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L'ORDRE DES CONSTITUANTS EN LATIN - Spevak, Olga

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Université de Paris IV-Sorbonne<br />

L’ORDRE <strong>DES</strong> <strong>CONSTITUANTS</strong> <strong>EN</strong> <strong>LATIN</strong><br />

ASPECTS PRAGMATIQUES, SÉMANTIQUES ET SYNTAXIQUES<br />

<strong>Olga</strong> SPEVAK<br />

Maître de conférences à l’Université de Toulouse 2<br />

Mémoire présenté en vue d’obtention d’une<br />

Habilitation à Diriger des Recherches<br />

2006


INTRODUCTION<br />

1. L’ordre des constituants en latin. État de la question<br />

1.1. Approche traditionnelle<br />

Les analyses traditionnelles de l’ordre des constituants en latin prennent comme<br />

point de départ une approche comparative (cf. Meillet, 1903) : le latin est confronté,<br />

d’une part, avec les langues modernes (telles que les langues romanes, germaniques et<br />

slaves), d’autre part, avec les langues anciennes (tels que le sanscrit et le grec ancien).<br />

Ainsi parle-t-on de l’ordre ‘libre’ des constituants (cf. Weil, 1844 : 44) en latin par<br />

rapport à l’ordre ‘fixe’ qui se rencontre, par exemple, en français et en allemand. De<br />

même, certaines propriétés, observées en sanscrit et en grec Ŕ et reconstruites alors pour<br />

l’indo-européen Ŕ sont projetées en latin, qu’il s’agisse de la position du verbe ou des<br />

mots dits « accessoires » ou encore des enclitiques.<br />

Le verbe étant considéré comme l’élément le plus important dans la phrase, une<br />

attention particulière est portée à la place qu’il occupe. Partant de l’observation<br />

empirique selon laquelle le verbe se positionne en fin de phrase 1 , cette dernière position<br />

est généralement retenue comme ‘normale’ et les deux autres possibilités, la place<br />

initiale et la place intérieure, font l’objet d’explications (cf. Schneider, 1912 et Kühner<br />

et Stegmann, 1914, II : 590 sqq.). En outre, une importance significative est accordée à<br />

deux positions de la phrase, finale et initiale.<br />

Sans doute l’œuvre de J. Marouzeau, La phrase à verbe ‘être’ en latin (1910) et<br />

L’ordre des mots dans la phrase latine (1922-1949), reste-t-elle la plus ample qui ait été<br />

consacrée à l’ordre des mots en latin. Précieux dans le détail, ses travaux, appuyés sur<br />

l’étude d’un immense corpus allant de la période archaïque jusqu’à la période<br />

postclassique, apportent un grand nombre d’observations, de règles et d’exceptions plus<br />

qu’une description cohérente. Trois domaines ont intéressé J. Marouzeau en particulier :<br />

le syntagme nominal (1922), le verbe (1938) et l’articulation de la phrase (1949) 2 . Dans<br />

le volume consacré au verbe, tout en suivant l’approche traditionnelle, J. Marouzeau<br />

s’intéresse à sa position dans la phrase latine. Il opère une distinction entre la place<br />

initiale, intérieure et finale et essaie de déterminer les conditions responsables de tel ou<br />

tel placement. Cette approche va de pair avec la considération des phrases manifestant<br />

un ordre non marqué (avec le verbe final) et un ordre marqué (avec le verbe en position<br />

initiale ou médiane). Le troisième volume, Les articulations de l’énoncé, est consacré<br />

aux mots « secondaires » comme les adverbes, prépositions, conjonctions et connecteurs<br />

et à leur rôle dans la construction de la phrase. Dans les grandes lignes, J. Marouzeau<br />

partage l’idée que les places initiale et finale représentent des places privilégiées,<br />

réservées aux mots importants (1953 : 44 et 1949 : 138 sq.) 3 . Cependant, il admet que<br />

