
bénéfice. Chaque chanteur choisissait alors une date pour son bénéfice ; la recette des <strong>en</strong>trées<br />
<strong>au</strong> théâtre était directem<strong>en</strong>t versée <strong>au</strong> bénéficiaire. En plus d’une aide financière, c’était<br />
l’occasion pour chacun des chanteurs de tester sa popularité <strong>au</strong>près du public. En général, <strong>en</strong><br />
signe de gratitude pour ce divertissem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>u <strong>en</strong> h<strong>au</strong>te estime, les soirées <strong>au</strong> bénéfice des<br />
artistes affichai<strong>en</strong>t salle comble. <strong>Le</strong>s artistes pouvai<strong>en</strong>t choisir un opéra qui avait eu un grand<br />
succès, ou alors composer à leur guise un programme avec des extraits d’opéras, de musique<br />
symphonique ou d’œuvres de musique de chambre.<br />
Fiorellini de Balma a « le courage et la confiance de choisir pour son bénéfice la première<br />
représ<strong>en</strong>tation du premier opéra d’un Colombi<strong>en</strong> 53 . » Ce geste, admiré par tous, <strong>au</strong>ra inscrit le<br />
soprano <strong>au</strong> panthéon des grands artistes ayant préparé l’avènem<strong>en</strong>t de l’Opéra national. Et son<br />
souv<strong>en</strong>ir restera gravé p<strong>en</strong>dant longtemps dans la mémoire des Bogotains. Est-ce un geste<br />
d’amitié désintéressé ? La Fiorellini pouvait pourtant être sûre que la première d’Ester serait<br />
un énorme succès. Une fois de plus nous pouvons nous demander si le choix d’Ester par la<br />
compagnie n’était pas une mesure in extremis pour éviter la faillite. Amitié et <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t<br />
artistique ? Alibi financier ? Il peut y avoir eu un compromis. Mais nous n’<strong>au</strong>rons jamais de<br />
réponse à cette question.<br />
52 « Revista de teatro. Esther » (M.S), El Tradicionista (III.345), 7 juillet 1874: 1505.<br />
53 «… el valor y la confianza de escoger para su b<strong>en</strong>eficio la primera repres<strong>en</strong>tación de la primera<br />
ópera de un colombiano… » (« Revista de Teatro. B<strong>en</strong>eficio de la prima donna señora Fiorellini.<br />
Esther. », El Tradicionista (III.354), 7 juillet 1874 : 1505).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
4.2. Lacréationd’Ester<br />
À huit heures et demie le théâtre était littéralem<strong>en</strong>t comblé par une assistance choisie des deux<br />
sexes qui att<strong>en</strong>dait avec anxiété le mom<strong>en</strong>t où débuterait la représ<strong>en</strong>tation. À neuf heures,<br />
celle-ci comm<strong>en</strong>ça avec l’exécution de l’ouverture.<br />
Alasochoimediaelteatroestabaliteralm<strong>en</strong>tecolmadoporunaescogidaconcurr<strong>en</strong>ciade<br />
ambossexos,queaguardabaconansiedadelmom<strong>en</strong>to<strong>en</strong>quesedieraprincipioalafunción.<br />
Alasnuevecom<strong>en</strong>zóestaporlaejecucióndelaobertura… 54 <br />
<strong>Le</strong> jeudi soir, après maintes <strong>en</strong>traves, Ester fait son <strong>en</strong>trée <strong>au</strong> répertoire des opéras joués à<br />
Bogotá. Il est important de rappeler que Ponce de <strong>Le</strong>ón est connu des trois Itali<strong>en</strong>s qui ont<br />
organisé la représ<strong>en</strong>tation de son opéra. <strong>Le</strong>s promoteurs de la saison d’opéra de 1874<br />
(D. d’Achiardi, chef d’orchestre, E. Rossi et E. Luisia) avai<strong>en</strong>t participé à la compagnie<br />
Cavaletti de 1866. C’est cette troupe qui, le 24 janvier 1867, mettait <strong>en</strong> scène El Vizconde, la<br />
zarzuela <strong>en</strong> un acte du jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón. D’une certaine façon, Ester est la suite de cette<br />
vieille collaboration et amitié musicale.<br />
4.2.1.Ester<br />
La répartition, telle qu’elle est indiquée sur le livret édité de l’opéra, qui servait de<br />
programme, est la suivante :<br />
PERSONNAGES ACTEURS<br />
ASUERO, Roi de Perse Señor Giovanni Colucci (ténor)<br />
ESTER, Reine de Perse Señora Virginia Fiorellini de Balma (soprano)<br />
MARDOQUEO, oncle d’Ester Señor Augusto Pelleti (basse)<br />
AMÁN, favori du roi Señor Giovanni Zucchi (baryton)<br />
ASAF, lecteur des annales Señor Juan Domínguez.<br />
Gardes du Roi, Suivantes d’Ester, Chœurs d’israélites et de perses<br />
Cette fois, tous les artistes itali<strong>en</strong>s de la troupe se sont donc <strong>en</strong>gagés dans le projet 55 . <strong>Le</strong><br />
ténor Juan Domínguez est le seul chanteur colombi<strong>en</strong>, habitué à participer <strong>au</strong>x différ<strong>en</strong>tes<br />
saisons d’opéra depuis 1863, avec des rôles secondaires. Dans Ester, il doit chanter une<br />
vingtaine de mesures de récitatif. La partie séparée d’Asaf consiste <strong>en</strong> une seule page de<br />
musique <strong>au</strong> nom de Juan Dominguez [sic]. Comme toutes les parties séparées de l’opéra, il<br />
s’agit d’une page <strong>au</strong>tographe de la main de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
167<br />
54 « Espléndida ovación. », Diario de Cundinamarca (V.1373), 3 juillet 1874 : 801.<br />
55 Contrairem<strong>en</strong>t à la création du Vizconde <strong>en</strong> 1867, où ne figurait que la cantatrice itali<strong>en</strong>ne Cavaletti<br />
accompagnée par des chanteurs colombi<strong>en</strong>s. Voir chapitre 5.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
168<br />
La troupe itali<strong>en</strong>ne est <strong>au</strong> grand complet ; il ne manque que le soprano Felicita Forlivesi qui<br />
alternait les rôles avec Fiorellini de Balma. Bi<strong>en</strong> qu’il ne soit indiqué nulle part la<br />
composition des chœurs, on peut conclure qu’il s’agissait d’un chœur masculin. En effet les<br />
parties séparées (ténors 1 et 2 ; basses) prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t toujours le chant principal <strong>au</strong>x 1 er ténors. Il<br />
est donc à exclure que des sopranes ai<strong>en</strong>t pu doubler à l’octave la mélodie ; d’<strong>au</strong>tant plus que<br />
la partition « n’est pas triviale : [elle] évite les unissons qui r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t si facile une composition<br />
et r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t un si grossier effet 56 . »<br />
L’abs<strong>en</strong>ce de femmes dans le chœur ne laisse <strong>au</strong>cun doute. La Traviata v<strong>en</strong>ait d’être<br />
prés<strong>en</strong>tée par la troupe <strong>lyrique</strong> (plusieurs séances depuis le 8 mars 1874). <strong>Le</strong>s chœurs « ont<br />
été bi<strong>en</strong> exécutés […]. Dommage que l’intérêt du dialogue disparaisse par le manque de<br />
chœur de femmes 57 . » Abs<strong>en</strong>ce de chœur ? Pas assez de voix ? Toujours est-il que la partition<br />
d’Ester, qui dans l’idéal ferait appel à un chœur mixte, est écrite pour chœur masculin.<br />
Pourtant… que dire du n° 8 de l’opéra, ce Chœur de femmes <strong>en</strong> coulisses <strong>au</strong> début du<br />
troisième acte ? Il <strong>au</strong>rait sans doute été possible de faire chanter de jeunes Bogotaines <strong>au</strong><br />
théâtre, sans les montrer sur scène pour éviter le blâme d’un milieu conservateur. <strong>Le</strong>s parties<br />
séparées des ténors 1 et 2 (qui dat<strong>en</strong>t de 1874) sembl<strong>en</strong>t confirmer qu’un chœur de femmes a<br />
bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>tonné cette prière depuis les coulisses du théâtre. En effet, le n° 8 n’existe sur <strong>au</strong>cune<br />
de ces partitions. En revanche, la musique de ce même n° 8 apparaît sur les parties séparées<br />
de ténors 1, 2 et de basses (chantées à l’unisson) de la version de 1879. On peut <strong>en</strong> déduire<br />
que, si la version de 1879 ne prévoyait pas de voix féminines, la création de 1874 a fait appel<br />
à quelques femmes (une seule partie de sopranos, ce qui laisse p<strong>en</strong>ser à un petit effectif) qui<br />
ont chanté depuis les coulisses. La raison ? En 1874 la prés<strong>en</strong>ce de la femme sur la scène est<br />
<strong>en</strong>core mal vue, comme nous l’avons constaté dans la première partie 58 .<br />
L’effet saisissant de ce coro interno rappelle une représ<strong>en</strong>tation d’Il trovatore qui, <strong>en</strong> 1867,<br />
avait surpris à Bogotá par sa nouve<strong>au</strong>té :<br />
L’effet du chœur <strong>en</strong> coulisse des religieuses « Ah se l’orror t’ingomra » fut merveilleux par sa<br />
nouve<strong>au</strong>té et son accord artistique. Il surprit l’att<strong>en</strong>te générale d’une façon inatt<strong>en</strong>due, pourraiton<br />
dire.<br />
56 « La “Ester” no es una partitura trivial, […] aj<strong>en</strong>a a los unísonos que hace tan fácil una composición<br />
y tan grosero su efecto. » (R. Pombo, 1874 : 10).<br />
57 « Los coros fueron bi<strong>en</strong> ejecutados […]. Lástima c<strong>au</strong>sa que el interés del diálogo disminuya por la<br />
car<strong>en</strong>cia de los coros de mujeres. » (« Teatro » Diario de Cundinamarca (V.1281), 11 mars 1874 :<br />
435).<br />
58 Voir §.2.2.5.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Elefectodelcorointernodelasreligiosas«Ahsel’orrort’ingomra»fuemaravillosoporsu<br />
novedadiacordeartísticoquesorpr<strong>en</strong>diólaespectaciong<strong>en</strong>eraldeunamanera,pudiera<br />
decirse,inesperada 59 .<br />
Dario d’Achiardi est chargé de la direction d’un orchestre d’une vingtaine de musici<strong>en</strong>s.<br />
L’opéra est écrit pour 12 instrum<strong>en</strong>ts à v<strong>en</strong>t (une flûte, deux clarinettes, deux cornets à<br />
pistons, une trompette à cylindre, deux cors naturels, deux trombones, un saxophone et un<br />
saxhorn), percussion (deux timbales) et cordes (cinq pupitres). À partir du matériel<br />
d’orchestre qui nous est parv<strong>en</strong>u (qui semble <strong>au</strong> complet pour les cordes), on peut supposer<br />
l’effectif suivant : deux pupitres de 1 er violons (3 ou 4 violonistes), un pupitre de 2 nd violons<br />
(2 violonistes), un pupitre d’altos (certainem<strong>en</strong>t un seul altiste), un pupitre de violoncelles (un<br />
seul violoncelliste) et une contrebasse ; soit <strong>au</strong> moins huit musici<strong>en</strong>s, <strong>au</strong> plus onze <strong>en</strong><br />
supposant qu’altos et violoncelles ai<strong>en</strong>t joué à deux. Au total – avec chœurs et solistes – un<br />
peu plus de tr<strong>en</strong>te personnes. Estimation que confirme Ponce de <strong>Le</strong>ón dans une lettre publiée<br />
dans la presse.<br />
Six artistes v<strong>en</strong>us d’Italie jouai<strong>en</strong>t dans l’orchestre : Emilio Martini (trompette), Buonafede<br />
Pettini (trombone), Balma, Emilio Conti (violon ?), Francisco Giglioli (violon) et Mancini 60 .<br />
Parmi les musici<strong>en</strong>s colombi<strong>en</strong>s, on est sûr de la prés<strong>en</strong>ce du compositeur ami de Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón, Julio Quevedo Arvelo (contrebasse ?) ainsi que de [José María] Lora (alto 61 ). Quant<br />
<strong>au</strong>x choristes, on ne connaît que les noms de Juan Domínguez et de Plácido Pérez 62 , placés<br />
sous la direction de Pedro d’Achiardi 63 (frère de Dario ?). Après de nombreuses intrigues –<br />
nous <strong>au</strong>rons l’occasion d’y rev<strong>en</strong>ir – les membres de la Sociedad filarmónica de Santa Cecilia<br />
vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t compléter les rangs des musici<strong>en</strong>s, ainsi que les militaires des deux bandas<br />
nationales. On peut donc évaluer à plus de vingt le nombre de musici<strong>en</strong>s dans la fosse. Sans<br />
doute un des plus grands orchestres alors vus à Bogotá : « L’orchestre composée d’artistes<br />
itali<strong>en</strong>s et nation<strong>au</strong>x est le plus complet qu’on ait pu avoir ici 64 . » Peut-être s’agit-il du plus<br />
complet depuis que des troupes visit<strong>en</strong>t la capitale colombi<strong>en</strong>ne ; mais Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
écrivait-il <strong>en</strong> p<strong>en</strong>sant à cet orchestre, somme toute, qui reste de proportions modestes pour qui<br />
a fréqu<strong>en</strong>té les théâtres impéri<strong>au</strong>x parisi<strong>en</strong>s ? En 1876, R. Pombo publie cette appréciation<br />
169<br />
59 « Trovador » ([J.C.Osorio]), El m<strong>en</strong>sajero (I.54), 2 janvier 1867: 215.<br />
60 M. Lamus Obregón, 2004 : 390.<br />
61 José María Lora joue l’alto dans l’orchestre de l’opéra <strong>en</strong> 1859 (M. Lamus Obregón, 2004 : 374).<br />
62 « Teatro. », Diario de Cundinamarca (V.1281), 11 mars 1874 : 435.<br />
63 « Teatro. », Diario de Cundinamarca (V.1316), 24 avril 1874 : 374.<br />
64 « La orquesta compuesta de artistas italianos y nacionales es la más completa que se ha t<strong>en</strong>ido<br />
aquí » (« Opera italiana. », Diario de Cundinamarca (V.1225), 2 janvier 1874 : 211).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
170<br />
concernant la création de la zarzuela de Ponce, El Castillo misterioso, qui est d’actualité pour<br />
Ester :<br />
Il est impossible qu’un [orchestre] de vingt instrum<strong>en</strong>ts réponde à l’int<strong>en</strong>tion de celui qui, <strong>en</strong><br />
imaginant et <strong>en</strong> composant, <strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d soixante-quatre, ou tout <strong>au</strong> moins quarante. Un tel<br />
orchestre, réduit à sa moindre expression, est un bi<strong>en</strong> maigre cheval pour un si puissant<br />
cavalier. Cep<strong>en</strong>dant nous ne pouvons pas être trop exigeants avec la compagnie, et nous nous<br />
limitons à demander <strong>au</strong>x <strong>au</strong>diteurs de bonne volonté qu’à l’écoute de cette partition délicate et<br />
riche, ils multipli<strong>en</strong>t dans leur esprit le nombre de violons et <strong>au</strong>tres instrum<strong>en</strong>ts ; qu’ils donn<strong>en</strong>t<br />
de la vigueur <strong>au</strong>x voix qui <strong>en</strong> ont besoin. C’est alors qu’ils <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dront rugir le Lion du nom de<br />
notre génie <strong>lyrique</strong>.<br />
Esimposiblequeuna[orquesta]deveinteinstrum<strong>en</strong>tosrespondaalaint<strong>en</strong>cióndequi<strong>en</strong>al<br />
imaginar y componer está oy<strong>en</strong>do ses<strong>en</strong>ta y cuatro, o cuar<strong>en</strong>ta por lo m<strong>en</strong>os. Aquella<br />
orquestareducidaasum<strong>en</strong>orexpresiónesmuypococaballoparatanpoderosojinete.Sin<br />
embargo,<strong>en</strong>estepuntonopodemossermuyexig<strong>en</strong>tesconlaempresa,ynoslimitamosa<br />
rogar a los oy<strong>en</strong>tes de bu<strong>en</strong>a voluntad, que al escuchar tan delicada y rica partición,<br />
multipliqu<strong>en</strong>conlam<strong>en</strong>telosviolinesyotrosinstrum<strong>en</strong>tos,yvigoric<strong>en</strong>lasvocesquelo<br />
requier<strong>en</strong>;puessoloasíoiránrugiral<strong>Le</strong>óndelapellidod<strong>en</strong>uestroing<strong>en</strong>iolírico 65 .<br />
Pour terminer de prés<strong>en</strong>ter l’<strong>en</strong>semble des artistes qui ont participé <strong>au</strong> bon déroulem<strong>en</strong>t<br />
d’Ester, un seul aspect reste à élucider. Qui est à l’origine des décors et des costumes, <strong>en</strong><br />
supposant qu’il y ait eu décors et costumes ? L’habitude était de recycler d’un ouvrage à<br />
l’<strong>au</strong>tre, d’une saison à l’<strong>au</strong>tre, les costumes, notamm<strong>en</strong>t ceux des choristes. Pour l’anecdote,<br />
l’annonce suivante :<br />
Enrique Rossi Guerra<br />
Supplie les personnes à qui il a donné des costumes, d’avoir la bonté de les lui r<strong>en</strong>dre <strong>au</strong> plus<br />
tard le 1 er janvier ; il <strong>en</strong> a besoin pour les personnes des chœurs de l’opéra, et le retard de leur<br />
restitution c<strong>au</strong>serait un grand mal.<br />
30 décembre 1873.<br />
EnriqueRossiGuerra<br />
Suplica a las personas a qui<strong>en</strong>es les ha dado vestidos de disfraz, t<strong>en</strong>gan la bondad de<br />
devolvérselosalomastardeeldía1.°de<strong>en</strong>eropróximo,puest<strong>en</strong>i<strong>en</strong>donecesidaddeellos<br />
paraloscuerposdecorosdelaópera,leharíanungraveperjuicioconlademora<strong>en</strong>la<br />
<strong>en</strong>trega.<br />
Diciembre30de1873 66 .<br />
De surcroît, la compagnie <strong>lyrique</strong> de la Fiorellini était arrivée à Bogotá avec un « artiste<br />
peintre », il signor Enrico Daville. C’est lui qui peint différ<strong>en</strong>ts décors pour les opéras de la<br />
saison. Sans doute une grande nouve<strong>au</strong>té pour la ville ! Et la presse de faire constamm<strong>en</strong>t<br />
l’éloge de ses toiles originales. Mais pas un mot pour Ester. Soit que Daville ne produise ri<strong>en</strong><br />
65 « El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón. », El Tradicionista (V.491), 2 mai 1876 : 1381.<br />
66 « Anuncios », publié plusieurs fois, début janvier 1874, dans le Diario de Cundinamarca, peu avant<br />
l’arrivée de la compagnie Rossi-d’Achiardi.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
pour cet opéra – hypothèse pl<strong>au</strong>sible étant donné les difficultés financières de la troupe et la<br />
précipitation du projet de préparer l’opéra – ; soit que face à l’<strong>en</strong>thousiasme suscité par la<br />
musique, on ait oublié l’aspecte visuel, si ce n’est à travers cette allusion : « le ride<strong>au</strong> s’est<br />
levé et est apparu une scène artistiquem<strong>en</strong>t préparée 67 . » Il existe des esquisses non datées<br />
pour les décors d’Ester, dessinées par le Colombi<strong>en</strong> Alberto Urdaneta. Mais il s’agit sans<br />
doute de projets pour les reprises d’Ester de 1879 ou de 1881 qui n’<strong>au</strong>ront jamais lieu.<br />
4.2.2.<br />
Nous pouvons revivre cette soirée grâce à la publication de deux comptes-r<strong>en</strong>dus <strong>au</strong><br />
l<strong>en</strong>demain de la création d’Ester. José B<strong>en</strong>ito Gaitán signe l’article « Espléndida ovación »<br />
après cette remarquable soirée 68 . La revue de théâtre du Tradicionista, datée du mardi 7<br />
juillet, prés<strong>en</strong>te un long article, « B<strong>en</strong>eficio de la prima donna señora Fiorellini. Esther »,<br />
signé M.S. Depuis sa collaboration dans Ester, R. Pombo écrit sans cesse des articles sur<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón. Mais contrairem<strong>en</strong>t à son habitude d’aduler le compositeur, le poète n’a ri<strong>en</strong><br />
écrit pour cette occasion. Nous pouvons l’affirmer car <strong>en</strong> 1883, le Papel Periódico ilustrado<br />
sort un numéro spécial <strong>en</strong> hommage du musici<strong>en</strong> qui vi<strong>en</strong>t de disparaître 69 . L’éditeur, aidé par<br />
R. Pombo, propose une sélection des princip<strong>au</strong>x articles sortis du vivant de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Toutes ses œuvres musicales sont comm<strong>en</strong>tées par R. Pombo, s<strong>au</strong>f Ester. Pombo <strong>au</strong>rait<br />
reproduit son article, si celui-ci avait existé. Mais cela ne semble pas être le cas. <strong>Le</strong>s détails<br />
qui suiv<strong>en</strong>t sont donc tirés des deux journ<strong>au</strong>x cités – qui sont d’ailleurs les seuls à raconter<br />
jour après jour la vie des Itali<strong>en</strong>s depuis janvier 1874.<br />
<strong>Le</strong> soir de la première d’Ester, le théâtre est comble bi<strong>en</strong> avant l’heure prévue pour le début<br />
de la séance. Voila qui est déjà assez exceptionnel : depuis que la saison a comm<strong>en</strong>cé, des<br />
voix protest<strong>en</strong>t contre cette habitude de toujours faire att<strong>en</strong>dre le public.<br />
Espérons que la compagnie fasse att<strong>en</strong>tion <strong>au</strong>x inconvéni<strong>en</strong>ts [des retards], car be<strong>au</strong>coup de<br />
personnes ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas <strong>au</strong> théâtre de peur d’une trop longue soirée…<br />
Ojaláquelaempresafijesuat<strong>en</strong>ción<strong>en</strong>losinconv<strong>en</strong>i<strong>en</strong>tesque[esteretraso]ti<strong>en</strong>e,pues<br />
muchaspersonasseretra<strong>en</strong>deconcurriralteatroportemordeunalargavelada… 70 <br />
171<br />
67 « Luego se levantó el telón y apareció el esc<strong>en</strong>ario artísticam<strong>en</strong>te decorado. » (« Espléndida<br />
ovación. », Diario de Cundinamarca (V.1373), 3 juillet 1874 : 801).<br />
68 Diario de Cundinamarca du 3 juillet 1874, p. 801. L’article n’est pas signé. Il est republié avec le<br />
nom de son <strong>au</strong>teur <strong>en</strong> avril 1883, dans le Papel Periódico ilustrado (II.37), 1 er avril 1883 : 201-202.<br />
69 Papel Periódico ilustrado (II. 37), 1 er avril 1883, Bogotá.<br />
70 « Un b<strong>en</strong>eficio. », Diario de Cundinamarca (V.1350), 5 juin 1874 : 710.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
172<br />
Retard assez naturel, vu le nombre réduit de musici<strong>en</strong>s à Bogotá. Nous avons évoqué le fait<br />
que les militaires de la banda v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t compléter les rangs de l’orchestre de l’opéra. Or<br />
l’opéra a lieu les jeudis et dimanches, mêmes jours que la fanfare ! Il fallait donc att<strong>en</strong>dre les<br />
confrères militaires avant de comm<strong>en</strong>cer le spectacle 71 .<br />
Ce jeudi, la soirée est exceptionnelle. Voilà de quoi respecter l’heure annoncée pour le<br />
début du spectacle ; voilà de quoi remplir un théâtre qui était peu à peu tombé <strong>en</strong> disgrâce :<br />
Comme la flamme qui brûle <strong>en</strong> s’achevant lance ses plus brillants et vifs éclats ; comme tout ce<br />
qui existe retrouve <strong>au</strong> mom<strong>en</strong>t de s’éteindre ou de mourir […] une surabondance de vigueur et<br />
de vie ; ainsi l’opéra dévoré, exténué et <strong>en</strong>v<strong>en</strong>imé a eu ce jeudi la plus brillante réaction de vie<br />
et de superbe, de fleurs et de l<strong>au</strong>riers.<br />
Comolavelaqueseconsumealacabararrojasusfúlgidosymásvivosdestellos,comotodolo<br />
queexistealextinguirseomorirrecobraporunainstantáneareacciónsuperabundanciade<br />
vigoryvida,asílaóperadevoradaporunainficionadaconsunciónhat<strong>en</strong>idoeljueveslamás<br />
brillantereaccióndevidaylozanía,defloresyl<strong>au</strong>reles 72 .<br />
Dès la fin de l’ouverture, le théâtre éclate littéralem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> appl<strong>au</strong>dissem<strong>en</strong>ts, alors même<br />
que « toute façon d’appl<strong>au</strong>dir paraissait insuffisante pour exprimer l’admiration et le<br />
plaisir 73 ». <strong>Le</strong>s deux journalistes insist<strong>en</strong>t sur le fait que jusqu’à la fin des trois actes, un<br />
cresc<strong>en</strong>do d’<strong>en</strong>thousiasme, d’acclamations et de jubilation s’empare d’un public <strong>en</strong> délire.<br />
On appl<strong>au</strong>dit à tout rompre chacun des onze numéros de l’opéra. Si bi<strong>en</strong> les<br />
appl<strong>au</strong>dissem<strong>en</strong>ts rev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x interprètes, ceux-ci, par « défér<strong>en</strong>ce et galanterie »,<br />
invitai<strong>en</strong>t le compositeur sur l’avant-scène. <strong>Le</strong> fracas des bravos redoublait alors : un génie<br />
v<strong>en</strong>ait de naître.<br />
Lors du second <strong>en</strong>tracte, Ponce de <strong>Le</strong>ón fut couronné sur la scène. José María Samper posa<br />
sur la tête du compositeur une couronne de l<strong>au</strong>riers et de roses puis s’adressa <strong>au</strong> théâtre :<br />
<strong>Le</strong> dernier des poètes nation<strong>au</strong>x est fier de couronner le premier compositeur colombi<strong>en</strong>.<br />
El último de los poetas (nacionales) se <strong>en</strong>orgullece <strong>en</strong>/al coronar al primer compositor<br />
colombiano 74 .<br />
<strong>Le</strong>s deux José Maria se connaissai<strong>en</strong>t de longue date : le compositeur, à l’âge de vingt ans,<br />
avait mis <strong>en</strong> musique la comédie de mœurs du poète, Un alcalde a la antigua y un primo a la<br />
71<br />
« Algo sobre zarzuela española », El Verjel colombiano (20), 24 février 1876.<br />
72<br />
El Tradicionista…<br />
73<br />
« parecía que todo modo de apl<strong>au</strong>dir era insufici<strong>en</strong>te para expresar la admiración i el gozo… »<br />
(Diario de Cundinamarca…)<br />
74<br />
Diario de Cundinamarca et Tradicionista.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
moderna 75 . Neuf ans étai<strong>en</strong>t passés depuis, et la scène du Coliseo unissait ce soir-là un<br />
vétéran des lettres avec le nouve<strong>au</strong> compositeur d’opéras colombi<strong>en</strong>. Lorsque les chanteurs<br />
saluai<strong>en</strong>t le public <strong>en</strong> fin de spectacle, Colucci, primo t<strong>en</strong>ore qui v<strong>en</strong>ait d’interpréter le rôle<br />
d’Asuero, ôta sa couronne royale et dit, <strong>en</strong> la posant sur la tête du compositeur :<br />
<strong>Le</strong>s couronnes des empereurs ceign<strong>en</strong>t mieux sur les têtes des compositeurs.<br />
Lacoronadelosemperadoressi<strong>en</strong>tamejor<strong>en</strong>lassi<strong>en</strong>esdeloscompositores 76 .<br />
Et la fête se prolonge à la sortie du théâtre :<br />
À la sortie du Coliseo, une fanfare accompagna le señor Ponce <strong>au</strong> Club où be<strong>au</strong>coup<br />
d’admirateurs lui offrir<strong>en</strong>t un excell<strong>en</strong>t dîner.<br />
Alsalirdelcoliseo,unabandademúsicaacompañóalseñorPoncealClubdondemuchos<br />
admiradoresleofrecieronunaexcel<strong>en</strong>tec<strong>en</strong>a 77 .<br />
Selon l’arrière-petite-fille du compositeur, le tapage était tel qu’une plainte a même été<br />
déposée à la police.<br />
Quels sont les morce<strong>au</strong>x qui ont plu ? <strong>Le</strong>s critiques de la presse remarqu<strong>en</strong>t<br />
particulièrem<strong>en</strong>t l’ouverture, la prière de Mardoqueo (n° 3), le duo d’amour (n° 5), et tout le<br />
3 e acte où « une émotion succède à une <strong>au</strong>tre 78 . » Selon le rédacteur du Tradicionista, les<br />
morce<strong>au</strong>x qui ont le plus flatté le public sont l’ouverture, la cavatine d’Ester (n° 2), la prière<br />
de Mardoqueo (n° 3), le duo (n° 5), le trio du second acte [sic.] 79 et le Finale de l’opéra.<br />
Malheureusem<strong>en</strong>t ces journalistes ne s’av<strong>en</strong>tur<strong>en</strong>t pas dans l’analyse musicale car ils<br />
att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t un article spécial de « D.F. ». S’agit-il de Daniel Figueroa (v.1845 – 1887), pianiste<br />
et compositeur qui <strong>au</strong>rait fait ses études à <strong>Paris</strong> avec Ponce de <strong>Le</strong>ón ? Est-ce Diego Fallón<br />
(1834-1905), <strong>au</strong>teur <strong>en</strong> 1869 d’un nouve<strong>au</strong> système de notation musicale fondé sur les lettres<br />
de l’alphabet 80 ? Nous sommes <strong>en</strong>clins à p<strong>en</strong>ser qu’il s’agit de ce dernier, dont le parcours<br />
musical à Bogotá justifie le qualificatif de « professeur de grande r<strong>en</strong>ommée 81 ». Cet article,<br />
soit qu’il n’ait jamais été m<strong>en</strong>é à terme, soit qu’on ne l’ait pas retrouvé, nous prive d’un<br />
comm<strong>en</strong>taire musical d’époque sur l’opéra.<br />
75<br />
Voir §.3.3.2.<br />
76<br />
Diario de Cundinamarca…<br />
77<br />
El Tradicionista…<br />
78<br />
« una emoción se sucede a otra… » (« Bellas artes. Ester. » (R.O.S.), Diario de Cundinamarca<br />
(V.1398), 6 août 1874 : 904).<br />
79<br />
<strong>Le</strong> seul trio d’Ester apparti<strong>en</strong>t <strong>au</strong> n°9 du troisième acte.<br />
80<br />
Diego Fallón, Nuevo sistema de escritura musical, Impr<strong>en</strong>ta metropolitana, Bogotá, 1869.<br />
81<br />
«… D.F., profesor de reconocida superioridad… » (El Tradicionista (III.345), 7 juillet 1874 : 1505).<br />
173<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
174<br />
L’ouverture laisse le public perplexe. Selon notre opinion, cette ouverture d’Ester est l’un<br />
des morce<strong>au</strong>x symphoniques le plus importants écrits jusqu’alors à Bogotá. Overtura <strong>en</strong> deux<br />
parties, Religiosso [sic.] puis Allegro, elle débute sur « des accords d’une harmonie ample et<br />
grandiose 82 ». Grandiose <strong>en</strong> effet par cet exorde inatt<strong>en</strong>du – et si difficile à mettre <strong>en</strong> place –<br />
où dix instrum<strong>en</strong>ts à v<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tonn<strong>en</strong>t à découvert un choral noté p. L’harmonie est ample,<br />
articulée <strong>au</strong>tour du sil<strong>en</strong>ce. Il s’agit d’une longue phrase desc<strong>en</strong>dante qui de la tonique (ut) va<br />
chercher la dominante. Cet abîme harmonique se fait par une succession d’emprunts tonals<br />
<strong>au</strong>x princip<strong>au</strong>x degrés d’ut majeur et par une utilisation du chromatisme qui n’a pas son égal<br />
dans tout l’opéra. La musique reste susp<strong>en</strong>due sur un sol, dominante, bordé de sil<strong>en</strong>ces, joué<br />
dans le registre grave de chaque instrum<strong>en</strong>t. Il s’agit là des mesures les plus saisissantes<br />
d’Ester, écrites <strong>en</strong> dernier lieu. Comme si après avoir composé tout un opéra, Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
annonçait un l<strong>en</strong>demain stylistique…<br />
Cette musique qui plane avant d’installer l’allegro galvanise les spectateurs :<br />
À peine eut-on comm<strong>en</strong>cé à écouter l’ouverture que nous nous s<strong>en</strong>tîmes transportés :<br />
écoutions-nous les sublimes notes de la Casta Diva dans l’immortelle Norma de Bellini, ou les<br />
mélodies pathétiques du Poliuto de Donizetti ?<br />
Ap<strong>en</strong>as com<strong>en</strong>zamos a oír la obertura, nos s<strong>en</strong>timos transportados: no sabíamos si<br />
escuchábamoslassublimesnotasdelaCastaDiva<strong>en</strong>lainmortalNorma,deBellini,olas<br />
patéticasmelodíasdePoliutto,deDonizetti 83 .<br />
Une question reste à ce jour irrésolue. Comm<strong>en</strong>t a était interprétée la Marche triomphale<br />
avec fanfare sur scène <strong>au</strong> deuxième acte ? La fanfare militaire de Bogotá, dont plusieurs<br />
membres participai<strong>en</strong>t à l’orchestre de l’opéra, a-t-elle prêté ses services <strong>au</strong> grand complet<br />
pour cette grande scène de foule ? A-t-on fait appel à des figurants pour le cortège, comme ce<br />
sera le cas deux ans plus tard lors de la grande saison de zarzuela espagnole ? Résoudre cette<br />
question nous permettrait de connaître <strong>en</strong>core mieux les détails de la création d’Ester ; la<br />
réponse nous indiquerait <strong>au</strong>ssi comm<strong>en</strong>t étai<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>tées les scènes de bal (Traviata,<br />
Rigoletto), les grandes masses (Nabucco) et bi<strong>en</strong> d’<strong>au</strong>tres détails qui malheureusem<strong>en</strong>t<br />
demeur<strong>en</strong>t inconnus sur les représ<strong>en</strong>tations d’opéras.<br />
Pour compléter notre récit de cette soirée du 2 juillet 1874, évoquons <strong>au</strong>ssi les<br />
divertissem<strong>en</strong>ts music<strong>au</strong>x des <strong>en</strong>tractes. Depuis le début de la saison <strong>lyrique</strong>, les <strong>en</strong>tractes<br />
sont agrém<strong>en</strong>tés de morce<strong>au</strong>x de musique (piano, musique de chambre) dont nous ne<br />
connaissons pas les titres, et dont la presse parle à peine. Lors de la création d’Ester, il n’est<br />
82 « La obertura, que principia por unos acordes de una armonía amplia y grandiosa… » (Ibid.).<br />
83 « Bellas artes. Ester. » (R.O.S.), Diario de Cundinamarca (V.1398), 6 août 1874 : 904.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
nulle part fait allusion à ces <strong>en</strong>tractes music<strong>au</strong>x. Ils ont cep<strong>en</strong>dant dû avoir lieu, mais passés<br />
inaperçus dans le brouhaha c<strong>au</strong>sé par l’hilarité de cette soirée. Pour la troisième représ<strong>en</strong>tation<br />
d’Ester, le programme annonce des « <strong>en</strong>tractes agrém<strong>en</strong>tés par l’exécution de pièces d’une<br />
véritable nouve<strong>au</strong>té pour le public de cette capitale 84 ».<br />
Après l’énorme succès du jeudi 2 juillet, Ester remonte sur la scène. <strong>Le</strong> dimanche 5 juillet –<br />
à Bogotá, l’opéra se produit les jeudis et les dimanches – puis le jeudi 9 juillet. Cette dernière<br />
séance est proposée <strong>au</strong> bénéfice « des musici<strong>en</strong>s itali<strong>en</strong>s 85 », nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons par là les six<br />
instrum<strong>en</strong>tistes qui jouai<strong>en</strong>t dans l’orchestre (un bénéfice collectif pour les chanteurs ne serait<br />
pas <strong>en</strong>visageable). Une quatrième représ<strong>en</strong>tation est att<strong>en</strong>due. Cette fois, le bénéfice irait à<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón. Mais une ombre plane déjà : toutes les représ<strong>en</strong>tations devant bénéficier <strong>au</strong><br />
compositeur seront systématiquem<strong>en</strong>t annulées ou reconduites. En 1874, il n’y a pas eu de<br />
quatrième d’Ester. Bizarrem<strong>en</strong>t, il n’y a plus de comptes-r<strong>en</strong>dus d’opéras après le 16 juillet,<br />
ce qui nous empêche de connaître les détails sur les derniers jours de la saison après la<br />
création de l’opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón. L’opéra a-t-il expiré après ce dernier feu que fut Ester ?<br />
Une note parue le 17 août nous appr<strong>en</strong>d que les chanteurs de la troupe quitt<strong>en</strong>t la <strong>Colombie</strong>,<br />
vers leur Italie natale 86 . Que s’est-il passé sur la scène <strong>en</strong>tre-temps ? Ont-ils participé <strong>au</strong>x<br />
célébrations patriotiques annoncées pour le 22 juillet, avec la représ<strong>en</strong>tation de Rigoletto 87 ?<br />
Pourquoi un tel sil<strong>en</strong>ce après le triomphe d’Ester ?<br />
Sans connaître de réponse définitive à ces questions, nous avançons deux hypothèses qui<br />
ont pour origine les conflits internes évoqués qui ravag<strong>en</strong>t la compagnie dès le mois de juin.<br />
Après ce chant de cygne que représ<strong>en</strong>te Ester, la compagnie est définitivem<strong>en</strong>t dissoute <strong>au</strong><br />
l<strong>en</strong>demain du 12 juillet – à supposer que cette soirée ait vraim<strong>en</strong>t eu lieu. Faillite due à<br />
l’abs<strong>en</strong>ce de public ? Par la démission des musici<strong>en</strong>s de la Santa Cecilia ? Nous p<strong>en</strong>chons <strong>en</strong><br />
faveur de cette dernière hypothèse, notamm<strong>en</strong>t à la lumière d’un article publié un an après :<br />
Il f<strong>au</strong>t le dire une bonne fois pour toutes ; les compagnies <strong>lyrique</strong>s ont toutes été ici disloquées<br />
spécialem<strong>en</strong>t parce que plusieurs de nos musici<strong>en</strong>s ont introduit la discorde, avec des vues peu<br />
nobles.<br />
Precisoesdecirlodeunavez;todaslascompañíaslíricasespecialm<strong>en</strong>tesehanfraccionado<br />
aquíporquevariosd<strong>en</strong>uestrosprofesores<strong>en</strong>músicahanintroducido<strong>en</strong>treellosladiscordia,<br />
175<br />
84 « Según el programa de la función, los <strong>en</strong>treactos serán am<strong>en</strong>izados con la ejecución de piezas de<br />
verdadera novedad para el público de esta capital. » (« Ester. », Diario de Cundinamarca (V.1377),<br />
8 juillet 1874 : 817).<br />
85 Ibid.<br />
86 « Aus<strong>en</strong>cia. », Diario de Cundinamarca (V.1406), 17 août 1874 : 934.<br />
87 Voir le Programme des Fêtes Nationales du 20 juillet, publié le 25 juin 1874 (« Fiestas nacionales.<br />
Programa. », Diario de Cundinamarca (V.1367), 25 juin 1874 : 779-780).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
176<br />
conmiraspoconobles 88 .<br />
Une deuxième hypothèse – moins probable – explique ce sil<strong>en</strong>ce de la presse. Après les<br />
brouilles qu’il y eut <strong>en</strong>tre les impresarios et les artistes de la compagnie ; après l’attitude<br />
« répugnante » de la Sociedad Santa Cecilia, le journaliste du Diario de Cundinamarca,<br />
dépassé par la mesquinerie de ces rivalités, décide de ne plus écrire sur la saison d’opéra 89 .<br />
Pourtant il est étonnant que le Tradicionista à son tour ne publie plus sa Revista de Teatro. En<br />
dernier lieu, on peut p<strong>en</strong>ser que l’arrivée des vacances <strong>en</strong> juillet nous prive des comptes-<br />
r<strong>en</strong>dus racontant la fin de ces six mois d’av<strong>en</strong>ture <strong>lyrique</strong>.<br />
La compagnie a donc dû toucher à sa fin. Et cela à c<strong>au</strong>se d’une série d’événem<strong>en</strong>ts divers :<br />
lassitude du public après sept mois d’opéra, à raison de deux soirées par semaine, dans une<br />
ville qui ne compte pas plus de soixante mille âmes 90 ; un grand nombre d’habitants – le<br />
public pot<strong>en</strong>tiel du Coliseo – quitte la ville <strong>en</strong>tre juillet et août pour les vacances. Enfin les<br />
discordes surv<strong>en</strong>ues avec la Santa Cecilia, mom<strong>en</strong>taném<strong>en</strong>t apaisées avec la création d’Ester,<br />
ont dû réapparaître. Autant d’événem<strong>en</strong>ts qui épuis<strong>en</strong>t l’énergie des Itali<strong>en</strong>s.<br />
4.2.3.<br />
Que s’est-il donc passé avec les artistes de la Sociedad Filarmónica de Santa Cecilia, qui,<br />
depuis le début de la saison, jouai<strong>en</strong>t dans l’orchestre de l’opéra ?<br />
L’annonce de la création d’Ester par la compagnie semble avoir c<strong>au</strong>sé une vive réaction de<br />
la part de certains musici<strong>en</strong>s colombi<strong>en</strong>s. Jalousie ? M<strong>au</strong>vaise foi ? <strong>Le</strong>s effets de cette attitude<br />
se font s<strong>en</strong>tir dès le mois de mai, et touch<strong>en</strong>t l’intégrité des spectacles de la compagnie<br />
<strong>lyrique</strong>. La nouvelle fracassante selon laquelle les musici<strong>en</strong>s de la Sociedad de Santa Cecilia<br />
allai<strong>en</strong>t se retirer de l’orchestre de l’opéra est annoncée le 2 juin 91 .<br />
Cayetano Pereira, directeur de la Santa Cecilia, a dû être piqué <strong>au</strong> vif lorsque le chef<br />
d’orchestre d’Achiardi lui a demandé la participation des musici<strong>en</strong>s, à la fin de 1873. En effet,<br />
il s’att<strong>en</strong>dait à ce qu’on lui propose égalem<strong>en</strong>t la direction de ce nouvel orchestre, ne serait-ce<br />
qu’<strong>en</strong> alternance. Et d’Achiardi d’insister que depuis ce jour, C. Pereira s’obstine à faire<br />
88<br />
« Crónica de Bogotá. Ópera italiana. », Diario de Cundinamarca (VII.1783), 16 novembre 1875 :<br />
49.<br />
89<br />
« Teatro. » (R.L.C.), Diario de Cundinamarca (V.1343), 27 mai 1874 : 683.<br />
90<br />
G.R. Mejía Pavony, 2000 : 230.<br />
91<br />
« Revista de teatro. B<strong>en</strong>eficio del señor Giovanni Colucci » (M.S.), El Tradicionista (III.332), 2 juin<br />
1874 : 1454.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
surgir des obstacles <strong>au</strong> bon fonctionnem<strong>en</strong>t de la compagnie 92 . Il f<strong>au</strong>t la médiation de<br />
quelques personnalités pour que les désagrém<strong>en</strong>ts cess<strong>en</strong>t.<br />
La Sociedad Filarmónica de Santa Cecilia possédait des statuts qui stipulai<strong>en</strong>t que seul ses<br />
membres pouvai<strong>en</strong>t diriger les musici<strong>en</strong>s de la société. D’Achiardi est donc invité à dev<strong>en</strong>ir<br />
membre de la société. Pourtant,<br />
La saison de tr<strong>en</strong>te soirées <strong>lyrique</strong>s s’est déroulée sans que M. d’Achiardi eût cessé de se<br />
moquer de la Société, raison pour laquelle celle-ci a décidé de ne plus lui prêter son service et<br />
de l’obliger à payer ce qu’il devait à certains musici<strong>en</strong>s.<br />
pasólatemporadadelas30funcioneslíricas,sinqueelseñorAchiardihicieraotracosaque<br />
burlarsedelaSociedad,porlocualestaresolviónovolveraservirle,itambiénparaobligarlo<br />
aquepagaraloquedebíaaalgunosmúsicos 93 .<br />
Selon le chef d’orchestre, C. Pereira s’est souv<strong>en</strong>u, cinq mois après le début de la saison,<br />
que d’Achiardi n’avait pas prêté le serm<strong>en</strong>t réglem<strong>en</strong>taire <strong>au</strong> mom<strong>en</strong>t d’<strong>en</strong>trer dans la<br />
société ! Et, étant donné son abs<strong>en</strong>ce <strong>au</strong>x séances précéd<strong>en</strong>tes, la société décide, « <strong>en</strong> session<br />
secrète », d’expulser d’Achiardi 94 . Si cette histoire r<strong>en</strong>ferme toutes les intrigues possibles, les<br />
conséqu<strong>en</strong>ces se font voir : les musici<strong>en</strong>s de la Santa Cecilia se retir<strong>en</strong>t de l’opéra fin mai. <strong>Le</strong><br />
plus étonnant est que cette décision eût été prise alors que la troupe v<strong>en</strong>ait d’annoncer la<br />
prés<strong>en</strong>tation d’Ester.<br />
L’indignation est générale – « ces événem<strong>en</strong>ts ingrats […] où ne cesse de figurer d’une<br />
manière triste et répugnante la société de Santa Cecilia 95 » – et la presse accuse C. Pereira<br />
d’intrigues et de jalousie face à son compatriote Ponce de <strong>Le</strong>ón. Pereira restera marqué du<br />
sce<strong>au</strong> de cette m<strong>au</strong>vaise passe et bi<strong>en</strong> des années plus tard, alors qu’il dirige opéras et<br />
concerts, on lui reprochera son manque de tact et sa m<strong>au</strong>vaise direction :<br />
Nous remarquerons que le chef d’orchestre tapait si fort avec sa baguette, que le bruit<br />
désagréable qu’on <strong>en</strong> obt<strong>en</strong>ait noyait be<strong>au</strong>coup de notes. […] M. Pereira doit oublier<br />
totalem<strong>en</strong>t cette habitude de marquer ainsi la mesure, qui n’est utilisée par <strong>au</strong>cun chef <strong>en</strong><br />
Europe.<br />
92<br />
« Los socios de Santa Cecilia » (D. Achiardi), Diario de Cundinamarca (V.1360), 17 juin 1874 :<br />
752.<br />
93<br />
« El señor Dario d’Achiardi » (C. Pereira), Diario de Cundinamarca (V.1363), 20 juin 1874 : 764.<br />
94<br />
« Los socios de Santa Cecilia » (D. Achiardi), Diario de Cundinamarca (V.1360), 17 juin 1874 :<br />
752.<br />
95<br />
« Los ingratos acontecimi<strong>en</strong>tos […] <strong>en</strong> que no deja de figurar de una manera triste i repugnante la<br />
sociedad de Santa Cecilia.» (« Teatro. », Diario de Cundinamarca (V.1343), 27 mai 1874 : 683.).<br />
177<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
178<br />
NotamosqueelseñorDirectordelaorquestadabatanfuertesgolpesconlabatutaque<br />
hacíanperdermuchasnotas,ahogándolasconunruidodesagradable.[…]ElseñorPereira<br />
debeolvidarporcompletoelhábitodemarcarelcompasdeesemodo,quénoesusadopor<br />
ningúnDirectordeorquesta<strong>en</strong>Europa 96 .<br />
<strong>Le</strong>s musici<strong>en</strong>s de la Santa Cecilia accept<strong>en</strong>t de jouer dans l’orchestre d’Ester à la seule<br />
condition que le compositeur lui-même pr<strong>en</strong>ne la baguette le soir de la création. Mais Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón refuse d’emblée :<br />
Y a-t-il <strong>au</strong> monde un maestro qui, le soir où va être joué pour la première fois son premier<br />
opus, ose le diriger ? C’est impossible : un opéra est dans les mains de tr<strong>en</strong>te ou quarante<br />
artistes 97 ; une erreur, je crois, r<strong>en</strong>drait fou le compositeur…<br />
Habrá<strong>en</strong>elmundounmaestroquelanoche<strong>en</strong>queseejecutaporprimeravezsuprimera<br />
obraseatrevaadirigirla?Esimposible:unaóperaestá<strong>en</strong>manosdetreintaocuar<strong>en</strong>ta<br />
artistas;unaequivocación<strong>en</strong>unodeelloscreovolveríalocoalcompositor… 98 <br />
Et le compositeur d’adresser une <strong>au</strong>tre lettre publique à C. Pereira pour lui demander<br />
d’« <strong>au</strong>toriser Messieurs Julio Quevedo, José María Lora et Plácido Pérez, à jouer dans la<br />
première exécution d’Ester, sans que ces messieurs ne reçoiv<strong>en</strong>t <strong>au</strong>cun préjudice, ni ne soi<strong>en</strong>t<br />
sujets à <strong>au</strong>cune charge 99 . » Il s’agit <strong>en</strong> effet de musici<strong>en</strong>s amis de Ponce de <strong>Le</strong>ón, qui lui ont<br />
fait savoir à plusieurs reprises leur désir d’interpréter l’opéra 100 .<br />
Face à cette situation qui risque de couper court à la saison <strong>lyrique</strong> – et qui selon notre avis<br />
la mettra à mort une fois Ester représ<strong>en</strong>tée – José María remercie les <strong>au</strong>tres membres de la<br />
Santa Cecilia. Devant les « difficultés insurmontables et le sacrifice que be<strong>au</strong>coup de ses<br />
membres devrai<strong>en</strong>t faire » pour jouer Ester, le compositeur se trouve « dans la situation de ne<br />
ri<strong>en</strong> pouvoir leur exiger 101 . » <strong>Le</strong> ton est diplomatique, et on devine un Ponce de <strong>Le</strong>ón dépassé<br />
par ces manigances. À dix jours de la création de son Ester, il doit être occupé à la préparation<br />
des derniers détails, et cette affaire a certainem<strong>en</strong>t réussi à aigrir la satisfaction à v<strong>en</strong>ir de voir<br />
son œuvre sur la scène.<br />
96 er<br />
« Ópera », Diario de Cundinamarca (X.2509), 1 juillet 1879 : 454.<br />
97<br />
Cette citation confirme que l’orchestre était constitué d’une grande vingtaine de musici<strong>en</strong>s, <strong>au</strong>xquels<br />
il f<strong>au</strong>t ajouter les chanteurs. Voir §.4.1.4.<br />
98<br />
<strong>Le</strong>ttre de Ponce de <strong>Le</strong>ón à D. d’Achiardi. (« Los socios de Santa Cecilia » (D. Achiardi), Diario de<br />
Cundinamarca (V.1360), 17 juin 1874 : 752.).<br />
99<br />
« Dese permiso a los señores Julio Quevedo, Lora i Plácido Pérez, para tocar <strong>en</strong> la primera<br />
ejecución de la ópera Ester; sin que estos señores reciban ningún perjuicio, ni qued<strong>en</strong> sujetos a ningún<br />
cargo. » <strong>Le</strong>ttre de Ponce de <strong>Le</strong>ón à C. Pereira datée du 18 juillet 1874 (« El señor Dario d’Achiardi »<br />
(C. Pereira), Diario de Cundinamarca (V.1363), 20 juin 1874 : 764).<br />
100<br />
Ibid.<br />
101<br />
« A todo el resto de la Sociedad le doy las mas expresivas gracias por su fina condesc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>cia,<br />
pero dificultades insuperables i el sacrificio que muchos de sus miembros t<strong>en</strong>drían que hacer, me<br />
pon<strong>en</strong> <strong>en</strong> el caso de no ser exig<strong>en</strong>te. » (Ibid.).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
<strong>Le</strong> 19 juin 1874, cette situation de crise touche <strong>en</strong>fin à son dénouem<strong>en</strong>t. C. Pereira adresse<br />
cette lettre de réconciliation à Ponce de <strong>Le</strong>ón :<br />
La Société, et <strong>en</strong> particulier les membres de son Conseil administratif, ont décidé de jouer<br />
gratuitem<strong>en</strong>t l’opéra [Ester], même sous la direction de M. Dario d’Achiardi ; c'est-à-dire, <strong>au</strong><br />
prix d’une infraction flagrante des statuts, étant donné que vous ne pr<strong>en</strong>ez pas <strong>en</strong> charge la<br />
direction de l’orchestre lors de la représ<strong>en</strong>tation de votre opéra, chose qui serait extrêmem<strong>en</strong>t<br />
conv<strong>en</strong>able pour son meilleur déroulem<strong>en</strong>t, et qui vous apporterait plus d’honneur, plus de<br />
gloire ; et la Société musicale de Santa Cecilia, dont vous êtes un digne membre, laisserait<br />
s’épancher un imm<strong>en</strong>se et légitime orgueil.<br />
LaSociedad,imuiespecialm<strong>en</strong>telosmiembrosdesuConsejoadministrativo,hanresuelto<br />
tocargratislaóperaespresada,<strong>au</strong>nbajoladireccióndelseñorDariod’Achiardi;esdecir,<strong>au</strong>n<br />
acostadeunaflagranteinfraccióndelosestatus;supuestoqueustednose<strong>en</strong>cargadela<br />
dirección de la orquesta <strong>en</strong> le repres<strong>en</strong>tación de su ópera, cosa que seria <strong>en</strong> estremo<br />
conv<strong>en</strong>i<strong>en</strong>te,paraquesalieramejor,delocualreportarí<strong>au</strong>stedmashonra,masgloria,ila<br />
Sociedadmusical,ladeSantaCecilia,dequeustedtambiénesdignomiembro,derivarí<strong>au</strong>n<br />
c<strong>au</strong>dalinm<strong>en</strong>sodelejitimoorgullo 102 .<br />
Cette m<strong>au</strong>vaise av<strong>en</strong>ture <strong>au</strong>ra servi de règlem<strong>en</strong>t de comptes <strong>en</strong>tre les deux princip<strong>au</strong>x<br />
acteurs, le chef d’orchestre et le présid<strong>en</strong>t de la Santa Cecilia. Car leur més<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te est bi<strong>en</strong><br />
plus anci<strong>en</strong>ne à la saison de 1874. D’Achiardi accuse ouvertem<strong>en</strong>t de vol son confrère C.<br />
Pereira. Ce serait celui-là qui, à la mort de son fils Enrico d’Achiardi <strong>en</strong> 1871, <strong>au</strong>rait gardé<br />
toutes les partitions et les arrangem<strong>en</strong>ts que le chef itali<strong>en</strong> avait établi pour Bogotá (Dario se<br />
trouvait alors <strong>en</strong> Europe). Or Pereira nie catégoriquem<strong>en</strong>t posséder ces partitions. D’Achiardi<br />
passe alors à l’acte et la troupe interprète Nabucco sans l’ouverture… puisque Pereira a volé<br />
la partition. Que toute la ville <strong>en</strong> souffre !<br />
Lorsque la troupe itali<strong>en</strong>ne quitte Bogotá <strong>en</strong> août 1874, Ponce de <strong>Le</strong>ón doit éprouver un<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t singulier. La joie et la tristesse de voir partir ceux qui ont fait de son <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong><br />
une réalité ; la satisfaction d’avoir accompli un pas de plus dans sa carrière de compositeur ;<br />
mais <strong>au</strong>ssi la prise de consci<strong>en</strong>ce qu’une fois la Fiorellini partie, il n’est pas près de revoir son<br />
Ester monter sur la scène.<br />
José María ne peut pas <strong>en</strong>core le savoir ; mais par un heureux hasard, Ester a échappé de<br />
justesse à ce qui l’att<strong>en</strong>d <strong>en</strong> 1879 et 1881. Chaque fois que l’opéra sera programmé, la<br />
compagnie <strong>lyrique</strong> r<strong>en</strong>contrera de nombreux problèmes qui la feront disparaître avant l’heure<br />
d’Ester. En 1874, l’opéra échappe de justesse à ce cycle fatal qui l’a relégué <strong>au</strong> sil<strong>en</strong>ce<br />
jusqu’à nos jours. Grâce à un nouvel afflux d’<strong>en</strong>thousiasme et de public, la compagnie de la<br />
102 <strong>Le</strong>ttre de C. Pereira à Ponce de <strong>Le</strong>ón datée du 19 juin 1874. (Ibid.).<br />
179<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
180<br />
Fiorellini peut redresser ses comptes, et survivre jusqu’<strong>en</strong> juillet. Sans cela, Ester n’eût peut-<br />
être jamais vu le jour.<br />
4.3. Lapostéritéd’Ester<br />
L’histoire officielle d’Ester s’arrête ici, <strong>en</strong> juillet 1874. À nous maint<strong>en</strong>ant d’<strong>en</strong>richir la<br />
musicologie colombi<strong>en</strong>ne, <strong>en</strong> révélant les nombreuses t<strong>en</strong>tatives qui ont existé, du vivant de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, pour remettre l’œuvre sur la scène. Bi<strong>en</strong> plus qu’un travail « anecdotique » ou<br />
de compilation sur la postérité d’Ester, il s’agit de compr<strong>en</strong>dre les différ<strong>en</strong>ts états de la<br />
partition, et dans la mesure du possible, les expliquer tout <strong>en</strong> les datant.<br />
<strong>Le</strong>s promesses faites <strong>au</strong> compositeur incit<strong>en</strong>t à de nombreuses révisions de la partition ; fait<br />
qui, jusqu’à ce jour, était ignoré ! Nous profitons <strong>au</strong>ssi pour rectifier ce qu’écrit M. Lamus<br />
Obregón qui assure qu’<strong>en</strong> 1879 Florinda est créée et qu’Ester est à nouve<strong>au</strong> interprétée 103 .<br />
En cette année 1879 il y a bi<strong>en</strong> eu la volonté de donner <strong>au</strong> théâtre des œuvres colombi<strong>en</strong>nes.<br />
Un premier essai annoncé pour avril-mai 1879 échoue ; puis on parle de remettre l’opéra sur<br />
les planches <strong>en</strong> 1881. Nouvel échec. Si <strong>en</strong>tre-temps Ponce de <strong>Le</strong>ón donne naissance à deux<br />
<strong>au</strong>tres chefs-d’œuvre, il mourra <strong>en</strong> septembre 1882 sans avoir pu ré<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre son premier né.<br />
Pis <strong>en</strong>core, il n’<strong>au</strong>ra jamais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du la version corrigée et révisée de son opéra.<br />
Mais rev<strong>en</strong>ons <strong>en</strong> arrière, une année après la création d’Ester, pour mettre <strong>au</strong> grand jour<br />
l’histoire d’Ester <strong>au</strong> l<strong>en</strong>demain de sa création.<br />
4.3.1.Ester<br />
<strong>Le</strong> 1 er mai 1875, les États-Unis de <strong>Colombie</strong> sont secoués par une triste nouvelle. La ville<br />
de Cúcuta, <strong>au</strong> nord de la république, est réveillée par un viol<strong>en</strong>t tremblem<strong>en</strong>t de terre qui<br />
laisse un bilan humain et matériel lourd. À Bogotá plusieurs événem<strong>en</strong>ts sont organisés pour<br />
cueillir des fonds pour les victimes. Parmi ces événem<strong>en</strong>ts, on annonce 104 :<br />
103 M. Lamus Obregón, 2004 : 397.<br />
104 « Anuncios. », Diario de Cundinamarca (VI.1659), samedi 19 juin 1875 : 756.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Théâtre<br />
Grande soirée Lyrico-dramatique<br />
pour le 20 du mois courant.<br />
La partie <strong>lyrique</strong> sera interprétée par les artistes<br />
itali<strong>en</strong>s résidants dans la capitale, qui dédi<strong>en</strong>t leur<br />
travail <strong>au</strong>x malheureux habitants de Cúcuta, et leur<br />
cèd<strong>en</strong>t la moitié du produit des recettes.<br />
Programme.<br />
Ouverture de l’opéra Ester<br />
Mise <strong>en</strong> scène de la comédie <strong>en</strong> un acte de J.M.<br />
Gutiérrez de Alba, intitulée :<br />
REMEDIOS PARA UNA QUIEBRA.<br />
Air de l’opéra <strong>Le</strong> Serm<strong>en</strong>t, interprété par<br />
M. Agusto Pelleti.<br />
SOLO DE TROMPETTE, exécuté par M. Emilio<br />
Martini.<br />
Romance de la Stella confid<strong>en</strong>te, interprété par<br />
M. Romano Emilliani.<br />
La soirée finira avec la comédie <strong>en</strong> un acte<br />
nommée :<br />
ME CONVIENE ESTA MUJER.<br />
M. Giglioli et Manchini seront <strong>au</strong> piano.<br />
<strong>Le</strong>s <strong>en</strong>tractes seront agrém<strong>en</strong>tés par des<br />
morce<strong>au</strong>x divers, choisis dans les meilleurs opéras.<br />
Ce programme, exceptionnellem<strong>en</strong>t publié dans le Diario de Cundinamarca, est très<br />
intéressant pour le Ponce de <strong>Le</strong>ón de 1875, c'est-à-dire le musici<strong>en</strong> de « l’<strong>en</strong>tre-deux-œuvres »<br />
(Ester et El Castillo misterioso <strong>en</strong> 1876).<br />
Teatro.<br />
Granfunciónliricodramática<br />
paramañana20deloscorri<strong>en</strong>tes.<br />
<br />
Lapartelíricaserádesempeñadaporlosartistas<br />
italianosresid<strong>en</strong>tes<strong>en</strong>lacapital,qui<strong>en</strong>esdedican<br />
su trabajo <strong>en</strong> b<strong>en</strong>eficio de los desgraciados<br />
habitantesdeCúcuta,ilaempresacedealmismo<br />
objeto la mitad del producto de la función.<br />
<br />
Programa.<br />
Oberturadelaópera“Ester.”<br />
Sepondrá<strong>en</strong>esc<strong>en</strong>alacomedia<strong>en</strong>unactodel<br />
señorJ.M.GutiérrezdeAlba,titulada:<br />
<br />
REMEDIOPARAUNAQUIEBRA.<br />
Ariadelaópera“Eljuram<strong>en</strong>to,”ejecutadaporel<br />
señorAgustoPelleti.<br />
SOLO DE CLARÍN, ejecutado por el señor Emilio<br />
Martini.<br />
Romanzadela“Stellaconfid<strong>en</strong>te,”ejecutadapor<br />
elseñorRomanoEmilliani.<br />
Concluirálafunciónconlacomedia<strong>en</strong>unacto<br />
d<strong>en</strong>ominada:<br />
MECONVIENEESTAMUJER.<br />
<br />
En el piano ejecutarán los señores Giglioli i<br />
Manchini.<br />
Los <strong>en</strong>treactos serán ll<strong>en</strong>ados con variados i<br />
escojidostrozosdelasmejoresóperas.<br />
Exemple 4 : Programme de concert du 20 mai 1875,<br />
donné <strong>au</strong> théâtre de Bogotá.<br />
Première découverte : Ester résonne <strong>en</strong>core à Bogotá. Et même s’il ne s’agit que de son<br />
ouverture, cela permet de garder le souv<strong>en</strong>ir vivant de l’opéra, créé un an <strong>au</strong>paravant.<br />
L’ouverture a-t-elle été à nouve<strong>au</strong> jouée après ? <strong>Le</strong>s nombreuses séances de théâtre étai<strong>en</strong>t des<br />
séances composites qui faisai<strong>en</strong>t alterner théâtre et musique, comme nous avons pu<br />
l’expliquer précédemm<strong>en</strong>t. Mais dans ce mélange de g<strong>en</strong>res, on n’avait pas l’habitude<br />
d’annoncer la partie musicale. Nous avons découvert un manuscrit de Ponce de <strong>Le</strong>ón à la<br />
BLAA : Dos Oberturas. La deuxième de ces ouvertures, écrite <strong>en</strong> quatre parties, s’achève sur<br />
181<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
182<br />
l’air d’Ester du dernier acte (n° 9), arrangé pour orchestre. Partitions non datées, mais<br />
postérieures à 1876 puisqu’elles conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t des extraits du Castillo. Nous<br />
supposons qu’elles ont été écrites <strong>en</strong> guise de prélude <strong>au</strong>x séances de théâtre.<br />
Deuxième constatation, la scène rapproche déjà Ponce de <strong>Le</strong>ón de J.M. Gutiérrez de Alba,<br />
futur librettiste du Castillo misterioso. En ce s<strong>en</strong>s, ce programme de théâtre peut apparaître<br />
comme une véritable plaque tournante dans la vie du compositeur : on a <strong>en</strong>core le regard sur<br />
Ester, mais le nom du futur associé annonce le chef-d’œuvre à v<strong>en</strong>ir.<br />
Troisième observation : des noms familiers réapparaiss<strong>en</strong>t. Emilio Martini, le trompettiste<br />
itali<strong>en</strong> arrivé dans la troupe Rossi-d’Achiardi, est <strong>en</strong>core à Bogotá avec ses collègues Giglioli<br />
et Manchini. Ces musici<strong>en</strong>s itali<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t restés à Bogotá lors du départ des chanteurs<br />
itali<strong>en</strong>s 105 . On retrouve <strong>au</strong>ssi la basse et impresario Augusto Pelleti, à la veille de quitter la<br />
<strong>Colombie</strong> : un concert à son bénéfice est annoncé pour le 14 juillet 1875, dernière parution de<br />
Pelleti sur la scène colombi<strong>en</strong>ne avant de « pr<strong>en</strong>dre congé de notre société 106 » et<br />
« d’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre son retour <strong>en</strong> Italie 107 . »<br />
Ester – du moins ses créateurs – fait donc partie du quotidi<strong>en</strong> des arts à Bogotá. Mais quelle<br />
grande surprise de retrouver <strong>en</strong> octobre 1875 Fiorellini de Balma sur les planches du Coliseo<br />
Maldonado pour interpréter Lucia di Lammermoor !<br />
La vie musicale à Bogotá connaît une époque fertile depuis la grande saison <strong>lyrique</strong> de<br />
1874. <strong>Le</strong> 28 août 1875 est fondée une nouvelle Sociedad Filarmónica 108 , composée de tr<strong>en</strong>te-<br />
cinq sociétaires et de quatre chefs d’orchestre <strong>en</strong> alternance, dont Ponce de <strong>Le</strong>ón. Par ailleurs,<br />
depuis la fin octobre, Ponce de <strong>Le</strong>ón dirige la fanfare tous les jeudis et dimanches, comme le<br />
montr<strong>en</strong>t les programmes parus dans la presse. Après Ester, sa notoriété dans le monde des<br />
arts s’est donc affirmée.<br />
À la fin d’octobre 1875, les musici<strong>en</strong>s de Bogotá organis<strong>en</strong>t une troupe locale avec les<br />
chanteurs itali<strong>en</strong>s. Fiorellini de Balma – quand et pourquoi est-elle rev<strong>en</strong>ue à Bogotá ? – le<br />
ténor Balma (son époux), E. Rossi et E. Luisia revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t animer le Coliseo avec Lucia,<br />
Ernani, La Traviata et L’elisir d’amore. La presse ne parle pourtant que de six soirées<br />
d’octobre 1875 à janvier 1876 ; ainsi nous ne savons pas si les <strong>au</strong>tres dates ne sont pas<br />
105<br />
« Los ejecutantes de orquesta se han quedado » (« Aus<strong>en</strong>cia. », Diario de Cundinamarca (V.1406),<br />
17 août 1874 : 935).<br />
106<br />
« Concierto. », Diario de Cundinamarca (VI.1674), 8 juillet 1875 : 813.<br />
107<br />
« Concierto. », Diario de Cundinamarca (VI.1681), 16 juillet 1875 : 841.<br />
108<br />
À ne pas confondre avec la Sociedad Filarmónica, active de 1846 à 1857.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
apportées, ou s’il y a effectivem<strong>en</strong>t eu peu de représ<strong>en</strong>tations. Sans <strong>en</strong>trer dans les détails de<br />
cette saison <strong>lyrique</strong> 109 , nous invitons à la réflexion suivante : Ponce de <strong>Le</strong>ón, qui de surcroît<br />
dirige l’orchestre de l’opéra, se retrouve dans de bi<strong>en</strong> meilleures conditions qu’<strong>en</strong> 1874 pour<br />
proposer son Ester. De plus, les Itali<strong>en</strong>s connaiss<strong>en</strong>t sa partition, notamm<strong>en</strong>t la Fiorellini,<br />
créatrice du rôle titre. Après le franc succès remporté <strong>en</strong> juillet 1874, il est imp<strong>en</strong>sable qu’ils<br />
n’ai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>visagé de prés<strong>en</strong>ter Ester <strong>au</strong> public.<br />
Que c’est-il donc passé ? Ponce de <strong>Le</strong>ón a dû quitter Bogotá de novembre à février 1876<br />
(pour des vacances ?) 110 ; lors de cette abs<strong>en</strong>ce, C. Pereira dirige l’orchestre. De retour à<br />
Bogotá <strong>en</strong> février, la compagnie <strong>lyrique</strong> vi<strong>en</strong>t de faire faillite – l’histoire se répète – et le<br />
Coliseo lui a fermé ses portes 111 . Fiorellini et sa troupe se retrouv<strong>en</strong>t hors de scène ; d’<strong>au</strong>tant<br />
plus qu’une figure espagnole att<strong>en</strong>due vi<strong>en</strong>t d’arriver à Bogotá : Josefa Mateo s’y installe <strong>en</strong><br />
nouvelle déesse du théâtre.<br />
La reprise d’Ester n’<strong>au</strong>ra donc pas lieu <strong>en</strong> 1875-1876. Mais Ponce de <strong>Le</strong>ón a-t-il déjà<br />
<strong>en</strong>trepris une première révision de son opéra ? <strong>Le</strong> compositeur est pourtant loin d’être déçu :<br />
deux mois après son arrivée à Bogotá, la compagnie espagnole de zarzuela de Josefa Mateo<br />
créera <strong>au</strong> Coliseo Maldonado sa zarzuela El Castillo misterioso. Grand succès qui eût pu<br />
ouvrir de nouve<strong>au</strong> les portes à Ester, cette fois chantée <strong>en</strong> espagnol comme le souhaite<br />
R. Pombo :<br />
Espérons que la compagnie [Mateo] se décide à nous donner Ester <strong>en</strong> espagnol, telle qu’elle fut<br />
écrite. À chaque fois que l’opéra fut chanté <strong>en</strong> itali<strong>en</strong>, le succès était une ovation. Nous croyons<br />
qu’<strong>au</strong>jourd’hui à Bogotá des c<strong>en</strong>taines de personnes désir<strong>en</strong>t l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, et qu’<strong>au</strong>tant de<br />
personnes seront ravies de l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre à nouve<strong>au</strong><br />
Ojaláseresuelvalacompañíaadarnosla“Ester”<strong>en</strong>español,comofueescrita.Cuantasveces<br />
secantó<strong>en</strong>italiano,eléxitofueunaovación,ycreemosquehayhoy<strong>en</strong>Bogotác<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ares<br />
queanhelanoírla,yc<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aresqueseregocijarándevolveraescucharla 112 .<br />
Mais il n’<strong>en</strong> est ri<strong>en</strong> <strong>en</strong> 1876.<br />
L’année 1876 crée une rupture dans la vie de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Depuis son retour <strong>en</strong> 1870, les<br />
États-Unis de <strong>Colombie</strong> travers<strong>en</strong>t une époque de paix et de croissance. La scène du théâtre<br />
est constamm<strong>en</strong>t visitée par des troupes étrangères d’opéra ou de théâtre, par des gymnastes,<br />
des prestidigitateurs et des magici<strong>en</strong>s. La dernière <strong>en</strong> date : la plus grande compagnie de<br />
183<br />
109 Voir §.3.5.1.<br />
110 « Ópera italiana », Diario de Cundinamarca (V.1789), 23 novembre 1875 : 73.<br />
111 « Crónica de la ciudad. Ópera italiana. », Diario de Cundinamarca (VII.1850), 8 février 1876 : 318.<br />
112 « El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai<br />
1876 : 1381.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
184<br />
zarzuela vue à ce jour. La ville se divertit. Plusieurs <strong>en</strong>sembles instrum<strong>en</strong>t<strong>au</strong>x et de nombreux<br />
concerts donn<strong>en</strong>t à la capitale ce mirage de civilisation dont on parle tant ! Pour sa part, Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón gagne <strong>en</strong> r<strong>en</strong>ommée et assume des fonctions de plus <strong>en</strong> plus importantes dans la vie<br />
musicale. Mais voici que la guerre civile éclate et freine toute initiative artistique.<br />
Il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre que la paix soit bi<strong>en</strong> rétablie. Indicateur de cette nouvelle stabilité politique,<br />
l’arrivée sur les h<strong>au</strong>ts plate<strong>au</strong>x de la sabana de Bogotá d’une nouvelle troupe <strong>lyrique</strong>. <strong>Le</strong><br />
15 septembre 1878, la compagnie d’Egisto Petrilli in<strong>au</strong>gure une nouvelle saison d’opéra avec<br />
Ernani.<br />
E. Petrilli, comme tous ces av<strong>en</strong>turiers qui se risqu<strong>en</strong>t à organiser une saison <strong>lyrique</strong> à<br />
Bogotá, connaissait déjà la ville. Baryton des compagnies Luisia-Rossi (1863) et Sindici-Isaza<br />
(1865), il revi<strong>en</strong>t à Bogotá comme impresario, chanteur et chef d’orchestre <strong>en</strong> 1878. La<br />
première saison d’opéra se déroule de septembre 1878 à mars 1879, remportant le plus vif<br />
succès.<br />
La seconde saison s’ouvre le 13 avril 1879 avec un opéra <strong>en</strong>core inconnu à Bogotá : le<br />
F<strong>au</strong>st de Gounod. Cette saison se compose « de dix-huit soirées. La plupart des opéras choisis<br />
[…] sont nouve<strong>au</strong>x dans notre théâtre. Entre eux figur<strong>en</strong>t Ruy Blas de Marchetti ; Linda di<br />
Chamounix de Donizetti, et l’Ester et Florinda de notre compatriote Ponce de <strong>Le</strong>ón 113 . »<br />
Depuis quand Ponce de <strong>Le</strong>ón travaille-t-il sur Florinda ? Cette question sera abordée dans<br />
le chapitre 6. Pour le mom<strong>en</strong>t, avançons seulem<strong>en</strong>t que le projet date de 1875. Contrairem<strong>en</strong>t<br />
à l’improvisation qu’est Ester, la longue maturation de Florinda annonce une œuvre finie et<br />
ciselée. <strong>Le</strong> manuscrit de Florinda est daté du 24 avril 1879. <strong>Le</strong> compositeur <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d-il la<br />
révision d’Ester après avoir achevé Florinda ?<br />
Lorsque nous avons comm<strong>en</strong>cé à travailler sur Ester, nous n’imaginions pas qu’il pût y<br />
avoir deux états de l’opéra. Il s’agit de l’une de nos plus importantes découvertes, à pr<strong>en</strong>dre<br />
<strong>en</strong> compte <strong>au</strong> mom<strong>en</strong>t d’établir l’édition critique de l’œuvre de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Il existe donc<br />
deux versions d’Ester. La version de la création, que nous appelons version de 1874. Puis le<br />
compositeur révise son opéra (la m<strong>en</strong>tion revisado paraît sur quelques parties séparées). Plus<br />
important : il réécrit de nouve<strong>au</strong>x passages, <strong>en</strong> supprime d’<strong>au</strong>tres. Enfin, il établit un nouve<strong>au</strong><br />
matériel de travail <strong>au</strong> nom de Ponseggi et de Petrilli, le ténor et le baryton de 1879 ! Nous<br />
113 «…consta de 18 funciones. La mayor parte de las óperas escojidas [sic], si no todas, son nuevas<br />
para nuestro teatro, <strong>en</strong>tre ellas figura Rui Blas, de Marcheti; Linda de Chamonix, de Donizetti, i la<br />
Ester i Florinda, de nuestro compatriota Ponce de <strong>Le</strong>ón. » (« Compañía lírica. », Diario de<br />
Cundinamarca (X.2481), 12 avril 1879 : 342).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
parlerons donc de la version de 1879, tout <strong>en</strong> gardant <strong>en</strong> mémoire qu’une première révision<br />
de son opéra a peut être pu avoir lieu <strong>en</strong> 1875.<br />
La situation t<strong>en</strong>due du pays joue contre les Itali<strong>en</strong>s. Et si les comm<strong>en</strong>tateurs expliqu<strong>en</strong>t<br />
l’abs<strong>en</strong>ce de public par différ<strong>en</strong>ts événem<strong>en</strong>ts d’actualité (deuils, faits divers sanglants,<br />
m<strong>au</strong>vais temps…), un fait est à constater : l’opéra est <strong>en</strong> crise.<br />
Vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite des séances annulées, reportées, puis des semaines de relâche ; après<br />
quelques t<strong>en</strong>tatives pour relancer l’opéra avec de nouvelles voix, la troupe disparaît <strong>en</strong> juin<br />
1879 :<br />
Nous appr<strong>en</strong>ons avec surprise que les artistes itali<strong>en</strong>s qui composai<strong>en</strong>t la troupe d’opéra de<br />
M. Petrilli se sont dispersés, laissant seul le directeur, sans <strong>au</strong>cune raison justifiable.<br />
Consorpresahemossabidoquelosartistasquecomponíanlacompañíadeóperadelseñor<br />
Petrillisehandispersadoydejadosoloaldirector,sinmotivoalgunojustificable 114 .<br />
Cette compagnie était destinée à un triste sort. <strong>Le</strong>s chanteurs tomb<strong>en</strong>t malades alors qu’une<br />
partie de la troupe est à Medellín <strong>en</strong> août 1879. <strong>Le</strong> ténor Ponseggi y trouve même la mort 115 .<br />
Avec <strong>au</strong>tant de vicissitudes, la seconde saison d’opéra n’<strong>au</strong>ra mis <strong>en</strong> scène que le F<strong>au</strong>st de<br />
Gounod et L’Ebreo de Guiseppe Apolloni, ainsi que quelques soirées mixtes. Pas question,<br />
dans ces conditions, d’assurer les <strong>au</strong>tres représ<strong>en</strong>tations. Pas question de monter les deux<br />
opéras colombi<strong>en</strong>s annoncés. Ponce de <strong>Le</strong>ón se retrouve alors avec deux pièces qu’il n’a pas<br />
pu <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre : la deuxième version d’Ester et son nouve<strong>au</strong>-né Florinda.<br />
À l’instar des années 1871-1876, une troupe disparaissait pour laisser la place à une<br />
nouvelle compagnie. Après la disparition de celle de Petrilli, se succèd<strong>en</strong>t à Bogotá des<br />
compagnies dramatiques, de zarzuela, ainsi qu’une compagnie équestre, gymnaste et<br />
acrobatique, <strong>en</strong> avril 1880.<br />
L’opéra n’<strong>au</strong>ra pas tardé à rev<strong>en</strong>ir. <strong>Le</strong> 20 juillet 1880, alors que la <strong>Colombie</strong> célèbre les<br />
soixante-dix ans de son indép<strong>en</strong>dance, le Coliseo Maldonado accueille la compagnie de<br />
Sanctis avec Il trovatore. Antonio de Sanctis 116 avait chanté à Bogotá l’année précéd<strong>en</strong>te<br />
comme basse de la compagnie Petrilli. Il revi<strong>en</strong>t cette fois <strong>en</strong> tant qu’impresario. Dès le début<br />
de la saison, on s’évertue à rattraper le retard de la troupe précéd<strong>en</strong>te face à Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
On peut alors lire dès le 23 juillet 1880 : « <strong>Le</strong> répertoire inclura naturellem<strong>en</strong>t deux opéras de<br />
185<br />
114 « Ópera italiana », El Zipa (II.43), 5 juin 1879 : 672.<br />
115 « El señor Ponseggi », El Zipa (III.7), 8 septembre 1879 : 100.<br />
116 L’orthographe de son nom varie d’une saison à une <strong>au</strong>tre, d’un journal à un <strong>au</strong>tre, d’un article à un<br />
<strong>au</strong>tre : Desantis, Desantes…<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
186<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, l’Ester si fortem<strong>en</strong>t appl<strong>au</strong>die et la grandiose Florinda 117 . » Après les<br />
incontournables problèmes <strong>au</strong>xquels se confronte toute t<strong>en</strong>tative <strong>lyrique</strong> à Bogotá – nous nous<br />
y habituons – la compagnie est réorganisée, sous la direction de la prima donna Emila B<strong>en</strong>ic.<br />
Début novembre 1880, les artistes lis<strong>en</strong>t Ester et Florinda pour savoir lequel des deux opéras<br />
marquera l’ouverture de la saison 118 . Ce sera Florinda qui ouvrira <strong>en</strong> grande pompe la saison<br />
<strong>lyrique</strong> le jeudi 18 novembre 1880. <strong>Le</strong> succès est éclatant, et ne cesse de s’affirmer lors des<br />
cinq représ<strong>en</strong>tations de l’opéra. En revanche, il ne sera plus question d’Ester.<br />
Quand sera donnée la mélodieuse Ester, tant att<strong>en</strong>due par le public ? Sont-ils <strong>en</strong> train de<br />
l’étudier, avec la romance de ténor ajoutée par le maestro ?<br />
¿Cuándo se dará la melodiosísima Ester, deseada por el público? La están estudiando,<br />
inclusivelaromanzadet<strong>en</strong>orañadidaporelmaestro 119 ?<br />
Et lorsqu’on appr<strong>en</strong>d <strong>en</strong> juin 1881 que la troupe est définitivem<strong>en</strong>t dissoute 120 , on <strong>au</strong>ra une<br />
fois de plus rêvé de revoir Ester dans sa nouvelle version.<br />
Il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre plus de deux déc<strong>en</strong>nies pour qu’Ester sorte à nouve<strong>au</strong> du sil<strong>en</strong>ce <strong>au</strong>quel l’a<br />
définitivem<strong>en</strong>t confinée la mort de Ponce de <strong>Le</strong>ón, le 21 septembre 1882.<br />
4.3.2.Ester <br />
<strong>Le</strong> 20 août 1905, un hommage public est r<strong>en</strong>du à Rafael Pombo : comme dans l’anci<strong>en</strong>ne<br />
Grèce, il est couronné poète national. Âgé de 72 ans, c’est l’un des personnages qui <strong>au</strong>ra<br />
traversé le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Plus que quiconque, il a vécu avec ferveur les av<strong>en</strong>tures de l’opéra à<br />
Bogotá depuis son retour de New York <strong>en</strong> 1872 121 . Loin de mépriser la musique à Bogotá, il<br />
conc<strong>en</strong>trera ses efforts pour donner à l’opéra des lettres de qualité. Saison après saison, il<br />
traduit et publie les livrets des opéras ; il crée des journ<strong>au</strong>x littéraires et music<strong>au</strong>x. Et bi<strong>en</strong> sûr,<br />
il signe de sa plume de poète le livret définitif d’Ester et le grand drame romantique Florinda.<br />
En ce dimanche d’août 1905, la cérémonie que lui offre la République <strong>au</strong> Teatro Colón le<br />
projette <strong>en</strong> arrière dans sa vie d’artiste. <strong>Le</strong> Teatro Colón s’érige <strong>au</strong>jourd’hui à l’emplacem<strong>en</strong>t<br />
de l’anci<strong>en</strong> Coliseo Maldonado, où l’un des derniers opéras donnés avant sa démolition avait<br />
justem<strong>en</strong>t été Florinda. Et dans ce nouve<strong>au</strong> Coliseo nacional, Pombo <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, <strong>en</strong> guise<br />
117 « El repertorio incluirá desde luego dos óperas de Ponce de <strong>Le</strong>ón, la apl<strong>au</strong>didísima Ester y la<br />
grandiosa Florinda... » (« Ópera italiana. », El Zipa (IV.1), 23 juillet 1880 : 8).<br />
118 « Escuela de música. », El Zipa (IV.15), 5 novembre 1880 : 228.<br />
119 « Florinda. », El Zipa (IV.19), 4 décembre 1880 : 293.<br />
120 « Teatro. », El Zipa (IV.40), 2 juin 1881 : 628.<br />
121 R. Pombo habite à New York de 1855 à 1872. Il est donc abs<strong>en</strong>t de Bogotá lorsqu’<strong>en</strong> 1858 arrive la<br />
première compagnie <strong>lyrique</strong> <strong>au</strong> grand complet dans la capitale.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
d’ouverture à son « apothéose 122 », l’overtura della opera Ester 123 . Grande émotion que de<br />
ré<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ces accords disparus depuis 1875 ! Tr<strong>en</strong>te ans ont se sont écoulés. Tr<strong>en</strong>te ans qui<br />
ont vu changer la face de la <strong>Colombie</strong> ; et <strong>en</strong>tre-temps le compositeur est mort sans jamais<br />
avoir <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du sa version révisée d’Ester.<br />
Ce jour là, Maria Ester Ponce de Schlessinger, la fille de José Maria, chante la cavatine de<br />
Florinda. Et <strong>au</strong> poète de remémorer un de ses vers écrits pour elle <strong>en</strong> 1899, à l’occasion de<br />
son mariage 124 :<br />
Une pluie d’étoiles – nul ne<br />
l’ignore,<br />
Hier soir, tard, tomba du ciel :<br />
Âmes qui revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t où<br />
l´homme demeure<br />
Visiter celles qu’elles ont jadis<br />
aimées.<br />
Parmi elles, j’<strong>en</strong> sais d’une, ô<br />
ma filleule,<br />
Qui te chercha anxieuse, dans ton<br />
sommeil<br />
Qui toute la journée a été avec<br />
nous<br />
Et te cherche <strong>au</strong>jourd’hui dans les<br />
yeux de ton maître.<br />
Unalluviadeestrellas,¿quién<br />
loignora?<br />
Anoche,<strong>en</strong>altashoras,hacaído:<br />
Almas que vuelv<strong>en</strong> donde el<br />
hombremora<br />
A visitar a las que aquí han<br />
querido.<br />
<br />
Entretantasyosé,ohahijada<br />
mía!<br />
Deunaqueansiosatebuscó<strong>en</strong><br />
tusueño,<br />
Que ha estado con nosotros<br />
todoeldía<br />
Yhoytebusca<strong>en</strong>losojosdetu<br />
dueño.<br />
En ce jour de 1905, voici Ester qui surplombe son oubli. Mais il ne s’agit, une fois de plus,<br />
que de l’ouverture de l’opéra, qui n’est que le prologue vite oublié d’une longue séance<br />
exceptionnelle composée de musique, de poésies, de discours et de concours de sonnets.<br />
Et puis, retour <strong>au</strong> sil<strong>en</strong>ce. En 1912, R. Pombo rejoint Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>au</strong> panthéon des<br />
hommes illustres.<br />
Nouvel hommage à R. Pombo <strong>en</strong> 1933 pour fêter le c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire de sa naissance. Et alors, ces<br />
mystérieuses paroles apostées sur la copie manuscrite de la version chant-piano de l’opéra,<br />
copie de main anonyme :<br />
Cet opéra a été transmis par la Radio Nationale lors du c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire de Rafael Pombo par le<br />
c<strong>en</strong>tre Lyrique-Dramatique National.<br />
187<br />
122 « La apoteosis de Pombo », El Mercurio (II.149), 22 août 1905.<br />
123 Pour le programme détaillé de cette soirée, voir B.H. Robledo, 2005 : 18-27.<br />
124 A Maria Ester Ponce de <strong>Le</strong>ón (<strong>en</strong> su mesa de boda), 16 novembre 1899. (R. Pombo, Mns/1970 :<br />
382-383)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
188<br />
EstaóperafuetransmitidaporlaRadioDifusora<strong>en</strong>elc<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ariodeDonRafaelPomboporel<br />
C<strong>en</strong>troLíricoDramáticoNacional[unnomillisible].<br />
Suiv<strong>en</strong>t les noms de son directeur, ainsi que la répartition des rôles, mais l’écriture les r<strong>en</strong>d<br />
illisibles. Ester <strong>au</strong>rait donc été chantée <strong>en</strong> 1933 ? Pour le mom<strong>en</strong>t nous n’avons pas réussi à<br />
trouver des traces de cette transmission radiophonique : accompagnée avec orchestre ?<br />
Piano ? Mise <strong>en</strong> scène ? Représ<strong>en</strong>tée plusieurs fois ? Autant de questions qui rest<strong>en</strong>t<br />
mom<strong>en</strong>taném<strong>en</strong>t sans réponses, mais dont tout laisse supposer une version accompagnée <strong>au</strong><br />
piano.<br />
Ce n’est que récemm<strong>en</strong>t que nous avons pu découvrir la musique du premier opéra<br />
colombi<strong>en</strong>. Après une série de concerts organisés <strong>au</strong>tour de cet opéra <strong>en</strong> 2004 et 2005 par<br />
l’<strong>en</strong>semble Voces Nuevas que je dirigeais à <strong>Paris</strong> <strong>au</strong>tour de cet opéra, il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre le<br />
22 mars 2006 pour découvrir <strong>en</strong>fin une nouvelle version d’Ester. Il s’agit d’une version ré-<br />
instrum<strong>en</strong>tée donnée par l’<strong>en</strong>semble Voces Nuevas. À Bogotá, j’ai eu l’occasion de diriger <strong>en</strong><br />
novembre 2007 trois représ<strong>en</strong>tations d’Ester <strong>au</strong> Teatro Colón, dans la version originale de<br />
1879 – sans doute plus élaborée que celle de 1874 – rassemblant sous ma baguette plus de<br />
soixante-dix musici<strong>en</strong>s.<br />
Ester a été <strong>en</strong>sevelie définitivem<strong>en</strong>t avec son compositeur. Lors de nos trav<strong>au</strong>x de<br />
recherche, nous avons eu accès <strong>au</strong>x manuscrits de l’opéra. Conservés dans de m<strong>au</strong>vaises<br />
conditions, ils sont cont<strong>en</strong>us dans un carton du CDM de Bogotá. En ouvrant ces boîtes, on<br />
croit profaner une tombe : une s<strong>en</strong>sation de froid et d’humidité s’élève de la liasse de feuilles ;<br />
l’air y est lourd à respirer ; les manuscrits sont atteints par des champignons, des moisissures,<br />
et peu d’<strong>en</strong>tre eux ont fait l’objet d’une rest<strong>au</strong>ration 125 . Mais comme toute tombe, celle-ci<br />
nous a livré ses secrets.<br />
Quels sont ces secrets d’Ester ? Jusqu’à prés<strong>en</strong>t on ignorait qu’on avait essayé de<br />
reconduire l’opéra sur la scène <strong>en</strong> 1879 puis 1881. Et ce qui est plus importante <strong>en</strong>core, on<br />
n’avait jamais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du parler de ce que j’appelle les versions de 1874 et de 1879.<br />
125 Nous avons appris avec joie que, suite à notre travail sur Ester, le CDM de Bogotá avait exposé, fin<br />
2006, quelques manuscrits du compositeur, comme appui symbolique à cette réhabilitation de Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón dans laquelle nous somme <strong>en</strong>gagés. Pour cette occasion, certains manuscrits ont été rest<strong>au</strong>rés.<br />
Parmi ceux-ci figur<strong>en</strong>t le conducteur, la version chant-piano, ainsi que quelques parties séparées.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
4.4. <strong>Le</strong>sdeuxversionsd’Esterouunopéra<strong>en</strong>chantier<br />
On peut <strong>au</strong>jourd’hui voir une bonne vingtaine de manuscrits d’Ester. Ils sont répartis <strong>en</strong>tre<br />
le CDM et le départem<strong>en</strong>t des livres rares et des manuscrits de la BLAA. « Partition<br />
générale » (conducteur), réductions chant-piano, parties séparées, cette collection<br />
exceptionnelle est presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t établie de la main de Ponce de <strong>Le</strong>ón lui-même.<br />
À la lecture de ces manuscrits, nous avons constaté que, sur une première version de<br />
l’opéra, des corrections et des modifications ont été ajoutées. Ces changem<strong>en</strong>ts sont visibles :<br />
passages biffés <strong>au</strong> crayon rouge ; r<strong>en</strong>vois vers des mesures ajoutées ; papier à musique collé<br />
sur une anci<strong>en</strong>ne version. Par mom<strong>en</strong>ts, c’est même une nouvelle musique ajoutée <strong>au</strong> moy<strong>en</strong><br />
de feuilles de petit format à l’intérieur des cahiers. La conclusion est incontestable : il existe<br />
deux versions de cet opéra.<br />
C’est la prés<strong>en</strong>ce de deux manuscrits établis pour le même rôle qui va nous donner la piste<br />
pour compr<strong>en</strong>dre et dater ce matériel. L’<strong>en</strong>tête de PSs(1) 127 porte l’indication<br />
Sig. Colucci primo t<strong>en</strong>or<br />
En revanche PSs(2) est <strong>au</strong> nom de<br />
S r Ponseggi<br />
La he revisado, y al revisarla la he rehecho íntimam<strong>en</strong>te, la he vuelto a hacer; revive el<br />
recuerdo y se rehace 126 .<br />
Niebla, Miguel de Unamuno<br />
Il s’agit là de la clef à tant d’énigmes ! Et à la presse de nous confirmer que Colucci chante<br />
<strong>en</strong> 1874, alors que Ponseggi est le malheureux ténor de 1879 !<br />
<strong>Le</strong>s parties chorales des ténors PSc (1,2,4 et 5) dat<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t de 1874. On peut même<br />
lire sur PSc(1) et PSc(4) l’indication <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> :<br />
Opera del maestro José M Ponce di Bogota. Giugno 1874<br />
Certains numéros, notamm<strong>en</strong>t le premier chœur, nous sont complètem<strong>en</strong>ts inconnus, car le<br />
compositeur les a fait disparaître du conducteur. Cette première version subsiste<br />
fragm<strong>en</strong>tairem<strong>en</strong>t dans quelques unes des parties séparées, comme celles des ténors. En<br />
revanche, les partitions de ténors Psc(3 et 6) prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t une <strong>au</strong>tre version de ces mêmes<br />
numéros, et sont donc plus réc<strong>en</strong>tes. La partie des cornets à pistons PSo(3) nous montre bi<strong>en</strong><br />
126 « Je l’ai révisé [son roman Niebla], et <strong>en</strong> le révisant je l’ai refais intimem<strong>en</strong>t, je l’ai fait à nouve<strong>au</strong> ;<br />
le souv<strong>en</strong>ir revit et il se r<strong>en</strong>oue. » (M. de Unamuno, Prologue à la troisième édition de Niebla).<br />
127 Voir la description des sources dans la Bibliographie.<br />
189<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
190<br />
une musique qui a été rayée – celle de 1874 – pour laisser place, une portée plus bas, à la<br />
nouvelle version qui s’ajuste à la partie des ténors de 1879.<br />
<strong>Le</strong> livret accolé sous la musique nous donne <strong>au</strong>ssi des indices pour dater ces manuscrits : la<br />
version de 1874, <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> (à une exception près), contraste avec sa version bilingue (itali<strong>en</strong>-<br />
espagnol) de 1879.<br />
Ces nouve<strong>au</strong>x élém<strong>en</strong>ts dans la connaissance de l’opéra permett<strong>en</strong>t de déduire d’<strong>au</strong>tres<br />
détails, tels que la composition de l’orchestre de 1879. L’abs<strong>en</strong>ce de la trompette à cylindre<br />
d’E. Martini 128 , instrum<strong>en</strong>t rare <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, du saxophone et du saxhorn se devine, car<br />
<strong>au</strong>cune de ces trois parties séparées n’a été révisée ni refaite pour 1879. C’est ainsi qu’<strong>au</strong> fil<br />
d’une lecture att<strong>en</strong>tive du matériel d’orchestre, on arrive à reconstruire les différ<strong>en</strong>tes étapes<br />
d’une œuvre inconnue.<br />
Voici les modifications apportées à la version de 1879 :<br />
L’orchestre<br />
Numéros<br />
modifiés<br />
Numéros<br />
refaits<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Abs<strong>en</strong>ce de trompette, de saxophone et de saxhorn <strong>en</strong> 1879<br />
ajout d’une partie de soliste <strong>en</strong> 1879 : Elisa ?<br />
fin du n° 1.<br />
début de la Cavatine d’Ester (n° 2)<br />
début du 2 nd<br />
acte (n° 4)<br />
début de la Romanza d’Ester (n° 9)<br />
fin du Finale (n° 11) (il existe deux versions)<br />
Cabalette du duo n° 3 (fin du 1 er<br />
acte)<br />
Marche Triomphale (n° 6)<br />
Chœur de femmes <strong>en</strong> coulisses (n° 8) réécrit pour voix d’hommes.<br />
Il ne s’agit donc pas d’une révision de fond, mais plutôt d’une correction de la première<br />
version, de cette « improvisation » de 1874. Néanmoins cette partition sonne différemm<strong>en</strong>t<br />
<strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> par la refonte de nombreux morce<strong>au</strong>x que par l’introduction d’une musique<br />
originale. Nous avons <strong>au</strong>ssi découvert qu’il existe deux Finales dans la version de 1879<br />
(n° 11). Une première version (différ<strong>en</strong>te à celle de 1874) qui, sur tous les manuscrits de<br />
1879, est hachurée <strong>en</strong> rouge et réécrite <strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t. On parlera donc du premier ou second<br />
Finale de l’opéra, sans chercher l’impossible et deviner si cette dernière version date de<br />
1881 129 !<br />
128 PSo(4) est <strong>au</strong> nom de « Emilio Martini » qui <strong>en</strong> 1874 jouait la « trompeta de cilindro ».<br />
129 Une fois de plus, nous insistons sur le fait que nous parlons d’une version de 1879 pour la<br />
différ<strong>en</strong>cier de celle de 1874, sans savoir avec exactitude quand ont été apportées les différ<strong>en</strong>tes<br />
révisions, qui, comme nous le constatons, sont nombreuses.
