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368 OPINION<br />

fantastique que l’on appelle l’opinion publique. "La question n’est pas de savoir si je veux ou non faire la<br />

guerre, mais si le pays veut ou non faire la guerre." Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent<br />

le pays au lieu de s’interroger eux-mêmes.<br />

Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu’ils ne peuvent rien tout seul, ils<br />

veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le<br />

gouvernement, afin de savoir ce qu’il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n’est point de folle conception<br />

qui ne puisse quelque jour s’imposer à tous sans que personne pourtant l’ait jamais formée en lui-même<br />

et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent à tout, et personne ne pense. D’où il résulte qu’un État<br />

formé d’hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que<br />

personne n’ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d’abord, et devant<br />

les autres aussi. »<br />

< p.665 ><br />

Georges BERNANOS / Journal de la guerre d’Espagne / Essais et écrits de combats I / Bibliothèque de<br />

la Pléiade / nrf Gallimard 1971<br />

« Il n’existe [...] pas de journaux d’opinion, il existe des journaux d’une opinion, ce qui ne semble pas<br />

absolument la même chose. Or la charité, d’accord avec le bon sens, ne nous permet pas de refuser aux<br />

imbéciles le droit d’avoir une opinion, sous peine de rejeter ces malheureux hors de l’humanité pensante. Et<br />

comme ils ne réussiront jamais à s’en former une à leur strict usage, force leur est bien d’emprunter celle des<br />

autres. Chaque journal se trouve donc ainsi tenu de compter avec eux, c’est-à-dire de ménager les imbéciles,<br />

dont il assume la charge, et Dieu sait si l’espèce est facile à scandaliser ! Scandaliser les imbéciles ne mène<br />

à rien de bon. Je crois, au contraire, que la stupide, l’effroyable monotonie de la vie moderne — dont<br />

les vertigineux manèges de chevaux de bois nous fournissent la parfaite image — incline les meilleurs<br />

esprits à des solutions médiocres, à des mensonges moyens, et que le seul scandale est capable de les<br />

remettre debout, face à l’inflexible vérité ! On ne peut raisonnablement demander au directeur d’un journal<br />

de risquer quotidiennement cent imbéciles dans l’espoir — souvent déçu — de réveiller un dormeur, de<br />

lui réapprendre à penser. La faillite serait au bout d’une telle expérience. »<br />

< p.1446 ><br />

Robert MUSIL / L’homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956<br />

« Étant un homme efficace dans sa spécialité, il savait naturellement que l’on ne peut avoir de conviction sur<br />

laquelle miser soi-même en dehors du seul domaine où l’on est vraiment ferré ; l’extraordinaire extension<br />

des activités empêche qu’il s’en forme ailleurs. C’est pourquoi les hommes efficaces et travailleurs, en<br />

dehors du cercle fort étroit de leur spécialité, n’ont aucune conviction qu’ils ne soient prêts à renier pour<br />

peu qu’ils devinent sur elle quelque pression extérieure ; on pourrait carrément dire qu’ils se voient forcés<br />

par scrupule de conscience, d’agir autrement qu’ils ne pensent. »<br />

< p.169 ><br />

Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971<br />

« L’opinion collective n’aime pas avouer ses faux pas et y parvient avec une aisance parfois déconcertante.<br />

C’est pourquoi la réputation d’un mythe, d’une parole, dépend essentiellement de la suite des événements.<br />

Lorsque Pétain lance le fameux : "On les aura", en 1916, il choisit, avec habileté une formule qui a le double<br />

avantage d’être populaire, presque argotique, qui convient bien à l’Union Sacrée (les poilus, les gueules<br />

cassées, etc.).<br />

Néanmoins, si la guerre avait été perdue, cette parole lui aurait été amèrement reprochée, comme le "Paris<br />

ne capitulera pas" de Trochu, "le dernier quart d’heure" de Lacoste. La formule du dernier quart d’heure a<br />

été employée par de nombreux chefs avant Lacoste et en particulier par Clémenceau en 1917 : "C’est nous<br />

qui aurons le dernier quart d’heure." Pourquoi a-t-elle si souvent servi à tourner Lacoste en dérision? Non<br />

parce que sa cause était mauvaise, mais parce qu’elle a été perdue. Malheur aux vaincus. »<br />

< p.54-55 ><br />

Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995<br />

« Des opinions, oui ; des convictions, non. Tel est le point de départ de la fierté intellectuelle. »<br />

< p.1709 >

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