les mots importants peuvent occuper une place à l’intérieur de la phrase.<br />

1<br />

Cette observation est appuyée par des témoignages antiques, en particulier par Quintilien et ses<br />

remarques concernant le verbe clôturant la phrase (Inst. 9.4.26). Pour les études consacrées à la place du<br />

verbe, voir Panhuis (1984a : 140 sqq.).<br />

2<br />

Une synthèse de ces trois volumes est parue sous le titre de L’ordre des mots en latin. Volume<br />

complémentaire (1953).<br />

3<br />

Cf. également Ernout et Thomas (1953 : 161-163), et Berger (1942 : 324).<br />

1


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Introduction<br />

1.2. Approche typologique<br />

La typologie des langues, proposée par J. Greenberg (1963) et fondée sur<br />

certains critères Ŕ parmi eux l’ordre relatif de l’adjectif ou du génitif par rapport au nom<br />

régissant ainsi que l’ordre du sujet (S), de l’objet (O) et du verbe (V) Ŕ a retenu<br />

l’attention de beaucoup de chercheurs. En effet, le latin est censé être une langue<br />

présentant l’ordre SOV ou SVO 4 . Les avis sont assez partagés sur cette question :<br />

certains ont essayé de montrer que le latin présente l’ordre SOV comme l’ordre de base<br />

qui a subi un changement typologique en SVO, l’ordre connu des langues romanes ;<br />

d’autres considèrent au contraire que le latin archaïque manifeste déjà l’ordre SVO qui<br />

coexistait avec SOV (Adams, 1976a) 5 . Or, l’approche typologique souffre d’un certain<br />

nombre de difficultés que H. Pinkster a mises en évidence dans son article de 1991 (cf.<br />

1995 : 218). D’abord, si l’ordre des constituants en latin n’obéit pas aux règles<br />

syntaxiques mais pragmatiques, il n’est pas fructueux d’essayer de le traduire en termes<br />

syntaxiques, tels que sujet, objet et verbe. En revanche, on peut dire qu’un ordre<br />

syntaxique observé, par exemple OVS, est le résultat empiriquement observable d’un<br />

certain conditionnement pragmatique (voir Pinkster, 1992 : 522). Ensuite, examiner la<br />

place du sujet, de l’objet et du verbe signifie que seule la phrase transitive est prise en<br />

considération ; or, le latin ne dispose pas uniquement de phrases transitives, mais encore<br />

de phrases intransitives qui ne devraient pas être négligées. De surcroît, il y a de grandes<br />

variations d’un auteur à un autre et même au sein des œuvres d’un seul auteur (Pinkster,<br />

1992 : 521 sq. et 1991 : 72) 6 . Enfin, la phrase transitive (ou tout autre type de phrase)<br />

revêt des visées pragmatiques variées qu’on ne peut décrire à l’aide de formules comme<br />

SOV, SVO, OVS… En revanche, on devrait s’interroger sur la fonction pragmatique<br />

qu’assurent ces constituants et sur la place qu’ils occupent alors dans la phrase.<br />

Le concept de ‘l’ordre de base’ est étroitement attaché à la question de<br />

typologie : en effet, comment décider quel est l’ordre de base lorsqu’on assiste à une<br />

grande variation de dispositions pragmatiques ? Ni la prédominance statistique 7 , ni<br />

l’ordre des constituants dans une phrase où « tout est nouveau » 8 ne peuvent, selon<br />

nous, apporter une réponse claire.<br />

1.3. Approche générative<br />

L’approche générative (et transformationnelle) travaille avec le concept de<br />

‘l’ordre de base’ et considère comme tel l’ordre SOV en latin ; les autres configurations<br />

sont prises pour marquées, dérivées et explicables à l’aide de notions comme celles de<br />

topique 9 , focus, contraste et emphase. Parmi les nombreuses études partant de cette<br />