Finalem<strong>en</strong>t, on a <strong>en</strong>fin compris pourquoi le manuscrit d’orchestre prés<strong>en</strong>tait <strong>au</strong>tant de<br />
collettes, des pages non numérotées qui repr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t un numéro précéd<strong>en</strong>t <strong>en</strong> plein milieu du<br />
numéro suivant… les secrets de la partition.<br />
Une dernière déduction, à partir de ces nombreux manuscrits, nous conduit à parler<br />
égalem<strong>en</strong>t de deux versions du livret et introduit la problématique de la langue d’Ester, et plus<br />
généralem<strong>en</strong>t de l’espagnol comme substrat linguistique pour l’opéra. R. Pombo lui-même<br />
l’affirme : après avoir improvisé un livret <strong>en</strong> quelques jours (<strong>en</strong> mars ou avril 1874), il revi<strong>en</strong>t<br />
sur ses vers – une fois la musique déjà écrite – afin d’embellir ce premier jet.<br />
De la même façon que nous avons évoqué les versions de 1874 et 1879 concernant la<br />
musique, nous appellerons ces deux versions littéraires 1 ère et 2 nde versions du livret, sachant<br />
que toutes deux dat<strong>en</strong>t de 1874. On pourrait alors imaginer que Ponce de <strong>Le</strong>ón profite de la<br />
révision de 1879 pour repr<strong>en</strong>dre le nouve<strong>au</strong> poème d’Ester. Qu’<strong>en</strong> est-il ?<br />
Intéressons-nous <strong>au</strong>x paroles du premier chœur de l’opéra (n° 1) puisque nous pouvons<br />
confronter les deux versions. <strong>Le</strong>s textes de PSc(1) et de PSc(2) sont <strong>en</strong> itali<strong>en</strong>. Mais une ligne<br />
<strong>en</strong> espagnol a été rajoutée à PSc(2). La version de PS(3) prés<strong>en</strong>te trois textes juxtaposés : un<br />
nouve<strong>au</strong> texte itali<strong>en</strong>, ainsi que deux textes <strong>en</strong> espagnol : celui de PSc(2) plus un <strong>au</strong>tre écrit <strong>en</strong><br />
bleu.<br />
[...], campi diletti<br />
PSc(1) et PSc(2) PSc(3)<br />
Dove le tombe de nostri patri<br />
Da verdi salici sono coperte<br />
Dove piegaron le lor cervici<br />
[...], campi diletti<br />
Do son le tombe de nostri padre<br />
I solo i salici pianggon per essi<br />
Muti chinando le triste tempie [:]<br />
PSc(2) et PSc(3) PSc(3)<br />
[…]… campos queridos<br />
Donde las tumbas de nuestros padres<br />
se hallan sombreadas por verdes s<strong>au</strong>ces<br />
Donde doblaron ellos su ci<strong>en</strong><br />
[…], cárm<strong>en</strong>es bellos<br />
Suelo del polvo de nuestros padres,<br />
Do solo s<strong>au</strong>ces lloran por ellos<br />
Doblando mudos la triste si<strong>en</strong> [!]<br />
Table<strong>au</strong> 10 : Exemple de pluritextualité dans Ester (n°1)<br />
<strong>Le</strong> livret de la version de 1879 (PSc(3)) est donc différ<strong>en</strong>t de celui de 1874. Cela confirme<br />
191<br />
que R. Pombo a retravaillé son poème pour la publication après qu’il eut été traduit et mis <strong>en</strong><br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
192<br />
musique <strong>en</strong> juillet 1874. Quant <strong>au</strong>x manuscrits voc<strong>au</strong>x de la version de 1879 – c’est le cas de<br />
PSc(3) –, ils adopt<strong>en</strong>t tous la version définitive du livret.<br />
Voici un <strong>au</strong>tre exemple de diverg<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre les deux versions du poème. Nous transcrivons<br />
les deux versions de la première réplique chantée par Asuero, dont il existe deux parties<br />
séparées :<br />
Si perfido colpo avea gia obbliato<br />
E il fido mio servo che salva il mio imperio<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
PSs(1) PSc(2)<br />
Ancor non ebbe giustisimo premio e dove si trova<br />
Fu grande il periglio, terribil sua sorte<br />
Ed io gia obbliava il buon servitor<br />
Gli debbo la vita Che premio glio diero?<br />
En dove si trova<br />
Fue grande el peligro terrible su suerte<br />
Y yo ya olvidaba al bu<strong>en</strong> servidor<br />
<strong>Le</strong> debo la vida [.] Que premio le dieron?<br />
En donde se <strong>en</strong>cu<strong>en</strong>tra?<br />
Table<strong>au</strong> 11 : Exemple de pluritextualité dans Ester (n°4)<br />
La version de 1874 ne propose pas de texte <strong>en</strong> espagnol. Comme dans l’exemple précéd<strong>en</strong>t,<br />
les paroles sur la partition de 1879 repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la seconde version du poème. Une analyse plus<br />
détaillée met <strong>en</strong> valeur la créativité poétique que Pombo investit pour la seconde version. Car<br />
la première version reste be<strong>au</strong>coup plus proche de son modèle racini<strong>en</strong> :<br />
130 Racine, Esther (II, 3).<br />
ASSUÉRUS, assis sur son trône<br />
Je veux bi<strong>en</strong> l’avouer :<br />
de ce couple perfide<br />
j'avois presque oublié l'att<strong>en</strong>tat parricide ;<br />
et j'ai pâli deux fois <strong>au</strong> terrible récit<br />
qui vi<strong>en</strong>t d' <strong>en</strong> retracer l'image à mon esprit.<br />
Je vois de quel succès leur fureur fut suivie,<br />
et que dans les tourm<strong>en</strong>ts ils laissèr<strong>en</strong>t la vie.<br />
Mais ce sujet zélé qui, d’un œil si subtil,<br />
sut de leur noir complot développer le fil,<br />
qui me montra sur moi leur main déjà levée,<br />
<strong>en</strong>fin par qui la Perse avec moi fut s<strong>au</strong>vée,<br />
quel honneur pour sa foi, quel prix a-t-il reçu 130 ?
En 1880, R. Pombo publie le livret de Florinda. Il ajoute dans son introduction une<br />
« Romance du roi Asuero (ajoutée dans l’Ester), 3 ème acte, qui manquait <strong>au</strong> livret 131 », datée<br />
du 8 juillet 1874. <strong>Le</strong> public se demande si le compositeur a ajouté ce numéro de musique<br />
somme toute att<strong>en</strong>du, puisque dans l’opéra le ténor n’a pas d’air à lui seul. Nous croyions bi<strong>en</strong><br />
que ces vers, ajoutés par le poète <strong>au</strong> l<strong>en</strong>demain de la reprise d’Ester, avai<strong>en</strong>t été mis <strong>en</strong><br />
musique par Ponce de <strong>Le</strong>ón. Pourtant, la partie d’Asuero de 1879 ne les inclut pas. D’où l’on<br />
peut conclure que Ponce de <strong>Le</strong>ón n’a pas mis <strong>en</strong> musique cette romance. Car il est étonnant<br />
qu’elle ne figure nulle part sur les différ<strong>en</strong>ts manuscrits qui ont été de la même façon<br />
remaniés.<br />
L’oubli d’Ester, la méconnaissance totale de cet Opéra national balbutiant – trois œuvres<br />
<strong>lyrique</strong>s <strong>en</strong> cinq ans – est une réalité affligeante dans l’histoire de la musique <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
Qui ne s’étonne pas <strong>en</strong> appr<strong>en</strong>ant qu’un compositeur écrivit jadis des opéras à Bogotá ?<br />
Comm<strong>en</strong>t pouvons-nous expliquer cet oubli ? Ce manque d’intérêt ? De nos jours, le musici<strong>en</strong><br />
colombi<strong>en</strong> a hérité une m<strong>en</strong>talité du début de <strong>siècle</strong>, nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons le XX e <strong>siècle</strong>, m<strong>en</strong>talité<br />
qui a voulu effacer l’héritage musical du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. En créant le Conservatorio de música<br />
<strong>en</strong> 1910, Guillermo Uribe Holguín a voulu donner naissance à une nouvelle ère dans la<br />
musique colombi<strong>en</strong>ne. Mais il va <strong>en</strong>terrer avec l’Academia nacional de música tout le<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Et comm<strong>en</strong>t !<br />
Enrico Rossi, chanteur et promoteur de la saison <strong>lyrique</strong> de 1874 s’installe définitivem<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> pour une longue retraite. Rossi, le grand Rossi qui dès 1858 n’a cessé de<br />
travailler pour l’opéra à Bogotá, qui <strong>en</strong> 1874 couve la création du premier opéra colombi<strong>en</strong>.<br />
Rossi meurt dans la misère – Petrilli finira ses jours comme barbier à Bogotá 132 –, cruelle<br />
métaphore de l’opéra à Bogotá !<br />
Ayant atteint un grand âge, le gouvernem<strong>en</strong>t donna [à Rossi Guerra¡Error! Marcador no<br />
definido.] asile comme jardinier dans l’anci<strong>en</strong>ne ferme de Segovia. […] Il nous invitait de<br />
temps à <strong>au</strong>tre dans un pavillon qui lui servait de demeure dans le jardin, […] et, tout <strong>en</strong> faisant<br />
de mélancoliques retours sur sa vie d’artiste, il nous disait :<br />
« Ainsi tel que vous me voyez, lorsque j’<strong>en</strong>tonnais ici, dans le Coliseo, l’air final de Lucia di<br />
Lammermoor « Tu che a Dio spiegasti », les plus belles filles de Bogotá pleurai<strong>en</strong>t à ch<strong>au</strong>des<br />
larmes. »<br />
Et <strong>au</strong> ténor, la coupe à la main, d’une voix râpeuse mais d’une justesse impeccable, de chanter<br />
l’air romantique. Et des ses yeux bleus, des larmes coulai<strong>en</strong>t. […] Nos yeux dev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />
131 Romanza del Rey Asuero (Añadida <strong>en</strong> la « Ester, » acto 3.°, que faltaba <strong>en</strong> el libreto), R. Pombo,<br />
1880 : 5.<br />
132 J.I. Perdomo Escobar, 1979 : 16.<br />
193<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
194<br />
humides à l’image du mélancolique crépuscule de cet être arrivé jeune sur ce froid et lointain<br />
plate<strong>au</strong>, […] mourant de vieillesse, de solitude et de nostalgie.<br />
Si<strong>en</strong>doyamuyanciano,elgobiernoledióunrefugiocomojardinero<strong>en</strong>laantiguaquinta<br />
Segovia.HuertadeJaime.Allímismo<strong>en</strong>esosjardines,había<strong>en</strong>contradoundromaderio,resto<br />
deunaparejadecamellosydeotraparejadedromedariosqueelseñorNavasAsuerohabía<br />
traidodeArgelia,paratratardeaclimatarlos<strong>en</strong>Anapoimaydeobt<strong>en</strong>ercríadeellos.Cuando<br />
lostrajoaBogotáparaexhibirlos,laparejadecamellosylahembradeldromedariomurieron<br />
de pulmonía. El sobrevivi<strong>en</strong>te, como ejemplar para un jardín zoológico proyectado, fue<br />
compradoporelgobiernoyunidoalt<strong>en</strong>orRossiGuerra<strong>en</strong>losjardinesdelaquintaSegovia.<br />
Elitaliano[..]nosinvitabadecuando<strong>en</strong>cuandoalaespeciedekioskoque<strong>en</strong>eljardínle<br />
servíademorada,acomermacarronimaravillosos,llevandolabotelladevino.Enlamesa[…]<br />
hacíareminisc<strong>en</strong>ciasmelancólicasdesuvidadeartistaynosdecía:<br />
Asícomomev<strong>en</strong>ustedes,cuandoyo<strong>en</strong>tonabaaquí,<strong>en</strong>elColiseo,elariafinaldet<strong>en</strong>or<br />
<strong>en</strong>LuciadeLammermoor:TucheaDioSpiegasti…,lasmaslindasmuchachasdeBogotá<br />
llorabanalágrimaviva.<br />
Yelv<strong>en</strong>trudot<strong>en</strong>or,conlacopadevino<strong>en</strong>lamano,convozcascadapero<strong>en</strong>tonación<br />
impecable,noscantabaelariaromántica,ydesusojossedesbordabanlaslágrimas.Ental<br />
mom<strong>en</strong>to,porlaparteasaltadela<strong>en</strong>redadera,seasomabalacabezadescarnadaylastimosa<br />
deldromedariosobrevivi<strong>en</strong>te.Lostresmozoss<strong>en</strong>tíansusojoshumedecersealcontemplarel<br />
melancólicoocasodeesosdosseresv<strong>en</strong>idosjóv<strong>en</strong>esaestaaltiplaniciedríayremota,eluno<br />
delaflorecidaItalia,elotrodelÁfricareseca,unidosporlasuertedeunmismoasiloyqueya<br />
semoríanalapardevejez,desoledadyd<strong>en</strong>ostalgia 133 .<br />
133 Anecdote racontée par L<strong>au</strong>reano García Ortiz (Perdomo Escobar, 1938/1980 : 131).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
5. Verslasynthèsedesstyles:lazarzuelaElCastillo<br />
misterioso(1876)<br />
J<br />
usqu’à l’arrivée de Josefa Mateo et de sa troupe <strong>en</strong> février 1876, la zarzuela était un<br />
g<strong>en</strong>re inconnu à Bogotá. Du moins, pas la zarzuela grande <strong>en</strong> trois actes, celle qui<br />
amorçait le r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> du g<strong>en</strong>re <strong>en</strong> Espagne depuis les années 1850, illustré notamm<strong>en</strong>t par<br />
Francisco As<strong>en</strong>jo Barbieri (1823-1894) et Joaquín Gaztambide (1822-1870).<br />
G<strong>en</strong>re princier <strong>au</strong> XVIII e <strong>siècle</strong>, la zarzuela baroque rayonne hors des frontières de<br />
l’Espagne. <strong>Le</strong>s cours vice-royales de Lima ou de Mexico sont même dev<strong>en</strong>ues le théâtre de<br />
nouvelles créations, œuvres d’Espagnols partis <strong>en</strong> Amérique ou d’Américains formés par des<br />
Espagnols. Tomás de Torrejón y Velasco à Lima, le « Versailles de l’hémisphère Sud 1 »,<br />
Manuel de Sumaya, à Mexico, écriv<strong>en</strong>t des zarzuelas pour célébrer les grandes heures de la<br />
dynastie espagnole des Bourbons 2 . En revanche, il n’existe pas de tradition du g<strong>en</strong>re baroque<br />
dans la cour des Vice-rois de la Nouvelle-Gr<strong>en</strong>ade, anci<strong>en</strong> nom de la <strong>Colombie</strong> sous le régime<br />
colonial. <strong>Le</strong>s quelques zarzuelas écrites <strong>au</strong> XVIII e <strong>siècle</strong> <strong>en</strong> Amérique rest<strong>en</strong>t des spectacles<br />
privés, circonscrits <strong>en</strong>tre les murs des palais de la noblesse, faits d’exception qui ne<br />
s’inscriv<strong>en</strong>t dans <strong>au</strong>cune tradition de zarzuela.<br />
La zarzuela disparaît <strong>en</strong> Espagne avec le nouve<strong>au</strong> <strong>siècle</strong>, alors que Napoléon place son frère<br />
Joseph sur le trône ibérique. <strong>Le</strong>s nouve<strong>au</strong>x g<strong>en</strong>res music<strong>au</strong>x qui triomph<strong>en</strong>t à Madrid sont le<br />
sainete et la tonadilla. Ces nouvelles pièces, articulées <strong>au</strong>tour de l’élém<strong>en</strong>t bouffe, font<br />
alterner des dialogues parlés avec des airs, des chansons, des <strong>en</strong>sembles chantés et des danses<br />
castillanes. La tonadilla, version madrilène du v<strong>au</strong>deville parisi<strong>en</strong>, se caractérise par des<br />
paroles simples et une musique d’origine populaire ibérique (séguedille, fandango…) facile à<br />
ret<strong>en</strong>ir. Elle est chantée par un ou deux acteurs s’accompagnant à la guitare ou à la harpe,<br />
dansant <strong>au</strong> rythme de castagnettes, de tambours de basque, etc. Fort de leur succès, les artistes<br />
espagnoles s’av<strong>en</strong>tur<strong>en</strong>t dans le Nouve<strong>au</strong> Monde, apport<strong>en</strong>t dans leurs malles un répertoire de<br />
tonadillas qui s’impose rapidem<strong>en</strong>t dans tout le contin<strong>en</strong>t sud-américain.<br />
5.1. LazarzuelaàBogotá<br />
<strong>Le</strong>s sainetes et tonadillas sont les premières œuvres à avoir été jouées sur la scène du tout<br />
juste construit Coliseo Ramírez à Bogotá, vers 1783. <strong>Le</strong>s premières vedettes de la scène, la<br />
1 A. Pacquier, 1996 : 257.<br />
2 Voir §.1.2.1.
196<br />
Jerezana, la Cebollino, apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à l’aristocratie espagnole de Bogotá. Interprétée par la<br />
Jerezana, épouse du Second Marquis de San Jorge, la tonadilla reste associée à une<br />
manifestation noble et espagnole, synonyme de bon goût pour une nation à la recherche de<br />
repères esthétiques.<br />
<strong>Le</strong> panorama <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> Amérique du Sud p<strong>en</strong>dant les premières déc<strong>en</strong>nies du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> –<br />
alors que l’opéra itali<strong>en</strong> ne s’est pas <strong>en</strong>core imposé dans les théâtres – est ainsi illustré par un<br />
répertoire bouffe <strong>en</strong> filiation directe avec l’intermezzo napolitain et le théâtre de la Foire<br />
Saint-Germain. Mais si <strong>en</strong> Europe ces spectacles se développ<strong>en</strong>t <strong>en</strong> parallèle à l’opera seria, à<br />
la tragédie <strong>lyrique</strong> ou à la zarzuela baroque, le public latino-américain, quant à lui, n’a pas<br />
accès <strong>au</strong> versant sérieux de la création <strong>lyrique</strong>, sans doute étant donné le besoin d’une<br />
logistique plus compliquée pour sa représ<strong>en</strong>tation. L’idée que l’on peut se faire de la<br />
production <strong>lyrique</strong> est donc incomplète. À Bogotá, il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre 1836 pour que la troupe<br />
Villalba donne des extraits d’opéras itali<strong>en</strong>s ; vingt ans de plus pour voir <strong>en</strong>fin un opéra mis<br />
<strong>en</strong> scène.<br />
En 1876, la compagnie Colomé arrive à Bogotá avec un nouve<strong>au</strong> répertoire de zarzuela. <strong>Le</strong>s<br />
Bogotains, <strong>en</strong>core sous le souv<strong>en</strong>ir de la saison itali<strong>en</strong>ne Rossi-d’Achiardi et de la création<br />
d’Ester, accueill<strong>en</strong>t avec joie cette nouvelle troupe v<strong>en</strong>ue d’Europe, donnant un nouvel élan à<br />
ces spectacles civilisateurs dont certains sont friands. S’agit-il de la même zarzuela qui<br />
jusqu’alors avait été représ<strong>en</strong>tée <strong>au</strong> Coliseo ? Quelles sont les att<strong>en</strong>tes du public qui va <strong>au</strong><br />
théâtre assister à une zarzuela ?<br />
5.1.1.<br />
Au <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, le nom de zarzuela <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> semble désigner tout spectacle espagnol à<br />
vocation comique, faisant <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre quelques numéros music<strong>au</strong>x à l’intérieur d’une pièce<br />
dialoguée.<br />
La prét<strong>en</strong>due zarzuela n’est ri<strong>en</strong> d’<strong>au</strong>tre qu’un assemblage de morce<strong>au</strong>x comiques avec deux<br />
ou trois chansonnettes incrustées, chantées par un seul acteur. Voyez donc, quelle zarzuela 3 !<br />
L’élém<strong>en</strong>t le plus important des zarzuelas, celui qui semble les définir, <strong>au</strong>ssi diverses<br />
soi<strong>en</strong>t-elles, est la langue : l’espagnol. <strong>Le</strong> mot zarzuela ne s’applique que pour les œuvres<br />
avec dialogues et chants <strong>en</strong> espagnol. Ce sont des spectacles représ<strong>en</strong>tés par des compagnies<br />
dramatiques espagnoles, avec des moy<strong>en</strong>s be<strong>au</strong>coup moins importants que ceux de l’opéra.<br />
3 « La fem<strong>en</strong>tida zarzuela no es sino un zurcido de retazos cómicos con incrustación de dos o tres<br />
cancioncitas a cargo de uno de los actores solam<strong>en</strong>te. Mir<strong>en</strong> ustedes ¡qué zarzuela! » (« Teatro », El<br />
Espectador, Medellín (56), 17 avril 1888 : 235. Cité par M. Lamus Obregón, 2004 : 213).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Pourtant, caractériser le g<strong>en</strong>re devi<strong>en</strong>t plus difficile : il existe nombreux types de zarzuelas<br />
selon les époques !<br />
<strong>Le</strong>s compagnies itinérantes avai<strong>en</strong>t trouvé dans le comique un succès sûr qui leur permettait<br />
d’amortir l’<strong>en</strong>treprise financière qu’était l’av<strong>en</strong>ture de la traversée de l’Atlantique. Ces<br />
troupes espagnoles importai<strong>en</strong>t avant tout le répertoire bouffe à grand succès <strong>en</strong> Espagne. <strong>Le</strong><br />
public s’étant habitué à des situations comiques, aimait à célébrer les « recours […]<br />
répugnants […] et préfér[ait] appl<strong>au</strong>dir les grimaces, <strong>en</strong> laissant passer sous sil<strong>en</strong>ce les<br />
véritables be<strong>au</strong>tés 4 . » Dans l’imaginaire colombi<strong>en</strong> du milieu du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, la zarzuela ne<br />
pouvait être qu’espagnole, rattachée à une scène à grands effets comiques. Et à R. Pombo<br />
d’ironiser :<br />
Lorsque vous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>drez le public appl<strong>au</strong>dir furieusem<strong>en</strong>t un morce<strong>au</strong> du grand maestro<br />
Barbieri, n’imaginez pas que c’est la musique qu’il admire. Regardez de tous côtés et vous<br />
découvrirez qu’un acteur vi<strong>en</strong>t de faire une singerie, ou qu’un chi<strong>en</strong> traverse la scène.<br />
Cuandooigáisapl<strong>au</strong>dir[alpúblico]furiosam<strong>en</strong>tealgúntrozodelgranmaestroBarbieri,no<br />
imaginéisqueloqueadmiraneslamúsica;miradportodosladosydescubriréisquealgún<br />
actorhahechounamonada,oalgúnperrohainvadidolaesc<strong>en</strong>a 5 .<br />
Un troisième élém<strong>en</strong>t caractérise ce théâtre espagnol : la musicalisation de la scène parlée,<br />
<strong>au</strong>ssi sommaire fût-elle, par la tonadilla et le sainete. Qu’elle fût l’objet principale de la soirée<br />
(séances <strong>lyrique</strong>s), qu’elle vînt agrém<strong>en</strong>ter des œuvres dramatiques ou comiques (séances<br />
dramatiques), la musique avait toujours sa place <strong>au</strong> théâtre à Bogotá. La scène du Coliseo,<br />
avide de briller comme à <strong>Paris</strong>, comme à Madrid, pratiquait un mélange des g<strong>en</strong>res. En guise<br />
d’exemple, voici le programme d’une séance dramatique annoncée pour le dimanche<br />
14 septembre 1874 6 :<br />
4<br />
« […] las zarzuelas no pued<strong>en</strong> librarse […] de ciertos recursos […] repugnantes. Nuestra g<strong>en</strong>te […]<br />
ha dado <strong>en</strong> apl<strong>au</strong>dir las muecas y deja pasar desapercibidas bellezas verdaderas… » (« Revista de<br />
teatro » (David), El Verjel Colombiano (23), 18 mars 1876 : 183-184).<br />
5<br />
« El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), mardi 2<br />
mai 1876 : 1381.<br />
6<br />
« Anuncios », Diario de Cundinamarca (IV.1130), 12 septembre 1876 : 1076.<br />
197<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
198<br />
1. Symphonie<br />
2. <strong>Le</strong> nouve<strong>au</strong> drame <strong>en</strong> trois actes et <strong>en</strong> prose,<br />
arrangé pour le théâtre espagnol par don José<br />
María Gutiérrez de Alba :<br />
LA MUJER SIN CORAZÓN<br />
œuvre de grande moralité, où sont mis <strong>en</strong> relief les<br />
ravages de la coquetterie.<br />
3. Intermède de musique<br />
4. et dernier. La fameuse pièce <strong>en</strong> un acte :<br />
MARUJA, où le premier rôle sera t<strong>en</strong>u par Madame<br />
Fernandez.<br />
On remarquera que cette séance mixte propose une œuvre de « grande moralité » – le<br />
théâtre se doit édificateur – suivie de la comédie <strong>en</strong> un acte Maruja de Luis de Olona (1823-<br />
1863). Cette programmation s’articule <strong>en</strong> fonction d’une nécessité esthétique : après la<br />
catharsis opérée par le drame, la t<strong>en</strong>sion doit être dét<strong>en</strong>due <strong>en</strong> fin de séance. <strong>Le</strong> lieto fine est<br />
de rigueur à l’échelle de la soirée dramatique. Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, la symphonie initiale et<br />
l’intermède musical attir<strong>en</strong>t notre att<strong>en</strong>tion et confirm<strong>en</strong>t la prés<strong>en</strong>ce de la musique sur la<br />
scène théâtrale.<br />
La sortie de spectacle comportait souv<strong>en</strong>t des morce<strong>au</strong>x chantés. On <strong>au</strong>rait pu appeler<br />
zarzuela une pièce <strong>en</strong> un acte avec un seul morce<strong>au</strong> chanté. Lors de cette même saison<br />
dramatique de 1873-1874, la troupe de la Pepa Fernandez crée une zarzuela colombi<strong>en</strong>ne, El<br />
18 de Julio o ¡Viva la Federación ! écrite par Honorato Barriga 7 . Autodidacte comme bi<strong>en</strong><br />
des compositeurs colombi<strong>en</strong>s, H. Barriga participe depuis 1853 <strong>au</strong>x différ<strong>en</strong>tes productions<br />
théâtrales, colombi<strong>en</strong>nes ou espagnoles, <strong>en</strong> tant qu’acteur et chanteur. Là <strong>en</strong>core, le terme de<br />
zarzuela est utilisé pour une pièce qui devait comporter quelques chansons de facture simple 8 .<br />
En revanche, le sujet semble être nouve<strong>au</strong> puisqu’<strong>en</strong> relation avec l’histoire de la <strong>Colombie</strong>.<br />
En 1871, année qui marque le retour de Ponce de <strong>Le</strong>ón à Bogotá, la Compagnie de<br />
Variedades y Miscelánica dirigée par Nicolás Pontón occupe la scène de Bogotá. <strong>Le</strong>s<br />
spectateurs pouvai<strong>en</strong>t ainsi assister à des œuvres de théâtre et des comédies espagnoles de<br />
Tamayo y B<strong>au</strong>s, M<strong>en</strong>cía, García González, Eguílaz… <strong>Le</strong> Sexteto de la Harmonía jouait<br />
p<strong>en</strong>dant les <strong>en</strong>tractes, ou pr<strong>en</strong>ait <strong>en</strong> charge un des numéros du programme. À Marina Thiolier<br />
7 M. Lamus Obregón, 2004 : 159.<br />
8 Honorato Barriga est surtout connu pour son travail d’acteur et de promoteur du théâtre national. On<br />
peut imaginer qu’il ait écrit occasionnellem<strong>en</strong>t de la musique, habitué à chanter des zarzuelas. Mais il<br />
n’est pas connu <strong>en</strong> tant que compositeur.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
1ºSinfonía<br />
2º El drama nuevo, <strong>en</strong> tres actos i <strong>en</strong> prosa,<br />
arregladoalteatroespañolpordonJoséMaría<br />
GutiérrezdeAlba,titulado:<br />
LAMUJERSINCORAZÓN<br />
Obra de alta moralidad, <strong>en</strong> que se pon<strong>en</strong> de<br />
relievelosestragosdelacoquetería.<br />
3ºintermediodemúsica.<br />
4º i último. La acreditada pieza <strong>en</strong> un acto<br />
titulada: MARUJA, <strong>en</strong> la que desempeñará el<br />
principalpapellaseñoraFernández.<br />
Exemple 5 : Programme de la Séance Dramatique donnée le 14 septembre 1874<br />
<strong>au</strong> Coliseo de Bogotá
de chanter <strong>en</strong>suite des fragm<strong>en</strong>ts d’opéras de Bellini. Une zarzuela était chantée et dansée.<br />
Enfin, une pantomime v<strong>en</strong>ait clore la soirée : El cuadro de V<strong>en</strong>us, Las cuatro estaciones, Las<br />
ninfas <strong>en</strong> la tumba de Adonis, des table<strong>au</strong>x visuels d’une be<strong>au</strong>té plastique inconnue dans la<br />
ville, accompagnés par des morce<strong>au</strong>x de musique « nationale », c'est-à-dire des danses<br />
composées par les compositeurs bogotains 9 . Malheureusem<strong>en</strong>t nous ne connaissons pas les<br />
détails concernant le choix de la musique.<br />
En se r<strong>en</strong>dant à l’opéra, le public s’att<strong>en</strong>d à un spectacle où la musique prime. Mais<br />
l’annonce d’une zarzuela était l’équival<strong>en</strong>t d’une comédie, d’une farce où les acteurs étai<strong>en</strong>t<br />
des personnages du quotidi<strong>en</strong>. Dans ce cas, une partie des spectateurs n’était pas prête à faire<br />
des concessions du point de vue musical :<br />
La foule non-artistique remplissait le théâtre, comme de la paille qui bourre une boîte de<br />
cristal. Une de ces candides personnes reprochait : « cette comédie n’avance pas ; les acteurs<br />
s’arrêt<strong>en</strong>t trop longtemps pour chanter des bêtises sans <strong>au</strong>cun prétexte, <strong>au</strong> lieu de faire avancer<br />
l’action, pour savoir ce qui va se passer ». Une <strong>au</strong>tre demandait « pourquoi mettre cette<br />
musique qui ne laisse pas <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre clairem<strong>en</strong>t ce qui est dit » ; une <strong>au</strong>tre « quelle grossièreté<br />
que de crier tous <strong>en</strong> même temps. »<br />
Laplebeinartísticaquecolmabaelteatroasícomorell<strong>en</strong>adepaj<strong>au</strong>ncajóndecristalería.<br />
Unodeestosinoc<strong>en</strong>tesc<strong>en</strong>surabaque“estacomedianoanda;losactoressedeti<strong>en</strong><strong>en</strong>largos<br />
ratosacantarmajaderíassinpretextoninguno,<strong>en</strong>vezdeadelantarel<strong>en</strong>redo,paraver<strong>en</strong>lo<br />
quepara;”otropreguntabaque“porquésemeteesamúsicaanodejaroírbi<strong>en</strong>claroloque<br />
dic<strong>en</strong>;”otro“quegroseríaladegritartodos<strong>au</strong>ntiempo 10 .”<br />
Quel contraste apportait alors chaque saison d’opéra ! <strong>Le</strong> registre sérieux, les personnages<br />
nobles, le recul historique avait de quoi ravir le public. Tout l’opposait à la zarzuela, dont<br />
cette première approche sémantique nous permet de compr<strong>en</strong>dre que ce g<strong>en</strong>re était synonyme<br />
de tout et de ri<strong>en</strong> à la fois. Mais voilà que la compagnie de 1876 prés<strong>en</strong>te des spectacles<br />
différ<strong>en</strong>ts : zarzuelas <strong>en</strong> trois actes, dépassant les deux heures, incompatibles avec l’idée que<br />
l’on se faisait jusqu’alors de celles-ci. Il n’est plus étonnant de lire, dans de nombreux<br />
comptes-r<strong>en</strong>dus, que l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait une zarzuela « d’une musique élevée et sérieuse […],<br />
t<strong>en</strong>dant à la magnific<strong>en</strong>ce de l’opéra 11 ». Dans l’imaginaire d’alors, on le voit, l’opéra reste <strong>au</strong><br />
sommet de la hiérarchie du spectaculaire.<br />
Nous pouvons donc affirmer que les zarzuelas représ<strong>en</strong>tées p<strong>en</strong>dant les premières années de<br />
la vie républicaine <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> échapp<strong>en</strong>t à une définition générique. <strong>Le</strong> terme <strong>en</strong>velopperait<br />
9<br />
Énumération et description faite par M. Lamus Obregón, 2004 : 151.<br />
10<br />
« El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai<br />
1876 : 1381.<br />
11<br />
«… de una música elevada y seria […] con t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>cia a lo magnífico de la ópera » (« La vieja y los<br />
diamantes » (David), El Verjel colombiano (21), 4 mars 1876).<br />
199<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
200<br />
tout spectacle d’origine espagnole, dialogué et chanté <strong>en</strong> espagnol, intégrant de la musique.<br />
On a même parlé d’un ténor v<strong>en</strong>u à Bogotá <strong>en</strong> 1858 ou 1859 qui proposait « une<br />
représ<strong>en</strong>tation de caractère plutôt mystique que profane […] pour célébrer Noël 12 ». C’était<br />
pourtant une « zarzuela »… Cette difficulté à saisir le g<strong>en</strong>re – difficulté qui persiste pour<br />
l’histori<strong>en</strong> d’<strong>au</strong>jourd’hui – est vécue par les contemporains. D’où la réaction du public<br />
bogotain lorsque s’ouvre <strong>en</strong> février 1876 la nouvelle saison de zarzuela espagnole.<br />
5.1.2.<br />
La Compagnie Colomé est annoncée pour la première fois le 31 janvier 1876 : la presse<br />
notifie de son arrivée prochaine sur le h<strong>au</strong>t plate<strong>au</strong> de Bogotá 13 . Après s’être produite dans les<br />
« meilleurs théâtres d’Espagne et dans le grand théâtre Tacón à la Havane, elle arrive de<br />
Caracas où elle a été subv<strong>en</strong>tionnée p<strong>en</strong>dant six mois par le Gouvernem<strong>en</strong>t national 14 . » Son<br />
impresario, Carlos Rodríguez 15 , <strong>en</strong>couragé par le succès qu’avait obt<strong>en</strong>u deux ans plus tôt la<br />
Compagnie d’opéra Rossi-d’Achiardi, fait appel <strong>au</strong>x sept acteurs-chanteurs « princip<strong>au</strong>x 16 » et<br />
<strong>au</strong> chef d’orchestre de la troupe espagnole. La plus grande compagnie dramatique v<strong>en</strong>ue à ce<br />
jour ! Dramatique ou <strong>lyrique</strong> ? Difficile de se prononcer pour le mom<strong>en</strong>t. On annonce des<br />
spectacles<br />
qui tout <strong>en</strong> proposant les attraits de l’art dramatique feront les délices de nos oreilles avec des<br />
morce<strong>au</strong>x de chant choisis, chantés dans la belle langue castillane.<br />
quealmismotiempoqu<strong>en</strong>osbrindarántodoslosatractivosdelartedramáticodeleitarán<br />
nuestrosoídosconescojidas[sic.]piezasdecanto,<strong>en</strong>tonadas<strong>en</strong>elbelloidiomacastellano 17 .<br />
<strong>Le</strong> dimanche 13 février 1876 la saison est ouverte avec El Relámpago, zarzuela <strong>en</strong> trois<br />
actes de Barbieri, sur un texte de Camprodón. À la ville d’être émerveillée ! On <strong>au</strong>ra<br />
difficilem<strong>en</strong>t pu dater avec <strong>au</strong>tant de précision l’arrivée d’un nouve<strong>au</strong> g<strong>en</strong>re à Bogotá.<br />
La zarzuela grande était mal connue dans la capitale colombi<strong>en</strong>ne. Comme l’opéra, elle<br />
faisait appel à un grand apparat scénique, ce qui r<strong>en</strong>dait sa représ<strong>en</strong>tation difficile. <strong>Le</strong>s<br />
personnages nombreux devai<strong>en</strong>t pouvoir interpréter des morce<strong>au</strong>x vocalem<strong>en</strong>t complexes.<br />
12 « Algo sobre teatro » (David), El Verjel colombiano (19), 17 février 1876 : 145.<br />
13 « Zarzuela española », Diario de Cundinamarca (VII.1844), 31 janvier 1876 : 294.<br />
14 « Sabemos que dicha Compañía ha trabajado <strong>en</strong> los primeros teatros de España i <strong>en</strong> el gran teatro de<br />
Tacón, <strong>en</strong> la Habana. Ahora vi<strong>en</strong>e de Caracas <strong>en</strong> donde estuvo subv<strong>en</strong>cionada por el Gobierno<br />
nacional durante seis meses. » (Ibid.).<br />
15 « Algo sobre teatro » (David), El Verjel colombiano (19), 17 février 1876 : 145.<br />
16 «…toda compuesta de primeras partes… » (« Zarzuela española », Diario de Cundinamarca<br />
(VII.1844), 31 janvier 1876: 294).<br />
17 Ibid.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Contrairem<strong>en</strong>t à ceux de l’opéra, ils devai<strong>en</strong>t posséder des qualités d’acteur pour les parties<br />
dialoguées. En plus du grand nombre de solistes, le chœur avait un rôle important dans<br />
l’œuvre. Costumes, décors, mouvem<strong>en</strong>ts scéniques… tout contribuait à faire de cette zarzuela<br />
un spectacle sans précéd<strong>en</strong>t. Et pour reh<strong>au</strong>sser son éclat, un grand orchestre devait<br />
l’accompagner depuis la fosse. L’<strong>en</strong>treprise était colossale !<br />
En 1868, la compagnie espagnole <strong>lyrique</strong> Bl<strong>en</strong> avait essayé d’introduire la zarzuela grande<br />
à Bogotá. Après s’être produite avec succès à Cuba, <strong>au</strong> Mexique, à Porto Rico et <strong>au</strong><br />
V<strong>en</strong>ezuela, la troupe arrive à Cartag<strong>en</strong>a <strong>en</strong> 1867 dans le but de remonter vers Bogotá 18 . Son<br />
succès allait de pair avec un personnel nombreux : treize chanteurs, huit choristes, un pianiste,<br />
un chef d’orchestre, un violoniste et un souffleur. Pourtant peu de ses membres arriv<strong>en</strong>t à<br />
Bogotá <strong>en</strong> 1868. Més<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tes dans la troupe ? Difficultés économiques ? <strong>Le</strong>s neuf acteurs qui<br />
parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à la capitale propos<strong>en</strong>t d’abord une saison dramatique. Associés <strong>en</strong>suite <strong>au</strong>x<br />
chanteurs résidant à Bogotá, ils vont ajouter quelques titres ambitieux de zarzuela grande<br />
comme El Relámpago, Los diamantes de la corona, Los Magiares, El Juram<strong>en</strong>to et Jugar con<br />
fuego. Nous ne possédons pas assez de docum<strong>en</strong>tation sur cette saison, mais tout porte à<br />
croire que la partie musicale était assurée par un petit <strong>en</strong>semble de musici<strong>en</strong>s. L’œuvre, ainsi<br />
dénaturée, doit subir des coupures <strong>en</strong> l’abs<strong>en</strong>ce de chœurs, de figurants, de danseurs.<br />
Impossible de parler de zarzuela grande dans ces conditions.<br />
La saison de 1876 proposait véritablem<strong>en</strong>t un spectacle nouve<strong>au</strong>. La compagnie Mateo ou<br />
compagnie Colomé, du nom des deux princip<strong>au</strong>x acteurs, la tiple 19 Josefa Mateo et la basse<br />
José Colomé, reste à Bogotá de février à juillet 1876. Une seule saison d’abonnem<strong>en</strong>t était<br />
prévue à son arrivée. Mais <strong>en</strong> raison de l’énorme succès qu’elle r<strong>en</strong>contre, la compagnie<br />
propose une seconde saison avec de nouve<strong>au</strong>x spectacles. Pourtant, à Bogotá l´histoire d’une<br />
troupe à l’<strong>au</strong>tre se répète. Et tout comme la compagnie <strong>lyrique</strong> précéd<strong>en</strong>te, la Rossi-<br />
d’Achiardi (1874), l’<strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t pour la zarzuela s’essoufflera plus tôt que prévu.<br />
Comme de coutume, la troupe se produit <strong>au</strong> Coliseo Maldonado les jeudis et les dimanches.<br />
Après la relâche de Pâques (fin mars 1876), les spectacles repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à raison de deux ou trois<br />
soirées par semaine. Voilà qui <strong>en</strong> dit be<strong>au</strong>coup sur le chaleureux accueil de la Mateo et de sa<br />
troupe à Bogotá.<br />
Dès l’ouverture de la saison, la composition du spectacle suit le modèle madrilène du<br />
Teatro de la Zarzuela. Une zarzuela grande, faisant appel à de considérables moy<strong>en</strong>s<br />
18 M. Lamus Obregón, 2004 : 222-224.<br />
19 Voix de dessus dans l’appellation espagnole.<br />
201<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
202<br />
scéniques et voc<strong>au</strong>x, était suivie par une zarzuela chica <strong>en</strong> un acte de facture be<strong>au</strong>coup plus<br />
simple. Voici un exemple de composition d’un programme donné à Bogotá lors de cette<br />
saison 20 : le jeudi 2 mars 1876, la séance débute avec El postillón de la Rioja, zarzuela <strong>en</strong><br />
deux actes de Cristóbal Oudrid sur un livret de Luis Olona. Œuvre écrite <strong>en</strong> 1856 et jouée à<br />
Madrid <strong>au</strong> Teatro del Circo, c’est une des pièces majeures qui avait marqué le départ de la<br />
nouvelle zarzuela grande <strong>en</strong> Espagne. La deuxième partie du programme proposait « l’opera<br />
seria » I Feroci Romani, grande farce satirique sur l’opéra itali<strong>en</strong> <strong>en</strong> un acte et <strong>en</strong> vers. Ses<br />
<strong>au</strong>teurs, M. Vásquez et F. Bardan, tourn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> dérision les conv<strong>en</strong>tions de l’opéra itali<strong>en</strong>.<br />
Lucie, la Sonnambula, le Trouvère, la Traviata, Norma, tous ont droit à leur raillerie. Voyezdonc<br />
comme il est marrant de mourir ainsi sur la scène, […] les ah !! les oh !! et les aaay !<br />
finales sur un contre-ut ont comblé toutes les att<strong>en</strong>tes.<br />
NiLucía,nilaSonámbula,nielTrovador,nilaTraviata,nilaNormasequedanallísinsuburla<br />
ysuchiste.Mireustedqueaquelmododemorir<strong>en</strong>lastablaseschistosísimo,[…]losah!!los<br />
oh!!losaaay!finalesconunDodepechonodejaronquedesear 21 .<br />
Est-il nécessaire de rappeler ici la structure type de chacune de ces zarzuelas ? En 1876, il<br />
s’agit d’un g<strong>en</strong>re relativem<strong>en</strong>t neuf. <strong>Le</strong>ur construction formelle n’est pas théorisée – elle ne le<br />
sera jamais. Mais on peut ret<strong>en</strong>ir les traits suivants pour chacun des deux g<strong>en</strong>res.<br />
La zarzuela grande, souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> trois actes, est composée d’une quinzaine de numéros de<br />
musique. <strong>Le</strong> prélude sur lequel s’ouvre l’ouvrage inst<strong>au</strong>re un climat, tout comme les premiers<br />
chœurs des opéras. Il fait interv<strong>en</strong>ir un <strong>en</strong>semble choral <strong>au</strong>x couleurs hispanisantes, dans<br />
lequel apparaiss<strong>en</strong>t quelques-uns des personnages princip<strong>au</strong>x. <strong>Le</strong> chœur ouvre et clôt chacun<br />
des actes. Alors que le troisième acte marque le dénouem<strong>en</strong>t de l’action, le poids dramatique<br />
de la pièce se conc<strong>en</strong>tre <strong>en</strong> général sur le second acte. Enfin dans le g<strong>en</strong>re grande, la partie<br />
chantée est bi<strong>en</strong> plus importante que les passages dialogués.<br />
Il était coutume <strong>au</strong> Teatro de la Zarzuela de Madrid de coupler une zarzuela grande avec<br />
une zarzuela du g<strong>en</strong>re chico. La zarzuela chica était écrite <strong>en</strong> un seul acte composé de quatre<br />
ou cinq numéros, où le texte parlé était <strong>au</strong>ssi important, si ce n’est plus, que la partie chantée.<br />
La partie chorale était très réduite ; l’introduction faisait <strong>au</strong>ssi appel à un chœur, généralem<strong>en</strong>t<br />
écrit dans une mesure à 6/8. Si les différ<strong>en</strong>ts numéros de la zarzuela grande prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />
plusieurs sections (à la façon des ouvrages itali<strong>en</strong>s), ceux de la zarzuela chica sont brefs, <strong>en</strong><br />
une seule partie, favorisant un découpage strophique.<br />
20 « Zarzuela », Diario de Cundinamarca (VII.1872), 4 mars 1876 : 405.<br />
21 « La vieja y los diamantes » (David), El Verjel colombiano (21), 4 mars 1876 : 163.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Bi<strong>en</strong> sûr, toutes ces constatations vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t a posteriori, et les compositeurs espagnols ou<br />
latino-américains n’ont jamais consulté un traité de zarzuela. Ponce de <strong>Le</strong>ón et son librettiste,<br />
lorsqu’ils propos<strong>en</strong>t une nouvelle zarzuela <strong>en</strong> avril 1876, se seront donc inspirés de leur<br />
expéri<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> tant que spectateurs de ces nouvelles zarzuelas à Bogotá ou à Madrid.<br />
On a be<strong>au</strong> dire que la zarzuela est un g<strong>en</strong>re ibérique, il est fondam<strong>en</strong>tal de la replacer dans<br />
son contexte musical international. La zarzuela des années 1850 <strong>en</strong> Espagne naît d’un<br />
compromis inouï <strong>en</strong>tre la tradition castillane des tonadillas, des sainetes et des danses<br />
populaires, de l’opéra itali<strong>en</strong>, du Grand Opéra parisi<strong>en</strong> et de l’opéra-comique français. La<br />
zarzuela, contemporaine de l’opéra romantique europé<strong>en</strong>, fait donc appel <strong>au</strong>x mêmes élém<strong>en</strong>ts<br />
structur<strong>au</strong>x (aria, romance, cabalette, duo, chœur…), utilisant le même langage harmonique et<br />
orchestral. Barbieri, père du r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> de cette zarzuela, n’a-t-il pas fait ses débuts dans<br />
l’opéra itali<strong>en</strong> ? N’a-t-il pas été choriste, soliste, chef d’orchestre, directeur d’une troupe<br />
itali<strong>en</strong>ne et <strong>en</strong>fin compositeur de l’opéra itali<strong>en</strong> Il Buontempone (1847) ? Tout comme le<br />
Grand Opéra, l’opéra verdi<strong>en</strong>, voire le drame wagnéri<strong>en</strong>, la zarzuela se réclame à son tour de<br />
la desc<strong>en</strong>dance de Bellini. Son succès est tel que dès les années 1860, des troupes de<br />
chanteurs et de musici<strong>en</strong>s <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le voyage vers les anci<strong>en</strong>nes colonies espagnoles. La<br />
Havane, San Juan de Porto Rico, Caracas et Bu<strong>en</strong>os Aires rest<strong>en</strong>t leurs destinations<br />
privilégiées. Certaines compagnies – c’est le cas de la compagnie Colomé – s’<strong>en</strong>gageront<br />
même dans les sinuosités andines pour atteindre Bogotá. Il est étonnant que ce g<strong>en</strong>re soit de<br />
nos jours si peu connu <strong>en</strong> dehors de l’Espagne, alors que la qualité de sa facture place certains<br />
ouvrages <strong>au</strong> même rang que les grands opéras itali<strong>en</strong>s contemporains.<br />
Au l<strong>en</strong>demain de son début bogotain, la compagnie Colomé semble avoir plu <strong>au</strong> public :<br />
« la meilleure et la plus complète » compagnie de zarzuela qui soit jamais v<strong>en</strong>ue à Bogotá 22 .<br />
Plus complète, sans doute, mais meilleure ? S’agissant d’un nouve<strong>au</strong> g<strong>en</strong>re, il est difficile de<br />
la comparer <strong>au</strong>x nombreuses compagnies de zarzuela qui avai<strong>en</strong>t sillonné le pays p<strong>en</strong>dant la<br />
première moitié du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, prés<strong>en</strong>tant des comédies avec quelques morce<strong>au</strong>x music<strong>au</strong>x.<br />
Concevoir la nouve<strong>au</strong>té de la zarzuela grande à Bogotá, c’est compr<strong>en</strong>dre la position de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón lorsqu’il <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d la composition du Castillo misterioso. Pour sa zarzuela <strong>en</strong><br />
trois actes, nous pouvons voir comm<strong>en</strong>t il procède par synthèse <strong>en</strong> récupérant des élém<strong>en</strong>ts<br />
des g<strong>en</strong>res majeur et mineur, tout <strong>en</strong> gardant cette couleur fortem<strong>en</strong>t itali<strong>en</strong>ne qui caractérisait<br />
déjà son Ester. C’est <strong>au</strong>ssi mettre <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce sa facilité à s’adapter à un nouve<strong>au</strong> cadre<br />
musical <strong>en</strong> peu de temps.<br />
22 « Algo sobre teatro » (David), El Verjel colombiano (19), 17 février 1876 : 145.<br />
203<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
204<br />
Mais la nouve<strong>au</strong>té du g<strong>en</strong>re de la zarzuela à Bogotá s’accompagne d’une grande<br />
incompréh<strong>en</strong>sion de la part du public. Alors que celui-ci s’att<strong>en</strong>dait à une farce, il sortait<br />
dérouté de ce qu’il v<strong>en</strong>ait de voir et d’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre. <strong>Le</strong>s critiques de théâtre, échos de la vox<br />
populi, nous font part de cet étonnem<strong>en</strong>t devant la nouvelle zarzuela <strong>au</strong> l<strong>en</strong>demain de la<br />
représ<strong>en</strong>tation de Jugar con Fuego de Barbieri, œuvre phare dans le r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> du g<strong>en</strong>re <strong>en</strong><br />
Espagne. Une fois de plus, on constate le conflit <strong>en</strong>tre g<strong>en</strong>re sérieux et « zarzuela » :<br />
Cette production […] n’apparti<strong>en</strong>t pas tout à fait <strong>au</strong> g<strong>en</strong>re comique, et produit diverses<br />
réactions chez le spectateur […], soit pathétiques, soit festives, ce qui nous semble être d’un<br />
m<strong>au</strong>vais effet dans une zarzuela, dont le principal but est de produire de l’hilarité.<br />
Estaproducción[...]nopert<strong>en</strong>ece<strong>en</strong>todasupl<strong>en</strong>itudalgénerocómico,iproduce<strong>en</strong>el<br />
ánimodelespectadordiversosafectos[…]yapatéticos,yafestivos,locualnosparecedemal<br />
efecto<strong>en</strong>unazarzuela,cuyoobjetoprimordialdebesereldeproducirhilaridad 23 .<br />
Ainsi le débat est lancé : la zarzuela peut-elle avoir des élém<strong>en</strong>ts <strong>au</strong>tres que comiques ? Ce<br />
sont les spectacles de la compagnie de Josefa Pepita Mateo qui vont illustrer le public<br />
bogotain sur le mélange des g<strong>en</strong>res dans cette nouvelle zarzuela.<br />
5.2. LaCompagnieMateoetsazarzuelaéblouissante<br />
Nosotros quisiéramos, por set<strong>en</strong>ta mil razones, que [la Compañía] se hiciese aquí elem<strong>en</strong>to<br />
indisp<strong>en</strong>sable de la vida, como el aire i la luz 24 .<br />
Diario de Cundinamarca, 12 juin 1876<br />
<strong>Le</strong> succès incontestable des spectacles de la saison de 1876 s’explique par deux raisons. <strong>Le</strong><br />
charme de Josefa Mateo et le professionnalisme de la troupe attir<strong>en</strong>t le public bogotain. Toute<br />
une littérature passionnée se développe <strong>au</strong>tour des différ<strong>en</strong>ts acteurs. Même si cet<br />
emportem<strong>en</strong>t est habituel chaque fois qu’une troupe europé<strong>en</strong>ne défait ses bagages à Bogotá,<br />
nous pr<strong>en</strong>ons pour exemple la Compagnie Mateo pour prés<strong>en</strong>ter cette réception du spectacle<br />
europé<strong>en</strong>, « civilisateur ». En revanche, la compagnie espagnole jouera d’un nouvel atout, qui<br />
laissera à son passage un souv<strong>en</strong>ir intarissable : la sur<strong>en</strong>chère de moy<strong>en</strong>s spectaculaires est<br />
telle, que chaque soirée devi<strong>en</strong>t un spectacle à grand succès. La presse est particulièrem<strong>en</strong>t<br />
loquace quant <strong>au</strong>x décors de cette saison ; nous pouvons donc largem<strong>en</strong>t illustrer cet aspect de<br />
la scène. Nous espérons égalem<strong>en</strong>t nous faire ainsi une idée <strong>au</strong>ssi proche que possible des<br />
représ<strong>en</strong>tations <strong>lyrique</strong>s à Bogotá dans les années 1870.<br />
23 « Zarzuela », Diario de Cundinamarca (VII.1862), 22 février 1876 : 365.<br />
24 « Nous aimerions, pour soixante mille raisons, que [la Compagnie] devînt ici un élém<strong>en</strong>t<br />
indisp<strong>en</strong>sable à la vie, comme l’air et la lumière » (« Zarzuela », Diario de Cundinamarca (VII.1953),<br />
12 juin 1876: 730).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
5.2.1.<br />
Lors de l’arrivée des troupes <strong>lyrique</strong>s à Bogotá, la nouvelle prima donna éveillait toujours<br />
les passions des citadins. Rossina de Luisia, la Mazzetti, Euj<strong>en</strong>ia Bellini, Matilde Cavaletti, la<br />
Visoni, Marina de Thioler puis Fiorellini de Balma ont toutes déchaîné un excès<br />
d’<strong>en</strong>thousiasme qui célébrait l’artiste et la femme. <strong>Le</strong>s prime donne n’incarnai<strong>en</strong>t-elles pas<br />
l’idéal féminin de l’héroïne romantique ? Ne dev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t-elles pas pour un instant Lucia,<br />
<strong>Le</strong>onora, Violetta, Beatrice…? Rayonnantes par leur be<strong>au</strong>té, par leurs faciès europé<strong>en</strong>s, leur<br />
jeunesse, elles ont captivé un public qui n’<strong>au</strong>rait pas permis à ses propres femmes de monter<br />
sur la scène 25 .<br />
Josefa Mateo, héroïne de zarzuelas, marque une rupture dans l’imaginaire de la<br />
représ<strong>en</strong>tation féminine sur la scène. Elle est à son tour célébrée pour sa be<strong>au</strong>té, pour sa voix<br />
et son jeu. Mais les personnages qu’elle incarne sont des personnages du quotidi<strong>en</strong>, des<br />
personnages populaires <strong>en</strong> opposition <strong>au</strong> monde aristocratique de l’opéra. La zarzuela,<br />
contemporaine de la comédie costumbrista (comédie de mœurs), met sur scène la femme du<br />
peuple. Plus question de prêter à la Mateo les traits des personnages qu’elle incarnait. Si elle<br />
plaît, c’est bi<strong>en</strong> parce que c’est une femme charmante. <strong>Le</strong> séjour de Josefa Mateo n’a-t-il pas<br />
contribué à humaniser l’actrice dans l’imaginaire des Bogotains ? La femme était jusqu’alors<br />
divinisée à travers le personnage qu’elle interprétait. La Mateo est à son tour portée <strong>au</strong>x nues,<br />
mais ce n’est plus par le biais du personnage qu’elle incarne. Ce sont ses attributs de femme,<br />
sa personnalité, son humanité qui sont complim<strong>en</strong>tés. <strong>Le</strong> comm<strong>en</strong>taire qui suit nous <strong>en</strong> dit<br />
assez sur la réception de la femme-actrice qu’était Josefa Pepita Mateo 26 .<br />
Pepita, cette moderne Euphrosine qui non seulem<strong>en</strong>t réjouit l’âme […], mais qui l’<strong>en</strong>ivre avec<br />
ses regards foudroyants, sa voix mélodieuse et le jeu magique de ses muscles. Ce serait une<br />
bêtise de douter que Pepita ne possède le b<strong>au</strong>me réjouissant qui soigne de toutes tristesses…<br />
Pepita,estamodernaEufrosinaqu<strong>en</strong>osoloregocijaelalma[…],sinoquelaembriagaconsus<br />
fulminantesmiradas,consuvozmelodiosaiconelmágicojuegodesusmúsculos.Tontería<br />
seríadudardequePepitaposeeelbálsamoletificantequecuratodaslastristezas… 27 <br />
<strong>Le</strong>s admirateurs des actrices et prime donne exprimai<strong>en</strong>t leur admiration par la publication<br />
de poèmes dans la presse. Deux poésies <strong>en</strong> honneur à Josefa Mateo sont publiées lors de la<br />
saison de 1876. Dans une ode <strong>en</strong> vers parue dans le Verjel colombiano un admirateur s’extasie<br />
205<br />
25<br />
Nous r<strong>en</strong>voyons <strong>au</strong> paragraphe 2.2.5 où il est question du g<strong>en</strong>re dans l’opéra colombi<strong>en</strong> <strong>au</strong><br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
26<br />
En espagnol Pepe est le diminutif familier du prénom José ; Pepa celui de Josefa.<br />
27<br />
« Teatro », Diario de Cundinamarca (VII.1930), lundi 15 mai 1876 : 637.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
206<br />
sur son regard, sa voix, sa be<strong>au</strong>té et son jeu d’actrice 28 . A la distinguida artista / Señora<br />
Josefa Mateo 29 , imprimé quelques jours plus tard, est un deuxième témoignage des effets de<br />
la Mateo sur la société bogotaine :<br />
[…]<br />
Et c’est ainsi que je te regarde ébahi<br />
Ravi de plaisir je t’écoute :<br />
Douce colombe née des Cieux<br />
Qui a apporté sur terre un rayon de l’Éd<strong>en</strong>.<br />
Conrado Colomé, basse de la troupe, personnage principal après Josefa Mateo, recueille<br />
sans cesse l’admiration pour son jeu naturel. Ses qualités d’acteur et sa veine comique font de<br />
lui un des personnages favoris de la saison. On admire « son école », et son habilité à<br />
« rattraper les scènes écorchées par les néglig<strong>en</strong>ces 30 . » Mais pour lui, comme pour tous les<br />
hommes de la troupe, pas de poèmes ni d’excès d’<strong>en</strong>thousiasme de la part du public.<br />
<strong>Le</strong> ténor Carbonell est le seul qui ne se soit pas imposé d’emblée. On lui reproche de trop<br />
forcer son jeu, « spécialem<strong>en</strong>t lorsqu’il chante des notes aigues, ou souti<strong>en</strong>t un point<br />
d’arrêt 31 . » On critique son manque d’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant qu’acteur et la paresse de son<br />
travail, ce qui fait tomber l’<strong>en</strong>thousiasme général de la soirée. En revanche, ses mérites<br />
music<strong>au</strong>x ne laiss<strong>en</strong>t pas de doutes : il « possède une voix douce, travaillée et agréable ; on<br />
l’écoute avec plaisir dans le comique comme dans le sérieux 32 . »<br />
Enfin, les éloges ne manqu<strong>en</strong>t pas pour les <strong>au</strong>tres chanteurs de la troupe : Manuela B<strong>au</strong>s et<br />
Piojan ; Marcelino Ortiz, Fernando Altarriba, dont le jeu empreint de réalisme va jusqu’à<br />
« arracher <strong>au</strong> public un cri d’horreur 33 » dans les situations les plus dramatiques. Et si les<br />
femmes <strong>en</strong>chant<strong>en</strong>t par leur be<strong>au</strong>té, la grâce espagnole de ces messieurs gagne la sympathie<br />
du public 34 .<br />
28 « A la simpática i miu [sic.] distinguida cantatriz española Sra Josefa Mateo, con motivo de su<br />
función de gracia » (Fil<strong>en</strong>o), El Verjel colombiano (27), 29 avril 1876 : 213.<br />
29 « A la distinguida artista » (D. F. As<strong>en</strong>cio), Diario de Cundinamarca (V.1951), 9 juin 1876 : 723.<br />
30 « Qué bu<strong>en</strong>a escuela ti<strong>en</strong>e! […] Cuántas veces lo hemos visto <strong>en</strong>derezar la esc<strong>en</strong>a maleada por un<br />
descuido » (« El secreto de una Dama », El Verjel colombiano (24), 25 mars 1876 : 192).<br />
31 «…las actitudes del señor Carbonell sean m<strong>en</strong>os forzadas, especialm<strong>en</strong>te cuando ejecuta voces altas<br />
o sosti<strong>en</strong>e alguna <strong>en</strong> calderón. » (« Teatro », Diario de Cundinamarca (V.1883), 17 mars 1876 : 451).<br />
32 « Este simpático actor posee una voz bastante dulce, educada y tierna; se le oye con gusto, tanto el<br />
lo jocoso como <strong>en</strong> lo serio, y de ahí el que lleve siempre una cosecha de apl<strong>au</strong>sos. […] Veces hay <strong>en</strong><br />
que lo hemos visto trabajar con flojedad. […] Hubo esc<strong>en</strong>as <strong>en</strong> que desal<strong>en</strong>tado dejó caer el<br />
<strong>en</strong>tusiasmo… » (« El secreto de una Dama », El Verjel colombiano, (24), 25 mars 1876 : 192).<br />
33 « Revista de Teatro », El Verjel colombiano (31), 27 mai 1876 : 248.<br />
34 El « j<strong>en</strong>til [sic.] donaire de mancebo castellano » (« Zarzuela », Diario de Cundinamarca<br />
(VII.1908), 19 avril 1876 : 550).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
[…]<br />
Iporesotemiroembelesado<br />
I<strong>en</strong>aj<strong>en</strong>adoteoigodeplacer:<br />
Dulcepalomaqu<strong>en</strong>aciódelCielo,<br />
ItrajoalsuelounrayodelEd<strong>en</strong>.