4<br />

Pour l’étude détaillée de la question, voir en particulier Panhuis (1984a) ; lui-même considère le latin<br />

comme une langue typologiquement ambivalente (p. 154).<br />

5<br />

Sans vouloir entrer dans les détails de cette discussion compliquée, les arguments présentés par D.<br />

Panhuis (1984a) à propos du phénomène du verbe final en latin, expliqué comme un archaïsme artificiel<br />

(p. 156), nous semblent être les plus convaincants.<br />

6<br />

Cf. également l’article de D. Panhuis (1981) consacré à la place non finale du verbe dans des passages<br />

descriptifs de César.<br />

7<br />

Cf. le chapitre X, La phrase déclarative, § 2, sur la phrase transitive et les différents types de<br />

participants.<br />

8<br />

Cf. le chapitre VI, Le focus, § 3. Sur la notion de l’ordre de base, cf. également <strong>Spevak</strong> (2006).<br />

9<br />

Le concept de topique, utilisé dans les travaux adoptant les approches générative et transformationnelle,<br />

désigne le terme placé à l’initiale. De même, J. Firbas (1992 : 125) parle de la « topicalisation » à propos<br />

du placement d’un terme à l’initiale, place qui lui serait autrement inhabituelle. Il ne faut pas le confondre<br />

avec le topique défini comme une fonction pragmatique dans l’approche de la grammaire fonctionnelle<br />

(S. C. Dik 1997).<br />

2


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Introduction<br />

perspective, il convient de mentionner en particulier celles de Ch. Polo (2004, en<br />

particulier p. 192 sqq.) et de G. Salvi (2004 : 41 sqq.) 10 .<br />

1.4. L’analyse de F. Charpin<br />

La question de l’ordre des constituants en latin a été abordée dans la thèse de F.<br />

Charpin (1977) concernant, en premier lieu, ‘l’idée de phrase grammaticale’ 11 . Il a le<br />

mérite d’avoir pris comme point de départ la théorie de la valence de L. Tesnière<br />

(1953). Or en se fondant sur un corpus de cent phrases par auteur, empruntées à Plaute,<br />

César, Cicéron et Augustin 12 , F. Charpin a formulé des règles dont la validité n’a pas été<br />

vérifiée sur un corpus plus large. Ce sont, en particulier, l’organisation de la phrase<br />

dépendant du volume de mots et de la répartition des accents toniques (p. 477), et la<br />

théorie des séquences pré-accentuelles (p. 311). Formulées comme telles, ces règles<br />

donnent l’impression que les locuteurs romains produisaient des phrases non pas pour<br />

communiquer des informations mais pour convenir à des règles formelles concernant le<br />

volume syllabique, l’accent et la longueur des mots. De même, il a proposé une théorie<br />

selon laquelle l’actant 2 dépend étroitement du verbe dont il ne peut être séparé par plus<br />

d’un syntagme fléchi (p. 415). Or nous ne voyons pas de raisons syntaxiques qui<br />

imposent une telle dépendance en latin ; en effet, il est tout à fait possible de placer<br />

l’objet direct en tête de phrase, comme l’illustrent ces deux exemples trouvés au<br />

hasard :<br />

(1) Legionem Caesar, quam equis deuexerat, passibus ducentis ab eo tumulo<br />

constituit. (Caes., Gall. 1.43.2)<br />

« César plaça à deux cents pas de ce tertre la légion qu’il avait amenée sur les<br />

chevaux. »<br />

(2) Id factum ex suis hospitibus Caesar cognouerat. (Caes., Gall. 5.6.3)<br />

« César avait connu ce fait par ses hôtes. »<br />

De plus, la phrase proposée par F. Charpin lui-même (1989 : 509) comme un<br />

exemple d’une phrase agrammaticale, citée ci-dessous, nous semble parfaitement<br />

grammaticale et acceptable avec une lecture contrastive de Galliam 13 :<br />

(3) Galliam octauo anno Caesar subegit.<br />

« César prit la Gaule la huitième année. »<br />

→ « C’est la Gaule que César prit la huitième année. »<br />

Sa tentative de définir la place de l’objet par rapport au verbe 14 reste à nos yeux<br />

une hypothèse sans fondement.<br />

1.5. Approches pragmatiques<br />

1.5.1. La perspective fonctionnelle de la phrase. L’analyse de D. Panhuis<br />

D. Panhuis (1982, cf. le compte rendu par Ch. Touratier, 1984) a le mérite<br />

d’avoir proposé une description systématique de l’ordre des constituants en latin, en<br />