En plus des princip<strong>au</strong>x acteurs espagnols, la zarzuela est un g<strong>en</strong>re qui fait appel à un grand<br />
nombre de personnages secondaires. <strong>Le</strong>s organisateurs de la saison, soucieux de prés<strong>en</strong>ter un<br />
spectacle complet et inouï à Bogotá, recrut<strong>en</strong>t dans la capitale des acteurs-chanteurs pour<br />
compléter la répartition, comme nous avons pu l’établir précédemm<strong>en</strong>t lors des différ<strong>en</strong>tes<br />
saisons d’opéras. Une fois de plus, de nombreux chanteurs de Bogotá font ainsi leurs débuts<br />
sur la scène du Coliseo : « <strong>Le</strong>s jeunes amateurs [T.] Zapata, Espinosa, Torres, Pereira et <strong>au</strong>tres<br />
ont fait preuve de progrès dans l’art difficile du théâtre 35 . » La zarzuela, tout comme l’opéra,<br />
devi<strong>en</strong>t à son tour une école pour les artistes. C’est l’occasion de faire ses preuves sur la scène<br />
<strong>lyrique</strong>, sous la direction de musici<strong>en</strong>s europé<strong>en</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s quelques noms que nous avons pu citer, rôles princip<strong>au</strong>x et secondaires, dépass<strong>en</strong>t déjà<br />
<strong>en</strong> nombre l’effectif des compagnies itali<strong>en</strong>nes v<strong>en</strong>ues précédemm<strong>en</strong>t dans la ville. À cela, il<br />
f<strong>au</strong>t <strong>en</strong>core ajouter les choristes et les figurants.<br />
Dès la première semaine de spectacle de zarzuelas, la presse s’émerveille de la répartition<br />
de Jugar con fuego : « Plus de huit acteurs princip<strong>au</strong>x […] et une infinité de personnages<br />
secondaires parmi les choristes et les figurants 36 . » On se souvi<strong>en</strong>t que la précéd<strong>en</strong>te troupe<br />
<strong>lyrique</strong> Rossi-d’Achiardi comptait <strong>au</strong> grand complet six chanteurs itali<strong>en</strong>s. Plus la saison<br />
avance, plus l’effectif humain devi<strong>en</strong>t important. À la fin d’avril, alors qu’elle bat son plein,<br />
la zarzuela Catalina de Gaztambide 37 est représ<strong>en</strong>tée : « Il y eut des mom<strong>en</strong>ts où l’on vit sur<br />
scène plus de c<strong>en</strong>t personnes 38 » ! Cette affirmation nous semble assez extraordinaire… Mais<br />
même si l’<strong>au</strong>teur exagère le nombre, il reste qu’une telle foule n’avait jamais <strong>en</strong>vahi le<br />
prosc<strong>en</strong>ium du Coliseo.<br />
Toutes les colonnes du Verjel colombiano félicit<strong>en</strong>t le chœur pour sa bonne prestation.<br />
Chœur mixte ou chœur masculin ? Diverses sources nous donn<strong>en</strong>t la réponse : la presse<br />
m<strong>en</strong>tionne les demoiselles du chœur. Suffisant pour pouvoir affirmer que le chœur de 1876<br />
était <strong>en</strong>fin un chœur mixte !<br />
Nous avons vu lors de la dernière séance un bataillon de cadets, interprété avec be<strong>au</strong>coup de<br />
grâce par les demoiselles qui font partie du chœur.<br />
207<br />
35 « Los jóv<strong>en</strong>es aficionados Zapata, Espinosa, Tórres, Pereira y otros han dado muestras de adelanto<br />
<strong>en</strong> el difícil arte de las dramática. » (« Zarzuela », Diario de Cundinamarca (VII.1908), 19 avril 1876 :<br />
550).<br />
36 «…más de ocho actores principales <strong>en</strong> su desarrollo y una infinidad de personajes de segundo ord<strong>en</strong>,<br />
<strong>en</strong>tre coristas y comparsas… » (« Algo sobre zarzuela española », El Verjel colombiano (20),<br />
24 février 1876 : 154).<br />
37 D’après l’opéra-comique de Meyerbeer L’étoile du Nord.<br />
38 « Hubo vez que se vieron <strong>en</strong> el esc<strong>en</strong>ario más de ci<strong>en</strong> personas. » (« Revista de teatro », El Verjel<br />
colombiano (26), 22 avril 1876 : 207).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
208<br />
Enlaúltimafunciónvimosunbatallóndecadetes,desempeñadoconmuchagraciaporparte<br />
delasseñoritasqueformanpartedelcoro 39 .<br />
Nous disposons <strong>au</strong>ssi de quelques parties séparées d’une œuvre écrite spécialem<strong>en</strong>t pour<br />
cette saison <strong>lyrique</strong> : El Castillo misterioso. Parmi les parties vocales figure la partition pour<br />
tiples. Il s’agit d’une des rares fois où une saison <strong>lyrique</strong> <strong>au</strong> Coliseo Maldonado pouvait<br />
compter avec un chœur mixte.<br />
Pour les effets de masse, des figurants sont appelés à monter sur scène. « As-tu bi<strong>en</strong> vu ces<br />
gamins qui marchai<strong>en</strong>t et contre-marchai<strong>en</strong>t ? […] Surtout ceux avec des tambours 40 ? » <strong>Le</strong>s<br />
marches militaires, cortèges, processions sont donc à l’ordre du jour dans les représ<strong>en</strong>tations<br />
des zarzuelas. On peut alors se demander si <strong>en</strong> 1874, lors de la création d’Ester, la compagnie<br />
<strong>lyrique</strong> itali<strong>en</strong>ne comptait avec <strong>au</strong>tant de moy<strong>en</strong>s, notamm<strong>en</strong>t pour la mise <strong>en</strong> scène de la<br />
Marche triomphale, avec banda sur scène. <strong>Le</strong>s comptes-r<strong>en</strong>dus de la presse ne parl<strong>en</strong>t pas de<br />
grands effets scéniques. La prés<strong>en</strong>ce de figurants, et <strong>en</strong> grand nombre, semble donc être une<br />
des nombreuses nouve<strong>au</strong>tés de la saison de zarzuela espagnole.<br />
Cep<strong>en</strong>dant il f<strong>au</strong>t pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte la place consacrée à ces spectacles dans la presse. <strong>Le</strong>s<br />
critiques de la saison de 1874 étai<strong>en</strong>t publiées dans les colonnes (une ou deux) des variétés ou<br />
fait-divers des quotidi<strong>en</strong>s. En 1876, ces comptes-r<strong>en</strong>dus apparaiss<strong>en</strong>t dans une revue<br />
spécialisée dans les événem<strong>en</strong>ts culturels (El Verjel Colombiano 41 ) où l’<strong>au</strong>teur dispose de<br />
plusieurs pages pour son comm<strong>en</strong>taire. Il n’est donc pas étonnant qu’on puisse avoir tant de<br />
détails sur la représ<strong>en</strong>tation des zarzuelas de la compagnie espagnole.<br />
<strong>Le</strong> charme des acteurs princip<strong>au</strong>x, l’apparition de chanteurs colombi<strong>en</strong>s, les grands effets<br />
de masse produits par choristes et figurants font de la zarzuela un spectacle qui plaît <strong>au</strong><br />
public. En plus de cet aspect humain, les grands effets scéniques ont contribué <strong>au</strong> succès de<br />
cette saison. La troupe <strong>au</strong> grand complet devait prés<strong>en</strong>ter un spectacle assez impressionnant<br />
sur la petite scène du Coliseo Maldonado. L’effectif est tel que, lors de la fermeture de<br />
Pâques, Bruno Maldonado fait des trav<strong>au</strong>x pour agrandir la scène du Coliseo 42 . L’aspect<br />
visuel (décors, costumes, mouvem<strong>en</strong>ts scéniques) se veut être à la h<strong>au</strong>teur et des sommes<br />
importantes sont investies par les impresarios. Enfin la partie musicale contribue <strong>au</strong>ssi à la<br />
magnific<strong>en</strong>ce du spectacle, notamm<strong>en</strong>t à travers la prés<strong>en</strong>ce d’un grand orchestre dans la<br />
39 « El secreto de una dama », El Verjel colombiano (24), 25 de marzo de 1876 : 192.<br />
40 « No te fijaste <strong>en</strong> los chinos aquellos que bi<strong>en</strong> marchaban i contramarchaban? I sobre todo, los de<br />
los tambores… » (« ¡Que se repita », Diario de Cundinamarca (VII.1911), 22 avril 1876 : 563).<br />
41 « <strong>Le</strong> Verger colombi<strong>en</strong>, Journal littéraire, dédié <strong>au</strong> be<strong>au</strong> sexe », publié hebdomadairem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1876.<br />
42 « ¡Que se repita! », Diario de Cundinamarca (VII.1911), 22 avril 1876 : 563.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
fosse. Il s’agit là des trois élém<strong>en</strong>ts de cette sur<strong>en</strong>chère de moy<strong>en</strong>s spectaculaires qui<br />
explique, avec le charisme des acteurs, le succès cette saison musicale.<br />
5.2.2.<br />
Pour reh<strong>au</strong>sser l’aspect visuel du spectacle, la compagnie n’a pas épargné de grands<br />
moy<strong>en</strong>s tels les décors, les costumes, et les effets spéci<strong>au</strong>x. Voici une annonce <strong>en</strong> mars 1876<br />
invitant à la création de la zarzuela de Barbieri El Secreto de una Dama à Bogotá. Tout <strong>en</strong><br />
insistant sur les difficultés de monter une telle œuvre, la compagnie fait le point sur sa<br />
situation : recrutem<strong>en</strong>t de nouve<strong>au</strong>x choristes, fabrication de nouve<strong>au</strong>x costumes, préparation<br />
d’une scénographie originale et étonnante pour le dernier acte :<br />
Théâtre<br />
La compagnie de Zarzuela espagnole, qui se<br />
produit avec tant de bonheur depuis son apparition,<br />
et plus spécialem<strong>en</strong>t lors des dernières séances <strong>en</strong><br />
attirant l’att<strong>en</strong>tion d’une façon extraordinaire, <strong>en</strong><br />
obt<strong>en</strong>ant des appl<strong>au</strong>dissem<strong>en</strong>ts fracassants, et une<br />
assistance nombreuse et choisie, mettra <strong>en</strong> scène<br />
demain dimanche 19, la surpr<strong>en</strong>ante<br />
zarzuela à grand spectacle :<br />
EL SECRETO DE UNA DAMA<br />
œuvre quasi nouvelle dans toute l’Amérique à<br />
c<strong>au</strong>se des nombreuses difficultés quelle prés<strong>en</strong>te<br />
dans son exécution. <strong>Le</strong>s chœurs ont été<br />
considérablem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>gm<strong>en</strong>tés ; il a été nécessaire<br />
de construire de luxueux costumes ; <strong>au</strong> troisième<br />
acte, le décor représ<strong>en</strong>tera le pont et les chambres<br />
de la poupe d’un navire de guerre.<br />
Bogotá, 18 mars 1876.<br />
Teatro 43<br />
LaCompañíadeZarzuelaespañola,quecontanto<br />
aciertosehaexhibidodesdesuapariciónycon<br />
especialidad las últimas funciones, llamando la<br />
at<strong>en</strong>ción de una manera extraordinaria, y<br />
obt<strong>en</strong>i<strong>en</strong>doestrepitososapl<strong>au</strong>sosyunconcurso<br />
numeroso y escogido, pondrá <strong>en</strong> esc<strong>en</strong>a<br />
mañana domingo 19, la sorpr<strong>en</strong>d<strong>en</strong>te<br />
zarzueladegranespectáculotitulada:<br />
ELSECRETODEUNADAMA,<br />
obracasinueva<strong>en</strong>todalaAméricaporlasmuchas<br />
dificultadesquepres<strong>en</strong>taparasuejecución.Los<br />
coros han t<strong>en</strong>ido que <strong>au</strong>m<strong>en</strong>tarse<br />
considerablem<strong>en</strong>te,hasidoprecisoconstruirseun<br />
lujosovestuarioy<strong>en</strong>elterceractoseexhibiráuna<br />
decoraciónquerepres<strong>en</strong>talacubiertaycámaras<br />
depopadeunbuquedeguerra.<br />
Bogotá,18demarzode1876.<br />
Exemple 6 : Annonce de la séance de zarzuela du 19 mars 1876 à Bogotá<br />
Contrairem<strong>en</strong>t à la saison de 1874, nous ignorons le nom du scénographe. Qui s’occupait de<br />
la mise <strong>en</strong> scène ? Qui peignait les décors ? Ceux-ci sont refaits à neuf pour chaque spectacle.<br />
<strong>Le</strong>s costumes ne sont plus repris des saisons précéd<strong>en</strong>tes, mais faits sur mesure. Des effets<br />
spéci<strong>au</strong>x jamais vus à Bogotá émerveill<strong>en</strong>t les spectateurs : on parvi<strong>en</strong>t à imiter « l’hiver avec<br />
sa chute constante de neige et son aspect blanc et triste 44 . » Dans un pays où les saisons<br />
n’exist<strong>en</strong>t pas, où la neige est inconnue, voilà de quoi dépayser le public… Une des zarzuelas<br />
les plus att<strong>en</strong>dues, Los Madgyares de Gaztambide, amoncelle quantité de personnages : « De<br />
209<br />
43 « Teatro », El Verjel colombiano (23), 18 mars 1876 : 184.<br />
44 « Imitaron muy bi<strong>en</strong> el invierno con su caída constante de nieve y su aspecto blanquísimo y triste. »<br />
(« Revista de teatro », El Verjel colombiano (26), 22 avril 1876 : 207.)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
210<br />
nobles reines, des soldats, des anim<strong>au</strong>x et <strong>en</strong>core mil <strong>au</strong>tres choses 45 ». À la lecture de la<br />
presse, il ressort clairem<strong>en</strong>t que ce faste et cette profusion de recours pour donner du brillant à<br />
la scène sont les élém<strong>en</strong>ts les plus remarqués, qui contribu<strong>en</strong>t largem<strong>en</strong>t à l’<strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t du<br />
public pour la nouvelle zarzuela.<br />
Enfin, pour dépasser <strong>en</strong> couleur le souv<strong>en</strong>ir des compagnies itali<strong>en</strong>nes précéd<strong>en</strong>tes, les<br />
nouve<strong>au</strong>x costumes devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une partie importante du spectacle :<br />
<strong>Le</strong>s costumes des dames d’une cour <strong>au</strong>ssi magnifique contrastai<strong>en</strong>t avec ceux des nobles, qui<br />
étai<strong>en</strong>t véritablem<strong>en</strong>t adéquats et riches. Avouons notre méprise : un chœur de fous était<br />
annoncé. Lorsque la cour s’est prés<strong>en</strong>tée dans le premier chœur, nous avons cru que ces dames<br />
étai<strong>en</strong>t les folles. Quels costumes ! quels costumes !<br />
Losvestidosdelasdamasdeunacortetanrumbosahacíancontrasteconlosdelosnobles,<br />
que<strong>en</strong>verdadsonadecuadosyricos.Confesamosnuestropecado;comoseanuncióque<br />
habrí<strong>au</strong>ncorodelocos,cuandolacortesepres<strong>en</strong>tó<strong>en</strong>elprimercoro,creímosqueaquellas<br />
damaseranlaslocas.Quétrajes!quétrajes 46 !<br />
Sans être ici un éloge, les nouve<strong>au</strong>x costumes de Jugar con fuego (20 février 1876)<br />
produis<strong>en</strong>t leur effet dès les premières prestations de la troupe. Cette citation confirme par<br />
ailleurs la prés<strong>en</strong>ce de voix de femmes dans les chœurs. En avril, alors que la saison est à son<br />
comble, on peut lire que la compagnie <strong>en</strong>gage « de grandioses dép<strong>en</strong>ses pour les décors, les<br />
costumes et <strong>au</strong>tres élém<strong>en</strong>ts qui ont pour objectif donner une majestueuse sol<strong>en</strong>nité <strong>au</strong>x<br />
spectacles 47 ». À la mi-juin, lorsque le glas a sonné pour la Mateo et sa troupe, on parle<br />
<strong>en</strong>core « des dép<strong>en</strong>ses et des efforts » faits pour conserver la spl<strong>en</strong>deur de la scène. On va<br />
jusqu’à « améliorer les costumes des figurants, bi<strong>en</strong> qu’ils laiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core à désirer 48 . »<br />
Lors d’une saison où le moindre détail semble avoir été préparé avec minutie, où même les<br />
figurants pouvai<strong>en</strong>t porter de nouve<strong>au</strong>x costumes, nous sommes <strong>en</strong>clins à croire à<br />
l’impression favorable d’un tel spectacle et à son succès. Mais tout ne se jouait pas sur la<br />
scène, et les critiques ont remarqué à juste titre que « le nerf de la zarzuela », celui pour qui il<br />
n’y a plus d’éloges, puisqu’il est considéré comme « l’âme de la partie <strong>lyrique</strong> 49 », était le<br />
chef d’orchestre espagnol, José Rius. Ses qualités de direction sont vantées dans chacun des<br />
45 « Pues allí se v<strong>en</strong> reinas nobles, soldados, animales, y mil otras cosas más. » (« Revista de Teatro »,<br />
El Verjel colombiano (31), 27 mai 1876 : 248.)<br />
46 « Algo sobre zarzuela española » (David), El Verjel colombiano (20), 24 février 1876 : 154.<br />
47 « La empresa ha hecho gastos cuantiosos <strong>en</strong> decoraciones, trajes i <strong>en</strong> otros elem<strong>en</strong>tos que ti<strong>en</strong><strong>en</strong> por<br />
objeto dar majestuosa solemnidad a los espectáculos ». (« Zarzuela », Diario de Cundinamarca<br />
(VII.1908), 19 avril 1876 : 550).<br />
48 « Zarzuela », Diario de Cundinamarca (VII.1953), 12 juin 1876 : 730.<br />
49 « Lo que puede llamarse el nervio de la zarzuela. El señor Rius como director de orquesta no<br />
necesita de más elogios que el decirle que lo consideramos el alma de la parte lírica. » (« Revista de<br />
Teatro », El Verjel colombiano (26), 22 avril 1876 : 208).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
comptes-r<strong>en</strong>dus. <strong>Le</strong>s zarzuelas ne sont plus truffées de chansonnettes accompagnées à la<br />
guitare ou <strong>au</strong> piano ; elles se construis<strong>en</strong>t sur la musique constituée d’airs et d’<strong>en</strong>sembles<br />
sout<strong>en</strong>us par un grand orchestre.<br />
Bi<strong>en</strong> que les détails manqu<strong>en</strong>t sur les musici<strong>en</strong>s d’orchestre, on peut supposer que nous<br />
retrouvons les personnes qui <strong>en</strong> 1874 conformai<strong>en</strong>t l’orchestre de l’opéra. Grâce <strong>au</strong> manuscrit<br />
<strong>au</strong>tographe du Castillo misterioso, nous pouvons connaître la composition de l’orchestre <strong>en</strong><br />
1876. La famille des v<strong>en</strong>ts est composée de dix instrum<strong>en</strong>ts 50 : une flûte, deux clarinettes,<br />
deux cornets à pistons, deux cors, deux trombones et un saxophone [baryton] <strong>en</strong> mi b . Il n’y a<br />
plus de trompette à cylindre (E. Martini a donc quitté la <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong>tre temps) ni de saxhorn.<br />
<strong>Le</strong>s timbales et les cordes vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t compléter un orchestre que nous estimons, tout comme<br />
celui d’Ester, à une vingtaine de musici<strong>en</strong>s. Nous ne disposons <strong>au</strong>jourd’hui que de quatre<br />
parties vocales du Castillo misterioso (tiple, ténor 1, ténor 2 et la partie de Justina), et <strong>au</strong>cun<br />
matériel d’orchestre ne vi<strong>en</strong>t nous donner plus de détails sur les musici<strong>en</strong>s.<br />
En 1874, la troupe de Fiorellini de Balma était la compagnie <strong>lyrique</strong> la plus complète qui<br />
soit arrivée à Bogotá, avec les spectacles les plus aboutis. Il semble que la Compagnie<br />
Colomé ait surpassé les Itali<strong>en</strong>s. Et même si le public a du mal à saisir ces nouvelles<br />
« zarzuelas », il f<strong>au</strong>t rappeler que ce spectacle espagnol est bi<strong>en</strong> plus populaire que l’opéra<br />
chanté <strong>en</strong> itali<strong>en</strong>.<br />
Bogotá <strong>au</strong>ra profité de spectacles d’excell<strong>en</strong>te qualité six mois durant. À son départ la<br />
troupe de Josefa Mateo laisse un souv<strong>en</strong>ir intarissable pour les mélomanes et <strong>au</strong>ra apporté un<br />
souffle de r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> dans les m<strong>en</strong>talités des Bogotains. Car la ville ne s’est pas comportée <strong>en</strong><br />
simple spectatrice : associés <strong>au</strong>x artistes espagnols, de nombreux acteurs et chanteurs<br />
colombi<strong>en</strong>s s’initi<strong>en</strong>t à la scène avec de petits rôles ; le théâtre est <strong>en</strong> partie réaménagé pour<br />
s’accommoder <strong>au</strong>x exig<strong>en</strong>ces de la compagnie ; contre toute att<strong>en</strong>te, les femmes se retrouv<strong>en</strong>t<br />
sur le podium. Et <strong>au</strong> c<strong>en</strong>tre de ces échanges <strong>en</strong>tre la ville et les Espagnols, figure la création<br />
d’une partition colombi<strong>en</strong>ne, de la première zarzuela grande écrite à Bogotá : El Castillo<br />
misterioso <strong>en</strong> trois actes de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
50 En 1874, l’orchestre de l’opéra qui créait Ester comptait douze instrum<strong>en</strong>ts à v<strong>en</strong>t.<br />
211<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
212<br />
5.3. Poncede<strong>Le</strong>ónetlazarzuela<br />
L’espagnol – devrait-on dire le castillan – est-il une langue chantable ? Peut-on écrire une<br />
musique sérieuse sur des textes <strong>en</strong> espagnol ? Cette question tracasse tous ceux qui <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong> p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t l’opéra.<br />
<strong>Le</strong>s compositeurs colombi<strong>en</strong>s ont pour modèles les ouvrages <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> ou <strong>en</strong> français.<br />
Quant à l’espagnol, il reste associé <strong>au</strong> g<strong>en</strong>re bouffe. Ce n’est qu’avec la saison de zarzuelas<br />
grandes de 1876 que le rapport <strong>en</strong>tre la langue castillane et la musique est revu sous un<br />
nouvel aspect.<br />
Avec El Castillo misterioso, Ponce de <strong>Le</strong>ón doit mettre <strong>en</strong> musique un texte <strong>en</strong> espagnol, <strong>en</strong><br />
choisissant un registre esthétique bouffe ou sérieux. Mais quel peut être ce registre <strong>en</strong> 1876 ?<br />
Musique inspirée de la tonadilla ? Musique inspirée de l’opéra romantique itali<strong>en</strong> ? Il f<strong>au</strong>t<br />
ajouter nombre de danses, de musique de cortèges, de processions et des morce<strong>au</strong>x chor<strong>au</strong>x.<br />
La zarzuela, nous l’avons vu, embrasse ces différ<strong>en</strong>ts styles music<strong>au</strong>x.<br />
Il semblerait qu’à l’âge de tr<strong>en</strong>te et un ans, Ponce de <strong>Le</strong>ón puisse <strong>en</strong>fin mettre à profit dans<br />
une œuvre <strong>lyrique</strong> la somme de son savoir-faire. <strong>Le</strong> côté bouffe, il le connaît pour avoir mis<br />
<strong>en</strong> musique la comédie de José María Samper Un alcalde a la antigua ; il a pratiqué le g<strong>en</strong>re<br />
léger de la zarzuela chica dans trois œuvres <strong>lyrique</strong>s : le final de l’Embozado de Córdoba, la<br />
zarzuela <strong>en</strong> un acte El Vizconde et l’opéra-comique Los Diez. Il s’est <strong>au</strong>ssi illustré comme un<br />
compositeur proche du goût itali<strong>en</strong> avec son opéra biblique Ester. Enfin il va sans dire qu’un<br />
compositeur <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong> 1870 était avant tout un compositeur de valses, mazurkas,<br />
polkas, bambucos, pasillos, contredanses… En 1876, Ponce de <strong>Le</strong>ón est donc un artisan<br />
expérim<strong>en</strong>té dans chacun de ces différ<strong>en</strong>ts g<strong>en</strong>res music<strong>au</strong>x et va pouvoir tout mettre à son<br />
avantage dans sa nouvelle zarzuela, El Castillo misterioso.<br />
Écrites <strong>en</strong> espagnol, dans le registre bouffe, faisant alterner texte chanté et dialogues, les<br />
premières œuvres <strong>lyrique</strong>s de Ponce de <strong>Le</strong>ón le conduiront peu à peu vers la zarzuela grande,<br />
El Castillo misterioso. Il s’agit pour la plupart d’œuvres perdues, ou dont il ne subsiste qu’une<br />
partie. La littérature musicologique colombi<strong>en</strong>ne abonde <strong>en</strong> contradictions quant <strong>au</strong>x<br />
informations sur ces œuvres de jeunesse de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Nous voulons ici faire le point sur<br />
la composition de ce répertoire, d’après l’analyse des sources consultées lors de nos trav<strong>au</strong>x<br />
de recherche.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
À l’âge de vingt ans, José María Ponce de <strong>Le</strong>ón aborde pour la première fois le g<strong>en</strong>re<br />
<strong>lyrique</strong>. Son premier ouvrage <strong>lyrique</strong> – peut-être même son tout premier opus – est le final de<br />
Duda <strong>en</strong> el alma o El embozado de Córdoba. Drame espagnol <strong>en</strong> trois actes et <strong>en</strong> vers<br />
d’Eug<strong>en</strong>io de Olavarria y Huarte, El embozado de Córdoba avait été créé à Madrid <strong>en</strong> 1857<br />
d’après un fait divers de 1766 51 . Moins de dix ans après la création, la pièce est jouée à<br />
Bogotá par la compagnie nationale de théâtre que dirige Honorato Barriga. Active <strong>en</strong>tre 1863<br />
et 1865, cette troupe a prés<strong>en</strong>té des drames <strong>en</strong> alternance avec des morce<strong>au</strong>x chantés, des<br />
danses et des pantomimes sous la direction musicale de Julio Quevedo, ami de Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón.<br />
Quelles sont les circonstances qui ont pu pousser ce compositeur à écrire un final pour<br />
l’Embozado de Córdoba ? La seule source dont nous disposions est la biographie écrite par<br />
R. Pombo <strong>en</strong> 1874. Il affirme que la partition fut exécutée <strong>en</strong> 1865 dans la maison de famille<br />
du compositeur à Bogotá, ses sœurs chantant les différ<strong>en</strong>ts rôles 52 . En revanche, pas d’articles<br />
dans la presse qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t confirmer les dires du poète. Pour l’heure il s’agit de chercher<br />
dans la presse de ces années-là les comptes-r<strong>en</strong>dus de théâtre pour connaître la réception de la<br />
pièce théâtrale.<br />
Plus tard dans la même année, une nouvelle œuvre du jeune compositeur voit le jour : Un<br />
alcalde a la antigua y dos primos a la moderna, « opéra bouffe <strong>en</strong> deux actes 53 » d’après une<br />
pièce du Colombi<strong>en</strong> José María Samper. La création de cette comédie de mœurs avait eu lieu<br />
neuf ans <strong>au</strong>paravant, <strong>en</strong> novembre 1856 sur la scène du Coliseo, par la Compagnie dramatique<br />
nationale de Lor<strong>en</strong>zo María Lleras 54 . Ponce de <strong>Le</strong>ón met <strong>en</strong> musique la comédie <strong>en</strong> décembre<br />
1865 (cf. §.3.3.2).<br />
L’opérette voit le jour sur un théâtre aménagé dans l’école del Espíritu Santo à Bogotá. Une<br />
fois de plus, les sœurs du compositeur ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la partie vocale, rejointes cette fois par des<br />
amis du compositeur 55 . Pour le mom<strong>en</strong>t, pas d’artistes expérim<strong>en</strong>tés qui veuill<strong>en</strong>t se prêter<br />
51<br />
Voir M. Ovilo y Otero (1859). Manual de biografía y de bibliografía de los escritores españoles del<br />
siglo <strong>XIX</strong>, tome II. <strong>Paris</strong> : Librería de Rosa y Bouret : 96 ;<br />
L.M. Bellamy et A.C. Klemme (1956). A list of the plays in Garcia Rico y Cia.’s colección de<br />
comedias españolas de los siglos <strong>XIX</strong> y XX, Boulder, University of Colorado : 95.<br />
52<br />
R. Pombo, 1874 : 9.<br />
53<br />
Ibid.<br />
54<br />
Nous avons évoqué l’importance de la compagnie Dramática Nacional dans le r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> de la<br />
scène dramatique dans le chapitre 3.3.2 de cette étude.<br />
55<br />
« Ejecutada con apl<strong>au</strong>so por miembros de su familia y algunos amigos suyos <strong>en</strong> el teatro del colegio<br />
del Espíritu Santo, por no poder conseguir otro local ni cooperación de artistas de experi<strong>en</strong>cia »<br />
(R. Pombo, 1874 : 9).<br />
213<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
214<br />
<strong>au</strong>x expéri<strong>en</strong>ces musicales de ce jeune homme de vingt ans, chose somme toute assez normale<br />
pour un artiste sans expéri<strong>en</strong>ce ni éducation musicale reconnues. <strong>Le</strong>s reproches que peut<br />
adresser R. Pombo quant à l’abs<strong>en</strong>ce d’un souti<strong>en</strong> professionnel et l’impossibilité d’obt<strong>en</strong>ir le<br />
Coliseo sont donc sans fondem<strong>en</strong>ts…<br />
L’année 1865 a été fertile dans la vie du compositeur : il écrit <strong>en</strong> l’espace de quelques mois<br />
seulem<strong>en</strong>t ses deux premières œuvres pour la scène. Mais c’est <strong>au</strong>ssi l’année de ses débuts <strong>au</strong><br />
Coliseo comme souffleur 56 ; et même si son <strong>en</strong>trée est discrète et passe inaperçue lors de la<br />
saison Sindici-Isaza, cette expéri<strong>en</strong>ce a dû marquer le jeune compositeur. Cette proximité<br />
avec la scène l’a incontestablem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>couragé à mettre <strong>en</strong> musique non plus un final d’acte,<br />
mais toute une pièce <strong>en</strong> deux actes. Car c’est d’une vocation dont il s’agit ici. Il n’<strong>en</strong> pouvait<br />
être <strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t pour celui qui s’est déjà <strong>en</strong>gagé dans la voie sinueuse de l’Opéra national !<br />
De ces deux œuvres, El embozado de Córdoba et Un Alcalde… il ne reste <strong>au</strong>jourd’hui<br />
<strong>au</strong>cune trace de la musique. Impossible de déterminer les influ<strong>en</strong>ces et de connaître le premier<br />
style de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Depuis 1858 – il est alors âgé de 13 ans – trois compagnies itali<strong>en</strong>nes<br />
d’opéra se sont produites à Bogotá. A-t-il fréqu<strong>en</strong>té <strong>en</strong> spectateur assidu l’opéra, avant de se<br />
trouver dans le trou du souffleur ? Était-il familiarisé avec le répertoire espagnol de la<br />
tonadilla qui accompagnait les saisons dramatiques ? Quelles étai<strong>en</strong>t les partitions mises à sa<br />
disposition pour son éducation musicale ? Bi<strong>en</strong> que nous ne puissions pas apporter de<br />
réponses, nous doutons du comm<strong>en</strong>taire de R. Pombo qui affirme que le compositeur a écrit<br />
son premier opus « sans avoir jamais vu un opéra ou une zarzuela 57 . »<br />
Il f<strong>au</strong>t <strong>en</strong>core att<strong>en</strong>dre une année – Ponce de <strong>Le</strong>ón va alors avoir vingt-deux ans – pour qu’il<br />
fasse <strong>en</strong>fin parler de lui :<br />
Aujourd’hui nous verrons dans notre théâtre une grande et <strong>en</strong>courageante nouve<strong>au</strong>té : une<br />
compagnie <strong>lyrique</strong> étrangère y exécutera une œuvre nationale.<br />
Hoiveremos<strong>en</strong>nuestroteatrounagrandeipl<strong>au</strong>sibl<strong>en</strong>ovedad:unacompañíalíricaestranjera<br />
ejecutará<strong>en</strong>élunaobranacional 58 .<br />
Depuis novembre 1866, la compagnie <strong>lyrique</strong> de Matilde Cavaletti produit des opéras<br />
itali<strong>en</strong>s <strong>au</strong> Coliseo Maldonado. On annonce pour le jeudi 24 janvier 1867 la représ<strong>en</strong>tation de<br />
56<br />
« Sirvió de consueta <strong>en</strong> la temporada lírica que dieron <strong>en</strong> Bogotá los señores Isaza y Síndici… »<br />
(Ibid.).<br />
57<br />
« Y sin mas <strong>en</strong>señanza, ni haber visto jamás ópera o zarzuela, puso música al final del drama « El<br />
Embozado de Córdova. » (Ibid.).<br />
58<br />
« Ópera. » (J. C. Osorio), El M<strong>en</strong>sajero (73), 24 janvier 1867 : 290.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Lucrezia Borgia de Donizetti. Mais c’est surtout la deuxième partie du programme qui attire<br />
notre att<strong>en</strong>tion : la création de la zarzuela <strong>en</strong> un acte de Ponce de <strong>Le</strong>ón, El Vizconde.<br />
Cette compagnie itali<strong>en</strong>ne avait pour impresario l’Espagnol Juan del Diestro. Entre tradition<br />
itali<strong>en</strong>ne et ibérique, le répertoire bilingue de cette saison reflète un compromis esthétique<br />
<strong>en</strong>tre la scène de l’opéra itali<strong>en</strong> et celle de la zarzuela grande madrilène. À l’image de<br />
Madrid, la compagnie proposait une courte pièce <strong>en</strong> un acte pour compléter les soirées 59 . Aux<br />
compositeurs colombi<strong>en</strong>s de proposer alors des zarzuelas chicas pour clore le spectacle : El<br />
Vizconde (Ponce de <strong>Le</strong>ón), Jacinto (Daniel Figueroa), El postillón de la Rioja (Juan<br />
Crisóstomo Osorio), etc 60 . Même si le bilan financier de cette initiative est négatif, elle <strong>au</strong>ra<br />
permis de donner un aperçu de « l’avancem<strong>en</strong>t du pays 61 », c'est-à-dire de constater que<br />
Bogotá compte des compositeurs capables d’écrire pour la scène.<br />
El Vizconde, <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du pour la première le 24 janvier 1867, est une zarzuela du g<strong>en</strong>re chico<br />
<strong>en</strong> un seul acte et six numéros. Il s’agit de la première partition <strong>lyrique</strong> de Ponce de <strong>Le</strong>ón qui<br />
nous soit parv<strong>en</strong>ue. Partition pourtant bi<strong>en</strong> incomplète puisque seule une partie de 1 ers violons<br />
est conservée dans la BLAA 62 .<br />
Écrite sur le livret d’une zarzuela espagnole « dont il ne connaissait pas la musique 63 »,<br />
cette pièce est due à Francisco Camprodón (1816-1870) et Barbieri l’avait mise <strong>en</strong> musique<br />
<strong>en</strong> 1855. Comm<strong>en</strong>t sommes-nous arrivé à cette conclusion, <strong>en</strong> abs<strong>en</strong>ce de sources citant le<br />
substrat littéraire ?<br />
Juan Crisóstomo Osorio, pianiste, professeur de Ponce de <strong>Le</strong>ón, écrit un compte-r<strong>en</strong>du <strong>au</strong><br />
l<strong>en</strong>demain de la création du Vizconde 64 . On y appr<strong>en</strong>d le nom des personnages : El<strong>en</strong>a,<br />
Rodrigo, don Alfonso, et celui du rôle principal : le Vizconde. On y appr<strong>en</strong>d égalem<strong>en</strong>t qu’un<br />
duo <strong>en</strong>tre El<strong>en</strong>a et son amant [n°3] est suivi par un trio avec l’<strong>en</strong>trée de don Alfonso [n°4]. <strong>Le</strong><br />
manuscrit chant-piano de Barbieri (consultable <strong>en</strong> ligne 65 ) <strong>en</strong> cinq numéros 66 prés<strong>en</strong>te les<br />
mêmes personnages, la même typologie vocale et les mêmes situations que ceux dont parle<br />
J. C. Osorio. Simple coïncid<strong>en</strong>ces ? Des répliques des chanteurs apposées sur la seule<br />
59<br />
<strong>Le</strong>s nombreuses coupures introduites dans les opéras devai<strong>en</strong>t sans doute abréger le spectacle.<br />
60<br />
M. Lamus Obregón, 2004 : 384.<br />
61<br />
Ibid. Cite « Teatro », La República ( 2), 10 juillet 1876 : 8.<br />
62 ers<br />
La reconstitution de la musique posera de nombreux problèmes car les 1 violons ont un rôle<br />
d’accompagnem<strong>en</strong>t et ne doubl<strong>en</strong>t pas toujours le chant.<br />
63<br />
R. Pombo, 1874 : 9.<br />
64<br />
« Ópera » (J. C. Osorio), El M<strong>en</strong>sajero (76), 27 janvier 1867 : 302.<br />
65<br />
http://www.bne.es/esp/digi/FORESBIPA.HTML<br />
66<br />
<strong>Le</strong>s n° 3 et 4 de la pièce de Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> font un seul (n° 3) chez Barbieri.<br />
215<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
216<br />
partition de Ponce de <strong>Le</strong>ón sont concluantes quant à l’id<strong>en</strong>tification de l’œuvre littéraire. Dans<br />
le n° 1 (mes. 123-125) on lit l’indication parlanto [sic.] suivi par la réplique :<br />
estadmeat<strong>en</strong>tovoslodiré/(Soyezatt<strong>en</strong>tifjevaisvousledire)<br />
Paroles qui se retrouv<strong>en</strong>t dans le manuscrit de Barbieri (page 2), égalem<strong>en</strong>t précédée par un<br />
texte parlé :<br />
Estadmeat<strong>en</strong>toyoslodiré.<br />
Plus de doutes quant à l’<strong>au</strong>teur du livret 67 . Reste toujours à savoir comm<strong>en</strong>t ce livret est<br />
arrivé <strong>en</strong>tre les mains de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Est-il v<strong>en</strong>u dans les bagages de l’impresario Juan de<br />
Diestro ? Est-ce un souv<strong>en</strong>ir d’une soirée madrilène rapporté par un par<strong>en</strong>t ou ami du<br />
compositeur ?<br />
El Vizconde est chanté par la prima donna Matilde Cavaletti, qui dévoile pour l’occasion<br />
son tal<strong>en</strong>t d’actrice, et par Luisa Visoni (dans le rôle d’El<strong>en</strong>a). <strong>Le</strong>s rôles masculins sont créés<br />
par les Colombi<strong>en</strong>s Honorato Barriga et le tout jeune Epifanio Garay 68 . Sans doute le début<br />
d’une longue amitié artistique <strong>en</strong>tre Ponce de <strong>Le</strong>ón et Garay, dont un des grands mom<strong>en</strong>ts<br />
sera la création de Florinda, treize ans après cette première collaboration.<br />
J. C. Osorio ne se prononce pas sur la musique, car il ne l’a <strong>en</strong>t<strong>en</strong>due qu’une seule fois et ne<br />
dispose pas de la partition. Il laisse cep<strong>en</strong>dant compr<strong>en</strong>dre que le jeune compositeur<br />
s’applique à reproduire le style musical ibérique, sans faire preuve d’une grande originalité :<br />
[…] dans toutes les zarzuelas comme dans tous les opéras, les cad<strong>en</strong>ces se ressembl<strong>en</strong>t toujours<br />
et il n’est pas étonnant que celles du Vizconde puiss<strong>en</strong>t ressembler à celles d’<strong>au</strong>tres<br />
compositions.<br />
[…]<strong>en</strong>todaslaszarzuelascomo<strong>en</strong>todaslasóperas,lascad<strong>en</strong>ciassiempreseparec<strong>en</strong>inoes<br />
estraño [sic.] que algunas de las del Vizconde se asemej<strong>en</strong> a algunas de otras<br />
composiciones 69 .<br />
Cela nous <strong>en</strong> dit long sur la personnalité musicale de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Son l<strong>en</strong>t<br />
développem<strong>en</strong>t de musici<strong>en</strong> a débuté ici, avec cette faculté d’assimilation et de restitution de<br />
différ<strong>en</strong>ts styles. Ester, son opéra de 1874, s’inscrit <strong>en</strong>core dans cette étape d’acquisition de<br />
différ<strong>en</strong>tes influ<strong>en</strong>ces. La maîtrise complète de cette synthèse stylistique apparaît dans El<br />
67 Un <strong>au</strong>tre exemple : « Te daré tres », « te daré ci<strong>en</strong> » que l’on retrouve sur les deux manuscrits (n° 4,<br />
mes. 98 et suivantes de Ponce de <strong>Le</strong>ón ; p. 28-29 chez Barbieri).<br />
68 J. C. Osorio, Ibid. ; R. Pombo, Ibid.<br />
69 J. C. Osorio, « Ópera », El M<strong>en</strong>sajero (I.76), 27 janvier 1867 : 302.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Castillo misterioso. Ce n’est que dans son opéra suivant, Florinda (1879), que l’on découvre<br />
un compositeur mature et original qui va aller <strong>au</strong>-delà de l’imitation.<br />
<strong>Le</strong> fait qu’une compagnie étrangère ait accepté <strong>en</strong> 1867 d’interpréter le Vizconde a permis<br />
de confirmer <strong>au</strong>x yeux de tous le pot<strong>en</strong>tiel créateur du jeune Ponce de <strong>Le</strong>ón. Dès lors sa<br />
vocation peut être prise <strong>au</strong> sérieux et la nécessité d’une éducation musicale de qualité<br />
s’impose. La création de cette zarzuela a sans doute été le tremplin qui va lui permettre, à la<br />
fin de 1867, de s’installer dans la capitale culturelle du mom<strong>en</strong>t : <strong>Paris</strong>.<br />
Pour finir de prés<strong>en</strong>ter les essais de Ponce de <strong>Le</strong>ón dans le g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong>, on ne peut passer<br />
sous sil<strong>en</strong>ce son opéra-comique Los Diez, plutôt <strong>Le</strong>s Dix, puisqu’il fut écrit à <strong>Paris</strong>. C’est un<br />
opéra dont nous n’avons <strong>au</strong>cune trace. Selon l’arrière-petite-fille du compositeur, le titre <strong>Le</strong>s<br />
Dix ferait référ<strong>en</strong>ce <strong>au</strong>x dix frères et sœurs du compositeur. Quant à R. Pombo, il affirme que<br />
le maître de José María à <strong>Paris</strong>, Alexis Ch<strong>au</strong>vet, <strong>au</strong>rait gardé la partition de cet « opéra<br />
bouffe » pour le proposer <strong>au</strong> Théâtre de l’Athénée, comme nous avons pu le voir dans le<br />
chapitre 3.4.3 de cette étude. Mais la déclaration de la guerre contre la Prusse brise tout espoir<br />
et Ponce de <strong>Le</strong>ón doit r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong> 1870.<br />
Tel est le parcours du compositeur qui <strong>en</strong> 1876, alors que la troupe Colomé vi<strong>en</strong>t éblouir<br />
Bogotá avec la zarzuela grande, va désirer écrire une zarzuela, une zarzuela grande. Un<br />
compositeur à qui<br />
nous ne devons pas seulem<strong>en</strong>t le premier opéra sérieux mais <strong>au</strong>ssi le premier bouffe et la<br />
première zarzuela qui ont été composés dans notre pays.<br />
aéldebemosnosólolaprimeraóperaseriasinotambiénlaprimerabufaylaprimera<br />
zarzuelaquesehancompuesto<strong>en</strong>nuestropaís 70 .<br />
Citation qui <strong>en</strong> 1876 peut s’ét<strong>en</strong>dre à la première zarzuela grande puis <strong>en</strong> 1880 <strong>au</strong> premier<br />
grand opéra <strong>en</strong> espagnol. Mais repr<strong>en</strong>ons le fil de notre récit : retour à 1876, retour à Bogotá,<br />
retour à la saison de zarzuela de Josefa Mateo.<br />
70 R. Pombo, 1874 : 10.<br />
217<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
218<br />
5.3.1.<br />
La zarzuela El Castillo misterioso est la deuxième œuvre importante écrite pour le Coliseo<br />
de Bogotá par Ponce de <strong>Le</strong>ón après Ester. Toutes deux sont <strong>en</strong> partie motivées par la prés<strong>en</strong>ce<br />
d’une troupe europé<strong>en</strong>ne dans la capitale. Afin de profiter des saisons <strong>lyrique</strong>s <strong>en</strong> cours – on<br />
les sait éphémères – elles sont écrites à la hâte. Elles sont prés<strong>en</strong>tées sous la protection des<br />
prime donne qui choisiss<strong>en</strong>t une œuvre colombi<strong>en</strong>ne pour les soirées données à leur bénéfice.<br />
Même effectif instrum<strong>en</strong>tal pour les deux œuvres, avec la prés<strong>en</strong>ce d’un chœur mixte <strong>en</strong><br />
1876. Enfin une même destinée pour les deux œuvres : l’oubli.<br />
En 1876, l’on ne prévoit ni concours ouvert ni célébrations patriotiques. Simplem<strong>en</strong>t « la<br />
t<strong>en</strong>tation 72 » de Ponce de <strong>Le</strong>ón d’écrire une pièce dans le goût de la nouvelle zarzuela qui fait<br />
tant parler à Bogotá. Ponce de <strong>Le</strong>ón est dev<strong>en</strong>u un personnage célèbre <strong>au</strong> l<strong>en</strong>demain de son<br />
Ester : il peut écrire une grande œuvre <strong>en</strong> trois actes par caprice, tout <strong>en</strong> sachant qu’il<br />
comptera avec le souti<strong>en</strong> des artistes bogotains pour sa représ<strong>en</strong>tation. Reste à voir si la<br />
compagnie espagnole voudra bi<strong>en</strong> inclure à sa programmation une zarzuela colombi<strong>en</strong>ne<br />
inédite. Seulem<strong>en</strong>t il doit agir rapidem<strong>en</strong>t, la durée d’une saison <strong>lyrique</strong> à Bogotá n’étant que<br />
de quelques mois. <strong>Le</strong> défi est relevé par Ponce de <strong>Le</strong>ón ; et le jour de la première :<br />
Notre étonnem<strong>en</strong>t ne pouvait être plus naturel <strong>en</strong> considérant que nous étions <strong>en</strong> train d’écouter<br />
une production colombi<strong>en</strong>ne, improvisée ici <strong>en</strong> moins de deux mois…<br />
Nuestroasombronopodíasermásnaturalalconsiderarqueloqueestábamosoy<strong>en</strong>doera<br />
produccióncolombiana,improvisadaaquí<strong>en</strong>m<strong>en</strong>osdedosmeses… 73 <br />
El Castillo misterioso a donc pour unique moteur la volonté de Ponce de <strong>Le</strong>ón ; cette même<br />
volonté qu’exprimait déjà le jeune compositeur inexpérim<strong>en</strong>té dix années <strong>au</strong>paravant, mais<br />
dont le travail restait alors confiné dans le cercle familial. La spontanéité du compositeur a<br />
sans doute été rejointe par celle du librettiste, José María Gutiérrez de Alba, qui depuis son<br />
arrivée à Bogotá ne manquait pas une occasion d’écrire pour le théâtre.<br />
71<br />
« Ça a été une grande et agréable surprise que de trouver ici une personne capable d’improviser une<br />
telle œuvre » (« El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista<br />
(V.491), 2 mai 1876 : 1381).<br />
72<br />
« Nueva ópera de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.489), 25 avril<br />
1876 : 1373.<br />
73<br />
« El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai<br />
1876 : 1381.<br />
Ha sido para ellos una grande y grata sorpresa el <strong>en</strong>contrar aquí a uno que improvisase<br />
trabajo semejante 71 .<br />
Rafael Pombo<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Personnalité reconnue dans le milieu littéraire et théâtral de Bogotá, Gutiérrez de Alba a dû<br />
être un des médiateurs <strong>en</strong>tre le compositeur colombi<strong>en</strong> et la compagnie espagnole pour<br />
programmer l’œuvre d’un inconnu. Né à Alcalá de Guadaíra (Andalousie) <strong>en</strong> 1822, Gutiérrez<br />
de Alba était arrivé à Bogotá <strong>en</strong> 1870 comme libraire. Pourtant le motif véritable de son<br />
voyage <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> restait un secret d’État : sa mission était de préparer le terrain pour la<br />
reprise des relations diplomatiques <strong>en</strong>tre la <strong>Colombie</strong> et le gouvernem<strong>en</strong>t espagnol de Juan<br />
Prim, relations rompues depuis 1819. Mais lors de la rest<strong>au</strong>ration des Bourbons <strong>en</strong> Espagne<br />
<strong>en</strong> 1874, il décide de rester <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. Dramaturge, poète, journaliste, dessinateur, il<br />
représ<strong>en</strong>te l’homme <strong>en</strong>gagé et l’av<strong>en</strong>turier du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> qui a vécu l’exil politique (<strong>Paris</strong>,<br />
1856-1868) avant de se voir confier des missions diplomatiques. Personnage s<strong>en</strong>sible <strong>au</strong><br />
progrès, il fonde <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> une société agronomique, participe à de nombreux cercles<br />
littéraires, fonde des écoles et s’<strong>en</strong>gage dans la création d’un Théâtre national, notamm<strong>en</strong>t<br />
avec le projet de fonder une Académie de déclamation et de chant dans les années 1880. Ses<br />
poésies, articles et prises de position paraiss<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t dans la presse. Enchanté par<br />
l’accueil que lui réserve un pays où tous ses projets innovants remport<strong>en</strong>t le suffrage des<br />
dirigeants, il demeure treize ans <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
<strong>Le</strong>s années 1870 marqu<strong>en</strong>t la rupture définitive avec l’obscurantisme colonial qui pouvait<br />
<strong>en</strong>core subsister dans certains aspects de la société. Sous un gouvernem<strong>en</strong>t attaché <strong>au</strong><br />
libéralisme économique, la notion de progrès devi<strong>en</strong>t la devise à la mode. Gutiérrez de Alba<br />
trouve un terrain favorable à son esprit positif. Son séjour est consigné dans un long journal<br />
<strong>en</strong> treize tomes, <strong>en</strong>core manuscrit : Diario de Impresiones de mi viaje a la América del Sur.<br />
Véritable mine pour l’histori<strong>en</strong> qui étudie la société colombi<strong>en</strong>ne de cette déc<strong>en</strong>nie 1870, il<br />
n’y a que le premier tome (janvier à mai 1870) qui soit actuellem<strong>en</strong>t consultable 74 .<br />
Description et réflexion sur le quotidi<strong>en</strong>, aquarelles, cartes de visites, programmes de<br />
théâtre… <strong>Le</strong> panorama de la vie culturelle est complet sous le regard de ce collectionneur<br />
méticuleux !<br />
Lorsqu’<strong>en</strong> 1876 la troupe de zarzuela est arrivée à Bogotá, Gutiérrez de Alba a dû être ravi<br />
de savoir que ses compatriotes égaierai<strong>en</strong>t les mornes soirées de la ville avec le grand g<strong>en</strong>re<br />
<strong>lyrique</strong> ibérique, inconnu à Bogotá. S’il <strong>en</strong>visageait d’écrire une zarzuela – mettant davantage<br />
<strong>en</strong> valeur le dramaturge que dans un livret d’opéra du fait de la prés<strong>en</strong>ce de dialogues – il<br />
trouve <strong>en</strong> Ponce de <strong>Le</strong>ón un part<strong>en</strong>aire idéal, jouissant d’une grande réputation dans le milieu<br />
219<br />
74 José María Gutiérrez de Alba, Diario de Impresiones de mi viaje a la América del Sur, BLAA<br />
(Libros raros y Manuscritos), cote MSS 506. <strong>Le</strong>s <strong>au</strong>tres volumes ont été récemm<strong>en</strong>t acquis par la<br />
maison d’édition Villegas à Bogotá <strong>en</strong> vue d’une prochaine édition.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
220<br />
musical de la ville. Et à eux deux de s’<strong>en</strong>gager dans la création de cette première zarzuela<br />
grande, avec la seule exig<strong>en</strong>ce du compromis artistique, qui dans leurs esprits marque la<br />
naissance de la zarzuela colombi<strong>en</strong>ne.<br />
L’œuvre dramatique de Gutiérrez de Alba est écorchée par la critique : « Faible et sans<br />
artifice 75 », « abs<strong>en</strong>ce total d’intérêt du dernier acte 76 ». <strong>Le</strong> point de vue le plus étonnant reste<br />
<strong>en</strong>core celui de R. Pombo. S’il la trouve d’abord « supérieure <strong>en</strong> intérêt et <strong>en</strong> variété à<br />
be<strong>au</strong>coup de livrets d’opéra connus 77 », il revi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite sur cette première impression pour<br />
parler quelques années plus tard d’un « sujet peu intéressant 78 ».<br />
Dans un village, Margarita, fiancée de Cristian, att<strong>en</strong>d son retour de l’armée. Mais El<br />
Bailío, maire du village, insiste pour que Margarita épouse son neveu Miguel. Un vol a lieu<br />
dans le châte<strong>au</strong> att<strong>en</strong>ant <strong>au</strong> village ; les officiers retrouv<strong>en</strong>t un ruban rouge que Margarita<br />
avait naguère donné à son fiancé. Cristian est donc accusé et, pour lui laisser la vie s<strong>au</strong>ve, El<br />
Bailío contraint Margarita à s’unir avec Miguel. Au cours d’une scène pleine de péripéties<br />
comiques, où trois personnages se retrouv<strong>en</strong>t cachés dans une même pièce, on appr<strong>en</strong>d<br />
finalem<strong>en</strong>t que Miguel est le véritable coupable. Assassiné par son propre complice,<br />
Margarita retrouve sa liberté et peut épouser Cristian.<br />
La pièce juxtapose les conv<strong>en</strong>tions de la scène espagnole ; la variété des situations permet<br />
<strong>au</strong> compositeur l’emploi d’une riche palette d’affects : la joie, le rire, l’affliction la plus<br />
grande… La structure <strong>en</strong> quinze numéros est équilibrée par l’alternance de duos, arias,<br />
<strong>en</strong>sembles, où s’exprim<strong>en</strong>t des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts variés. On s’étonne <strong>en</strong>fin de voir que R. Pombo,<br />
jugeant l’intitulé de la zarzuela inapproprié par rapport <strong>au</strong> cont<strong>en</strong>u, propose un nouve<strong>au</strong> titre:<br />
La Cinta <strong>en</strong>carnada (que nous traduirons par <strong>Le</strong> ruban cramoisi), « nom bi<strong>en</strong> plus coloré […]<br />
qui exprime le nœud, l’ess<strong>en</strong>ce de l’argum<strong>en</strong>t 79 . »<br />
Gutiérrez de Alba n’a jamais joui d’une grande réputation <strong>en</strong> tant qu’<strong>au</strong>teur dramatique.<br />
Dans une lettre que l’écrivain colombi<strong>en</strong> Angel Cuervo, résidant à <strong>Paris</strong>, adresse à R. Pombo<br />
<strong>en</strong> août 1887, il confirme le peu de succès que remport<strong>en</strong>t les pièces de l’Espagnol :<br />
75<br />
« La obra dramática pareció muy floja y sin bastante artificio » (« Revista de Teatro » (David), El<br />
verjel colombiano (28),7 mai 1876 : 223).<br />
76<br />
Ibid.<br />
77<br />
« El libreto, superior <strong>en</strong> interés y <strong>en</strong> variedad a muchos libretos de óperas celebradas… » « El nuevo<br />
triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai 1876 : 1381).<br />
78<br />
R. Pombo, 1880 : 4.<br />
79<br />
« Nombre harto <strong>en</strong>c<strong>en</strong>dido […] y que expresa el nudo, el quid del argum<strong>en</strong>to. » (« Nuevo triunfo de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón. El Castillo misterioso » (R. Pombo), Papel Periódico ilustrado (II.37), 1 er avril 1883 :<br />
202).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Nous avons lu à Ems les pains que recevait notre Gutiérrez de Alba à c<strong>au</strong>se de La Moza del<br />
Cura [L’amante du prêtre], jouet comique qu’il a fait représ<strong>en</strong>ter à Madrid. La chose est<br />
délicate : ils ont d’abord cru qu’il s’agissait de l’œuvre d’un débutant.<br />
Cuandoestábamos<strong>en</strong>EmsleímosloscoscorronesquelemetíananuestroGutiérrezdeAlba<br />
por La Moza del Cura, juguete cómico que hizo repres<strong>en</strong>tar <strong>en</strong> Madrid. El asunto <strong>en</strong><br />
apari<strong>en</strong>ciaesespinoso.Alprincipiocreyeronqueeraobradealgúnprincipiante 80 .<br />
À Bogotá, Gutiérrez de Alba écrit régulièrem<strong>en</strong>t des pièces de théâtre qui sont représ<strong>en</strong>tées<br />
par des compagnies espagnoles ou colombi<strong>en</strong>nes. Son ambition est de joindre son nom à celui<br />
du Théâtre national. Au sein d’une sourde querelle d’influ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre le modèle littéraire<br />
français et l’espagnol, Gutiérrez de Alba apporte un v<strong>en</strong>t de fraîcheur puisqu’il voulait à son<br />
tour réformer le théâtre ibérique. Paradoxalem<strong>en</strong>t, sa nouvelle vision du théâtre était une<br />
relecture de son expéri<strong>en</strong>ce vécue dans les salles parisi<strong>en</strong>nes lors de son exil. Il voulait des<br />
situations joyeuses, pittoresques, peignant la vie quotidi<strong>en</strong>ne et vulgaire, transposant sur la<br />
scène ce qui se passait dans la rue 81 . Fidèle à ses vœux, il répond <strong>au</strong>ssi <strong>au</strong> projet culturel qu’il<br />
nourrit depuis son départ d’Espagne : « La reconquête de l’influ<strong>en</strong>ce perdue de l’Espagne »<br />
sur les « anci<strong>en</strong>nes colonies 82 ». R. Pombo résume l’attitude de Gutiérrez de Alba dans sa<br />
création dramatique : un rejet « de la fantasmagorie française qui éloigne du naturel 83 ».<br />
Nous sommes <strong>au</strong> cœur d’un débat esthétique sur fond politique, et le choix des influ<strong>en</strong>ces<br />
dans la création artistique <strong>en</strong> est un indicateur. <strong>Le</strong> monde politique, jusqu'alors hostile <strong>en</strong>vers<br />
l’Espagne, est <strong>en</strong> train de r<strong>en</strong>ouer des relations avec Madrid. Ce revirem<strong>en</strong>t est visible dans la<br />
production littéraire. Si la comédie de mœurs espagnole a toujours plu à Bogotá, il pouvait<br />
sembler incorrect d’adhérer à une expression artistique de l’anci<strong>en</strong>ne puissance coloniale.<br />
Pourtant le modèle français, paradigme du bon goût et d’un art civilisateur, semble de plus <strong>en</strong><br />
plus inadapté à la réalité colombi<strong>en</strong>ne. C’est <strong>au</strong>ssi durant les années 1870 que les écrivains<br />
colombi<strong>en</strong>s font un travail de fond sur la langue, le registre linguistique et que les études<br />
philologiques se développ<strong>en</strong>t 84 . La création de l’Academia Colombiana de la <strong>Le</strong>ngua <strong>en</strong> 1871<br />
marque une étape importante dans cette réflexion <strong>en</strong>gagée <strong>au</strong>tour de la langue.<br />
La production <strong>lyrique</strong> de Ponce de <strong>Le</strong>ón, analysée à partir de ses livrets, illustre cette<br />
polémique <strong>en</strong> se plaçant <strong>au</strong>x deux extrémités : Ester répond du modèle français, omniprés<strong>en</strong>t<br />
80<br />
<strong>Le</strong>ttre de Angel Cuervo, Ems-<strong>Paris</strong>, août-septembre 1887 (A. Cuervo, 1974 : 83). La Moza del Cura<br />
est créé à Madrid le 20 août 1887.<br />
81<br />
José Manuel Campo Diaz, 1998 : 199.<br />
82<br />
« Para que España reconquiste su perdida influ<strong>en</strong>cia », J.M. Gutiérrez de Alba, « Introducción »,<br />
Diario de impresiones de mi viaje…<br />
83 Cité in B. H. Robledo, 2005 : 219.<br />
84 B. H. Robledo, 2005 : 208.<br />
221<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
222<br />
p<strong>en</strong>dant tout le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. El Castillo misterioso marque un premier pas dans ce retour à<br />
l’influ<strong>en</strong>ce ibérique. Mais c’est dans Florinda que les <strong>au</strong>teurs se désintéress<strong>en</strong>t de toute<br />
polémique, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>tant un ouvrage à la fois français et espagnol, si ce n’est europé<strong>en</strong>.<br />
Florinda transc<strong>en</strong>de les passions nationales car l’opéra est irrigué par tout type d’influ<strong>en</strong>ces :<br />
la construction formelle française du Grand Opéra parisi<strong>en</strong> donne le cadre à un sujet qui puise<br />
dans l’histoire des rois de Castille, écrit <strong>en</strong> espagnol pour être chanté <strong>en</strong> espagnol, mais<br />
finalem<strong>en</strong>t créé <strong>en</strong> itali<strong>en</strong>, coutumes oblig<strong>en</strong>t ; les <strong>au</strong>teurs, tous deux colombi<strong>en</strong>s, sav<strong>en</strong>t s’être<br />
<strong>en</strong>gagé dans la voie de l’Opéra national. Enfin, si la toile de fond musicale reste itali<strong>en</strong>ne, le<br />
romantisme anglo-saxon déteint sur les vers d’un R. Pombo poète qui a traduit <strong>en</strong> espagnol<br />
Byron, Bryant, Longfellow, Shakespeare, Goethe, <strong>en</strong> plus de Lamartine, Hugo, Musset 85 …<br />
La création de Florinda coïncide avec la reprise des relations diplomatiques <strong>en</strong>tre la<br />
<strong>Colombie</strong> et l’Espagne <strong>en</strong> 1880. F<strong>au</strong>t-il pour <strong>au</strong>tant y voir une politisation de l’opéra ? <strong>Le</strong><br />
librettiste et le compositeur ne sont-ils pas les interprètes inconsci<strong>en</strong>ts d’une réalité politique<br />
qui transperce l’art ?<br />
Mais retour <strong>en</strong> 1876, lors de la première du Castillo misterioso. Contrairem<strong>en</strong>t à Ester, la<br />
zarzuela n’est annoncée que peu de jours avant la date de sa création, sans toute la pompe qui<br />
deux ans <strong>au</strong>paravant avait préparé la naissance de l’opéra biblique. La première, prévue pour<br />
le mardi 25 avril 1876, est différée de deux jours. C’est lors de la soirée du jeudi 27 avril 1876<br />
que Ponce de <strong>Le</strong>ón peut <strong>en</strong>fin voir créé son deuxième ouvrage sur la scène du Coliseo<br />
Maldonado :<br />
<strong>Le</strong> mardi 25 <strong>au</strong>ra lieu la séance <strong>au</strong> bénéfice de la sympathique actrice madame Josefa Mateo.<br />
<strong>Le</strong>s messieurs qui compos<strong>en</strong>t la société du Jockey Club ont été désignés comme mécènes ;<br />
l’œuvre choisie est la zarzuela <strong>en</strong> trois actes, El Castillo misterioso, paroles du célèbre<br />
écrivain M. José María Gutiérrez de Alba et musique de notre compatriote, le maestro M. José<br />
María Ponce de <strong>Le</strong>ón. En guise de final on exécutera la composition <strong>en</strong> un acte, Un Pleito.<br />
Tout promet un succès complet <strong>en</strong> faveur de la bénéficiée.<br />
Elmartes25,t<strong>en</strong>drálugarlafunciónab<strong>en</strong>eficiodelasimpáticaactrizseñoraJosefaMateo.<br />
Loscaballerosquecompon<strong>en</strong>lasociedadd<strong>en</strong>ominadaJockeyClubhansidodesignadoscomo<br />
mec<strong>en</strong>as;ysehaescogidolazarzuela<strong>en</strong>tresactos,ElCastillomisterioso,letradelcélebre<br />
literatoseñorJoséMaríaGutiérrezdeAlbaymúsicad<strong>en</strong>uestrocompatriotaelav<strong>en</strong>tajado<br />
maestroseñorJoséMaríaPoncede<strong>Le</strong>ón.Ademásseejecutarácomofinallacomposición<strong>en</strong><br />
unactotituladaUnPleito.Todoprometeunéxitocompletoafavordelab<strong>en</strong>eficiada 86 .<br />
À Bogotá le public ti<strong>en</strong>t à témoigner de son admiration <strong>au</strong>x artistes de la scène <strong>en</strong> assistant<br />
à leurs soirées. Pour Ponce de <strong>Le</strong>ón, ces soirées données <strong>au</strong> bénéfice des prime donne sont<br />
85 Ibid. : 269.<br />
86 « Teatro », El verjel colombiano (26), 22 avril 1876 : 208.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
une véritable vitrine : déjà <strong>en</strong> 1874 Ester avait été sout<strong>en</strong>ue par Fiorellini de Balma. L’histoire<br />
se répète <strong>en</strong> 1876 lorsque Josefa Mateo décide de créer El Castillo le soir de son bénéfice. La<br />
Mateo fait preuve d’amitié artistique et d’humilité <strong>en</strong> choisissant une œuvre inconnue, qui<br />
plus est, écrite par un compositeur local. La troupe ce soir-là est <strong>au</strong> grand complet : Josefa<br />
Mateo [Margarita], B<strong>au</strong>s [Justina], Carbonell [Cristian], Ortiz [Miguel ?], Colomé [El Bailío]<br />
et Altarriba [Roberto ?].<br />
Nous connaissons peu de détails sur cette unique interprétation du Castillo misterioso. <strong>Le</strong><br />
succès n’a pas été fracassant et la zarzuela n’a pas le temps de s’imposer <strong>au</strong> public ; une ou<br />
deux reprises <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t été nécessaires pour bi<strong>en</strong> roder l’œuvre et corriger « les bousculades,<br />
les indécisions, le manque de maîtrise des rôles que l’on remarque lors de la première mise <strong>en</strong><br />
scène d’une pièce 87 ». D’<strong>au</strong>tant plus que, répétée dans l’urg<strong>en</strong>ce par la troupe, l’œuvre est<br />
amputée de trois de ses numéros 88 . L’Aria bufa pour ténor [II, n° 7], écrit dans le style<br />
fougueux du parlar cantando rossini<strong>en</strong>, dans un tempo noté vivo sur le manuscrit, prés<strong>en</strong>te<br />
trop de difficultés pour la mise <strong>en</strong> place. Quant <strong>au</strong> troisième acte, « le public n’a <strong>en</strong>core<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du ni son début [n° 11], un chœur bachique, ni sa fin [n° 15]… 89 ». Prés<strong>en</strong>t qui reste<br />
d’actualité : <strong>en</strong> 2009, El Castillo misterioso n’a <strong>en</strong>core jamais été joué dans sa version<br />
intégrale ! À sa place, le Boléro (n° 14) ouvre l’acte et, pour finir l’œuvre, on y colle<br />
n’importe quel final d’une <strong>au</strong>tre zarzuela.<br />
Un deuxième inconvéni<strong>en</strong>t est noté par R. Pombo : le s<strong>en</strong>s du mot zarzuela. En annonçant<br />
une zarzuela, la compagnie attire un public qui s’att<strong>en</strong>d à une œuvre pleine de « chahut et de<br />
plaisanteries, à portée de tout Boéti<strong>en</strong> 90 . » Ce public est donc dérouté par une œuvre <strong>au</strong>ssi<br />
sérieuse. Pourtant… le pouvoir mélodique de Ponce de <strong>Le</strong>ón est tel qu’il réussit à émouvoir<br />
même ceux qui ne daignai<strong>en</strong>t appl<strong>au</strong>dir que lorsque le ténor bouffe dansait avec la plus jeune<br />
des choristes ou lorsqu’un accessoire de la scène v<strong>en</strong>ait à s’écraser par terre 91 !<br />
223<br />
87 « Los tropiezos, las indecisiones, la falta de posesión que por le g<strong>en</strong>eral se nota <strong>en</strong> los actores<br />
cuando por primera vez se pone <strong>en</strong> esc<strong>en</strong>a una pieza… » (« Revista de teatro » (David), El verjel<br />
colombiano (28), 7 mai 1876 : 223).<br />
88 « El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai<br />
1876 : 1381.<br />
89 «… el público no ha oído todavía ni su principio, que es un coro báquico, ni su fin, que es un vals a<br />
duo y coro, brillantísimo. » (ibid.)<br />
90 «… una función de jaleos y chistes, al alcance de cualquier beocio. » (Ibid.). Comm<strong>en</strong>t traduire <strong>en</strong><br />
français le terme jaleo? S’agit-il de la danse andalouse ? De son s<strong>en</strong>s populaire : chahut, tapage ? <strong>Le</strong><br />
terme de Boéti<strong>en</strong> <strong>en</strong> espagnol est synonyme de bête, nig<strong>au</strong>d.<br />
91 « El sexteto [II, n° 10] impuso y arrebató <strong>au</strong>n a los palmoteadores del farolillo ». (Ibid.)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
224<br />
C’est ce style de Ponce de <strong>Le</strong>ón, où tout est mélodie, qui fait la richesse de l’œuvre. Qu’il<br />
s’agisse de l’aria dramatique de Margarita qui arrache des larmes <strong>au</strong> public (II, n° 6), de la<br />
mélodie <strong>en</strong> fa majeur du duo n° 8 (que « M<strong>en</strong>delssohn <strong>au</strong>rait embellit avec ses<br />
développem<strong>en</strong>ts classiques 92 ») ou de la Romance du ténor (I, n° 3), nous sommes <strong>au</strong>jourd’hui<br />
<strong>en</strong>core admiratifs sur la qualité mélodique du Castillo misterioso. Ponce de <strong>Le</strong>ón a dépassé<br />
son premier style, celui d’Ester, <strong>en</strong> écrivant des mélodies qui se déploi<strong>en</strong>t largem<strong>en</strong>t et<br />
sereinem<strong>en</strong>t, articulées sur des retards, des emprunts tonales, orchestrés à la Verdi. En 1876,<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón puise <strong>en</strong>core son inspiration dans les feux crépusculaires du bel canto.<br />
<strong>Le</strong>s chœurs « brillants et d’un prodigieux effet 93 » sont <strong>au</strong>ssi une réussite pour le<br />
compositeur. La marche nuptiale, le « boléro », les valses mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> avant le compositeur et<br />
l’orchestrateur de danses. Sa « consci<strong>en</strong>ce de compositeur » le pousse à écrire une musique <strong>en</strong><br />
accord avec le texte, « négligeant les strettes et cascades vocales », tous ces artifices par<br />
lesquels les « charlatans et maestros respectables […] arrach<strong>en</strong>t des appl<strong>au</strong>dissem<strong>en</strong>ts 94 . »<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón a-t-il réutilisé de la musique de son propre cru ? Des œuvres de salons ou<br />
pour fanfare ? Si tel est le cas, ces musiques peuv<strong>en</strong>t être <strong>au</strong>jourd’hui s<strong>au</strong>vées de l’oubli par<br />
leur insertion dans la zarzuela :<br />
De fines oreilles n’ont pas laissé de percevoir quelques réminisc<strong>en</strong>ces, excusables d’<strong>au</strong>tant plus<br />
qu’<strong>en</strong> musique il est impossible d’être original à part <strong>en</strong>tière. Aucun maestro, <strong>au</strong>ssi notable et<br />
fécond soit-il, ne cesse de copier, ou tout <strong>au</strong> moins de se répéter.<br />
Oídosmuydelicadosnodejarondepercibiralgunasreminisc<strong>en</strong>ciasquesondisculpables<br />
cuantoque<strong>en</strong>música<strong>en</strong>imposibleser<strong>en</strong>teram<strong>en</strong>teoriginal.Ningúnmaestro,pornotabley<br />
fecundoquehayasido,hadejadodecopiarycuandom<strong>en</strong>osderepetirse 95 .<br />
Pourquoi la compagnie espagnole ne remet-elle pas sur la scène du Coliseo El Castillo<br />
misterioso, alors que l’œuvre avait reçu un accueil plus que chaleureux ? Contrairem<strong>en</strong>t <strong>au</strong><br />
cas d’Ester, nous ignorons si des intrigues internes ont éclaté <strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>tes personnes,<br />
acteurs, musici<strong>en</strong>s… El Castillo misterioso constitue pourtant une œuvre achevée, plus<br />
ciselée que l’opéra de 1874. Cette création par la troupe espagnole n’est qu’une étape pour ce<br />
work in progress, dont Ponce de <strong>Le</strong>ón est invité à faire un opéra. L’histoire <strong>en</strong> disposa<br />
92<br />
«…por la cual habría dado M<strong>en</strong>delssohn un ojo de la cara, para bordarla con sus clásicos<br />
desarrollos. » (Ibid.)<br />
93<br />
«… los coros […] fueron brillantes y de port<strong>en</strong>toso efecto. » (« Revista de Teatro » (David), El<br />
verjel colombiano (28), 7 mai 1876 : 223).<br />
94<br />
« Ponce lleva su dignidad y conci<strong>en</strong>cia de compositor hasta el punto de desdeñar muchas veces las<br />
strettas y los apuros de voz, tirabuzones de orejas con que no sólo los charlatanes sino aún maestros<br />
respetables imploran y arrancan apl<strong>au</strong>sos… » (« El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio<br />
[R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai 1876 : 1381.).<br />
95<br />
« Revista de teatro » (David), El verjel colombiano (28), 7 mai 1876 : 223.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
<strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t : ni reprises, ni transformation <strong>en</strong> opéra, El Castillo misterioso n’a <strong>en</strong>core jamais<br />
été joué sous sa version originale !<br />
5.3.2.<br />
En avril 1876, alors que la compagnie de la Mateo avait prés<strong>en</strong>té à Bogotá une vingtaine de<br />
spectacles 97 ; alors que le public avait découvert un tout nouve<strong>au</strong> g<strong>en</strong>re faisant alterner<br />
situations comiques et dramatiques ; alors qu’on avait <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du une musique <strong>au</strong>ssi riche et<br />
complexe que celle des opéras itali<strong>en</strong>s ; alors que le terme de zarzuela avait finalem<strong>en</strong>t été<br />
réactualisé et reconsidéré, la critique faisait toujours l’impasse devant la dénomination<br />
zarzuela.<br />
[El Castillo misterioso] n’est pas une zarzuela, c’est un opéra tragique avec des passages<br />
dialogués, plein de s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts et d’originalité ; c’est un travail sérieux que vous devez<br />
compléter un jour.<br />
Estanoesunazarzuela,esunaóperatrágicaconfragm<strong>en</strong>toshablados,ll<strong>en</strong>ades<strong>en</strong>timi<strong>en</strong>toy<br />
deoriginalidad;esuntrabajoserioqueusteddebecompletaralgúndía 98 .<br />
Nous observons ainsi une rétic<strong>en</strong>ce de la part de R. Pombo à vouloir accoler le terme de<br />
« zarzuela » à une musique sérieuse, et son empressem<strong>en</strong>t pour <strong>en</strong> faire à tout prix un opéra.<br />
Cette façon de p<strong>en</strong>ser était le fait d’une élite qui cherchait à construire la notion d’id<strong>en</strong>tité<br />
nationale par l’importation de valeurs et de coutumes europé<strong>en</strong>nes. <strong>Le</strong>ur vision positiviste<br />
d’un art éducateur, édificateur, moralisateur, ne trouvait pas sa place dans la zarzuela,<br />
spectacle trop souv<strong>en</strong>t associé à des situations de tapage et de plaisanteries, comme nous<br />
avons pu l’établir précédemm<strong>en</strong>t. Si le débat esthétique <strong>au</strong>tour de l’opéra date de son arrivée<br />
<strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> (1858) – l’opéra est-il un spectacle adapté pour le public bogotain ? – certains<br />
répond<strong>en</strong>t <strong>en</strong> plaçant l’opéra <strong>au</strong> sommet d’une hiérarchie générique des arts du spectacle :<br />
n’est-il pas l’union du discours musical et dramatique ? Alors que la zarzuela divertit, la<br />
fonction de l’opéra semble être tout <strong>au</strong>tre :<br />
De nos jours toute société, si p<strong>au</strong>vre soit-elle, préserve comme une de ses nécessités morales<br />
les plus pressantes un spectacle comme celui de l’opéra ou du théâtre dramatique, du mom<strong>en</strong>t<br />
qu’elle aspire à vivre la civilisation.<br />
96<br />
« Que la zarzuela devi<strong>en</strong>ne un opéra! » (« Nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón. El Castillo misterioso »<br />
(R. Pombo), Papel Periódico ilustrado (II.37), 1 er avril 1883 : 202.<br />
97<br />
Onze zarzuelas grandes et une dizaine de zarzuelas <strong>en</strong> un acte, selon notre dépouillem<strong>en</strong>t de la<br />
presse. Voir Annexe 7.4.<br />
98<br />
« Nueva ópera de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.489), 25 avril<br />
1876 : 1373.<br />
Mejor p<strong>en</strong>sado, conviértase <strong>en</strong> zarzuela la ópera.<br />
R. Pombo 96 .<br />
225<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
226<br />
Enelpres<strong>en</strong>tesiglocualquierasociedad,porpobrequesea,contalquepret<strong>en</strong>danomásvivir<br />
lavidadelacivilización,manti<strong>en</strong>ecomounadesusmásapremiantesnecesidadesmoralesun<br />
espectáculotalcomolaóperaoelteatrodramático 99 .<br />
L’opéra, <strong>en</strong>visagé comme élém<strong>en</strong>t civilisateur, devi<strong>en</strong>t à son tour indice de civilisation.<br />
Pour R. Pombo, un seul opéra ne suffit pas. Après Ester il f<strong>au</strong>t qu’El Castillo misterioso à son<br />
tour gravisse l’échelon « opéra » ; il convi<strong>en</strong>t de travailler dans le s<strong>en</strong>s d’un Opéra national<br />
qui élèverait la naissante <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> rang des pays « civilisés ».<br />
Dès que la presse parle du Castillo misterioso, l’œuvre est comparée <strong>au</strong>x opéras du grand<br />
répertoire. <strong>Le</strong> sujet le rapproche de La sonnambula de Bellini 100 , melodramma <strong>en</strong> deux<br />
actes 101 . La musique à sont tour est sérieuse et écrite dans le « s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t bellini<strong>en</strong> 102 » (on cite<br />
notamm<strong>en</strong>t le sextuor final du second acte) ; ou <strong>en</strong>core à la façon de Donizetti (II, n° 8, « duo<br />
<strong>en</strong>tre monstre et victime que Donizetti n’<strong>au</strong>rait pas hésité à utiliser pour le défit dans<br />
Lucia 103 »). Finalem<strong>en</strong>t R. Pombo résume le style de Ponce de <strong>Le</strong>ón comme la synthèse <strong>en</strong>tre<br />
« la veine rossini<strong>en</strong>ne pour le registre bouffe et léger, et le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t mystique de Gounod,<br />
amoureux et pathétique 104 . » Dans ces années de quête d’une id<strong>en</strong>tité culturelle, le premier pas<br />
à franchir pour tout artiste est celui de la synthèse des styles <strong>en</strong> s’inspirant des grands modèles<br />
europé<strong>en</strong>s. Ils sont consci<strong>en</strong>ts de ce premier pas intellectuel qui leur permettrait par la suite de<br />
s’affranchir de l’étiquette d’imitateurs pour fonder des écoles originales.<br />
<strong>Le</strong> point de vue des artistes espagnols est tout <strong>au</strong>ssi important pour garantir <strong>au</strong> public<br />
colombi<strong>en</strong> le génie de Ponce de <strong>Le</strong>ón. « Ils déclar<strong>en</strong>t El Castillo misterioso digne<br />
d’appl<strong>au</strong>dissem<strong>en</strong>ts dans tout théâtre d’une capitale culte 105 » et voi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Ponce de <strong>Le</strong>ón le<br />
« ‘fondateur ou initiateur d’un nouvelle voie’, celle du drame <strong>lyrique</strong> sérieux <strong>en</strong> espagnol 106 . »<br />
99 « Teatro lírico », La Opinión (III.103), 25 janvier 1865 : 26.<br />
100 Flor<strong>en</strong>cio, Ibid.<br />
101 Cette comparaison faite par R. Pombo explique sans doute le terme de « melodrama » que David<br />
[Guarín] donne à la zarzuela de Ponce de <strong>Le</strong>ón (« Revista de Teatro », El Verjel Colombiano (28), 7<br />
mai 1876 : 23.).<br />
102 « Un sexteto serio de primer ord<strong>en</strong>, de s<strong>en</strong>timi<strong>en</strong>to Belliniano » (« Nueva ópera de Ponce de <strong>Le</strong>ón »<br />
(Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.489), 25 avril 1876 : 1373.)<br />
103 « Un dúo <strong>en</strong>tre monstruo y víctima, que Donizetti no habría despreciado para el del desafío de<br />
Lucia » (Ibid.)<br />
104 « Reune la v<strong>en</strong>a rossiniana para lo bufo y ligero, y el s<strong>en</strong>timi<strong>en</strong>to místico de Gounod para lo<br />
amoroso y lo patético. » (Ibid.)<br />
105 « Declaran “el Castillo Misterioso” digno de apl<strong>au</strong>so <strong>en</strong> cualquier teatro de capital culto » (« El<br />
nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai 1876 :<br />
1381).<br />
106 « ’Fundador o iniciador <strong>en</strong> una nueva vía’, la del drama lírico serio con letra española » (Flor<strong>en</strong>cio,<br />
Ibid.).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Nous noterons la redondance drame <strong>lyrique</strong> et sérieux, qui t<strong>en</strong>d à faire oublier le titre<br />
Zarzuela <strong>en</strong> tres actos qui figure tout de même sur le manuscrit <strong>au</strong>tographe.<br />
Ces critiques qui mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> exergue le sérieux de l’ouvrage sont-elles fondées ?<br />
La partition du Castillo misterioso prés<strong>en</strong>te une musique tout à fait séduisante et<br />
savamm<strong>en</strong>t élaborée, par mom<strong>en</strong>ts dramatique, par mom<strong>en</strong>ts joyeuse, bucolique ou bouffe. Et<br />
c’est notamm<strong>en</strong>t la maîtrise du langage musical opératique qui <strong>en</strong> fait une œuvre de qualité ;<br />
qui nous dévoile un compositeur qui est allé de l’avant depuis son opéra Ester. Pour <strong>au</strong>tant, El<br />
Castillo misterioso ne cesse pas d’être une zarzuela, une zarzuela grande. Une œuvre sérieuse<br />
et aboutie qui, comme ses aînées ibériques, est espagnole par son sujet, itali<strong>en</strong>ne par sa<br />
musique. Voici un table<strong>au</strong> qui met à jour la structure de la zarzuela, <strong>en</strong> montrant les<br />
différ<strong>en</strong>tes influ<strong>en</strong>ces stylistiques qui jalonn<strong>en</strong>t les quinze numéros de l’œuvre.<br />
227<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
228<br />
Numéro Personnages Style musicale Origine<br />
n° 1. Chœur, Justina, Bailío.<br />
Miguel Roberto<br />
El Castillo misterioso est donc une œuvre variée, tant par des situations diverses, des<br />
<strong>en</strong>sembles et chœurs, que par la prés<strong>en</strong>ce de nombreuses influ<strong>en</strong>ces musicales. Il s’agit des<br />
mêmes ingrédi<strong>en</strong>ts qui vers 1850 avai<strong>en</strong>t donné naissance <strong>au</strong> grand g<strong>en</strong>re de la zarzuela <strong>en</strong><br />
Espagne.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Acte 1<br />
Prélude choral avec interv<strong>en</strong>tions de Zarzuela grande<br />
quelques personnages, <strong>en</strong> plusieurs<br />
parties.<br />
Style bouffe Zarzuela chica<br />
N° 2. Margarita, Bailío,<br />
Tercetino Miguel<br />
N° 3.<br />
Romanza<br />
Cristian Influ<strong>en</strong>ce du bambuco colombi<strong>en</strong> Opéra itali<strong>en</strong><br />
N° 4. Duetto Margarita, Cristian. Cantabile suivi d’une cabalette Opéra itali<strong>en</strong><br />
N° 5. Baile y<br />
Coro<br />
Tutti Final d’acte <strong>en</strong> plusieurs sections<br />
(suite de danses).<br />
Acte 2<br />
Mélodrame<br />
N° 6. Aria Margarita Aria dramatique Opéra itali<strong>en</strong><br />
N° 7. Aria<br />
Bufa<br />
Bailío Aria bouffe dans le style rossini<strong>en</strong> Zarzuela chica<br />
N° 8. Duetto Margarita, Bailío Style Bellini Bellini<br />
N° 9. Coro Tutti (s<strong>au</strong>f Cristian) + marche nuptiale<br />
N° 10. Final<br />
2 do<br />
Tutti Final d’opéra itali<strong>en</strong><br />
Acte 3<br />
N° 11. Coro Chœur Zarzuela grande<br />
N° 12. Duetto Margarita, Miguel<br />
N° 13. Duo Miguel, Roberto Style parlando rossini<strong>en</strong><br />
N° 14. Coro Chœur,<br />
Bailío<br />
Magarita,<br />
N° 15. Final<br />
Margarita,<br />
Chœur<br />
Cristian,<br />
(boléro ou tar<strong>en</strong>telle) Zarzuela<br />
Table<strong>au</strong> 12 : Struture du Castilo misterioso<br />
Final de zarzuela
Gutiérrez de Alba a-t-il suivi le goût du temps pour faire de sa zarzuela un opéra ? A-t-il<br />
« mis <strong>en</strong> musique les passages qui <strong>au</strong>jourd’hui ne l’admett<strong>en</strong>t pas 107 », <strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t dit, a-t-il<br />
raccourci les dialogues pour <strong>en</strong> faire des récitatifs ? El Castillo misterioso est cep<strong>en</strong>dant resté<br />
sous sa forme originale, oublié par la suite, sourd <strong>au</strong> cri de R. Pombo :<br />
Que la zarzuela devi<strong>en</strong>ne un opéra<br />
[…]conviértaselazarzuela<strong>en</strong>ópera 108 .<br />
5.3.3.<br />
Dans les années 1870, il n’existe qu’un moy<strong>en</strong> pour qu’un compositeur latino-américain se<br />
fasse connaître : créer une œuvre sur une scène importante ou devant une personnalité<br />
importante. L’exemple le plus connu de nos jours demeure celui de Carlos Gomes,<br />
compositeur brésili<strong>en</strong> né <strong>en</strong> 1836, même si d’<strong>au</strong>tres musici<strong>en</strong>s ont un parcours parallèle, tel le<br />
Mexicain Melesio Morales, ou le Cubain Gaspar Villate qui vécut à <strong>Paris</strong>. Carlos Gomez<br />
prés<strong>en</strong>te ses deux premiers opéras, Noite do Castelo (1861) et Joana de Flandres (1863),<br />
devant l’Empereur du Brésil. <strong>Le</strong> succès est tel que le compositeur obti<strong>en</strong>t une bourse de<br />
l’Académie Impériale des Be<strong>au</strong>x-arts du Brésil. Il se r<strong>en</strong>d à Milan où il devi<strong>en</strong>t célèbre avec la<br />
création de son opéra sur un thème indianiste Il Guarany (1870), basé sur le roman de son<br />
compatriote José de Al<strong>en</strong>car.<br />
Si le parcours exceptionnel de Carlos Gomes est connu de nos jours, il l’était déjà de son<br />
vivant. À Bogotá, des extraits de son Guarany peuv<strong>en</strong>t s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre lors d’un concert donné par<br />
Fiorellini de Balma le 5 mai 1876, quelques jours après la création du Castillo misterioso. La<br />
créatrice d’Ester chante « admirablem<strong>en</strong>t la fameuse aria de l’opéra Guarany, du célèbre<br />
maestro brésili<strong>en</strong> Carlos Gomes 109 . »<br />
F<strong>au</strong>t-il s’att<strong>en</strong>dre à ce que le gouvernem<strong>en</strong>t colombi<strong>en</strong> <strong>en</strong>voie à son tour Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong><br />
Europe ? Tout du moins qu’il <strong>en</strong>courage son tal<strong>en</strong>t créateur <strong>en</strong> lui offrant des conditions<br />
dignes pour l’exercice de son art à Bogotá. <strong>Le</strong> gouvernem<strong>en</strong>t colombi<strong>en</strong>, plus s<strong>en</strong>sible <strong>au</strong>x<br />
rumeurs qui cour<strong>en</strong>t sur un nouve<strong>au</strong> conflit interne, ne s’est jamais fait connaître comme<br />
mécène ou protecteur des artistes.<br />
229<br />
107 «…preparando para música los intervalos que hoy no la admit<strong>en</strong>. » (« Nuevo triunfo de Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón. El Castillo misterioso » (R. Pombo), Papel Periódico ilustrado (II.37), 1 er avril 1883 : 202.)<br />
108 Ibid.<br />
109 « Estuvo admirable […], sobre todo <strong>en</strong> la famosa aria de la ópera Guarany, del célebre maestro<br />
brasilero Carlos Gomes » (« Concierto », Diario de Cundinamarca (VII.1923), 6 mai 1876 : 610).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
230<br />
Consci<strong>en</strong>ts de la situation difficile de Ponce de <strong>Le</strong>ón et de son isolem<strong>en</strong>t géographique, les<br />
chanteurs espagnols de la Compagnie de zarzuela ont un geste symbolique : le soir de la<br />
création du Castillo misterioso, alors que le public acclame le compositeur et les interprètes,<br />
ceux-ci lis<strong>en</strong>t devant tout le théâtre une pétition adressée <strong>au</strong>x membres du Congrès 110 . Ce<br />
texte, remis <strong>en</strong> mains propres <strong>au</strong> Présid<strong>en</strong>t de la Fédération des États-Unis de <strong>Colombie</strong>, vi<strong>en</strong>t<br />
appuyer le projet de loi intitulé Honneur et appui à deux artistes nation<strong>au</strong>x 111 , déjà approuvé<br />
par la Chambre des Représ<strong>en</strong>tants. Il s’agit « d’<strong>en</strong>courager le compositeur pour qu’il puisse se<br />
consacrer complètem<strong>en</strong>t <strong>au</strong> développem<strong>en</strong>t de son tal<strong>en</strong>t musical » et qu’il puisse diriger une<br />
fanfare qui égale <strong>en</strong> nombre et <strong>en</strong> qualité celles d’Europe et des États-Unis 112 . L’avis des<br />
artistes europé<strong>en</strong>s a-t-il été décisif pour améliorer la situation de Ponce de <strong>Le</strong>ón ?<br />
La situation musicale à Bogotá est telle que la seule place que puisse occuper un musici<strong>en</strong><br />
de r<strong>en</strong>om, <strong>en</strong> dehors de la fonction de maître de chapelle dans une église, soit celle de<br />
directeur de la fanfare nationale. Bogotá n’a pas de conservatoire de musique où l’on puisse<br />
exercer l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t ; Bogotá n’a pas d’orchestre perman<strong>en</strong>t à diriger. Comm<strong>en</strong>t motiver<br />
un créateur tel que Ponce dans ce contexte ?<br />
Une année plus tard, le 14 juin 1877, José María Ponce de <strong>Le</strong>ón est nommé directeur de la<br />
nouvelle Fanfare nationale. Il acquièrt le statut de militaire, avec un grade équival<strong>en</strong>t à celui<br />
de serg<strong>en</strong>t-major 113 . <strong>Le</strong>s deux anci<strong>en</strong>nes fanfares de Bogotá, dirigées par Ponce de <strong>Le</strong>ón et par<br />
Cayetano Pereira, sont refondues <strong>en</strong> une seule, composée de quarante-huit musici<strong>en</strong>s de la<br />
Garde Colombi<strong>en</strong>ne, avec un statut militaire 114 . Ponce de <strong>Le</strong>ón peut <strong>en</strong>fin compter sur un<br />
rev<strong>en</strong>u m<strong>en</strong>suel fixe de c<strong>en</strong>t pesos 115 . Ce changem<strong>en</strong>t de situation a des conséqu<strong>en</strong>ces dans sa<br />
carrière de compositeur <strong>lyrique</strong> : Florinda, son prochain ouvrage, est la première œuvre qu’il<br />
compose dans le calme, contrairem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x improvisations qui ont néanmoins fait sa<br />
r<strong>en</strong>ommée comme compositeur à Bogotá.<br />
110<br />
« Un b<strong>en</strong>eficio », Diario de Cundinamarca (VII.1916), 28 avril 1876 : 582; ainsi que « El nuevo<br />
triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai 1876 : 1381.<br />
111<br />
« De honor y estímulo a dos artistas nacionales »<br />
112<br />
« El objeto es al<strong>en</strong>tar al distinguido maestro colombiano para que pueda consagrarse por <strong>en</strong>tero al<br />
desarrollo de su tal<strong>en</strong>to musical […] y que se logre levantar una banda de música a la altura de las de<br />
Europa i los Estados Unidos. » (« Honra al mérito », Diario de Cundinamarca (VIII.2118), 28 avril<br />
1877 : 309).<br />
113<br />
« Gran banda de música », Diario de Cundinamarca (VIII.2140), 19 juin 1877 : 388.<br />
114<br />
Ibid.<br />
115<br />
« Honra al mérito », Diario de Cundinamarca, (VIII.2118), 28 avril 1877 : 309.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Par ailleurs, le projet de loi (Art. 4) proposait <strong>au</strong>ssi l’appui financier du pouvoir exécutif<br />
avec des fonds publics pour publier la musique de Ponce de <strong>Le</strong>ón 116 . Lorsqu’on voit la<br />
quantité de musique manuscrite qui s´amasse dans les bibliothèques de Bogotá, on peut<br />
supposer que ces fonds n’ont jamais été attribués à Ponce de <strong>Le</strong>ón. Du Castillo misterioso<br />
comme d’Ester, <strong>au</strong>cune mesure de musique n’a jamais été publiée.<br />
Que reste-il <strong>au</strong>jourd’hui du Castillo misterioso ?<br />
L’œuvre n’a jamais été transformée <strong>en</strong> opéra et, s’il a été question d’ajouter des récitatifs, le<br />
projet n’a jamais été m<strong>en</strong>é à bi<strong>en</strong> par le compositeur. <strong>Le</strong> manuscrit <strong>au</strong>tographe de la partition<br />
est conservé dans un excell<strong>en</strong>t état à Bogotá, <strong>au</strong> CDM. Il s’agit d’un recueil de 128 pages,<br />
format à l’itali<strong>en</strong>ne, d’une parfaite lisibilité, pratiquem<strong>en</strong>t sans ratures et sans collettes. Si la<br />
musique y figure <strong>en</strong> son intégralité, le compositeur n’a plus placé de paroles sous les lignes de<br />
chant à partir du deuxième acte. Mais d’<strong>au</strong>tres sources de première main nous permett<strong>en</strong>t de<br />
restituer la partition complète avec le texte.<br />
En revanche, <strong>au</strong>cune partie d’orchestre n’a pu être localisée à ce jour. <strong>Le</strong>s seules parties<br />
séparées qui exist<strong>en</strong>t sont celles de Tiples PSc(1) (qui ne chant<strong>en</strong>t qu’<strong>au</strong> premier acte), des<br />
ténors I et II (PSc(2) et PSc(3)), ainsi que la partie soliste de Justina PSs(1) <strong>au</strong> nom de « Sra.<br />
M. B<strong>au</strong>s. » Il existe <strong>au</strong>ssi un brouillon du n° 6 (Aria de Margarita) Br4. Ces différ<strong>en</strong>ts<br />
manuscrits, tous de parties vocales, prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t texte et musique et permett<strong>en</strong>t donc<br />
d’<strong>en</strong>visager une édition complète de la partition.<br />
<strong>Le</strong>s trois actes exist<strong>en</strong>t <strong>au</strong>ssi sous forme de brouillons Br1, Br2 et Br3, manuscrits d’une<br />
réduction chant-piano, mais avec une partie de piano très lacunaire. En revanche, le texte y<br />
figure <strong>en</strong> son intégralité, avec notamm<strong>en</strong>t des passages <strong>en</strong> mélodrame. Ce sont ces manuscrits<br />
qui nous permett<strong>en</strong>t de reconstituer la partition complète de la zarzuela. En cas de doute, il<br />
existe <strong>au</strong>ssi la partie de violon de Dos Oberturas qui prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t deux Potpourris sur le<br />
Castillo misterioso 117 . La prés<strong>en</strong>ce de ces nombreux numéros réinvestis par le compositeur<br />
dans des pièces instrum<strong>en</strong>tales montre qu’il t<strong>en</strong>ait à ce que cette musique fût réinterprétée.<br />
Mais une zarzuela est une pièce avant tout dialoguée, qui alterne avec des morce<strong>au</strong>x de<br />
musique. Un docum<strong>en</strong>t précieux est conservé <strong>au</strong> CDM de Bogotá : la pièce de théâtre<br />
manuscrite L du Castillo misterioso. Ce manuscrit, sans doute de la main de Gutiérrez de<br />
231<br />
116 « Art.4º. Autorizase al Poder Ejecutivo para que coopere con fondos del Tesoro, mediante un<br />
arreglo o conv<strong>en</strong>io con el señor Ponce de <strong>Le</strong>ón, a la publicación de sus trabajos musicales. » (ibid.)<br />
117 Cette pièce purem<strong>en</strong>t instrum<strong>en</strong>tale, sur laquelle nous ne possédons <strong>au</strong>cune information, <strong>en</strong>chaîne<br />
les numéros 5, 3, 2 puis 6, 20 el le Bolero de la zarzuela.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
232<br />
Alba (le doute persiste car l’écriture ressemble à celle de Ponce de <strong>Le</strong>ón), est un docum<strong>en</strong>t<br />
précieux polychrome : le texte parlé est écrit <strong>en</strong> noir alors que les parties chantées, ainsi que<br />
les didascalies, apparaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> rouge. L’<strong>au</strong>teur a <strong>au</strong>ssi barré certaines parties du texte trop<br />
long, ou qui n’ont pas été chantées lors de la création (c’est le cas du n° 7). Ce manuscrit ne<br />
conti<strong>en</strong>t que le second et le troisième acte ; le texte parlé du premier acte semble à jamais<br />
perdu.<br />
Il s’agit là de tout le matériel de la zarzuela qui ait survécu, peut-être moins abondant que<br />
celui d’Ester, mais somme toute assez complet. Comme il n’existe pas de révision ni de<br />
seconde version de la zarzuela, il est plus facile de reconstituer le spectacle tel qu’il a été créé,<br />
sans oublier qu’une aria bouffe (n° 7) et deux chœurs (n° 11 et 15) avai<strong>en</strong>t été omis, et n’ont à<br />
ce jour jamais été interprétés.<br />
Quant à Ponce de <strong>Le</strong>ón, compositeur infatigable, il écrit à la suite du Castillo misterioso<br />
deux <strong>au</strong>tres zarzuelas « extrêmem<strong>en</strong>t comiques 118 » qui ne seront jamais montées ni de son<br />
vivant, ni après sa mort : El alma <strong>en</strong> un hilo et <strong>Le</strong>vantar muertos, ouvrages <strong>au</strong>jourd’hui<br />
perdus.<br />
El alma <strong>en</strong> un hilo, « jouet comico-<strong>lyrique</strong> » <strong>en</strong> deux actes sur un texte de Jorge Ponce et<br />
Juan Carranza, avait été mis <strong>en</strong> musique par le compositeur espagnol Tomás Bretón (1850-<br />
1923) et créé à Madrid <strong>au</strong> Teatro de la Zarzuela <strong>en</strong> mai 1874. C’est ce livret espagnol,<br />
relevant du g<strong>en</strong>re de la zarzuela chica 119 , qui a inspiré Ponce de <strong>Le</strong>ón. Il reste <strong>au</strong>jourd’hui à<br />
Bogotá une feuille, El alma <strong>en</strong> un hilo – Terceto, signée par Ponce de <strong>Le</strong>ón, avec quarante-<br />
cinq mesures de musique pour orchestre et chant 120 . <strong>Le</strong> nom des personnages de ce trio –<br />
Inoc<strong>en</strong>cia, Cándido et Homobono – nous permet d’affirmer qu’il s’agit bi<strong>en</strong> du livret de<br />
Ponce et de Carranza. Cette partition est incomplète, ne donne que le début, mais nous livre<br />
un indice pour sa datation : la famille des bois (flûte et deux clarinettes) est <strong>en</strong>richie par la<br />
prés<strong>en</strong>ce du basson ; les cuivres font appel à deux cornets, deux cors et un ophicléide. On<br />
remarque donc un effectif différ<strong>en</strong>t de celui d’Ester et du Castillo misterioso. Il reste à<br />
déterminer de quand date la prés<strong>en</strong>ce du basson et de l’ophicléide dans un orchestre à Bogotá.<br />
Enfin on peut se demander si cette partition incomplète suppose l’exist<strong>en</strong>ce d’une version<br />
chant-piano terminée, que nous n’avons pu localiser à ce jour.<br />
118 « Dos graciosísimas zarzuelas » (R. Pombo, 1880 : 4).<br />
119 L’œuvre de Tomás Bretón est <strong>en</strong> huit numéros.<br />
120 BLAA, départem<strong>en</strong>t des livres rares et manuscrit, côte MI 1545.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Sur la zarzuela <strong>Le</strong>vantar muertos, nous ne possédons <strong>au</strong>cune information. On suppose que<br />
le compositeur s’est inspiré de la comédie <strong>en</strong> deux actes d’Eusebio Blasco y Miguel Ramos<br />
Carrión, mais il s’agit là d’une hypothèse puisqu’<strong>au</strong>cun docum<strong>en</strong>t ou indice ne permet pour le<br />
mom<strong>en</strong>t de l’affirmer.<br />
El Castillo misterioso est <strong>au</strong>jourd’hui une œuvre méconnue. N’ayant jamais été éditée, la<br />
partition n’a jamais été analysée ni comm<strong>en</strong>tée. Interprétée une seule fois, amputée de trois<br />
numéros, elle ne pouvait pas susciter d’opinion critique objective. De plus, le terme de<br />
zarzuela a pu déranger quelques musicologues qui y voi<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> r<strong>en</strong>ouant avec le problème<br />
sémantique des années 1870, un g<strong>en</strong>re peu intéressant. Aucun histori<strong>en</strong> n’a donc jamais<br />
évoqué l’importance de cette deuxième grande œuvre de Ponce de <strong>Le</strong>ón ; <strong>au</strong>cun écrit ne<br />
subsiste sur sa portée, sur le style et sur la vie professionnelle du compositeur ; il n’existe<br />
<strong>au</strong>cune allusion <strong>au</strong>x répercussions de cette zarzuela grande dans l’histoire de l’opéra<br />
colombi<strong>en</strong> qui est <strong>en</strong> train de se tisser. Nous voulons ici corriger ce qui à nos yeux est un<br />
grave oubli dans la musicologie colombi<strong>en</strong>ne.<br />
Œuvre clef dans la production <strong>lyrique</strong> de Ponce de <strong>Le</strong>ón, elle r<strong>en</strong>oue avec ses premières<br />
productions – zarzuelas et opéras-comiques de jeunesse – après un détour heureux par l’opéra<br />
sérieux <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> : Ester. Dans cette œuvre de transition, le compositeur colombi<strong>en</strong> a su<br />
synthétiser les grandes influ<strong>en</strong>ces stylistiques itali<strong>en</strong>nes et ibériques, tout <strong>en</strong> ayant une oreille<br />
aguerrie sur la musique colombi<strong>en</strong>ne. Nul compositeur, <strong>au</strong>ssi habitué qu’il soit à écrire des<br />
opéras, ne sort indemne de la conception d’un nouvel ouvrage : à partir de ce mom<strong>en</strong>t, Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón peut comm<strong>en</strong>cer une nouvelle étape. Sa prochaine œuvre, Florinda, sera le fait d’un<br />
compositeur de grande maturité artistique.<br />
El Castillo misterioso infléchit l’histoire de l’Opéra national vers une nouvelle voie. D’une<br />
part on peut comm<strong>en</strong>cer à parler « d’Opéra national » ; mais l’ess<strong>en</strong>tiel est que Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
a donné une issue <strong>au</strong> débat de la langue dans l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. Itali<strong>en</strong> ? Espagnol ? À<br />
partir du Castillo misterioso on peut <strong>en</strong>fin assurer que l’espagnol est une langue qui se prête à<br />
la mise <strong>en</strong> musique. Dans une période de construction id<strong>en</strong>titaire, l’opéra peut à son tour<br />
contribuer à affirmer un aspect de la culture colombi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> s’appuyant sur la langue<br />
officielle. L’opéra comme élém<strong>en</strong>t <strong>au</strong>th<strong>en</strong>tificateur d’une culture nationale, voilà sans doute le<br />
<strong>rêve</strong> de certains intellectuels ! Mais l’idée reste marginale et sans l<strong>en</strong>demain.<br />
233<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
234<br />
La Compagnie de zarzuela de Josefa Mateo, avec sa longue liste d’ouvrages <strong>en</strong> espagnol,<br />
avec une seule zarzuela colombi<strong>en</strong>ne, <strong>au</strong>ra donc laissé une trace indélébile face à la réception<br />
d’œuvres chantées chez les créateurs et théorici<strong>en</strong>s de l’opéra. Si l’espagnol est digne de la<br />
scène <strong>lyrique</strong>, pourquoi ne pas continuer sur cette nouvelle voie que Ponce de <strong>Le</strong>ón vi<strong>en</strong>t<br />
d’ouvrir <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> ? Pourquoi ne pas rev<strong>en</strong>ir sur Ester ? « Que la compagnie se décide à<br />
[…] donner Ester <strong>en</strong> espagnol, comme elle fut écrite 121 » !<br />
121 «… ojalá se resuelva la Compañía a darnos la “Ester” <strong>en</strong> español, como fue escrita. » (« El nuevo<br />
triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491), 2 mai 1876 : 1381).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
6. Lamaturité:Florinda<br />
Elle s’appelait doña Florinde. Doña Florinde était la plus belle du roy<strong>au</strong>me. <strong>Le</strong> comte Juli<strong>en</strong><br />
la gardait comme un trésor.<br />
Alexandre Dumas,<br />
Impressions de voyages : De <strong>Paris</strong> à Cadix, 1847-1848<br />
6.1. Histoireoulég<strong>en</strong>de?AuxsourcesdeFlorinda<br />
6.1.1.<br />
En l’an 710, le roy<strong>au</strong>me wisigoth d’Hispanie (419-711) sombre avec la mort du Roi Witiza.<br />
Don Rodrigue, puissant seigneur wisigoth et chevalier aguerri, repousse les héritiers et<br />
s’empare du trône. Akhila, l’héritier légitime, s’exile sur les côtes africaines de la<br />
Méditerranée et trouve refuge à Ceuta.<br />
L’exarchat de Ceuta, <strong>en</strong>clave byzantine <strong>en</strong> Afrique du Nord, est alors gouverné par le comte<br />
Juli<strong>en</strong>, el conde Julián, qui <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t des relations amicales avec les Wisigoths de la<br />
péninsule ibérique. En gage de cette amitié, et pour affirmer l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te politique, don Julián<br />
<strong>en</strong>voie sa fille Florinde à la cour de Tolède 1 . Mais un jour une terrible nouvelle vi<strong>en</strong>t changer<br />
le cours des événem<strong>en</strong>ts : le roi Rodrigue a violé Florinde.<br />
Histoire ou lég<strong>en</strong>de, c’est pour v<strong>en</strong>ger son honneur perdu que le comte Juli<strong>en</strong> livre<br />
l’Espagne <strong>au</strong>x M<strong>au</strong>res. <strong>Le</strong>s califes omeyades, forts de leur conquête de l’Afrique du Nord,<br />
t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t d’ét<strong>en</strong>dre leur territoire de l’<strong>au</strong>tre côté de la Méditerranée. Une armée dirigée par<br />
Tariq ibn Ziyad, gouverneur de Tanger <strong>en</strong>couragé par le courroux du comte Juli<strong>en</strong>, traverse<br />
alors le détroit de Gibraltar. L’Andalousie devi<strong>en</strong>t le champ de bataille où les Wisigoths vont<br />
succomber face à leurs <strong>en</strong>vahisseurs.<br />
<strong>Le</strong> 19 juillet 711, lors de la Bataille de Guadalete, longue d’une semaine, les partisans de<br />
l’héritier légitime du trône se retourn<strong>en</strong>t contre Rodrigue. Cette traîtrise, orchestrée par le<br />
Comte Juli<strong>en</strong>, marque la fin de l’Hispanie wisigothique et le début du Califat de Cordoue.<br />
L’influ<strong>en</strong>ce musulmane s’ét<strong>en</strong>dra jusqu'à la fin du XV e <strong>siècle</strong>. <strong>Le</strong>s Rois Catholiques<br />
Habsbourg reconsolideront alors un pouvoir unitaire sur la péninsule ibérique lors de<br />
1 Personnages historiques connus par les chroniques mozarabes, les gestes médiévales et les<br />
romanceros populaires, leurs id<strong>en</strong>tités et la véracité des récits demeur<strong>en</strong>t obscures. <strong>Le</strong> comte Juli<strong>en</strong><br />
(Ylian, Youlyân) était-il un exarque byzantin ? Duc vassal des rois de Tolède ? Seigneur berbère<br />
indép<strong>en</strong>dant ? Si pour certaines sources Florinde est sa fille, d’<strong>au</strong>tres <strong>en</strong> font sa sœur, sa femme ou<br />
même sa mère.
236<br />
la Reconquista. Au même mom<strong>en</strong>t, Christophe Colomb découvrira <strong>en</strong> leur nom un territoire<br />
dont nul ne soupçonne l’ét<strong>en</strong>due ni l’impact qu’il exercera sur l’histoire de l’Humanité.<br />
<strong>Le</strong>s dernières années de la dynastie des Wisigoths sont consignées dans les chroniques<br />
mozarabes de 754. <strong>Le</strong> récit, transmis par tradition orale musulmane, revu par la fin’amor des<br />
troubadours, chanté par les jongleurs et par le peuple, tourne à la lég<strong>en</strong>de. L’histoire du roi<br />
Rodrigue et de la perte de l’Espagne se retrouve dans le Romancero viejo, <strong>en</strong>semble de<br />
romances anonymes médiévales qui chant<strong>en</strong>t la mémoire de l’histoire nationale espagnole. Ce<br />
n’est qu’<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> que les philologues consign<strong>en</strong>t sur le papier des récits vieux pour<br />
certains de plus d’un millénaire. <strong>Le</strong>s lég<strong>en</strong>des fondatrices historiques affirm<strong>en</strong>t l’id<strong>en</strong>tité<br />
ibérique <strong>en</strong> à époque où l’Europe est dite « des Nations. »<br />
6.1.2.<br />
La Florinda de Rafael Pombo et de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón est une lecture parmi<br />
d’<strong>au</strong>tres du mythe historique datant des années 1875. Transmis par tradition orale, le<br />
romancero livre une première version des faits qui confond Histoire et lég<strong>en</strong>de. Au début du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> le duc de Rivas écrit un long texte rimé <strong>en</strong> cinq chants, Florinda, nouvelle fiction<br />
écrite <strong>au</strong> cœur du mouvem<strong>en</strong>t romantique. Cette œuvre, véritable réactualisation de la lég<strong>en</strong>de<br />
dans une Espagne qui redécouvre son passé, est la source littéraire de R. Pombo pour le livret<br />
de son opéra Florinda. Homme de son temps, le duc de Rivas transforme l’impassibilité des<br />
personnages historiques dans des passions anachroniques, tel un John Everett Millais peignant<br />
un gisant, tel un Viollet-le-Duc rest<strong>au</strong>rant des vestiges médiév<strong>au</strong>x.<br />
Ángel de Saavedra y Ramírez de Baquedano, plus connu comme Duc de Rivas (1791-<br />
1865), est un Europé<strong>en</strong> ayant arp<strong>en</strong>té plusieurs pays, plusieurs cultures. Il fait partie de ces<br />
Espagnols <strong>au</strong>x idées politiques contestataires, contraints de vivre l’exil <strong>au</strong> rythme des<br />
différ<strong>en</strong>ts gouvernem<strong>en</strong>ts qui marqu<strong>en</strong>t un <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> espagnol politiquem<strong>en</strong>t instable 2 .<br />
Condamné à mort <strong>en</strong> 1823, le duc de Rivas <strong>en</strong>tame un exil qui le conduit <strong>en</strong> Angleterre, à<br />
Malte et à <strong>Paris</strong>. De retour <strong>en</strong> Espagne <strong>en</strong> 1833, il retrouve ses titres de noblesse et occupe des<br />
postes importants dans le gouvernem<strong>en</strong>t. Il écrit une longue lég<strong>en</strong>de – ouvrage <strong>en</strong> vers divisé<br />
<strong>en</strong> douze romances, à leur tour divisées <strong>en</strong> chants – sur l’histoire espagnole : El Moro<br />
2 Nous avons déjà r<strong>en</strong>contré un personnage similaire <strong>au</strong> cours de notre étude : l’Espagnol José María<br />
Gutiérrez de Alba, <strong>au</strong>teur du livret de la zarzuela El Castillo misterioso.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
expósito 3 (1834). En 1841, ses Romances históricos prolong<strong>en</strong>t ce travail d’écriture (et de<br />
récupération) du passé, tout <strong>en</strong> passant l’histoire sous le crible du Romantisme. C’est<br />
d’ailleurs son Don Álvaro o la fuerza del destino (1835) qui, dans la littérature ibérique,<br />
introduit officiellem<strong>en</strong>t le Romantisme. Écrivain peu connu de nos jours, il obtint la gloire<br />
grâce à ce dernier drame, immortalisé par Piave et Verdi <strong>en</strong> 1862.<br />
Parmi les nombreux textes qu’il inclut <strong>en</strong> annexe du Moro expósito se trouve <strong>en</strong> premier<br />
lieu la Florinda. Cet épisode historique, véhiculé depuis la nuit des temps par la vox populi,<br />
relu sous le prisme du romantisme, inspire <strong>au</strong> duc de Rivas un long ouvrage <strong>en</strong> cinq chants,<br />
composés de 355 octaves écrites <strong>en</strong> h<strong>en</strong>décasyllabes. <strong>Le</strong> duc de Rivas, présidant la Real<br />
Academia Española <strong>en</strong> 1847, directeur du théâtre El At<strong>en</strong>eo à Madrid <strong>en</strong> 1865, manie un<br />
registre stylistique sout<strong>en</strong>u qui trouve sa place dans un contexte de valorisation de la langue<br />
espagnole <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Pour les littéraires et philologues colombi<strong>en</strong>s de la seconde moitié<br />
du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, l’œuvre de Rivas constitue indéniablem<strong>en</strong>t un modèle de be<strong>au</strong>té et<br />
d’expressivité de la langue.<br />
<strong>Le</strong>s <strong>au</strong>teurs du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, le regard tourné vers le passé, recré<strong>en</strong>t une image f<strong>au</strong>ssée du<br />
Moy<strong>en</strong>-âge : personnages historiques habités par des passions modernes ; décors riches et<br />
satinés tels qu’ils sont dévoilés par les peintres préraphaélites ; nuits magiques et<br />
fantasmagoriques. Il s’agit d’un imaginaire issu de la connaissance historique, voulu sous les<br />
Lumières, revisité par des écrivains, des compositeurs, des peintres qui ont pour dénominateur<br />
commun le qualificatif de romantiques. Amour, v<strong>en</strong>geance, honneur sur un fond de<br />
chevalerie, Florinda rejoint des récits <strong>au</strong>ssi variés que The Bride of Lammermoor ou La Reine<br />
Margot pour ne citer que quelques noms, où l’histoire se dilue dans le mythe.<br />
Comme l’indique son titre, le récit est axé <strong>au</strong>tour du personnage féminin, Florinde. C’est<br />
dire que l’histoire est relue sous un nouve<strong>au</strong> regard, construite <strong>au</strong>tour de la femme, exaltant<br />
un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t amoureux qui infléchit l’histoire d’une nation :<br />
L’Espagne fut perdue comme Troie, perdue comme l’Italie, pour l’amour d’une femme 4 .<br />
237<br />
3 Duque de Rivas, El moro expósito, ó, Córdoba y Burgos <strong>en</strong> el siglo décimo. <strong>Le</strong>y<strong>en</strong>da <strong>en</strong> doce<br />
romances; <strong>en</strong> un apéndice se añad<strong>en</strong> La Florinda y algunas otras composiciones inéditas del mismo<br />
<strong>au</strong>tor, Librería Hispano-Americana, <strong>Paris</strong>, 1834.<br />
4 Alexandre Dumas, Impressions de voyages : De <strong>Paris</strong> à Cadix, 1847-1848<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
238<br />
6.1.3.<br />
La Florinda du duc de Rivas interpose un registre romantique dans un Moy<strong>en</strong>-âge épique.<br />
<strong>Le</strong>s modifications, ajouts et inv<strong>en</strong>tions qu’il y apporte, touch<strong>en</strong>t l’ess<strong>en</strong>ce même du récit.<br />
Ainsi prés<strong>en</strong>té, le texte réunit tous les élém<strong>en</strong>ts att<strong>en</strong>dus pour un livret d’opéra romantique.<br />
Découvrons à prés<strong>en</strong>t cette œuvre de 355 strophes qui a inspiré le librettiste du premier Grand<br />
Opéra écrit <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong> 1880.<br />
Et toi, qui pour ton malheur naquis belle,<br />
Et coupable de l’être ; Quelle épouvante<br />
Se dessine sur ton visage fané et triste,<br />
Demandant la pitié <strong>au</strong> saint ciel !<br />
Ton palais d’or et de marbre t’est odieux ;<br />
Ta couche lit de tourm<strong>en</strong>ts et de pleurs,<br />
Ton amour feu horrible, ta vie mort :<br />
Ô malheureuse Florinda ! Ô sort amer !<br />
4 e chant, VII<br />
Florinda, Duc de Rivas<br />
Cette strophe résume le nœud du drame. Be<strong>au</strong>té fatale, personnages victimes d’un amour<br />
qui les dépasse, lourd d’une culpabilité religieuse, conduisant vers une mort certaine.<br />
Chant I. <strong>Le</strong> banquet et la prison 5 .<br />
<strong>Le</strong> décor figure le palais de Florinda à Tolède, lors d’une bacchanale. <strong>Le</strong> poète prés<strong>en</strong>te une<br />
cour <strong>en</strong> décad<strong>en</strong>ce, livrée <strong>au</strong>x vices. Tous boiv<strong>en</strong>t d’une coupe levée « <strong>au</strong> roi, à Florinda et à<br />
leurs amours » (XII), mais lorsqu’elle arrive <strong>au</strong>x lèvres de Rubén, vieux juif qui lit dans les<br />
étoiles, celui-ci se lève, pâle et tremblant :<br />
Dusangremplitcettecoupe,dusang,etj<strong>en</strong>evois<br />
Quedusang,partoutoùmonregardsepose.<br />
C’est alors qu’un personnage vêtu d’une armure se lance sur le roi pour le tuer. <strong>Le</strong> coup<br />
manque la victime et, à la grande surprise de tous, on découvre qu’il s’agit du comte don<br />
Julián, le père de Florinda. <strong>Le</strong> poète fait alors une digression dans le temps et revi<strong>en</strong>t sur<br />
l’<strong>en</strong>fance de Florinda. Il prés<strong>en</strong>te une <strong>en</strong>fant pure, idéal virginal de la vision romantique,<br />
protégée dans son alcazar, chantant du h<strong>au</strong>t de sa tour accompagnée de sa harpe <strong>en</strong> ivoire. <strong>Le</strong><br />
roi Rodrigue, qui la guette, lui répond avec sa vièle. Il séduit l’<strong>en</strong>fant à travers ce dialogue<br />
musical. L’<strong>en</strong>trée de Florinda dans la cour marque sa chute :<br />
Et pour Rodrigue son âme s’embrase.<br />
yporRodrigoseleabrasaelalma.(XXXVIII)<br />
5 Canto 1º. El Banquete y la prisión.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Ytú,queportumalnacistehermosa,<br />
Yporserlo,culpable;¡aycuálespanto<br />
Pintatufazmarchitaycongojosa,<br />
Implorandopiedaddelcielosanto!<br />
Tuestanciadeoroymármolteesodiosa;<br />
Tulechopotrodetorm<strong>en</strong>toyllanto,<br />
Fuegohorribletuamor,tuvidamuerte:<br />
OhFlorindainfeliz!Ohamargasuerte!<br />
4ºCanto,VII.<br />
Florinda,DuquedeRivas<br />
Sangre ll<strong>en</strong>a esta copa, sangre, y miro<br />
Sangredoquieraquelavistagiro.(XVI)
Don Ópas appr<strong>en</strong>d à son ami, le comte Julián, que sa fille est dev<strong>en</strong>ue femme. Fou de rage,<br />
le comte se r<strong>en</strong>d à Tolède pour v<strong>en</strong>ger son honneur.<br />
Retour <strong>au</strong> prés<strong>en</strong>t narratif. <strong>Le</strong> comte Julián, emprisonné, reçoit la visite inatt<strong>en</strong>due de sa<br />
fille. Elle vi<strong>en</strong>t le délivrer. Celui-ci, convaincu que Florinda se rep<strong>en</strong>tit de son amour, lui<br />
impose de tuer Rodrigo. Mais la jeune femme lui dévoile qu’elle aime Rodrigo. Au comble du<br />
désespoir le comte la m<strong>au</strong>dit et va se donner la mort. Surgit alors Don Ópas qui convainc le<br />
comte à fuir.<br />
Ce premier chant prés<strong>en</strong>te déjà de nombreuses situations et s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts dignes d’un livret<br />
d’opéra. L’amour <strong>en</strong> premier lieu, sous différ<strong>en</strong>tes manifestations : l’amour-passion que<br />
semble éprouver Florinde pour le roi ; l’amour physique ou de vanité qu’éprouve <strong>en</strong> revanche<br />
le roi pour sa dame 6 . La configuration de cette relation est déséquilibrée et crée une situation<br />
d’interdép<strong>en</strong>dance à travers un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qui n’est pas réciproque. Florinde apparaît ainsi<br />
comme prisonnière d’une passion qui la dépasse et la r<strong>en</strong>d pécheresse. L’amour est confronté<br />
à la haine coriace et <strong>au</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de v<strong>en</strong>geance qu’éprouve le père <strong>en</strong>vers le séducteur de sa<br />
fille. La vision de Rubén introduit l’effroi d’un monde surnaturel et hostile <strong>au</strong> libre arbitre<br />
humain. À l’image de la représ<strong>en</strong>tation d’un monde médiéval rude, le duc de Rivas habite<br />
ainsi ses personnages de passions obscures. Passions obscures sur trame de fête. H<strong>au</strong>t lieu de<br />
déb<strong>au</strong>che où la boisson et la danse couv<strong>en</strong>t des amours illégitimes, théâtralisation du Vanitas<br />
Vanitatum et omnia Vanitas 7 , ce premier chant de la Florinda annonce déjà un dénouem<strong>en</strong>t<br />
dramatique.<br />
Trois lieux différ<strong>en</strong>ts apparaiss<strong>en</strong>t dans ce premier chant qui, resitués dans une logique<br />
chronologique, sont : l’alcazar de l’<strong>en</strong>fance de Florinda ; la salle de fête du châte<strong>au</strong> de Tolède,<br />
mise <strong>en</strong> scène d’un espace masculin, celui de Rodrigue ; le cachot où est ret<strong>en</strong>u le comte<br />
Juli<strong>en</strong>. Métaphore d’une architecture qui représ<strong>en</strong>te la chute de la vierge du h<strong>au</strong>t de sa tour<br />
dans un monde terrestre, vicié, avant qu’elle ne s’affaisse dans les pénombres de la v<strong>en</strong>geance<br />
et de la haine.<br />
Ce premier chant, si riche <strong>en</strong> situations dramatiques, <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre à lui seul les trois premiers<br />
actes – trois lieux différ<strong>en</strong>ts – d’un opéra <strong>en</strong> quatre actes.<br />
239<br />
6<br />
Pour repr<strong>en</strong>dre la classification que donne un contemporain du Duc de Rivas à l’amour : St<strong>en</strong>dhal<br />
dans De l’amour.<br />
7<br />
« Vanité des vanités, tout est vanité. » (La Bible, Ec.1 : 2)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
240<br />
Chant II. <strong>Le</strong>s présages 8 .<br />
<strong>Le</strong> deuxième chant de la Florinda est articulé <strong>au</strong>tour de l’épouvante. Épouvante du comte<br />
Julián qui fuit l’Espagne et traverse la mer ; épouvante de Florinde face à son amour m<strong>au</strong>dit.<br />
Mais l’effroi atteint son paroxysme dans une scène de magie noire à laquelle assiste le roi<br />
Rodrigue.<br />
Curieux de la vision de sang de Rubén lors du banquet, le roi part à la recherche du<br />
nécromanci<strong>en</strong> pour <strong>en</strong> savoir davantage. L’atmosphère est nocturne et médiévale. Rubén arme<br />
le roi d’une torche et l’invite à <strong>en</strong>trer dans son châte<strong>au</strong> pour ainsi y r<strong>en</strong>contrer son destin. <strong>Le</strong><br />
roi s’exécute. Un fantôme s’approche, et d’une braise ard<strong>en</strong>te grave sur le front royal :<br />
exterminio. Par magie, le châte<strong>au</strong> disparaît et, tel un R<strong>en</strong><strong>au</strong>lt abusé par Armide, Rodrigue se<br />
retrouve dans une plaine solitaire <strong>au</strong> milieu de la nuit.<br />
Cette scène d’incantation des ténèbres <strong>au</strong>rait sans doute trouvé sa place dans un opéra –<br />
songeons <strong>au</strong>x actes nocturnes d’Azuc<strong>en</strong>a, d’Ulrica, à son écho dans le trio des cartes de<br />
Carm<strong>en</strong>. Cep<strong>en</strong>dant, dans un geste de concision, R. Pombo unit cette scène de sorcellerie,<br />
ingrédi<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong>sable du romantisme anglo-saxon, à la vision du sang dans la coupe de vin<br />
du premier chant. Dans cette seule scène de divination, la Profecía de Rubén (acte II, n° 5),<br />
l’effroi c<strong>au</strong>sé par l’hallucination du prophète, implacablem<strong>en</strong>t conduite vers les mots<br />
« hambre, guerra, exterminio » (famine, guerre, extermination), créé un espace intemporel <strong>en</strong><br />
dehors de la fête où se déroule la scène 9 . Rubén, baryton, répète sur un mi b aigu sa triple<br />
s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ce, déstabilisée par une harmonie vacillante qui desc<strong>en</strong>d chromatiquem<strong>en</strong>t, avant de<br />
plonger dans le grave de son registre (fa # ), toujours sur le mot exterminio.<br />
Chant III. La v<strong>en</strong>geance 10 .<br />
La fureur du comte Julián fait naître <strong>en</strong> lui un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t inexorable de v<strong>en</strong>geance, qui, dans<br />
la folie de son empressem<strong>en</strong>t, va décider de la perte du roy<strong>au</strong>me Wisigoth d’Espagne. Ayant<br />
traversé la Méditerranée, don Julián incite le chef musulman Muza à attaquer les Wisigoths,<br />
garantissant qu’il ira de leur côté. <strong>Le</strong> guerrier rétic<strong>en</strong>t ne sera convaincu que par l’apparition<br />
du spectre de Mahomet – nouvelle intrusion du surnaturel dans l’ouvrage – qui lui désigne<br />
<strong>au</strong>toritairem<strong>en</strong>t le Nord. La lég<strong>en</strong>de raconte qu’<strong>au</strong> mom<strong>en</strong>t où don Julián livrait l’Espagne <strong>au</strong>x<br />
M<strong>au</strong>res, un tremblem<strong>en</strong>t de terre secoua tout le roy<strong>au</strong>me.<br />
8 Canto 2º. Los presagios.<br />
9 Une mise <strong>en</strong> scène pourrait transformer la salle de fête du châte<strong>au</strong> <strong>en</strong> cet espace fantasmagorique du<br />
Chant II.<br />
10 Canto 3º. La v<strong>en</strong>ganza.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Chant IV. La bataille 11 .<br />
Scène de folie du roi Rodrigue après la prophétie de Rubén. La guerre éclate et Rodrigue se<br />
r<strong>en</strong>d <strong>en</strong> Andalousie avec son armée pour ret<strong>en</strong>ir l’<strong>en</strong>vahisseur. Lors du combat, il se retrouve<br />
<strong>en</strong> corps à corps avec don Julián et le blesse. Celui-ci, réunissant ses dernières forces, se lance<br />
sur le roi et va le tuer lorsqu’un chevalier s’interpose <strong>en</strong>tre eux et reçoit le coup fatal. Don<br />
Julián fuit, hors de lui, lorsqu’il découvre que sous les allures d’un chevalier, il vi<strong>en</strong>t de<br />
frapper sa fille Florinda <strong>en</strong> armure.<br />
Chant V. L’extermination 12 .<br />
<strong>Le</strong> jour se lève sur le champ de bataille du Guadalete dans le sil<strong>en</strong>ce le plus absolu : « <strong>Le</strong><br />
pouvoir gothique et le mahométan se trouv<strong>en</strong>t face à face 13 ». La Bataille de Guadalete qui va<br />
durer cinq jours éclate. L’armée gothique l’emporte sur les Sarrasins, mais don Ópas fait alors<br />
acte de trahison <strong>en</strong> retournant ses troupes contre son propre roi. Rodrigue est perdu : il jette<br />
son sceptre et s’élance <strong>au</strong> combat, tel un t<strong>au</strong>re<strong>au</strong> sévillan sûr de sa mort prochaine. Épuisé de<br />
fatigue, il tombe dans un sommeil léthargique. La mort ? C’est une voix de femme qui le<br />
ramène à la vie – le roi a désormais rejoint un <strong>au</strong>tre monde – et il aperçoit dans les airs<br />
Florinde et Rubén, habillés de toges blanches, qui lui indiqu<strong>en</strong>t un chemin <strong>en</strong> retrait du<br />
carnage. <strong>Le</strong> corps du roi Rodrigue, dernier monarque de l’Hispanie gothique, ne fut jamais<br />
retrouvé.<br />
Peut-on résumer les princip<strong>au</strong>x élém<strong>en</strong>ts romantiques de la Florinda de 1834 ? <strong>Le</strong>s<br />
personnages sont <strong>en</strong>noblis. <strong>Le</strong> monarque Rodrigue, usurpateur du trône d’Hispanie, est <strong>en</strong><br />
prise directe avec une divinité adverse. Florinda est <strong>en</strong> proie à une passion fatale. Habités<br />
ainsi par des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts exacerbés, les personnages sont élevés <strong>au</strong> rang d’univers<strong>au</strong>x où<br />
chacun peut se reconnaître. La traîtrise n’est plus due <strong>au</strong> comte Julián, mais <strong>au</strong>x manigances<br />
d’un personnage obscur et manipulateur : don Ópas. <strong>Le</strong> personnage noble, don Julián, ne peut<br />
qu’éprouver un h<strong>au</strong>t s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de v<strong>en</strong>geance ; ce n’est que l’influ<strong>en</strong>ce de don Ópas qui le<br />
pousse vers le mal.<br />
La notion originelle du viol est ici estompée par un amour partagé. Il n’est plus question<br />
d’adultère puisque la reine légitime, qui rabaisserait Florinda à son rôle de maîtresse du roi,<br />
est abs<strong>en</strong>te du récit.<br />
11 Canto 4º La batalla.<br />
12 Canto 5º. El exterminio.<br />
13 « El gótico poder y el mahometano / Se <strong>en</strong>cu<strong>en</strong>tran acampados fr<strong>en</strong>te a fr<strong>en</strong>te » (V, 3)<br />
241<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
242<br />
Enfin l’intrusion du surnaturel, sorcellerie ou religion, des apparitions diaboliques ou<br />
divines, dans des décors nocturnes et dépaysants (le châte<strong>au</strong> hanté, la mer, le camp des<br />
m<strong>au</strong>res) place la Florinda dans un Moy<strong>en</strong>-âge fantastique qui n’est <strong>au</strong>tre que celui de F<strong>au</strong>st.<br />
La geste du duc de Rivas termine d’ailleurs sur cette image f<strong>au</strong>sti<strong>en</strong>ne d’une Florinda-<br />
Gretch<strong>en</strong> rédemptrice, lavée de ses pêchés, <strong>en</strong> toge blanche, qui conduit l’âme de Rodrigue<br />
vers le repos avant de s’évaporer comme un nuage.<br />
<strong>Le</strong> duc de Rivas, <strong>en</strong> contact avec l’intellig<strong>en</strong>tsia littéraire europé<strong>en</strong>ne lors de son exil à<br />
Londres et à <strong>Paris</strong>, est pétri de culture antique : les allusions <strong>au</strong>x mythes grecs ou <strong>au</strong>x épopées<br />
du Tasse sont innombrables. La structure même de son poème, <strong>en</strong> Chants, n’est pas sans<br />
évoquer celle de l’Iliade. Chantre d’un imaginaire fantastique <strong>en</strong>veloppant des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts<br />
exacerbés, il introduit le romantisme dans les lettres espagnoles. Il marque une forte rupture<br />
avec une littérature de mœurs qui jusqu’alors occupait la scène créatrice. La portée de son<br />
œuvre a <strong>au</strong>ssi une visée nationaliste qui cherche à donner une unité à la péninsule ibérique :<br />
une langue commune, travaillée, plastique et expressive ; mais <strong>au</strong>ssi un passé <strong>au</strong>x contours<br />
épiques.<br />
6.2. UneFlorindacolombi<strong>en</strong>ne.<br />
En 1699, le récit de la perte de l’Espagne donnait naissance à un livret d’opéra signé par<br />
Francesco Silvani. Son Rodrigo : Il duello d’amore e di v<strong>en</strong>detta était mis <strong>en</strong> musique par<br />
Marc’Antonio Ziani à V<strong>en</strong>ise. En 1707, Ha<strong>en</strong>del repr<strong>en</strong>d le livret à Flor<strong>en</strong>ce. Mais quelques<br />
modifications dénatur<strong>en</strong>t l’histoire : Florinda est ici la sœur du conde Giuliano. Lieto fine<br />
oblige, l’opéra se termine par l’abdication de Rodrigo et les roy<strong>au</strong>mes d’Aragon et de Castille<br />
revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x héritiers de Witiza.<br />
R. Pombo ne pouvait pas connaître cet opéra, qui n’a été repris que récemm<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1984 15 .<br />
En cherchant un sujet original, son travail d’esthète sur la langue espagnole l’a certainem<strong>en</strong>t<br />
rapproché de la littérature de la mère patrie. Par ailleurs, rappelons que le contexte culturel<br />
des années 1870 à Bogotá se tourne de nouve<strong>au</strong> vers l’Espagne, après plus d’un demi-<strong>siècle</strong><br />
de rupture totale. Interpellé par la romance du duc de Rivas, il se décide à <strong>en</strong> faire un livret<br />
d’opéra :<br />
Florinda […] c’est la force du génie caché, qui lutte pour jaillir et montrer sa plénitude 14 .<br />
14 « Florinda […] es la fuerza del g<strong>en</strong>io oculto, que lucha por brotar y mostrase <strong>en</strong> su pl<strong>en</strong>itud. »<br />
(« Florinda » (J.C.R.), El Zipa (IV.17), 26 novembre 1880 : 280).<br />
15 Rodrigo a été donné à <strong>Paris</strong> <strong>au</strong> Théâtre des Champs-Élysées <strong>en</strong> mai 2007.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
<strong>Le</strong> besoin de donner une source de travail <strong>au</strong> génie d’un ami, ainsi qu’un thème à son<br />
inspiration, m’ont poussé à écrire cet essai dramatique, esquissé et comm<strong>en</strong>cé <strong>en</strong> 1875, mais<br />
interrompu par deux guerres civiles jusqu’<strong>en</strong> 1878, tout comme l’œuvre musicale.<br />
Lanecesidaddedarpábulodetrabajoalg<strong>en</strong>iodeunamigo,ytemaasuinspiraciónmehizo<br />
escribireste<strong>en</strong>sayodramático,trazadoyempezado<strong>en</strong>1875,masinterrumpidopordos<br />
revolucioneshasta1878,lomismoquelaobramusical 16 .<br />
<strong>Le</strong> projet de l´opéra daterait donc de 1875, c’est-à-dire du l<strong>en</strong>demain d’Ester. La partition<br />
de Florinda est, quant à elle, datée du 22 avril 1879. Il f<strong>au</strong>t <strong>en</strong>core att<strong>en</strong>dre le 18 novembre<br />
1880 pour la création de l’opéra <strong>au</strong> Coliseo Maldonado. À cette occasion le livret est édité et<br />
v<strong>en</strong>du <strong>au</strong> public 17 . R. Pombo et Ponce de <strong>Le</strong>ón prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t alors un opéra préparé depuis près<br />
de cinq ans ! Quelle différ<strong>en</strong>ce avec Ester ou El Castillo misterioso, écrits tous deux à la hâte<br />
<strong>en</strong> quelques semaines !<br />
La gestation de Florinda est <strong>en</strong>trecoupée par la composition inatt<strong>en</strong>due du Castillo<br />
misterioso (1876), par celle des zarzuelas El alma <strong>en</strong> un hilo et <strong>Le</strong>vantar muertos 18 ; Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón écrit <strong>au</strong>ssi un Requiem lors de la mort <strong>en</strong> juillet 1880 de son neveu Francisco Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón 19 , le tout sur fond d’instabilité politique. Et même si les deux créateurs ne se conc<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t<br />
pas exclusivem<strong>en</strong>t dans la conception de leur grand travail <strong>en</strong> collaboration, il est certain que<br />
Florinda est le fruit d’un long mûrissem<strong>en</strong>t durant ces années dans l’esprit des deux artistes.<br />
Lorsque Rafael Pombo écrit le livret de l’opéra Florinda, il est consci<strong>en</strong>t qu’il est <strong>en</strong> train<br />
de toucher du doigt un mythe fondateur de l’histoire espagnole. En tant que librettiste, il va<br />
adapter et modifier le texte du duc de Rivas pour prés<strong>en</strong>ter des personnages répondant <strong>au</strong>x<br />
conv<strong>en</strong>tions de la scène <strong>lyrique</strong>. Instigateur d’un Opéra national <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, il pose comme<br />
condition sine qua non l’imitation des modèles europé<strong>en</strong>s. Lui qui a voulu populariser<br />
l’opéra, qui a voulu familiariser le public <strong>en</strong> traduisant et publiant les livrets des opéras<br />
produits à Bogotá ; lui qui a improvisé une partie du livret d’Ester, il peut désormais<br />
accomplir une tâche qui lui ti<strong>en</strong>t à cœur et se lancer dans la conception d’un livret, libre<br />
d’adapter la lég<strong>en</strong>de à sa guise, sans la contrainte du temps ni de la c<strong>en</strong>sure.<br />
Quant <strong>au</strong> drame, son sujet apparti<strong>en</strong>t à la tradition, presque mythologique, de l’histoire<br />
d’Espagne, et il peut donc être traité avec une grande liberté.<br />
243<br />
16 R. Pombo, 1880 : 3. Voir Annexe V.<br />
17 Florinda o la Eva del reino godo español / Ópera mayor española. Poema dramático <strong>en</strong> cinco actos<br />
<strong>en</strong> verso por Rafael Pombo, música de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón / 1880 – Bogotá : Medardo Rivas.<br />
18 Dont on ignore actuellem<strong>en</strong>t l’exist<strong>en</strong>ce. Voir §3.5.2.<br />
19 Voir §3.5.2.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
244<br />
Encuantoaldrama,suasuntopert<strong>en</strong>ecealotradicional,casimitológico,delahistoriade<br />
España,yestopermitetratarloconholgadalibertad 20 .<br />
Maint<strong>en</strong>ant que nous avons prés<strong>en</strong>té le sujet historique et la ley<strong>en</strong>da du duc de Rivas, nous<br />
allons relever les princip<strong>au</strong>x traits de la Florinda colombi<strong>en</strong>ne de 1880, <strong>en</strong> insistant sur les<br />
modifications que R. Pombo apporte à son tour.<br />
6.2.1.<br />
<strong>Le</strong> livret, conçu <strong>en</strong> cinq actes, donne un opéra <strong>en</strong> quatre actes. « <strong>Le</strong> quatrième acte n’est là<br />
que pour la lecture, et n’a pas été mis dans les mains du Maestro 21 » ; par conséqu<strong>en</strong>t cet acte<br />
n’apparaît pas dans l’édition de 1880.<br />
Il est intéressant de constater que les modifications apportées par R. Pombo concern<strong>en</strong>t<br />
plutôt la nature de la lég<strong>en</strong>de (l’action) ainsi que son ess<strong>en</strong>ce : la vision romantique d’un<br />
Moy<strong>en</strong>-âge hostile et obscur dépeint par le duc de Rivas cède la place à un réalisme qui<br />
humanise davantage les personnages. Pourtant, le poète anoblit leurs caractères 22 , sans doute<br />
pour se démarquer des comédies de mœurs, du théâtre réaliste contemporain, et de l’aversion<br />
pour le mépris d’une « zarzuela ».<br />
Sa Florinda est issue de la lignée royale, « petite fille du roi Egica 23 et de la reine<br />
Cixilona » ; plutôt que d’évoquer le viol, Florinda est attachée <strong>au</strong> roi, et souffre de cette<br />
passion. <strong>Le</strong> roi Rodrigue est réhabilité car le « Ciel a dû doter de qualités extraordinaires celui<br />
qui a improvisé une résistance si héroïque 24 ». Quant <strong>au</strong> comte Julián, père de Florinda, be<strong>au</strong>-<br />
frère du roi vaincu Witiza, principal moteur de cette « perte de l’Espagne », il est habité par<br />
des passions différ<strong>en</strong>tes. La lég<strong>en</strong>de dit – et le duc de Rivas s’<strong>en</strong> fait porte-parole – qu’il livra<br />
l’Espagne <strong>au</strong>x Musulmans pour se v<strong>en</strong>ger de Rodrigue. Dans l’opéra, don Julián aidé par les<br />
Musulmans suivait une c<strong>au</strong>se noble et voulait r<strong>en</strong>dre le trône <strong>au</strong>x successeurs de Witiza :<br />
Il croit lutter pour rest<strong>au</strong>rer la dynastie de Witiza, et ce n’est qu’<strong>en</strong> dernière instance qu’il<br />
compr<strong>en</strong>d que ses alliés se pai<strong>en</strong>t avec l’Espagne <strong>en</strong>tière 25 .<br />
20<br />
R. Pombo, 1880 : 3.<br />
21<br />
« El cuarto acto es sólo para la lectura, y no ha sido puesto <strong>en</strong> manos del Maestro. » (R. Pombo,<br />
1880 : 4).<br />
22<br />
«... yo cuidé de elevar un tanto todos los caracteres... » (Ibid. : 3).<br />
23<br />
Egica, roi wisigoth qui vécut de 610 à 702.<br />
24<br />
« No es creíble que el heredero de una corte tan perdida, improvisase una heroica y reñida<br />
resist<strong>en</strong>cia, si el Cielo no lo hubiese dotado de cualidades extraordinarias » (R. Pombo, 1880 : 3).<br />
25<br />
« Don Julián a su turno cree luchar por restablecer la dinastía de su cuñado Witiza, y sólo al último<br />
instante compr<strong>en</strong>de que sus aliados se pagan su favor con la España <strong>en</strong>tera. » (Ibid.)<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Il devi<strong>en</strong>t donc victime à son tour, et par ce dernier retournem<strong>en</strong>t, son caractère se retrouve<br />
ainsi anoblit. À R. Pombo d’ajouter <strong>en</strong> grand moralisateur : « Et seul Dieu sait si telle n’a pas<br />
été la vérité, transformée par la haine populaire 26 ».<br />
<strong>Le</strong> duc de Rivas, on l’a vu, avait déjà passé <strong>au</strong> crible l’épopée pour placer les personnages<br />
<strong>au</strong> cœur de l’esthétique romantique. R. Pombo, quant à lui, épure l’action des m<strong>au</strong>vaises<br />
passions : on v<strong>en</strong>ge l’honneur de l’héritier bafoué, mais pas du viol de la fille dont il n’est<br />
plus question ici ; par cette même raison le félon don Ópas est supprimé de l’action.<br />
R. Pombo introduit <strong>en</strong>fin le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t religieux, resté à l’écart dans les précéd<strong>en</strong>tes Florinda.<br />
Cette nouvelle Florinda est cohér<strong>en</strong>te avec le grand projet culturel, voire civilisateur, du<br />
poète : l’opéra doit édifier le spectateur, le confronter à des situations nobles et à des<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts élevés.<br />
L’opéra est structuré <strong>en</strong> quatre actes. Comme nous l’avons évoqué, le premier chant de la<br />
romance du duc de Rivas, représ<strong>en</strong>tant trois lieux différ<strong>en</strong>ts, sert de substrat <strong>au</strong>x trois<br />
premiers actes de l’opéra.<br />
Acto primero. La quinta del Conde.<br />
245<br />
Sc. 1 : La fin de la journée approche. <strong>Le</strong>s paysans vass<strong>au</strong>x du comte don Julián r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t<br />
après une journée de travail. L’Angélus sonne. Mom<strong>en</strong>t de prière, prés<strong>en</strong>ce du religieux sur la<br />
scène du théâtre. Wilfredo, majordome du comte, leur rappelle que don Julián leur a demandé<br />
de démasquer cette ombre qui tous les soirs rôde <strong>au</strong>tour du palais de Florinda.<br />
Sc. 2 : Florinda, seule, chante du h<strong>au</strong>t de son balcon l’amour qu’elle éprouve pour Rodulfo<br />
et guette l’arrivé de son amant.<br />
Sc. 3 : Rodrigue et son page Teuda apparaiss<strong>en</strong>t, déguisés. Scène d’amour <strong>en</strong>tre les deux<br />
amants.<br />
Sc. 4 : <strong>Le</strong>s paysans surgiss<strong>en</strong>t ; ils <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t le couple et leur complice Teuda. Ils cour<strong>en</strong>t<br />
donner l’alerte <strong>au</strong> comte, lorsque, à la stupéfaction de tous, Rodulfo dévoile sa véritable<br />
id<strong>en</strong>tité : il est le roi Rodrigo. Dans la confusion générale, le peuple lui demande pardon, alors<br />
qu’il s’apprête à emm<strong>en</strong>er Florinda avec lui.<br />
Ce premier acte de l’opéra est construit sur la césure dramatique introduite lors de la<br />
digression temporelle du premier chant de la romance du duc de Rivas. Dans un jardin à la<br />
végétation exubérante – Éd<strong>en</strong> ou jardin des délices ? – il <strong>en</strong>cadre les amours naissantes des<br />
deux héros.<br />
26 «… y sabe Dios si ésta no fue la verdad, trastornada por el odio popular » (Ibid.)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
246<br />
Acto segundo. El Festín real.<br />
Sc. 1 : <strong>Le</strong>s courtisans att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t le roi. C’est la nuit<br />
Sc. 2 : Teuda r<strong>en</strong>tre et raconte comm<strong>en</strong>t le roi a séduit Florinda et a trompé le comte.<br />
Sc. 3 : Entrée du roi Rodrigo. Il demande à sa cour modération dans les excès et de ne pas<br />
dévoiler à Florinda qu’il a <strong>en</strong>fermé la reine légitime dans un cloître. C’est alors qu’il décrit<br />
Florinda comme un être pur, v<strong>en</strong>u du ciel, à qui il veut épargner la déb<strong>au</strong>che de sa cour.<br />
Sc. 4 : Florinda <strong>en</strong>tre, étonnée et révoltée par une telle société. <strong>Le</strong> roi la rassure de son<br />
amour et tous deux s’assoi<strong>en</strong>t sur le trône. C’est alors qu’a lieu un Intermezzo qui peut être<br />
omis selon les possibilités du théâtre. La scène est métamorphosée <strong>en</strong> un jardin. Apparaiss<strong>en</strong>t<br />
des chœurs d’anges (<strong>en</strong>fants), des courtisans, ainsi que des danseuses pour cette Gran<br />
Barcarola del Tajo. Rodrigo et Florinda sont couronnés, <strong>au</strong>x sons de deux orchestres, « la<br />
mondaine et bruyante, […] une suave, religieuse […] : luttes des bons instincts avec les<br />
t<strong>en</strong>dances fatales du roi 27 . » La scène continue. Teuda propose un toast à la be<strong>au</strong>té de<br />
Florinda. Puis vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des danses andalouses, des tributs de fleurs. C’est alors que dans un<br />
duettino « d’amour douloureux » Florinda compr<strong>en</strong>d la réalité de la décad<strong>en</strong>ce de la cour et<br />
doit admettre malgré elle :<br />
Homme funeste, je t’aime, malheur à moi 28 !<br />
Sc. 5 : Rubén, « astrologue de la cour et vieil hébreux », fait son apparition, suivi d’un<br />
incognito masqué. Rodrigo lui demande de lire l’av<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> lui t<strong>en</strong>dant la coupe de vin. Scène<br />
incantatoire, la Profecía de Rubén se place <strong>au</strong> milieu de la fête. Il voit du sang et prononce le<br />
mot fatal : exterminio. C’est alors que l’incognito se démasque <strong>en</strong> se jetant sur le roi pour le<br />
tuer. Il s’agit du comte don Julián, qui manque son coup. Final d’acte où chacun exprime sa<br />
stupeur, le comte r<strong>en</strong>ie sa fille Florinda, alors que celle-ci déplore son « triste amour ».<br />
Ce deuxième acte de Florinda nous place <strong>au</strong> cœur de l’opéra romantique. <strong>Le</strong> décor<br />
prolonge l’imagerie médiévale du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> (salle des banquets du châte<strong>au</strong> des rois<br />
wisigoths de Tolède), espace public où s’accomplit le drame privé. L’acte est nocturne, placé<br />
sous la lumière des torches et des étoiles (pour l’Intermezzo). Comme dans Rigoletto, comme<br />
dans la Traviata – deux opéras souv<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>tés à Bogotá – la t<strong>en</strong>sion dramatique éclate<br />
sur un arrière-plan de fête. Cette superposition dramaturgique acc<strong>en</strong>tue l’isolem<strong>en</strong>t des<br />
27 « Dos orquestas: la mundana y estrepitosa anterior, y una suave, religiosa, con la cual cantan los<br />
niños: lucha de los bu<strong>en</strong>os instintos con las fatales t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>cias del Rey. » (R. Pombo, 1880 : 16).<br />
28 « Y, hombre funesto, te amo, ay de mi! » (R. Pombo, 1880 : 20).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
personnages dans leurs souffrances individuelles ; elle implique une dialectique <strong>en</strong>tre le<br />
registre bachique et le pathétique. Sans doute les deux mom<strong>en</strong>ts-clef qui marqu<strong>en</strong>t le<br />
paroxysme <strong>en</strong> miroir de ce mélange des g<strong>en</strong>res sont le Brindis de Teuda et la Profecía de<br />
Rubén.<br />
La scène du toast, chant du libertin, libation collective <strong>au</strong>x plaisirs, est un élém<strong>en</strong>t<br />
structurant dans l’opéra romantique ; elle représ<strong>en</strong>te la volonté de l’homme de s’affranchir<br />
d’une destinée préétablie, exaltant le carpe diem horati<strong>en</strong>. Son antithèse, la conjuration de<br />
magie noire, replace l’homme sous l’emprise d’une divinité qui le gouverne, introduit le<br />
surnaturel sur la scène. Quant à Ponce de <strong>Le</strong>ón, il illustre le retour d’un destin implacable par<br />
une chute de deux dièses à l’armure vers les trois bémols de la tonalité d’ut mineur de la<br />
Profecía.<br />
Ce deuxième acte de Florinda r<strong>en</strong>oue avec la tradition du divertissem<strong>en</strong>t de la tragédie<br />
<strong>lyrique</strong> baroque, récupérée <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> dans le Grand Opéra parisi<strong>en</strong>. Et <strong>au</strong> librettiste de<br />
nous expliquer :<br />
Je propose le titre ópera mayor <strong>au</strong> s<strong>en</strong>s français de grand’opéra, c’est-à-dire un opéra de<br />
grandes proportions et spectaculaire, pour toutes les voix, et avec un ballet opportun dans son<br />
argum<strong>en</strong>t.<br />
Propongo[…]eltítulodeóperamayor<strong>en</strong>els<strong>en</strong>tidodelfrancésgrand’opéra,esdecir,ópera<br />
demayoresproporcionesyespectáculo,paratodaslasvoces,yconbaileoportuno<strong>en</strong>su<br />
argum<strong>en</strong>to 29 .<br />
Rafael Pombo a-t-il assisté à New York à des représ<strong>en</strong>tations d’opéras écrits pour <strong>Paris</strong> ?<br />
Connaît-il, par les récits de Colombi<strong>en</strong>s ayant séjourné à <strong>Paris</strong>, par Ponce de <strong>Le</strong>ón lui-même,<br />
l’organisation de la scène <strong>lyrique</strong> parisi<strong>en</strong>ne sous le Second empire ? L’Intermezzo du second<br />
acte, avec ses chœurs, son ballet, est écrit « pour un grand théâtre 30 » et ne sera pas mis <strong>en</strong><br />
musique pour la création colombi<strong>en</strong>ne de Florinda. <strong>Le</strong>s créateurs sont consci<strong>en</strong>ts que les<br />
moy<strong>en</strong>s qu’il exige dépass<strong>en</strong>t ce que peut leur offrir le Coliseo de Bogotá. Tout d’abord un<br />
changem<strong>en</strong>t de décor à vue transforme la salle du châte<strong>au</strong> <strong>en</strong> un jardin sous la voûte étoilée,<br />
<strong>au</strong>x abords du Tage, avec des ponts fantastiques et des pavillons <strong>au</strong> loin. Lors du<br />
couronnem<strong>en</strong>t du roi et de Florinda par des putti, leur trône doit se détacher « <strong>en</strong> flottant<br />
comme une barque. » Il f<strong>au</strong>t ajouter divers chœurs (d´hommes, de femmes, d’<strong>en</strong>fants), deux<br />
orchestres et un ballet qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t célébrer les amants. On compr<strong>en</strong>d alors que cet épisode,<br />
29 R. Pombo, 1880 : 4.<br />
30 Ibid. : 16.<br />
247<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
248<br />
directem<strong>en</strong>t relié à la tragédie <strong>lyrique</strong>, prés<strong>en</strong>tait trop de difficultés d’ordre matériel pour<br />
pouvoir être m<strong>en</strong>é à bi<strong>en</strong> sur une petite scène comme celle de Bogotá.<br />
Acto tercero. El traidor.<br />
<strong>Le</strong> troisième acte de Florinda n’est constitué que de deux scènes. Tout d’abord, Don Julián<br />
<strong>en</strong>tame <strong>en</strong> long monologue, avant que sa fille ne le rejoigne. Scène du cachot, cet acte est<br />
celui de la r<strong>en</strong>contre <strong>en</strong>tre le père et la fille. C’est l’un des mom<strong>en</strong>ts att<strong>en</strong>dus dans la<br />
dramaturgie <strong>lyrique</strong> itali<strong>en</strong>ne, que Ponce de <strong>Le</strong>ón avait déjà abordé <strong>au</strong>paravant dans le duo<br />
<strong>en</strong>tre Ester et Mardoqueo.<br />
R. Pombo apporte deux modifications ess<strong>en</strong>tielles à l’histoire. Florinda est <strong>en</strong>core vierge 31 .<br />
La virginité est presque une nécessité pour un premier rôle de théâtre. C’est <strong>au</strong>ssi une<br />
condition sine qua non pour celle qui va dev<strong>en</strong>ir martyre, qui va <strong>en</strong>dosser le mante<strong>au</strong> du<br />
pèlerin et va mourir <strong>en</strong> paix avec Dieu 32 . R. Pombo esquive ainsi la notion terrible du viol, ou<br />
celle, immorale, du rapport sexuel cons<strong>en</strong>ti. Conséqu<strong>en</strong>ce de cette révélation, le comte Julián<br />
est livré <strong>au</strong> rep<strong>en</strong>tir d’avoir r<strong>en</strong>ié sa fille.<br />
<strong>Le</strong> long monologue du comte n’est pas sans rappeler celui de Philippe II du Don Carlos de<br />
Verdi. C’est un mom<strong>en</strong>t d’introspection où diverses passions se succèd<strong>en</strong>t dans la p<strong>en</strong>sée du<br />
traître. Lorsque Florinda apparaît pour le délivrer, le père cède à la joie et à la t<strong>en</strong>dresse. Il<br />
exhorte sa fille à partir avec lui là où le nom de Rodrigo ne puisse les atteindre. Mais devant<br />
l’hésitation de Florinda, il compr<strong>en</strong>d qu’elle aime le roi. Fou de rage, le comte m<strong>au</strong>dit sa fille<br />
et son pays dans une scène d’une viol<strong>en</strong>ce extrême :<br />
M<strong>au</strong>dit l’instant<br />
Où je te vis naître !<br />
M<strong>au</strong>dite à jamais<br />
Fille indigne et vile !<br />
Et maint<strong>en</strong>ant ! ta fureur,<br />
Tes g<strong>en</strong>s, Walid !<br />
Ici l’Afrique !<br />
Ici ton désert !!<br />
<strong>Le</strong> dernier acte est divisé <strong>en</strong> deux table<strong>au</strong>x. <strong>Le</strong> premier porte l’indication « à omettre pour<br />
l’instant » et sera mis <strong>en</strong> musique par Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong>tre la deuxième et la troisième<br />
représ<strong>en</strong>tation de l’opéra <strong>en</strong> 1880. La fin de l’opéra est différ<strong>en</strong>te de la lég<strong>en</strong>de – « j’ai changé<br />
31 « Tómala!... … pura está... … » dit Rodrigue à la fin de l’acte précéd<strong>en</strong>t. <strong>Le</strong> mot itali<strong>en</strong> pura est un<br />
qualificatif récurr<strong>en</strong>t dans le lexique des opéras romantiques itali<strong>en</strong>s.<br />
32 Lors d’une représ<strong>en</strong>tation de La Dame <strong>au</strong>x Camélias à Bogotá, la c<strong>en</strong>sure avait exigé le mariage<br />
<strong>en</strong>tre Marguerite et Armand (M. García Molina, 1989).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
¡Malditoelinstante<br />
Qu<strong>en</strong>acertevi!<br />
Malditaporsiempre<br />
¡Hijaindignayvil!<br />
<br />
Yorasi!¡Turayo,<br />
Tug<strong>en</strong>te,Walid!<br />
¡AquíÁfrica<strong>en</strong>tera!<br />
¡Tudesiertoaquí!
complètem<strong>en</strong>t le début et la fin 33 » – et permet de continuer la narration <strong>au</strong>tour du personnage<br />
de Florinda, alors que dans la romance du duc de Rivas les personnages masculins devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
les protagonistes de la fin de la lég<strong>en</strong>de.<br />
Acto quinto. Cuadro I. Recuerdos 34 .<br />
Florinda habillée <strong>en</strong> pèlerin retourne <strong>au</strong> châte<strong>au</strong> de son père – table<strong>au</strong> du premier acte –<br />
dévasté par la guerre. <strong>Le</strong>s g<strong>en</strong>s du comte, émus, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t alors à sa r<strong>en</strong>contre. Ils lui<br />
appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t que don Julián et le roi se livr<strong>en</strong>t un terrible combat. À l’<strong>en</strong>contre de leur conseil,<br />
Florinda continue son chemin pour atteindre le champ de bataille.<br />
Ce premier table<strong>au</strong> modifie la lég<strong>en</strong>de espagnole. Sous les habits du pèlerin, Florinda<br />
<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d un voyage expiateur qui la conduit <strong>au</strong>x sources de sa vie. Voyage initiatique,<br />
image du Wanderer romantique, ce retour <strong>au</strong> berce<strong>au</strong> est un cheminem<strong>en</strong>t nostalgique vers la<br />
certitude chréti<strong>en</strong>ne que le temps est corruption sur terre :<br />
Acto quinto. Cuadro II. La batalla.<br />
Cette dernière scène, datée par le poète le mardi 25 juillet 711, met <strong>en</strong> rapport le drame<br />
individuel des personnages avec le drame collectif : l’extermination d’une nation.<br />
Sc. 1 : Il est midi sur le champ de bataille. Chœur de soldats prêts pour le combat ; chœur<br />
de blessés qui accus<strong>en</strong>t Florinda comme seule coupable de tous leurs m<strong>au</strong>x. Florinda, toujours<br />
<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ue de pèlerin, s’<strong>en</strong>quête <strong>au</strong>près de Rubén sur le sort du roi.<br />
Sc. 2 : <strong>Le</strong> roi <strong>en</strong>tre sur son char de guerre. Contrarié de voir Florinda, il chante une dernière<br />
fois son amour avec elle, <strong>en</strong> un duo délirant de passion.<br />
Sc. 3 : Teuda arrive <strong>en</strong> chantant victoire : un corps de l’armée du roi a pu pénétrer dans les<br />
rangs <strong>en</strong>nemis.<br />
Sc. 4 : Arrivée de don Julián. Il appr<strong>en</strong>d <strong>au</strong> roi la trahison d’une partie de son armée qui<br />
s’est unie <strong>au</strong>x M<strong>au</strong>res. Florinda se place <strong>en</strong>tre le roi et le comte, sur le point de se livrer <strong>au</strong><br />
combat.<br />
33 « Cambié totalm<strong>en</strong>te el principio y el fin. » (R. Pombo, 1880 : 3).<br />
34 « Souv<strong>en</strong>irs ».<br />
ComoEvaalparaíso<br />
Ya<strong>en</strong>ruina,hoyvuelvoati<br />
Mihogarb<strong>en</strong>dito!Hoyvuelvo<br />
Dondeinoc<strong>en</strong>tefui<br />
Comme Ève <strong>au</strong> paradis<br />
Désormais <strong>en</strong> ruine, je retourne à toi<br />
Ma maison bénite ! Je retourne<br />
Où je fus innoc<strong>en</strong>te.<br />
249<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
250<br />
Sc. 5 : Teuda revi<strong>en</strong>t et annonce que les Musulmans sont <strong>en</strong> train de gagner la bataille.<br />
Rodrigo et don Julián part<strong>en</strong>t rejoindre leurs armées. Florinda tombe épuisée, alors que tous<br />
deux sont émus de la voir ainsi.<br />
Sc. 6 : Rubén, blessé, aide Florinda. Il lui demande de partir, mais, meurtri par ses<br />
blessures, il meurt.<br />
Sc. 7 : <strong>Le</strong>s soldats travers<strong>en</strong>t la scène <strong>en</strong> fuyant : le roi est mort noyé.<br />
Sc. 8 : Délirante, Florinda leur ordonne de retourner <strong>au</strong> champ de bataille. C’est alors qu’ils<br />
la reconnaiss<strong>en</strong>t et l’accabl<strong>en</strong>t de leur haine. Grand désordre sur scène, Florinda tombe<br />
frappée par une main : mort, honte, horreur, les soldats sont partagés. Quant à Florinda, elle<br />
exprime sa joie de pouvoir <strong>en</strong>fin mourir.<br />
Sc. 9 : Don Julián arrive, à la recherche de sa fille. Saisi d’horreur devant le martyr de<br />
Florinda, il pardonne à sa fille, et à son tour lui demande le pardon. Florinda, dans l’excès de<br />
joie que suscite <strong>en</strong> elle cette ultime démarche, part rejoindre l’âme de son amant. <strong>Le</strong>s Arabes<br />
arriv<strong>en</strong>t et don Julián compr<strong>en</strong>d que, malgré lui, il leur <strong>au</strong>ra livré un roy<strong>au</strong>me.<br />
Ainsi l’œuvre <strong>lyrique</strong> est riche <strong>en</strong> situations dramatiques, avec une palette exaltant des<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts <strong>au</strong>ssi variés que la candeur, l’amour, la haine et la v<strong>en</strong>geance. La Florinda de<br />
R. Pombo s’inspire bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du de l’Histoire, via l’œuvre du Duc de Rivas. Mais deux<br />
modifications ess<strong>en</strong>tielles aménag<strong>en</strong>t le drame <strong>en</strong> une scène d’opéra qui se veut édifiante : <strong>au</strong><br />
début Florinda aime son séducteur. La viol<strong>en</strong>ce du rapt ou du viol est donc élidée. De même,<br />
la traîtrise finale n’est pas le fait de don Julián, mais d’un retournem<strong>en</strong>t de l’armée m<strong>au</strong>re<br />
contre lui. Deux situations qui s’expliqu<strong>en</strong>t par la volonté du poète d’élever ses personnages,<br />
emplis des passions nobles, supprimant le banal et le rustre. Florinda répond égalem<strong>en</strong>t à<br />
l’appellation d’opéra historique :<br />
Un triumvirat formé d’un écrivain, un compositeur et un décorateur […] à l’intérieur d’un<br />
cadre <strong>en</strong> cinq actes où l’on trouve des épisodes dansés et be<strong>au</strong>coup de chœurs, des héros se<br />
déchir<strong>en</strong>t, le plus souv<strong>en</strong>t <strong>au</strong> Moy<strong>en</strong> Âge ou à la R<strong>en</strong>aissance sur fond de luttes politiques ou<br />
religieuses 35 .<br />
Il est certain que R. Pombo, <strong>en</strong> imprimant sa Florinda, a eu pour int<strong>en</strong>sion de prés<strong>en</strong>ter un<br />
texte littéraire, pièce de théâtre destinée à l’opéra, plutôt que guide pour l’<strong>au</strong>dition. <strong>Le</strong> poète<br />
est consci<strong>en</strong>t que l’opéra, même s’il r<strong>en</strong>contre un succès ret<strong>en</strong>tissant, <strong>au</strong>ra une courte vie sur<br />
35 R. Campos, 2003.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
scène ; que, sitôt la troupe itali<strong>en</strong>ne partie, il f<strong>au</strong>dra att<strong>en</strong>dre des années – treize ans pour<br />
Florinda – avant de pouvoir revoir l’opéra. Face à cette exist<strong>en</strong>ce éphémère, son livret peut<br />
s’imposer et dev<strong>en</strong>ir même une référ<strong>en</strong>ce pour les <strong>au</strong>teurs à v<strong>en</strong>ir.<br />
Cette supposition peut se lire dans le texte-même de différ<strong>en</strong>tes manières. Malgré l’abs<strong>en</strong>ce<br />
du quatrième acte, destiné « à la lecture » (cf. supra), le poète annonce déjà que sa Florinda<br />
n’est pas toute conçue pour être mise <strong>en</strong> musique. Paradoxalem<strong>en</strong>t on eut pu s’att<strong>en</strong>dre à ce<br />
que cet acte figure dans la version imprimée du livret. Certaines répliques, signalées par des<br />
astérisques, n’ont pas été mises <strong>en</strong> musique. R. Pombo écrit <strong>au</strong>ssi différ<strong>en</strong>tes issues <strong>au</strong>x<br />
scènes, <strong>en</strong> fonction des moy<strong>en</strong>s du théâtre où l’opéra est représ<strong>en</strong>té. C’est le cas de<br />
l’Intermezzo du second acte, grand divertissem<strong>en</strong>t à la française, écrit pour « un grand<br />
théâtre 36 », ou <strong>en</strong>core du sort de Rubén qui peut mourir ou ne pas mourir (acte 5, scène 6). Sa<br />
mort, Visión y muerte de Rubén, allongerait la soirée <strong>en</strong> introduisant un nouve<strong>au</strong> numéro de<br />
musique.<br />
Un <strong>au</strong>tre élém<strong>en</strong>t, qui va dans le s<strong>en</strong>s d’un livret écrit pour la lecture sil<strong>en</strong>cieuse, est le<br />
registre soigné des didascalies. Pour le décor de l’Intermezzo du deuxième acte, R. Pombo, <strong>en</strong><br />
grand homme de lettres qu’il est, demande « un be<strong>au</strong> ciel nocturne, ferv<strong>en</strong>t d’étoiles <strong>en</strong><br />
mystérieuse quiétude » :<br />
Cielodehermosanoche,férvidodeestrellas<strong>en</strong>misteriosaquietud.<br />
Par souci de réalisme, il ajoute une description précise des plantes, mœurs, meubles,<br />
coutumes de l’Espagne du VIII e <strong>siècle</strong>. Ainsi le décor du premier acte doit être un jardin de<br />
gr<strong>en</strong>adiers, citronniers, orangers, oliviers, amandiers ; (…) avec des aromates, thym,<br />
romarin… 37 Jamais un livret d’opéra n’<strong>au</strong>ra été <strong>au</strong>ssi précis quant à la botanique. Cette<br />
description du jardin ti<strong>en</strong>t du s<strong>en</strong>suel. <strong>Le</strong> goût des fruits, l’arôme des herbes, la couleur des<br />
fleurs, tout est minutieusem<strong>en</strong>t décrit. <strong>Le</strong> poète se rapproche de la conception romantique<br />
d’une nature exubérante et s<strong>en</strong>suelle, qui échappe à l’ordre imposé par l’homme ; une nature<br />
insaisissable <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, que ce soit celle d’Alexander von Humboldt, que ce soit la serre<br />
de Des Esseintes (dans À rebours de Huysmans).<br />
251<br />
36 « Para un gran teatro » (R. Pombo, 1880 : 16).<br />
37 « Granados, limoneros, naranjos, limoneros, naranjos, olivos, alm<strong>en</strong>dros, higueras, oímos, álamos,<br />
abedules, quejigos, l<strong>en</strong>tiscos, madreselva, rosal silvestre; los aromáticos tomillo, romero, jara y<br />
cantueso; jazmín y maleza de jaramago y amapola. » (Ibid. : 40).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
252<br />
Rafael Pombo soigne son livret. Fruit de plusieurs années de travail, Florinda est une des<br />
rares œuvres qu’il publie de son vivant 38 . C’est une véritable réussite dramaturgique et<br />
poétique, à l’égal des livrets d’opéras que Pombo traduit depuis les années 1870. Mais<br />
pourquoi le librettiste a-t-il choisi l’histoire de Florinda ? Comm<strong>en</strong>t est-il <strong>en</strong>tré <strong>en</strong> contact<br />
avec l’œuvre du duc de Rivas ? Si nous ne connaissons pas de réponses à ces questions, il f<strong>au</strong>t<br />
rappeler que R. Pombo était féru de nouve<strong>au</strong>tés littéraires. Il <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ait notamm<strong>en</strong>t une<br />
correspondance suivie avec des Colombi<strong>en</strong>s résidant <strong>en</strong> Europe qui le t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>au</strong> courant de<br />
l’actualité artistique du contin<strong>en</strong>t. Suivant de très prés les nouve<strong>au</strong>tés de la scène <strong>lyrique</strong><br />
parisi<strong>en</strong>ne et itali<strong>en</strong>ne, traducteur de livrets itali<strong>en</strong>s <strong>en</strong> espagnol, il est fort probable qu’il a<br />
cherché à s’inspirer d’<strong>au</strong>teurs qui à leur tour avai<strong>en</strong>t inspiré les librettistes des grands<br />
compositeurs. Piave avait écrit le livret de La forza del destino, opéra de Verdi pour Saint-<br />
Pétersbourg (1862), à partir de la pièce de théâtre du duc de Rivas Don Alvaro o la fuerza del<br />
destino, représ<strong>en</strong>tée à Madrid <strong>en</strong> 1835. <strong>Le</strong> nom du duc de Rivas apparaît ici lié pour la<br />
première fois à l’histoire de l’opéra, et R. Pombo s’<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>t sans doute lorsqu’il lit sa<br />
Florinda.<br />
Lorsque José María Gutiérrez de Alba – le librettiste du Castillo misterioso – s’installe à<br />
Bogotá <strong>en</strong> tant que libraire, il est possible qu’il ait apporté des ouvrages du duc de Rivas.<br />
D’<strong>au</strong>tre part, Manuel Pombo, frère de Rafael, possédait une librairie <strong>au</strong> c<strong>en</strong>tre de la ville, lieu<br />
de r<strong>en</strong>contre et de discussion des hommes de lettres et des politiques 39 . Dans ce milieu<br />
littéraire qui cherche à vaincre l’isolem<strong>en</strong>t géographique par une culture de l’érudition<br />
littéraire – Bogotá est appelé <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> l’Athènes de l’Amérique – le duc de Rivas doit<br />
être connu.<br />
En 1871 est créée à Bogotá l’Academia Colombiana de la <strong>Le</strong>ngua. La littérature franchit<br />
une nouvelle étape, abandonnant les table<strong>au</strong>x de mœurs qui avai<strong>en</strong>t marqué les années<br />
précéd<strong>en</strong>tes. L’intérêt porté à la langue, à une pratique aisée et sout<strong>en</strong>ue du langage, est<br />
inhér<strong>en</strong>t <strong>au</strong> grand projet de consolidation de l’id<strong>en</strong>tité culturelle colombi<strong>en</strong>ne. La Florinda du<br />
duc de Rivas est <strong>au</strong>x yeux des académici<strong>en</strong>s un exemple linguistique à suivre. Enfin si<br />
l’Espagne attire de plus <strong>en</strong> plus les artistes colombi<strong>en</strong>s, dans le cas de R. Pombo ce retour<br />
vers la mère patrie comporte une part d’ingrédi<strong>en</strong>t personnel. La famille Pombo, arrivée <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> XVIII e <strong>siècle</strong>, était desc<strong>en</strong>dait de la noblesse espagnole et irlandaise 40 .<br />
38 La plus grande partie de sa production littéraire est restée inédite car l’<strong>au</strong>teur s’opposait à faire<br />
éditer ses œuvres. Ce n’est qu’après sa mort que son œuvre comm<strong>en</strong>ce à être publiée.<br />
39 B. Robledo, 2005 : 39.<br />
40 <strong>Le</strong> père de Rafael s’appelle Lino de Pombo O’Donnell. (B. Robledo, 2005 : 29).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
R. Pombo, <strong>en</strong> écrivant un livret qui se place dans l’Espagne chevaleresque, n’est-il pas<br />
nostalgique d’un passé qui lui apparti<strong>en</strong>t ?<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón a la chance de travailler sur un livret p<strong>en</strong>sé pour lui, sur un sujet original et<br />
dramatiquem<strong>en</strong>t fort attrayant. Que savons-nous sur ce travail de composition musicale ?<br />
Quand comm<strong>en</strong>ce-t-il ? Quelles sont les circonstances de la création de l’opéra ? Maint<strong>en</strong>ant<br />
que nous avons prés<strong>en</strong>té le sujet et le livret, intéressons-nous à la musique de Florinda.<br />
6.2.2.<br />
Depuis 1865, Bogotá semble s’habituer à la cad<strong>en</strong>ce d’une saison <strong>lyrique</strong> tous les deux ans.<br />
<strong>Le</strong> répertoire d’opéra de la capitale s’est <strong>en</strong>richi à l’<strong>au</strong>ne du passage des compagnies Sindici-<br />
Isaza (1865), Cavaletti (1866-1867), Visoni (1868-1869), Thiolier (1871), Rossi-d’Achiardi<br />
(1874) et de la troupe espagnole Mateo (1876). Ces deux dernières saisons, 1874 et 1876,<br />
avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>couragé la naissance de deux œuvres <strong>lyrique</strong>s colombi<strong>en</strong>nes de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
En 1878, deux ans après le départ de la compagnie de zarzuela espagnole, une initiative<br />
colombi<strong>en</strong>ne voit le jour pour am<strong>en</strong>er une compagnie itali<strong>en</strong>ne. Bruno Maldonado et Mario<br />
Lambardi 41 étai<strong>en</strong>t partis <strong>en</strong> Italie avec le seul objectif d’organiser une troupe et de la faire<br />
v<strong>en</strong>ir à Bogotá. Mais sur leur chemin ils r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t Egisto Petrilli et sa compagnie, qui se<br />
dirigeai<strong>en</strong>t vers Bogotá. Étant donné le r<strong>en</strong>om de Petrilli, le succès de ses chanteurs, son<br />
répertoire nouve<strong>au</strong> et varié d’opéras « de grand apparat », on décide de lui ouvrir le Coliseo 42 .<br />
Il s’agit de la première t<strong>en</strong>tative nationale pour importer l’opéra itali<strong>en</strong>. Mais finalem<strong>en</strong>t le<br />
modus operandi reste inchangé : la troupe s’<strong>en</strong>gage à ses risques et périls et assure une<br />
gestion indép<strong>en</strong>dante de la saison. Il f<strong>au</strong>dra att<strong>en</strong>dre les années 1890 pour que le<br />
gouvernem<strong>en</strong>t colombi<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ne <strong>en</strong>fin la responsabilité d’employer des troupes étrangères.<br />
Egisto Petrilli était connu à Bogotá ; son seul nom garantissait des spectacles de qualité. Il<br />
avait chanté comme baryton durant la saison <strong>lyrique</strong> de 1863 puis dans celle de 1865. Il avait<br />
connu un grand succès à Mexico <strong>en</strong> 1874 <strong>en</strong> chantant avec Elisa D’aponte, soprano, arrivée à<br />
253<br />
41 L’Itali<strong>en</strong> Mario Lambardi revi<strong>en</strong>t à Bogotá <strong>en</strong> 1891 à la tête de la compagnie Z<strong>en</strong>ardo-Lambardi.<br />
Lambardi, Americo Mancini et Adolfo Bracale marqu<strong>en</strong>t le r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong>tour<br />
des années 1910-1930. Mario Lambardi se trouve à Bogotá dès les années 1870 <strong>en</strong> tant qu’architecte.<br />
42 « Sabido es que hace pocos meses partieron hacia Europa los señores Bruno Maldonado i Mário<br />
Lambardi con el exclusivo objeto de organizar <strong>en</strong> Italia una Compañía lírica . Aquellos señores se<br />
<strong>en</strong>contraron <strong>en</strong> Puerto-cabello con el señor Petrelli, que estaba haci<strong>en</strong>do sus últimos preparativos para<br />
embarcarse con su Compañía <strong>en</strong> dirección de Colombia; i vi<strong>en</strong>do que esta Compañía se compone de<br />
artistas av<strong>en</strong>tajados, que posee un repertorio selecto, que puede repres<strong>en</strong>tar óperas de grande aparato,<br />
que ti<strong>en</strong>e, <strong>en</strong> fin, todos los elem<strong>en</strong>tos para sorpr<strong>en</strong>der y complacer la sociedad bogotana, <strong>en</strong>traron <strong>en</strong><br />
combinaciones y arreglos con Petrelli que tuvieron el más satisfactorio resultado. » (« Ópera italiana »,<br />
Diario de Cundinamarca (IX.2334), 16 juillet 1878 : 540).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
254<br />
Bogotá <strong>en</strong> 1878 avec sa troupe, puis <strong>en</strong> 1875 dans la compagnie Visconti, toujours à<br />
Mexico 43 . Chanteur et impresario, Petrilli sillonne l’Amérique du Mexique <strong>au</strong> Chili ; il est<br />
sans doute l’un des personnages clefs et méconnus qui a laissé une trace dans l’histoire<br />
contin<strong>en</strong>tale de l’opéra <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
<strong>Le</strong> 15 septembre 1878, <strong>au</strong> terme de six mois d’organisation 44 , une nouvelle saison <strong>lyrique</strong><br />
est in<strong>au</strong>gurée à Bogotá avec l’Ernani de Verdi. C’est un succès assuré que de choisir une<br />
œuvre qui comm<strong>en</strong>ce à être bi<strong>en</strong> connue à Bogotá : Ernani avait ouvert les saisons de 1869 et<br />
1874. La nouvelle compagnie Petrilli propose deux saisons d’abonnem<strong>en</strong>ts avant de partir<br />
t<strong>en</strong>ter sa chance à Medellín. Pourtant l’histoire se répète une fois de plus : l’<strong>en</strong>treprise fait<br />
faillite <strong>au</strong> bout de quelques mois de spectacles et doit abandonner la saison <strong>en</strong> cours. Lorsque<br />
la deuxième saison débute, les chanteurs désert<strong>en</strong>t la compagnie <strong>au</strong> bout du troisième<br />
spectacle – f<strong>au</strong>te de paiem<strong>en</strong>ts ? – et malgré des t<strong>en</strong>tatives pour relancer la saison, malgré<br />
l’organisation de séances mixtes (théâtre et musique), malgré l’arrivée de nouve<strong>au</strong>x chanteurs<br />
itali<strong>en</strong>s, la compagnie Petrilli échoue.<br />
Petrilli, qui connaissait bi<strong>en</strong> la situation <strong>lyrique</strong> dans les différ<strong>en</strong>tes capitales latino-<br />
américaines, avait-il l’ambition de rénover le répertoire ? Parmi les nouve<strong>au</strong>x opéras qu’il<br />
amène à Bogotá on peut <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre Un ballo in maschera, Luisa Miller et I Masnadieri de<br />
Verdi. <strong>Le</strong>s mélomanes, ravis, vont jusqu'à demander par voie de presse la création à Bogotá<br />
de La muda de Portici d’Auber, dont « l’ouverture est ici bi<strong>en</strong> connue depuis longtemps 45 . »<br />
La deuxième saison débute le 13 avril 1879 avec une œuvre inouïe et inatt<strong>en</strong>due <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong> : le F<strong>au</strong>st de Gounod – ou plutôt F<strong>au</strong>sto, chanté <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> selon la coutume. À<br />
l’affiche Ruy Blas (Marchetti, 1869), Linda di Chamounix (Donizetti, 1842), L’Ebreo<br />
(Apolloni, 1855). Comme on peut le constater, le décalage <strong>en</strong>tre la création d’un opéra <strong>en</strong><br />
Europe et son arrivée <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> t<strong>en</strong>d à s’amoindrir. Avec des œuvres telles que F<strong>au</strong>st<br />
(1859), Un ballo in maschera (1859) ou Ruy Blas, ce temps se réduit à une vingtaine<br />
d’années, voire dix ans. <strong>Le</strong>s Itali<strong>en</strong>s, sous la conduite de Petrilli, prolong<strong>en</strong>t cette<br />
modernisation <strong>en</strong>tamée <strong>en</strong> 1876 par la saison de zarzuela grande. En termes esthétiques, cela<br />
ce traduit par une synchronisation du style musical. Il est certain que des œuvres comme<br />
F<strong>au</strong>st ne laiss<strong>en</strong>t pas indiffér<strong>en</strong>ts les compositeurs colombi<strong>en</strong>s.<br />
43 Voir note 78, M. Lamus Obregón, 2004 : 394.<br />
44 C’est <strong>en</strong> mars 1878 qu’il est question d’une nouvelle compagnie <strong>lyrique</strong> que Petrilli est <strong>en</strong> train<br />
d’organiser à Porto-Rico. (Voir « Ópera », Diario de Cundinamarca (IX.2269), 20 mars 1878 : 280).<br />
45 « Desde ahora excitamos al señor Petrilli para que dé formas de repres<strong>en</strong>tar <strong>en</strong> esta ciudad, por<br />
primera vez, la ópera La muda de Portici, cuya obertura se conoce aquí ha mucho tiempo. » (« Lucia<br />
di Lammermoor », Diario de Cundinamarca (IX.2370), 18 septembre 1878 : 684).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Cette liste de premières annoncées à Bogotá était couronnée par la reprise d’Ester de Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón et la création de son nouvel grand opéra, Florinda 46 . Il s’agit d’un programme<br />
cohér<strong>en</strong>t qui juxtapose deux œuvres complém<strong>en</strong>taires par leur histoire. Si la Florinda incarne<br />
la perte de l’Espagne, le cadre de l’Ebreo est celui de la Reconquista, mom<strong>en</strong>t décisif de<br />
consolidation de l’unité ibérique <strong>au</strong> XV e <strong>siècle</strong> sous le règne des Rois catholiques. Deux<br />
opéras castillans <strong>au</strong> sein d’une même saison itali<strong>en</strong>ne, le temps est définitivem<strong>en</strong>t à la<br />
réconciliation <strong>en</strong>tre la <strong>Colombie</strong> et l’Espagne. L’Ebreo est le dernier opéra représ<strong>en</strong>té par la<br />
troupe le 4 mai 1879. Mais Florinda ?<br />
Lors de notre étude sur l’opéra Ester nous avons évoqué la préparation de sa reprise prévue<br />
pour 1879. Une version révisée de l’opéra – de nouvelles partitions – est établie pour la<br />
compagnie Petrilli. <strong>Le</strong>s parties d’Asuero et d’Amán qui nous sont parv<strong>en</strong>ues port<strong>en</strong>t le nom<br />
de qui devait alors les créer : S r Ponseggi et S r Egisto Petrilli 47 ; par ailleurs la musique n’est<br />
plus la même que celle de 1874. Pas de doute, la reprise d’Ester <strong>en</strong> 1879 est un fait : l’opéra a<br />
été remis <strong>en</strong> chantier, et les manuscrits donn<strong>en</strong>t une nouvelle version terminée, qui n’att<strong>en</strong>d<br />
que d’être programmée <strong>au</strong> Coliseo. L’opéra est tellem<strong>en</strong>t att<strong>en</strong>du et annoncé que certains<br />
histori<strong>en</strong>s sont tombés dans le piège <strong>en</strong> indiquant qu’Ester et Florinda <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t été <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus<br />
<strong>en</strong> 1879 par la compagnie Petrilli 48 ! Mais ce n’est pas le cas. Ester, pas plus que sa cadette<br />
Florinda, n’a l’occasion d’être représ<strong>en</strong>tée. Pire, elles voi<strong>en</strong>t s’essouffler la compagnie et<br />
disparaître avec elle toutes possibilités de s’offrir <strong>au</strong> public. Néanmoins, c’est grâce à Petrilli<br />
qu’il existe <strong>au</strong>jourd’hui une version révisée, définitive, d’Ester, qui a seulem<strong>en</strong>t vu le jour le<br />
4 novembre 2007, sous la baguette de l’<strong>au</strong>teur de ces lignes à Bogotá. L’att<strong>en</strong>te pour Ester<br />
était grande. Mais plus importante était l’expectative c<strong>au</strong>sée par l’annonce du nouvel opéra de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Nous savons peu de choses sur la g<strong>en</strong>èse musicale et littéraire de Florinda. À <strong>en</strong> croire<br />
R. Pombo, les deux amis <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>cé leur collaboration <strong>en</strong> 1875, <strong>au</strong> l<strong>en</strong>demain<br />
d’Ester 49 . Mais l’écrivain parle-t-il de l’écriture du livret ? Ou de la musique ? Même si on<br />
peut supposer que Ponce de <strong>Le</strong>ón n’a pas écrit cet opéra dans la hâte, est-il déjà <strong>au</strong> travail<br />
lorsque la compagnie Petrilli arrive à Bogotá ? A-t-il déjà écrit des esquisses ?<br />
46<br />
« Ópera », El Zipa (II.34), 27 mars 1879 : 528 ; « Compañía lírica », Diario de Cundinamarca<br />
(X.2481), 12 avril 1879 : 342.<br />
47<br />
Manuscrits PSs(2) et PSs(4) d’Ester.<br />
48<br />
Ainsi dans son aperçu sur l’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, M. Lamus Obregón affirme que le<br />
directeur Petrilli a créé le nouvel opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón et remis sur scène Ester. (M. Lamus<br />
Obregón : 2004, 397).<br />
49<br />
Voir ci-dessus.<br />
255<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
256<br />
Presque un an après l’annonce de l’arrivée de la troupe Petrilli, la partition de l’opéra est<br />
sur le point d’être terminée. La première évocation de Florinda dans la presse date du<br />
13 février 1879 :<br />
<strong>Le</strong> maestro Ponce de <strong>Le</strong>ón est <strong>en</strong> train de conclure le dernier acte de son grand opéra espagnol<br />
Florinda, dont les trois premiers actes sont déjà instrum<strong>en</strong>tés. On nous assure qu’un<br />
connaisseur étranger, qui n’a <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du que le troisième acte, a offert à M. Petrilli cinq mille<br />
pesos pour cinq représ<strong>en</strong>tations.<br />
…ElmaestroPoncede<strong>Le</strong>ónestáconcluy<strong>en</strong>doelúltimoactodesugrandeóperaespañola<br />
Florinda, cuyos tres primeros actos ya están instrum<strong>en</strong>tados. Se nos asegura que un<br />
conocedorextranjero,queoyódeellasolam<strong>en</strong>teelterceracto,ofrecióalseñorPetrillicinco<br />
milpesosporcincorepres<strong>en</strong>tacionesdeella... 50 <br />
Ce paragraphe paru dans El Zipa, hebdomadaire de littérature et des arts, nous donne une<br />
idée de l’état d’avancem<strong>en</strong>t de la partition <strong>en</strong> février 1879. Mais l’élém<strong>en</strong>t le plus important<br />
demeure la date indiquée sur le manuscrit <strong>au</strong>tographe de la partition (24 avril 1879), qui nous<br />
permet d’affirmer que l’opéra, même s’il n’a pu être créé immédiatem<strong>en</strong>t, a bel et bi<strong>en</strong> été<br />
achevé <strong>en</strong> avril 1879.<br />
La précision faite dans la coupure de presse précéd<strong>en</strong>te quant à l’orchestration des trois<br />
premiers actes, est un indice majeur pour préciser que Florinda est le fruit d’un travail fait<br />
dans le calme. Nombreux sont les compositeurs qui instrum<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t leurs ouvrages in<br />
extremis, voire la veille des premières répétitions 51 . L’orchestration est un exercice<br />
systématique qui, dans le répertoire <strong>lyrique</strong> itali<strong>en</strong>, arrive <strong>en</strong> dernier lieu. <strong>Le</strong> souci premier du<br />
compositeur est d’écrire le chant et son accompagnem<strong>en</strong>t. Si Ponce de <strong>Le</strong>ón avait eu une<br />
échéance, il est imp<strong>en</strong>sable qu’il ait d’abord orchestré la musique des trois premiers actes,<br />
avant de terminer le dernier acte. En revanche, selon la situation signalée ci-dessus, nous<br />
déduisons qu’il a eu le temps de composer la musique, puis de la mettre <strong>en</strong> forme <strong>au</strong> fur et à<br />
mesure. Florinda est le premier opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón qui ne soit pas bâclé <strong>en</strong> vue d’une<br />
représ<strong>en</strong>tation dans les semaines à v<strong>en</strong>ir !<br />
En 1879, Ponce de <strong>Le</strong>ón est une personnalité reconnue, directeur de la banda, compositeur<br />
de deux ouvrages <strong>lyrique</strong>s créés par des troupes europé<strong>en</strong>nes. Malgré ce parcours<br />
exceptionnel pour un compositeur colombi<strong>en</strong>, il f<strong>au</strong>t que son nouvel opéra Florinda soit<br />
légitimé par un « connaisseur étranger ». C’est insister sur le fait qu’il n’existe pas d’art<br />
50 « Ópera italiana », El Zipa (II.28), 13 février 1879 : 430.<br />
51 Vérité ou lég<strong>en</strong>de ? L’ouverture de Don Giovanni <strong>au</strong>rait était écrite la veille de la création. Donizetti<br />
<strong>au</strong>rait instrum<strong>en</strong>té ses opéras <strong>au</strong> cours des répétitions… Rappelons cep<strong>en</strong>dant que l’opera seria était<br />
un opéra ouvert, sans instrum<strong>en</strong>tation fixe. Cette pratique a sans doute débordé p<strong>en</strong>dant les premières<br />
années du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
national ; que celui-ci est <strong>en</strong> construction perman<strong>en</strong>te ; que ses modèles et ses juges<br />
demeur<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong>s.<br />
En raison des rumeurs de guerre civile 52 , du départ d’instrum<strong>en</strong>tistes itali<strong>en</strong>s, du m<strong>au</strong>vais<br />
temps qui règne et persiste sur la ville <strong>en</strong> ce début d’année 53 et de faits divers sanglants qui<br />
ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t Bogotá <strong>en</strong> émoi 54 , le théâtre est <strong>en</strong> crise. <strong>Le</strong> public ne paie plus l’abonnem<strong>en</strong>t ; les<br />
artistes ne sont pas rémunérés. La situation est telle qu’<strong>en</strong> septembre 1879, alors que la<br />
compagnie a cessé ses activités depuis bi<strong>en</strong> des mois, après un séjour dramatique à<br />
Medellín, des « artistes de [Bogotá] propos<strong>en</strong>t […] offrir à la société un concert vocal et<br />
instrum<strong>en</strong>tal dont le but est de favoriser le sympathique baryton M. Petrilli 55 . » En général ces<br />
concerts ont lieu pour recueillir des fonds lorsqu’un artiste part, ou lorsqu’il connaît des<br />
mom<strong>en</strong>ts de difficulté économique.<br />
Petrilli est donc plongé dans une situation difficile <strong>au</strong> l<strong>en</strong>demain de son expéri<strong>en</strong>ce comme<br />
impresario, av<strong>en</strong>ture qui, <strong>en</strong> plus de la recette négative à Bogotá, s’était soldée par un drame<br />
humain à Medellín.<br />
Il existe des informations contradictoires sur le séjour de la compagnie dans cette ville.<br />
Selon M. Lamus Obregón, les Itali<strong>en</strong>s y chant<strong>en</strong>t de décembre 1878 à février 1879 ; victimes<br />
d’une épidémie, ils tomb<strong>en</strong>t malades et le ténor Ponseggi décède sur place 56 . Pourtant nous<br />
connaissons la date de son décès par une <strong>au</strong>tre source : Ponseggi meurt le 19 août 1879, à<br />
Medellín 57 , soit plus de six mois après. Nous savons qu’<strong>en</strong> février 1879 la troupe vi<strong>en</strong>t à<br />
Bogotá après un séjour « à la campagne 58 ». Son dernier spectacle remontait <strong>au</strong> 22 décembre<br />
1878 59 ; cette « campagne » ne peut donc pas être Medellín : un aller-retour <strong>au</strong>rait nécessité<br />
d’<strong>au</strong> moins deux semaines de voyage. Au contraire tout indique que la compagnie s’y est<br />
r<strong>en</strong>due après la saison de Bogotá, <strong>en</strong> juillet 1879, pour essayer de faire pe<strong>au</strong> neuve. Mais la<br />