10<br />

Cf. <strong>Spevak</strong> (2006). Pour les principes de base, voir Polo (2004 : 41 sq).<br />

11<br />

Voir le compte rendu de H. Pinkster (1982).<br />

12<br />

Par exemple, 100 phrases des Catilinaires de Cicéron correspondraient à Cat. 1-1.20.8,<br />

approximativement 2 127 mots.<br />

13<br />

Par exemple, le professeur pourrait ainsi corriger la réponse fautive donnée par un élève peu appliqué à<br />

la question « quel pays César prit-il la huitième année ? » : Galliam octauo anno Caesar subegit (non<br />

Italiam). « C’est la Gaule que César prit la huitième année (et non pas l’Italie). »<br />

14<br />

Cf. également chapitre X, La phrase déclarative, § 2 sur la transitivité.<br />

3


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Introduction<br />

adoptant comme modèle théorique la « Perspective fonctionnelle de la phrase » élaborée<br />

par les linguistes de l’École de Prague (V. Mathesius et J. Firbas) 15 . Cette approche<br />

concerne la configuration de la phrase comme découlant des buts communicatifs que<br />

vise le locuteur 16 . Elle s’appuie sur la distinction entre l’information connue, le<br />

THÈME 17 , et l’information nouvelle, le RHÈME 18 . Les éléments de la phrase sont<br />

organisés selon le principe du « dynamisme communicatif » qui va du constituant le<br />

moins informatif au constituant pourvu d’une plus grande force informative. D. Panhuis<br />

(1982 : 54 sq., cf. 1981 : 300) a postulé trois configurations pour le latin : thème ><br />

rhème > verbe comme étant l’ordre normal ; rhème > thème > verbe 19 et verbe (rhème)<br />

> thème comme étant les ordres ‘émotifs’. En d’autres termes, l’ordre dans la phrase<br />

latine est censé correspondre au dynamisme communicatif ; le verbe clôture la phrase,<br />

sauf s’il est rhématique et placé à l’initiale.<br />

Son analyse consiste, entre autres, en un examen des occurrences, assez<br />

nombreuses, du verbe do « donner » chez Plaute (p. 31 sqq.) et du verbe mitto<br />

« envoyer » chez César (p. 117 sqq.). Pour donner un exemple, dans le passage qu’on lit<br />

chez Plaute (4), Phaedromus se plaint que le léno le tourmente ; à la question pourquoi<br />

(Quid est ?), il répond :<br />

(4) Alias me poscit pro illa triginta minas, (alias talentum magnum.) (Plaut., Curc.<br />

62)<br />

« Il me demande pour elle tantôt trente mines, (tantôt un grand talent.) » (trad. P.<br />

Grimal)<br />

D. Panhuis (p. 44) interprète la distribution des constituants dans cette phrase comme<br />

correspondant au dynamisme communicatif croissant : dans la partie thématique, le<br />

sujet leno est sous-entendu et représente l’élément le moins informatif (thème propre) ;<br />

alias est un complément de temps, donc thématique, aussi bien que l’objet me qui<br />

renvoie au locuteur. Vient ensuite la partie rhématique : le verbe poscit et son<br />

complément pro illa qui est rhématique mais moins que l’objet triginta minas Ŕ c’est le<br />

constituant le plus informatif de la phrase. La phrase pourrait être schématisée ainsi :<br />