saison tarde à comm<strong>en</strong>cer, f<strong>au</strong>te de trouver un accord avec les directeurs du théâtre de<br />
52<br />
« Situación de guerra », Diario de Cundinamarca (X.2503), 20 juin 1879 : 430.<br />
53<br />
« Repetición de F<strong>au</strong>sto i Margarita », Diario de Cundinamarca (X.2486), 22 avril 1879 : 362.<br />
54 er<br />
« Ópera », Diario de Cundinamarca (X. 2509), 1 juillet 1879 : 45.<br />
55<br />
« Varios artistas de esta capital se propon<strong>en</strong> […] obsequiar a la sociedad con un concierto vocal e<br />
instrum<strong>en</strong>tal cuyo objeto es favorecer al simpático barítono señor Petrilli. » (« Concierto », Diario de<br />
Cundinamarca (X.2551), 12 septembre 1879 : 622).<br />
56<br />
M. Lamus Obregón, 2004 : 395-396.<br />
57<br />
« El señor Ponseggi » El Zipa (III.7), 8 septembre 1879 : 100.<br />
58<br />
« Ya <strong>en</strong> Bogotá la compañía italiana que hacia algún tiempo se hallaba <strong>en</strong> el campo. » (« Teatro »,<br />
El Zipa (II.27), 6 février 1879 : 415.)<br />
59<br />
« Traviata », Diario de Cundinamarca (X.2424), 24 décembre 1878 : 119.<br />
257<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
258<br />
Medellín 60 . Finalem<strong>en</strong>t les représ<strong>en</strong>tations se donn<strong>en</strong>t dans le patio d’une maison privée, celle<br />
de Modesto Molina 61 . Mais le public de Medellín se serait passionné pour l’opéra <strong>au</strong> point de<br />
former deux rangs riv<strong>au</strong>x : les Albieristes, aficionados de Bice Albieri et ceux de Julia<br />
Pocoleri, les Pocoleristes. <strong>Le</strong>s hostilités devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t telles qu’elles <strong>en</strong>v<strong>en</strong>im<strong>en</strong>t les relations <strong>au</strong><br />
sein même de la troupe. Dernier coup de grâce : « <strong>Le</strong>s (…) membres de la compagnie (…)<br />
sont tous malades 62 », maladie qui emporte le ténor Ponseggi 63 .<br />
La compagnie Petrilli doit couper court son activité. Ponce de <strong>Le</strong>ón se retrouve avec une<br />
nouvelle version d’Ester et un nouvel opéra, Florinda, qu’il n’<strong>au</strong>ra pas pu faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre.<br />
L’att<strong>en</strong>te de l’arrivée d’une nouvelle troupe d’opéra dans la capitale sera-t-elle longue ?<br />
Acceptera-t-elle de créer sa Florinda ?<br />
En dépit d’un bilan particulièrem<strong>en</strong>t négatif, on peut tout de même noter l’apparition – ou le<br />
retour après de longues années d’études – d’une personnalité des arts <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. La séance<br />
d’opéra du 22 juin 1879 (reportée <strong>au</strong> 29 juin) annonce le retour sur scène de la première basse<br />
colombi<strong>en</strong>ne : Epifanio Garay. On se souvi<strong>en</strong>t de son apparition <strong>en</strong> 1867 dans la zarzuela El<br />
Vizconde de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Garay est de retour <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong> 1879. Même s’il apparaît <strong>au</strong><br />
déclin de la compagnie Petrilli, il fait ses preuves devant le public bogotain qui découvre <strong>en</strong><br />
lui une véritable voix de basse <strong>lyrique</strong>. En participant <strong>au</strong>x différ<strong>en</strong>ts concerts organisés à<br />
Bogotá, son nom devi<strong>en</strong>t inséparable de l’opéra. Encore quelques mois et pour la première<br />
fois dans l’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, un chanteur colombi<strong>en</strong> sera associé à une troupe<br />
<strong>lyrique</strong> étrangère.<br />
Qu’<strong>en</strong> est-il de Ponce de <strong>Le</strong>ón p<strong>en</strong>dant toute cette période ? Nous avons évoqué lors de<br />
notre étude sur Ester la soirée d’opéra du 16 mars 1879. À l’occasion du Rigoletto donné <strong>en</strong><br />
bénéfice de Petrilli, les deux sœurs Elisa et Bice d’Aponte avai<strong>en</strong>t créé <strong>en</strong> costumes typiques<br />
le bambuco Virg<strong>en</strong> de negros ojos de Ponce de <strong>Le</strong>ón lors d’un <strong>en</strong>tracte. <strong>Le</strong> succès remporté<br />
par cet intermède musical était d’<strong>au</strong>tant plus important que le public att<strong>en</strong>dait avec impati<strong>en</strong>te<br />
des opéras de Ponce sur la scène.<br />
En décembre 1879, une compagnie de zarzuela pour <strong>en</strong>fants est à Bogotá. Spectacles de<br />
qualité douteuse, puisqu’on lit dans la presse :<br />
60<br />
Ce qui r<strong>en</strong>d improbable que la troupe ait été à Medellín <strong>en</strong> janvier 1879.<br />
61<br />
M. Lamus Obregón, 2004 : 396.<br />
62<br />
« Los demás miembros de la compañía están todos <strong>en</strong>fermos » (« El señor Ponseggi », El Zipa<br />
(III.7), 8 septembre 1879 : 100).<br />
63<br />
Selon M. Lamus Obregón (Ibid.), le baryton Campagnoli meurt <strong>au</strong>ssi à Medellín ; mais nous ne<br />
possédons pas d’information à ce sujet.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Nous sommes navrés de voir l’intellig<strong>en</strong>t maestro Ponce se livrer à tout type d’efforts sur<br />
l’harmonium pour que les morce<strong>au</strong>x soi<strong>en</strong>t joués de la meilleure façon.<br />
Dalástimaverelintelig<strong>en</strong>temaestroseñorPoncehaci<strong>en</strong>doesfuerzos<strong>en</strong>elarmonioparaque<br />
laspiezassalganlomejorposible 64 .<br />
<strong>Le</strong> 18 juillet 1880, Francisco Ponce de <strong>Le</strong>ón, neveu du compositeur, meurt à Bogotá 65 . <strong>Le</strong><br />
jour suivant, lors de la cérémonie religieuse, la Misa de Requiem de Ponce de <strong>Le</strong>ón est<br />
créée 66 . Il s’agit d’une œuvre difficile, interprétée dans de m<strong>au</strong>vaises conditions : les<br />
musici<strong>en</strong>s déchiffr<strong>en</strong>t la musique p<strong>en</strong>dant la cérémonie, sans la direction du maestro<br />
« indisp<strong>en</strong>sable dans des œuvres nouvelles pour les tempi et l’expression 67 . » Même dans la<br />
musique religieuse, c’est l’homme de théâtre qui pr<strong>en</strong>d la plume et écrit un Dies Irae « qui<br />
imite un tremblem<strong>en</strong>t de terre et la décomposition de la nature 68 . » Cette messe de Requiem<br />
« est une œuvre d’effets dramatiques, mais pas religieux 69 . » Ne s’agit-il pas pourtant du style<br />
des Requiem depuis la Grande Messe des morts de Berlioz (1837) ? Depuis le Requiem de<br />
Verdi (1874) ? Interprétée une seule fois, elle vi<strong>en</strong>t s’ajouter à la longue liste des<br />
compositions de Ponce de <strong>Le</strong>ón qui att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>au</strong>jourd’hui l’occasion de revivre dans<br />
des conditions favorables.<br />
Plusieurs activités occup<strong>en</strong>t donc le compositeur après le départ de Petrilli. Sans doute<br />
l’événem<strong>en</strong>t le plus important pour Ponce de <strong>Le</strong>ón dépité est l’avant-première de sa Florinda.<br />
<strong>Le</strong> 13 mai 1880, R. Pombo organise <strong>au</strong> domicile du compositeur une soirée musicale, pr<strong>en</strong>ant<br />
soin de convier les personnages les plus influ<strong>en</strong>ts du gouvernem<strong>en</strong>t 70 . <strong>Le</strong> nouve<strong>au</strong> présid<strong>en</strong>t,<br />
Rafael Núñez, figure parmi les invités. Élu présid<strong>en</strong>t des États-Unis de <strong>Colombie</strong> le 8 avril<br />
1880, R. Núñez incarne la Reg<strong>en</strong>eración des années 1880 dans le gouvernem<strong>en</strong>t colombi<strong>en</strong>.<br />
C’est un homme cultivé qui donne une place importante à l’art dans la vie de la République 71 .<br />
Ami de R. Pombo, il a dû se montrer intéressé par ce nouvel opéra qui avait tant fait parler de<br />
lui, demeurant <strong>en</strong>core inconnu de tous.<br />
64<br />
« La Zarzuela infantil », Diario de Cundinamarca (XI.2606), 19 décembre 1879 : 42.<br />
65<br />
Archive de Bogotá, EDIS Cem<strong>en</strong>terio A-Z.5, n° top. 201-236-0703 : 29.<br />
66<br />
« Bellas Artes », El Zipa (IV.1), 23 juillet 1880 : 7-8. Article réédité <strong>en</strong> 1883: « Música sagrada »,<br />
Papel periódico ilustrado (II.37), avril 1883 : 203.<br />
67<br />
« Bellas Artes », El Zipa (IV.1), 23 juillet 1880 : 7-8.<br />
68<br />
« El Dies Irae, (…) imita un terremoto y descomposición de la naturaleza. » (Ibid.).<br />
69<br />
« En suma, es una obra de efectos dramáticos, pero no religiosos » (J.I. Perdomo Escobar,<br />
1938/1980 : 103).<br />
70<br />
Ibid. : 102. Il s’agit pour le mom<strong>en</strong>t de la seule source qui donne une date précise pour cette soirée<br />
musicale. Cep<strong>en</strong>dant l’<strong>au</strong>teur n’indique pas d’où il ti<strong>en</strong>t cette information.<br />
71<br />
C’est <strong>en</strong> 1886, sous le second mandat de R. Núñez, qu’une nouvelle constitution politique donne<br />
naissance à la República de Colombia. <strong>Le</strong> texte de cette constitution sera <strong>en</strong> vigueur jusqu’<strong>en</strong> 1991.<br />
259<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
260<br />
P<strong>en</strong>dant près de quatre heures, Ponce de <strong>Le</strong>ón joue les trois premiers actes de sa Florinda 72<br />
– on décide de reporter le quatrième acte à une <strong>au</strong>tre soirée. Il fait une réduction à vue et<br />
interprète une partition écrite pour une cinquantaine de musici<strong>en</strong>s… sur un harmonium ! Sans<br />
chanteurs, sans <strong>au</strong>tres interprètes que lui-même, le table<strong>au</strong> est touchant :<br />
Il <strong>au</strong>rait été cruel d’<strong>en</strong> exiger plus de M. Ponce, qui transpirait à grosses gouttes <strong>en</strong> raison de<br />
l’effort effectué pour faire compr<strong>en</strong>dre tant de voix et un grand orchestre avec ses deux seules<br />
mains qui s’exerçai<strong>en</strong>t depuis des heures.<br />
EracrueldadexigirmásdelseñorPonce,quetranspirabaatorr<strong>en</strong>tesporelesfuerzodehacer<br />
compr<strong>en</strong>dertantasvocesyunagrandeorquestaconsólodosmanosquellevabanhorasde<br />
ejercicio 73 .<br />
Il s’agit donc de la première <strong>au</strong>dition privée de l’opéra, ou plutôt d’une réduction de<br />
Florinda, qui intervi<strong>en</strong>t plus d’un an après l’achèvem<strong>en</strong>t de la partition. Un opéra sans<br />
chanteurs… tout est bon pour que Ponce de <strong>Le</strong>ón puisse <strong>en</strong>fin prés<strong>en</strong>ter son chef-d’œuvre.<br />
Cette <strong>au</strong>dition privée offerte <strong>au</strong> nouve<strong>au</strong> gouvernem<strong>en</strong>t a pour but d’attirer le regard des<br />
dirigeants politiques sur la condition de l’artiste colombi<strong>en</strong>. R. Pombo, qui dans un<br />
contrepoint étonnant avec la musique lit son drame, a dû orchestrer cette r<strong>en</strong>contre <strong>en</strong> vue de<br />
la création d’un Opéra national dans les années à v<strong>en</strong>ir. Bi<strong>en</strong> évidemm<strong>en</strong>t il cherche déjà à<br />
s<strong>en</strong>sibiliser le gouvernem<strong>en</strong>t pour compter avec son appui dans ce projet délicat et ambitieux.<br />
<strong>Le</strong>s échos de cette soirée sont favorables :<br />
<strong>Le</strong> pays doit être fier de posséder un génie tel que celui de M. Ponce de <strong>Le</strong>ón ; et tout effort<br />
que nous ferons pour que le monde des Arts confirme les titres dont il est dét<strong>en</strong>teur sera un<br />
honneur pour nous tous.<br />
Elpaísdebe<strong>en</strong>orgullecersedeposeerung<strong>en</strong>iotanbi<strong>en</strong>probado,<strong>en</strong>todoss<strong>en</strong>tidos,comoel<br />
delseñorPoncede<strong>Le</strong>ón;yhonraseráparatodosnosotroscualquieresfuerzoquehagamos<br />
paraqueelmundoartísticoconfirmelostítulosaqueesacreedor 74 .<br />
Mais les choses se précipit<strong>en</strong>t et le compositeur s’<strong>en</strong> réjouit : le 20 juillet 1880, fête<br />
nationale de la <strong>Colombie</strong>, l’affiche de Rigoletto annonce l’ouverture d’une nouvelle saison<br />
d’opéra itali<strong>en</strong>.<br />
72 « La Florinda de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (González L. N). Article publié dans El Deber (sans date) et<br />
repris dans le Papel periódico ilustrado (II.37), avril 1883 : 203.<br />
73 Ibid.<br />
74 Ibid.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
6.3. Florindasurlascène<br />
En écrivant l’histoire des hommes qui ont fait l’opéra, ces Itali<strong>en</strong>s et Espagnols <strong>au</strong>jourd’hui<br />
complètem<strong>en</strong>t oubliés, nous constatons qu’il existe une passation de relais <strong>en</strong>tre ces différ<strong>en</strong>ts<br />
acteurs. Une véritable tradition t<strong>en</strong>d à s’établir <strong>en</strong>tre 1860 et 1880 : de jeunes chanteurs, t<strong>en</strong>tés<br />
par l’av<strong>en</strong>ture américaine, revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus tard à la tête d’une troupe. Chanteurs puis<br />
impresarios, tel est le parcours d’Enrique Rossi, Eug<strong>en</strong>io Luisia, Oreste Sindici ou Egisto<br />
Petrilli, des noms qui désormais nous sont dev<strong>en</strong>us familiers. Ces artistes cern<strong>en</strong>t le public<br />
latino-américain, sav<strong>en</strong>t quel est le répertoire à succès et vont jusqu'à introduire parfois de<br />
nouvelles œuvres. Ils ont tous connu Ponce de <strong>Le</strong>ón lors de leurs passages à Bogotá et sav<strong>en</strong>t<br />
qu’<strong>en</strong> interprétant un opéra du compositeur colombi<strong>en</strong>, reprise ou création, ils feront la une de<br />
l’actualité artistique.<br />
En avril 1879, Antonio Desantis 75 avait créé à Bogotá le rôle de Méphistophélès du F<strong>au</strong>st<br />
« avec une admirable perfection 76 ». Rattaché à la compagnie Petrilli <strong>en</strong> 1879, il revi<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
juillet 1880 à la tête d’une nouvelle troupe. La saison d’opéra « inclut bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du Ester, très<br />
appl<strong>au</strong>die, et la grandiose Florinda qui fait tant parler 77 . » Grande nouve<strong>au</strong>té, la compagnie<br />
Desantis arrive à Bogotá avec un corps de ballet. Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, une partie du public est<br />
choquée :<br />
Certaines personnes ont trouvé les costumes des danseuses immodérés ; ces personnes peuv<strong>en</strong>t<br />
s’abst<strong>en</strong>ir d’assister <strong>au</strong> ballet et se retirer une fois l’opéra terminé.<br />
Aalgunaspersonaslesparecióinmoderadoslostrajesdelasbailarinas;peroesaspersonas<br />
pued<strong>en</strong><strong>en</strong>losucesivoabst<strong>en</strong>ersedepres<strong>en</strong>ciarelbaileyretirarsealconcluirlaópera... 78 <br />
Bi<strong>en</strong> que les Bogotains sembl<strong>en</strong>t être intéressés par cette dernière partie du spectacle – le<br />
ballet – les organisateurs préfèr<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre le minimum de risques et ne pas compromettre les<br />
débuts de la compagnie Desantis. <strong>Le</strong> ballet est alors réservé pour des séances mixtes ou pour<br />
des spectacles exclusivem<strong>en</strong>t dansés. Un mois après le début de la saison, une feuille volante<br />
circule :<br />
La société d’opéra itali<strong>en</strong>, désireuse de plaire <strong>au</strong> public, ayant <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du dire que de nombreuses<br />
familles s’absti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de v<strong>en</strong>ir <strong>au</strong> théâtre à c<strong>au</strong>se du ballet qui ne leur plaît pas, a décidé de<br />
261<br />
75 Il existe plusieurs orthographes de son nom : de Sanctis, de Santis, Desantes.<br />
76 « De Santis caracterizó conci<strong>en</strong>zudam<strong>en</strong>te el papel de Mefistófeles, i debe decirse más, que con una<br />
perfección admirable. » (« Repetición de F<strong>au</strong>sto i Margarita », Diario de Cundinamarca (X.2486),<br />
22 avril 1879 : 362).<br />
77 « El repertorio incluirá desde luego dos óperas de Ponce de <strong>Le</strong>ón, la apl<strong>au</strong>didísima Ester y la<br />
grandiosa Florinda, de que tanto se habla... » (« Ópera italiana », El Zipa (IV.1), 23 juillet 1880 : 8).<br />
78 « Ópera italiana », El Zipa (IV.2), 7 août 1880 : 22-23. Voir égalem<strong>en</strong>t §2.2.5 de cette étude.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
262<br />
donner seulem<strong>en</strong>t les opéras.<br />
Laempresadeóperaitaliana,deseosadecomplaceralpúblico,yhabi<strong>en</strong>dooídodecirque<br />
muchasfamiliasseabsti<strong>en</strong><strong>en</strong>deconcurriralteatroporqu<strong>en</strong>olesagradeelbaile,haresuelto<br />
darlasóperassolas 79 .<br />
Quels sont les mobiles profonds de cette décision ? <strong>Le</strong> nouve<strong>au</strong> gouvernem<strong>en</strong>t qui se veut<br />
prés<strong>en</strong>t dans la vie artistique du pays fait-il pression ? La Reg<strong>en</strong>eración des années 1880<br />
rétablit le catholicisme comme religion d’état. Difficile alors de concilier la nouve<strong>au</strong>té<br />
artistique avec les exig<strong>en</strong>ces d’une église particulièrem<strong>en</strong>t réactionnaire, frustrée par un<br />
gouvernem<strong>en</strong>t libéral qui l’avait bannie de la vie politique durant les années précéd<strong>en</strong>tes.<br />
La nouvelle prima donna de la compagnie Desantis, l’Autrichi<strong>en</strong>ne Emilia B<strong>en</strong>ic, est un<br />
personnage <strong>au</strong>quel le public va très rapidem<strong>en</strong>t s’attacher. Elle possède les attraits de toute<br />
prima donna à Bogotá : be<strong>au</strong>té physique, be<strong>au</strong>té du chant et grâce dans son jeu scénique :<br />
Mademoiselle Emillia B<strong>en</strong>ic, qui a dans sa gorge un nid d’oise<strong>au</strong>x mélodieux, […] est l’image<br />
vivante de l’art, par la perfection de sa be<strong>au</strong>té comme par le charme de sa voix et de ses<br />
mouvem<strong>en</strong>ts.<br />
LaseñoritaEmilliaB<strong>en</strong>ic,quelleva<strong>en</strong>lagargant<strong>au</strong>nnidodeavescantoras,[…]eslaimag<strong>en</strong><br />
vivadelarte,asíporlaperfeccióndelabellezacomoporel<strong>en</strong>cantodelavozydelos<br />
movimi<strong>en</strong>tos 80 .<br />
Cette accueil semble assez usuel ; nous avons vu que chacune des prime donne arrivée à<br />
Bogotá recevait un accueil similaire. Pourtant Emilia B<strong>en</strong>ic semble s’être davantage <strong>en</strong>gagée<br />
dans la vie musicale de cette capitale. En 1881, après une visite <strong>au</strong> Pesebre Espina, théâtre de<br />
marionnettes ouvert depuis 1877, Emilia B<strong>en</strong>ic tombe sous le charme de ce spectacle 81 . Son<br />
<strong>en</strong>thousiasme est tel qu’avec le concours de Ponce de <strong>Le</strong>ón, de chanteurs 82 et d’un orchestre,<br />
elle <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>t à chanter des airs, puis des opéras, transformée <strong>en</strong> poupon de porcelaine 83 . <strong>Le</strong>s<br />
<strong>au</strong>teurs de cette anecdote laiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre que le Pesebre Espina disposait d’un orchestre que<br />
dirigeait Ponce de <strong>Le</strong>ón. Bi<strong>en</strong> que nous n’ayons pas plus d’informations à ce sujet, les<br />
79 « Ópera italiana », La Velada (1), 5 septembre 1880 : 7 (Cité par M. Lamus Obregón, 2004 : 400).<br />
80 « Teatro », El Zipa (IV.19), 4 décembre 1880 : 291.<br />
81 <strong>Le</strong>s Pesebres, littéralem<strong>en</strong>t crèches de Noël, étai<strong>en</strong>t des événem<strong>en</strong>ts att<strong>en</strong>dus chaque année à Bogotá<br />
durant les célébrations de Noël. Nombreuses chroniques de voyageurs étrangers parl<strong>en</strong>t de ces<br />
festivités durant lesquelles les églises et les parcs se voyai<strong>en</strong>t transformés <strong>en</strong> lieux lég<strong>en</strong>daires, décors<br />
pour des représ<strong>en</strong>tations théâtrales et musicales. Cette tradition prolonge les grandes fêtes coloniales,<br />
dont nous avons parlé <strong>au</strong> début de cette étude (§1.2.1).<br />
82 Julia Pocoleri, Enrique Rossi, Epifanio Garay. (J.I. Perdomo Escobar, 1938/1980 : 100).<br />
83 F. González Cajiao,1985 (cité par B.H. Robledo, 1987). Perdomo Escobar (1938/1980 : 100) évoque<br />
<strong>au</strong>ssi cet épisode de la r<strong>en</strong>contre <strong>en</strong>tre l’opéra itali<strong>en</strong> et les marionnettes colombi<strong>en</strong>nes, sans donner<br />
ses sources.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
spectacles de marionnettes étai<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t musicalisés, comme le laisse compr<strong>en</strong>dre cet<br />
extrait de presse :<br />
… nous ne voulons pas terminer ces lignes sans adresser nos félicitations <strong>au</strong>x demoiselles qui<br />
chant<strong>en</strong>t dans le pesebre de M. Espina. <strong>Le</strong> choix des duos nous a semblé tout a fait conv<strong>en</strong>able.<br />
...ynoqueremosterminarestaslíneas,sin<strong>en</strong>viaralasseñoritasquecantan<strong>en</strong>el“pesebre”<br />
delseñorEspina,nuestrasfelicitaciones.Laeleccióndelosdúosnoshaparecidolamás<br />
conv<strong>en</strong>i<strong>en</strong>te 84 .<br />
Pour la première fois dans l’opéra bogotain, une troupe itali<strong>en</strong>ne fait appel à un chanteur<br />
colombi<strong>en</strong> pour partager l’affiche des premiers rôles. La basse Epifanio Garay fait son début<br />
avec la compagnie Desantis <strong>en</strong> août 1880 dans l’Ernani de Verdi 85 . On le retrouve égalem<strong>en</strong>t<br />
dans Lucia 86 , Ruy Blas 87 (l’opéra de Marchetti annoncé <strong>en</strong> 1879) et dans le rôle d’Oroveso<br />
dans Norma 88 .<br />
<strong>Le</strong>s chœurs sont constitués de jeunes chanteurs colombi<strong>en</strong>s 89 . D’après le manuscrit<br />
<strong>au</strong>tographe de Florinda, nous <strong>en</strong> déduisons qu’il s’agit d’un chœur masculin. À croire<br />
qu’après l’hostilité officielle contre les danseuses du ballet, le mom<strong>en</strong>t n’était pas propice<br />
pour recruter un chœur mixte et que les femmes se voyai<strong>en</strong>t de nouve<strong>au</strong> bannies de la scène.<br />
Au bout de deux mois de spectacles, à raison de deux soirées par semaine, l’intérêt du<br />
public est <strong>en</strong> déclin 90 . Prix des places trop élevé ? Protestations contre le ballet ? Un<br />
journaliste désespère de la situation :<br />
Nous incitons une fois de plus la société bogotaine à se r<strong>en</strong>dre <strong>au</strong> théâtre ; le jour vi<strong>en</strong>dra où<br />
plus <strong>au</strong>cune compagnie ne voudra nous r<strong>en</strong>dre visite à c<strong>au</strong>se de la peur trop fondée de mourir<br />
de faim, dans cette ville de 80.000 habitants, capitale de la République et c<strong>en</strong>tre d’une fameuse<br />
culture intellectuelle.<br />
Excitamosnuevam<strong>en</strong>tealasociedadbogotanaaqueconcurraalteatro,puesllegarálaépoca<br />
<strong>en</strong>qu<strong>en</strong>ingunacompañíaquieravisitarnosporelfundadotemordemorirsedehambre,<strong>en</strong><br />
estaciudadde80.000habitantes,capitaldelaRepúblicayc<strong>en</strong>trodelamásr<strong>en</strong>ombrada<br />
culturaintelectual 91 .<br />
263<br />
84 « Diversiones – El Pesebre Espina » (Kaleb), El Zipa (IV.23), 13 janvier 1881 : 361.<br />
85 « Ópera italiana », El Zipa (IV.2), 7 août 1880 : 23.<br />
86 « Ópera italiana », El Zipa (IV.3), 14 août 1880 : 37.<br />
87 « Ópera italiana », El Zipa (IV.5), 20 août 1880 : 52.<br />
88 « Ópera italiana », El Zipa (IV.10),1 er octobre 1880 : 147.<br />
89 « Ópera italiana », El Zipa (IV.3), 14 août 1880 : 37.<br />
90 Nous connaissons peu de détails sur cette saison car le volume du Diario de Cundinamarca de 1880<br />
qui se trouve à la Biblioteca Nacional de Colombia est lacunaire.<br />
91 « Teatro », El Zipa (IV.7), 10 septembre 1880 : 101. L’histori<strong>en</strong> G.R. Mejia Pavony (2000 : 230)<br />
estime la population d’alors d’<strong>en</strong>viron soixante mille habitants.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
264<br />
Malgré une série de représ<strong>en</strong>tations d’opéras à grand succès, La Traviata, Lucia et Norma,<br />
la compagnie ne parvi<strong>en</strong>t pas à remplir la salle du Coliseo. Elle abrège son séjour à la fin<br />
d’octobre 1880 et la ville se retrouve une fois de plus privée de cette « diversion<br />
civilisatrice 92 ». Quelques semaines pass<strong>en</strong>t et voici que la troupe Desantis est réorganisée<br />
sous la direction d’Emilia B<strong>en</strong>ic. Nous ne connaissons pas les coulisses de cette<br />
restructuration, mais on peut se demander si la B<strong>en</strong>ic n’est pas un prête-nom pour une<br />
compagnie qui est apparemm<strong>en</strong>t affaire d’une organisation locale. <strong>Le</strong> gouvernem<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>courage-t-il cette <strong>en</strong>treprise ? Des personnalités telles R. Pombo sont-elles les instigatrices<br />
de cette nouvelle t<strong>en</strong>tative <strong>lyrique</strong> ? Une troupe locale, n’est-ce pas là la condition pour un<br />
opéra national ?<br />
La basse Epifanio Garay et le ténor Juan Domínguez vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t se joindre à Emilia B<strong>en</strong>ic, à<br />
Julia Pocoleri, <strong>au</strong> ténor Adolfo Cocchi et <strong>au</strong> baryton Guillermo Comoletti. La troupe associe<br />
donc définitivem<strong>en</strong>t deux chanteurs colombi<strong>en</strong>s qui vont participer à Un ballo in maschera,<br />
Lucia, Linda di Chamounix, Ruy Blas, Marta 93 et La hija del regimi<strong>en</strong>to. Juan Domínguez, un<br />
habitué de la scène du Coliseo, se produit depuis 1863 dans des rôles secondaires 94 . En 1874<br />
il créait la partie d’Asaf dans Ester de Ponce de <strong>Le</strong>ón et avait été mis <strong>en</strong> avant lors de la<br />
saison de zarzuela espagnole de 1876.<br />
La compagnie a donc un mode opératoire nouve<strong>au</strong> puisque les chanteurs « s’associ<strong>en</strong>t »<br />
pour cette nouvelle saison, sans être sous la direction d’un impresario. Il existait des t<strong>en</strong>tatives<br />
d’association de chanteurs itali<strong>en</strong>s avec des artistes de Bogotá : Marina Thiolier <strong>en</strong> 1872 avec<br />
le Sexteto de l’Harmonia ; Fiorellini de Balma <strong>en</strong> 1875 avec Ponce de <strong>Le</strong>ón. Dans les deux<br />
cas les compagnies ont interprété deux ou trois ouvrages avant de devoir r<strong>en</strong>oncer <strong>au</strong> projet…<br />
d’une troupe locale d’opéra. En novembre 1880, comm<strong>en</strong>t retrouver un public et le fidéliser,<br />
alors que quelques semaines <strong>au</strong>paravant l’opéra semblait être tombé <strong>en</strong> disgrâce ? <strong>Le</strong>s artistes<br />
vont jouer leur dernière carte avec un ouvrage dont le tout Bogotá parle depuis plus d’un an :<br />
Nous savons que les artistes se sont associés et ouvriront prochainem<strong>en</strong>t une saison de<br />
spectacles ; depuis quelques jours ils étudi<strong>en</strong>t les nouve<strong>au</strong>x opéras qu’ils <strong>en</strong>visag<strong>en</strong>t de mettre<br />
<strong>en</strong> scène. <strong>Le</strong>ur première apparition se fera avec une des deux œuvres de M. Ponce de <strong>Le</strong>ón,<br />
Ester ou Florinda, avec lesquelles ils obti<strong>en</strong>dront sans <strong>au</strong>cun doute un succès total : personne à<br />
Bogotá ne voudra se priver d’écouter les opéras de notre compatriote…<br />
92 « Entret<strong>en</strong>imi<strong>en</strong>to civilizador » (Ibid.).<br />
93 Opéra de Friedrich von Flotow créé à Vi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> 1858.<br />
94 Nous avons r<strong>en</strong>contré le nom de ce personnage à plusieurs occasions, notamm<strong>en</strong>t dans le chapitre<br />
sur l’arrivée de l’opéra itali<strong>en</strong> à Bogotá (§.2.2).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Sabemosquelosartistassehanasociadoyqueabriránunatemporadadefunciones<strong>en</strong>el<br />
pres<strong>en</strong>temes,paralocualseocupandesdehacedías<strong>en</strong>estudiarcuidadosam<strong>en</strong>tealgunas<br />
óperasnuevasquepi<strong>en</strong>sanponer<strong>en</strong>esc<strong>en</strong>a.Seestr<strong>en</strong>aránconunadelasdosobrasdel<br />
señorPoncede<strong>Le</strong>ón,EsteroFlorinda,conlascuales,sinduda,obt<strong>en</strong>dránéxitocompleto,<br />
puesnadie<strong>en</strong>Bogotáquerráquedarsesinoírlasóperasd<strong>en</strong>uestrocompatriota... 95 <br />
Encore quelques jours d’att<strong>en</strong>te et la compagnie B<strong>en</strong>ic annonce le levé de ride<strong>au</strong> pour le<br />
18 novembre avec « le chef-d’œuvre du maestro Ponce de <strong>Le</strong>ón », Florinda 96 .<br />
6.3.1.Coliseo<br />
Florinda o la Eva del reino godo español, ópera mayor española est créée <strong>au</strong> Coliseo<br />
Maldonado de Bogotá le jeudi 18 novembre 1880. Emilia B<strong>en</strong>ic chante le rôle titre. <strong>Le</strong> ténor<br />
Adolfo Cocchi interprète Don Rodrigo. Guillermo Comoletti, baryton, incarne le comte Don<br />
Julián. <strong>Le</strong>s Colombi<strong>en</strong>s Epifanio Garay et Juan Domínguez particip<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t à la<br />
création. Garay assure le grand rôle dramatique de l’astrologue juif Rubén. Quant à<br />
Domínguez, il chante le rôle secondaire de Wilfredo. Enfin l’Itali<strong>en</strong>ne Julia Pocoleri chante le<br />
rôle travesti du jeune page Teuda.<br />
<strong>Le</strong> chœur masculin représ<strong>en</strong>te des paysans (acte 1), les courtisans qui assist<strong>en</strong>t à la fête du<br />
roi (acte 2), et les soldats (acte 4). En revanche, ni chœurs de femmes (demoiselles) ni<br />
d’<strong>en</strong>fants (anges), ni ballet ne pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t part à la représ<strong>en</strong>tation. Il s’agit peut-être de la seule<br />
déception de la soirée, alors que la presse avait annoncé à tort la prés<strong>en</strong>ce de tous ces acteurs,<br />
qui de surcroît apparaiss<strong>en</strong>t dans le livret 97 . L’orchestre, sous la direction d’Arnaldo Conti 98 ,<br />
vi<strong>en</strong>t compléter un spectacle qui s’annonce imposant.<br />
L’œuvre remporte un succès éclatant, comme peu de fois on <strong>en</strong> <strong>au</strong>ra vu à Bogotá. Florinda<br />
est reprise quatre fois après sa création 99 , réconciliant le public avec l’opéra, réconciliant<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón avec une fatalité qui ajournait la création de son opéra.<br />
C’est par la lecture de la presse (colonnes du Diario de Cundinamarca et d’El Zipa) que<br />
nous pouvons revivre l’ambiance qui accompagne la naissance publique de Florinda. Tout<br />
265<br />
95 « Teatro », El Zipa (IV.15), 5 novembre 1880 : 228.<br />
96 « Ópera italiana », El Zipa (IV.15), 15 novembre 1880 : 244.<br />
97 « El Libreto de Florinda », Diario de Cundinamarca (XI.2790), 17 novembre 1880 : 780. Rappelons<br />
que R. Pombo indique que ces groupes intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans l’opéra si les moy<strong>en</strong>s du théâtre le<br />
permett<strong>en</strong>t.<br />
98 « El Libreto de Florinda », Diario de Cundinamarca (XI.2790), 17 novembre 1880 : 780. Voir<br />
égalem<strong>en</strong>t « La resurrección de Florinda » (R. Pombo), El Telegrama (VII.2026), 28 juillet 1893 :<br />
8070.<br />
99 L’opéra est repris le 21 novembre, le 12 décembre, le 24 janvier 1881 et le 10 février.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
266<br />
d’abord l’annonce de l’opéra ; et la m<strong>en</strong>ace du blâme pour quiconque s’excuse d’assister ce<br />
soir-là <strong>au</strong> Coliseo :<br />
Il f<strong>au</strong>t espérer que les classes civilisées de la capitale iront <strong>au</strong> théâtre, par devoir patriotique,<br />
comme par estime pour l’art et <strong>en</strong> raison de la considération que mérit<strong>en</strong>t les tal<strong>en</strong>ts nation<strong>au</strong>x.<br />
Esdeesperarsequelasclasescivilizadasdelacapitalconcurranalteatro,poreldeber<br />
patrióticonom<strong>en</strong>osqueporlaestimacióndelarteiporlaconsideraciónquemerec<strong>en</strong>los<br />
tal<strong>en</strong>tosnacionales 100 .<br />
En parlant de « classes civilisées », l’<strong>au</strong>teur de l’article s’adresse sans doute à l’oligarchie<br />
qui gouverne le pays. Quelques lignes plus loin il appelle les « secrétaires d’État, le<br />
gouverneur de Cundinamarca, les magistrats, les membres de l’Assemblée 101 » à imiter le<br />
gouvernem<strong>en</strong>t français et ses personnalités politiques et académiques qui étai<strong>en</strong>t tous<br />
accourus à la création parisi<strong>en</strong>ne d’Aida de Verdi 102 . Même sur ces questions d’État, <strong>Paris</strong><br />
dicte le bon goût !<br />
<strong>Le</strong>s nouvelles nations américaines cherch<strong>en</strong>t à se faire connaître par leurs exploits<br />
sci<strong>en</strong>tifiques, culturels ou toute découverte qui marquerait l’histoire de l’humanité. La<br />
<strong>Colombie</strong> peut se glorifier d’une nouve<strong>au</strong>té dans le monde sci<strong>en</strong>tifique : Francisco José de<br />
Caldas (1768-1816), continuant les recherches de S<strong>au</strong>ssure et de Deluc, inv<strong>en</strong>te le premier<br />
hypsomètre 103 . <strong>Le</strong> Sabio Caldas, « le Sage », fusillé par les Espagnols durant la reconquête de<br />
1816, figure parmi les martyrs de la patrie. Si l’on insiste sur l’aspect patriotique de la<br />
création de Florinda <strong>en</strong> 1880, c’est parce que l’opéra est « une production qui honore le pays,<br />
<strong>au</strong> même titre que la découverte de la mesure des h<strong>au</strong>teurs géographiques (…) faite par le<br />
Sage Caldas 104 . »<br />
Trois jours avant la première, le livret édité est publiquem<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong> v<strong>en</strong>te dans la librairie<br />
de Manuel Pombo, frère de Rafael. L’opuscule est prés<strong>en</strong>té comme une pièce à conserver<br />
100<br />
« Florinda », Diario de Cundinamarca (XI.2788),13 novembre 1880 : 771.<br />
101<br />
Ibid. Même rappel fait dans l’édition du mercredi 17 novembre 1880 (p.780).<br />
102<br />
« Hace pocos meses que el Gobierno i las notabilidades políticas, académicas, literarias e<br />
industriales de Francia se hicieron el deber de asistir a la exhibición <strong>en</strong> París de la última ópera de<br />
Verdi, titulada Aida. » (Ibid.). Aïda est créée le 22 mars 1880 <strong>au</strong> Palais Garnier dans une traduction<br />
française de Camille Du Locle et de Charles Nuitter.<br />
103<br />
Appareil qui indique l’altitude d’un lieu <strong>en</strong> fonction de la température à laquelle l’e<strong>au</strong> y <strong>en</strong>tre à<br />
ébullition. (<strong>Le</strong> Petit Robert).<br />
104<br />
« Florinda es una producción que hace tanta honra al país como el descubrimi<strong>en</strong>to de la medición<br />
de las alturas geográficas según el grado de ebullición del agua, hecho por el sabio Cáldas. »<br />
(« Florinda », Diario de Cundinamarca (XI.2788), 13 novembre 1880 : 771).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
dans sa bibliothèque 105 , et il est expliqué dès le début qu’il « conti<strong>en</strong>t tout l’opéra, voire même<br />
davantage de ce qui va être chanté 106 . » Ainsi, par voie de presse, à travers la mise à<br />
disposition du livret, par les articles qui résum<strong>en</strong>t l’action de l’opéra avant même sa création,<br />
la ville <strong>en</strong>tière est dans l’expectative de cette soirée du 18 novembre.<br />
La troupe, quant à elle, se prépare pour faire de son mieux le soir de la création, sachant que<br />
toute l’att<strong>en</strong>tion est conc<strong>en</strong>trée sur la performance de ses membres. <strong>Le</strong> chef d’orchestre,<br />
Arnaldo Conti, sous la vigilance de Ponce de <strong>Le</strong>ón, fait répéter séparém<strong>en</strong>t les différ<strong>en</strong>tes<br />
parties. Cela laisse supposer que la préparation de l’opéra se fait dans le calme, avec plusieurs<br />
répétitions, ce qui ne semblait pas avoir été le cas pour Ester et pour le Castillo misterioso.<br />
M. Conti a dirigé les répétitions de chacune des parties vocales, celles des solistes et celles du<br />
chœur, ainsi que de l’<strong>en</strong>semble des parties de l’orchestre. Sa tâche a compté sur l’appui<br />
efficace du compositeur de l’opéra.<br />
El [...] señor Conti ha dirigido [...] el <strong>en</strong>sayo de cada una de las partes vocales, ya<br />
características,yacorales,asícomoelconjuntodelospapelesdelaorquesta;tarea<strong>en</strong>lacual<br />
hasidomuieficazm<strong>en</strong>teayudado[...]porelmismomaestro<strong>au</strong>tordelaópera 107 .<br />
La création de l’opéra est un énorme succès. <strong>Le</strong> théâtre est plein et ovationne avec grand<br />
fracas Ponce de <strong>Le</strong>ón. C’est la victoire att<strong>en</strong>due du compositeur qui peut <strong>en</strong>fin <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre son<br />
œuvre ; mais c’est <strong>au</strong>ssi une victoire nationale que de compter un nouve<strong>au</strong> nom dans le<br />
palmarès des opéras :<br />
Ponce a reçu un triomphe magnifique ; nous l’<strong>en</strong> félicitons, et félicitons <strong>au</strong>ssi la patrie.<br />
MagníficotriunfohaalcanzadoelseñorPonce;lofelicitamosporél,yfelicitamostambiénala<br />
patria 108 .<br />
On appl<strong>au</strong>dit les chanteurs, <strong>en</strong> particulier l’<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t d’Emilia B<strong>en</strong>ic qui incarne le rôle<br />
de Florinda avec un naturel extraordinaire 109 . <strong>Le</strong>s indications précises qui apparaiss<strong>en</strong>t dans le<br />
livret quant <strong>au</strong>x décors des lieux, <strong>au</strong>x costumes, et même à la végétation, sembl<strong>en</strong>t avoir été<br />
suivies avec soin pour cette création :<br />
Quant à la scène, peu de fois l’avait-on vue préparée avec tant de soin, que ce soi<strong>en</strong>t les décors,<br />
ou les luxueux costumes d’époque, et d’<strong>au</strong>tres détails <strong>au</strong>xquels les directeurs ne font<br />
généralem<strong>en</strong>t pas att<strong>en</strong>tion.<br />
267<br />
105 « Las personas deb<strong>en</strong> acudir a tomar un ejemplar para conservarlo <strong>en</strong>tre sus obras de lectura » (« El<br />
Libreto de Florinda », Diario de Cundinamarca (XI.2790), 17 novembre 1880 : 780).<br />
106 «…conti<strong>en</strong>e toda la ópera, y algo más que no se canta por no alargar demasiado el espectáculo »<br />
(« Ópera italiana », El Zipa (IV.16), 14 novembre 1880 : 244).<br />
107 « El Libreto de Florinda », Diario de Cundinamarca (XI.2790), 17 novembre 1880 : 780).<br />
108 « La Florinda », El Zipa (IV.17), 19 novembre 1880 : 262.<br />
109 « [E. B<strong>en</strong>ic] parece haberle comunicado su propio carácter privado y artístico » (« Florinda »<br />
(J.C.R.), El Zipa (IV.17), 26 novembre 1880 : 279).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
268<br />
Respecto de la esc<strong>en</strong>a, pocas veces la habíamos visto preparada con tanto esmero y<br />
propiedad,<strong>en</strong>cuantoadecoraciones,<strong>en</strong>log<strong>en</strong>eral,lujososvestidospropiosdelaépoca,y<br />
demásporm<strong>en</strong>oresdequeporloregulartanpocosecuidanlosdirectores 110 .<br />
<strong>Le</strong> public reconnaît le grand mélodiste qu’est Ponce de <strong>Le</strong>ón. Inévitablem<strong>en</strong>t, certaines<br />
« mesures sont dignes d’un Rossini ou d’un Donizetti 111 » ; mais nous avons déjà mis <strong>en</strong> relief<br />
cette nécessité de r<strong>en</strong>voi <strong>au</strong>x grands maîtres europé<strong>en</strong>s pour accréditer la musique<br />
colombi<strong>en</strong>ne 112 . C’est <strong>au</strong>ssi une façon d’insister sur un Ponce de <strong>Le</strong>ón stylistiquem<strong>en</strong>t<br />
tributaire des compositeurs itali<strong>en</strong>s. Un style musical plus complexe et nouve<strong>au</strong> ressort par<br />
mom<strong>en</strong>ts chez le compositeur. <strong>Le</strong>s critiques ne manqu<strong>en</strong>t pas de s’<strong>en</strong> apercevoir : l’ouverture<br />
étonne par son « style sévère », tout comme la fugue, dont le sujet est le thème du Quinteto 113<br />
(final du second acte) ; certains <strong>au</strong>diteurs sont même choqués par une harmonie jugée<br />
« excessive » :<br />
On pourrait comparer (l’opéra) à un arbre très touffu, qu’il convi<strong>en</strong>drait de tondre pour lui<br />
donner plus de be<strong>au</strong>té et de vigueur.<br />
Quizáspuedacomparársele<strong>au</strong>nárbolfrondosísimoalcualconv<strong>en</strong>gaalgunapodaparadarle<br />
mayorbellezaylozanía 114 .<br />
Afin de mieux apprécier l’œuvre, le public att<strong>en</strong>d d’<strong>au</strong>tres représ<strong>en</strong>tations de l’opéra. Si la<br />
presse insiste tant sur ce point, c’est sans doute pour ne pas répéter ce qui s’était passé avec<br />
Ester (trois représ<strong>en</strong>tations seulem<strong>en</strong>t) ou, pis <strong>en</strong>core, avec l’unique représ<strong>en</strong>tation du Castillo<br />
misterioso. Pour la troupe, c’est <strong>au</strong>ssi l’occasion d’affiner son interprétation de Florinda et de<br />
pr<strong>en</strong>dre quelque recul pour mieux s’<strong>en</strong>gager dans l’action. Et à la presse de les inciter à<br />
répéter, <strong>en</strong>core et <strong>en</strong>core l’opéra, <strong>en</strong> ajoutant, non sans quelque ironie, de mieux répéter « les<br />
tempi rapides (exécutés jusqu'à prés<strong>en</strong>t très différemm<strong>en</strong>t par l’orchestre et les chœurs) », et<br />
d’avoir plus de temps pour mieux assimiler la mise <strong>en</strong> scène 115 .<br />
Florinda est chantée <strong>en</strong> itali<strong>en</strong>. La traduction – qui ne figure que sur les parties vocales<br />
mais pas sur le conducteur – est faite par le ténor et compositeur Oreste Sindici 116 .<br />
110<br />
Ibid. : 280.<br />
111<br />
«...estos pocos compases son dignos de Rossini o Donizetti. » (ibid., p. 279)<br />
112<br />
Rossini et Gounod avai<strong>en</strong>t été nommés par la presse lors de la création d’Ester ; M<strong>en</strong>delssohn pour<br />
celle du Castillo misterioso.<br />
113<br />
« Florinda » (J.C.R.), El Zipa (IV.17), 26 novembre 1880 : 279.<br />
114<br />
« Estr<strong>en</strong>o de Florinda », Diario de Cundinamarca (XI.2791), 19 novembre 1880 : 784.<br />
115<br />
« Especialm<strong>en</strong>te todos los tiempos rápidos (ejecutados hasta ahora muy indistintam<strong>en</strong>te <strong>en</strong> orquesta<br />
y coros), y la acción de los cuatro actos... » (« Florinda », El Zipa (IV.19), 4 décembre 1880 : 293).<br />
116<br />
« La resurrección de Florinda » (R. Pombo), El Telegrama (VII.2026), 28 juillet 1893 : 8070.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Après sa création, l’opéra est reconduit quatre fois sur la scène. La deuxième représ<strong>en</strong>tation<br />
(dimanche 21 novembre 1880) introduit des coupures dans le quatrième acte 117 . À l’issue de<br />
la soirée, une proposition placée sous l’<strong>au</strong>spice de personnalités politiques prévoit d’organiser<br />
une séance <strong>au</strong> bénéfice du compositeur. À la surprise générale, la reprise suivante (dimanche<br />
12 décembre 1880) introduit toute une scène que Ponce de <strong>Le</strong>ón vi<strong>en</strong>t d’ajouter à sa partition.<br />
Il s’agit du premier table<strong>au</strong> du quatrième acte, Recuerdos, qui jusqu'à prés<strong>en</strong>t comptait parmi<br />
les pages du livret destinées à la seule lecture. En trois semaines, Ponce de <strong>Le</strong>ón écrit une<br />
musique « divinem<strong>en</strong>t inspirée 118 » qui alim<strong>en</strong>te la lég<strong>en</strong>daire « spontanéité et fécondité de sa<br />
veine <strong>lyrique</strong> 119 . » Cette page de musique est <strong>au</strong>jourd’hui disparue.<br />
En mettant <strong>en</strong> musique le retour de Florinda dans son berce<strong>au</strong>, le compositeur ajoute une<br />
scène qui int<strong>en</strong>sifie le s<strong>en</strong>s dramatique de l’ouvrage 120 . La structure y gagne <strong>en</strong> symétrie,<br />
faisant du troisième acte, l’acte de la prison, le c<strong>en</strong>tre du c<strong>en</strong>tre. <strong>Le</strong> décor – jardin radieux <strong>au</strong><br />
premier acte, jardin dévasté <strong>au</strong> quatrième acte – est une peinture vivante du temps qui passe ;<br />
c’est une illustration de la be<strong>au</strong>té éphémère, vouée à la destruction, que cette fois le public<br />
peut voir sur scène.<br />
Enfin le jeudi 10 février 1881, la cinquième – et dernière – représ<strong>en</strong>tation de Florinda,<br />
donnée <strong>au</strong> bénéfice du compositeur, connaît un vif succès. Ce « jour de fête » réunit tous ceux<br />
qui veul<strong>en</strong>t <strong>en</strong>courager « l’aigle <strong>lyrique</strong> qui doit s<strong>au</strong>ver nos cordillères et nos déserts pour<br />
atteindre le palmarès de la gloire 121 ». Une fois de plus la troupe est frappée par l’abandon du<br />
public bogotain. Si cette dernière apparition de Florinda réussi à mobiliser les spectateurs <strong>en</strong><br />
grand nombre, la compagnie disparaît peu à peu. Jusqu’<strong>au</strong> jour où :<br />
La compagnie d’opéra itali<strong>en</strong> dirigée par la célèbre artiste Mlle B<strong>en</strong>ic, qui a offert de si<br />
agréables mom<strong>en</strong>ts à la société bogotaine, semble être définitivem<strong>en</strong>t dissoute pour des raisons<br />
que nous ignorons…<br />
269<br />
117 « En esta secunda ejecución apareció la ópera con algunos recortes mui acertadam<strong>en</strong>te hechos,<br />
especialm<strong>en</strong>te <strong>en</strong> el cuarto acto. » (« Segunda repres<strong>en</strong>tación de Florinda », Diario de Cundinamarca<br />
(XII), 23 novembre 1880: 792).<br />
118 « Un aditam<strong>en</strong>to divinam<strong>en</strong>te inspirado... » (Ibid.).<br />
119 « Si deliciosa es siempre la música que fluye del cerebro del señor Ponce de <strong>Le</strong>ón, no es m<strong>en</strong>os<br />
notable la espontaneidad i la fecundidad de su v<strong>en</strong>a lírica ». (Ibid.).<br />
120 «... compuso <strong>en</strong> brevísimo tiempo un cuadro que figura <strong>en</strong>tre los dos últimos actos de la ópera i que<br />
la ha realzado mucho no m<strong>en</strong>os <strong>en</strong> el s<strong>en</strong>tido musical que <strong>en</strong> el dramático » (« Tercera repres<strong>en</strong>tación<br />
de Florinda », Diario de Cundinamarca (XII.30), 14 décembre 1880).<br />
121 « El merecido impulso al águila lírica que debemos ambicionar que salve nuestras cordilleras y<br />
desiertos para campear <strong>en</strong> el certam<strong>en</strong> de la gloria... » (« Gloria para la patria », El Zipa (IV.26),<br />
10 février 1881 : 405.).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
270<br />
LaCompañíadeóperaitalianadirigidaporlayacélebreartistaseñoritaB<strong>en</strong>ic,yquetan<br />
agradables ratos proporcionó a la sociedad bogotana, parece que se ha disuelto<br />
definitivam<strong>en</strong>tepormotivosqueignoramos... 122 <br />
À la suite de la création de la Florinda, le gouvernem<strong>en</strong>t se mobilise pour honorer le mérite<br />
artistique de Ponce de <strong>Le</strong>ón. On se souvi<strong>en</strong>t qu’une première loi <strong>en</strong> 1875 le nommait serg<strong>en</strong>t-<br />
major, placé à la tête de la fanfare municipale. <strong>Le</strong> 9 décembre 1880, l’assemblée législative de<br />
l’État de Cundinamarca 123 vote la Loi 14 de 1880, qui concède <strong>au</strong> compositeur une médaille<br />
d’or <strong>au</strong>x effigies de la nation 124 . Cette médaille, symbole de la reconnaissance officielle à sa<br />
tâche de compositeur, lui est remise le 29 octobre 1881 125 . <strong>Le</strong>s petites-filles du compositeur<br />
dis<strong>en</strong>t avoir vu récemm<strong>en</strong>t cette médaille <strong>au</strong>jourd’hui perdue. Nous espérons pouvoir la<br />
retrouver.<br />
Emilia B<strong>en</strong>ic, Cocchi, Garay ne pouvai<strong>en</strong>t pas le savoir, pas plus que Ponce de <strong>Le</strong>ón,<br />
R. Pombo, ni <strong>au</strong>cun amateur d’opéra à Bogotá : avec la dissolution de la troupe, ce sont deux<br />
déc<strong>en</strong>nies d’opéra qui disparaiss<strong>en</strong>t. Ce sont vingt ans d’assiduité <strong>lyrique</strong> qui s’essouffl<strong>en</strong>t.<br />
<strong>Le</strong>s symboles mêmes de l’opéra s’effac<strong>en</strong>t. <strong>Le</strong> Coliseo, qui dès 1879 prés<strong>en</strong>tait des signes de<br />
faiblesse, est exproprié par le gouvernem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1884 avant d’être démoli 126 . Quant à celui qui<br />
a <strong>en</strong>fanté l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, celui qui par passion a réussi l’<strong>en</strong>treprise impossible de se voir<br />
représ<strong>en</strong>té <strong>au</strong> grand théâtre d’opéra, il meurt le 21 septembre 1882. Privée du seul théâtre qui<br />
accueillait les compagnies <strong>lyrique</strong>s, sans Ponce de <strong>Le</strong>ón, l’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong><br />
sombre dans l’oubli du <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> de 1859 à 1881.<br />
6.3.2.<br />
P<strong>en</strong>dant plus de dix ans l’opéra disparaît à Bogotá. La mort de Ponce de <strong>Le</strong>ón survi<strong>en</strong>t alors<br />
que deux troupes espagnoles rivalis<strong>en</strong>t dans la capitale 127 . Mais c’est là un fait exceptionnel<br />
puisque opéra et zarzuela ne s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t plus dans la ville. Quelques habituées revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t :<br />
Josefa Mateo, créatrice du Castillo misterioso, <strong>en</strong> septembre 1882 dans la compagnie<br />
Jiménez 128 ; <strong>en</strong> 1888 Matilde Cavaletti, qui <strong>en</strong> 1867 créait El Vizconde de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
122<br />
« Teatro », El Zipa (IV.40), 2 juin 1881 : 628.<br />
123<br />
Jusqu’<strong>en</strong> 1886, les États-Unis de la <strong>Colombie</strong> réuniss<strong>en</strong>t plusieurs états, dont celui de<br />
Cundinamarca où se trouve la capitale de L’Union, Bogotá.<br />
124 er<br />
<strong>Le</strong> texte de la loi est reproduit dans le Papel Periódico Ilustrado (II.37), 1 avril 1883 : 208.<br />
125<br />
<strong>Le</strong> texte du décret qui atteste de la remise de la médaille <strong>au</strong> compositeur est égalem<strong>en</strong>t reproduit<br />
dans le Papel Periódico Ilustrado (ibid.).<br />
126<br />
G. R. Mejía Pavony, 2000 : 211.<br />
127<br />
M. Lamus Obregón, 2004 : 328-330.<br />
128<br />
La compagnie dirigée par José A. Jiménez arrive à Bogotá <strong>en</strong> septembre 1882 (El Conservador, II,<br />
série IV.148, 31 août 1882 : 591).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Dans la création <strong>lyrique</strong> colombi<strong>en</strong>ne, il n’est question <strong>en</strong>suite que de quelques courtes<br />
zarzuelas durant les années 1880 : Simila Similibus de Teresa Tanco, créée <strong>en</strong> octobre 1883 et<br />
reprise <strong>en</strong> 1888 par la Cavaletti 129 ; El elixir de la juv<strong>en</strong>tud <strong>en</strong> 1881 de Juan Crisóstomo<br />
Osorio… 130<br />
L’année 1890 marque le retour de l’opéra itali<strong>en</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. <strong>Le</strong>s deux saisons organisées<br />
par Francisco Z<strong>en</strong>ardo <strong>en</strong> 1890 et 1891 font découvrir de nouve<strong>au</strong>x opéras d’un tout <strong>au</strong>tre<br />
style : Il Guarani, Aida, Carm<strong>en</strong>, <strong>Le</strong>s Hugu<strong>en</strong>ots, Cavaleria rusticana, L’Africaine…<br />
L’histoire de F. Z<strong>en</strong>ardo est étroitem<strong>en</strong>t liée à ce r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> de l’opéra de Bogotá. C’est lui,<br />
<strong>en</strong> association avec le maire de la ville Higinio Cualla, qui lance le chantier du nouve<strong>au</strong><br />
Teatro Municipal. La première pierre est posée le 11 novembre 1887 et <strong>en</strong> 1890 la salle est<br />
in<strong>au</strong>gurée par la compagnie Z<strong>en</strong>ardo qui donne Il trovatore 131 .<br />
Quant à l’anci<strong>en</strong> Coliseo Maldonado, symbole de l’opéra itinérant des années 1870, il est<br />
démoli. En 1885, l’architecte Pietro Cantini, <strong>en</strong>gagé par le gouvernem<strong>en</strong>t, ouvre le chantier du<br />
Teatro Nacional, dev<strong>en</strong>u Teatro Colón. Sa construction s’ét<strong>en</strong>d sur dix ans et le 26 octobre<br />
1895 la compagnie Azzali y interprète Ernani pour son in<strong>au</strong>guration. Force est de constater<br />
que les spectacles choisis pour l’in<strong>au</strong>guration de ces deux grands lieux de la vie culturelle<br />
sont des opéras. En 1890, l’opéra représ<strong>en</strong>te <strong>en</strong>core le spectacle le plus abouti des arts<br />
scéniques… En 1893, F. Z<strong>en</strong>ardo programme une troisième saison d’opéra <strong>au</strong> Teatro<br />
Municipal. À la grande surprise du public, on annonce la Florinda de Ponce de <strong>Le</strong>ón !<br />
C’est grâce à un échange de lettres paru dans le journal El Telegrama que nous pouvons<br />
<strong>au</strong>jourd’hui suivre de près cette « résurrection de Florinda 132 ». Nous reconstituons ici pour la<br />
première fois dans la musicologie colombi<strong>en</strong>ne le récit de celle-ci. En plus de l’intérêt<br />
anecdotique, de nouve<strong>au</strong>x noms ayant participé à la création de 1880, dont nous ne<br />
connaissions pas le rôle, y apparaiss<strong>en</strong>t : le traducteur Oreste Sindici ; Alberto Urdaneta qui<br />
semble avoir participé <strong>au</strong>x décors et costumes… Cet échange épistolaire explique <strong>au</strong>ssi<br />
l’origine des sources manuscrites de l’opéra <strong>au</strong>jourd’hui conservées.<br />
Tout comm<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> 1891, lorsque le maire Higinio Cualla expose l’idée de donner l’opéra<br />
Florinda pour les célébrations patriotiques du 20 juillet 133 . Higinio Cualla, élu six fois maire<br />
271<br />
129 M. Lamus Obregón, 2004 : 332.<br />
130 E. Bermúdez, 2000 : 94.<br />
131 E. Bermúdez, 2000 : 94 et 105<br />
132 Titre que donne Rafael Pombo à son compte-r<strong>en</strong>du de la représ<strong>en</strong>tation.<br />
133 « 20 de Julio », La República (I.2), 17 juin 1893: 6. « La repres<strong>en</strong>tación de Florinda (rectificación<br />
non plus ultra) » (F. Z<strong>en</strong>ardo), El Telegrama (VII.2031), 3 août 1893 : 8090.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
272<br />
de Bogotá <strong>en</strong>tre 1884 et 1900, assure ses fonctions à la charnière des deux <strong>siècle</strong>s 134 . Il<br />
modernise la ville, lui donne sa configuration actuelle et œuvre activem<strong>en</strong>t pour la mise <strong>en</strong><br />
place de projets culturels.<br />
La première difficulté que r<strong>en</strong>contre la reprise de Florinda consiste à retrouver les<br />
partitions. Emilia B<strong>en</strong>ic <strong>au</strong>rait gardé le matériel musical de l’ouvrage. En l’abs<strong>en</strong>ce d’édition,<br />
c’était la seule façon pour une troupe itinérante de se faire un répertoire. Contactée à New<br />
York, la soprano n’<strong>au</strong>rait r<strong>en</strong>du <strong>en</strong>suite que le conducteur et les parties d’orchestre 135 . Quant à<br />
la réduction pour piano et <strong>au</strong>x parties vocales, les a-t-elle gardées 136 ?<br />
En 1893, une commission patriotique est nommée à Bogotá pour préparer les festivités du<br />
20 juillet. En juin, on peut <strong>en</strong>fin <strong>en</strong>visager de monter Florinda <strong>au</strong> Teatro Municipal :<br />
Francisco Fonseca Plazas possède la partition et la met tout de suite à la disposition du maire<br />
Cualla et de l’impresario Z<strong>en</strong>ardo 137 . Ce que nous ne savons toujours pas, c’est si cette<br />
partition est le manuscrit <strong>au</strong>tographe récupéré <strong>en</strong>tre temps à New York, ou s’il s’agit d’une<br />
copie ; et dans ce dernier cas, s’agit-il d’une copie de 1880 ou de 1893 ? Selon l’avis du chef<br />
d’orchestre, Agusto Azzali, il s’agirait d’une copie du conducteur faite à la va-vite, avec<br />
be<strong>au</strong>coup d’erreurs 138 . D’ailleurs, connaissant le soin apporté à ses manuscrits, <strong>en</strong> supposant<br />
l’attachem<strong>en</strong>t du compositeur à Florinda, il serait étonnant que Ponce ait produit une partition<br />
truffée d’erreurs … Une chose est certaine : si Emilia B<strong>en</strong>ic a emporté avec elle le manuscrit<br />
<strong>au</strong>tographe de Florinda, elle l’a par la suite restitué puisqu’<strong>au</strong>jourd’hui il se trouve à<br />
Bogotá 139 .<br />
<strong>Le</strong>s organisateurs cherch<strong>en</strong>t <strong>au</strong>ssi à récupérer les costumes d’origines. Treize ans sont<br />
passés depuis la création et la tâche semble lourde. Ils s’adress<strong>en</strong>t alors « <strong>au</strong> Général Carlos<br />
Urdaneta pour voir si celui-ci les avait 140 ». Voilà qui nous met sur une nouvelle piste ! Carlos<br />
est le frère d’Alberto Urdaneta, décédé <strong>en</strong> 1887. Journaliste et peintre, Alberto organise le<br />
134 1884-1890 ; 1891-1893 ; 1893-1894 ; 1894-1896 ; 1897-1898 et 1899-1900. Voir<br />
http://www.bogota-dc.com/varios/1800.htm<br />
135 « La resurrección de Florinda » (R. Pombo), El Telegrama (VII.2026), 28 juillet 1893 : 8070.<br />
136 « La B<strong>en</strong>ic devolvió [la partitura] y se quedó con ella a la vez (partitura de piano y voces sueltas) »<br />
(A. et R. Cuervo, 1974 : 67).<br />
137 « La repres<strong>en</strong>tación de Florinda (rectificación non plus ultra) » (F. Z<strong>en</strong>ardo), El Telegrama<br />
(VII.2031), 3 août 1893 : 8090.<br />
138 « La partición de orquesta de esta obra que fue puesta <strong>en</strong> mis manos no es de letra del señor Ponce,<br />
a juicio de cuántos la han visto, sino que parece más bi<strong>en</strong> una copia hecha muy de prisa, <strong>en</strong> la cual<br />
había muchos errores ». (« Florinda » (A. Azzali), El Telegrama (VII.2026), 28 juillet 1893 : 8070).<br />
139 Voir ci-dessous quant à la localisation du manuscrit.<br />
140 « La repres<strong>en</strong>tación de Florinda (rectificación non plus ultra) » (F. Z<strong>en</strong>ardo), El Telegrama<br />
(VII.2031), 3 août 1893: 8090.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
premier salon d’artistes à Bogotá <strong>en</strong> 1886. On connaît <strong>au</strong>ssi ses esquisses faites pour les<br />
décors de l’opéra Ester. A-t-il participé <strong>en</strong> 1880 à la création de Florinda <strong>en</strong> peignant les<br />
décors ou imaginant les costumes ? Nous n’avons pas de réponses précises à cette question,<br />
mais tout conduit à p<strong>en</strong>ser qu’il <strong>en</strong> fut ainsi ; <strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t, pourquoi les organisateurs de<br />
Florinda <strong>en</strong> 1893 se serai<strong>en</strong>t-ils adressés <strong>au</strong> frère d’Albert Urdaneta ?<br />
Francisco Z<strong>en</strong>ardo, l’impresario de la saison, décide donc d’investir la somme de<br />
1 300 pesos pour « arranger » la partition et faire des costumes neufs « qui ne puiss<strong>en</strong>t pas<br />
s’adapter à toute sorte d’opéras, puisque chacun […] a son époque définie 141 . » Tous les<br />
moy<strong>en</strong>s sont <strong>en</strong>gagés pour faire de cette célébration des quatre-vingt-trois ans de<br />
l’indép<strong>en</strong>dance de la <strong>Colombie</strong> un événem<strong>en</strong>t majeur.<br />
Que peut-on dire de la partition de 1893 ? En quoi diffère-t-elle de celle de 1880 ?<br />
D’après ce qui est dit, la compagnie Azzali récupère le manuscrit du conducteur et les<br />
parties séparées d’orchestre. Azzali réorchestre-t-il l’opéra ou adapte-t-il la partition <strong>au</strong>x<br />
instrum<strong>en</strong>ts disponibles ? A priori pas besoin de réorchestrer l’opéra puisque les parties<br />
séparées sont là et le temps presse. Par ailleurs Azzali était sans doute occupé à terminer son<br />
propre opéra Lhidiac, <strong>Le</strong>g<strong>en</strong>da indiana <strong>en</strong> un acte, qui sera créé à Bogotá cette même année.<br />
Il s’agit du premier opéra produit <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, reprise à Caracas le 23 février 1897, par un<br />
Itali<strong>en</strong>.<br />
<strong>Le</strong> public remarque trop de cuivres, comme dans les partitions d’Ester et du Castillo<br />
misterioso. En revanche, il f<strong>au</strong>t intégrer « les quatre nouve<strong>au</strong>x instrum<strong>en</strong>ts v<strong>en</strong>us d’Italie »,<br />
dont un h<strong>au</strong>tbois, arrivés avec la troupe 142 . C’est sans doute de cette « instrum<strong>en</strong>tation » dont<br />
il s’occupe un mois avant la première 143 .<br />
<strong>Le</strong> travail d’Azzali et de son équipe conduit à établir une partition chant-piano pour le<br />
travail, ainsi que les différ<strong>en</strong>tes parties vocales, <strong>en</strong> plus de la traduction <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> des paroles.<br />
La nouvelle version itali<strong>en</strong>ne va poser un problème : la traduction faite <strong>en</strong> 1880 par Oreste<br />
Sindici ne figurait que sur les parties des chanteurs. Or ces partitions sont refaites <strong>en</strong> 1893,<br />
f<strong>au</strong>te de n’avoir pu les récupérer. Azzali doit donc « solliciter de nouvelles paroles<br />
273<br />
141 « Más de mil tresci<strong>en</strong>tos pesos <strong>en</strong> arreglo de música y construcción de vestuario nuevo, que no se<br />
puede adaptar para toda clase de óperas porque cada una de ellas ti<strong>en</strong>e su época marcada. » (Ibid.)<br />
142 « Ópera italiana », El Heraldo (IV.Série XII.281), 19 avril 1893.<br />
143 «… el maestro Azzali se ocupa actualm<strong>en</strong>te <strong>en</strong> instrum<strong>en</strong>tar a Florinda… » (« Ecos del Teatro »,<br />
El Heraldo (IV.Série XII.299), 21 juin 1893).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
274<br />
itali<strong>en</strong>nes 144 » qui sont « improvisées » par Lor<strong>en</strong>zo Codazzi, un diplomate itali<strong>en</strong> 145 . Celui se<br />
lance dans cet exercice littéraire… sans consulter le livret <strong>en</strong> espagnol ! À <strong>en</strong> croire<br />
R. Pombo, les artistes <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t déduit l’action de l’opéra – donc le jeu scénique – à partir des<br />
paroles att<strong>en</strong>antes <strong>au</strong> chant, et <strong>au</strong>rai<strong>en</strong>t att<strong>en</strong>du jusqu’<strong>au</strong> 19 juillet pour lui demander le livret !<br />
De là des critiques qui peuv<strong>en</strong>t blesser le poète :<br />
<strong>Le</strong>s paroles ne sont qu’une ligne qui sert de guide pour la voix.<br />
Laletraesap<strong>en</strong>asmerap<strong>au</strong>taquesirvedeguíaalavoz 146 .<br />
La nouvelle version est plus courte car les interprètes coup<strong>en</strong>t certains passages, notamm<strong>en</strong>t<br />
les « dialogues », c’est-à-dire les passages traités <strong>en</strong> récitatif (Florinda ne conti<strong>en</strong>t <strong>au</strong>cun<br />
dialogue). Cette version est <strong>au</strong>ssi privée du table<strong>au</strong> Los Recuerdos (acte 4), ajout de Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón lors de la troisième de l’opéra <strong>en</strong> 1880. Emilia B<strong>en</strong>ic <strong>au</strong>rait ret<strong>en</strong>u ce numéro de la<br />
partition :<br />
Parmi les numéros omis, il a manqué (ret<strong>en</strong>u semblerait-il par Mme B<strong>en</strong>ic), le très be<strong>au</strong> table<strong>au</strong><br />
Los Recuerdos.<br />
Entrelascosasomitidasfaltó(ret<strong>en</strong>idosegúnpareceporlaseñoraB<strong>en</strong>ic)elpreciosocuadrito<br />
deLosRecuerdos 147 .<br />
On le voit, la préparation de Florinda n’a pas été facile. <strong>Le</strong>s répétitions comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t moins<br />
de quinze jours avant la première 148 . Comme <strong>en</strong> 1880, la critique remarque une musique mise<br />
<strong>au</strong> service de la dramaturgie, avec des personnages musicalem<strong>en</strong>t caractérisés, des passions<br />
h<strong>au</strong>tes <strong>en</strong> couleur et une mélodie sublime 149 . Un des morce<strong>au</strong>x qui plaît le mieux est le<br />
prélude du troisième acte de Florinda :<br />
… connu parmi nous grâce à la réduction pour piano publiée il y a quelque temps dans le Papel<br />
Periodico Iustrado. […] Étant donné que nous étions initiés à ses be<strong>au</strong>tés, le prélude nous a<br />
semblé supérieur <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres numéros du troisième acte, d’<strong>au</strong>tant plus qu’à son inspiration<br />
mélodique vi<strong>en</strong>t se joindre la variété de l’harmonie et de l’instrum<strong>en</strong>tation.<br />
…elpreludiodelterceracto,conocidoya<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>osotrosmerced<strong>au</strong>nareducciónparapiano<br />
publicadahacealgúntiempo<strong>en</strong>elPapelPeriódicoilustrado.[…]debidoaqueestábamos<br />
ligeram<strong>en</strong>teiniciados<strong>en</strong>susbellezas,elpreludionospareciósuperioralosdemásnúmeros<br />
144 « Tuvo el señor Azzali que solicitar nueva letra italiana y sacar las partes de canto… » (« La<br />
resurrección de Florinda » (R. Pombo), El Telegrama, (VII.2026), 28 juillet 1893 : 8070).<br />
145 Ibid.<br />
146 Critique parue dans Ecos del Teatro que R. Pombo cite dans son article. (Ibid.)<br />
147 « La resurrección de Florinda » (R. Pombo), El Telegrama, (VII.2026), 28 juillet 1893 : 8070.<br />
148 « Florinda ha sido apr<strong>en</strong>dida <strong>en</strong> m<strong>en</strong>os de quince días » (« Revista de Teatro – Florinda » (San<br />
Ciro), El Telegrama (VII.2023), 25 juillet 1893: 8059).<br />
149 Ibid.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
delterceracto,porcuantoquealainspiraciónmelódicareúnevariedad<strong>en</strong>laarmoníay<strong>en</strong>la<br />
instrum<strong>en</strong>tación 150 .<br />
Cette remarque justifie un souhait récurr<strong>en</strong>t qui, depuis 1867, date de création du Vizconde<br />
de Ponce de <strong>Le</strong>ón, exige plusieurs représ<strong>en</strong>tations de ces ouvrages pour mieux les apprécier.<br />
On peut imaginer que, quelques jours avant le 20 juillet 1893, la partition du prélude du<br />
troisième acte de Florinda est dépoussiérée, jouée dans les salons, remise à la mode. C’était<br />
donc une page att<strong>en</strong>due lors des quatre représ<strong>en</strong>tations de 1893. Et pouvait-il <strong>en</strong> être<br />
<strong>au</strong>trem<strong>en</strong>t ? La force dramatique de ces quelques minutes de musique, le désarroi et la be<strong>au</strong>té<br />
mélodique trouverai<strong>en</strong>t leur place parmi les mélomanes de nos jours 151 .<br />
L’orchestration est dominée par les cuivres 152 . C’est là une des caractéristiques de<br />
l’orchestration de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Mais nous sommes à même de nous demander si ce n’est<br />
pas une constante dans les orchestres des années 1870 à Bogotá. <strong>Le</strong>s partitions d’Ester et du<br />
Castillo misterioso, seuls conducteurs effectués pour Bogotá, mett<strong>en</strong>t effectivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> avant<br />
les cuivres. Au même temps, nous ne pouvons oublier que Ponce, directeur de la Banda de<br />
Bogotá, était habitué à un <strong>en</strong>semble regroupant quasi-exclusivem<strong>en</strong>t des cuivres.<br />
Ce spectre sonore métallique, <strong>au</strong> détrim<strong>en</strong>t des cordes, n’a pourtant jamais été critiqué. À<br />
croire qu’<strong>en</strong> 1893, l’orchestre du Teatro Municipal comm<strong>en</strong>ce à ressembler <strong>au</strong>x orchestres<br />
des grandes métropoles, notamm<strong>en</strong>t avec un pupitre de cordes nourri. Dans ce cas, le retour à<br />
un orchestre du type de celui de 1870 peut effectivem<strong>en</strong>t sembler lourd et anci<strong>en</strong>. La<br />
réapparition de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> dans les années 1890 a-t-elle donc fait évoluer le goût du<br />
public ? Évolution qui a tout de même ses limites : après avoir <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du Carm<strong>en</strong> ou Aida, on<br />
trouve <strong>en</strong>core complexe l’harmonie de Florinda 153 !<br />
150<br />
Ibid.<br />
151<br />
Nous avons proposé un arrangem<strong>en</strong>t de ce prélude lors d’un concert donné à <strong>Paris</strong> <strong>en</strong> mars 2005.<br />
152<br />
Ibid.<br />
153<br />
« En la armonía hay excesos de modulaciones, duras algunas de ellas… » (Ibid.)<br />
275<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
276<br />
6.3.3.<br />
Pour commémorer le grandiose jour de la patrie, le 20 juillet, la compagnie a décidé de le fêter<br />
par deux soirées de gala, les nuits du 19 et du 20, avec l’opéra national <strong>en</strong> grand apparat,<br />
Florinda, poème dramatique <strong>en</strong> vers de Rafael Pombo, musique du maestro Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Enconmemoracióndelgrandiosodíapatrio20deJulio,laEmpresaaresueltofestejarlocon<br />
dosgrandesfuncionesdegala,<strong>en</strong>lasnochesdel19y20,conlaóperanacionaldegran<br />
aparatoFLORINDA,poemadramático<strong>en</strong>versoporRafaelPombo,músicadelmaestroJosé<br />
MaríaPoncede<strong>Le</strong>ón 154 .<br />
Onze ans après sa création, Florinda se retrouve <strong>au</strong> c<strong>en</strong>tre des festivités patriotiques de<br />
1893, acclamée sur la scène du Municipal. L’opéra est donné les 19 et 20 juillet. La longue<br />
soirée du 20 juillet est précédée par l’exécution d’un hymne national. Ce soir-là, le prix des<br />
<strong>en</strong>trées est réduit afin que tous et chacun puiss<strong>en</strong>t se r<strong>en</strong>dre <strong>au</strong> théâtre et redécouvrir une<br />
œuvre du patrimoine colombi<strong>en</strong> 155 . Florinda est <strong>en</strong>core représ<strong>en</strong>tée quelques jours plus tard,<br />
le 22 ou le 23 juillet 156 ; <strong>en</strong>fin le mardi 22 août a lieu la quatrième et dernière<br />
représ<strong>en</strong>tation 157 , deux jours avant le départ de la compagnie <strong>lyrique</strong> vers Medellín.<br />
<strong>Le</strong> rôle principal est chanté à cette occasion par le soprano Ida Poli de Rossa. Egisto Niccoli<br />
est le roi Rodrigue ; Francisco Bartolomasi le comte Don Julián ; la basse Ezio Fucili chante<br />
Rubén ; Celestina Saruggia est Teuda. L’orchestre et les chanteurs sont sous la direction<br />
d’Agusto Azzali 158 . <strong>Le</strong> chœur masculin de 1880 a été rejoint par des voix de femmes dans<br />
quelques numéros seulem<strong>en</strong>t, comme l’attest<strong>en</strong>t les partitions de 1893. En revanche, nous<br />
ignorons si le corps de ballet, <strong>en</strong>fin accepté par le public, a pris part à la représ<strong>en</strong>tation de<br />
Florinda.<br />
Une séance prévue pour le 7 août, date <strong>au</strong>ssi importante que le 20 juillet <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> 159 , est<br />
annoncée ; son but est de collecter les fonds nécessaires pour la construction d’un m<strong>au</strong>solée à<br />
la mémoire du compositeur 160 . Pourtant la représ<strong>en</strong>tation est ajournée, afin de corriger<br />
« certaines scènes de l’opéra » et de retravailler l’<strong>en</strong>semble du spectacle. On ignore si les<br />
fonds récoltés lors de la séance du 22 août sont finalem<strong>en</strong>t mis <strong>au</strong> profit de la construction de<br />
154<br />
« Teatro Municipal » (F. Z<strong>en</strong>ardo), El Telegrama (VII.2019), 19 juillet 1893 : 8043.<br />
155<br />
Voir le programme des célébrations : « Programa – 20 de Julio », La República (I.9), 12 juillet<br />
1893 : 34.<br />
156<br />
Nous n’avons pas trouvé la date dans la presse. Dans une lettre datée du 25 juillet 1893, R. Pombo<br />
écrit à Angel et Rufino Caro « el 19, 20 y 22 o 23 se dió Florinda <strong>en</strong> el Teatro Municipal. » (A. et<br />
R. Cuervo, 1974 : 67).<br />
157<br />
« Teatro » (O.D.), La República (21), 23 août 1893 : 85.<br />
158<br />
« La Florinda », El Telegrama (VII.2021), 22 juillet 1893 : 8051.<br />
159<br />
Anniversaire de la Bataille de Boyacá qui <strong>en</strong> 1819 marque la première victoire de Bolivar sur les<br />
Espagnols et le début de l’indép<strong>en</strong>dance des colonies face à la couronne espagnole.<br />
160<br />
« Florinda », La República (13), 26 juillet 1893 : 51.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
ce monum<strong>en</strong>t. En revanche, nous savons que ce monum<strong>en</strong>t, dont le plan avait été publié <strong>en</strong><br />
1883 (plan et dessin) 161 , n’a jamais été construit. Aujourd’hui, les restes de Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t sous une dalle de béton d’une <strong>au</strong>stérité étonnante pour qui connaît le projet de ce<br />
monum<strong>en</strong>t… d’une triste <strong>au</strong>stérité pour qui connaît l’histoire de ces c<strong>en</strong>dres.<br />
Florinda, qui avait été annoncée comme l’un des succès incontestables de la saison, mais<br />
dont les interprétations sont de moins <strong>en</strong> moins de bonne qualité et dont la dernière séance est<br />
« très mal chantée, sans goût, comme pour <strong>en</strong> finir vite 162 », disparaît définitivem<strong>en</strong>t de la<br />
scène. L’opéra <strong>au</strong>ra été représ<strong>en</strong>té neuf fois <strong>en</strong> deux saisons séparées à onze années de<br />
distance. Aucune œuvre de Ponce de <strong>Le</strong>ón n’<strong>au</strong>ra connu un tel succès !<br />
Peut-on lui <strong>au</strong>gurer un l<strong>en</strong>demain semblable ?<br />
6.4. <strong>Le</strong>ssourcesmusicales<br />
Contrairem<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x deux ouvrages antérieurs de Ponce de <strong>Le</strong>ón, le matériel musical de<br />
Florinda qui nous est parv<strong>en</strong>u n’est pas de première main. À ce jour, la localisation du<br />
manuscrit <strong>au</strong>tographe demeure un mystère, même si nous savons qu’il a été vu pour la<br />
dernière fois il y a <strong>en</strong>viron quatre ans dans la bibliothèque du Conservatoire de Bogotá.<br />
Cep<strong>en</strong>dant, nous pouvons connaître partiellem<strong>en</strong>t l’opéra par une copie de la partition faite<br />
lors de cette reprise de 1893. Seulem<strong>en</strong>t les manuscrits de 1893 ne restitu<strong>en</strong>t pas l’œuvre dans<br />
sa totalité : pas de conducteur, mais un chant-piano lacunaire qui supprime les passages<br />
purem<strong>en</strong>t instrum<strong>en</strong>t<strong>au</strong>x (remplacés par des mesures à compter). Il existe <strong>au</strong>ssi de nombreuses<br />
parties vocales de 1893. Mais là <strong>en</strong>core la question reste la même : où s’achève la version<br />
originale ? Où comm<strong>en</strong>ce la version Azzali ? La correction des erreurs que prés<strong>en</strong>tait la copie<br />
du conducteur introduit-elle quelques libertés de la part du chef d’orchestre ?<br />
<strong>Le</strong> table<strong>au</strong> qui suit récapitule chronologiquem<strong>en</strong>t les sources musicales de l’opéra :<br />
277<br />
161 « Proyecto de monum<strong>en</strong>to para erigir a la memoria de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> el cem<strong>en</strong>terio<br />
de Bogotá » et « Planta del monum<strong>en</strong>to proyectado <strong>en</strong> la página del fr<strong>en</strong>te », Papel Periódico<br />
Ilustrado (II.37), avril 1883 : 204-205.<br />
162 « La bella partitura estuvo muy mal cantada y como de mala gana y por salir del paso… » (« La<br />
Florinda », El Telegrama (VII.2048), 24 août 1893 : 8158.)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
278<br />
1879 A Manuscrit <strong>au</strong>tographe du conducteur de Florinda (perdu à ce jour)<br />
1883<br />
E 1<br />
E 2<br />
1893 R 1893<br />
1910<br />
PSc<br />
PSc 13<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Partition éditée de la réduction pour piano du prélude du troisième acte<br />
de Florinda (2 pages)<br />
Partition éditée de la rédaction pour piano et chant des « onze mesures de<br />
Florinda » (fin du duo n°19) (1 page)<br />
Réduction chant-piano de l’opéra (209 pages)<br />
Parties chorales séparées de Ténors I PSc(1), Ténors II PSc(2) et Basses<br />
PSc(3),<br />
Parties chorales séparées du n° 13 (acte IV) de Sopranos I PSc 13 (1),<br />
Sopranos II PSc 13 (2) et Basses PSc 13 (3)<br />
PSs(2) Partie séparée de Teuda (incomplet)<br />
PSc 1<br />
PSs<br />
Parties chorales séparées du n° 1 (acte I) de Ténors I PSc 1 (1), Ténors II<br />
PSc 1 (2) et Basses PSc 1 (3)<br />
Parties séparées de Florinda PSs(1), Don Rodrigo PSs(3), Don Julián<br />
PSs(4) et Rubén PSs(5)<br />
Table<strong>au</strong> 13 : Sources musicales de Florinda<br />
Nous avons pu localiser le manuscrit original de Florinda lors de nos séjours de recherche à<br />
Bogotá. Contre toute att<strong>en</strong>te, la partition se trouverait dans la bibliothèque du Conservatoire<br />
de l’<strong>Université</strong> Nationale. Du moins c’est ce qu’indique le fichier d’une partition… qui a<br />
disparu des étagères !<br />
Florinda, opéra <strong>en</strong> 4 actes, pour soprano, ténor, basse, chœur masculin (TTBB), orchestre.<br />
Texte de Rafael Pombo. Achevée le 24 avril 1879 et créée <strong>au</strong> Théâtre le 22 novembre 1880.<br />
Partition <strong>au</strong>tographe. Don de Daniel Schlesinger 163 <strong>au</strong> conservatoire <strong>en</strong> 1967. (254 p.)<br />
30x45 cm.<br />
Florinda,opera<strong>en</strong>4actos,parasoprano,t<strong>en</strong>or,bajo,coromasculino(TTBB)Orquesta.Texto<br />
deDonRafaelPombo.Terminada<strong>en</strong>Abril24de1879yestr<strong>en</strong>ada<strong>en</strong>elTeatro<strong>en</strong>Nov.22de<br />
1880.Partituramanuscritaoriginaldelcompositor.ObsequiadaalconservatorioporelDr.<br />
DanielSchlesinger,<strong>en</strong>1967.(254p.)30x45cm.<br />
En att<strong>en</strong>dant de retrouver le manuscrit de Florinda, cette fiche donne de précieuses<br />
indications. Tout d’abord la date d’achèvem<strong>en</strong>t de la composition, même si ce n’est pas une<br />
habitude du compositeur de dater ses œuvres. Cela garantit que le manuscrit est prêt pour la<br />
saison organisée par Petrilli <strong>en</strong> 1879. Cette fiche confirme égalem<strong>en</strong>t que le chœur était<br />
exclusivem<strong>en</strong>t masculin. Par ailleurs, il s’agit d’un volume important, 254 pages, qui dépasse<br />
largem<strong>en</strong>t les 130 pages des manuscrits d’Ester et du Castillo misterioso.<br />
163 Daniel Schlesinger, fils de Maria Ester Ponce de Schlesinger, est le petit-fils du compositeur.
Daniel Schlesinger, arrière-petit fils du compositeur, <strong>au</strong>rait donc hérité la partition de sa<br />
grand-mère, Maria Ester Ponce de <strong>Le</strong>ón. Cette branche de la famille semble avoir conservé la<br />
mémoire de José María 164 . Schlesinger <strong>au</strong>rait fait don du manuscrit à la bibliothèque du<br />
Conservatoire où, de mémoire de quelques employés, il reposait nonchalamm<strong>en</strong>t sur une<br />
étagère, à porté de tous ! En 2002, le manuscrit est <strong>en</strong>voyé à la bibliothèque c<strong>en</strong>trale de<br />
l’<strong>Université</strong> Nationale (à laquelle est rattaché le Conservatoire). Depuis, impossible de le<br />
retrouver !<br />
Jusqu'à prés<strong>en</strong>t, il s’agit ici de la seule source <strong>au</strong>tographe de l’opéra qui se trouve <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong>. Par contre, pas de trace des parties séparées d’orchestre. S’agit-il de ce manuscrit<br />
r<strong>en</strong>du <strong>en</strong> 1893 par Emilia B<strong>en</strong>ic ? Ou existe-t-il quelque part dans le monde une <strong>au</strong>tre version<br />
(chant-piano ?) <strong>au</strong>tographe de Florinda ? Quant <strong>au</strong>x parties vocales et <strong>au</strong> chant-piano de<br />
1880, il f<strong>au</strong>dra suivre le parcours de la B<strong>en</strong>ic dans différ<strong>en</strong>ts pays afin de retrouver peut-être<br />
ces manuscrits. En supposant qu’elle les ait conservés…<br />
Des trois œuvres <strong>lyrique</strong>s de Ponce de <strong>Le</strong>ón – plus de cinq c<strong>en</strong>t folios manuscrits de<br />
musique – seuls deux extraits de Florinda (trois pages de musique), ont été imprimés <strong>en</strong> 1883.<br />
<strong>Le</strong> Papel Periódico Ilustrado d’avril 1883, <strong>en</strong> hommage <strong>au</strong> compositeur, avait reproduit les<br />
« passages les plus dramatiques du maestro Ponce 165 » : le prélude du troisième acte, ainsi que<br />
les dernières mesures de l’opéra. F<strong>au</strong>t-il rappeler qu’il s’agit là de la seule musique de Ponce<br />
r<strong>en</strong>due publique et à la portée de tous ? Indiquons que la première partie de ce prélude <strong>en</strong> sol<br />
mineur comporte tr<strong>en</strong>te mesures ; que dans R 1893 et PSs(4) cette même partie est remplacée<br />
par vingt-six mesures à compter. Manque-t-il des mesures dans la version de 1893 ? L’éditeur<br />
de 1883 a-t-il ajouté des mesures pour am<strong>en</strong>er la musique vers la cad<strong>en</strong>ce parfaite ? Seul le<br />
manuscrit A pourrait donner une réponse définitive à ces questions.<br />
La plus grande partie du matériel de l’opéra provi<strong>en</strong>t de la reprise de 1893. La réduction<br />
R 1893 conti<strong>en</strong>t des annotations d’orchestration, des coupures indiquées <strong>au</strong> crayon rouge, ainsi<br />
que des signes de r<strong>en</strong>vois et de s<strong>au</strong>ts de mesures. <strong>Le</strong>s partitions sont signées et datées par un<br />
copiste. Sur ce matériel de 1893, le texte est bilingue ou seulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> itali<strong>en</strong>. Encore <strong>en</strong> 1893<br />
cet opéra, dont l’un des <strong>en</strong>jeux était la mise <strong>en</strong> musique de la langue espagnole, est chanté <strong>en</strong><br />
279<br />
164 <strong>Le</strong>s desc<strong>en</strong>dants de Francisco (fils du compositeur et frère de Maria Ester) avec lesquels nous<br />
sommes <strong>en</strong>trés <strong>en</strong> contact depuis quelques années, n’ont pas gardé de souv<strong>en</strong>ir de leur aïeul.<br />
165 « El preludio del tercer acto, que reproducimos <strong>en</strong> ésta y <strong>en</strong> la página anterior, es, seguram<strong>en</strong>te, uno<br />
de los trozos más dramáticos que escribió el malogrado Maestro Ponce ». Dans Papel Periódico<br />
Ilustrado (II.37), avril 1883 : 214.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
280<br />
itali<strong>en</strong>. En regardant la disposition de ce texte, les paroles <strong>en</strong> espagnol sembl<strong>en</strong>t avoir été<br />
ajoutées.<br />
Ajoutées… pour une nouvelle reprise ?<br />
L’histoire de Florinda semblait s’achever pour de bon <strong>en</strong> 1893. Or, <strong>en</strong> regardant le<br />
manuscrit de la partie séparée de Florinda PSs(1), un indice, inatt<strong>en</strong>du, apparaît. Il est écrit <strong>en</strong><br />
espagnol sur la dernière page :<br />
G.G.P. copió Julio 10º 1910<br />
1910 ! L’opéra <strong>au</strong>rait-il été donné le 20 juillet 1910, pour célébrer les c<strong>en</strong>t ans de<br />
l’indép<strong>en</strong>dance du pays ? Car si reprise il y a, cette reprise doit forcem<strong>en</strong>t avoir eu lieu dans<br />
un contexte patriotique.<br />
En 1910, le paysage urbain de Bogotá est aménagé pour ce C<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ario, le C<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire –<br />
pour les histori<strong>en</strong>s, 1910 marque le début du XX e <strong>siècle</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. Expositions agricoles,<br />
industrielles, cortèges militaires, in<strong>au</strong>gurations de monum<strong>en</strong>ts, de parcs… Bogotá devi<strong>en</strong>t le<br />
scénario d’une fête nationale <strong>en</strong>tre les 15 et 31 juillet 166 . De nos jours, la ville a conservé cette<br />
emprunte dans son espace urbain, un peu comme la marque de H<strong>au</strong>ssmann à <strong>Paris</strong>, toute<br />
proportion gardée. La fête du C<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ario veut avant tout r<strong>en</strong>dre hommage <strong>au</strong>x figures<br />
nationales. Ri<strong>en</strong> d’étonnant qu’on ait alors p<strong>en</strong>sé à Florinda.<br />
L’opéra, <strong>au</strong> c<strong>en</strong>tre de ces célébrations, ret<strong>en</strong>tit donc de nouve<strong>au</strong> à Bogotá après douze ans<br />
d’abs<strong>en</strong>ce. La compagnie Sigaldi ouvre une saison d’opéra itali<strong>en</strong> qui affiche salle comble<br />
jusqu’<strong>au</strong> mois de décembre 167 . Et Florinda ? R. Pombo, vieillard vénérable des lettes, exige<br />
alors la reprise des opéras de Ponce de <strong>Le</strong>ón 168 . Sa demande est prise <strong>en</strong> compte, comme<br />
l’attest<strong>en</strong>t ces nouvelles partitions manuscrites des rôles de Florinda, de Don Rodrigo, de Don<br />
Julían et de Rubén.<br />
La partition de Florinda est la seule portant une date. Mais toutes ces copies dat<strong>en</strong>t<br />
incontestablem<strong>en</strong>t de 1910. En plus de l’utilisation du même papier à musique et de la même<br />
écriture, un élém<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>d le verdict indiscutable : la langue.<br />
Intégralem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> espagnol, cette nouvelle Florinda <strong>au</strong>rait <strong>en</strong>fin ex<strong>au</strong>cé le <strong>rêve</strong> le plus<br />
profond du librettiste, à qui il reste <strong>en</strong>core deux ans à vivre :<br />
166 Voir http://www.museodebogota.gov.co/descargas/exposiciones/temporales/pdf/ciudad_luz.pdf<br />
167 Voir http://www.lablaa.org/blaavirtual/revistas/cred<strong>en</strong>cial/<strong>en</strong>ero2005/mundo1910.htm<br />
168 E. Bermúdez, 2000 : 96.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Que des chanteurs espagnols vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, ou qu’il soit décidé [texte manquant] avec ses paroles<br />
d’origine le spl<strong>en</strong>dide [opéra colombi<strong>en</strong>].<br />
V<strong>en</strong>gancantantesespañoles,oresuélvansea<strong>en</strong>***consuletraoriginallaespléndida[ópera<br />
colombiana] 169 .<br />
Ces manuscrits n’ajout<strong>en</strong>t <strong>au</strong>cun intérêt musical <strong>au</strong> matériel plus anci<strong>en</strong> : ils sont<br />
vraisemblablem<strong>en</strong>t extraits de la version de 1893. En revanche, ils nous lanc<strong>en</strong>t sur la piste de<br />
cette reprise de 1910, dont nous n’avions jamais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du parler ! Mais cette reprise de<br />
Florinda, <strong>en</strong> 1910, n’<strong>au</strong>ra pas lieu. Pourquoi ? Nous l’ignorons. Est-ce une coïncid<strong>en</strong>ce si, <strong>en</strong><br />
avril 1910, le compositeur Guillermo Uribe Holguín vi<strong>en</strong>t juste d’arriver à Bogotá, après un<br />
séjour de trois ans à la Schola Cantorum <strong>au</strong>près de Vinc<strong>en</strong>t d’Indy ? Il apporte un souffle de<br />
r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> dans la musique colombi<strong>en</strong>ne, ouverture vers le modernisme, synchronisation avec<br />
l’actualité europé<strong>en</strong>ne. Souffle puissant et revitalisant qui, pour tout le répertoire du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, représ<strong>en</strong>te un véritable ouragan dévastateur.<br />
6.5. L’opéracolombi<strong>en</strong>,Doubledel’opéraeuropé<strong>en</strong>?<br />
Ester, El Castillo misterioso et Florinda constitu<strong>en</strong>t trois grandes av<strong>en</strong>tures qui nous<br />
conduis<strong>en</strong>t <strong>en</strong> temps et lieux lointains. Cet éloignem<strong>en</strong>t, élém<strong>en</strong>t structurant d’un théâtre qui<br />
se veut édificateur projette personnages et situations <strong>en</strong> dehors du cadre colombi<strong>en</strong>. Peut-on<br />
ainsi parv<strong>en</strong>ir à un opéra national ?<br />
<strong>Le</strong>s librettistes des opéras de Ponce de <strong>Le</strong>ón, humanistes et grands érudits, cherch<strong>en</strong>t à<br />
rédiger avec éclat leurs livrets <strong>en</strong> étalant leurs connaissances, <strong>en</strong> soignant le style littéraire<br />
mais égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant part à une philosophie du théâtre qu’il convi<strong>en</strong>t ici de compr<strong>en</strong>dre.<br />
Hommes cultivés qui cherch<strong>en</strong>t une expression nationale à travers la synthèse de divers<br />
courants europé<strong>en</strong>s, leurs plumes assimil<strong>en</strong>t des courants esthétiques anachroniques :<br />
classicisme français, exotisme, romantisme anglo-saxon, voire même naturalisme. L’opéra<br />
colombi<strong>en</strong> juxtapose deux mom<strong>en</strong>ts historiques différ<strong>en</strong>ts de la p<strong>en</strong>sé europé<strong>en</strong>ne. L’opéra<br />
itali<strong>en</strong> romantique cohabite avec un style plus réaliste (vérisme ?), lat<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Europe à partir de<br />
la seconde moitié du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, qui se retrouve dans la zarzuela. Parallèlem<strong>en</strong>t, les sujets<br />
d’opéras répond<strong>en</strong>t à une <strong>au</strong>tre esthétique littéraire et philosophique.<br />
Ces ouvrages ont tous <strong>en</strong> commun la prise de distance et l’éloignem<strong>en</strong>t de toute réalité<br />
historique et géographique. L’éloignem<strong>en</strong>t, élém<strong>en</strong>t structurant dans la tragédie classique,<br />
169 « La resurrección de Florinda » (R. Pombo), El Telegrama (VII.2026), 28 juillet 1893 : 8070.<br />
281<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
282<br />
permet <strong>au</strong> spectateur de saisir dans son intégralité la destiné des héros 170 . Qu’il s’agisse d’une<br />
géographie antiquisante (la ville de Suse d’Esther) ou d’une histoire lég<strong>en</strong>daire (l’Espagne de<br />
Florinda), le topos sert de « ravissem<strong>en</strong>t ». L’œuvre scénique accède ainsi à une universalité<br />
que chacun se doit reconnaître :<br />
<strong>Le</strong> respect que l’on a pour les héros <strong>au</strong>gm<strong>en</strong>te à mesure qu’ils s’éloign<strong>en</strong>t de nous : major e<br />
longinquo rever<strong>en</strong>tia. L’éloignem<strong>en</strong>t des pays répare <strong>en</strong> quelque sorte la trop grande proximité<br />
des temps 171 .<br />
Au <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> l’exotisme vi<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre le relais de l’éloignem<strong>en</strong>t épique de la tragédie.<br />
<strong>Le</strong>s thèmes de la pastorale, du monde magique des fables chevaleresques et mythologiques<br />
(cf. la Jérusalem délivrée) et de l’Antiquité géographique qui associe <strong>au</strong>tant des actions que<br />
des lieux dans l’imaginaire collectif, touch<strong>en</strong>t à leur essoufflem<strong>en</strong>t.<br />
<strong>Le</strong>s contrées lointaines récupèr<strong>en</strong>t dans le mystère de leur méconnaissance l’<strong>en</strong>droit<br />
merveilleux par excell<strong>en</strong>ce. Nous retrouvons, dans le cas de Florinda, avec l’élaboration d’un<br />
décor riche <strong>en</strong> végétation, une sorte de miroir du livret europé<strong>en</strong>. Si <strong>au</strong>x temps des Lumières,<br />
l’Amérique était associée à une utopie qui donnait cadre à un merveilleux naturel, pour<br />
l’écrivain colombi<strong>en</strong>, il existe un r<strong>en</strong>voi à une nature europé<strong>en</strong>ne, ce qui est une façon de<br />
recréer un éloignem<strong>en</strong>t.<br />
Dans l’avertissem<strong>en</strong>t des Indes galantes [de Rame<strong>au</strong>], le thème de la vraisemblance naturelle,<br />
symétrique de la vraisemblance historique (et opposé à la vraisemblance merveilleuse), est<br />
développé <strong>en</strong> une véritable doctrine dont la thèse principale peut se résumer ainsi :<br />
l’extraordinaire ti<strong>en</strong>t lieu de merveilleux.<br />
L’extraordinaire, ce qui arrive peu souv<strong>en</strong>t et contre toute att<strong>en</strong>te, ne sort pas cep<strong>en</strong>dant de la<br />
sphère naturelle. Du merveilleux, il conserve la propriété prodigieuse, mais il s’<strong>en</strong> écarte<br />
néanmoins parce que sa possibilité, quoique statistiquem<strong>en</strong>t peu probable, se situe dans l’ordre<br />
du monde réel, et non pas dans un monde seulem<strong>en</strong>t possible. Il peut se déployer sur deux<br />
dim<strong>en</strong>sions, qui font l’objet d’un comm<strong>en</strong>taire distinct dans l’avertissem<strong>en</strong>t des Indes<br />
galantes : l’éloignem<strong>en</strong>t géographique et la rareté physique 172 .<br />
Plus qu’un g<strong>en</strong>re littéraire, l’exotisme revêt la fonction d’une étiquette littéraire qui par<br />
définition est transport. D’après C. Kinztler, il s’agit d’une récupération du goût pour le<br />
voyage, pour l’évasion à travers la création d’une nouvelle catégorie poétique (l’éloignem<strong>en</strong>t<br />
géographique est déjà exotisme) dont la fonction est analogue à celle de l’<strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>t et du<br />
170 Nous avons abordé ces considérations, sous une forme différ<strong>en</strong>te, dans notre mémoire intitulé<br />
Pizarre ou la Conquête d’un nouvel Ailleurs effectué sous la direction de Brigitte François-Sappey<br />
dans la classe de Culture musicale du CNSMDP (2003-2004).<br />
171 Seconde Préface (1676) de Bajazet par Racine.<br />
172 Catherine Kintzler, 1991 : 343.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
« transport » produits par l’inspiration fabuleuse 173 . L’Ailleurs, expression de<br />
l’invraisemblable géographique, se constitue alors dans un aspect structurant du théâtre.<br />
L’exotisme, particularisme de cet aspect, est vécu comme la démesure d’un invraisemblable<br />
géographique possible parmi d’<strong>au</strong>tres.<br />
Il est donc intéressant de voir comm<strong>en</strong>t l’opéra colombi<strong>en</strong> devi<strong>en</strong>t le double de l’opéra<br />
europé<strong>en</strong>, <strong>en</strong> adoptant cette même nécessité de l’éloignem<strong>en</strong>t. La délocalisation est une<br />
« porte ouverte à l’imagination et <strong>au</strong> <strong>rêve</strong>, à traduire différemm<strong>en</strong>t selon les époques ce désir<br />
d’évasion, et ceci <strong>en</strong> fonction des aspirations et des connaissances du mom<strong>en</strong>t 174 . »<br />
Délocalisation qui remet <strong>en</strong> question l’euroc<strong>en</strong>trisme 175 , mais qui ne se peint pourtant pas de<br />
couleurs locales, dans le cas colombi<strong>en</strong> 176 . <strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> est donc le désir d’atteindre un<br />
<strong>au</strong>tre monde, une <strong>au</strong>tre culture, un Ailleurs. L’opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>au</strong>ra été fuite vers des<br />
horizons impossibles.<br />
283<br />
173 Ibid.<br />
174 Nathalie <strong>Le</strong>comte, « <strong>Le</strong>s Indes galantes, reflet de la vogue exotique <strong>au</strong> XVIII e <strong>siècle</strong> », in <strong>Le</strong>s Indes<br />
Galantes, L’avant-scène opéra, n° 46, décembre 1982, p. 75-79.<br />
175 On songe avec plaisir à cette tirade de Voltaire : « car l’abbé de Saint-Yves supposait qu’un homme<br />
qui n’était pas né <strong>en</strong> France n’avait pas le s<strong>en</strong>s commun. » (L’Ingénue, chapitre II)<br />
176 La mythologie indigène précolombi<strong>en</strong>ne est un sujet qui n’a jamais été abordé par les musici<strong>en</strong>s du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
284<br />
V<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Conclusion<br />
oici le terme de ce long voyage qui nous <strong>au</strong>ra conduits <strong>en</strong> temps et lieux<br />
lointains. À travers les différ<strong>en</strong>ts personnages, les contextes historiques et<br />
culturels, nous avons abordé une <strong>Colombie</strong> peu connue : celle des théâtres, celle des<br />
artistes ; celle dont la connaissance à ce jour demeure <strong>en</strong>core superflue et sur laquelle<br />
nous espérons avoir pu apporter quelques lumières dans cette étude.<br />
Pour <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre l’analyse du phénomène <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, nous avons<br />
d’abord proposé un aperçu de l’opéra sur le contin<strong>en</strong>t américain. Il était désormais<br />
possible de situer la <strong>Colombie</strong> dans le contexte <strong>lyrique</strong> contin<strong>en</strong>tal. Nous avons par la<br />
suite resserré notre objectif pour nous focaliser sur ce pays. Dans un contexte musical<br />
caractérisé par la miniature musicale, nous avons suivi <strong>au</strong> jour le jour les traces de<br />
l’opéra. Opéra europé<strong>en</strong>, prés<strong>en</strong>té par des troupes itinérantes de passage à Bogotá.<br />
Mais égalem<strong>en</strong>t opéra national, œuvres <strong>lyrique</strong>s écrites <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> par le seul<br />
compositeur national d’opéras <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> : José María Ponce de <strong>Le</strong>ón. Nous avons<br />
égalem<strong>en</strong>t suivi le parcours de Ponce à Bogotá, à <strong>Paris</strong>, <strong>en</strong> cherchant à préciser les<br />
moindres détails. Cep<strong>en</strong>dant, la biographie de Ponce de <strong>Le</strong>ón recèle <strong>en</strong>core de<br />
nombreuses zones d’ombre que nous espérons pouvoir combler un jour. Biographie<br />
qui serait <strong>en</strong>richie par une étude plus approfondie de l’<strong>en</strong>semble de la production du<br />
maestro colombi<strong>en</strong> – pièces pour piano, pour fanfare, mélodies, hymnes, chants<br />
patriotiques, musique religieuse et symphonique.<br />
Au terme de longues recherches dans la presse, dans les textes et dans les partitions,<br />
nous sommes parv<strong>en</strong>u à une connaissance détaillée des trois grandes œuvres <strong>lyrique</strong>s<br />
de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Alors que nous étions parti de presque ri<strong>en</strong>, cette thèse nous a<br />
donné la grande satisfaction de pouvoir compr<strong>en</strong>dre la g<strong>en</strong>èse de ces œuvres, de<br />
1 Loin de moi Verdi, Auber, Mozart ! / Vos airs sont très be<strong>au</strong>x. / Mais pour <strong>au</strong>cun d’eux je ne<br />
donne / l’air de mon pays !<br />
¡<strong>Le</strong>jos Verdi, Auber, Mozart!<br />
Son vuestros aires muy bellos,<br />
Más no doy por todos ellos<br />
El aire de mi lugar<br />
Rafael Pombo (1872) El Bambuco 1
285<br />
découvrir que l’<strong>au</strong>teur <strong>en</strong> avait parfois donné plus d’une version, comme c’est le cas<br />
pour Ester. Mais quelques incertitudes demeur<strong>en</strong>t sur les transformations subies par<br />
Florinda. L’<strong>en</strong>quête reste ouverte et nous espérons trouver un jour le fil d’Ariane qui<br />
pourra nous conduire <strong>au</strong> manuscrit perdu !<br />
Nous proposons égalem<strong>en</strong>t une reconstitution historique de divers aspects du<br />
quotidi<strong>en</strong>, tels la vie d’une troupe itinérante à Bogotá, le déroulem<strong>en</strong>t d’une soirée <strong>au</strong><br />
Coliseo, ou <strong>en</strong>core la réception du public et son évolution à travers les trois déc<strong>en</strong>nies<br />
étudiées. Quels axes de réflexions ont accompagné l’étude de ce fait <strong>lyrique</strong><br />
colombi<strong>en</strong> ?<br />
Nous avons dépeint la situation musicale <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> dans les années 1850-1880,<br />
tout <strong>en</strong> soulignant les réactions que suscitait l’arrivée d’une compagnie <strong>lyrique</strong><br />
itinérante à Bogotá. <strong>Le</strong>s conséqu<strong>en</strong>ces de sa prés<strong>en</strong>ce, la réception du public, ainsi que<br />
les t<strong>en</strong>tatives pour populariser le spectacle d’opéra, nous ont permis de représ<strong>en</strong>ter le<br />
paysage culturel alors attaché <strong>au</strong> monde <strong>lyrique</strong>. En même temps, nous avons pu<br />
cerner la p<strong>en</strong>sée de l’artiste novo-gr<strong>en</strong>adin. En l’abs<strong>en</strong>ce de tradition <strong>lyrique</strong>, de<br />
c<strong>en</strong>tres de formation musicale, l’opéra apparaît comme un fait isolé, qui pr<strong>en</strong>d une<br />
dim<strong>en</strong>sion quasi colossale <strong>au</strong> milieu d’un paysage sonore composé d’une mosaïque de<br />
courtes danses de salon et de mélodies.<br />
Pourtant un terme est resté dans la pénombre durant toute notre analyse. Il s’agit de<br />
saisir ce national qui apparaît dans « l’opéra national » de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Nous<br />
voulons donc à prés<strong>en</strong>t proposer une première ouverture pour la compréh<strong>en</strong>sion du<br />
concept que sous-<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d cette expression.<br />
Tout d’abord que pouvait être le national pour les hommes des années 1870 ? <strong>Le</strong>s<br />
artistes et intellectuels ne se sont pas leurrés quant <strong>au</strong> développem<strong>en</strong>t difficile d’une<br />
école nationale. Ils sont consci<strong>en</strong>ts qu’<strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, la littérature et l’art dramatique<br />
n’ont pas les moy<strong>en</strong>s de se faire connaître ; leur construction est impossible<br />
« puisqu’il manque deux des princip<strong>au</strong>x élém<strong>en</strong>ts : un théâtre et des acteurs 2 . » Ainsi,<br />
le problème majeur qui se pose est celui de la dép<strong>en</strong>dance d’artistes europé<strong>en</strong>s de<br />
passage à Bogotá. La création d’une Académie colombi<strong>en</strong>ne de déclamation et de<br />
chant « éviterait <strong>au</strong>x premières populations de la République l’att<strong>en</strong>te de Compagnies<br />
2 « La literatura i el arte dramático nacionales no pued<strong>en</strong> crearse, porque les falta dos de sus<br />
principales elem<strong>en</strong>tos: teatro i actores » (« Academia de declamación i canto », Diario de<br />
Cundinamarca (X.2559), 26 septembre 1879 : 654).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
286<br />
étrangères afin de goûter <strong>au</strong>x plaisirs des spectacles théâtr<strong>au</strong>x 3 . » Car si l’opéra est<br />
conditionné par les allées et v<strong>en</strong>ues de troupes europé<strong>en</strong>nes, il <strong>en</strong> est de même pour le<br />
théâtre à Bogotá. L’impossible création de Florinda <strong>en</strong> 1879 marque une grande<br />
frustration pour le monde des arts ; c’est le symbole même de cet assujettissem<strong>en</strong>t<br />
total de la création colombi<strong>en</strong>ne <strong>au</strong>x aléas des interprètes étrangers.<br />
<strong>Le</strong>s progressistes José María Gutiérrez de Alba, José María Samper et d’<strong>au</strong>tres<br />
hommes de lettres form<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1879 une commission pour fonder une « Société<br />
littéraire et artistique pour la création du Théâtre national 4 », quelque vingt-cinq ans<br />
après les succès de la Compañía Dramática Nacional de 1855. Ils projett<strong>en</strong>t de réunir<br />
les artistes dans une « Société d’artistes, compositeurs et écrivains colombi<strong>en</strong>s 5 »,<br />
suivant le modèle des nations europé<strong>en</strong>nes 6 . L’opéra est directem<strong>en</strong>t visé puisque<br />
cette société <strong>au</strong>rait pour objet « de cultiver la littérature dramatique et la musique<br />
appliquée <strong>au</strong> théâtre 7 . » Gutiérrez de Alba et Oreste Sindici serai<strong>en</strong>t même <strong>en</strong> train<br />
d’écrire une zarzuela, pour illustrer la nécessité du projet 8 . En revanche ; Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón et R. Pombo semble se t<strong>en</strong>ir à l’écart de cette discussion 9 . Peut-on laisser<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre un froid <strong>en</strong>tre Pombo et Gutiérrez de Alba ? Même si nous savons à quel<br />
point le poète colombi<strong>en</strong> milite pour la création d’un Opéra national <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
L’objet principal de la réunion est de fixer la création d’une école de déclamation et<br />
de chant. Cela constitue un tournant dans les m<strong>en</strong>talités de l’époque. Jusqu'à prés<strong>en</strong>t<br />
l’art ne pouvait être art que s’il était europé<strong>en</strong>. Mais <strong>en</strong> insistant sur le besoin<br />
d’implanter des écoles d’art <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, ces théorici<strong>en</strong>s prôn<strong>en</strong>t une ouverture<br />
d’esprit qui est celle d’une modernité confiante dans le progrès ; progrès d’une nation<br />
qui, <strong>au</strong> terme de soixante-dix ans de vie républicaine, voudrait <strong>en</strong>fin montrer son<br />
3 «...evitarían que las primeras poblaciones de la República t<strong>en</strong>gan que esperar la llegada de<br />
Compañías extranjeras, para saborear el placer que ofrec<strong>en</strong> los espectáculos teatrales. »<br />
(Discours de J.M. Gutiérrez de Alba, « Teatro Nacional », Diario de Cundinamarca<br />
(XI.2607), 20 décembre 1879 : 46).<br />
4 « Teatro Nacional » (F. Buitrago), Diario de Cundinamarca (XI.2607), 20 décembre 1879 :<br />
46.<br />
5 Ibid.<br />
6 Création de la S.N.M. à <strong>Paris</strong> <strong>en</strong> 1871.<br />
7 « Cuyo objeto principal sea el cultivo de la literatura dramática i el de la música aplicada al<br />
Teatro. » (discours de J.M. Gutiérrez de Alba, Ibid.)<br />
8 « Academia de declamación i canto », Diario de Cundinamarca (X.2559), 26 septembre<br />
1879 : 654.<br />
9 D’après les critiques que R. Pombo adresse à Gutierrez de Alba dans l’introduction du livret<br />
de Florinda (Pombo, 1880 : 4), on peut imaginer que les deux écrivains avai<strong>en</strong>t des<br />
més<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tes. Quant à Ponce de <strong>Le</strong>ón, il ne s’est jamais prononcé sur des considérations<br />
théoriques face à l’art <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
287<br />
indép<strong>en</strong>dance dans le domaine des arts. Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, il s’agit d’un projet à long<br />
terme mais le but – comme l’indique clairem<strong>en</strong>t le titre de l’article qui reproduit le<br />
discours de Gutiérrez de Alba – est la création d’un Théâtre national.<br />
La création de Florinda <strong>en</strong> novembre 1880 <strong>en</strong>gage la musique colombi<strong>en</strong>ne sur une<br />
nouvelle voie. <strong>Le</strong> concert-lecture offert quelques mois plus tôt chez le compositeur<br />
avait interpellé les hommes politiques sur le besoin d’un mécénat pour aviver la<br />
création artistique. <strong>Le</strong>ur prés<strong>en</strong>ce sollicitée lors de la création officielle de l’opéra <strong>au</strong><br />
Coliseo faisait de cet événem<strong>en</strong>t artistique un événem<strong>en</strong>t à la fois mondain et<br />
patriotique. Par ailleurs, la troupe dirigée par Emilia B<strong>en</strong>ic est une association<br />
d’artistes étrangers et bogotains ; symboliquem<strong>en</strong>t il s’agit d’une étape intermédiaire<br />
<strong>en</strong>tre la compagnie europé<strong>en</strong>ne habituelle et la compagnie colombi<strong>en</strong>ne qui se profile<br />
dans les esprits.<br />
Toujours dans cette optique pédagogique, les artistes itali<strong>en</strong>s et colombi<strong>en</strong>s fond<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> novembre 1880 « une société pour se consacrer à l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de la musique<br />
vocale et instrum<strong>en</strong>tale 10 . » <strong>Le</strong> contexte de la création de Florinda est donc propice à<br />
la germination tant att<strong>en</strong>due d’un opéra national :<br />
Quelle <strong>au</strong>rore radiante et belle pour notre musique!<br />
¡Qué<strong>au</strong>roratanradianteytanhermosaparalamúsica<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>osotros 11 !<br />
<strong>Le</strong> Coliseo Maldonado qui tombe <strong>en</strong> loques est exproprié <strong>en</strong> 1884 par le<br />
gouvernem<strong>en</strong>t. <strong>Le</strong> présid<strong>en</strong>t de la république montre ainsi sa disposition à s’<strong>en</strong>gager<br />
dans la restructuration des institutions artistiques du pays.<br />
<strong>Le</strong> projet de l’opéra national, <strong>en</strong>fin sur une base solide, échoue. Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
parvi<strong>en</strong>t à assister <strong>en</strong> janvier 1882 à la fondation de l’Academia Nacional de Música,<br />
institution qui va <strong>en</strong>fin stabiliser l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de la musique 12 . Mais une terrible<br />
nouvelle secoue les artistes colombi<strong>en</strong>s lorsqu’ils appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la mort inatt<strong>en</strong>due de<br />
José María Ponce de <strong>Le</strong>ón, surv<strong>en</strong>ue le 21 septembre 1882, à l’âge de tr<strong>en</strong>te-sept ans.<br />
10 « La señorita Lucia Ferry y los señores Arnaldo y Emilio Conti, Adolfo Cocchi y Sr. Díaz<br />
Peña han formado una sociedad para dedicarse a la <strong>en</strong>señanza de la música vocal e<br />
instrum<strong>en</strong>tal. » (« Escuela de música », El Zipa (IV.15), 5 novembre 1880 : 227).<br />
11 « Estr<strong>en</strong>o de Florinda », Diario de Cundinamarca (IX.), 19 novembre 1880 : 784.<br />
12 L’Academia Nacional de Música existe <strong>en</strong>core de nos jours. Elle est dev<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> 1910<br />
l’actuel Conservatorio Nacional de Música.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
288<br />
Avec le décès de Ponce, le projet même de l’Opéra national est <strong>en</strong>terré.<br />
Rafael Pombo, qui comm<strong>en</strong>ce à être souffrant, ne se remet pas de la disparition de son<br />
ami. Il lui survit tr<strong>en</strong>te ans ; pourtant plus question d’opéra.<br />
L’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> semble elle-même s’arrêter <strong>en</strong> 1881. Après les<br />
saisons organisées par la compagnie Desantis et par Emilia B<strong>en</strong>ic, il f<strong>au</strong>dra att<strong>en</strong>dre<br />
près de dix ans pour qu’une nouvelle compagnie itali<strong>en</strong>ne arrive à Bogotá ! Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón <strong>au</strong>ra grandi avec l’opéra de Bogotá, lui <strong>au</strong>ra donné ses lettres de noblesse, et<br />
l’<strong>au</strong>ra emporté avec lui. À sa mort, c’est toute une époque de la vie <strong>lyrique</strong> qui<br />
disparaît.<br />
Avec le recul historique, le national du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> est <strong>au</strong>jourd’hui analysé d’une<br />
tout <strong>au</strong>tre façon. <strong>Le</strong>s différ<strong>en</strong>tes études historiques converg<strong>en</strong>t <strong>au</strong>jourd'hui vers la<br />
même opinion, selon laquelle les nations latino-américaines du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> sont le<br />
résultat de la construction discursive d’une minorité lettrée qui déti<strong>en</strong>t le pouvoir.<br />
Ce produit que nous appelons <strong>au</strong>jourd’hui Amérique Latine a toujours était marqué<br />
[…] par un désir de construction du réel 13 .<br />
C’est un groupe restreint d’érudits, d’hommes de lettres, de politiques et d’artistes,<br />
qui assume cette tâche de construction du réel. En écrivant la nation, cette élite<br />
contrôle la production du savoir, lui donne une ori<strong>en</strong>tation précise, à travers le mirage<br />
civilisateur. En imposant une idéologie de classes et avec le cons<strong>en</strong>sus des couches<br />
populaires, cette élite devi<strong>en</strong>t alors hégémonique et accède <strong>au</strong> pouvoir 14 . En écrivant<br />
une « biographie de l’État-Nation 15 », l’écriture devi<strong>en</strong>t un « exploit philologique », à<br />
la base d’un « orgueil patriotique » rétic<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x « influ<strong>en</strong>ces étrangères 16 ». Même si<br />
cette élite t<strong>en</strong>te d’unifier les différ<strong>en</strong>ts caractères région<strong>au</strong>x, elle a consci<strong>en</strong>ce de faire<br />
partie « d'une commun<strong>au</strong>té nationale, à l’écart des <strong>au</strong>tres, constituée de populations<br />
d'origines raciales et sociales différ<strong>en</strong>tes 17 ».<br />
Il est difficile de contourner la notion complexe de nation quand on se réfère à un<br />
« opéra national ». Difficile égalem<strong>en</strong>t d’opérer le choix <strong>en</strong>tre une littérature<br />
13 « Este constructo que llamamos América Latina siempre ha estado marcado [...] por un<br />
deseo de construcción de lo “real” ». A. Ríos, 2002 : 2.<br />
14 K. Wong, 2002 : 68.<br />
15 G. Bustos, 2002 : 70.<br />
16 M. Deas, 1993.<br />
17 J. Arias Vanegas, 2005 : 19.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
289<br />
abondante et polysémique qui démultiplie les différ<strong>en</strong>tes approches de la nation. Par<br />
souci de cohér<strong>en</strong>ce avec notre étude, nous avons développé notre réflexion sur le<br />
national à partir de textes réc<strong>en</strong>ts qui concern<strong>en</strong>t la construction de la nation dans le<br />
cas colombi<strong>en</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Ret<strong>en</strong>ons cette première définition qui ori<strong>en</strong>tera nos conclusions :<br />
La nation était à la fois un projet d'unification et de différ<strong>en</strong>ciation, dans lequel<br />
l’image du peuple se construisait <strong>en</strong> parallèle à celle de l’élite nationale 18 .<br />
La contradiction <strong>en</strong>tre unification et différ<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong>tre populaire et élitiste, apparaît<br />
déjà à la base d’un projet politique et social qui cherche à définir une id<strong>en</strong>tité<br />
nationale. Échec annoncé ? La recherche id<strong>en</strong>titaire ne serait donc qu’une illusion ?<br />
Peut-on unifier la différ<strong>en</strong>ce dans la sérénité, sans décl<strong>en</strong>cher des tr<strong>au</strong>matismes dans<br />
la population, sans la priver de ses expressions idiosyncratiques ?<br />
Nous allons aborder <strong>en</strong> dernière instance cette problématique du national. Loin de<br />
vouloir <strong>en</strong>gager une analyse socio-historique, les différ<strong>en</strong>ts élém<strong>en</strong>ts que nous<br />
avançons sont liés <strong>au</strong>x m<strong>en</strong>talités des artistes de la seconde moitié du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> <strong>en</strong><br />
<strong>Colombie</strong> ; l’objet de notre étude se déroule sur la scène du Coliseo, et nos<br />
considérations doiv<strong>en</strong>t avoir une résonance sur le prosc<strong>en</strong>ium.<br />
Pouvait-on p<strong>en</strong>ser la Nation comme une unité ? Quels pouvai<strong>en</strong>t être, pour les<br />
hommes du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, les élém<strong>en</strong>ts unificateurs qui cim<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t l’idée de la Nation?<br />
C’est par le biais de la géographie, de l’histoire, de la langue espagnole, de la religion<br />
et du patriotisme que se développe une idée affective de la Nation. Nation qui, pour<br />
dev<strong>en</strong>ir palpable, doit égalem<strong>en</strong>t être représ<strong>en</strong>tée dans la vie de tous les jours.<br />
Tout d’abord, la construction d’un « géo-corps 19 » matérialise la Nation. La<br />
maîtrise territoriale – qu’elle soit administrative, militaire, des voies de<br />
communication, ou <strong>en</strong>core des affects – pose des frontières et délimite un espace<br />
particulier dans lequel pourra être p<strong>en</strong>sée la Nation. <strong>Le</strong>s nombreuses expéditions<br />
sci<strong>en</strong>tifiques (Alexander von Humboldt, Agustín Codazzi) et cartes géographiques<br />
valid<strong>en</strong>t cet espace, tout juste détaché de l’empire espagnol. La Comisión<br />
Corográfica, l’un des projets humanistes le plus marquant de la nouvelle République,<br />
prés<strong>en</strong>te une « carte naturelle » dans laquelle figure avec détails la f<strong>au</strong>ne, la flore,<br />
18 « La nación era a la vez un proyecto de unificación y difer<strong>en</strong>ciación, <strong>en</strong> el cual la figura del<br />
pueblo era constituida paralelam<strong>en</strong>te a la de la élite nacional » (J. Arias Vanegas, 2005 : vii).<br />
19 Entité-unité territoriale, cont<strong>en</strong>ant une population, différ<strong>en</strong>ciable d’une <strong>au</strong>tre (Ibid. : 11).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
290<br />
ainsi que les traits saillants – et différ<strong>en</strong>ciés – des diverses populations régionales.<br />
Encore f<strong>au</strong>t-il ajouter <strong>au</strong>x nombreux traités de géographie, une pléthore de récits de<br />
voyages 20 qui replac<strong>en</strong>t le pays sur la carte du monde. Par conséqu<strong>en</strong>t, la nature, les<br />
populations, les mœurs sont maîtrisées, validées, par l’acte de l’écriture. Une écriture<br />
qui se veut taxonomique, anthropologique – le mot est anachronique – ou littéraire.<br />
Sans <strong>au</strong>cun doute, la Nation qui émerge est une construction unitaire.<br />
L’Histoire consolide égalem<strong>en</strong>t l’unité nationale. Prés<strong>en</strong>tée comme une histoire<br />
« civilisatrice et nationale », son tracé s'analyse <strong>en</strong> deux étapes tout le long du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. <strong>Le</strong>s premières années républicaines appos<strong>en</strong>t un voile de rejet sur le<br />
passé colonial. L’an 1810 devi<strong>en</strong>t l’année zéro. L’av<strong>en</strong>ir se projette comme une<br />
prolongation vertueuse de l’Indép<strong>en</strong>dance, alors que se développe un champ lexical<br />
négatif <strong>au</strong>tour de la Conquête et du temps de la Colonie 22 . L’histoire est désormais<br />
<strong>en</strong>seignée, avec l’apparition d’un véritable culte <strong>au</strong>x Émin<strong>en</strong>ts de la Patrie. Même si<br />
cette histoire est une histoire officielle, excluant celle des minorités, toute la nation se<br />
trouve impliquée dans la construction d’un nouvel av<strong>en</strong>ir.<br />
La langue participe fortem<strong>en</strong>t à l’unité nationale. P<strong>en</strong>dant les premières déc<strong>en</strong>nies<br />
de la République, de nombreuses campagnes d'unification linguistique souffl<strong>en</strong>t à<br />
travers le pays . <strong>Le</strong>s hommes de lettres effectu<strong>en</strong>t un travail important sur l’utilisation<br />
d’un langage qu’ils veul<strong>en</strong>t épuré. Des académies littéraires sont créées, de nombreux<br />
dictionnaires ou écrits philologiques sont publiés 24 . <strong>Le</strong> nouve<strong>au</strong> pouvoir politique<br />
prolonge, dans des conditions différ<strong>en</strong>tes, le rôle des premiers Espagnols qui<br />
imposai<strong>en</strong>t leur langue <strong>au</strong>x populations indigènes.<br />
Car c’est ici qu’apparaît le rôle novateur du Novo-gr<strong>en</strong>adin, pr<strong>en</strong>ant la place de<br />
l’anci<strong>en</strong> colonisateur dans un souci d’unité nationale. Cette sorte de « deuxième<br />
20<br />
Tels ceux des Anglais Cochrane (1825) et Hamilton (1827), des Français Boussing<strong>au</strong>lt<br />
(1823) et Saffray, de l’Arg<strong>en</strong>tin Cané (1881). Pour une bibliographie complète des récits de<br />
voyages, voir A. Florez, 2000 : 105-113 et G.R. Mejía Pavony, 2000 : 487- 488 (Crónicas,<br />
Memorias y Viajeros).<br />
<br />
Ibid. : 5.<br />
22<br />
Obscurantisme, fanatisme religieux, féodalisme viol<strong>en</strong>ce, pillage, esclavagisme…<br />
<br />
J. Arias Vanegas, 2005 : 14.<br />
24<br />
Voici quelques exemples importants, cités par M. Deas, 1993 : Diccionario Abreviado de<br />
Galicismos, Provincialismos y Correcciones de l<strong>en</strong>guaje (Rafael Uribe Uribe), les<br />
Apuntaciones críticas sobre el l<strong>en</strong>guaje bogotano (Rufino J. Cuervo), ou <strong>en</strong>core le Tratado de<br />
ortología y ortografía castellana (José Manuel Marroquín).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
291<br />
conquête » n’est plus le fait d’Europé<strong>en</strong>s, mais de leurs desc<strong>en</strong>dants américains 25 . Ce<br />
phénomène, moteur de la construction id<strong>en</strong>titaire des nations latino-américaines <strong>au</strong><br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, est <strong>au</strong>jourd’hui largem<strong>en</strong>t connu sous le terme de néo-colonialisme,<br />
expression dev<strong>en</strong>ue courante grâce <strong>au</strong>x Cultural Studies.<br />
<strong>Le</strong> cas précis du langage nous donne un premier exemple de cette contradiction<br />
<strong>en</strong>tre unité et différ<strong>en</strong>ce.Par la distinction <strong>en</strong>tre parler la langue, et la bi<strong>en</strong> parler –<br />
signe de h<strong>au</strong>te culture – l'élém<strong>en</strong>t unificateur devi<strong>en</strong>t un dispositif de différ<strong>en</strong>ciation.<br />
<strong>Le</strong> catholicisme est un <strong>au</strong>tre trait qui rallie fortem<strong>en</strong>t la nation. L’unité morale de<br />
cette religion intègre les différ<strong>en</strong>tes régions. <strong>Le</strong> catholicisme n'est pas perçu<br />
seulem<strong>en</strong>t comme une religion ; c'est <strong>au</strong>ssi un trait caractéristique et constitutif du<br />
caractère du peuple, dont les piliers sont le travail, la famille, la droiture, l’honnêteté,<br />
la sérénité et l’attitude de progrès 26 .<br />
Un dernier élém<strong>en</strong>t, cette fois affectif, vi<strong>en</strong>t consolider la nouvelle id<strong>en</strong>tité<br />
nationale. Il s’agit du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t patriotique, abs<strong>en</strong>t durant le passé colonial 27 , qui<br />
donne une portée s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tale à cette construction abstraite qu’est la Nation.<br />
Pour r<strong>en</strong>dre possible un culte à la nation, celle-ci doit être représ<strong>en</strong>tée et apparaître<br />
dans la vie de tous les jours. <strong>Le</strong>s hommes des deuxième et troisième générations nées<br />
sous la République – nous y retrouvons Ponce de <strong>Le</strong>ón, R. Pombo et les principales<br />
personnalités citées <strong>au</strong>x chapitres précéd<strong>en</strong>ts – sont acteurs et témoins de cette<br />
évocation du national qui r<strong>en</strong>d palpable la Nation à travers le quotidi<strong>en</strong>.<br />
Comm<strong>en</strong>t écrire la Nation ? Nous t<strong>en</strong>ons à signaler quelques étapes qui cherch<strong>en</strong>t à<br />
axer le pays <strong>au</strong>tour d'une idée unitaire nationale, et qui pourrai<strong>en</strong>t avoir une influ<strong>en</strong>ce<br />
sur la création artistique. La connaissance du passé est inhér<strong>en</strong>te à la création de la<br />
Nation. L'Histoire – même si elle est relue sous un regard sélectif – doit être connue<br />
de tous. Au cours des années 1870, un nouvel espace urbain à lecture patriotique se<br />
dessine à Bogotá. L’architecture d’une ville est le reflet d’un ordre imposé par un<br />
système social. <strong>Le</strong>s grands changem<strong>en</strong>ts soci<strong>au</strong>x ont donc des répercussions sur le<br />
paysage urbain 28 . Dans les années 1870, années de r<strong>en</strong>ouve<strong>au</strong> idéologique <strong>en</strong><br />
25 S. Castro-Gomez, 2005 : 214.<br />
26 J. Arias Vanegas, 2005 : 16.<br />
27 J. Jaramillo Uribe, 2001 : 36.<br />
28 G.R. Mejia Pavony, 200 : 195.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
292<br />
<strong>Colombie</strong>, les dirigeants tâch<strong>en</strong>t d’effacer de la mémoire collective des sites et des<br />
appellations <strong>en</strong>core rattachés <strong>au</strong> passé colonial.<br />
Il fallut un certain temps pour qu’une idéologie [nationaliste] puisse être transposée<br />
sur des <strong>en</strong>droits et des dénominations qui étai<strong>en</strong>t profondém<strong>en</strong>t gravés dans la<br />
consci<strong>en</strong>ce des habitants de la ville.<br />
C’est alors qu’apparaiss<strong>en</strong>t des monum<strong>en</strong>ts républicains (statues, mémori<strong>au</strong>x…),<br />
induisant le changem<strong>en</strong>t des noms des lieux publics 29 . <strong>Le</strong>s anci<strong>en</strong>nes places coloniales<br />
vouées à un saint devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des parcs, grande décoration mettant <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce la<br />
statue (patriotique) érigée tout <strong>au</strong> milieu. Si la place coloniale était la scène du<br />
quotidi<strong>en</strong> (marchés, prom<strong>en</strong>ades), le carré récemm<strong>en</strong>t ouvert se transforme <strong>en</strong> décor<br />
pour les nouve<strong>au</strong>x élém<strong>en</strong>ts du culte patriotique. Ainsi le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t patriotique<br />
devi<strong>en</strong>t concret ; il se visualise à travers les différ<strong>en</strong>ts monum<strong>en</strong>ts ; il se lit dans les<br />
différ<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>droits. Et à Bogotá de dev<strong>en</strong>ir un texte d’histoire patriotique à ciel<br />
découvert 30 !<br />
De cette époque dat<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t l’écriture de drames et de poésies qui puis<strong>en</strong>t leur<br />
thématique de la geste de la découverte et de la conquête dans une nouvelle vision qui<br />
minimise la viol<strong>en</strong>ce du passé. Nous avons évoqué le projet de Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
d’écrire un opéra sur le Conquistador Vasco Nuñez de Balboa. Parallèlem<strong>en</strong>t, la<br />
littérature de mœurs (literatura costumbrista) donne une nouvelle image polie de la<br />
vie dans les campagnes. Unité ou différ<strong>en</strong>ce ? Ces œuvres littéraires mett<strong>en</strong>t toujours<br />
<strong>en</strong> avant le contrepoint qu’il existe <strong>en</strong>tre le mode de vie du Bogotain et celui des<br />
<strong>au</strong>tres.<br />
Nous parv<strong>en</strong>ons <strong>en</strong>fin à caractériser le Bogotain dans cette construction id<strong>en</strong>titaire,<br />
et plus spécifiquem<strong>en</strong>t le Cachaco, personnage de l’aristocratie bogotaine, portant<br />
gants chape<strong>au</strong> et canne. C’est lui qui, de sa plume, écrit la Nation, mais demeure un<br />
personnage à part dans la construction id<strong>en</strong>titaire nationale. Il se réserve une place si<br />
particulière que des <strong>au</strong>teurs parl<strong>en</strong>t même de la mythologie d'une élite 31 .<br />
Qu’est-ce qui caractérise cette élite ? Avant tout, son éducation et sa richesse,<br />
condition si ne qua non pour écrire et créer. Mais il f<strong>au</strong>t <strong>au</strong>ssi avoir voyagé <strong>en</strong> Europe<br />
29 Pour citer un exemple, l’anci<strong>en</strong>ne Plazuela de San Francisco devi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1877 la Plaza de<br />
Santander qui, <strong>au</strong>jourd’hui <strong>en</strong>core, porte ce nom. (Ibid. : 200).<br />
30 Ibid : 204.<br />
31 Arias Vanegas, 2005 : 8.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
293<br />
et conserver une f<strong>en</strong>être ouverte sur le monde. <strong>Le</strong> Cachaco, rev<strong>en</strong>dique égalem<strong>en</strong>t son<br />
appart<strong>en</strong>ance <strong>au</strong> sang europé<strong>en</strong>, et participe à une nouvelle noblesse locale.<br />
Pour rasséréner le rapport avec le passé, la relation avec l'Espagne est marquée par<br />
la dé-passionnalisation à partir des années 1860 :<br />
Un des grands <strong>en</strong>jeux, pour les hommes de lettres, était de rétablir le passé espagnol<br />
et de le réconcilier avec le prés<strong>en</strong>t national 32 .<br />
Dans le nouve<strong>au</strong> contexte républicain, des élém<strong>en</strong>ts de distinction et de légitimation<br />
sociale qui appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à l'anci<strong>en</strong> régime espagnol sont remis à jours : être courtois,<br />
manipuler la langue, la grammaire, pratiquer des be<strong>au</strong>x-arts 33 …<br />
Cette élite littéraire, culturelle et politique, est généralem<strong>en</strong>t issue de familles<br />
europé<strong>en</strong>nes qui cherch<strong>en</strong>t à se différ<strong>en</strong>tier physiquem<strong>en</strong>t par la « pureté du sang 34 »,<br />
et cré<strong>en</strong>t une noblesse de la blancheur qui se replie sur soi-même. La rev<strong>en</strong>dication de<br />
racines europé<strong>en</strong>nes leur permet de se démarquer d'une population locale indigène qui<br />
est toujours t<strong>en</strong>ue, dans leur esprit, à l’état de barbarie. <strong>Le</strong>s hommes politiques et les<br />
artistes t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t même de s'inscrire dans une continuité historique. Certains voi<strong>en</strong>t une<br />
lignée directe <strong>en</strong>tre les Conquistadores et les Émin<strong>en</strong>ts de la Patrie, imp<strong>en</strong>sable<br />
quelques déc<strong>en</strong>nies plus tôt.<br />
Qui fur<strong>en</strong>t les décl<strong>en</strong>cheurs de l’Indép<strong>en</strong>dance ? Ce fur<strong>en</strong>t les desc<strong>en</strong>dants des<br />
conquistadores. L’indép<strong>en</strong>dance est donc la suite logique, provid<strong>en</strong>tielle, mais l<strong>en</strong>te,<br />
de la Conquête. […] Sans elle, le 20 juillet 1810 disparaîtrait à son tour.<br />
¿Yqui<strong>en</strong>esfueronlosiniciadoresdelaIndep<strong>en</strong>d<strong>en</strong>cia?Fueronlosdesc<strong>en</strong>di<strong>en</strong>tesde<br />
losmismosconquistadores.LaIndep<strong>en</strong>d<strong>en</strong>ciafue,portanto,eldesarrollológico,<br />
provid<strong>en</strong>cial,<strong>au</strong>nquel<strong>en</strong>to,delaconquista.[...]suprimidalaconquista,quedaría<br />
también,deconsigui<strong>en</strong>te,suprimidoel20deJuliode1810 35 .<br />
Cette nouvelle rev<strong>en</strong>dication des racines espagnoles est à la base d'une mythologie<br />
d'élite, excluant tout contact avec un passé indigène. Même le compositeur de<br />
musique n'y échappe pas. Nous avons vu comm<strong>en</strong>t R. Pombo, dans la biographie qu'il<br />
propose de Ponce de <strong>Le</strong>ón <strong>en</strong> 1874, n'hésite pas à <strong>en</strong> faire un soldat qui pr<strong>en</strong>d les<br />
armes <strong>au</strong> nom de la liberté de la Patrie. Ainsi, cette aristocratie essaie de reconstituer<br />
32<br />
« Un gran reto para los letrados consistió <strong>en</strong> rest<strong>au</strong>rar el pasado español y reconciliarlo con<br />
el pres<strong>en</strong>te nacional » (Ibid. : 7).<br />
33<br />
Arias Vanegas, 2005 : 13.<br />
34<br />
S. Castro Gómez, 2005 : 114.<br />
35<br />
R. Nuñez, cité par Arias Vanegas, 2005 : 8.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
294<br />
des expressions artistiques europé<strong>en</strong>nes, d’où l’importance que peut représ<strong>en</strong>ter la<br />
composition d’opéras <strong>en</strong> sol bogotain.<br />
Enfin, Bogotá apparaît comme l’<strong>en</strong>droit civilisé par excell<strong>en</strong>ce qui donne à la<br />
Nation l’exemple à suivre. La propreté est égalem<strong>en</strong>t une qualité de l’homme civilisé.<br />
On songera <strong>au</strong>x critiques incessantes adressées <strong>au</strong>x directeurs du Coliseo Maldonado<br />
pour pr<strong>en</strong>dre des mesures contre la saleté du théâtre, et à la façon dont sont saluées<br />
toutes les réformes qui amélior<strong>en</strong>t les loc<strong>au</strong>x. À travers l’un des personnages de sa<br />
comédie Un alcalde a la antigua y dos primos a la moderna, le poète Samper écrit :<br />
¡Quéciudadtancurrutaca<br />
esBogotá!Todoeslujo<br />
yriqueza,yabundancia;<br />
libertad…ygarantías…<br />
yord<strong>en</strong>…yaseo… 36 <br />
Tels sont donc les différ<strong>en</strong>ts élém<strong>en</strong>ts qui cherch<strong>en</strong>t à consolider une id<strong>en</strong>tité<br />
nationale p<strong>en</strong>dant les années 1870-1880. Inévitablem<strong>en</strong>t, comm<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>ser l’opéra<br />
dans ce contexte? Comm<strong>en</strong>t compr<strong>en</strong>dre un opéra dit « national » ? La patrie,<br />
dev<strong>en</strong>ue espace urbain visible, devi<strong>en</strong>t-elle égalem<strong>en</strong>t espace sonore ?<br />
L’opéra, celui qui arrive par vagues, par des voyageurs itali<strong>en</strong>s ou espagnols,<br />
contribue à déstabiliser une év<strong>en</strong>tuelle unité : la langue et la musique font appel à des<br />
connaissances dont seuls quelques-uns peuv<strong>en</strong>t se targuer. <strong>Le</strong> déroulem<strong>en</strong>t d’une<br />
soirée d’opéra s'accompagne de postures particulières, d’un choix du vestim<strong>en</strong>taire,<br />
de tout l’étalage d'une étiquette qui amplifie le fossé <strong>en</strong>tre différ<strong>en</strong>ts groupes soci<strong>au</strong>x.<br />
Même si le texte est chanté <strong>en</strong> espagnol, un public non initié reste <strong>en</strong> dehors des<br />
be<strong>au</strong>tés de la musique. Nous r<strong>en</strong>voyons <strong>au</strong>x lourdes critiques de R. Pombo sur<br />
l'attitude des spectateurs durant la saison de zarzuela grande de Josefa Mateo.<br />
Alors que certains mélomanes <strong>rêve</strong>nt de populariser l'opéra, le projet s’avère<br />
difficile <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>. La production de livrets, les critiques des spectacles, toute la<br />
production <strong>au</strong>tour du phénomène <strong>lyrique</strong> s’adresse à un public précis, public qui sait<br />
lire, qui possède des connaissances musicales, et par là se détache du grand <strong>en</strong>semble<br />
de la population. Un public qui est traité à tort de complice d’une « viol<strong>en</strong>ce<br />
symbolique » qui « hiérarchise la diversité musicale colombi<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> acceptant<br />
36 J. M. Samper, 1856/1936 : 83.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Quelle belle ville<br />
Est Bogotá ! Tout y est luxe<br />
Et richesse et abondance ;<br />
Liberté… garanties…<br />
Ordre… et propreté…
295<br />
certaines expressions comme valables et <strong>en</strong> niant la prés<strong>en</strong>ce d’<strong>au</strong>tres 37 ».<br />
Paradoxalem<strong>en</strong>t, c’est la musique de Ponce qui sera rejetée avec viol<strong>en</strong>ce <strong>au</strong> début du<br />
XX e <strong>siècle</strong> par une intellig<strong>en</strong>tsia désormais <strong>en</strong> quête de racines populaires.<br />
Quels élém<strong>en</strong>ts « nation<strong>au</strong>x » peut-on retrouver dans la production <strong>lyrique</strong> de Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón ? La géographie et l’histoire – empreintes indiscutables du national – ne<br />
donn<strong>en</strong>t naissance à <strong>au</strong>cun de ses opéras. Qu’il s’agisse de la Perse Antique ou de<br />
l’Espagne médiévale, les <strong>au</strong>teurs r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t à un Ailleurs imaginaire. Même<br />
l’insituable – et intemporel – Castillo misterioso ne trouve pas sa place dans la<br />
campagne colombi<strong>en</strong>ne : il est fait allusion à un châte<strong>au</strong>-fort, construction qui<br />
caractérise un paysage rural europé<strong>en</strong>. Si Ponce de <strong>Le</strong>ón avait terminé son Bolívar,<br />
l’histoire de l’opéra <strong>en</strong> <strong>au</strong>rait peut-être été changée !<br />
La langue espagnole crée une cohér<strong>en</strong>ce avec le cadre d’origine. Pourtant, les<br />
livrets raffinés et soignés évit<strong>en</strong>t <strong>au</strong>tant que possible toute couleur locale. Et puis, du<br />
vivant de leurs créateurs, Ester et Florinda fur<strong>en</strong>t chantés <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> par des Itali<strong>en</strong>s.<br />
L’opéra-bouffe Un alcalde a la Antigua mérite ici une place à part. Mise <strong>en</strong> musique<br />
d’une comédie de mœurs, différ<strong>en</strong>ts dialectes région<strong>au</strong>x apparaiss<strong>en</strong>t dans le texte<br />
littéraire. Mais c’est là une expéri<strong>en</strong>ce sans l<strong>en</strong>demain dans l’œuvre de Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón. Pourtant, le public <strong>au</strong>rait-il accepté l’espagnol comme langue musicale ?<br />
… les paroles <strong>en</strong> espagnol, toujours considérées incompatibles avec le g<strong>en</strong>re de cette<br />
œuvre, comme la sainte messe dite <strong>en</strong> espagnol qui, nous dit-on, ne peut pas s’écouter<br />
avec dévotion.<br />
yconpalabrasespañolas,quesiempresehabíanconsideradoincompatiblesconel<br />
bu<strong>en</strong>efectodelgénerodeestaobra,comolasantamisadicha<strong>en</strong>castellano,que<br />
asegurannopuedeoírsecondevoción 38 .<br />
Ni le religieux, ni le patriotique n’<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> jeu dans le répertoire étudié. Nous<br />
avons qualifié le religieux d’Ester de lég<strong>en</strong>daire. Et même si des scènes de prières et<br />
des chants patriotiques apparaiss<strong>en</strong>t dans tous les ouvrages de Ponce, cela répond<br />
davantage à un effet att<strong>en</strong>du de l’opéra romantique.<br />
Pourtant, c’est un devoir « patriotique » que de sout<strong>en</strong>ir le compositeur :<br />
37 A. M. Ochoa, 2002 : 54.<br />
38 « El nuevo triunfo de Ponce de <strong>Le</strong>ón » (Flor<strong>en</strong>cio [R. Pombo]), El Tradicionista (V.491),<br />
2 mai 1876: 1381.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
296<br />
L’amour patriotique […] nous inspire la certitude qu’il n’y <strong>au</strong>ra ni voix ni mains à<br />
Bogotá qui ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dre un juste hommage […] à Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Elamorpatrio[…]nosinspiralaseguridaddequ<strong>en</strong>oquedarajardínnivoznimanos<br />
<strong>en</strong>Bogotáqu<strong>en</strong>oacudanar<strong>en</strong>direlmerecidotributoa[…]Poncede<strong>Le</strong>ón 39 .<br />
Enfin, la musique elle-même se développe à l'ombre de diverses esthétiques<br />
<strong>lyrique</strong>s qui embrass<strong>en</strong>t une large palette allant de Rossini à Verdi. Mais là <strong>en</strong>core,<br />
<strong>au</strong>cune sonorité nationale n’intervi<strong>en</strong>t dans ces opéras, s<strong>au</strong>f quelques brèves<br />
évocations rythmiques du bambuco, noyées dans une musique italianisante. La<br />
musique de Ponce de <strong>Le</strong>ón – à l’image du syncrétisme culturel qui caractérise les<br />
musiques latino-américaines – se prés<strong>en</strong>te comme un cond<strong>en</strong>sé de l’esthétique<br />
itali<strong>en</strong>ne de l’opéra, influ<strong>en</strong>cée par la France :<br />
Nous admirons <strong>en</strong> lui ce mouvem<strong>en</strong>t spontané et ce style original qui s'exerçait et<br />
s’ét<strong>en</strong>dait dans une sorte d’école éclectique de composition : légère et incisive<br />
comme les Français ; t<strong>en</strong>dre et douce dans sa mélodie comme les Itali<strong>en</strong>s ; comme les<br />
Indigènes, primitive et mélancolique ; <strong>en</strong>fin, <strong>au</strong>th<strong>en</strong>tique et profondém<strong>en</strong>t dramatique<br />
comme les Allemands.<br />
Loquemáshabía<strong>en</strong>éleramovimi<strong>en</strong>toespontáneoysujetopropio,queejercitabay<br />
expandí<strong>au</strong>naespeciedeescuelaeclécticadecomposición:yaligeraeincisivacomo<br />
lafrancesa;yatiernayfluida<strong>en</strong>melodíacomolaitaliana;ya,comolaindíg<strong>en</strong>a,<br />
primitiva y melancólica; ya, <strong>en</strong> fin, literal y profundam<strong>en</strong>te dramática como la<br />
alemana 40 .<br />
Tout <strong>au</strong> long de ce débat qui s’échelonne sur près d’une déc<strong>en</strong>nie, il n’est pas<br />
question de musique nationale <strong>au</strong> sein de cet opéra national. Ce n’est qu’<strong>en</strong> 1893 que<br />
l’att<strong>en</strong>tion est attirée sur le fait qu’il existe une musique nationale ; que cette musique<br />
pourrait être le substrat musical des œuvres à v<strong>en</strong>ir :<br />
En songeant à la nationalité de Florinda nous nous sommes dit (comme de nombreux<br />
<strong>au</strong>teurs) : il est grand dommage que Ponce n’ait pas profité de notre musique<br />
nationale, modelant dans un style plus noble les cantilènes avec lesquelles notre<br />
peuple trouve la satisfaction complète de ses s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts…<br />
al p<strong>en</strong>sar nosotros <strong>en</strong> la nacionalidadde Florinda nos dijimos (y esto lo dic<strong>en</strong><br />
mucho):eslástimaymuygrandeporciertoquePonc<strong>en</strong>ohubierasacadopartido<br />
d<strong>en</strong>uestramúsicanacionalamoldando<strong>au</strong>nestilomásnoblelascantil<strong>en</strong>as<strong>en</strong>que<br />
nuestropueblo<strong>en</strong>cu<strong>en</strong>tracompletamanifestacióndesuss<strong>en</strong>timi<strong>en</strong>tos… 41 <br />
39<br />
« Novedad artística », Diario de Cundinamarca (V.1370), 30 juin 1874 : 789.<br />
40<br />
R. Pombo, 1883 : 199.<br />
41<br />
« Revista de Teatro – Florinda » (San Ciro), El Telegrama (VII.2023), 25 juillet 1893 :<br />
8059.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
297<br />
L’<strong>au</strong>teur justifie Ponce de <strong>Le</strong>ón qui a choisi une musique propice à l’action d’une<br />
Florinda qui n’est pas américaine. Cette réflexion sur la musique nationale est<br />
imp<strong>en</strong>sable <strong>en</strong> 1880. La musique, <strong>en</strong> 1880, est <strong>en</strong>core une, quelle soit colombi<strong>en</strong>ne ou<br />
europé<strong>en</strong>ne. Mais avec la délimitation <strong>en</strong>tre un répertoire populaire et savant qui<br />
s’opère à partir des années 1880, le débat esthétique sur la musique nationale est<br />
lancé. Jusque dans les années 1930, les deux répertoires vont connaître un véritable<br />
affrontem<strong>en</strong>t esthétique, même si le populaire devi<strong>en</strong>t le substrat thématique et<br />
rythmique de la musique académique. Il f<strong>au</strong>t att<strong>en</strong>dre 1943 pour qu’un <strong>au</strong>tre<br />
compositeur colombi<strong>en</strong> signe un nouvel opéra : Uribe Holguín. Son ouvrage<br />
Furat<strong>en</strong>a s’inscrit dans ce mouvem<strong>en</strong>t indigéniste des années tr<strong>en</strong>te et quarante qui<br />
cherche à nourrir la musique de ses racines locales.<br />
Pris <strong>en</strong>tre des pôles opposés, il est sans doute difficile pour le musici<strong>en</strong> de p<strong>en</strong>ser le<br />
national dans la musique. D’<strong>au</strong>tant plus que le contexte hégémonique dans lequel<br />
évolue Ponce <strong>en</strong>courage l’imitation de l’europé<strong>en</strong> :<br />
Éduqués théoriquem<strong>en</strong>t et techniquem<strong>en</strong>t dans le modèle europé<strong>en</strong>, les musici<strong>en</strong>s<br />
colombi<strong>en</strong>s (et <strong>en</strong> général latino-américains) ont assumé l’expéri<strong>en</strong>ce vitale<br />
europé<strong>en</strong>ne, avec le conflit interne de vouloir être « Colombi<strong>en</strong>s » <strong>en</strong> ayant été<br />
formés <strong>en</strong> Europe, ou <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>, <strong>en</strong> tant qu’Europé<strong>en</strong>s 42 .<br />
Opéra national ? Mais où est donc le national ? C’est <strong>en</strong> visant une réponse à cette<br />
question que le terme même de nation subit une nouvelle ouverture, permet une<br />
nouvelle assertion qui laisse voir <strong>en</strong> quoi l’opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón a pu être qualifié<br />
de national.<br />
Santiago Pérez Triana (1858-1916), écrivain colombi<strong>en</strong>, propose une définition de<br />
cette nation <strong>en</strong> accord avec son époque. Selon cet <strong>au</strong>teur, la Nation relève d’avantage<br />
de l’« accid<strong>en</strong>t géographique ». Il s’agit d’un espace dans lequel les différ<strong>en</strong>tes<br />
personnes partag<strong>en</strong>t « une commun<strong>au</strong>té d'aspirations, une id<strong>en</strong>tité d'idé<strong>au</strong>x 43 . »<br />
Celles-ci se considèr<strong>en</strong>t elles-mêmes comme des Europé<strong>en</strong>s d'outre-mer 44 et adopt<strong>en</strong>t<br />
un mode de vie à l'europé<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> récréant les différ<strong>en</strong>tes expressions artistiques,<br />
politiques et administratives.<br />
42 « Educados teóricam<strong>en</strong>te y técnicam<strong>en</strong>te <strong>en</strong> el modelo europeo, los músicos colombianos (y<br />
<strong>en</strong> g<strong>en</strong>eral latinoamericanos), asumieron la experi<strong>en</strong>cia vital europea, con el conflicto interior<br />
de querer ser “colombianos”, habiéndose formado <strong>en</strong> Europa, o <strong>en</strong> Colombia como<br />
Europeos. » (B Yépez, 1998 : 4).<br />
43 Cité par Arias Vanegas, 2005 : 19.<br />
44 Ibid. : 21<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
298<br />
C’est ainsi une id<strong>en</strong>tité transnationale qui se dessine. Dans les années 1870, la<br />
culture europé<strong>en</strong>ne, perçue comme prolongation des civilisations gréco-romaines,<br />
produit une telle fascination dans l’imaginaire novo-gr<strong>en</strong>adin, que les désirs et<br />
aspirations sont de pouvoir l’imiter :<br />
La culture europé<strong>en</strong>ne est dev<strong>en</strong>ue séduction ; elle donnait l’accès <strong>au</strong> pouvoir. Après<br />
tout, <strong>au</strong>-delà de la répression, l’outil principal de tout pouvoir est la séduction.<br />
L’européanisation culturelle est dev<strong>en</strong>ue une aspiration. C’était une façon de<br />
participer <strong>au</strong> pouvoir colonial 45 .<br />
La création d’une id<strong>en</strong>tité nationale pr<strong>en</strong>d un s<strong>en</strong>s grâce à un rése<strong>au</strong> de t<strong>en</strong>sions<br />
<strong>en</strong>tre divers pôles : unité et différ<strong>en</strong>ce ; métropole et régions ; <strong>au</strong>tochtone et<br />
allochtone ; civilisation et barbarie 46 . Mais les différ<strong>en</strong>ces sont telles <strong>au</strong> sein du<br />
territoire que cette représ<strong>en</strong>tation unitaire n’<strong>au</strong>ra pas lieu. Encore <strong>en</strong> 1991, la nouvelle<br />
constitution politique de la <strong>Colombie</strong> précise : « L’État est organisé sous forme de<br />
République unitaire […] pluraliste ».<br />
On pourra parler de la victoire d’une classe dominante durant tout le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Une élite qui écrit la nation, lui confère les traits qu’elle souhaite lui voir attribuer,<br />
pour <strong>en</strong> faire un état <strong>en</strong> marche vers la mondialisation. L'opéra – qu'il soit itali<strong>en</strong> ou<br />
colombi<strong>en</strong> – participe à cette t<strong>en</strong>sion <strong>en</strong> apportant un élém<strong>en</strong>t étranger construit in<br />
situ.<br />
<strong>Le</strong>s années comprises <strong>en</strong>tre 1910 et 1949 constitu<strong>en</strong>t un second mom<strong>en</strong>t fort dans la<br />
musique colombi<strong>en</strong>ne. La voix populaire, balbutiante <strong>en</strong> 1880, est à prés<strong>en</strong>t<br />
ret<strong>en</strong>tissante. <strong>Le</strong> malaise id<strong>en</strong>titaire, porté à son paroxysme, trouve une issue dans la<br />
réhabilitation des formes d’expression du peuple. En musique, le bambuco devi<strong>en</strong>t<br />
une véritable borne id<strong>en</strong>titaire, point d’ancrage commun <strong>au</strong>x musici<strong>en</strong>s populaires ou<br />
savants. Alors que les écrivains remett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> place un discours sur la race (José<br />
Martí), sur l’indigène (José Carlos Mariátegui), sur l’hémorragie <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tale<br />
(La Vorágine de José Eustasio Rivera), on peut bi<strong>en</strong> imaginer que dans ce contexte<br />
ariéliste 47 , ni Ester, ni les compositions de <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> n’ai<strong>en</strong>t du mérite <strong>au</strong>x yeux des<br />
45 « La cultura europea se convirtió <strong>en</strong> seducción; daba acceso al poder. Después de todo, más<br />
allá de la represión, el instrum<strong>en</strong>to principal de todo poder es la seducción. La europeización<br />
cultural se convirtió <strong>en</strong> una aspiración. Era un modo de participar <strong>en</strong> el poder colonial. . »<br />
(A. Quijano, 1992 : 439)<br />
46 Ibid. : 13.<br />
47 D’après Ariel de J. E. Rodó (1900) ; dans la tradition ariéliste, le « rôle de l’américain est<br />
associé à une tradition qui lui est propre, <strong>en</strong> accord avec un passé héroïque, […] <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>dant<br />
et conceptualisant certaines valeurs éthiques et esthétiques » (A. Ríos, 2002 : 7).<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
299<br />
musici<strong>en</strong>s. Période de questionnem<strong>en</strong>ts, de tabula rasa – « O inv<strong>en</strong>tamos o<br />
erramos 48 » – la véritable Histoire devi<strong>en</strong>t le point de croisem<strong>en</strong>t de plusieurs histoires<br />
jusque là passées sous sil<strong>en</strong>ce par une culture lettrée élitiste.<br />
Quelle place f<strong>au</strong>t-il accorder à l’expéri<strong>en</strong>ce de Ponce de <strong>Le</strong>ón face à cette t<strong>en</strong>dance<br />
qui t<strong>en</strong>d vers le national-populaire ? <strong>Le</strong> débat prés<strong>en</strong>té ici trouve sa continuation de<br />
nos jours dans les études culturelles latino-américaines 49 .<br />
<strong>Le</strong> XX e <strong>siècle</strong> musical <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong>rait-il <strong>en</strong>seveli le souv<strong>en</strong>ir de c<strong>en</strong>t ans de<br />
musique ? Peut-être pouvons-nous alors nous reconnaître dans l’image de<br />
« l’intellectuel moderne qui présuppose l’omniprés<strong>en</strong>ce de l’Erreur, définie comme<br />
superstition, mystification, ignorance, idéologie de classe ou idéalisme<br />
philosophique 50 ».<br />
Juan Crisóstomo Osorio, professeur de Ponce de <strong>Le</strong>ón, est l’<strong>au</strong>teur de la première<br />
esquisse d’une histoire de la musique <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>en</strong> 1879. Il écrit :<br />
Aujourd’hui la musique se trouve très développée. Elle n’est pas nationale, mais elle<br />
est là.<br />
Hoylamúsicase<strong>en</strong>cu<strong>en</strong>tramuyadelantada;noesnacional,peroacáesta 51 .<br />
La réponse sera controversée dans les déc<strong>en</strong>nies suivantes. Plusieurs t<strong>en</strong>dances<br />
folklorisantes ou néo-classiques rev<strong>en</strong>diqueront leur <strong>au</strong>th<strong>en</strong>ticité nationale. À son<br />
tour, l’opéra sera investi d’un pouvoir id<strong>en</strong>titaire <strong>en</strong> Amérique Latine. Vers la fin du<br />
<strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> apparaiss<strong>en</strong>t les premiers ouvrages <strong>lyrique</strong>s <strong>en</strong> espagnol sur une<br />
thématique indigène : Atahualpa (1877 <strong>au</strong> Pérou) de l’Itali<strong>en</strong> Carlo Enrico Pasta ;<br />
Guatimotzin (1871) et Azimba (1900) des Mexicains Aniceto Ortega et Gustavo<br />
Campa ; La Pampa (1897) et Yupanqui (1899) de l’Arg<strong>en</strong>tin Arturo Berutti ; L<strong>au</strong>taro<br />
(1902) d’Heliodoro Ortiz de Zárate et C<strong>au</strong>policán (1905) de Remigio Acevedo<br />
Gajardo <strong>au</strong> Chili. La plupart de ces ouvrages – dont la liste est bi<strong>en</strong> plus importante –<br />
mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> scène, par le biais de l’amour, la r<strong>en</strong>contre <strong>en</strong>tre les deux mondes. Nous<br />
assistons ainsi à une <strong>au</strong>th<strong>en</strong>tification, vue cette fois du côté américain, de la geste<br />
hispanique de la Conquête. Que de différ<strong>en</strong>ce avec l’image exotique donnée par <strong>Le</strong>s<br />
48 « Ou nous inv<strong>en</strong>tons ou nous errons ». Phrase qui résume à elle seule les Sociedades<br />
americanas <strong>en</strong> 1828 de Simón Rodríguez (Ibid.)<br />
49 Ibid. : 2.<br />
50 Moreiras, 1998 : 17.<br />
51 J. C. Osorio, 1879.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
300<br />
Indes galantes, les différ<strong>en</strong>ts Montezuma, Fernand Cortés ou Pizarre qui brill<strong>en</strong>t sur<br />
le théâtre europé<strong>en</strong> tout <strong>au</strong> long des XVIII e et <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>s 52 .<br />
De nos jours, la musicologie latino-américaine s’intéresse d’avantage <strong>au</strong>x musiques<br />
dites populaires, subalternes, peu connues et qui ont souffert du regard sévère d’un<br />
groupe d’érudits. Il ne sera pas exagéré d’assimiler l’opéra d’Amérique Latine à ces<br />
expressions demeurées dans le sil<strong>en</strong>ce. Bi<strong>en</strong> que notre corpus d’étude, privilégié par<br />
l’écriture, la partition et la docum<strong>en</strong>tation d’époque, ne nous demande pas une<br />
démarche de ré-historier l’histoire 53 , il f<strong>au</strong>t cep<strong>en</strong>dant démolir des lég<strong>en</strong>des<br />
officielles et rev<strong>en</strong>ir à un point zéro pour l’étude du passé musical.<br />
Profitant du regard transdisciplinaire qui <strong>en</strong>richit la vision analytique<br />
contemporaine, l’étude des opéras, <strong>en</strong> tant que production de symboles, vi<strong>en</strong>dra<br />
compléter le panorama qu’établiss<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t les études culturelles latino-<br />
américaines sur le <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>, mom<strong>en</strong>t de germination des différ<strong>en</strong>ts États-Nations<br />
dans le contin<strong>en</strong>t.<br />
Tout comme Ester, El Castillo misterioso ou Florinda, l’opéra latino-américain<br />
constitue un patrimoine culturel qui sommeille dans la pénombre et qui att<strong>en</strong>d de la<br />
musicologie la possibilité d’une nouvelle résurrection. Son éveil pourra fournir une<br />
pierre de touche dans la connaissance de la culture colombi<strong>en</strong>ne du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>.<br />
Pourtant, notre ambition <strong>en</strong> tant que chercheur et interprète, est de pouvoir reconduire<br />
ces ouvrages sur les scènes des théâtres d’opéras. Et de rompre la condamnation <strong>au</strong><br />
sil<strong>en</strong>ce :<br />
Ses messes, ses hymnes et opéras, ses symphonies et ouvertures, tous condamnés à ne<br />
pas être joués ni à résonner correctem<strong>en</strong>t, si ce n’est dans la fantaisie du compositeur.<br />
Sus misas, sus himnos y óperas, sus sinfonías y oberturas de capricho, todo<br />
cond<strong>en</strong>ado a no ejecutarse ni resonar debidam<strong>en</strong>te sino <strong>en</strong> la fantasía de su<br />
compositor 54 .<br />
52 <strong>Le</strong>s Indes galantes de Rame<strong>au</strong> (1735) ; Montezuma de Vivaldi (1733) puis de Gr<strong>au</strong>n<br />
(1755) ; Fernand Cortés de Spontini (1809) ; Pizarre de Candeille (1785)…<br />
53 P. Vila, 2002 : 37.<br />
54 « Música sagrada », Papel periódico ilustrado (II.37), avril 1883 : 203.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Annexes<br />
301<br />
7. AnnexeI.Cal<strong>en</strong>drier<strong>lyrique</strong>desopérasinterprétés<br />
àBogotá<br />
Grâce <strong>au</strong>x différ<strong>en</strong>ts périodiques consultés à Bogotá, nous avons pu établir le<br />
cal<strong>en</strong>drier <strong>lyrique</strong> suivant, concernant six saisons importantes d’opéra (1865, 1866,<br />
1874, 1876, 1878 et 1880). Signalons que nous n’avons pas regardé la presse des<br />
années 1867 à 1873 (séjour de Ponce de <strong>Le</strong>ón à <strong>Paris</strong> et peu d’activité <strong>lyrique</strong>). <strong>Le</strong>s<br />
informations que nous prés<strong>en</strong>tons ci-dessous ne sont pas exh<strong>au</strong>stives : la presse<br />
docum<strong>en</strong>tait de façon inégale les différ<strong>en</strong>ts spectacles d’une saison. Cep<strong>en</strong>dant le<br />
cal<strong>en</strong>drier <strong>lyrique</strong> nous donne une idée importante de l’activité des spectacles,<br />
semaine après semaine, lorsqu’une compagnie s’établissait à Bogotá.<br />
7.1. CompagnieSindiciIsaza(1865)<br />
Répertoire : La sonnambula (Bellini) ; Maria de Rohan, Lucia di Lammermoor,<br />
Don Pascuale (Donizetti) ; La Traviata, Il trovatore (Verdi).<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón est souffleur lors de cette saison d’opéra.<br />
Date Opéra Interprètes Sources 1<br />
(?) janvier Maria de Rohan Opin 103,<br />
Jeudi 26 janvier La Traviata Assunta Mazzetti.<br />
Dimanche 29<br />
janvier<br />
B<strong>en</strong>eficio de Achiardi<br />
105<br />
Opin.103,<br />
104<br />
Il trovatore Opin. 104<br />
Jeudi 2 février Función mixta lírica Bénéfice de M. Visoni Opin.104<br />
Dimanche 5<br />
février<br />
Dimanche 5<br />
février<br />
Jeudi 9 (?)<br />
février<br />
(Función dramática)<br />
Blanca i Rujiero<br />
Bénéfice de l’acteur Eloi<br />
Izáziga<br />
Opin.104<br />
Maria de Rohan Mazzetti Opin. 105<br />
(Función dramática)<br />
Blanca i Rujiero<br />
Bénéfice de l’acteur Eloi<br />
Izáziga<br />
Jeudi 2 mars La sonnambula Mlle. Bellini (Amina), Sindici<br />
(Elvino), Petrilli (conde Rodolfo).<br />
1 Sources : La Opinión<br />
Chef d’orchestre : Isaza<br />
Opin.105<br />
Opin. 109<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
302<br />
Dimanche 5 mars Sonnambula Opin. 110<br />
Mercredi 19<br />
avril<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
2 e Saison d’abonnem<strong>en</strong>t<br />
Don Pascuale M. et Mme. Bellini, Sindici,<br />
Petrilli<br />
Jeudi 2 mai Il trovatore Mlle. Bellini (<strong>Le</strong>onor), M.<br />
Bellini (Azuc<strong>en</strong>a), Petrilli<br />
(di Luna), Sindici (Manrico).<br />
Opin.136<br />
Opin. 119<br />
Mardi 7 mai Il trovatore Opin. 119<br />
Dimanche (2?)<br />
juillet<br />
Lucia Mlle. Bellini, Sindici Opin.126<br />
Jeudi 6 juillet Lucia (2ª) Opin.126<br />
Samedi 27<br />
juillet<br />
Jeudi 21<br />
septembre<br />
V<strong>en</strong>dredi 29<br />
septembre<br />
La Traviata<br />
17 décembre Un Alcalde a la<br />
AUTRES<br />
Función mixta Bénéfice de Sindici Opin. 138<br />
Un ballo in maschera Bénéfice de Mme. Visoni Opin. 138<br />
antigua i dos primos a<br />
la moderna, J.M.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
7.2. CompagnieCavaletti(1866)<br />
Teatro del Colegio del Espíritu Santo –<br />
ejecutado por familiares y amigos del<br />
compositor<br />
Répertoire : Norma (Bellini) ; Lucia di Lammermoor, Lucrezia Borgiak, La figlia<br />
del reggim<strong>en</strong>to (Donizetti) ; Il trovatore, La Traviata, Rigoletto (Verdi) ; El Vizconde<br />
(Ponce de <strong>Le</strong>on).<br />
Date Opéra Interprètes Sources<br />
2<br />
29 novembre 1866 La Traviata Mjr.54<br />
Samedi 1 er décembre La Traviata.<br />
Dimanche 2 décembre Il trovatore<br />
? Rigoletto<br />
Cavaletti, Visoni; Tirado,<br />
Campagnoli, Lusia<br />
Jeudi 13 décembre Il trovatore Cavaletti (<strong>Le</strong>onor), Visoni,<br />
Dimanche 16<br />
décembre<br />
Il trovatore<br />
(Azuc<strong>en</strong>a), Tirado,<br />
Campagnoli, Luisia<br />
Iris.19, 20<br />
Mjr.49<br />
Iris.22<br />
Mjr.54<br />
Jeudi 20 décembre Rigoletto + Epifanio Garai (Conde de Mjr.54<br />
2 Sources : El Iris ; el M<strong>en</strong>sajero.
Jeudi 27 décembre Lucia di<br />
Dimanche 6 janvier<br />
1867<br />
Lammermoor<br />
Monterone)<br />
Cavaletti, Tirado, Luisia,<br />
E. Garai (Raimundo)<br />
Lucrezia Borgia Cavaletti, Visoni, Tirado,<br />
Luisia, Campagnoli<br />
Dimanche 13 janvier Ernani Cavaletti, Campagnoli, Tirado,<br />
Luisia, Dominguez<br />
Jeudi 17 janvier Norma Cavaletti, Visoni, Tirado,<br />
303<br />
Mjr.55, 59<br />
Mjr.59<br />
Mjr.68<br />
Mjr.73<br />
Dimanche 20 janvier Norma Luisia<br />
Mjr.73<br />
Jeudi 24 janvier 1867 Lucrezia Borgia.<br />
Création de la<br />
zarzuela El<br />
Vizconde de Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón.<br />
? Lucia di<br />
Lammermoor<br />
? La figlia del<br />
regim<strong>en</strong>to<br />
Cavaletti, Visoni, Tirado,<br />
Campagnoli, Luisia.<br />
Cavaletti, Visoni, Garai,<br />
Barriga<br />
Mjr.73, 76<br />
Cavaletti, Rossi Mjr.102<br />
Cavaletti, Rossi<br />
Tirado, Campagnoli,<br />
H.Barriga,<br />
7.3. CompagnieRossid’Achiardi(1874)<br />
Mjr.102<br />
Répertoire : Norma, Beatrice de T<strong>en</strong>da, Julieta i Romeo (Bellini) ; Ernani, Attila,<br />
Nabucco ; Il trovatore ; La Traviata ; Rigoletto, (Verdi) ; Lucrezia Borgia, Lucia di<br />
Lammermoor, L’Elisir d’amore, Gemma di Vergy, Poliuto (Donizetti) ; Jone (E.<br />
Petrella) et Ester (Ponce de <strong>Le</strong>ón).<br />
Date Opéra Interprètes Source 3<br />
Jeudi 1 er janvier Ernani [ouverture de la saison] DC.1221<br />
Dimanche 4<br />
janvier<br />
Ernani Fiorellini (Elvira) ; Colucci, Zuchi<br />
(Carlos V), Pelleti (basse), Enrico<br />
Daville (décors).<br />
Jeudi 8 janvier Il trovatore Felicita Forlivesi. Fiorellini. Colucci,<br />
Zuchi, Pelleti<br />
DC.1225<br />
DC.1226<br />
DC.1226<br />
DC.1228<br />
DC.1228<br />
(1&2)<br />
DC.1232<br />
Jeudi 15 janvier Norma Fiorellini, Forliveci, DC.1236<br />
3 Sources : Diario de Cundinamarca et El Tradicionista<br />
DC.1238<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
304<br />
Dimanche 18<br />
janvier<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Norma Colucci (Polion), Pelleti (Oroveso) DC.1236<br />
DC.1238<br />
Jeudi 22 janvier Atila Fiorellini, Colucci, Zuchi, Pelleti DC.1238<br />
Dimanche 25<br />
janvier<br />
Jeudi 29 janvier Lucia di<br />
Dimanche 1er<br />
février<br />
DC.1242<br />
DC.1244<br />
Atila DC.1244<br />
Lammermoor<br />
Fiorellini (Lucia), Colucci (Edgardo),<br />
Zucchi, Pelleti. Juan Dominguez<br />
DC.1244<br />
DC.1248<br />
DC.1249<br />
Ernani DC.1248<br />
Jeudi 5 février Lucia... DC.1254<br />
Dimanche 8 février Il trovatore DC.1254<br />
Jeudi 12 février Lucrezia Borgia Arrivée et début de Marina de Thiolier,<br />
Forlivesi, Colucci, Pelleti. E.Luisia<br />
Dimanche 15<br />
février<br />
DC.1256<br />
DC.1256<br />
DC.1262<br />
Lucrezia Borgia DC.1262<br />
Jeudi 19 février Norma Florellini DC.1265<br />
Dimanche 22<br />
février<br />
DC.1286<br />
La Traviata Sra. Forlivesi (Flora) DC.1265<br />
Jeudi 26 février La Traviata Fiorellini de Balma DC.1271<br />
? Lucrezia Borgia DC.1275<br />
Jeudi 5 mars??? Poliuto Thiolier; Colucci, Pelleti y Zuchi DC.1278<br />
Dimanche 8 mars La Traviata Fiorellini, Forlivesi; Colucci (Alfredo),<br />
Zuchi (Germont) et Pelletti<br />
DC.1279<br />
DC.1281<br />
DC.1286<br />
Jeudi 12 mars La Traviata DC.1279<br />
DC.1281<br />
DC.1286<br />
Dimanche 15 mars La Traviata DC.1286<br />
Dimanche 5 avril<br />
Il trovatore Fiorellini, Forlivesi; Colucci, Pelleti DC.1301<br />
Lundi 6 avril Jone Thiolier (Jone), Forlivesi (Nidia) ;<br />
Colluci (Gl<strong>au</strong>co), Zucchi (Arbace,<br />
Jeudi 9 avril?? Jone<br />
barit.) et Pelletti (Burbo, bajo); Daville<br />
(décors)<br />
DC.1302<br />
DC.1301<br />
DC.1302<br />
Dimanche 12 avril Jone DC.1306<br />
Jeudi 16 avril La Traviata DC.1306<br />
Jeudi 23 avril Rigoletto Thioler, Colucci ; Pedro Achiardi DC.1316<br />
Pâques
Dimanche 26 avril Rigoletto Bénéfice de d’Achiardi DC.1316<br />
Jeudi 30 avril L’elisir d’amore Thiolier (Adina), Colucci (Nemorino),<br />
Zucchi, Pelleti.<br />
305<br />
DC.1322<br />
Dimanche 3 mai L’elisir d’amore DC.1322<br />
Jeudi 7 mai Julieta i Romeo DC.1329<br />
Dimanche 10 mai Atila DC.1329<br />
DC.1330<br />
Jeudi 14 mai Jone DC.1330<br />
Dimanche 17 mai Jone DC.1330<br />
DC.1336<br />
Jeudi 28 mai Jone Bénéfice de Giovani Colucci DC.1343<br />
Dimanche 31 mai Julieta i Romeo Fiorellini, Forlivesi, Colucci, Pelleti<br />
Zucchi<br />
Jeudi 4 juin La Traviata Bénéfice de Giovanni Zucchi (ajout du<br />
grand duo de I Puritani)<br />
DC.1345<br />
DC.1351<br />
DC.1345<br />
DC.1349<br />
DC.1349<br />
DC.1350<br />
Dimanche 7 juin Nabuco DC.1350<br />
DC.1352<br />
Jeudi 11 juin Nabuco DC.1352<br />
Dc.1357<br />
Dimanche 14 juin Norma DC.1357<br />
Dimanche 21 juin Il trovatore DC.1364<br />
Jeudi 25 juin Rigoletto Bénéfice d‘Augusto Pelleti DC.1365<br />
Jeudi 2 juillet (9<br />
pm)<br />
Ester Bénéfice de Fiorellini ; Colucci,<br />
Pelletti, Zucchi ; Achiardi<br />
DC.1370<br />
DC.1373<br />
Dimanche 5 juillet Ester DC.1377<br />
Jeudi 9 juillet Ester DC.1377<br />
DC.1398<br />
Jone Bénéfice de Forlivesi DC.1383<br />
Mercredi 22 juillet Rigoletto DC.1367<br />
7.4. CompagniedeJosefaMateo(1876)<br />
Répertoire : El relámpago (Barbieri / Camprodón), El sarg<strong>en</strong>to Federico, zarzuela<br />
<strong>en</strong> 4 actos (Barbieri / Olona), El secreto de una dama, zarzuela <strong>en</strong> 3 actos (Barbieri/<br />
Luis Rivera), La Gallina ciega (M.F. Caballero / M.R. Carrión), El hombre es débil,<br />
zarzuela <strong>en</strong> un acto (Barbieri/ D. Mariano Pina), Jugar con fuego, zarzuela <strong>en</strong> 3 actos<br />
(Barbieri / V<strong>en</strong>tura de la Vega), Una vieja (J. Gaztambide/ Camprodón), Los<br />
diamantes de la corona, zarzuela <strong>en</strong> 3 actos (Barbieri / F. Camprodón, d’après l’opéra<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
306<br />
d’Auber), El postillón de la Rioja, zarzuela <strong>en</strong> 2 actos (Oudrid / Olona), I Feroci<br />
Romani, ópera seria <strong>en</strong> 1 acto (Vásquez/ F.Bardan), El juram<strong>en</strong>to, zarzuela <strong>en</strong> 3 actos<br />
(J. Gaztambide/ Olona [d’après l’opéra de Mercadante]), Entre mi mujer y el negro,<br />
zarzuela-disparate <strong>en</strong> 2 actos (Barbieri/ Olona), Un caballero particular, juguete<br />
cómico lírico <strong>en</strong> 1 acto (Barbieri/ Carlos Front<strong>au</strong>ra), El Barón de la Castaña, El valle<br />
de Andorra, zarzuela <strong>en</strong> 3 actos (J. Gaztambide/ Olona [d’après Halévy]), La Capilla<br />
de Lanuza (Marqués / Marcos Zapata), S<strong>en</strong>sitiva, <strong>en</strong> 2 actos, Catalina, zarzuela <strong>en</strong> 3<br />
actos (Gaztambide, d’après L’étoile du Nord de Meyerbeer), Un pleito, <strong>en</strong> 1 acto<br />
(Gatzambide / Camprodon), El Castillo misterioso, zarzuela <strong>en</strong> tres actos (Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón/ Gutiérrez de Alba), Llamada y tropa, zarzuela <strong>en</strong> 2 actos (E. Arrieta Corera/<br />
García Gutiérrez), Canto de Ángeles, zarzuela <strong>en</strong> 1 acto (Rogel/ R. Pu<strong>en</strong>te), Un tesoro<br />
escondido ó el rapto de un primer t<strong>en</strong>or (Barbieri/ V<strong>en</strong>tura de la Vega), Soirée de<br />
cachupin (Off<strong>en</strong>bach/ Larra), El diablo <strong>en</strong> el poder (Barbieri/ Camprodón), Marina<br />
(Arrieta/ Camprodón), Los Madgyares, zarzuela <strong>en</strong> 4 actos (Gatzambide/ Olona).<br />
Interprètes : Josefa Mateo, B<strong>au</strong>s, Carbonell y Colomé Ortiz, Altarriba. Chef d’orchestre:<br />
José Rius.<br />
Dimanche 13<br />
février<br />
Date Œuvre Source 4<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
El Relámpago Vrj 19<br />
V<strong>en</strong>dredi 18 février La gallina ciega + El hombre es débil DC.1862<br />
Dimanche 20<br />
février<br />
Vrj 20<br />
Jugar con fuego DC.1862<br />
Vrj 20<br />
Jeudi 24 février La Vieja +La gallina ciega DC.1862<br />
Dimanche 27<br />
février<br />
Vrj 21<br />
Los diamantes de la Corona DC.1867<br />
Vrj 21<br />
Jeudi 2 mars El postillón de la Rioja + I Feroci Romani DC.1872<br />
Vrj 21, 22<br />
Dimanche 5 mars El postillón de la Rioja + I Feroci Romani DC.1873<br />
Vrj 22<br />
Jeudi 9 mars El Juram<strong>en</strong>to DC. 1873<br />
Dimanche 12 mars Entre mi mujer i el negro + Un caballero<br />
particular<br />
Vrj 22<br />
DC.1878<br />
Vrj 22; 23<br />
Jeudi 16 La gallina ciega + El Barón de la Castaña Vrj 23<br />
4 Sources : El Verjel colombiano, Diario de Cundinamarca.
Dimanche 19 mars El secreto de una Dama DC.1885<br />
Vrj 24<br />
Jeudi 23 mars El secreto de una Dama DC.1889<br />
Samedi 25 mars El Juram<strong>en</strong>to DC.1889<br />
Jeudi 30 mars El valle de Andorra Vrj 25<br />
Dimanche 16 avril El valle de Andorra DC.1906<br />
Vrj 26<br />
Lunes 17 avril La capilla de Lanuza + ¡S<strong>en</strong>sitiva! DC.1906<br />
Vrj 26<br />
Mardi 18 avril Catalina ó la Estrella del Norte DC.1912<br />
Vrj 26<br />
Dimanche 23 avril Catalina DC.1912<br />
Vrj 26<br />
Mardi 25 avril El Castillo Misterioso + Un pleito DC.1912<br />
Vrj 26<br />
Jeudi 27 avril Création du Castillo DC.1916<br />
Vrj 28<br />
Dimanche 30 avril La Vieja + ¡Llamada i tropa! DC.1916<br />
Vrj 29<br />
Jeudi 11 mai Marina DC. 1928<br />
Dimanche 14 mai La gallina ciega + Un caballero particular dc. 1930<br />
Mardi 16 mai Un Tesoro escondido o El rapto de un primer<br />
t<strong>en</strong>or + Soirée de Cachupin<br />
DC.1926<br />
Jeudi 18 mai Los Madgyares DC.1930<br />
Vrj 31<br />
Dimanche 21 mai Los Madgyares Vrj 31<br />
Mardi 23 mai Un Tesoro escondido o El rapto de un primer<br />
t<strong>en</strong>or + Soirée de Cachupin<br />
DC.1938<br />
Vrj 29<br />
Vrj 31<br />
Dimanche 28 mai Un tesoro escondido DC.1941<br />
Mardi 30 mai El diablo <strong>en</strong> el poder DC.1941<br />
DC.1943<br />
Dimanche 4 juin EL juram<strong>en</strong>to DC.1947<br />
Mardi 6 juin Luz y Sombra + El loco de la guardilla Vrj 32<br />
Dimanche 11 juin Los Madgyares + Catalina DC.1953<br />
Mardi 13 juin Luz i Sombra + El Loco de la guardilla DC.1953<br />
DC.1955<br />
Jeudi 15 juin Los Madgyares DC.1955<br />
Dimanche 18 juin Luz i sombra DC.1958<br />
Mardi 20 juin La hija de Madama Angot DC.1958<br />
307<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
308<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
DC.1960<br />
Jeudi 22 juin La fille de Madame Angot DC.1962<br />
Mardi 27 juin El valle de Andorra DC.1966<br />
Jeudi 29 juin El postillón de la Rioja + La gallina ciega DC.1966<br />
DC.1967<br />
Jeudi 6 juin DC.1967, DC.1969, DC. 1971, DC.1973<br />
Vrj 36<br />
Dimanche 9 juillet DC.1977<br />
Vrj 36<br />
Jeudi 13 juillet DC.1977<br />
Dimanche 16 juillet DC.1982<br />
Dimanche 17<br />
septembre<br />
7.5. CompagniePetrelli(1878)<br />
DC.2020<br />
Répertoire : Il Ebreo (Apolloui) ; La sonnambula, Norma (Bellini) ; Lucia di<br />
Lammermoor, Poliuto, Maria di Rohan, Lucrezia Borgia, La favorita (Donizetti) ;<br />
F<strong>au</strong>st (Gounod) Ernani, Luisa Miller, Il trovatore, La Traviata, Un ballo in<br />
maschera, Il due Foscari (Verdi)<br />
Date Opéras interprètes Source 5<br />
Dimanche 15 septembre Ernani [ouverture de la saison]<br />
Señorita d’Aponte (soprano) ; Petrilli<br />
(baryton); señor de Santis (“mejor bajo<br />
que ha v<strong>en</strong>ido a Colombia”) Sr.<br />
Ponseggi (ténor); Sr. Cuevas<br />
(direction)<br />
Jeudi 19 septembre Lucia di Lammermoor B. Albieri (Lucia);<br />
Enrique Asthon (Petrili);<br />
Sir Edgardo (Ponseggi) ;<br />
De Santis (Bideb<strong>en</strong>t)<br />
Dimanche 22 septembre Il trovatore Julia Poccoleri (contralto);<br />
d’Aponte (<strong>Le</strong>onor);<br />
Petrilli, Ponseggi, De<br />
Santis<br />
DC.2366<br />
DC.2369<br />
DC.2370<br />
Zipa II, 8<br />
DC.2370<br />
Zipa II,9<br />
DC.2373<br />
Zipa II,9<br />
[jeudi 26 sept] Poliuto Zp II, 10<br />
Dimanche 29 septembre Maria di Rohan D’Aponte, Poccoleri ;<br />
Petrilli, Ponseggi, de<br />
Santis<br />
DC.2376<br />
DC.2377<br />
Zp II, 10<br />
Jeudi 3 octobre Rigoletto Bice Albieri (Gilda) , DC.2378<br />
5 Sources : Diario de Cundinamarca et El Zipa.
Pocoreli (Magdal<strong>en</strong>a),<br />
Ponseggi (Duque de<br />
Mántua)<br />
DC.2380<br />
Zp II, 11<br />
Dimanche 6 octobre Maria de Rohan DC.2381<br />
Zp II, 11<br />
Jeudi 10 octobre La Favorita Poccoleri DC.2384<br />
Zp II, 12<br />
Dimanche 12 octobre La sonnambula Albieri, Ponseggi, DC.2384<br />
DC.2387<br />
Zp II, 12<br />
Dimanche 20 octobre Un ballo in maschera Zp II, 13<br />
Jeudi 24 octobre Un ballo in maschera DC.2392<br />
Dimanche 27 octobre Un ballo in maschera D’Aponte; Albieri (paje) ;<br />
Ponseggi; Petrilli; De<br />
Santis<br />
Zp II, 14<br />
DC.2392<br />
DC.2393<br />
Zp II, 14<br />
Jeudi 31 octobre La sonnambula Zp II, 15<br />
Dimanche 3 novembre Lucia D’Aponte (Lucia) DC.2396<br />
Jeudi 7 novembre Il due Foscari D’Aponte (Lucrezia),<br />
Petrilli<br />
Zp II, 15<br />
DC.2399<br />
Zp II, 15<br />
Dimanche 10 novembre Il due Foscari (DC.2399<br />
Jeudi 14 novembre Norma D’Aponte (Norma),<br />
Pocoleri (Adalgisa),<br />
Ponseggi, De Santis<br />
(Oroveso)<br />
Dimanche 17 novembre Luisa Miller D’Aponte (Luisa),<br />
Pocoleri, Petrilli, De<br />
Santis,<br />
Zp II, 15)<br />
Zp II, 16<br />
DC.2401<br />
DC.2403<br />
Zp II, 17<br />
DC.2403<br />
DC.2404<br />
Zp II, 17<br />
Dimanche 24 novembre Norma DC.2408<br />
Dimanche 1 er décembre La Traviata Albieri (Violeta), Petrelli<br />
(Padre de Alfredo),<br />
Ponseggi (Alfredo)<br />
DC.2413<br />
Zp II, 19<br />
(Jeudi 12 décembre?) Un ballo in maschera Bénéfice de Ponseggi DC.2418<br />
Dimanche 15 décembre Norma DC.2420<br />
Zp ii, 21<br />
Jeudi 19 décembre Lucrezia Borgia DC.2420<br />
DC.2423<br />
Zp II, 21<br />
Dimanche 22 décembre La Traviata DC.2423<br />
DC.2424<br />
Jeudi 6 février 1879 Un ballo in maschera Zp II, 27<br />
Dimanche 9 février Maria di Rohan Albieri DC.2449<br />
309<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
310<br />
Jeudi 13 février La sonnanbula + un<br />
acte du Barbero de<br />
Sevilla<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Zp II, 28<br />
Bénéfice de Bice Albieri DC. 2451<br />
Jeudi 27 février Lucrezia Borgia Bénéfice de Pocoleri,<br />
M. Díaz (pianiste)<br />
Zp ii, 28<br />
DC.2459<br />
Dimanche 2 mars I Masnadieri DC.2458<br />
Jeudi 6 mars Traviata + polka Tus<br />
hojos + duo Mira oh!<br />
Norma + fantasia sobre<br />
La sonnanbula<br />
Bénéfice de d’Aponte<br />
(Violeta), Petrilli<br />
(Germond), M. Diaz<br />
(piano)<br />
Dimanche 9 mars I Masnadieri D’Aponte, Ponseggi,<br />
Dimanche 16 mars Rigoletto + Virg<strong>en</strong> de<br />
negros ojos (Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón)<br />
Jeudi 20 mars Ernani + aria de la<br />
Dimanche 13 avril<br />
(Pâques)<br />
calumnia del Barbero<br />
Petrili, De Santis<br />
Bénéfice de Petrilli,<br />
Albieri, Ponseggi<br />
DC.2460<br />
Zp II, 32<br />
DC.2461<br />
DC.2462<br />
DC.2463<br />
Zp II, 32<br />
DC.2464<br />
Zp II, 32<br />
DC.2467<br />
DC.2469<br />
Bénéfice de de Santis DC.2471<br />
F<strong>au</strong>st Effets de magie DC.2481<br />
Dimanche 20 avril F<strong>au</strong>st De Santis<br />
(Méphistophélès)<br />
Dimanche 4 mai Il Ebreo D’Aponte, Petrilli,<br />
Dimanche 22 juin (1er acte Atila + 1er et<br />
2º de I Masnadieri +<br />
1er du Barbero )<br />
Dimanche 14 septembre Concert <strong>au</strong> Salon de<br />
Grados<br />
Dimanche 12 septembre Función mixta: 3 actes<br />
de La Traviata, El<br />
Barbero et Crispino y<br />
la comadre<br />
7.6. CompagnieB<strong>en</strong>ic(1880)<br />
Ponseggi, De Santis<br />
Début d’Epifanio Garai<br />
D’aponte, Petrilli et <strong>au</strong>tres<br />
artistes nation<strong>au</strong>x<br />
DC-2482<br />
Zp II, 35<br />
DC.2486<br />
DC.2494<br />
Zp II, 39<br />
DC.2503<br />
ZP II 45<br />
DC.2553<br />
Zp III, 8<br />
DC.2568<br />
Répertoire : Ruy Blas (F. Marchetti) ; Marta (Flotow) ; La sonnambula, Norma,<br />
Romeo e Jiuletta (Bellini) ; Lucia di Lammermoor, La figlia del reggim<strong>en</strong>to, Linda di
311<br />
Chamounix (Donizetti) ; Ernani, I Masnadieri, Il trovatore, La Traviata, Un ballo in<br />
maschera (Verdi) ; Florinda (Ponce de <strong>Le</strong>on).<br />
Date Opéras Interprètes source 6<br />
Mardi 20 juillet Il trovatore Ferry (soprano), Cocchi<br />
(ténor), Comoletti (baryton.)<br />
Desantis (basse)<br />
Zp. IV,1<br />
Dimanche 25 juillet Il trovatore Zp. IV,1<br />
? Traviata Emilia B<strong>en</strong>ic Zp. IV,2<br />
V<strong>en</strong>dredi 6 août Ernani Ferri, Comoletti, E. Garay Zp. IV,2<br />
Dimanche 8 août Lucia di<br />
Lammermoor<br />
B<strong>en</strong>ic, G<strong>en</strong>aro Aleman (flûte);<br />
Comoletti, Garay, Cocchi;<br />
choeurs composés de jeunes<br />
amateurs de Bogotá.<br />
Zp. IV,3<br />
Jeudi (19?) août Ernani Zp. IV,4<br />
Dimanche 15 août Lucia Zp. IV,4<br />
Jeudi 26 août Ruy Blas B<strong>en</strong>ic; cocchi, comoletti,<br />
Garay, sra Pocoleri<br />
Dir: sr Conti<br />
DC.2745<br />
Zp. IV,5<br />
Dimanche 29 août Ruy Blas CD.275<br />
Zp. IV,6<br />
Jeudi 2 septembre I Masnadieri Ferri, Cocchi, DC.2748<br />
Zp. IV,7<br />
Lunes (6?) septembre Traviata Zp. IV,7<br />
? Lucia Zp. IV,8<br />
? Traviata Zp. IV,8<br />
? Norma Zp. IV,8<br />
Jeudi 23 septembre Norma Ferri (Norma), B<strong>en</strong>ic<br />
Dimanche 26<br />
septembre<br />
Romeo e<br />
Julieta<br />
? Romeo e<br />
Dimanche 3 octobre La<br />
Julieta<br />
Sonnambula<br />
(Adalgisa), Cocchi (Polión),<br />
Garay (Oroveso)<br />
Sra Pocoleri (Romeo) ; M.<br />
Mariani<br />
Zp. IV,10<br />
DC.2761<br />
Zp. IV, 10<br />
Zp. IV, 11<br />
B<strong>en</strong>ic DC.2764<br />
Zp. IV, 11<br />
¿? Norma Zp. IV, 11<br />
Dimanche 10<br />
octobre<br />
Traviata B<strong>en</strong>ic, Rossi Guerra remplace<br />
Colometti<br />
Zp. IV, 12<br />
Jeudi 14 octobre Cocchi sans voix! Zp. IV, 13<br />
6 Sources : Diario de Cundinamarca et El Zipa.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
312<br />
Dimanche 31<br />
octobre<br />
Extraits<br />
choisis<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Bénéfice pour le ballet. Zp. IV, 15<br />
Nouvelle Saison d’abonem<strong>en</strong>t<br />
Lundi 15 novembre : mise à la v<strong>en</strong>te du livret Florinda<br />
Jeudi 18 novembre Florinda Emilia B<strong>en</strong>ic (Florinda), Adolfo<br />
Dimanche 21<br />
novembre<br />
Cocchi (Don Rodrigo), Guillermo<br />
Comoletti (Don Julián), Epifanio<br />
Garay (astrólogo), Juia Pocoleri<br />
(Teuda), Juan Dominguez<br />
(Wilfredo). Chœur (paysans,<br />
courtisans, soldats espagnoles et<br />
m<strong>au</strong>res, suivantes) et danseuses<br />
du palais, esprits, <strong>en</strong>fants et<br />
servants du Conte. A. Conti<br />
(direct.)<br />
Zp. IV, 16<br />
DC.2788<br />
(17 nov)<br />
(19 nov)<br />
Zp. IV, 16<br />
Zp. IV, 17<br />
Florinda (23 nov)<br />
? Ruy Blas Zp.IV, 19<br />
? Lucia Cocchi se ratrappe de la m<strong>au</strong>vaise<br />
Dimanche 5<br />
décembre<br />
Un ballo in<br />
maschera<br />
Jeudi 9 décembre Un ballo in<br />
Dimanche 12<br />
diciembre<br />
maschera<br />
Florinda (ajout<br />
de la scène<br />
Recuerdos)<br />
Jeudi 23 décembre Un ballo in<br />
Dimanche 26<br />
décembre<br />
maschera<br />
Linda di<br />
Chamounix<br />
prestation dans Ruy Blas<br />
Ferri, Pocoleri. B<strong>en</strong>ic (Paje),<br />
Comoletti, Garay, Cocchi,<br />
Domínguez<br />
Zp.IV, 19<br />
Zp. IV, 20<br />
(14 dec)<br />
Zp. IV, 20<br />
Zp. IV, 22<br />
Zp. IV, 22<br />
Lunes (24) janvier Florinda ZP IV, 25<br />
Jeudi (27) janvier de<br />
1881<br />
Un ballo in<br />
maschera<br />
Bénéfice de Comoletti Zp IV, 25<br />
Jeudi 10 février Florinda Bénéfice de Ponce de <strong>Le</strong>ón Zp IV, 25<br />
? Marta B<strong>en</strong>ic, Pocoleri, Cochi, Garay,<br />
Domínguez<br />
Zp IV, 26<br />
Zp IV, 27<br />
Zp IV, 28<br />
? Marta Zp IV, 28
Samedi (5) mars Marta Bénéfice de Garay Zp IV, 28<br />
? (avant le 11 mars) Marta Zp IV, 29<br />
Pâques<br />
? Marta Zp IV,<br />
Jeudi 28 avril La figlia del<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
<br />
regim<strong>en</strong>to<br />
36<br />
Zp IV,<br />
36<br />
313<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
314<br />
8. AnnexeII.JoséMaríaPoncede<strong>Le</strong>ón<strong>en</strong>quelques<br />
dates<br />
16 février<br />
1845<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Naissance à Bogotá de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
1850-1860 ? Étudie dans le Colegio de Yerbabu<strong>en</strong>a (où il <strong>au</strong>rait r<strong>en</strong>contré son maître<br />
de piano et d’harmonie Juan Crisostomo Osorio) et dans le lycée San<br />
Bartolomé.<br />
1860-1861 P<strong>en</strong>dant la guerre civile, il participe <strong>au</strong>x affrontem<strong>en</strong>ts et est blessé. Il est<br />
successivem<strong>en</strong>t serg<strong>en</strong>t, sous-lieut<strong>en</strong>ant d’artillerie, lieut<strong>en</strong>ant, puis<br />
capitaine.<br />
1865 Ponce de <strong>Le</strong>ón est souffleur lors de la saison d’opéra à Bogotá.<br />
17 décembre<br />
1865<br />
24 janvier<br />
1867<br />
Il met <strong>en</strong> musique le Final de la comédie espagnole El Embozado de<br />
Córdoba. Nous savons que l’œuvre fut créée dans un contexte familial,<br />
mais nous ignorons la date de cette représ<strong>en</strong>tation.<br />
Création de son opéra-bouffe Un alcalde a la antigua i dos primos a la<br />
moderna (texte de José María Samper) <strong>au</strong> Colegio del Santo Espiruto de<br />
Lor<strong>en</strong>zo María Lleras.<br />
Création de sa zarzuela chica El Vizconde, interprétée par la compagnie<br />
Cavaletti <strong>au</strong> Coliseo de Bogotá.<br />
Entre 1867 et 1870, Ponce de <strong>Le</strong>ón demeure à <strong>Paris</strong> ; nous savons peu de choses sur<br />
ce séjour.<br />
octobre 1870 Retour à Bogotá.<br />
29 avril 1873 José María épouse Mercedes Ponce de <strong>Le</strong>ón Silva à Bogotá.<br />
1873 ? José Maria devi<strong>en</strong>t directeur d’une des deux Bandas de Bogotá.<br />
1874 Naissance de sa première fille qui meurt <strong>en</strong> bas âge.<br />
2 juillet 1874 Ester, premier opéra Colombi<strong>en</strong>, est créé à Bogotá. Cet opéra est écrit<br />
pour les festivités de la célébration de la fête de l’Indép<strong>en</strong>dance, sous<br />
l’invitation du peintre mexicain Felipe Gutiérrez.<br />
1875 Il compose un Hymne à la Paix pour l’Exposition universelle de<br />
Santiago de Chile.<br />
Naissance de sa fille María Ester.<br />
27 avril 1876 La compagnie de zarzuela espagnole assure la création du Castillo<br />
misterioso.<br />
1876 ? Naissance de son fils Francisco.<br />
avril 1877 <strong>Le</strong>s deux Bandas de Bogotá fusionn<strong>en</strong>t. Ponce de <strong>Le</strong>ón est nommé chef.<br />
24 avril 1879 Il termine la composition de Florinda, comme l’atteste la date reportée<br />
sur le manuscrit.<br />
Avril-mai<br />
1879 ?<br />
Il <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d égalem<strong>en</strong>t une révision d’Ester. Cette deuxième version ne<br />
sera jamais créée du vivant du compositeur.<br />
Mai 1880 Lors d’une soirée privée <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce du présid<strong>en</strong>t de la République,
Ponce de <strong>Le</strong>ón et R. Pombo prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t Florinda.<br />
<br />
315<br />
juillet 1880 Il écrit un Requiem qui est créé à l’église Santo Domingo lors des<br />
funérailles de son neveu Francisco Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
12 novembre<br />
1880<br />
Florinda est finalem<strong>en</strong>t créée <strong>au</strong> Coliseo Maldonado, par la troupe<br />
d’Emilia B<strong>en</strong>ic.<br />
1882 Il comm<strong>en</strong>ce la composition d’un oratorio dédié à la mémoire de<br />
Bolívar, pour le c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire de sa naissance (1883).<br />
21 septembre<br />
1883<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón meurt à Bogotá.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
316<br />
9. AnnexeIII.Panoramadelavie<strong>lyrique</strong>parisi<strong>en</strong>ne<br />
(18671869)<br />
Nous indiquons <strong>en</strong> caractères gras les titres des nouve<strong>au</strong>x ouvrages, ainsi que les<br />
princip<strong>au</strong>x opéras représ<strong>en</strong>tés dans chacun des théâtres impéri<strong>au</strong>x. La liste est<br />
cep<strong>en</strong>dant bi<strong>en</strong> plus longue ; les théâtres ouvrai<strong>en</strong>t leurs portes deux ou trois soirées<br />
par semaines, <strong>en</strong> alternant un répertoire très varié.<br />
Sources : Revue et Gazette musicale de <strong>Paris</strong><br />
1867<br />
OPÉRA<br />
Don Carlos (Verdi), La Fiancée de Corinthe (Duprato), L’Africaine (Meyerbeer,<br />
1865), La Muette de Portici (Aubert, 1828), Robert le Diable (500 e ; Meyerbeer,<br />
1831), Guill<strong>au</strong>me Tell (Rossini, 1829), <strong>Le</strong> Corsaire.<br />
OPÉRA-COMIQUE<br />
<strong>Le</strong> Fils du Brigadier (Massé), la Grand’Tante (Mass<strong>en</strong>et), Robinson Crusoé<br />
(Off<strong>en</strong>bach), L’Étoile du Nord (Meyerbeer, 1854).<br />
THÉÂTRE-ITALIEN<br />
Columella (Fioravanti), La Locanda gratis (Alary), Norma, I Puritani, Otello, La<br />
Traviata, la Gazza ladra, Lucrezia Borgia, Marta.<br />
Théâtre-LYRIQUE<br />
Roméo et Juliette (Gounod), Sardanapale (Joncières), <strong>Le</strong>s Bleuets (Coeh<strong>en</strong>),<br />
Cardillac (D<strong>au</strong>tresme), La Jolie Fille de Perth (Bizet), Déborah (Devin-Duvivier,<br />
1863)<br />
Et <strong>en</strong>core...<br />
La Grande-Duchesse de Gérolstein (Off<strong>en</strong>bach) <strong>au</strong>x Variétés ; Athalie de Racine,<br />
avec les chœurs de M<strong>en</strong>delssohn à l’Odéon ; Hamlet de Shakespeare avec<br />
mélodrames de Joncières à la Gaîté.<br />
1868<br />
OPÉRA<br />
Hamlet (Thomas), <strong>Le</strong> Trouvère (Verdi, 1853), Herculanum (David, 1859),<br />
L’Africaine, <strong>Le</strong>s Hugu<strong>en</strong>ots (Meyerbeer, 1836), Guill<strong>au</strong>me Tell (500 e ).<br />
OPÉRA-COMIQUE<br />
<strong>Le</strong> Premier Jour de bonheur (Auber), Sylvia (M.S.David), La Pénit<strong>en</strong>te (Mme de<br />
Grandval), <strong>Le</strong>s Voitures versées (Boieldieu, 1820), La part du Diable (Auber, 1843),<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
317<br />
Haydée (Auber, 1847), <strong>Le</strong> Café du roi (Deffée, 1861), Robinson Crusoé, <strong>Le</strong> Docteur<br />
Mirobolan (E. G<strong>au</strong>tier, 1860), <strong>Le</strong>s Dragons de Villars (Maillart, 1856).<br />
THÉÂTRE-ITALIEN<br />
Il Templario (Nicolaï), La Contessina (prince Poniatowski), Matilda di Shabran,<br />
Lucrezia, la Serva Padrona (Pergolessi, 1733), Giovanna d’Arco, Il barbiere, Don<br />
Pasquale, Marta, Don Giovanni, Linda di Chamounix, Traviata, Rigoletto.<br />
THÉÂTRE-LYRIQUE<br />
La Fanchonnette (Clapisson, 1856), Martha, <strong>Le</strong> Médecin malgré lui (Gounod, 1858),<br />
La Flûte <strong>en</strong>chantée, F<strong>au</strong>st (Gounod, 1859)<br />
Et <strong>en</strong>core...<br />
Fleur de Thé (<strong>Le</strong>cocq) à l’Athénée ; La Périchole (Off<strong>en</strong>bach)<br />
1869<br />
OPÉRA<br />
<strong>Le</strong>s Hugu<strong>en</strong>ots, le Trouvère, F<strong>au</strong>st (<strong>en</strong>trée à l’Opéra), l’Africaine, La Juive<br />
OPÉRA-COMIQUE<br />
Vert-Vert (Off<strong>en</strong>bach), <strong>Le</strong> Près <strong>au</strong> Clercs, la Dame Blanche, le Postillon de<br />
Lonjume<strong>au</strong>, Bonsoir, Monsieur Pantalon, Jaguarita (Halévy), la Petite Fadette<br />
THÉÂTRE-ITALIEN<br />
Lucrezia Borgia, Traviata, Messe Sol<strong>en</strong>nelle (Rossini), La Sonnambula, Il Barbiere di<br />
Seviglia, Rigoletto, Un ballo in Maschera, Semiramide, Stru<strong>en</strong>sée (Michael Beer,<br />
troupe d’Ernerto Rossi), Othello<br />
THÉÂTRE-LYRIQUE<br />
En Prison (Guir<strong>au</strong>d), Ri<strong>en</strong>zi (Wagner), Don Quichotte (E. Boulanger), Jaguarita<br />
l’Indi<strong>en</strong>ne (Halévy, 1854), La Poupée de Nuremberg (Adam, 1852), Don Juan,<br />
Martha (Flotow).<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
318<br />
10. AnnexeIV.Analysed’Ester<br />
Nous proposons une brève analyse de la partition d’Ester, opéra qui illustre le style<br />
de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Après avoir mis <strong>en</strong> lumière les structures littéraires et musicales de<br />
l’ouvrage, nous porterons un intérêt particulier sur l’aspect orchestral, harmonique et<br />
sur son écriture mélodique.<br />
10.1. Structurelittéraireetmusicale<br />
Ester est un opéra à numéros. Chaque acte est un assemblage de pezzi chiusi,<br />
délimités par un début et par une double barre de mesure finale. Seul le dernier acte<br />
<strong>en</strong>chaîne successivem<strong>en</strong>t les numéros 9 à 11 puis 12 et 13 (continuité mise <strong>au</strong> service<br />
de l’accélération dramatique – c’est le dénouem<strong>en</strong>t du drame)<br />
OBERTURA<br />
ACTO I<br />
N° 1. Coro.<br />
A Introducción : Adagio Religioso.<br />
B Coro: “Jordán ondoso”<br />
C Reprise de A (murmur du choeur)<br />
D Reprise de B.<br />
N° 2. Cavatina de Ester.<br />
A Récitatif “Doblemos humildes la<br />
fr<strong>en</strong>te”.<br />
B Larghetto “Jerusalem, tus muros<br />
cubiertos”.<br />
C Coro “Enjuaga el llanto”.<br />
D Cabalette “Él es mi Rey”.<br />
N° 3. Plegaria y Dúo.<br />
A Scène “si<strong>en</strong>to pasos”.<br />
B Duo “Salva a tu pueblo”.<br />
C Tempo di Mezzo “Bella es tu<br />
suerte”.<br />
D Cabalette: “Voz de la Patria”.<br />
ACTO II<br />
N° 4. Esc<strong>en</strong>a y Coro. (Asuero, Amán).<br />
A Esc<strong>en</strong>a.<br />
B Coro “oh Rey poderoso”.<br />
C Duo “Qué premio daremos”.<br />
D Coro B.<br />
N° 5. Duetto.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
A Esc<strong>en</strong>a “No dirán que soy un<br />
ingrato”.<br />
B Duo “Recobra el ali<strong>en</strong>to”.<br />
N° 6. Recitativo y Marcha Triunfal.<br />
A Recitativo.<br />
B Marcha Triunfal.<br />
C Sortie.<br />
N° 7. Quinteto – Final 2 do .<br />
ACTO III<br />
N° 8. Coro interno de mujeres.<br />
A Introducción.<br />
B Coro “Desci<strong>en</strong>de a la tierra”.<br />
N° 9. Esc<strong>en</strong>a y Recitativo.<br />
A Recitativo.<br />
B Arioso “De hinojos te imploro”.<br />
C Plegaria de Ester “Confunde Oh<br />
Dios la impostura”.<br />
N° 10. Aria de Ester “Huérfana y sola”.<br />
N° 11. Terceto.<br />
N° 12. Plegaria de Amán.<br />
A Recitativo “Señora”.<br />
B Plegaria “Pues bi<strong>en</strong>, por vuestro Dios”.<br />
N° 13. Quinteto final.<br />
Table<strong>au</strong> 14 : La structure musicale d’Ester de Ponce de <strong>Le</strong>ón
Ponce de <strong>Le</strong>ón a gardé la structure proposée par Racine, qui dans Esther r<strong>en</strong>once <strong>au</strong>x cinq<br />
actes de la tragédie française. Nous avons fait le parallèle <strong>en</strong>tre la construction scénique<br />
d’Esther et la partition <strong>en</strong> numéro d’Ester. De façon générale, l’ordonnance racini<strong>en</strong>ne est<br />
conservée dans l’opéra. Des personnages de Racine, Ponce de <strong>Le</strong>ón ne reti<strong>en</strong>t qu’Ester,<br />
Assuérus, Aman, Mardochée et Asaph.<br />
RACINE PONCE DE LEÓN<br />
Prologue<br />
(la Piété)<br />
Acte Premier<br />
1. Esther, Élise.<br />
2. Esther, Élise, le Chœur.<br />
3. Esther, Élise, le Chœur, Mardochée.<br />
4. Esther, Élise, le Chœur.<br />
5.L Chœur.<br />
Acte II<br />
1. Aman, Hydaspe.<br />
2. Assuérus, Hydaspe, Asaph, suite d’Assuérus.<br />
3. Assuérus, Asaph.<br />
4. Assuérus, Hydaspe, Asaph.<br />
5. Assuérus, Hydaspe, Asaph, Aman.<br />
6. Assuérus (seul)<br />
7. Assuérus, Esther, Élise, Thamar, partie du<br />
Chœur.<br />
8. Élise, partie du Chœur.<br />
Acte III<br />
1. Aman, Zares.<br />
2. Aman, Zares, Hydaspe.<br />
3. Élise, le Choeur.<br />
4. Assuérus, Esther, Aman, Élise, le Chœur.<br />
5. Esther, Aman, le Choeur.<br />
6. Assuérus, Esther, Aman, Élise, gardes, le Chœur.<br />
7. Assuérus, Esther, Mardochée, Élise, le Chœur.<br />
8. Assuérus, Esther, Mardochée, Asaph, Élise, le<br />
Chœur.<br />
9. <strong>Le</strong> Choeur.<br />
Obertura<br />
Acto I<br />
n° 1. <strong>Le</strong> Chœur.<br />
n° 2. Ester, le Choeur.<br />
n° 3. Ester, Mardoqueo, le<br />
Chœur.<br />
Acto II<br />
319<br />
n° 4. Asuero, Asaph puis Amán<br />
et le Chœur.<br />
n° 5. Ester, Asuero.<br />
n° 6 et 7. Ester, Asuero, Asaph,<br />
Amán, Mardoqueo, le Chœur.<br />
Acto III<br />
n° 8. Chœur de femmes <strong>en</strong><br />
coulisse.<br />
n° 9, 10 et 11. Ester, Asuero,<br />
Asaph, Amán.<br />
n° 12, Ester, Amán.<br />
n° 13. Tous.<br />
Table<strong>au</strong> 15 : Mise <strong>en</strong> rapport des structures<br />
d’Esther (Racine) et d’Ester (Ponce de <strong>Le</strong>ón)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
320<br />
Pourtant, le livret modifie un grand nombre de données, notamm<strong>en</strong>t le rapport <strong>en</strong>tre les<br />
personnages, par souci de remise à jour d’un sujet anci<strong>en</strong>. Ces modifications touch<strong>en</strong>t <strong>au</strong>x<br />
événem<strong>en</strong>ts de la pièce de Racine par deux procédés : l’élimination des personnages, des<br />
situations et la modification des relations et de la narration des différ<strong>en</strong>ts épisodes.<br />
Par élimination :<br />
<strong>Le</strong> récit de la vie d’Esther <strong>au</strong> premier acte.<br />
<strong>Le</strong>s référ<strong>en</strong>ces à l’édit dicté contre les Hébreux.<br />
<strong>Le</strong>s songes d’Assuérus qui le r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t redoutable et méfiant. Seuls indices de sa<br />
roy<strong>au</strong>té : la trompette (abs<strong>en</strong>te dans l’acte I), la tonalité de la b majeur.<br />
Par modification :<br />
La relation amoureuse <strong>en</strong>tre Ester et Asuero ; leur duo d’amour est <strong>au</strong> c<strong>en</strong>tre de la<br />
partition (II, n° 5).<br />
La relation Mardoqueo-Ester pr<strong>en</strong>d pour modèle Rigoletto-Gilda ; la distance qui<br />
existe <strong>en</strong>core chez Racine devi<strong>en</strong>t passion filiale.<br />
<strong>Le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t religieux est extériorisé ; Ponce de <strong>Le</strong>ón ajoute trois prières<br />
(Mardoqueo, Ester et Amán) alors que chez Racine ce s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t est intérieur, fort,<br />
mais ne se manifeste pas.<br />
<strong>Le</strong> duo « Voz de la patria » (I n° 3) introduit le nationalisme, étiquette du Grand-<br />
Opéra (cf. La muette de Portici d’Auber).<br />
La Banda avec chœur sur scène (II n° 6). Ce qui chez Racine était de l’ordre de la<br />
narration (Zarès raconte la marche triomphale de Mardochée à l’acte III) devi<strong>en</strong>t ici<br />
du vécu. Il va sans dire que Ponce de <strong>Le</strong>ón relie avec la traditionnelle scène de foule<br />
qu’il a dû voir à <strong>Paris</strong>.<br />
<strong>Le</strong> dénouem<strong>en</strong>t court-circuite les 4 dernières scènes de Racine. On sait qu’Amán va<br />
mourir malgré le lieto fine : le « triomphe de l’innoc<strong>en</strong>ce ».<br />
Ces transformations dans l’opéra transform<strong>en</strong>t-elles le temps dramatique ? L’unité de lieu<br />
est démultipliée, mais cela déjà chez Racine :<br />
On peut dire que l’unité de lieu est observée dans la pièce, <strong>en</strong> ce que toute l’action se passe<br />
dans le palais d’Assuérus. Cep<strong>en</strong>dant, comme on voulait r<strong>en</strong>dre ce divertissem<strong>en</strong>t plus agréable<br />
à des <strong>en</strong>fants, <strong>en</strong> jetant quelque variété dans les décorations, cela a été c<strong>au</strong>se que je n’ai pas<br />
gardé cette unité avec la même rigueur que j’ai fait <strong>au</strong>trefois dans mes tragédies 1 .<br />
L’action se déroule <strong>en</strong> un jour. L’abs<strong>en</strong>ce de didascalies r<strong>en</strong>voie à un modèle connu. <strong>Le</strong><br />
déroulem<strong>en</strong>t temporel suivi est donc celui de la tragédie de Racine :<br />
1 Racine, Préface d’Esther.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Acte I : « Déjà la sombre nuit a comm<strong>en</strong>cé son tour… » (I, 3)<br />
Acte II : « Lorsque le jour ne comm<strong>en</strong>ce qu’à luire… » (II, 1)<br />
Acte III : « Qu’Esther puisse à sa table recevoir <strong>au</strong>jourd’hui son souverain<br />
seigneur » (II, 7).<br />
Table<strong>au</strong> 16 : l’unité de temps dans Esther et Ester<br />
L’unité d’action est respectée : s<strong>au</strong>ver le peuple d’Israël. Pourtant l’intrigue amoureuse<br />
repousse dans le troisième acte la péripétie c<strong>en</strong>trale. En effet chez Racine le mom<strong>en</strong>t décisif<br />
se trouve à la scène 7 du deuxième acte, lorsqu’Esther ose se prés<strong>en</strong>ter, <strong>au</strong>dacieuse, devant le<br />
Roi. La t<strong>en</strong>sion extrême de cette scène ne se retrouve pas dans l’opéra ; Ester s’évanouit<br />
certes sur un accord de 7 ème diminuée, mais la t<strong>en</strong>sion est dissipée par l’amoureuse tonalité de<br />
fa majeur qui annonce leur duo. L’espace de la péripétie est relégué <strong>au</strong> troisième acte,<br />
accélération dramatique qui fait fusionner trois numéros de suite : Ester dévoile son origine.<br />
La « catastrophe » sera la grâce concédée par le Roi et la mise à mort d’Amán. Ces deux<br />
derniers numéros, eux <strong>au</strong>ssi <strong>en</strong>chaînés, font preuve de l’accélération dramatique qui donne<br />
l’élan final à l’opéra.<br />
<strong>Le</strong> premier acte remplit sa fonction d’exorde. L’introduction chorale prés<strong>en</strong>te la situation<br />
des Juifs dans le roy<strong>au</strong>me perse :<br />
Cuándo veremos levantar tus muros, O Sión hermosa<br />
Quand verrai-je, ô Sion ! relever tes remparts ? (I, 2)<br />
La cavatine d’Ester prés<strong>en</strong>te le personnage : on découvre une reine amoureuse, mais qui<br />
cache <strong>au</strong> roi ses origines. L’arrivée de Mardoqueo lance l’action : Esther doit s<strong>au</strong>ver son<br />
peuple. Cet acte d’exposition est construit <strong>en</strong> trois mom<strong>en</strong>ts :<br />
n°1. Scène chorale qui introduit un climat<br />
n° 2. <strong>Le</strong> c<strong>en</strong>tre : air de prés<strong>en</strong>tation du personnage principal<br />
n° 3. Duo et finale : la péripétie est lancée<br />
Table<strong>au</strong> 17 : construction du premier acte d’Ester<br />
L’acte II débute <strong>au</strong>ssi bi<strong>en</strong> chez Racine que chez Ponce de <strong>Le</strong>ón par une conversation <strong>en</strong><br />
321<br />
cours. Dramatiquem<strong>en</strong>t, cet acte ne finit pas de nous convaincre : le compositeur fait place<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
322<br />
<strong>au</strong>x conv<strong>en</strong>tions. La scène de grande intimitée s’<strong>en</strong>chaîne à la grande scène de foule. Ce duo<br />
d’amour – étrangem<strong>en</strong>t semblable à « Un dì, felice, eterea » de La Traviata, <strong>au</strong>ssi <strong>en</strong> fa<br />
majeur – constitue l’axe de la partition. Sur un accord de 9 ème de dominante ô combi<strong>en</strong><br />
s<strong>en</strong>suel, Ester doute de sa victoire :<br />
Saber que tú me amas es ser v<strong>en</strong>turosa.<br />
(Savoir que tu m’aimes, c’est être fortunée.)<br />
Sans grande t<strong>en</strong>sion dramatique, ce deuxième acte laisse place à l’effet. La musique reste<br />
pour <strong>au</strong>tant <strong>en</strong>voûtante et projette la t<strong>en</strong>sion dramatique sur le dernier acte. Celui-ci marque le<br />
dénouem<strong>en</strong>t, un lieto fine, pourtant fortem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>du par la prés<strong>en</strong>ce de deux pages solistes<br />
fortem<strong>en</strong>t dramatiques : l’air d’Ester (n° 10) et la prière d’Amán (n° 11). La construction de<br />
ce dernier acte <strong>en</strong> fait le symétrique du premier acte :<br />
n° 8. Chœur de femmes <strong>en</strong> coulisses ; le climat créé est surréel, invoque la prés<strong>en</strong>ce<br />
divine qui veille sur le dénouem<strong>en</strong>t de l’action.<br />
n° 9 à 12. <strong>Le</strong> c<strong>en</strong>tre : la révélation. Apogée de la t<strong>en</strong>sion dramatique par deux solos et<br />
la grande strette du seul trio de toute la partition (Ester, Asuero et Amán).<br />
n° 13. Finale : scène de réjouissance qui marque le dénouem<strong>en</strong>t de l’opéra.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Table<strong>au</strong> 18 : construction du troisième acte d’Ester<br />
Ce troisième acte rappelle le deuxième table<strong>au</strong> du premier acte de Sémiramis : les jardins<br />
d’Ester ne sont pas sans évoquer les jardins susp<strong>en</strong>dus de Babylone avec chœur de femmes.<br />
Chez Rossini cette scène fait se succéder « trois pezzi chiusi […] m<strong>en</strong>ant, sans solution de<br />
continuité, de l’intimité des appartem<strong>en</strong>ts privés à la magnific<strong>en</strong>ce d’une cérémonie<br />
publique 2 . » La même conduite dramatique est reprise dans l’opéra de Ponce de <strong>Le</strong>ón. La fin<br />
pompeuse réunit tous les solistes et le chœur sur la scène qui représ<strong>en</strong>te les jardins de la<br />
Reine.<br />
Il est égalem<strong>en</strong>t intéressant d’observer les structures de quelques numéros de la partition.<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón inscrit-il son art dans l’héritage du répertoire europé<strong>en</strong> ?<br />
La Cavatine d’Ester, deuxième numéro de la partition, est construite selon le modèle itali<strong>en</strong><br />
<strong>en</strong> quatre mom<strong>en</strong>ts qui se suiv<strong>en</strong>t :<br />
2 Comm<strong>en</strong>taire de Dami<strong>en</strong> COLAS dans Avant-scène Opéra, n° 184, Sémiramis de Rossini : 26.
Sc<strong>en</strong>a : récitatif avec arioso ; dans une brève rétrospective, Ester rappelle que le Roi<br />
a banni son anci<strong>en</strong>ne épouse.<br />
Cantabile : plainte sur le sort de Jérusalem.<br />
Tempo di Mezzo : s’agissant d’un air de prés<strong>en</strong>tation, il n’y a pas de développem<strong>en</strong>t<br />
dramatique; par conséqu<strong>en</strong>t cette section est confiée <strong>au</strong> chœur et sert de brève<br />
transition.<br />
Cabaletta : Ester chante son amour pour Asuero. Cette cabalette est dirigée vers le<br />
passo caratteristico, grande cad<strong>en</strong>ce vocale qui monte jusqu’<strong>au</strong> contre-ut.<br />
Table<strong>au</strong> 19 : Construction de la cavatine d'Ester<br />
En comparant la cavatine d’Ester à celle de Sémiramis (I, n° 5 : Chœur de femmes et<br />
Cavatine), plusieurs aspects <strong>en</strong> commun surgiss<strong>en</strong>t. Sémiramis nous semble être un point de<br />
comparaison pertin<strong>en</strong>t car cet opéra était à l’affiche lorsque Ponce de <strong>Le</strong>ón séjournait à <strong>Paris</strong>.<br />
Mais égalem<strong>en</strong>t par sa solide construction qui <strong>en</strong> fait un ouvrage <strong>lyrique</strong> de référ<strong>en</strong>ce.<br />
Introduction<br />
chorale<br />
Sc<strong>en</strong>a<br />
Cantabile<br />
Tempo di<br />
mezzo<br />
Cabalette<br />
Cavatine de Sémiramis Cavatine d’Ester<br />
Chœur de femmes « Ser<strong>en</strong>a i vaghi<br />
rai ».<br />
« Bel Ragio Lusingher »<br />
style vocale orné.<br />
Sémiramis repr<strong>en</strong>d la musique du<br />
chœur avec des interv<strong>en</strong>tions du<br />
chœur.<br />
X<br />
« Dolce p<strong>en</strong>sier » avec interjections<br />
chorales c<strong>en</strong>trales et finales<br />
[n° 1. Introducción y Coro]<br />
323<br />
« Doblemos humildes la fr<strong>en</strong>te ». Récitatif<br />
et arioso : la narration.<br />
« Jerusalén » avec interjections<br />
chorales.<br />
Chœur : « oculta tu dolor Reina<br />
querida».<br />
« Él es mi Rey » avec<br />
interjections chorales c<strong>en</strong>trales et<br />
finales<br />
Table<strong>au</strong> 20: comparaison <strong>en</strong>tre les cavatines de Sémiramis et d’Ester<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
324<br />
Ces cavatines prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t une gradation rhétorique qui aboutit sur la cad<strong>en</strong>ce finale. <strong>Le</strong><br />
canto spianato du cantabile permet à Ester d’atteindre par paliers son registre aigu. La ligne<br />
vocale passe <strong>en</strong>suite du spianato <strong>au</strong> chant orné : avec une accélération de la scansion<br />
orchestrale et un cresc<strong>en</strong>do instrum<strong>en</strong>tal. On se s<strong>en</strong>t projeté vers la cad<strong>en</strong>ce de soliste avec<br />
l’arrêt brutal sur la sixte et quarte de cad<strong>en</strong>ce.<br />
Ce premier exemple met <strong>en</strong>fin <strong>en</strong> lumière l’héritage itali<strong>en</strong> dans la musique de Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón. Ce qui est remarquable est l’extrême concision de cet héritage, car la Cavatine d’Ester<br />
reti<strong>en</strong>t les traits typiques du style rossini<strong>en</strong>, à savoir :<br />
accompagnem<strong>en</strong>t réduit qui sert de base pour les ornem<strong>en</strong>ts voc<strong>au</strong>x ;<br />
métrique de plus <strong>en</strong> plus affirmée, qui va dans le s<strong>en</strong>s d’une mécanisation du<br />
langage orchestral ;<br />
les bois et le chœur ponctu<strong>en</strong>t discrètem<strong>en</strong>t la mélodie du soliste ;<br />
cresc<strong>en</strong>do vers la péroraison (cad<strong>en</strong>ce de soliste) ;<br />
tournoiem<strong>en</strong>t extatique de formules cad<strong>en</strong>tielles.<br />
<strong>Le</strong> numéro suivant, n° 3 : Plegaria y duo, est la scène de r<strong>en</strong>contre <strong>en</strong>tre Mardoqueo et sa<br />
nièce Ester. Scène conv<strong>en</strong>tionnelle dans l’opéra itali<strong>en</strong>, Ponce de <strong>Le</strong>ón a-t-il dans l’oreille le<br />
duo <strong>en</strong>tre Giorgio Germont, père d’Alfredo, et Violetta ? Ou <strong>en</strong>core celui <strong>en</strong>tre Rigoletto et<br />
Gilda <strong>au</strong> premier acte de Rigoletto ? Si le numéro 2 était incontestablem<strong>en</strong>t de facture<br />
rossini<strong>en</strong>ne, nous nous trouvons ici face à une musique différ<strong>en</strong>te. Cette scène capitale<br />
marque le tournant dramatique de l’opéra :<br />
¡Tú me exiges la muerte!<br />
« Tu m’exiges la mort! » s’écrie Ester. Il n’est donc guerre étonnant que Ponce de <strong>Le</strong>ón ait<br />
choisi le modèle dramatique par excell<strong>en</strong>ce : Verdi. Mardoqueo évoque à la fois Germont qui<br />
vi<strong>en</strong>t demander un sacrifice à Violetta (« Un sacrificio chieggio ») et Rigoletto par son<br />
langage musical. Ce duo introduit un nouvel ingrédi<strong>en</strong>t dans le langage harmonique d’Ester.<br />
La cavatine précéd<strong>en</strong>te était construite sur une dialectique I-V-I (voir exemple musical 11).<br />
Dans le duo, Ponce de <strong>Le</strong>ón accroît la t<strong>en</strong>sion c<strong>en</strong>trale <strong>en</strong> remplaçant la zone de dominante<br />
par un c<strong>en</strong>tre modulant.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
dériver le parcours tonal vers le ton de laa<br />
sous-dominante<br />
(IV), de la domiinante<br />
et du sixième<br />
degré. RRemarquons<br />
s l’appoggiaature<br />
finale à la basse qui q précèdee<br />
l’accord caad<strong>en</strong>tiel<br />
de « quarte<br />
et sixte ». Passage bref, qui aj ajoute de la couleur ha armonique à la partitionn,<br />
le parcou urs tonal<br />
reste cep<strong>en</strong>dant<br />
touut<br />
à fait connv<strong>en</strong>tionnel.<br />
. En revanch he, ce qui l’est<br />
moins eest<br />
la dispos sition de<br />
ces accoords<br />
de +4 eet<br />
de « 6/5 » », <strong>en</strong>richisseem<strong>en</strong>t<br />
sonor re de la parttition..<br />
10.2.<br />
EExemple<br />
musical<br />
1: réducttion<br />
harmoni ique de la fin du n°3 d’Estter<br />
Dans cet exempple,<br />
ce c<strong>en</strong>ntre<br />
modulaant<br />
s’échelo onne par mmarches<br />
harrmoniques<br />
qui font<br />
L’orchestred’Esteer<br />
L’orcchestre<br />
de laa<br />
création dd’Ester<br />
étaitt<br />
constitué par p l’effectiif<br />
instrum<strong>en</strong>ntal<br />
suivant t (qui est<br />
le mêmee<br />
que celui du Castillo misterioso) ) :<br />
1 flû<br />
2 clariinettes<br />
(<strong>en</strong> s<br />
2 pistons (<br />
1 troompette<br />
(<strong>en</strong><br />
2 cors naaturels<br />
(<strong>en</strong> u<br />
la<br />
1 s<br />
b ûte<br />
si<br />
)<br />
3 tromb<br />
1 saxhor<br />
saxophone b<br />
2 timb<br />
1 harmo<br />
Cord<br />
b , <strong>en</strong> la et e<br />
<strong>en</strong> si b , la)<br />
n ut, fa, si b , l<br />
ut, fa, mi b , r<br />
)<br />
bones<br />
rn <strong>en</strong> si b<br />
<strong>en</strong> ut)<br />
la<br />
baryton <strong>en</strong> s<br />
bales<br />
onium<br />
des<br />
b )<br />
ré b , sol,<br />
si b<br />
Baanda<br />
sur scène<br />
:<br />
Cllarinettes<br />
<strong>en</strong>n<br />
mi<br />
CClarinettes<br />
<strong>en</strong><br />
Cornnets<br />
à piston<br />
Boombardes<br />
<strong>en</strong><br />
BBarytons<br />
<strong>en</strong><br />
SSaxhorns<br />
<strong>en</strong><br />
Trombone<br />
Trommbone<br />
basse<br />
Grosse cais<br />
b<br />
n si b<br />
ns <strong>en</strong> si b<br />
n mi b<br />
n si b<br />
n si b<br />
es<br />
e <strong>en</strong> si b<br />
sse<br />
Taable<strong>au</strong><br />
21 : orrchestre<br />
d'Es ster (1874) et du Castillo mmisterioso<br />
(18776)<br />
<strong>Le</strong> nooy<strong>au</strong><br />
de l’oorchestre<br />
deemeure<br />
tradditionnel,<br />
ou utre la préss<strong>en</strong>ce<br />
d’insstrum<strong>en</strong>ts<br />
nouve<strong>au</strong>x<br />
comme les saxophoones<br />
ou saxxhorns.<br />
L’uttilisation<br />
de e l’orchestree<br />
reste confforme<br />
à l’es sthétique<br />
de l’opéra<br />
itali<strong>en</strong>, sans virtuuosité<br />
dans l’écriture des d différ<strong>en</strong>nts<br />
pupitress<br />
: violons, flûte et<br />
clarinetttes<br />
doubl<strong>en</strong>nt<br />
le chant. VViolons<br />
II, aaltos<br />
et viol loncelles l’aaccompagne<br />
<strong>en</strong>t sur des formules<br />
f<br />
325<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> rêvve<br />
<strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> C<strong>Colombie</strong><br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> X<br />
e <strong>siècle</strong>
326<br />
syncopéées<br />
faisant aalterner<br />
toniique<br />
et domminante.<br />
Par radoxalem<strong>en</strong>nt,<br />
on assistte<br />
à une com mplexité<br />
de l’écrriture<br />
dans lla<br />
zarzuela dde<br />
1876 de Ponce de <strong>Le</strong>ón. L Dans ce s<strong>en</strong>s, Ester<br />
apparaît t comme<br />
une œuvvre<br />
de jeunnesse,<br />
où le compositeuur<br />
pr<strong>en</strong>d ses s préc<strong>au</strong>tionns<br />
quant à ll’utilisation<br />
du tissu<br />
orchestrral.<br />
Mais ill<br />
est <strong>au</strong>ssi fort probabble<br />
qu’<strong>en</strong>tre e 1874 et 11876,<br />
l’orchhestre<br />
à Bo ogotá ait<br />
améliorré<br />
son nivea<strong>au</strong>.<br />
Outree<br />
le souti<strong>en</strong> harmoniquue<br />
et rythmiique<br />
qu’offr fre l’orchesttre,<br />
sa puisssance<br />
évoca atrice est<br />
mise <strong>au</strong>u<br />
service dees<br />
passages les plus draamatiques<br />
du d texte. Trrémolos,<br />
utiilisation<br />
de l’accord<br />
de 7 ème<br />
« symphhoniques<br />
», <strong>au</strong>tant de ggestes<br />
comppositionnels<br />
s qui illustre<strong>en</strong>t<br />
le texte par le langa age codé<br />
des affeectes.<br />
Des trrémolos<br />
de cordes sur un accord de d 7 ème dimminuée<br />
souliign<strong>en</strong>t<br />
des mots m tels<br />
que :<br />
En <strong>en</strong>nchaînant<br />
ddes<br />
accordss<br />
de 7 ème ddiminuée<br />
par p progression<br />
chrommatique<br />
à la<br />
basse,<br />
aboutisssant<br />
sur un accord de sixte ajoutéée<br />
saisissant t, le compoositeur<br />
créé un effet de e t<strong>en</strong>sion<br />
dramatique<br />
commee<br />
c’est le cass<br />
des quelquues<br />
mesures s qui précèdd<strong>en</strong>t<br />
le Final<br />
de l’opéra a :<br />
Asuero<br />
¡Traidorr!<br />
¿Hasta la reina<br />
alzas la mano?<br />
¡Guardiaas!<br />
¡Aquí! ¡MMuerte<br />
al villlano!<br />
Todos<br />
Oh Ciellos!<br />
e diminuée<br />
e, <strong>au</strong>daces<br />
Y <strong>en</strong>n<br />
tanto <strong>au</strong>dazz<br />
ministro noos<br />
acusa y ha a jurado nuesstra<br />
pérdida. (Ester, III, 10)<br />
Entrre<br />
temps l’<strong>au</strong>udacieux<br />
minnistre<br />
nous ac ccuse et a jurré<br />
notre pertee.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> MMusicologie<br />
-<br />
Universitté<br />
<strong>Paris</strong>-Sorboonne<br />
(<strong>Paris</strong> IVV)<br />
harmoniquues,<br />
interve <strong>en</strong>tions du<br />
EExemple<br />
mussical<br />
2: Ester, Acte III n° 112<br />
ANNEXES<br />
As ssuérus<br />
Quoi Q ? <strong>Le</strong> trraître<br />
sur voous<br />
porte se es mains<br />
ha ardies ? (III, 6)<br />
(G Gardes ! À mmoi<br />
! Mort <strong>au</strong>u<br />
vilain !<br />
Tous To<br />
Oh O cieux !<br />
chœur <strong>au</strong>ux<br />
acc<strong>en</strong>ts<br />
voc<strong>au</strong>x
327<br />
Ester s’évanouit lorsqu’elle apparaît devant Asuero furieux. Ponce de <strong>Le</strong>ón a choisi<br />
de représ<strong>en</strong>ter la défaillance de la reine par une cellule chromatique <strong>au</strong>x violons, flûte et<br />
clarinettes, sur un orchestre <strong>en</strong> tutti qui fait <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre un accord de 7 e diminuée :<br />
Exemple musical 3 : évanouissem<strong>en</strong>t d'Ester (n° 4)<br />
La texture saccadée <strong>en</strong> double croches de cette page, ainsi que sa construction<br />
harmonique corrobor<strong>en</strong>t un langage par mom<strong>en</strong>ts fortem<strong>en</strong>t dramatique.<br />
Au premier acte Mardoqueo exhorte Ester à parler <strong>au</strong> Roi pour s<strong>au</strong>ver son peuple de<br />
la mort prononcée par Amán :<br />
Por intriga de Amán el Monarca ha dispuesto<br />
Que todos aquellos que llevamos la sangre de Israel<br />
Por la mano del verdugo sean destruidos.<br />
On doit de tous les Juifs exterminer la race.<br />
Au sanguinaire Amán nous sommes tous livrés. (I ; 3)<br />
Au chœur de répliquer « Ô Cru<strong>au</strong>té ! » sur une basse fuyante chromatique sur laquelle<br />
s’<strong>en</strong>chaîn<strong>en</strong>t un accord de septième diminuée et de 9 ème mineure de dominante,<br />
fortem<strong>en</strong>t expressifs :<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
328<br />
suiviie<br />
par un acccord<br />
inatt<strong>en</strong>ndu<br />
de ré b mmajeur<br />
:<br />
Noous<br />
compr<strong>en</strong>nons<br />
alors qqu’il<br />
s’agit dd’une<br />
appog ggiature d’uun<br />
accord dde<br />
sol, domi inante<br />
<strong>en</strong> utt<br />
majeur. Puuis<br />
le discouurs<br />
musical repr<strong>en</strong>d son n rythme. CCette<br />
succession<br />
de surp prises<br />
harmmoniques<br />
traaduit<br />
la situaation<br />
fatale du peuple juif<br />
dans la Perse bibliqque<br />
:<br />
Cees<br />
quelques exemples mmontr<strong>en</strong>t<br />
unne<br />
coloratio on du discoours<br />
harmonnique<br />
juste avant<br />
l'inévvitable<br />
cade<strong>en</strong>ce<br />
de soliiste.<br />
<strong>Le</strong> langgage<br />
musica al de Poncee<br />
de <strong>Le</strong>ón reeste<br />
tributai ire de<br />
la dialectique<br />
dee<br />
t<strong>en</strong>sion I-V<br />
; ces queelques<br />
passages<br />
sont ddes<br />
solutionns<br />
parmi d’a <strong>au</strong>tres<br />
polycchrome,<br />
maais<br />
qui restte<br />
bi<strong>en</strong> connv<strong>en</strong>tionnel<br />
le si l’on ssonge<br />
à sess<br />
contempo orains<br />
europpé<strong>en</strong>s.<br />
Exxemple<br />
musiccal<br />
4 : interve<strong>en</strong>tion<br />
du chœ œur dans le DDuo<br />
n° 3 (Esteer)<br />
Reemarquons<br />
<strong>au</strong>ssi cet aarrêt<br />
de la mmusique<br />
su ur une cade<strong>en</strong>ce<br />
rompuue<br />
<strong>en</strong> la mi ineur,<br />
EExemple<br />
musiical<br />
5 : digresssion<br />
harmon nique du chœur,<br />
n° 1 (Esteer)<br />
DDonde<br />
doblarron<br />
ellos su ssi<strong>en</strong>.<br />
(LLà<br />
où [nos aaïeux]<br />
dur<strong>en</strong>tt<br />
courber le dos.) d<br />
qu’ill<br />
apporte ppour<br />
créer ddavantage<br />
de variété, et montr<strong>en</strong>nt<br />
une palette<br />
harmon nique<br />
Bie<strong>en</strong><br />
que réduuit,<br />
le rôle ddes<br />
instrume<strong>en</strong>ts<br />
à v<strong>en</strong>t produit, p parr<br />
contraste aavec<br />
une éc criture<br />
priviilégiant<br />
les cordes, des<br />
textures ssonores<br />
séd duisantes. LL’opéra<br />
commm<strong>en</strong>ce<br />
par<br />
une<br />
ouveerture<br />
où less<br />
v<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>toonn<strong>en</strong>t<br />
un chhoral<br />
pp ; ce e même chooral<br />
qui à l’ acte III, tou ujours<br />
Thèsee<br />
de Doctorat <strong>en</strong> Musicologgie<br />
- ANNEXESS<br />
Univeersité<br />
<strong>Paris</strong>-Soorbonne<br />
(Pariis<br />
IV)
soute<strong>en</strong>u<br />
par les bbois<br />
et les ccuivres,<br />
devvi<strong>en</strong>t<br />
la prièr re d’Ester : « <strong>Le</strong> Dieu éternel, celu ui qui<br />
fit le monde… » (Voir égallem<strong>en</strong>t<br />
l’exeemple<br />
musicale<br />
7) :<br />
Ceette<br />
prière, éénoncée<br />
succcessivem<strong>en</strong><br />
nt <strong>en</strong> fa, <strong>en</strong> n ré puis <strong>en</strong> la b rappellee<br />
une succe ession<br />
harmmonique<br />
déjà<br />
préconiséée<br />
par Gounnod<br />
dans Ro oméo et Julliette.<br />
Lorsqque<br />
frère La <strong>au</strong>r<strong>en</strong>t<br />
donnne<br />
à Juliettee<br />
le filtre quui<br />
l’<strong>en</strong>dort, iil<br />
chante su ur une formuule<br />
musicalle<br />
qui se rép pète à<br />
la tieerce<br />
supérieeure.<br />
Musiqque<br />
incantattoire,<br />
le my ystère de DDieu<br />
apparaîît<br />
chez Pon nce de<br />
<strong>Le</strong>ónn<br />
sur la mêmme<br />
formule harmoniquee<br />
:<br />
Exemmple<br />
musicall<br />
6 : première es mesures d'EEster<br />
Rondy TOR RRES L.<br />
e<br />
<strong>siècle</strong><br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> lyyrique<br />
<strong>en</strong> Coloombie<br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e<br />
329
330<br />
<strong>Le</strong>e<br />
registre ammoureux<br />
dee<br />
la flûte et des deux cl larinettes ouuvre<br />
le duo <strong>en</strong>tre le roi i et la<br />
reinee.<br />
Ces timbrres<br />
chaleureeux<br />
vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
doubler pa ar mom<strong>en</strong>tss<br />
les lignes vvocales.<br />
Laa<br />
prière de MMardoqueo<br />
(n° 4 : « Saalva<br />
a tu pue eblo ») est aaccompagné<br />
ée par une figure f<br />
d’acccords<br />
paralllèles<br />
<strong>au</strong>x<br />
Händdel<br />
: « Tunee<br />
your harpss<br />
to cheerfuul<br />
strains » (scène ( 2). MMais<br />
<strong>en</strong> 18774,<br />
l’orchest tre de<br />
Bogootá<br />
n’a pas e<strong>en</strong>core<br />
de hharpe.<br />
Laa<br />
pulsation<br />
Exempple<br />
musical 7:<br />
Comparaisoon<br />
<strong>en</strong>tre Rom méo et Juliettee<br />
de Gounod eet<br />
Ester<br />
cordes <strong>en</strong><br />
rythmiquee<br />
devi<strong>en</strong>t uun<br />
<strong>au</strong>tre élém<strong>en</strong>t é de<br />
l’agittation<br />
des ppersonnage<br />
s. Alors quu’Ester<br />
gît évanouie é <strong>au</strong>ux<br />
pieds d’ ’Asuero, ce elui-ci<br />
expriime<br />
son étoourdissem<strong>en</strong><br />
nt sur une péédale<br />
d’ut <strong>au</strong>x a violons :<br />
¿ ¿Y cómo ha ppodido<br />
del roostro<br />
hechice ero borrarse eel<br />
color?<br />
DDe<br />
son teint ttout<br />
à coup ef efface la coul leur ? (II, 7)<br />
Thèsee<br />
de Doctorat <strong>en</strong> Musicologgie<br />
- ANNEXESS<br />
Univeersité<br />
<strong>Paris</strong>-Soorbonne<br />
(Pariis<br />
IV)<br />
pizzicati. Cet C accomppagnem<strong>en</strong>t<br />
patriarche<br />
fait p<strong>en</strong>ser <strong>au</strong>xx<br />
harpes biibliques<br />
du Roi Davidd,<br />
ces « citthares<br />
mue ettes »<br />
dramatisattion<br />
qui tr raduit<br />
Quelle éttrange<br />
pâleur<br />
des parole es du<br />
(Esteer,<br />
n° 2) qqui<br />
se dessiin<strong>en</strong>t<br />
dans l’orchestre e ; ou <strong>en</strong>corre<br />
à l’aria dans Esthe er de
Exemple muusical<br />
8 : pulsaation<br />
nerveus se <strong>au</strong>x violonns<br />
(Ester, n° 4)<br />
Alors<br />
que Riggoletto<br />
commpr<strong>en</strong>d<br />
que sa fille est dans les maains<br />
du Ducc,<br />
il exprim me son<br />
désarrroi<br />
« Ah ! Voi tutti a me contro v<strong>en</strong>ite ! » (II, ( 4) sur ccette<br />
même pédale nerv veuse<br />
<strong>au</strong>x vviolons.<br />
Laa<br />
comparaison<br />
serait saans<br />
intérêt si s Ponce de <strong>Le</strong>ón n’avvait<br />
pas repr roduit<br />
les mmêmes<br />
lignees<br />
mélodiquues<br />
<strong>au</strong>x violooncelles<br />
et altos a :<br />
Riggoletto<br />
(I, nn°<br />
9) découvvre<br />
que sa ffille<br />
est dan ns la chambbre<br />
du Duc dde<br />
Mantoue e; son<br />
désarrroi<br />
s’exprime<br />
par un<br />
ostinato<br />
violooncelles<br />
desssin<strong>en</strong>t<br />
une lligne<br />
asc<strong>en</strong>ddante<br />
sur un n ambitus dde<br />
« triton ». .<br />
10.33.<br />
<strong>Le</strong>langgageharmmonique<br />
e<br />
Exempple<br />
musical 9 : Rigoletto, Acte A 1 n° 9 dee<br />
Verdi<br />
<strong>au</strong>x violo ons I, alorss<br />
que violoons<br />
II, altos<br />
et<br />
Hoormis<br />
des paassages<br />
où ll’int<strong>en</strong>sité<br />
ddramatique<br />
du d verbe se traduit par un accord ou o les<br />
<strong>en</strong>chhaînem<strong>en</strong>ts<br />
surpr<strong>en</strong>antss<br />
que nous v<strong>en</strong>ons de voir, le diiscours<br />
mussical<br />
d’Este er est<br />
organnisé<br />
selon uune<br />
dialectiqque<br />
de t<strong>en</strong>siion–dét<strong>en</strong>te<br />
e qui se tradduit<br />
par unee<br />
alternance <strong>en</strong>tre<br />
toniqque<br />
et dominante(s).<br />
Nous<br />
proposoons<br />
une réd duction du pparcours<br />
harrmonique<br />
du d trio<br />
Rondy TOR RRES L.<br />
e<br />
<strong>siècle</strong><br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> lyyrique<br />
<strong>en</strong> Coloombie<br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e<br />
331
332<br />
(n° 11),<br />
de la caabalette<br />
d’Esster<br />
(fin du n° 2), du duo d n° 3 <strong>en</strong>trre<br />
Ester et MMardoqueo<br />
et du<br />
duo dd’amour<br />
<strong>en</strong>ttre<br />
le Roi ett<br />
la Reine (nn°<br />
5) pour il llustrer nos propos.<br />
toniqque<br />
et domiinante,<br />
il caaractérise<br />
le langage musical m classsique<br />
de Ponce<br />
de <strong>Le</strong>ón.<br />
Ce<br />
mêmme<br />
schéma<br />
seconndaires<br />
:<br />
Exemple muusical<br />
10 : Rééduction<br />
harm monique du nn°11<br />
d’Ester.<br />
Paarcours<br />
harmmonique<br />
simmplifié,<br />
rédduit<br />
à une dialectique d de t<strong>en</strong>sionn<br />
– dét<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre<br />
harmoniquue<br />
peut être<br />
« color ré » par l’ ’utilisation<br />
Exemmple<br />
musical 11 : Réductioon<br />
harmoniqu ue de la Cabaalette<br />
d’Esterr<br />
(n°2)<br />
Ouu<br />
alors ce baalancem<strong>en</strong>t<br />
harmoniquue<br />
I-V est <strong>en</strong> nrichi, colorré,<br />
par un acccord<br />
partic culier,<br />
inatte<strong>en</strong>du<br />
dans lla<br />
partition, comme c’eest<br />
le cas da ans le duo dd’amour,<br />
c<strong>en</strong>ntre<br />
du c<strong>en</strong>t tre de<br />
l’opééra.<br />
Ici, le c<strong>en</strong>tre moddulant<br />
se réésume<br />
<strong>en</strong> un n accord de<br />
9 ème de ddominante<br />
sur s le<br />
quatrrième<br />
degréé<br />
altéré <strong>en</strong> fa majeur (dominante<br />
se econdaire) :<br />
Exxemple<br />
musiccal<br />
12 : exempple<br />
de colorat tion harmoniique<br />
particuliière<br />
(n°5 d’Ester) )<br />
harmmonique<br />
et mmécanique<br />
à la ligne raapide,<br />
quasi <strong>en</strong> parlar ccantando,<br />
ddes<br />
solistes. Avec<br />
Thèsee<br />
de Doctorat <strong>en</strong> Musicologgie<br />
- ANNEXESS<br />
Univeersité<br />
<strong>Paris</strong>-Soorbonne<br />
(Pariis<br />
IV)<br />
de domin nantes<br />
L’oorchestre<br />
ddu<br />
trio, d’abbord<br />
cordess<br />
<strong>en</strong> pizzica ati puis aveec<br />
les bois, donne une e base
l’<strong>en</strong>trrée<br />
des cuivvres,<br />
le cressc<strong>en</strong>do<br />
orchestral<br />
confè ère un pouvoir<br />
dionysiaaque<br />
à cette e page<br />
qui ffinit,<br />
commee<br />
chez Rosssini,<br />
par unee<br />
strette fina ale et une caad<strong>en</strong>ce<br />
<strong>au</strong>x trois voix :<br />
Laa<br />
cabalette dd’Ester<br />
<strong>en</strong> ssi<br />
b majeur pprés<strong>en</strong>te<br />
un év<strong>en</strong>tail haarmonique<br />
pplus<br />
grand, <strong>en</strong> ce<br />
l’opééra<br />
et réappparaît<br />
à la fiin<br />
du premiier<br />
acte « Voz V de la paatria<br />
», danss<br />
le chœur « Rey<br />
podeeroso<br />
» du ddeuxième<br />
accte<br />
(n° 4), ddans<br />
la Band da Triunfall,<br />
dans l’ariaa<br />
d’Ester (n n° 11)<br />
et daans<br />
la prièère<br />
d’Amánn<br />
(n° 12),<br />
orcheestrale.<br />
Laa<br />
grande paage<br />
de Marrdoqueo,<br />
soon<br />
duo ave ec Ester (n°<br />
3), gagnee<br />
<strong>en</strong> complexité<br />
harmmonique.<br />
Coomme<br />
nouss<br />
l’avons eexposé<br />
préc cédemm<strong>en</strong>t,<br />
le modèlee<br />
sous-jac<strong>en</strong> nt de<br />
Rigoletto<br />
se retrrouve,<br />
harmmoniquem<strong>en</strong><br />
nt, dans ce c<strong>en</strong>tre qui e<strong>en</strong>chaîne<br />
dees<br />
accords de d +4<br />
accorrds,<br />
donc saa<br />
sonorité, ttranche<br />
avec<br />
l’<strong>en</strong>sembl le de la pagge.<br />
Remarquuons<br />
que co omme<br />
supérrieur<br />
de la ddominante<br />
:<br />
Exempple<br />
musical 113<br />
: Ester, Tri io de l'acte II II n° 11<br />
s<strong>en</strong>s que la parttie<br />
c<strong>en</strong>trale se teint d’ ’une couleu ur d’ut mineeur<br />
puis dee<br />
ré mineur pour<br />
retouurner<br />
sur laa<br />
dominante<br />
de si b . CCe<br />
schéma harmonique<br />
est le plus<br />
courant dans<br />
souv<strong>en</strong>t lié é à une acccélération<br />
de la sca ansion<br />
et dee<br />
« 6/5 baarré<br />
». Si lee<br />
parcours harmoniqu ue reste simmple,<br />
la dissposition<br />
de<br />
ces<br />
c’estt<br />
souv<strong>en</strong>t lee<br />
cas chez Verdi, le duo se clô ôt par une appoggiatuure<br />
<strong>au</strong> dem mi-ton<br />
Rondy TOR RRES L.<br />
e<br />
<strong>siècle</strong><br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> lyyrique<br />
<strong>en</strong> Coloombie<br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e<br />
333
334<br />
EExemple<br />
mussical<br />
14 : fin du duo <strong>en</strong>tre e Mardoqueo et Ester (n°33)<br />
À cet év<strong>en</strong>taiil<br />
harmoniqque<br />
de plus <strong>en</strong> plus la arge dans nos<br />
exemplees,<br />
nous voulons<br />
oppooser<br />
la consstruction<br />
duu<br />
duo d’ammour<br />
(n° 5). Dans un ggeste<br />
de conncision<br />
extr rême,<br />
Poncce<br />
de <strong>Le</strong>ón rréduit<br />
la parrtie<br />
c<strong>en</strong>tralee<br />
à une mesure.<br />
L’effett<br />
n’est pourttant<br />
pas affa aibli :<br />
un accord<br />
de 9 èème<br />
de domminante,<br />
s<strong>en</strong>nsuel<br />
et mag gique, surgit<br />
à ce momm<strong>en</strong>t<br />
axial de la<br />
partittion<br />
(voir éégalem<strong>en</strong>t<br />
ll’exemple<br />
mmusical<br />
12) ). <strong>Le</strong>s cuivvres,<br />
jusqu’ alors sil<strong>en</strong>c cieux,<br />
r<strong>en</strong>trr<strong>en</strong>t<br />
sur un rregistre<br />
careessant<br />
qui exxprime,<br />
peu ut-être mieuux<br />
que Asueero<br />
:<br />
.. .. mi vida tu vida, tu escuudo<br />
mi amor. .<br />
(MMa<br />
vie ta viee,<br />
ton bouclieer<br />
mon amou ur.)<br />
Fa<strong>au</strong>t-il<br />
voir uune<br />
influ<strong>en</strong>cce<br />
de la foorme<br />
sonate e dès lors qqu’il<br />
est quuestion<br />
de partie p<br />
c<strong>en</strong>trrale<br />
modullante<br />
? Mêmme<br />
si <strong>au</strong>ccun<br />
des morce<strong>au</strong>x m dee<br />
l’opéra<br />
développem<strong>en</strong>t<br />
– procédé ggénéralem<strong>en</strong><br />
nt banni de la littératurre<br />
opératiquue<br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong> s<br />
– on peut suppooser<br />
que Ponnce<br />
de <strong>Le</strong>ónn,<br />
contraire em<strong>en</strong>t à ses contemporaains<br />
colomb bi<strong>en</strong>s,<br />
connnaissait<br />
l’exiist<strong>en</strong>ce<br />
de laa<br />
forme sonnate.<br />
Thèsee<br />
de Doctorat <strong>en</strong> Musicologgie<br />
- ANNEXESS<br />
Univeersité<br />
<strong>Paris</strong>-Soorbonne<br />
(Pariis<br />
IV)<br />
EExemple<br />
mussical<br />
15 : Este er, acte II n° 5<br />
ne prés<strong>en</strong>t te de
335<br />
Ce serait nous éloigner de notre sujet que de parler ici de la forme sonate, si ce n’est<br />
qu’Ester conti<strong>en</strong>t la première page de musique <strong>en</strong> forme sonate écrite <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong>.<br />
L’ouverture <strong>en</strong> ut majeur est construite selon le modèle beethovéni<strong>en</strong> :<br />
Adagio exposition développem<strong>en</strong>t réexposition développem<strong>en</strong>t<br />
terminal<br />
UT UT - SOL UT UT<br />
Table<strong>au</strong> 22 : plan de l'Ouverture d’Ester<br />
Coda<br />
L’adagio sous forme de choral (exemple musical 6) est la prière qu’Ester repr<strong>en</strong>d <strong>au</strong><br />
troisième acte (exemple musical 7) :<br />
Confunde Oh Dios la <strong>au</strong>dacia y la impostura<br />
Y dadme ali<strong>en</strong>to y voz <strong>en</strong> la def<strong>en</strong>sa del pueblo de Israel.<br />
O Dieu, confonds l’<strong>au</strong>dace et l’imposture. (III, 4)<br />
(Donne-moi haleine et voix pour la déf<strong>en</strong>se du peuple d’Israël.)<br />
<strong>Le</strong> premier thème de l’ouverture <strong>en</strong> ut majeur réapparaît par la suite <strong>au</strong> deuxième<br />
acte, cette fois <strong>en</strong> sol majeur ; dans un style déclamatoire Asuero s’adresse à son favori<br />
Amán :<br />
¿Qué premio daremos al celo de un hombre<br />
A qui<strong>en</strong> debo la vida y anhelo probar hasta donde soy grato con él?<br />
Dis-moi donc : que doit faire un prince magnanime<br />
Qui veut combler d’honneurs un sujet qu’il estime ? (II, 5)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
336<br />
pages<br />
<strong>en</strong> ut majeur<br />
; il devvi<strong>en</strong>t<br />
donc lee<br />
lieu de la t<strong>en</strong>sion forrmelle<br />
dans un <strong>en</strong>semb ble <strong>en</strong><br />
ut maajeur<br />
et ne ssera<br />
pas résolu.<br />
Pour AAmán,<br />
son malheur m débute<br />
ici.<br />
<strong>Le</strong>e<br />
deuxième thème de l’ouverture,<br />
<strong>en</strong> sol majeur,<br />
lance lle<br />
quintette final de l’o opéra,<br />
décallé<br />
par rappoort<br />
<strong>au</strong> texte, qui va à l’e<strong>en</strong>contre<br />
de la s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>cee<br />
d’Asuero :<br />
Ennfin<br />
un dernnier<br />
mot surr<br />
l’influ<strong>en</strong>cee<br />
de la form me sonate : Ponce de L<strong>Le</strong>ón<br />
affectionne<br />
tiercee<br />
inférieuree<br />
des tonalittés<br />
mineurees<br />
dans les parties p c<strong>en</strong>ttrales.<br />
Il arrrive<br />
ainsi à sortir<br />
du scchéma<br />
convv<strong>en</strong>tionnel<br />
dde<br />
la moduulation<br />
<strong>au</strong> to on relatif. LL’aria<br />
d’Estter<br />
(n° 10) <strong>en</strong> ut<br />
mineeur<br />
s’éclairee<br />
sur une paartie<br />
c<strong>en</strong>trale<br />
<strong>en</strong> la b majeur m ; la pprière<br />
d’Ammán<br />
(n° 11) passe<br />
vocaale<br />
:<br />
Thèsee<br />
de Doctorat <strong>en</strong> Musicologgie<br />
- ANNEXESS<br />
Univeersité<br />
<strong>Paris</strong>-Soorbonne<br />
(Pariis<br />
IV)<br />
EExemple<br />
mussical<br />
16 : Este er, Acte II n° 4<br />
Alors<br />
que ce thème se pprés<strong>en</strong>tait<br />
ccomme<br />
le premier p thèmme<br />
dans unne<br />
expositio on de<br />
formme<br />
sonate daans<br />
l’ouvertture,<br />
il appparaît<br />
cette fois-ci <strong>en</strong> ssol<br />
majeur <strong>en</strong>touré de deux<br />
A. Scène<br />
B. Chœur<br />
« Oh Rey podero oso »<br />
C. AAsuero<br />
et Ammán<br />
D. RReprise<br />
du CChœur<br />
Table<strong>au</strong> 23 : plan de la ppremière<br />
scèn ne n° 4 de l’accte<br />
II d’Esterr<br />
n° 133<br />
<strong>en</strong> sol maajeur.<br />
Thèmme<br />
à allure martiale, c’est c le lietoo<br />
fine musiical,<br />
inatt<strong>en</strong> ndu et<br />
MMort<br />
<strong>au</strong> vila ain !<br />
UUT<br />
UUT<br />
–(LA b ) – UT<br />
SSOL<br />
particulièrem<strong>en</strong>tt<br />
les modullations<br />
à laa<br />
tierce supérieure<br />
des tonalités mmajeures<br />
ou u à la<br />
de mmi<br />
b majeur a<strong>au</strong><br />
ton loinntain<br />
de si mmajeur<br />
par glissem<strong>en</strong>tt<br />
<strong>en</strong>harmonnique<br />
de la ligne<br />
UUT
10.44.<br />
<strong>Le</strong>sliggnesméloodiques<br />
<br />
discoours<br />
musicaal<br />
de Poncee<br />
de <strong>Le</strong>ón. CCes<br />
dissona ances – ellees<br />
le sont <strong>en</strong>ncore<br />
<strong>en</strong> 18 874 –<br />
qui ddynamis<strong>en</strong>t<br />
la musiquee,<br />
constitu<strong>en</strong>nt<br />
un stéréo otype du lanngage<br />
itali<strong>en</strong>n<br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. s<br />
Ainsi<br />
le chœur dde<br />
louange à Asuero (nn°<br />
4) est co onstruit sur une double note de pa assage<br />
chrommatisée<br />
– laa<br />
prés<strong>en</strong>ce dde<br />
dièses suur<br />
l’exempl le suivant re<strong>en</strong>d<br />
inutile ttout<br />
besoin de le<br />
signaaler<br />
:<br />
Exempple<br />
musical 117<br />
: Ester, Act te III, Aria d’Amán<br />
L’aappoggiatur<br />
re, les notees<br />
de passaages<br />
et les broderies chromatiquues<br />
articule <strong>en</strong>t le<br />
Exemmple<br />
musical 118<br />
: doubles cchromatismes<br />
s de passage dans le Chœuur<br />
n° 4<br />
Traace<br />
d’un eexotisme<br />
déésuet<br />
? Illusstration<br />
d’u une Perse aantique<br />
? DDéjà<br />
la dans se de<br />
Scythhe<br />
d’Iphigéénie<br />
<strong>en</strong> T<strong>au</strong>rride<br />
de Glucck,<br />
le chœu ur des Janisssaires<br />
dans LL’Enlèveme<br />
<strong>en</strong>t <strong>au</strong><br />
Sérail<br />
de Mozaart<br />
ou le chœœur<br />
de femmmes<br />
de Sé émiramis dee<br />
Rossini foont<br />
appel à cette<br />
s<strong>en</strong>siible<br />
de domminante,<br />
tracce<br />
de bizarreerie,<br />
signatu ure d’un Aillleurs<br />
<strong>en</strong> muusique.<br />
Paar<br />
son aspecct<br />
virtuose dde<br />
prés<strong>en</strong>taation,<br />
la cab balette d’Estter<br />
(n° 2) eest<br />
construit te par<br />
succeession<br />
de ccourtes<br />
cellules<br />
musicales<br />
ornées s par des trrilles<br />
et dess<br />
désin<strong>en</strong>ce es qui<br />
reh<strong>au</strong>uss<strong>en</strong>t<br />
la liggne<br />
vocale. Ce type de cellule est l’apanage l ddu<br />
langage dd’un<br />
Rossin ni qui,<br />
commme<br />
nous l’aavons<br />
déjà iindiqué,<br />
a iinflu<strong>en</strong>cé<br />
l’é écriture de cette cavatiine.<br />
En que elques<br />
mesuures<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón réécupère<br />
cettte<br />
filiation pour prése<strong>en</strong>ter<br />
une EEster<br />
amour reuse.<br />
Rondy TOR RRES L.<br />
e<br />
<strong>siècle</strong><br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> lyyrique<br />
<strong>en</strong> Coloombie<br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e<br />
337
338<br />
Premmière<br />
caracttéristique<br />
duu<br />
langage dde<br />
Ponce de<br />
<strong>Le</strong>ón : coond<strong>en</strong>ser<br />
<strong>en</strong>n<br />
quelques notes<br />
l’hérritage<br />
europé<strong>en</strong>.<br />
Maais<br />
lorsque le drame sse<br />
t<strong>en</strong>d, la rréfér<strong>en</strong>ce<br />
ch hange. <strong>Le</strong>s deux duos d’Ester, n°<br />
3 et<br />
n° 5, représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />
des momm<strong>en</strong>ts<br />
décisiifs<br />
dans l’op péra. Chez Racine, la suite de l’a action<br />
dép<strong>en</strong>dait<br />
de cettte<br />
double rr<strong>en</strong>contre<br />
EEsther<br />
/ Mar rdoqueo et EEsther<br />
/ Asssuérus.<br />
Dan ns ces<br />
deuxx<br />
cas, les liignes<br />
méloddiques<br />
suivv<strong>en</strong>t<br />
une co onstruction analogue. DD’abord<br />
la voix<br />
mascculine<br />
chantte<br />
une méloodie<br />
large qqui<br />
gagne par p paliers le<br />
registre aaigu,<br />
sur un tapis<br />
sonore<br />
donné ppar<br />
les corddes.<br />
Puis re<strong>en</strong>tre<br />
Ester ; une ligne brisée, <strong>en</strong> courtes ce ellules<br />
desce<strong>en</strong>dantes,<br />
ddoublée<br />
parr<br />
la flûte<br />
rappeell<strong>en</strong>t<br />
la liggne<br />
mélodiqque<br />
de Gildda<br />
ou le du uo Violettaa-Alfredo<br />
dééjà<br />
cité dan ns La<br />
Travviata<br />
:<br />
Exemple mmusical<br />
19 : lligne<br />
vocale d’Ester d dans lle<br />
Duo n° 5<br />
Deernier<br />
mot sur le moddèle<br />
« Verdii<br />
». En 186 67 Ponce dee<br />
<strong>Le</strong>ón assiste<br />
à <strong>Paris</strong> s à la<br />
créattion<br />
de Donn<br />
Carlos. SSon<br />
admirattion<br />
a dû êt tre telle quue<br />
sept annéées<br />
plus tar rd, <strong>en</strong><br />
compposant<br />
Esteer,<br />
il a <strong>en</strong>ccore<br />
<strong>en</strong> têtee<br />
le chef-d’œuvre<br />
parrisi<strong>en</strong><br />
du mmaître<br />
itali<strong>en</strong> n. <strong>Le</strong><br />
persoonnage<br />
de MMardoqueo,<br />
, messager dde<br />
Dieu, ga arde un stylee<br />
déclamatooire<br />
qui n’es st pas<br />
sans rappeler lee<br />
rôle terrible<br />
du Grandd<br />
Inquisiteu ur. Pourtantt<br />
la comparaaison<br />
ne s’a arrête<br />
Thèsee<br />
de Doctorat <strong>en</strong> Musicologgie<br />
- ANNEXESS<br />
Univeersité<br />
<strong>Paris</strong>-Soorbonne<br />
(Pariis<br />
IV)<br />
et les clari inettes, <strong>au</strong>xx<br />
sonorités<br />
verdi<strong>en</strong>nes<br />
qui
pas iici<br />
; le débuut<br />
de la sccène<br />
2 de l’opéra,<br />
<strong>en</strong>tr rée imprévuue<br />
de Marddoqueo<br />
dan ns les<br />
appaartem<strong>en</strong>ts<br />
d’ ’Ester, commm<strong>en</strong>ce<br />
par ccette<br />
figure musicale aappoggiatur<br />
rée qui dans s Don<br />
Carloos<br />
ouvre l’aacte<br />
IV.<br />
Don CCarlos<br />
de VVerdi<br />
AActe<br />
IV n° 155<br />
Exemple mmusical<br />
20 : coomparaison<br />
<strong>en</strong>tre e Ester ett<br />
Don Carlos<br />
Laa<br />
terrible sixxte<br />
<strong>au</strong>gm<strong>en</strong>ttée<br />
françaisse<br />
sur laquel lle Philippee<br />
II avoue soon<br />
effroi – « si le<br />
Roi ddort,<br />
la trahison<br />
se tramme<br />
» – se rettrouve<br />
telle quelle danss<br />
Ester :<br />
DDios<br />
lo mandda;<br />
es precisoo<br />
obedecer.<br />
DDieu<br />
parle (I,<br />
3), (il f<strong>au</strong>t oobéir.)<br />
Exemple musical<br />
21 : Este er, Acte I n° 2<br />
Maardoqueo<br />
appparaît<br />
alorrs<br />
investi dd’une<br />
puissa ance patriarrcale,<br />
mais,<br />
tout comm me le<br />
monaarque<br />
espaggnol,<br />
défailllant<br />
par une réalité qui le dépasse :<br />
Ester dde<br />
Ponce dee<br />
<strong>Le</strong>ón<br />
Acte I n° 3<br />
Rondy TOR RRES L.<br />
e<br />
<strong>siècle</strong><br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> lyyrique<br />
<strong>en</strong> Coloombie<br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e<br />
339
340<br />
L’aaria<br />
d’Esterr<br />
du n° 11 e<strong>en</strong><br />
ut mineuur<br />
est une de es pages less<br />
plus remaarquables<br />
qu uant à<br />
la plasticité<br />
de la ligne vocale.<br />
Son sstyle<br />
arioso est organissé<br />
dans unee<br />
carrure de e huit<br />
mesuures,<br />
avec<br />
surprrises<br />
qui, oon<br />
comm<strong>en</strong>nce<br />
à le coompr<strong>en</strong>dre,<br />
, r<strong>en</strong>ouvelle<strong>en</strong>t<br />
sans ceesse<br />
le discours<br />
musiical<br />
d’Esterr.<br />
La partie c<strong>en</strong>trale, vvirtuose<br />
par ses appogggiatures<br />
et sses<br />
trilles, ouvre o<br />
sur uune<br />
péroraisson<br />
<strong>en</strong> ut maajeur<br />
qui doonne<br />
un écla at inatt<strong>en</strong>du à cette ariaa.<br />
Laa<br />
musique ccolombi<strong>en</strong>n<br />
ne de ces annnées-là<br />
pe erpétue un ppassé<br />
musiccal<br />
<strong>au</strong>x ton nalités<br />
sombbres<br />
et nostaalgiques,<br />
coomme<br />
l’est ccette<br />
aria d’ ’Ester.<br />
Poonce<br />
de <strong>Le</strong>óón,<br />
dans unee<br />
extrême cconcision,<br />
a su faire traansparaître<br />
uun<br />
héritage qu’il<br />
est saans<br />
doute <strong>en</strong>ncore<br />
difficcile<br />
de mesuurer<br />
pour ce e compositeeur<br />
qui à maaints<br />
égards s reste<br />
<strong>en</strong>core<br />
inconnu.<br />
En quelquues<br />
mesurees<br />
nous retr rouvons dess<br />
lignes méélodiques<br />
brèves b<br />
mais<br />
référr<strong>en</strong>ces.<br />
choraale.<br />
L’introduction<br />
n° 1 montre unne<br />
foule rés signée à la captivité. LL’acte<br />
III s’o ouvre<br />
par uun<br />
Chœur de<br />
femmes e<strong>en</strong><br />
coulisses implorant la l Vérité dee<br />
v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> aiide<br />
<strong>au</strong> Roi. Nous<br />
Babyylone<br />
de Séémiramis.<br />
CCe<br />
chœur dee<br />
femmes est e une remmémoration<br />
mélodique de la<br />
prièrre<br />
de Mardooqueo<br />
du prremier<br />
acte, , du Puccin ni avant l’heeure…<br />
Poncce<br />
de <strong>Le</strong>ón avait<br />
1 Perd<br />
<strong>Le</strong>s indiggènes<br />
n’ont p<br />
C’était laa<br />
lutte de la v<br />
r<strong>en</strong>contre,<br />
cet affront<br />
visage dd’amertume<br />
et<br />
vaincue……<br />
1<br />
pas tout de suiite<br />
adhéré à la a musique ibéérique,<br />
animéee<br />
et brillante.<br />
italité contre lla<br />
passivité, de d l’activité coontre<br />
la nonchhalance.<br />
Cette<br />
tem<strong>en</strong>t, a donnné<br />
origine à nos airs poppulaires<br />
qui éétalai<strong>en</strong>t<br />
leur<br />
t de douleur, qui dans les s h<strong>au</strong>tes plainnes<br />
sont le crri<br />
de la race<br />
équilibréees<br />
qui r<strong>en</strong>vooi<strong>en</strong>t<br />
à touut<br />
un unive ers vocal innsoupçonné<br />
é mais emp pli de<br />
domo Escobaar,<br />
1980 : 188.<br />
Exemple musical 22 : Don Carlos de d Verdi, Actte<br />
IV n° 15<br />
un antécédd<strong>en</strong>t<br />
s’arrêttant<br />
sur un ne cad<strong>en</strong>ce<br />
Thèsee<br />
de Doctorat <strong>en</strong> Musicologgie<br />
- ANNEXESS<br />
Univeersité<br />
<strong>Paris</strong>-Soorbonne<br />
(Pariis<br />
IV)<br />
rompue e<strong>en</strong><br />
la b maje eur –<br />
À deux occassions<br />
Poncee<br />
de <strong>Le</strong>ón ccomm<strong>en</strong>ce<br />
un acte parr<br />
une page instrum<strong>en</strong>ta ale et<br />
avonns<br />
déjà faitt<br />
le rapprocchem<strong>en</strong>t<br />
dee<br />
cette scè ène avec lees<br />
jardins ssusp<strong>en</strong>dus<br />
de la
écrit cette page pour voix et harmoniuum.<br />
Il a <strong>en</strong>suite<br />
collé du papier à musique sur s ce<br />
canevvas<br />
originall<br />
avec une mmusique<br />
nouuvelle.<br />
Cela a peut <strong>au</strong>ssi expliquer qqu’il<br />
a repri is une<br />
page déjà existaante<br />
dans la partition.<br />
Noous<br />
pouvonns<br />
rapprocher<br />
cette page<br />
une fois s de plus à Don Carllos<br />
: la scèn ne de<br />
Philiippe<br />
II (actee<br />
IV) s’ouvvre<br />
par une cantilène <strong>au</strong> a violonceelle<br />
qui déccrit<br />
un acco ord de<br />
7 ème<br />
de dominannte<br />
:<br />
Daans<br />
Ester, unn<br />
violon sollo<br />
suit la mêême<br />
plastique<br />
mélodiquue<br />
:<br />
Laa<br />
reprise de cette méloopée<br />
<strong>au</strong> violon<br />
s’accom mpagne parr<br />
les murmuures<br />
monocordes<br />
d’un chœur fémminin<br />
placé a<strong>au</strong><br />
loin.<br />
<strong>Le</strong>e<br />
chœur d’inntroduction<br />
s’ouvre surr<br />
un nocturn ne instrum<strong>en</strong>ntal<br />
<strong>en</strong> fa mmineur<br />
où la ligne<br />
moduulation<br />
inattt<strong>en</strong>due<br />
<strong>en</strong> mmi<br />
majeur, rr<strong>en</strong>forcée<br />
pa ar le timbre cuivré du ttrombone,<br />
même m<br />
glissem<strong>en</strong>t<br />
tonaal<br />
<strong>au</strong> demi-tton<br />
utilisé ppour<br />
la priè ère d’Amán.<br />
<strong>Le</strong> pouvoir<br />
de la mu usique<br />
évoqque<br />
ces vers de Racine :<br />
Exemmple<br />
musical 23 : Don Car rlos, Acte IV n° 15<br />
Exemplle<br />
musical 244<br />
: Ester, Intro oduction de ll'acte<br />
III<br />
méloodique<br />
est cconfiée<br />
<strong>au</strong>xx<br />
violoncellles<br />
et altos à l’unissonn.<br />
<strong>Le</strong>s violoons<br />
martèle <strong>en</strong>t la<br />
méloodie<br />
avec uun<br />
rythme dde<br />
marche funèbre. C’est C alors qque<br />
surgit la lumière : une<br />
Rondy TOR RRES L.<br />
e<br />
<strong>siècle</strong><br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> lyyrique<br />
<strong>en</strong> Coloombie<br />
<strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e<br />
341
342<br />
Sion : le jour approche où le Dieu des armées<br />
Va de son bras puissant faire éclater l’appui ; (Élise, I, 1)<br />
R<strong>en</strong>tre le chœur de ténors et de basses :<br />
Jordán querido [...]<br />
Donde las tumbas de nuestros padres<br />
Se hallan sombreadas por verdes s<strong>au</strong>ces.<br />
Ô rives du Jourdain ! (I, 2)<br />
(<strong>Le</strong>s tombes de nos aïeux sont à l’ombre des verts s<strong>au</strong>les.)<br />
<strong>Le</strong> Chœur de louange <strong>au</strong> Roi Asuero (n° 4 « O Rey poderoso », exemple musical 18)<br />
prés<strong>en</strong>te une partie c<strong>en</strong>trale de 10 mesures <strong>en</strong> la b qui se détache de ce mouvem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ut.<br />
Expression maximale de respect (« <strong>Le</strong> soleil aveuglant baigne <strong>en</strong> gloire et prospérité »),<br />
cet extrait est traité <strong>en</strong> choral coloré par deux cornets à pistons, deux cors, un saxophone<br />
baryton et deux trombones.<br />
<strong>Le</strong> langage musical d’Ester se trouve donc à la jonction de différ<strong>en</strong>tes influ<strong>en</strong>ces.<br />
Musique itali<strong>en</strong>ne par ces lignes mélodiques qui, par le jeu d’appoggiatures et de<br />
retards, cré<strong>en</strong>t des accords de 7 ème et 9 ème de dominante. Élans mélodiques construits sur<br />
un orchestre traité à l’itali<strong>en</strong>ne : mécanisation du tissu instrum<strong>en</strong>tal sur les princip<strong>au</strong>x<br />
degrés harmoniques. Orchestre <strong>au</strong>quel vi<strong>en</strong>ne s’ajouter des instrum<strong>en</strong>ts de facture<br />
française. Mais <strong>au</strong>ssi une teinte harmonique par mom<strong>en</strong>t étonnante, propre à la musique<br />
française. <strong>Le</strong>s ouvrages suivants s’inscriv<strong>en</strong>t dans cette même esthétique musicale,<br />
même si le compositeur t<strong>en</strong>d à élargir son cadre harmonique et explore les diverses<br />
situations dramatiques avec des sonorités plus t<strong>en</strong>dues. Cep<strong>en</strong>dant le cas d’Ester reste<br />
représ<strong>en</strong>tatif de la musique <strong>lyrique</strong> de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
11. AnnexeV.IntroductiondulivretdeFlorindapar<br />
RafaelPombo<br />
343<br />
Nous proposons une traduction de l’introduction du livret de Florinda écrite par<br />
son <strong>au</strong>teur, Rafael Pombo.<br />
<strong>Le</strong> besoin de donner une source de travail <strong>au</strong> génie d’un ami, ainsi qu’un thème<br />
à son inspiration, m’ont poussé à écrire cet essai dramatique, comm<strong>en</strong>cé et débuté <strong>en</strong><br />
1875, mais interrompu, tout comme l’œuvre musicale, par deux guerres civiles jusqu’<strong>en</strong><br />
1878. Sans une paix dérangée, et avec plus de labeur de ma part, si p<strong>en</strong>dant ce temps<br />
j’eusse écrit <strong>en</strong>core cinq ou plus de drames <strong>lyrique</strong>s (et les sujets intéressants ne<br />
manqu<strong>en</strong>t pas), <strong>au</strong>tant d’opéras serai<strong>en</strong>t sortis de la plume de Ponce de <strong>Le</strong>ón, le Caldas 1<br />
de la musique parmi nous, dont l’occupation et la joie majeure est celle de créer. Caldas<br />
répète dans ses écrits que l’Émin<strong>en</strong>t 2 Don José Ignacio de Pombo 3 fut son juge et<br />
émulateur. Je suis ravi à l’idée que son modeste neveu 4 l’imite <strong>au</strong> moins par son<br />
admiration et <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>ace <strong>au</strong> Maestro colombi<strong>en</strong> <strong>au</strong> milieu des privations,<br />
rivalités et obstacles qui ne cess<strong>en</strong>t de le tourm<strong>en</strong>ter, tout <strong>au</strong>ssi comparables à ceux que<br />
connu à travers son court chemin le sage martyr de Popayán 5 . Faire des opéras à<br />
Bogotá, essayer <strong>au</strong> moins, ne peut être que le fruit d’une vocation irrésistible.<br />
Quant <strong>au</strong> drame, son sujet apparti<strong>en</strong>t à la tradition, presque mythologique, de<br />
l’histoire d’Espagne, et il peut donc être traité avec imagination et liberté. Il a été sujet à<br />
de nombreux poèmes, drames, romances, nouvelles et même des opéras, mais j’ai donné<br />
plus d’élévation <strong>au</strong>x caractères, <strong>en</strong> supprimant le méchant Don Oppas. En me servant<br />
comme modèle du court poème du Duc de Rivas, j’ai reproduit sous une <strong>au</strong>tre forme et<br />
sous un <strong>au</strong>tre angle son idée du festin et de la prison, et j’ai <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t modifié le<br />
début et la fin. J’ai conservé les traits de l’héroïne, séduite par le Roi, comme le Duc et<br />
c<strong>en</strong>t <strong>au</strong>tres l’ont fait, mais j’ai préféré la prés<strong>en</strong>ter plus loyale <strong>en</strong>vers le malheureux<br />
souverain, plutôt que légère et non loyale à sa propre passion. Mon Don Rodrigo doit<br />
conserver quelques chose d’une juste réhabilitation, puisqu’il est invraisemblable que<br />
1 Francisco José de Caldas, dit « le savant » (1768-1816); astronome, mathématici<strong>en</strong>,<br />
géographe et cartographe de l’Expédition Botanique, qui mourut fusillé pour s’être <strong>en</strong>gagé<br />
politiquem<strong>en</strong>t à faveur de l’indép<strong>en</strong>dance face à l’Espagne.<br />
2 Traduction de J. P Min<strong>au</strong>dier du terme « Prócer de la Patria ».<br />
3 Oncle de Rafael Pombo, l’<strong>au</strong>teur du livret de Florinda.<br />
4 Rafael Pombo fait-il preuve de f<strong>au</strong>sse modestie ? Il s’agit de l’un des plus importants écrivains<br />
de son temps.<br />
5 Référ<strong>en</strong>ce à Caldas.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
344<br />
l’héritier d’une cour <strong>au</strong>ssi corrompue 6 , improvisât, comme il le fit, une résistance <strong>au</strong>ssi<br />
héroïque et combative 7 , si le Ciel ne l’eût pas doté de qualités extraordinaires. Don<br />
Julián à son tour p<strong>en</strong>se ici lutter pour rétablir la dynastie de son be<strong>au</strong>-père Witiza, et ce<br />
n’est qu’<strong>en</strong> dernière instance qu’il se r<strong>en</strong>d compte que ses alliés 8 se pay<strong>en</strong>t leurs dus<br />
avec l’Espagne <strong>en</strong>tière ; Dieu seul sait s’il ne s’agit pas là de la vérité, déformée par la<br />
haine populaire 9 .<br />
La tâche des librettistes (parmi lesquels se trouv<strong>en</strong>t des personnages comme<br />
l’abbé Métastase, Victor Hugo et de nos jours Longfellow 10 ) est considérée comme<br />
ingrate et servile. On raconte que Scribe se plaignait d’avoir ses cheveux blancs à c<strong>au</strong>se<br />
des cruelles coupures, modifications et embellissem<strong>en</strong>ts que Meyerbeer imposait à ses<br />
livrets.<br />
J’assure qu’avec Ponce de <strong>Le</strong>ón, notre liberté est quasi absolue, qu’il est une<br />
trouvaille pour les dramaturges <strong>lyrique</strong>s. Il se plaît à résoudre les problèmes difficiles, et<br />
je suis <strong>en</strong>core émerveillé qu’il eût accepté et laissé indemne l’énorme solo de<br />
Don Julian (troisième acte), le r<strong>en</strong>dant varié et plaisant grâce à sa fantaisie et à son<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t dramatique ; et je serais tout <strong>au</strong>tant émerveillé si sur la scène nous<br />
n’observions pas de confusion <strong>au</strong>x second et cinquième actes, dont le texte est quelque<br />
peu compliqué, et qu’il a <strong>au</strong>ssi accepté <strong>en</strong>tiers, sans proposer plus de coupures que les<br />
indisp<strong>en</strong>sables pour ne pas fatiguer le public avec quatre ou cinq heures d’att<strong>en</strong>tion. J’ai<br />
ainsi mis son génie à l’épreuve, et j’espère que la considération qu’il me porte ne<br />
l’obligera pas par la suite à de sérieuses modifications. Seulem<strong>en</strong>t l’expéri<strong>en</strong>ce de la<br />
scène apporte ses conclusions quant <strong>au</strong>x effets d’un labeur si complexe.<br />
<strong>Le</strong> quatrième acte est écrit pour être lu, et n’a pas été mis dans les mains du<br />
Maestro 11 . <strong>Le</strong>s <strong>au</strong>tres passages faisant l’objet de coupures sont signalés par des<br />
astérisques ou par une note. Si, tout comme je l’espère, la « Florinda » accède <strong>au</strong> succès,<br />
et si ses proportions le permett<strong>en</strong>t, Ponce de <strong>Le</strong>ón rajoutera deux Romances à Teuda et à<br />
Wilfredo, avec le dernier air de Rub<strong>en</strong> et le table<strong>au</strong> Los Recuerdos, premier du dernier<br />
6 Dernière génération des Wisigoths <strong>en</strong> Espagne.<br />
7 Contre l’invasion des M<strong>au</strong>res.<br />
8 <strong>Le</strong>s M<strong>au</strong>res.<br />
9 <strong>Le</strong> librettiste semble partir à la recherché d’une vérité supposée, qui va à l’<strong>en</strong>contre de<br />
l’histoire.<br />
10 Connu par son poème <strong>en</strong> anglais Evangeline (1847), mis <strong>en</strong> musique par des compositeurs<br />
étasuni<strong>en</strong>s, canadi<strong>en</strong>s, français et itali<strong>en</strong>s<br />
11 Effectivem<strong>en</strong>t le livret est <strong>en</strong> cinq actes, alors que l’opéra n’<strong>en</strong> comporte que quatre.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
acte. C’est ainsi qu’il avait rajouté à son « Ester » (délicieux opéra de poche, pour tout<br />
type de théâtre ou de salon) une Romance d’Asuero <strong>au</strong> troisième acte 12 .<br />
345<br />
Il est permis d’être ambitieux pour les amis : <strong>en</strong> écrivant la « Florinda », mon<br />
ambition est d’aider Ponce de <strong>Le</strong>ón à résoudre le problème de l’opéra <strong>en</strong> espagnol ou<br />
chantable <strong>en</strong> castillan 13 , ce qui serait pour lui un l<strong>au</strong>rier glorieux : Veuille Dieu qu’il<br />
réussît. Je propose le titre d’ópera mayor, <strong>au</strong> s<strong>en</strong>s français de grand’opéra, c’est à dire<br />
opéra de grandes proportions et spectaculaire, pour toutes les voix, et avec un ballet<br />
opportun dans son argum<strong>en</strong>t.<br />
En continuant la biographie de Ponce que j’avais comm<strong>en</strong>cé dans le livret<br />
d’Ester, j’ajouterais maint<strong>en</strong>ant qu’<strong>en</strong> 1876 il a composé “la cinta <strong>en</strong>carnada” (o<br />
Castillo Misterioso), sorte de zarzuela sérieuse et pastorale, sur un argum<strong>en</strong>t peu<br />
intéressant 14 , mais avec une très belle musique, et interprétée alors avec <strong>en</strong>thousiasme<br />
par la Compagnie espagnole de Colomé 15 . Il a <strong>au</strong>ssi composé alors deux gracieuses<br />
zarzuelas, « El alma <strong>en</strong> un hilo » et « <strong>Le</strong>vantar muertos », qui n’ont pas <strong>en</strong>core été<br />
interprétées 16 ; postérieurem<strong>en</strong>t une Misa ou service <strong>en</strong>tier de requiem, avec des leçons<br />
et <strong>au</strong>tres numéros magistr<strong>au</strong>x ; et d’innombrables pièces de danse et d’arrangem<strong>en</strong>ts<br />
d’opéras pour la bande militaire qu’il dirige : - poste bi<strong>en</strong> humble pour un compositeur<br />
de sa taille ; mais concevons qu’il ait reçu <strong>au</strong> moins ce bénéfice de la part du<br />
gouvernem<strong>en</strong>t si ignorant <strong>en</strong> ce qui concerne les Arts.<br />
Il m’est agréable de remarquer que l’apparition de « Florinda » coïncide avec le<br />
retour inatt<strong>en</strong>du à Bogotá de celui qui <strong>en</strong> 1874 provoquait « Ester » avec une généreuse<br />
invitation, Monsieur Felipe Gutiérrez, grand peintre mexicain et mécène des arts. Nous<br />
avons tous appris, par une annonce faite publique, qu’<strong>au</strong>ssitôt à Bogotá, et pour<br />
<strong>en</strong>courager la création du nouvel opéra, il vi<strong>en</strong>t d’étonner la ville avec un admirable<br />
portrait de Ponce de <strong>Le</strong>ón, don d’artiste à artiste. Il pourra profiter, comme personne, de<br />
voir la nouvelle perle <strong>lyrique</strong> sur la scène colombi<strong>en</strong>ne.<br />
12<br />
Dans la première version de l’opéra Ester, le personnage d’Asuero n’a pas d’aria solo. Nous<br />
n’avons pas retrouvé la musique de cette Romance, rajoutée par le librettiste <strong>en</strong> 1879.<br />
13<br />
Jusqu’à prés<strong>en</strong>t, tous les opéras donnés à Bogotá étai<strong>en</strong>t chantés <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> ; même l’Ester de<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón a été traduit <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> pour sa création. À travers cette remarque, R Pombo fait<br />
allusion à un débat de l’époque : l’importance de la langue pour affirmer une id<strong>en</strong>tité nationale.<br />
14<br />
R. Pombo <strong>au</strong>rait-il était jaloux de cette collaboration <strong>en</strong>tre Ponce de <strong>Le</strong>ón et le librettiste du<br />
Castillo misterioso, José María Gutierrez de Alba ?<br />
15<br />
<strong>Le</strong>s compagnies itali<strong>en</strong>nes ou espagnoles de passage à Bogotá <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t les spectacles<br />
<strong>lyrique</strong>s.<br />
16<br />
On ignore si les manuscrits ont été conservés.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
346<br />
Il me reste à remercier, <strong>au</strong> nom de Ponce de <strong>Le</strong>ón et <strong>au</strong> mi<strong>en</strong>, <strong>au</strong>x interprètes<br />
étrangers et nation<strong>au</strong>x 17 qui prépar<strong>en</strong>t avec tant d’intérêt et d’<strong>en</strong>thousiasme Florinda, et<br />
à ses traducteurs <strong>en</strong> itali<strong>en</strong>, et à tous les amis mélomanes qui prépar<strong>en</strong>t à son succès. Et<br />
<strong>en</strong> premier lieu à l’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ante mademoiselle EMILIA BENIC, digne de créer et de<br />
populariser le caractère scénique de la fameuse Vénus blonde 18 de l’empire wisigoth qui<br />
s’est noyé dans le Guadalete 19 . Je suis persuadé que le public de Ponce trouvera sa<br />
Florinda <strong>en</strong>ivrante et puissante, riche <strong>en</strong> nouve<strong>au</strong>tés, pleine de vie, conçue par une<br />
inspiration originale. Veuille le Ciel lui préparer un <strong>au</strong>ssi heureux av<strong>en</strong>ir que celui de<br />
Marguerite de Gounod 20 !<br />
R<strong>en</strong>dez-vous pour la création de ton œuvre, Cher Ami ! Que ton triomphe<br />
ret<strong>en</strong>tisse, et que dans un an, ton nom vi<strong>en</strong>ne s’unir <strong>en</strong> Europe à celui de ton heureux<br />
confrère brésili<strong>en</strong>, Carlos Gomez, <strong>au</strong>jourd’hui adoré dans sa patrie, grâce à un sage et<br />
magnifique empereur !<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie - ANNEXES<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
<br />
Bogotá, 7 novembre 1880.<br />
R. P.<br />
[Rafael Pombo]<br />
17 Il s’agit d’Emilia B<strong>en</strong>ic (Florinda), du ténor Adolfo Cocchi (le Roi Don Rodrigo), le baryton<br />
Guillermo Comoletti (le Conte Don Julian), la basse Epifanio Garay (le vieil astrologue), de la<br />
contralto Julia Pocoleri (Teuda) et du ténor Juan Dominguez (Wilfredo)<br />
18 Florinda.<br />
19 Référ<strong>en</strong>ce à la Bataille de Guadalete (19 juillet 711) dans l’actuelle Andalousie, qui marque la<br />
fin de l’empire wisigoth espagnol.<br />
20 F<strong>au</strong>st de Gounod.
12. AnnexeVI.StructuremusicaledeFlorinda<br />
Acte 1<br />
Introducción Preludio<br />
Allegretto<br />
Andante religioso<br />
N°2 Cavatina (No nos vamos…) Florinda et Chœur<br />
N° 3 Dúo (Rodolfo mío…) Florinda, Rodrigo<br />
N°4 Terceto y (Que escudro misera…) Florinda, Rodrigo, F<strong>en</strong>da, Chœur<br />
Final<br />
Acte 2<br />
N°5 Coro (Vuelve a la corte…) Chœur y F<strong>en</strong>da<br />
N° 6 Aria (Sil<strong>en</strong>cio amigos míos…) Rodrigo, Chœur<br />
N° 7 Esc<strong>en</strong>a y<br />
brindis<br />
(Tanta g<strong>en</strong>te por qué?...) Florinda. Rodrigo, T<strong>en</strong>da<br />
N° 8 Profecía (Rubén, a tiempo llegas..) Rodrigo, Rubén, Chœur<br />
N° 9 Quintetto (Rodrigo, el cielo questa…) Florinda, F<strong>en</strong>da, Rodrigo, Don Julián,<br />
Rubén, Chœur<br />
N° 10 Finale (Mi honor, mi honor…) Florinda, F<strong>en</strong>da, Rodrigo, Don Julián, Rubén,<br />
Chœur<br />
Acte 3<br />
N° 11 Aria (Golpe frustrado…) Don Julián<br />
N° 12 Duetto (Mi hija…) Florinda, Don Julián<br />
Acte 4<br />
N° 13 Pedazo (Día de honor…) Chœur de soldats et Chœur des blessés, Florinda,<br />
concertado Don Julián<br />
N° 14 Recitativo (Bu<strong>en</strong> Rubén…) Florinda, Rubén<br />
N° 15 Duetto (Mis fieles, vamos…) Florinda, Rodrigo, Chœur<br />
N° 16 Trio y<br />
quarteto<br />
(Mi padre, D. Julián…) Florinda, Rodrigo, d. Julián, F<strong>en</strong>da, Chœur<br />
N° 17 Aria de<br />
bajo<br />
(Diesi rae…) Florinda y Rubén<br />
N° 18 (Huid, huid, huid…) Chœur, Florinda<br />
N° 19 Duo Final (Hija mía muri<strong>en</strong>do…) Florinda, Don Julián<br />
347<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
348<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie -<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Bibliographie<br />
La classification des périodiques colombi<strong>en</strong>s et français est faite par titre de journ<strong>au</strong>x.<br />
À l’intérieur de chaque journal, paraiss<strong>en</strong>t les articles selon l’ordre chronologique de<br />
parution (années, numéros, etc. puis date). S’il est connu, le nom d’<strong>au</strong>teur est indiqué<br />
<strong>en</strong>tre par<strong>en</strong>thèses. <strong>Le</strong>s seules exceptions sont constituées par R. Pombo, J. C. Osorio et<br />
David, dont les longs articles prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un intérêt tout particulier pour le sujet qui nous<br />
occupe.<br />
L’indication « CANÉ, Miguel (1884/1968) » signale que nous utilisons l’édition faite<br />
<strong>en</strong> 1968 d’un ouvrage publié pour la première fois <strong>en</strong> 1723.<br />
L’indication « MORALES, Melesio (Mns/1999) » montre que nous utilisons l’édition<br />
faite <strong>en</strong> 1999 d’un ouvrage jusqu’alors resté manuscrit.<br />
Nous signalons <strong>en</strong>tre crochets des ouvrages que nous n’avons pas pu consulter (abs<strong>en</strong>t<br />
des bibliothèques que nous avons visitées dans divers pays) mais qui doiv<strong>en</strong>t figurer<br />
dans une bibliographie faisant référ<strong>en</strong>ce à l’opéra <strong>en</strong> Amérique du Sud.<br />
Abréviations employées :<br />
DMEH Diccionario de la música Española e Hispanoamericana. Emilio<br />
CACERES RODICIO (dir.). Madrid : SGAE-ICCMU, 9 vol. 1999-<br />
2002.<br />
DMF Dictionnaire de la musique <strong>en</strong> France <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. Joël-Marie<br />
FAUQUET (dir.). <strong>Paris</strong> : Fayard, 2003.<br />
NWGR The New Grove Dictionary of Music and Musicians. Stanley SADIE<br />
(dir.). Oxford : Macmillan, 29 vol. 2001.<br />
NwGrOp The New Grove Dictionary of Opera. Stanley SADIE (dir.).<br />
Londres/New York : Macmillan, 4 vol. 1992.
13. RépertoiredesSourceslittérairesetmusicalesdes<br />
ouvrages<strong>lyrique</strong>sdePoncede<strong>Le</strong>ón<br />
13.1. Répertoiredessourcesd’Ester<br />
L : Livret publié <strong>en</strong> 1874<br />
A : Manuscrit <strong>au</strong>tographe du conducteur de l’opéra<br />
R : Manuscrits de la réduction pour chant et piano<br />
PSs : Parties séparées solistes<br />
PSc : Parties séparées chorales<br />
PSo : Parties séparées de l’orchestre<br />
13.1.1. <br />
L (Bogotá, BLAA et CDM)<br />
POMBO, Rafael (Bogotá, 1833-1912).<br />
349<br />
____ (1874). Ester, ópera bíblica <strong>en</strong> tres actos. Bogotá: la América. VII-27<br />
pages.<br />
ESTER / OPERA BÍBLICA EN TRES ACTOS / MUSICA DE / JOSE MARIA<br />
PONCE DE LEON / [lire] / BOGOTÁ / IMPRENTA DE LA AMERICA / [trait] / 1874<br />
13.1.2. <br />
A (Bogotá, CDM)<br />
Manuscrit <strong>au</strong>tographe du conducteur. 107 pages, reliure <strong>en</strong> cuir. Papier à musique<br />
de 24 portées in-4°, portant le sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25 rue Feyde<strong>au</strong>.<br />
Nombreux biffages, collettes, insertions de cahiers manuscrits ou découpage dus<br />
<strong>au</strong> remaniem<strong>en</strong>t de 1879. Page de titre :<br />
Ester<br />
Ópera bíblica<br />
<strong>en</strong> tres actos<br />
Partición de orquesta<br />
R1 (Bogotá, CDM)<br />
Manuscrit de la réduction chant-piano. 155 pages in-8°, reliure <strong>en</strong> cuir.<br />
Nombreux biffages, collettes, insertions de cahiers manuscrits ou découpage dus<br />
<strong>au</strong> remaniem<strong>en</strong>t de 1879.<br />
R2 (Bogotá, BLAA)<br />
Manuscrits <strong>au</strong>tographe de la partition chant-piano du premier acte. 13 feuilles in-<br />
4°, non numérotées ni reliées (papier à musique de 12 portées, portant le<br />
sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25 rue Feyde<strong>au</strong>). Version originale de 1874.<br />
R3 (Bogotá, BLAA)<br />
Copie manuscrite anonyme de la partition chant-piano du premier acte.<br />
29 feuilles in-4°, numérotées et reliées (papier à musique sans sce<strong>au</strong>). Version<br />
originale de 1874.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
350<br />
[Il s’agit vraisemblables d’une copie (<strong>en</strong> itali<strong>en</strong>) faite par le copiste de la<br />
Compagnie <strong>lyrique</strong> pour les répétitions de 1874]<br />
R4 (Bogotá, BLAA)<br />
Manuscrits <strong>au</strong>tographe de la version pour piano de l’Ouverture. 2 feuilles in-4°,<br />
reliées (papier à musique de 12 portées, portant le sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25<br />
rue Feyde<strong>au</strong>). Version originale de 1874.<br />
PSs (Bogotá, CDM)<br />
Six copies manuscrites des parties séparées des solistes. Il manque celle d’Ester.<br />
Disposition in-4° sur du papier de 12 portées, portant le sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt<br />
<strong>Paris</strong>, 25 rue Feyde<strong>au</strong>.<br />
PSs(1): Asuero, 3 ff.<br />
PSs(2): Asuero, 7 ff.<br />
PSs(3): Asaf, 1f.<br />
PSs(4): Amán, 6 ff.<br />
PSs(5): Mardoqueo, 6ff.<br />
PSc (Bogotá, CDM)<br />
Sept Copies manuscrites des parties séparées chorales masculines. Disposition in-<br />
4° sur du papier de 12 portées, portant le sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25 rue<br />
Feyde<strong>au</strong>.<br />
PSc(1): T1, 2 ff.<br />
PSc(2): T1, 3 ff.<br />
PSc(3): T1, 5 ff.<br />
PSc(4): T2, 2 ff.<br />
PSc(5): T2, 3 ff.<br />
PSc(6): T2, 6 ff.<br />
PSc(7): B., 4 ff.<br />
PSo (Bogotá, CDM)<br />
Copies manuscrites de toutes les parties séparées de l’orchestre (manque le<br />
Trombone II). Feuilles reliées, in-4° sur du papier de 12 portées, portant le<br />
sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25 rue Feyde<strong>au</strong>. L’ouverture se situe généralem<strong>en</strong>t sur<br />
des feuilles séparées ou à la fin de chaque fascicule.<br />
PSo(1): Fl, 5+1 ff.<br />
PSo(2): 2 Cl., 10 + 2 ff.<br />
PSo(3): Pist., 4+1 ff.<br />
PSo(4): Tpt, 4+1 ff.<br />
PSo(5): Tp, 4+1 ff.<br />
PSo(6): Trb I, 4+1 ff.<br />
PSo(7): Trb II, 1f.<br />
PSo(8): Saxn, 1f.<br />
PSo(9): Saxf, 4+1 ff.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
PSo(10): Tim, 2 ff.<br />
PSo(11): Tim, 1 f.<br />
PSo(12): Vn1, 10 ff.<br />
PSo(13): Vn1, 7 ff. f. num de 1 à 4<br />
PSo(14): Vn1, 2ff.<br />
PSo(15): Vn2, 8 ff.<br />
PSo(16): Alt., 8 ff.<br />
PSo(17): Vcl., 7 ff.<br />
PSo(18): Cb., 6 ff.
13.2. Répertoiredessourcesd’ElCastillomisterioso<br />
L’<strong>en</strong>semble des sources musicales et littéraires du Castillo misterioso est manuscrit. Il<br />
n’existe pas d’édition du livret, comme c’est le d’Ester et d’Florinda.<br />
L : Livret manuscrit <strong>au</strong>tographe de la main de Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
A : Manuscrit <strong>au</strong>tographe du conducteur de la zarzuela<br />
BR : manuscrit <strong>au</strong>tographe de la particelle d’une réduction pour chant et piano<br />
PSs : Parties séparées solistes<br />
PSc : Parties séparées chorales<br />
13.2.1. <br />
L (Bogotá, CDM)<br />
GUTIÉRREZ DE ALBA, José María (Alcalá de Guadaíra – Espagne, 1822-1897).<br />
____ (s.d.) El Castillo Misterioso<br />
Copie manuscrite du livret de l’acte 2 et 3 faite par Ponce de <strong>Le</strong>ón. Utilisation de deux<br />
<strong>en</strong>cres de couleurs différ<strong>en</strong>tes : <strong>en</strong> noir pour le texte parlé et <strong>en</strong> rouge pour le texte<br />
chanté. L’acte 1 est perdu.<br />
<strong>Le</strong>s sources musicales BR, PSs et PSc permett<strong>en</strong>t d’établir le livret du premier acte car<br />
elles conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les paroles chantées et quelques répliques parlées. La partie parlée du<br />
premier acte reste cep<strong>en</strong>dant lacunaire.<br />
13.2.2. <br />
A (Bogotá, CDM)<br />
Manuscrit <strong>au</strong>tographe du conducteur. 125 pages (91 pages, actes 1 et 2 + 34, acte 3)<br />
numérotés de façon continue. Reliure <strong>en</strong> cuir. Papier à musique de 24 portées in-4°,<br />
portant le sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25 rue Feyde<strong>au</strong>. Page de titre :<br />
El castillo Misterioso<br />
Zarzuela <strong>en</strong> tres actos<br />
<strong>Le</strong>tra de D. Jose M a Gutierrez de Alba Musica de Jose M Ponce de L.<br />
BR (Bogotá, CDM)<br />
Trois manuscrits <strong>au</strong>tographes d’une réduction piano-chant de la zarzuela. La partie de<br />
piano est incomplète. En revanche, les parties vocales sont soigneusem<strong>en</strong>t notées,<br />
contrairem<strong>en</strong>t à A, où le texte des actes 2 et 3 est abs<strong>en</strong>t. Papier à musique de 12<br />
portées in-4°<br />
BR1 : Acte 1, 20 ff.<br />
BR2 : Acte 2 (incomplet), 13 ff.<br />
BR3 : Acte 3, 13 ff.<br />
PSs (Bogotá, BLAA)
352<br />
PSs1 : Manuscrit <strong>au</strong>tographe de la partie séparée de Justina ; 4 pages reliées (papier à<br />
musique de 12 portées, portant le sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25 rue Feyde<strong>au</strong>). <strong>Le</strong><br />
fascicule porte le nom de la créatrice du rôle « Sra. M. B<strong>au</strong>s »<br />
PSs2 : Esquisse <strong>au</strong>tographe de l’aria n°6 de Margarita ; 1 feuille recto-verso (papier à<br />
musique de 12 portées, portant le sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25 rue Feyde<strong>au</strong>).<br />
PSc (Bogotá, BLAA et CDM)<br />
Copies manuscrites des parties séparées chorales. (Papier à musique de 12 portées,<br />
portant le sce<strong>au</strong> Lard-Esn<strong>au</strong>lt <strong>Paris</strong>, 25 rue Feyde<strong>au</strong>).<br />
PSc(1) : Tpl., 1 f. (BLAA)<br />
PSc(2) : T1, 4 ff. (CDM)<br />
PSc(3) : T2, 3 ff. (BLAA)<br />
13.3. RépertoiredessourcesdeFlorinda<br />
La plus grande partie des sources musicales est manuscrite. Il s’agit cep<strong>en</strong>dant d’un matériel<br />
établit après la mort du compositeur, lors de la reprise de l’opéra <strong>en</strong> 1893. Certains manuscrits<br />
datés de 1910 laiss<strong>en</strong>t supposer que l’opéra a été programmé pour le moi de juillet 1910.<br />
L : Livret publié <strong>en</strong> 1880<br />
P : Partitions publiées<br />
[A : Manuscrit <strong>au</strong>tographe du conducteur de l’opéra]<br />
R 1893 : Manuscrits de la réduction pour chant et piano<br />
PSs : Parties séparées solistes<br />
PSc : Parties séparées chorales<br />
13.3.1. <br />
L (Bogotá, BLAA)<br />
POMBO, Rafael (Bogotá, 1833-1912).<br />
____ (1880). Florinda, o la Eva del reino godo español; ópera mayor española; poema<br />
dramático <strong>en</strong> cinco actos <strong>en</strong> verso. Bogotá: Medardo Rivas.<br />
Florinda o la Eva del reino godo español / Ópera mayor española / Poema dramático<br />
<strong>en</strong> cinco actos <strong>en</strong> verso / por / Rafael Pombo / música de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón /<br />
13.3.2. <br />
P1 : Réduction pour piano du Preludio del tercer acto de Florinda, publiée dans le Papel<br />
Periódico ilustrado (II.37), avril 1883 : 213 – 214.<br />
Florinda / opera mayor – <strong>Le</strong>tra del Señor Doctor D. Rafael Pombo / música del maestro / José<br />
María Ponce de <strong>Le</strong>ón / Preludio del tercer acto<br />
P2: Réduction pour piano et chant du final de Florinda (« les onzes mesures de Florinda),<br />
publié dans le Papel Periódico ilustrado (II.37), avril 1883 : 215.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
13.3.3. <br />
353<br />
[A (Bogotá, bibliothèque de l’université nationale ?)]<br />
Manuscrit <strong>au</strong>tographe de l’opéra <strong>en</strong> cours de localisation. à ce jour on dispose de<br />
l’information suivante, découverte dans l’anci<strong>en</strong> fichier de la Bibliothèque du<br />
Conservatoire de Musique de Bogotá :<br />
Florinda, opéra <strong>en</strong> 4 actes, pour Soprano, Ténor, Basse, cœur masculin (TTBB) et<br />
Orchestre. Texte de Rafael Pombo. Terminé <strong>en</strong> avril 1879 et créé <strong>au</strong> Teatro le 22<br />
novembre 1880. Partition manuscrite originale du compositeur. Donnée <strong>au</strong> Conservatoire<br />
par Daniel Schlesinger <strong>en</strong> 1967. (254 pp., 30x45 cm)<br />
13.3.4. <br />
R 1893 (Bogotá, CDM)<br />
Manuscrit chant-piano de 1893, daté et signé « E Lucchesi copio / Bogotá Guigno<br />
1893 ». 210 feuilles in-8°, reliées et numérotées. Partition établie vraisemblablem<strong>en</strong>t<br />
pour l’étude des chanteurs, elle ne conti<strong>en</strong>t ni l’ouverture, et comporte de nombreuses<br />
mesures à compter.<br />
Acte 1 (pp. 1-55) ; Acte 2 (pp. 57-120) ; Acte 3 (pp.121-145) ; Acte 4 (pp. 147-209)<br />
PSc (Bogotá,CDM)<br />
Copie manuscrite des parties séparées des solistes. 5 parties séparées.<br />
PSs(1): Florinda, 10 ff. Manuscrit signé et daté : « G.G.P. copió / Julio 10 – 1910)<br />
PSs(2): T<strong>en</strong>da, 3 ff<br />
PSs(3): Rodrigo, 7 ff.<br />
PSs(4): Don Julián, 9 ff.<br />
PSs(5): Rubén, 5 ff.<br />
PSc (Bogotá,CDM)<br />
Copies manuscrites des parties séparées chorales.<br />
PSc(1) : T1, 13 ff.<br />
PSc(2) : T2, 13 ff.<br />
PSc(3) : B1, 17 ff.<br />
13.4. Sourceslittérairesdeslivrets<br />
DUQUE DE RIVAS, [Angel de Saavedra y Ramírez]. (Córdoba, 1791 – Madrid, 1865)<br />
____ (1834). El moro expósito, ó, Córdoba y Burgos <strong>en</strong> el siglo décimo. <strong>Le</strong>y<strong>en</strong>da <strong>en</strong><br />
doce romances; <strong>en</strong> un apéndice se añad<strong>en</strong> La Florinda y algunas otras composiciones<br />
inéditas del mismo <strong>au</strong>tor. <strong>Paris</strong> : Librería Hispano-Americana.<br />
RACINE, Jean (La Ferte-Milon, 1639 – <strong>Paris</strong>, 1699)<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
354<br />
____ (1689/1965). Esther. Dans Théâtre complet de Racine II, édition prés<strong>en</strong>tée par<br />
André Stegmann. <strong>Paris</strong> : Garnier-Flammarion.<br />
RACINE, Jean et Jean-Baptiste MOREAU.<br />
____ (1689/200). Esther, tragédie de Jean Racine, intermèdes music<strong>au</strong>x de Jean-<br />
Baptiste More<strong>au</strong>. Édition d'Anne Piéjus. <strong>Paris</strong> : Société française de Musicologie,<br />
2003.<br />
SAMPER, José María (Honda, 1828 – Anapoima, 1888)<br />
___ (1856/1936). Un alcalde a la antigua y dos primos a la moderna (comedia de<br />
costumbres nacionales, <strong>en</strong> dos actos). Bogotá: Minerva.<br />
14. Bibliographiegénérale<br />
14.1. Ouvragesconsultésdu<strong>XIX</strong> e<strong>siècle</strong><br />
14.1.1. <br />
El Bogotano. Órgano de los intereses de los artesanos (Bogotá)<br />
____ III.119 (15 décembre 1865), « Ópera bogotana ».<br />
El Iris. Periódico literario, dedicado al bello sexo. Ilustrado con láminas litografiadas.<br />
(Bogotá)<br />
____ I.3 (25 février 1866) « Revista de Bogotá » : 21-22.<br />
____ I.10 (15 avril 1866) « Seguidillas » : 113.<br />
____ II.5 (26 août 1866) : 66-67.<br />
____ II. 12 (14 octobre 1866) « Ópera italiana» : 192.<br />
____ II.17 (18 novembre 1866) : 259<br />
____ II. 19 (1 er décembre 1866) « Ópera » : 302<br />
____ II.20 (8 décembre 1866) « Ópera » : 317.<br />
____ II.22 (22 décembre 1866) « El Trovador » : 338-339.<br />
____ II.22 (22 décembre 1866) D.F. [Diego Fallón?] « Impresiones de Trovador » :<br />
350-352.<br />
El M<strong>en</strong>sajero (Bogotá)<br />
____ I.20 (23 novembre 1866) « Ópera italiana. » : 80.<br />
____ I.54 (2 janvier 1867) « Teatro. » : 215-216 [article que j’attribue à J.C. Osorio].<br />
____ I.55 (3 janvier 1867) « Ópera. » (B.M.M) : 219-220<br />
____ I.105 (2 mars 1867) « Señores redactores de “el M<strong>en</strong>sajero.” » ( M. Scevola) : 19.<br />
El Mercurio (Bogotá)<br />
____ II.149 (22 août 1905) « La apoteosis de Pombo. »<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
El Tradicionista (Bogotá)<br />
1875-1880<br />
El Verjel Colombiano. Periódico literario, dedicado al bello sexo. (Bogotá, impr<strong>en</strong>ta<br />
de Cándido Pontón) :<br />
____ n° 23 (18 mars 1876) « Teatro. » : 184.<br />
____ n° 26 (22 avril 1876) « Teatro. »: 208.<br />
____ n° 29 (14 mai 1876) « Teatro. » : 232.<br />
____ n° 32 (3 juin 1876) « Teatro. » : 256.<br />
____ n° 36 (8 juillet 1876) « Teatro. » : 288.<br />
Voir DAVID.<br />
El Zipa (Bogotá)<br />
1878-1881<br />
Diario de Cundinamarca (Bogotá)<br />
1873-1883<br />
La Opinión (Bogotá) :<br />
____ III.100 (4 janvier 1865) « Nueva compañía lírica. » : 7.<br />
____ III.103 (25 janvier 1865) « Teatro lírico. » : 26.<br />
____ III.117 (3 mai 1865) « Teatro. » : 142.<br />
____ III.126 (5 juillet 1865) « Espectáculos civilizadores. » : 211.<br />
Papel periódico Ilustrado (Bogotá, 1881-1888). Version digitale disponible sur<br />
http://www.lablaa.org/blaavirtual/historia/paperi/indice.htm<br />
____ II n° 27 (22 septembre 1882) : « A ultima hora – luto de las artes » : 47.<br />
____ II n° 37 (1 er avril 1883)<br />
____ « Recuerdos de José María Ponce de <strong>Le</strong>ón: a la gloria incru<strong>en</strong>ta de la patria. » :<br />
199.<br />
Voir <strong>au</strong>ssi R. POMBO.<br />
14.1.2. <br />
DAVID (pseudonyme de GUARÍN, JOSÉ DAVID ; Quetame, 1830-Chinquinquirá, 1890).<br />
Tous ses articles sont publiés dans El Verjel Colombiano.<br />
____ n° 19 (17 février1876) « Algo sobre teatro. ») : 145-146.<br />
____ n° 20 (24 février 1876) « Algo sobre zarzuela española. » : 153-154.<br />
____ n° 21 (4 mars 1876) « La vieja y los diamantes. » : 162-163.<br />
____ n° 22 (11 mars 1876) « El Juram<strong>en</strong>to. » : 176.<br />
355<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
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____ n° 28 (7 mai 1876) « Revista de Teatro. »: 223-224<br />
____ n° 29 (14 mai 1876) « Revista de Teatro. »: 230-232.<br />
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15. Iconographie<br />
ACEVEDO BERNAL, Ricardo (sans titre). Huile sur toile où apparaiss<strong>en</strong>t Ponce de <strong>Le</strong>ón<br />
et Julio Quevedo à l’orgue de la Cathédrale de Bogotá.<br />
ANONYME. Daguerréotype de Mercedes Ponce de <strong>Le</strong>ón. Collection privée de la famille<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
ANONYME (1882). Masque funéraire du compositeur. Museo Nacional.<br />
ANONYME (vers 1874). Sans titre. Portrait de Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
GUTIÉRREZ, Felipe (1880 ?). Sans titre. Portrait de Ponce de <strong>Le</strong>ón. Collection privée<br />
de la famille Ponce de <strong>Le</strong>ón.<br />
URDANETA, Alberto (1879 ?) Deux aquarelles avec le croquis pour les décors de l’acte<br />
I et II de l’opéra Ester. On ignore la localisation. Reproduites dans Perdomo Escobar.<br />
FARINA BOLO (ca. 1870), Elisa d’Aponte: soprano.<br />
http://sol.cib.unibo.it:8080/SebinaOpac/Opac?action=inv<strong>en</strong>tory&bib=UBOGA@B.%2<br />
0Archiginnasio&docID=0<br />
16. Discographie<br />
La discographie concernant l’opéra <strong>en</strong> Amérique du Sud est très brève. Signalons qu’il<br />
n’existe à ce jour <strong>au</strong>cun <strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t d’opéras colombi<strong>en</strong>s. Nous ne m<strong>en</strong>tionnons pas<br />
ici les opéras du compositeur brésili<strong>en</strong> Carlos Gomes, car la plus grande partie de sa<br />
production <strong>lyrique</strong> eut lieu <strong>en</strong> Italie.<br />
El Neo-granadino (1998). CD qui illustre l’ouvrage de E. A. Duque La música <strong>en</strong> las<br />
publicaciones periódicas colombianas del siglo <strong>XIX</strong> (1848-1860) avec de nombreuses<br />
pièces pour piano ou mélodies.<br />
TORREJÓN DE VELAZCO, Tomas. La Púrpura de la Rosa, direction Gabriel Garrido.<br />
Disque compact K617, <strong>en</strong>registré <strong>en</strong> 1999.<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
368<br />
MORALES, Melesio. Ildegonda. Fernando Lozano, Orquesta Sinfónica Carlos Chavez,<br />
Coro de la Escuela nacional de Música. Disque compact Forlane, <strong>en</strong>registré <strong>en</strong> janvier<br />
1995, B0000256EW.<br />
Signalons que l’ouvrage d’Egberto BERMÚDEZ, Historia de la música <strong>en</strong> Santafé y<br />
Bogotá: 1538-1938, est édité avec un CD qui conti<strong>en</strong>t la valse de PONCE DE LEÓN<br />
Sabana de Bogotá, ainsi que des extraits de la zarzuela Simila similibus de Teresa<br />
TANCO, et Elixir de Juv<strong>en</strong>tud de J. C. OSORIO.<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
Acevedo Bernal, Ricardo, 134<br />
Acevedo Gajardo, Remigio, 299<br />
Adam, Adolphe, 39, 317<br />
Albieri, Brice, 258, 308, 309, 310<br />
Al<strong>en</strong>car, José de, 229<br />
Altarriba, Fernando, 206, 223, 306<br />
Amat, José, 121<br />
Annexy, 140<br />
Apolloni, Guiseppe, 185, 254<br />
Ar<strong>en</strong>zana, Manuel, 41<br />
Arditi, Luigi, 42<br />
Auber, Daniel-François-Esprit, 39, 51, 81,<br />
110, 116, 124, 254, 284, 306, 316, 317,<br />
320<br />
Audinot, Nicolas-Médart, 37<br />
Azzali, Agusto, 64, 71, 72, 271, 272, 273,<br />
274, 276, 277<br />
Bach, Jean-Sébasti<strong>en</strong>, 112, 117, 127, 129<br />
Balma, Fiorellini de, 11, 62, 81, 136, 137,<br />
164, 166, 167, 168, 169, 182, 205, 211,<br />
223, 229, 264, 304<br />
Barbieri de Thiolier, Marina, 134, 153<br />
Barbieri, Francisco As<strong>en</strong>jo, 40, 134, 153,<br />
195, 197, 200, 203, 204, 209, 215, 216,<br />
305, 306<br />
Barriga, Honorato, 58, 101, 198, 213, 216,<br />
303<br />
Bartolomasi, Francisco, 276<br />
B<strong>au</strong>s, Manuela, 206<br />
Bazin, François, 39, 123, 126, 128, 129,<br />
363<br />
Beethov<strong>en</strong>, Ludwig van, 20, 52, 53, 117,<br />
119, 121, 128, 164<br />
Béhague, Gerard, 30, 79, 364<br />
Bellini, Eug<strong>en</strong>ia, 11<br />
Bellini, Vinc<strong>en</strong>zo, 37, 40, 51, 53, 63, 66,<br />
81, 107, 114, 116, 128, 150, 156, 174,<br />
199, 203, 226, 228, 301, 302, 303, 308,<br />
310<br />
Bello Montero, Anastasio, 64<br />
B<strong>en</strong>ic, Emilia, 11, 58, 63, 64, 81, 141, 145,<br />
148, 186, 262, 264, 265, 267, 269, 270,<br />
272, 274, 279, 287, 288, 310, 311, 312,<br />
315, 346, 379<br />
B<strong>en</strong>oist, François, 126<br />
Bériot, Charles de, 51<br />
Index des noms propres<br />
369<br />
Berlioz, Hector, 110, 117, 122, 124, 159,<br />
161, 259<br />
Berutti, Arturo, 39, 299<br />
Bismarck, 128<br />
Bizet, Georges, 129, 146, 316, 361<br />
Blas de Laserna, 37<br />
Blasco, Eusebio, 233<br />
Blow, John, 32<br />
Bohórquez, José María, 58<br />
Boïeldieu, François Adri<strong>en</strong>, 39<br />
Bolívar, Simón, 4, 92, 120, 145, 146, 151,<br />
295, 315<br />
Bottesini, Giovanni, 42<br />
Briceño, Manuel, 104, 148, 157, 162<br />
Bruckner, Anton, 110, 128<br />
Byron, George (Lord), 75, 222<br />
Caldas, Francisco José de, 146, 266, 343<br />
Calzabigi, Ranieri de, 21<br />
Cambert, Robert, 37<br />
Cammarano, Salvatore, 106<br />
Campa, Gustavo, 299<br />
Campra, André, 113<br />
Canales, <strong>Le</strong>onardo, 43<br />
Candeille, 6, 7, 39, 300<br />
Cané, Miguel, 47, 48, 290, 348, 358<br />
Cantini, Pietro, 71, 271<br />
Carafa, Michele Enrico, 52, 121, 123, 124,<br />
126, 128, 129, 359<br />
Carrasquilla, 146<br />
Carreño, Teresa, 68, 118, 120<br />
Carrión, Ramón, 141<br />
Castro, Ricardo, 23, 24, 28, 43, 92, 93,<br />
291, 293, 360, 361, 363<br />
Cavaillé-Coll, Aristide, 112, 118, 127<br />
Cavaletti, Matilde, 57, 61, 81, 100, 105,<br />
107, 163, 167, 205, 214, 216, 253, 270,<br />
271, 302, 303, 314, 379<br />
Cebollino, la, 196<br />
Charles Quint, 31, 32<br />
Chate<strong>au</strong>briand, François-R<strong>en</strong>é, 75<br />
Ch<strong>au</strong>vet, Alexis, 112, 118, 119, 123, 126,<br />
127, 217, 360, 362<br />
Cherubini, Luigi, 39<br />
Chopin, Frédéric, 119, 145<br />
Chouquet, Gustave, 124<br />
Cimarosa, Dom<strong>en</strong>ico, 37, 40<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
370<br />
Cocchi, Adolfo, 264, 265, 270, 287, 311,<br />
312, 346<br />
Cocco, José Antonio, 40<br />
Codazzi, Agustín, 289<br />
Codazzi, Lor<strong>en</strong>zo, 274<br />
Co<strong>en</strong><strong>en</strong>, Frans, 51, 359<br />
Coh<strong>en</strong>, Jules, 118, 119<br />
Colomb, Christophe, 13, 146, 236<br />
Colomé, José, 196, 200, 201, 203, 206,<br />
211, 217, 223, 306, 345<br />
Colucci, Giovanni, 62, 77, 167, 173, 176,<br />
189, 303, 304, 305<br />
Comoletti, Guillermo, 264, 265, 311, 312,<br />
346<br />
Conti, Arnaldo, 265, 267<br />
Conti, Emilio, 11, 164, 169<br />
Coppée, François, 124<br />
Corneille, 129, 361<br />
Cristiani, 40<br />
Cristiani, Stefano, 40, 41<br />
Cualla, Higinio, 271, 272<br />
Cuervo, Angel, 132, 133, 220, 221, 272,<br />
276, 290, 358, 360, 362<br />
D’Achiardi, Dario, 11, 56, 57, 62, 63, 67,<br />
135, 153, 154, 160, 163, 164, 167, 169,<br />
170, 176, 177, 178, 179, 182, 196, 200,<br />
201, 207, 253, 303, 305, 357, 377, 379<br />
D’Aponte, Elisa, 11, 81, 253, 308, 309,<br />
310<br />
D’Indy, Vinc<strong>en</strong>t, 132, 281<br />
Da Ponte, Lor<strong>en</strong>zo, 37<br />
Dalayrac, Nicolas, 37, 39<br />
David, Félici<strong>en</strong>, 124, 146<br />
Daville, Enrico, 62, 170, 303, 304<br />
Debussy, Cl<strong>au</strong>de, 20<br />
Delgado, Eusebio, 121<br />
Desantis, Antonio, 58, 77, 141, 185, 261,<br />
262, 263, 264, 288, 311<br />
Diestro, Juan del, 61, 215, 216<br />
Dittersdorf, Karl Ditters von, 159<br />
Domínguez, José María, 158<br />
Domínguez, Juan, 58, 167, 169, 264, 265,<br />
312<br />
Donizetti, Gaetano, 40, 49, 63, 116, 128,<br />
139, 156, 174, 184, 215, 226, 254, 256,<br />
268, 301, 302, 303, 308, 311<br />
Dubois, Théodor, 117, 126<br />
Duc de Rivas, Ángel de Saavedra y<br />
Ramírez, 236, 237, 238, 239, 242, 243,<br />
244, 245, 249, 250, 252, 343, 353<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Dumas, Alexandre, 101, 158, 235, 237<br />
Duprez, Gilbert, 110<br />
Elorduy, Ernesto, 43<br />
Espina, Antonio, 58, 104, 144, 262, 263<br />
Espinoza, Simón, 58<br />
Esteve, Pablo, 37<br />
Euj<strong>en</strong>ia Bellini, Euj<strong>en</strong>ia, 205<br />
Fallón, Diego, 53, 104, 173, 354<br />
Farinelli, 26<br />
F<strong>au</strong>compré, Jeanne, 39<br />
Ferdinand I er de Médicis, 26<br />
Figueroa, Daniel, 10, 57, 61, 99, 105, 152,<br />
164, 173, 215<br />
Figueroa, Ignacio, 99<br />
Fiorivesi, Mariana Bianchi, 62<br />
Flórez, Antonio, 91<br />
Fonseca Plazas, Francisco, 91, 272, 358<br />
Franchomme, 129<br />
Franck, César, 112, 129<br />
François I er , 31<br />
Fucili, Ezio, 276<br />
Fu<strong>en</strong>tes Matons, L<strong>au</strong>reano, 43<br />
Furnier, Mateo, 56<br />
Gaitán, José B<strong>en</strong>ito, 171<br />
Garay, Epifanio, 58, 104, 145, 216, 258,<br />
262, 263, 264, 265, 270, 311, 312, 313,<br />
346, 364<br />
García, Alejo, 58, 104, 194, 198, 248<br />
García, Manuel, 37, 39, 40<br />
Garrido, Gabriel, 32, 367<br />
Gatti, Anibale, 71<br />
G<strong>au</strong>tier, Théophile, 158, 317<br />
Gaztambide, Joaquín, 60, 195, 207, 209,<br />
305, 306<br />
Gevaërt, François-Auguste, 119<br />
Ghislanzoni, Antonio, 42<br />
Giglioli, Francisco, 164, 169, 181, 182<br />
Ginastera, Alberto, 39<br />
Gluck, Christoph Willibald von, 21, 113,<br />
337<br />
Goethe, Johann Wolfgang von, 222<br />
Gomes, Carlos, 42, 44, 45, 148, 229, 364,<br />
367<br />
Gómez de Avellaneda, Gertrudis, 44<br />
Gossec, François-Joseph, 37<br />
Gottschalk, Louis More<strong>au</strong>, 51, 121<br />
Gounod, Charles, 110, 116, 117, 121, 123,<br />
124, 129, 139, 184, 185, 226, 254, 268,<br />
308, 316, 317, 329, 330, 346, 358, 376<br />
Grétry, André, 36, 37, 39
Guarín, David, 52, 53, 226, 355<br />
Guarín, Joaquín, 64<br />
Guerra, Luis Antonio, 40, 311<br />
Guilmant, Alexandre, 112<br />
Gutiérrez de Alba, José María, 152, 181,<br />
182, 198, 218, 219, 220, 221, 222, 229,<br />
232, 236, 252, 286, 287, 306, 351, 358<br />
Gutiérrez, Felipe Santiago, 83, 85, 87, 135,<br />
144, 154, 155<br />
Guzman, Fred, 20, 120, 121<br />
Ha<strong>en</strong>del, Georg Friedrich, 33, 117, 159,<br />
242<br />
Hainl, François-Georges, 117<br />
Halévy, Jacques From<strong>en</strong>tal, 39, 306, 317<br />
Hargreaves, Francisco, 39<br />
Haydn, Joseph, 117, 164<br />
Hérold, Ferdinand, 39<br />
Herz, H<strong>en</strong>ri, 49, 51, 119, 120, 121, 125,<br />
126, 131, 152<br />
Hugo, Victor, 75, 96, 101, 158, 222, 344<br />
Humboldt, Alexander von, 51, 251, 289<br />
Hünt<strong>en</strong>, Franz, 49<br />
Huysmans, Joris-Karl, 251<br />
Isaza, Román, 57, 60, 61, 69, 103, 104,<br />
106, 184, 214, 253, 301, 379<br />
Isouard, Nicolas, 39<br />
Jaramillo Uribe, Jaime, 93, 94, 95, 96, 101,<br />
291, 361<br />
Jerezana, la, 196<br />
Joachim, Joseph, 110, 127<br />
La Borde, Jean-B<strong>en</strong>jamin de, 37<br />
Lalande, Michel-Richard, 113<br />
Lamartine, Alphonse de, 75, 222<br />
Lambardi, Mario, 64, 253<br />
Lanner, Joseph, 49, 52<br />
Lassus, Orlando di, 113<br />
<strong>Le</strong> Couppey, Félix, 53<br />
<strong>Le</strong> Moyne, Auguste (Chevalier), 32, 50,<br />
69, 72, 358<br />
<strong>Le</strong>fébure-Wély, Louis James Alfred, 112<br />
Lindig, 52, 53<br />
Liszt, Franz, 114, 119<br />
Lleras, Lor<strong>en</strong>zo Maria, 54, 56, 60, 66, 100,<br />
101, 102, 105, 106, 213, 314<br />
Longfellow, H<strong>en</strong>ry Wadsworth, 222, 344<br />
López, José Hilario, 94<br />
Lora, José María, 169, 178<br />
Loret, Clém<strong>en</strong>t, 112<br />
Lortat-Jacob, Bernard, 21, 25, 33, 34, 361<br />
Louis II de Bavière, 26<br />
371<br />
Louis XIV, 26, 32<br />
Lubeck, Ernst, 51<br />
Luisia, Eug<strong>en</strong>io, 56, 57, 59, 63, 154, 156,<br />
162, 163, 167, 182, 184, 261, 302, 303,<br />
304<br />
Lully, Jean-Baptiste, 26, 113, 159<br />
Maldonado, 4, 10, 13, 62, 68, 69, 70, 79,<br />
99, 151, 157, 159, 182, 183, 185, 186,<br />
201, 208, 214, 222, 243, 253, 265, 271,<br />
287, 294, 315, 377<br />
Malibran, Maria, 37, 40<br />
Marchetti, Filippo, 136, 184, 254, 263, 310<br />
Maréchal, H<strong>en</strong>ri, 126<br />
Mariátegui, José Carlos, 298<br />
Marroquín, Manuel, 95, 103, 104, 290<br />
Martí, José, 298<br />
Martini, Emilio, 164, 169, 181, 182, 190,<br />
211<br />
Mass<strong>en</strong>et, Jules, 126, 130, 159, 316<br />
Mastellari, Filippo, 71<br />
Mateo, Josefa, 39, 43, 56, 57, 58, 76, 137,<br />
138, 141, 183, 195, 201, 204, 205, 206,<br />
210, 211, 217, 222, 223, 225, 234, 253,<br />
270, 294, 305, 306, 356, 378, 379<br />
Maximili<strong>en</strong>, 38, 45<br />
Mazza, 41<br />
Mazzeti, 11<br />
Méhul, Eti<strong>en</strong>ne Nicolas, 39<br />
Melo, G<strong>en</strong>eral, 96<br />
M<strong>en</strong>delssohn, Felix, 117, 118, 121, 164,<br />
224, 268, 316<br />
M<strong>en</strong>dieve, Rafael Maria de, 42<br />
M<strong>en</strong>eses, Miguel, 43<br />
Merklin-Schütze, 112<br />
Mexia de Fernangil, Diego, 32<br />
Meyerbeer, Giacomo, 39, 116, 127, 207,<br />
306, 316, 344<br />
Millais, John Everett, 236<br />
Moeser, August Louis, 51<br />
Molière, 41<br />
Molina, Modesto, 258<br />
Monsigny, Pierre-Alexandre, 37<br />
Montero, José Angel, 43<br />
Monteverdi, Cl<strong>au</strong>dio, 113<br />
Morales, Melesio, 8, 43, 44, 45, 59, 66, 79,<br />
80, 123, 130, 131, 133, 229, 348, 358,<br />
368<br />
More<strong>au</strong>, Jean-Baptiste, 159<br />
Moscheles, Ignaz, 49, 121<br />
Mosquera, G<strong>en</strong>eral, 97<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
372<br />
Mozart, Wolfgang Amadeus, 20, 117, 121,<br />
164, 284, 337<br />
Musset, Alfred de, 222<br />
Napoléon, 26, 92, 111, 195<br />
Napoléon III, 38, 110<br />
Neukomm, Sigismund, 51<br />
Niccoli, Egisto, 276<br />
Nuñez de Balboa, Vasco, 146, 292<br />
Nuñez, Rafael, 71, 143, 148, 259, 293<br />
Ocón y Rivas, Eduardo, 121<br />
Off<strong>en</strong>bach, Jacques, 26, 40, 110, 116, 122,<br />
306, 316, 317, 364<br />
Olavarria y Huarte, Eug<strong>en</strong>io de, 101, 213<br />
Olivieri de Luisia, Rossina, 56<br />
Olona, Luis de, 198, 202, 305, 306<br />
Orbea, Fernando de, 33<br />
Ortega, Aniceto, 43, 144, 299<br />
Ortiz de Zárate, Heliodoro, 299<br />
Ortiz, Marcelino, 206<br />
Osorio, Juan Crisóstomo, 10, 21, 53, 57,<br />
61, 72, 98, 103, 104, 105, 107, 108, 169,<br />
214, 215, 216, 271, 299, 314, 348, 354,<br />
356, 368<br />
Ospina Rodríguez, Mariano, 94<br />
Paisiello, Giovanni, 37, 40<br />
Palestrina, Giovanni Pierluigi da, 31, 113<br />
Palma, Ramon de, 42<br />
Paniagua, C<strong>en</strong>obio, 43<br />
Panizza, Héctor, 39<br />
Par<strong>en</strong>t, Hort<strong>en</strong>se, 53<br />
Párraga, Manuel Maria, 51, 104, 367<br />
Pasdeloup, Jules, 110, 115, 117, 127, 128<br />
Pasta, Enrico, 8, 42, 299<br />
Patti, Adelina, 110<br />
Pelleti, Domingo, 62, 77, 167, 181, 182,<br />
303, 304, 305<br />
Perdomo Escobar, José Ignacio, 12, 33, 51,<br />
52, 53, 54, 55, 56, 65, 66, 82, 87, 88, 98,<br />
102, 134, 164, 193, 194, 259, 262, 340,<br />
365, 367<br />
Pereira, Cayetano, 61, 135, 136, 137, 164,<br />
176, 177, 178, 179, 183, 207, 230, 357<br />
Pérez Triana, Santiago, 297<br />
Pérez, Plácido, 169, 178<br />
Pergolèse, 37<br />
Peschard-Barker, 112<br />
Petrella, Enrico, 63, 303<br />
Petrilli, Egisto, 11, 77, 140, 141, 142, 184,<br />
185, 193, 253, 254, 255, 256, 257, 258,<br />
259, 261, 278, 301, 302, 308, 309, 310<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Pettini, Buonafede, 164, 169<br />
Philidor, François-André Danican, 37, 113<br />
Philippe II, 248, 339, 341<br />
Philippe V, 26, 32, 33<br />
Piave, Francesco Maria, 106, 237, 252<br />
Planas, Miguel, 43<br />
Pocoleri, Julia, 258, 262, 264, 265, 309,<br />
310, 311, 312, 346<br />
Poli de Rossa, Ida, 276<br />
Pombo, Manuel, 266<br />
Pombo, Rafael, 11, 16, 45, 46, 66, 78, 82,<br />
85, 86, 87, 88, 90, 93, 95, 96, 97, 98,<br />
102, 104, 106, 111, 121, 123, 126, 129,<br />
130, 135, 136, 138, 141, 142, 143, 144,<br />
145, 146, 147, 148, 154, 155, 156, 157,<br />
158, 159, 160, 161, 162, 163, 168, 169,<br />
171, 183, 186, 187, 188, 191, 192, 193,<br />
197, 199, 213, 214, 215, 216, 217, 218,<br />
220, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 229,<br />
230, 232, 234, 236, 240, 242, 243, 244,<br />
245, 246, 247, 248, 249, 250, 251, 252,<br />
253, 255, 259, 260, 264, 265, 268, 270,<br />
271, 272, 274, 276, 278, 280, 281, 284,<br />
286, 288, 291, 293, 294, 295, 296, 315,<br />
343, 345, 346, 348, 349, 352, 353, 354,<br />
355, 356, 358, 362, 378, 379<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, Diego, 91<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, Eusebio, 92, 93, 139<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, Francisco, 143, 243, 259,<br />
315<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, Juana, 104<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, Manuel, 91, 358<br />
Ponce de <strong>Le</strong>ón, Margarita, 104<br />
Ponce de Schlessinger, María Ester, 187<br />
Ponseggi, 184, 185, 189, 255, 257, 258,<br />
308, 309, 309, 310<br />
Price, H<strong>en</strong>ry, 52, 53, 147<br />
Quesnel, Joseph, 41<br />
Quevedo Rachadell, Nicolas, 104<br />
Quevedo, Julio, 61, 64, 100, 103, 104, 134,<br />
140, 164, 169, 178, 213, 367<br />
Quijano, Santos, 52, 53, 64, 298, 362<br />
Quin<strong>au</strong>lt, Philippe, 24, 26<br />
Racine, Jean, 43, 118, 129, 157, 158, 159,<br />
192, 282, 316, 319, 320, 321, 338, 341,<br />
353, 354, 363, 375<br />
Rame<strong>au</strong>, Jean-Philippe, 21, 113, 282, 300<br />
Ramírez, Sofia, 91<br />
Ramírez, Tomás, 68, 195, 353<br />
Ramos Carrión, Miguel, 233
Reed, Thomas, 71<br />
R<strong>en</strong>avini, Guiseppe, 71<br />
Rius, José, 210, 306<br />
Rivera, José Eustasio, 298, 305, 363<br />
Romani, Felice, 43, 106, 147, 306<br />
Rosales, José Miguel, 83, 86, 87, 125, 126,<br />
357<br />
Ros<strong>en</strong>, Charles, 23<br />
Rossi Guerra, Enrico, 11, 56, 57, 59, 62,<br />
63, 135, 153, 154, 163, 167, 170, 182,<br />
184, 193, 194, 196, 200, 201, 207, 253,<br />
261, 262, 303, 311, 317, 377, 379<br />
Rossini, Gioachino, 20, 37, 40, 41, 52, 53,<br />
81, 110, 116, 118, 121, 124, 128, 268,<br />
296, 316, 317, 322, 333, 337, 357, 359<br />
Rousse<strong>au</strong>, Jean-Jacques, 21, 361, 362<br />
Rubinstein, Anton, 110<br />
Russi, Saturnino, 98<br />
Saïd, Eduard, 80<br />
Saint-Saëns, Camille, 112, 117, 125, 129,<br />
132<br />
Samper, José María, 9, 74, 101, 148, 172,<br />
212, 213, 286, 294, 314, 354<br />
Saruggia, Celestina, 276<br />
Schlesinger, Daniel, 279<br />
Schop<strong>en</strong>h<strong>au</strong>er, Arthur, 22<br />
Schneider, Hort<strong>en</strong>se, 110, 363<br />
Schumann, Robert, 164<br />
Shakespeare, William, 222, 316<br />
Silva, Antonio José da, 41, 71, 314, 362,<br />
363<br />
Sindici, Oreste, 11, 57, 59, 60, 61, 69, 103,<br />
104, 106, 140, 141, 153, 184, 214, 253,<br />
261, 268, 271, 273, 286, 301, 302, 379<br />
Solera, Temistocle, 43, 44, 45, 106<br />
Souvestre, Émile, 158<br />
Spontini, Gaspare, 26, 121, 300<br />
Stampiglia, Silvio, 33<br />
St<strong>en</strong>dhal, 239<br />
Str<strong>au</strong>ss, Johann, 4, 110, 137, 140<br />
Str<strong>au</strong>ss, Richard, 20<br />
Sue, Eugène, 101<br />
Sumaya, Manuel de, 29, 33, 40, 195<br />
Sylvestre, Armand, 44<br />
Tamayo y B<strong>au</strong>s, Manuel y Victorino, 198<br />
373<br />
Tamberlick, Enrico, 44<br />
Tanco, Teresa, 72, 271, 368<br />
Thalberg, Sigismond, 49, 51<br />
Thiolier, Marina, 198, 264<br />
Thomas, Ambroise, 39, 112, 116, 117,<br />
123, 124, 126, 127, 128, 129, 316, 362<br />
Torrejón y Velasco, Tomas de, 33, 195<br />
Torres Serratos, Mateo, 43<br />
Urdaneta, Alberto, 148, 171, 271, 272,<br />
273, 367<br />
Uribe Holguín, Guillermo, 53, 193, 281,<br />
297<br />
Valle, Octaviano, 43<br />
Vargas de la Rosa, Vic<strong>en</strong>te, 61, 164<br />
Vargas Tejada, Luis, 157<br />
Vásquez de Arce y Ceballos, Gregorio,<br />
154<br />
Verdi, Giuseppe, 4, 20, 26, 37, 40, 42, 63,<br />
81, 116, 124, 156, 159, 160, 224, 237,<br />
248, 252, 254, 259, 263, 266, 284, 296,<br />
301, 302, 303, 308, 311, 316, 324, 331,<br />
333, 338, 339, 340, 376<br />
Viardot, P<strong>au</strong>line, 40<br />
Villalba, Francisco, 55, 56, 57, 64, 196<br />
Villanueva, Felipe, 43<br />
Villar, José Dionisio de, 68<br />
Villar, Nicolasa, 68<br />
Villate, Gaspar, 43, 44, 229<br />
Vinci, <strong>Le</strong>onardo, 113<br />
Viollet-le-Duc, Eugène, 117, 236<br />
Visoni, Luisa, 57, 62, 65, 104, 134, 153,<br />
205, 216, 253, 301, 302, 303<br />
Visoni, Pietro, 104<br />
Voltaire, 19, 108, 283<br />
Wagner, Richard, 26, 117, 128, 317<br />
Weber, Carl Maria von, 117, 121<br />
Widor, Charles-Marie, 112<br />
Wintringer, 130, 152<br />
Z<strong>en</strong>ardo, Francisco, 64, 253, 271, 272,<br />
273, 276<br />
Zequeira y Arango, Manuel de, 40<br />
Ziani, Marc'Antonio, 242<br />
Zola, Émile, 110<br />
Zucchi, Giovanni, 62, 77, 167, 304, 305<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
Table des Exemples et<br />
des Table<strong>au</strong>x<br />
1.Exemplesdesprogrammesdeconcertscités<br />
Exemple 1 : Programme du concert du 7 novembre 1852 (virtuoses europé<strong>en</strong>s à Bogotá) .... 51<br />
Exemple 2 : Programme du concert du 24 avril 1849 (Sociedad Filarmónica de Bogotá) ..... 52<br />
Exemple 3 : Programme de la Fanfare dirigée par Ponce de <strong>Le</strong>ón 12 et 15 juillet 1877. ...... 139<br />
Exemple 4 : Programme de concert du 20 mai 1875, donné <strong>au</strong> théâtre de Bogotá. .............. 181<br />
Exemple 5 : Programme de la Séance Dramatique donnée le 14 septembre 1874 <strong>au</strong> Coliseo<br />
de Bogotá ................................................................................................................................ 198<br />
Exemple 6 : Annonce de la séance de zarzuela du 19 mars 1876 à Bogotá ........................... 209<br />
2. Table<strong>au</strong>x<br />
Table<strong>au</strong> 1: Quelques ouvrages <strong>lyrique</strong>s écrits à Cuba <strong>au</strong> début du <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>....................... 40<br />
Table<strong>au</strong> 2 : Opéras mexicains (1835-1910) ............................................................................. 43<br />
Table<strong>au</strong> 3 : Compagnies <strong>lyrique</strong>s europé<strong>en</strong>nes à Bogotá (1833-1880) ................................... 58<br />
Table<strong>au</strong> 4 : <strong>Le</strong>s biographies de Ponce de <strong>Le</strong>ón écrites <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>. ................................... 87<br />
Table<strong>au</strong> 5 : <strong>Le</strong>s principales biographies réc<strong>en</strong>tes de Ponce de <strong>Le</strong>ón. ...................................... 88<br />
Table<strong>au</strong> 6 : Périodiques consultés, publiés du vivant de Ponce de <strong>Le</strong>ón. ................................ 89<br />
Table<strong>au</strong> 7 : Docum<strong>en</strong>ts administratifs sur Ponce de <strong>Le</strong>ón. ...................................................... 90<br />
Table<strong>au</strong> 8 : Récomp<strong>en</strong>ses et Prix reçus par Ponce de <strong>Le</strong>ón ................................................... 146<br />
Table<strong>au</strong> 9 : Récomp<strong>en</strong>ses posthumes ..................................................................................... 147<br />
Table<strong>au</strong> 10 : Exemple de pluritextualité dans Ester (n°1) ..................................................... 191<br />
Table<strong>au</strong> 11 : Exemple de pluritextualité dans Ester (n°4) ..................................................... 192<br />
Table<strong>au</strong> 12 : Struture du Castilo misterioso ........................................................................... 228<br />
Table<strong>au</strong> 13 : Sources musicales de Florinda ......................................................................... 278<br />
Table<strong>au</strong> 14 : La structure musicale d’Ester de Ponce de <strong>Le</strong>ón .............................................. 318<br />
Table<strong>au</strong> 15 : Mise <strong>en</strong> rapport des structures d’Esther (Racine<br />
Table<strong>au</strong> 16 : l’unité de temps dans Esther et Ester ................................................................ 321<br />
Table<strong>au</strong> 17 : construction du premier acte d’Ester ................................................................ 321<br />
Table<strong>au</strong> 18 : construction du troisième acte d’Ester .............................................................. 322<br />
Table<strong>au</strong> 19 : Construction de la cavatine d'Ester ................................................................... 323<br />
Table<strong>au</strong> 20: comparaison <strong>en</strong>tre les cavatines de Sémiramis et d’Ester .................................. 323<br />
Table<strong>au</strong> 21 : orchestre d'Ester (1874) et du Castillo misterioso (1876)................................. 325<br />
Table<strong>au</strong> 22 : plan de l'Ouverture d’Ester ............................................................................... 335<br />
Table<strong>au</strong> 23 : plan de la première scène n° 4 de l’acte II d’Ester ............................................ 336
3. Exemplesmusic<strong>au</strong>x<br />
375<br />
Exemple musical 1: réduction harmonique de la fin du n°3 d’Ester ..................................... 325<br />
Exemple musical 2: Ester, Acte III n° 12 ............................................................................... 326<br />
Exemple musical 3 : évanouissem<strong>en</strong>t d'Ester (n° 4) .............................................................. 327<br />
Exemple musical 4 : interv<strong>en</strong>tion du chœur dans le Duo n° 3 (Ester) ................................... 328<br />
Exemple musical 5 : digression harmonique du chœur, n° 1 (Ester) ..................................... 328<br />
Exemple musical 6 : premières mesures d'Ester .................................................................... 329<br />
Exemple musical 7: Comparaison <strong>en</strong>tre Roméo et Juliette de Gounod<br />
Exemple musical 8 : pulsation nerveuse <strong>au</strong>x violons (Ester, n° 4) ........................................ 331<br />
Exemple musical 9 : Rigoletto, Acte 1 n° 9 de Verdi<br />
Exemple musical 10 : Réduction harmonique du n°11 d’Ester. ............................................ 332<br />
Exemple musical 11 : Réduction harmonique de la Cabalette d’Ester (n°2) ......................... 332<br />
Exemple musical 12 : exemple de coloration harmonique particulière (n°5 d’Ester) .......... 332<br />
Exemple musical 13 : Ester, Trio de l'acte III n° 11 .............................................................. 333<br />
Exemple musical 14 : fin du duo <strong>en</strong>tre Mardoqueo et Ester (n°3) ......................................... 334<br />
Exemple musical 15 : Ester, acte II n° 5 ................................................................................ 334<br />
Exemple musical 16 : Ester, Acte II n° 4 ............................................................................... 336<br />
Exemple musical 17 : Ester, Acte III, Aria d’Amán .............................................................. 337<br />
Exemple musical 18 : doubles chromatismes de passage dans le Chœur n° 4....................... 337<br />
Exemple musical 19 : ligne vocale d’Ester dans le Duo n° 5 ................................................ 338<br />
Exemple musical 20 : comparaison <strong>en</strong>tre Ester et Don Carlos .............................................. 339<br />
Exemple musical 21 : Ester, Acte I n° 2 ................................................................................ 339<br />
Exemple musical 22 : Don Carlos de Verdi<br />
Exemple musical 23 : Don Carlos, Acte IV n° 15 ................................................................. 341<br />
Exemple musical 24 : Ester, Introduction de l'acte III ........................................................... 341<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
376<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)<br />
Table des Matières<br />
AVANT-PROPOS .................................................................................................................... 5<br />
INTRODUCTION .................................................................................................................... 9<br />
PREMIÈRE PARTIE - DES RACINES POUR UN OPÉRA NATIONAL ? .................. 17<br />
1. L’AVENTURE LYRIQUE AMÉRICAINE ................................................................................ 19<br />
1.1. OPÉRA ? RÉFLEXION SUR L’IMPOSSIBILITÉ DE DÉFINIR UN GENRE ................................... 20<br />
1.1.1. Questions de forme ...................................................................................................... 21<br />
1.1.2. La fonction de l’opéra .................................................................................................. 26<br />
1.2. LES SPECTACLES LYRIQUES DANS L’AMÉRIQUE LATINE COLONIALE ............................... 31<br />
1.2.1. <strong>Le</strong>s fêtes coloniales : antécéd<strong>en</strong>ts r<strong>en</strong>aissants et baroques du g<strong>en</strong>re <strong>lyrique</strong> ............... 31<br />
1.2.2. L’apparition des opéras dans les dernières années coloniales. .................................... 34<br />
1.3. LES COMPAGNIES LYRIQUES ITINÉRANTES ASSIÈGENT L’AMÉRIQUE DU <strong>XIX</strong>E SIÈCLE ..... 36<br />
1.3.1. <strong>Le</strong> succès de l’opéra itali<strong>en</strong> ......................................................................................... 37<br />
1.3.2. L’influ<strong>en</strong>ce française ................................................................................................... 39<br />
1.4. L’AMÉRIQUE AU RYTHME DE L’EUROPE .......................................................................... 40<br />
1.4.1. La consolidation d’un empire <strong>lyrique</strong> .......................................................................... 41<br />
1.4.2. La production américaine ............................................................................................ 42<br />
1.4.3. Cap vers l’Europe ........................................................................................................ 44<br />
2. L'ARRIVÉE MIRIFIQUE DE L'OPÉRA À BOGOTÁ AU <strong>XIX</strong> E SIÈCLE .................................... 47<br />
2.1. LE CONTEXTE MUSICAL ................................................................................................... 49<br />
2.1.1. Quelques considérations esthétiques sur le répertoire novo-gr<strong>en</strong>adin ......................... 49<br />
2.1.2. La création d’institutions musicales ............................................................................ 52<br />
2.1.3. L’arrivée des Itali<strong>en</strong>s ................................................................................................... 54<br />
2.2. L’ÂGE D’OR DE L’OPÉRA À BOGOTÁ : 1864-1882 ............................................................ 57<br />
2.2.1. Un exemple : la compagnie Rossi-d’Achiardi (1874) ................................................. 62<br />
2.2.2. L’évolution de « l’orchestre de l’Opéra » ................................................................... 64<br />
2.2.3. Un lieu pour l’opéra : le Coliseo Maldonado .............................................................. 68<br />
2.2.4. <strong>Le</strong> temps de l’opéra ..................................................................................................... 72<br />
2.2.5. Un espace pour l’érotisme ? ........................................................................................ 75<br />
2.3. OPÉRA ITALIEN, ZARZUELA ET OPÉRA NATIONAL ............................................................ 78<br />
3. JOSÉ MARÍA PONCE DE LEÓN (1845-1882), COMPOSITEUR COLOMBIEN D’OPÉRAS ...... 82<br />
3.1. PONCE DE LEÓN AUJOURD’HUI ........................................................................................ 84<br />
3.1.1. Méthodologie et sources .............................................................................................. 84<br />
3.1.2. <strong>Le</strong>s biographies de Ponce de <strong>Le</strong>ón .............................................................................. 85<br />
3.1.3. <strong>Le</strong>s docum<strong>en</strong>ts complém<strong>en</strong>taires ................................................................................. 89<br />
3.2. LES ORIGINES ESPAGNOLES D’UNE FAMILLE NOVO-GRENADINE ...................................... 91<br />
3.3. LES PREMIÈRES ANNÉES (1845 – 1867) ............................................................................ 94<br />
3.3.1. La formation musicale de Ponce de <strong>Le</strong>ón ................................................................... 98<br />
3.3.2. La naissance d’un compositeur : Un alcalde a la antigua … (1865) .......................... 99<br />
3.4. PARIS : LE CHOC DES CULTURES (1867-1870) ................................................................ 109
377<br />
3.4.1. La vie musicale à <strong>Paris</strong> .............................................................................................. 111<br />
3.4.2. <strong>Le</strong> répertoire parisi<strong>en</strong> de la fin du Second Empire .................................................... 115<br />
3.4.3. Sur les traces de Ponce de <strong>Le</strong>ón ................................................................................ 123<br />
3.4.4. Conclusion ................................................................................................................. 131<br />
3.5. LE COMPOSITEUR D’OPÉRAS (1870-1882) ..................................................................... 133<br />
3.5.1. Vers la reconnaissance : Ester et El Castillo misterioso ........................................... 134<br />
3.5.2. Vers la maturité : Florinda ........................................................................................ 138<br />
3.5.3. La double mort de Ponce de <strong>Le</strong>ón ............................................................................. 147<br />
DEUXIÈME PARTIE - LES ŒUVRES SCÉNIQUES DE PONCE DE LEÓN ............ 150<br />
4. UN OPÉRA BIBLIQUE DANS UN STYLE ITALIEN : ESTER (1874) ...................................... 152<br />
4.1. LA GENÈSE D’ESTER ...................................................................................................... 156<br />
4.1.1. <strong>Le</strong> choix d’un sujet « biblique » ................................................................................ 157<br />
4.1.2. La composition de la musique ................................................................................... 160<br />
4.1.3. Un opéra écrit <strong>en</strong> espagnol et chanté <strong>en</strong> itali<strong>en</strong> ......................................................... 162<br />
4.1.4. L’orchestre ................................................................................................................. 163<br />
4.2. LA CRÉATION D’ESTER .................................................................................................. 167<br />
4.2.1. <strong>Le</strong>s créateurs d’Ester ................................................................................................. 167<br />
4.2.2. Jeudi 2 juillet 1874, à neuf heures du soir… ............................................................. 171<br />
4.2.3. L’opéra de la discorde ............................................................................................... 176<br />
4.3. LA POSTÉRITÉ D’ESTER ................................................................................................. 180<br />
4.3.1. <strong>Le</strong>s promesses d’Ester du vivant de compositeur ..................................................... 180<br />
4.3.2. Ester <strong>au</strong> XX e <strong>siècle</strong> ? ................................................................................................. 186<br />
4.4. LES DEUX VERSIONS D’ESTER OU UN OPÉRA EN CHANTIER ............................................ 189<br />
5. VERS LA SYNTHÈSE DES STYLES : LA ZARZUELA EL CASTILLO MISTERIOSO (1876) ...... 195<br />
5.1. LA ZARZUELA À BOGOTÁ .............................................................................................. 195<br />
5.1.1. Zarzuela ? .................................................................................................................. 196<br />
5.1.2. Un nouve<strong>au</strong> g<strong>en</strong>re ...................................................................................................... 200<br />
5.2. LA COMPAGNIE MATEO ET SA ZARZUELA ÉBLOUISSANTE .............................................. 204<br />
5.2.1. Une troupe professionnelle et séduisante .................................................................. 205<br />
5.2.2. À la recherche d’une scène spl<strong>en</strong>dide ........................................................................ 209<br />
5.3. PONCE DE LEÓN ET LA ZARZUELA ................................................................................. 212<br />
5.3.1. El Castillo misterioso : une nouvelle improvisation de Ponce de <strong>Le</strong>ón .................... 218<br />
5.3.2. Zarzuela ou opéra ? .................................................................................................... 225<br />
5.3.3. Au l<strong>en</strong>demain du Castillo misterioso ......................................................................... 229<br />
6. LA MATURITÉ : FLORINDA .............................................................................................. 235<br />
6.1. HISTOIRE OU LÉGENDE ? AUX SOURCES DE FLORINDA .................................................. 235<br />
6.1.1. En l’an 710… ............................................................................................................. 235<br />
6.1.2. Parcours d’un mythe : de l’Histoire <strong>au</strong> livret d’opéra. .............................................. 236<br />
6.1.3. 1834. Une Florinda romantique ................................................................................. 238<br />
6.2. UNE FLORINDA COLOMBIENNE. ..................................................................................... 242<br />
6.2.1. <strong>Le</strong> livret de Rafael Pombo ......................................................................................... 244<br />
6.2.2. 1879. L’annonce d’une création ................................................................................ 253<br />
6.3. FLORINDA SUR LA SCÈNE ................................................................................................ 261<br />
6.3.1. 1880. La création de Florinda <strong>au</strong> Coliseo .................................................................. 265<br />
6.3.2. 1893. « La résurrection de Florinda » ........................................................................ 270<br />
6.3.3. <strong>Le</strong> 20 juillet 1893. ...................................................................................................... 276<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>
378<br />
6.4. LES SOURCES MUSICALES .............................................................................................. 277<br />
6.5. L’OPÉRA COLOMBIEN, DOUBLE DE L’OPÉRA EUROPÉEN ? .............................................. 281<br />
CONCLUSION ..................................................................................................................... 284<br />
ANNEXES ............................................................................................................................. 301<br />
7. ANNEXE I. CALENDRIER LYRIQUE DES OPÉRAS INTERPRÉTÉS À BOGOTÁ .................... 301<br />
7.1. COMPAGNIE SINDICI-ISAZA (1865) ................................................................................. 301<br />
7.2. COMPAGNIE CAVALETTI (1866) ...................................................................................... 302<br />
7.3. COMPAGNIE ROSSI-D’ACHIARDI (1874) .......................................................................... 303<br />
7.4. COMPAGNIE DE JOSEFA MATEO (1876) ......................................................................... 305<br />
7.5. COMPAGNIE PETRELLI (1878) ........................................................................................ 308<br />
7.6. COMPAGNIE BENIC (1880) ............................................................................................. 310<br />
8. ANNEXE II. JOSÉ MARÍA PONCE DE LEÓN EN QUELQUES DATES .................................. 314<br />
9. ANNEXE III. PANORAMA DE LA VIE LYRIQUE PARISIENNE (1867-1869) ....................... 316<br />
10. ANNEXE IV. ANALYSE D’ESTER ................................................................................... 318<br />
10.1. STRUCTURE LITTÉRAIRE ET MUSICALE ......................................................................... 318<br />
10.2. L’ORCHESTRE D’ESTER ................................................................................................ 325<br />
10.3. LE LANGAGE HARMONIQUE ......................................................................................... 331<br />
10.4. LES LIGNES MÉLODIQUES ............................................................................................. 337<br />
11. ANNEXE V. INTRODUCTION DU LIVRET DE FLORINDA PAR RAFAEL POMBO .............. 343<br />
12. ANNEXE VI. STRUCTURE MUSICALE DE FLORINDA ..................................................... 347<br />
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 348<br />
13. RÉPERTOIRE DES SOURCES LITTÉRAIRES ET MUSICALES DES OUVRAGES LYRIQUES DE<br />
PONCE DE LEÓN ..................................................................................................................... 349<br />
13.1. RÉPERTOIRE DES SOURCES D’ESTER ............................................................................. 349<br />
13.1.1. Sources littéraires .................................................................................................... 349<br />
13.1.2. Sources musicales .................................................................................................... 349<br />
13.2. RÉPERTOIRE DES SOURCES D’EL CASTILLO MISTERIOSO ................................................ 351<br />
13.2.1. Sources littéraires .................................................................................................... 351<br />
13.2.2. Sources musicales .................................................................................................... 351<br />
13.3. RÉPERTOIRE DES SOURCES DE FLORINDA ..................................................................... 352<br />
13.3.1. Sources littéraires .................................................................................................... 352<br />
13.3.2. Sources musicales publiées ..................................................................................... 352<br />
13.3.3. Source musicale manuscrite <strong>au</strong>tographe .................................................................. 353<br />
13.3.4. Sources musicales manuscrites non <strong>au</strong>tographes .................................................... 353<br />
13.4. SOURCES LITTÉRAIRES DES LIVRETS ............................................................................ 353<br />
14. BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE .......................................................................................... 354<br />
14.1. OUVRAGES CONSULTÉS DU <strong>XIX</strong> E SIÈCLE ..................................................................... 354<br />
14.1.1. Presse <strong>en</strong> espagnol (<strong>Colombie</strong>) ................................................................................ 354<br />
14.1.2. Articles d’<strong>au</strong>teurs colombi<strong>en</strong>s dans la presse .......................................................... 355<br />
14.1.3. Presse <strong>en</strong> français ..................................................................................................... 357<br />
14.1.4. Articles d’<strong>au</strong>teurs français dans la presse ................................................................ 357<br />
14.1.5. Manuscrits ............................................................................................................... 358<br />
14.1.6. Imprimés .................................................................................................................. 358<br />
Thèse de Doctorat <strong>en</strong> Musicologie<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (<strong>Paris</strong> IV)
379<br />
14.1.7. Annuaires et archives ............................................................................................... 358<br />
14.2. OUVRAGES MODERNES ................................................................................................ 359<br />
14.3. OUVRAGES SPÉCIALISÉS SUR LA MUSIQUE EN COLOMBIE ET AMÉRIQUE ..................... 364<br />
15. ICONOGRAPHIE ............................................................................................................. 367<br />
16. DISCOGRAPHIE .............................................................................................................. 367<br />
INDEX DES NOMS PROPRES .......................................................................................... 369<br />
TABLE DES EXEMPLES ET DES TABLEAUX ............................................................ 374<br />
1. EXEMPLES DES PROGRAMMES DE CONCERTS CITÉS ...................................................... 374<br />
2. TABLEAUX ....................................................................................................................... 374<br />
3. EXEMPLES MUSICAUX ..................................................................................................... 375<br />
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................... 376<br />
Rondy TORRES L.<br />
<strong>Le</strong> <strong>rêve</strong> <strong>lyrique</strong> <strong>en</strong> <strong>Colombie</strong> <strong>au</strong> <strong>XIX</strong> e <strong>siècle</strong>