(leno) alias me poscit pro illa triginta minas<br />

thème propre > thème > thème // rhème > rhème > rhème propre<br />

Le souci de D. Panhuis d’analyser les occurrences dans leur contexte et<br />

d’essayer de déterminer la nouveauté de l’information mérite une appréciation<br />

particulière ; en effet, une telle approche se révèle particulièrement fructueuse. En<br />

revanche, elle implique d’autres questions, par exemple, comment les constituants<br />

15 Les travaux de V. Mathesius (1928) renouent avec ceux de H. Weil (1844). La référence à J. Firbas<br />

(1992) renvoie à la synthèse de ses publications précédentes.<br />

16 Cf. également les articles de J. Perrot (1978 a et b) qui plaide pour la nécessité de poser une structure<br />

informative, distincte de la construction syntaxique de la phrase. J. Perrot travaille avec les concepts de<br />

« support », d’ « apport » et de « report » informatif. De même, voir Ch. Touratier (1993).<br />

17 Le concept du thème selon Firbas (1992), défini comme l’élément pourvu d’une faible force<br />

informative et véhiculant un contenu déjà connu, recouvre partiellement la notion du topique et de la<br />

topicalité selon S. C. Dik (1997). En revanche, le thème en tant que concept de la grammaire<br />

fonctionnelle désigne tout autre chose (voir chapitre V, Le thème).<br />

18 Le rhème selon Firbas (1992) correspond à la notion de focalité selon S. C. Dik (1997) ; le rhème<br />

propre, l’élément doté de la plus grande force informative, recouvre le focus dans la grammaire<br />

fonctionnelle.<br />

19 Le verbe figure à la fin de la phrase, quel que soit son dynamisme communicatif.<br />

4


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Introduction<br />

thématiques, véhiculant une information connue, se disposent dans une même phrase<br />

(p. 55 sq.) ou comment décider qu’un constituant est moins informatif qu’un autre. De<br />

même, on peut s’interroger sur la manière de décider qu’un terme est plus rhématique<br />

qu’un autre 20 . La « Perspective fonctionnelle de la phrase », formulée par Firbas et<br />

élaborée à partir de la langue tchèque, met en œuvre, on l’a vu, le principe du<br />

dynamisme communicatif qui régit la disposition des constituants du moins informatif<br />

vers le plus informatif. En d’autres termes, dans les conditions normales (en l’absence<br />

du contraste), la place finale de la phrase accueille l’élément le plus important au point<br />

de vue communicatif 21 . Or ce principe s’applique-t-il toujours en latin ? Peut-on<br />

déterminer l’informativité d’un terme à partir de la place qu’il occupe dans la phrase ? Il<br />

n’est pas exclu que la possibilité de placer le verbe non rhématique en position finale de<br />

la phrase soit l’indicateur du fait que la place finale n’est pas exclusivement réservée à<br />

l’élément le plus informatif. De même, la place préverbale peut ne représenter que l’une<br />

des solutions où positionner les éléments rhématiques.<br />

L’exemple cité en (4) illustre l’ordre ‘normal’ avec la disposition thème ><br />

rhème ; l’ordre dit ‘émotif’ 22 manifeste l’organisation allant du rhème au thème, par<br />

exemple :<br />

(5) Dimittit ad finitimas ciuitates nuntios Caesar. (Caes., Gall. 6.34.8)<br />

« César envoie des messagers aux peuples voisins. »<br />

La position initiale du verbe est considérée comme marquée (Panhuis, 1982 : 147)<br />

car elle traduit une action soudaine, inattendue. Or l’analyse de cet exemple semble plus<br />

complexe : en effet, si l’on admet que le verbe représente le rhème, les autres éléments<br />

sont thématiques : ad finitimas ciuitates « aux peuples voisins » et Caesar, sauf un :<br />

nuntios qui est contextuellement indépendant et ne peut être pris pour thématique 23 . En<br />

revanche, la phrase latine semble manifester des dispositions plus complexes qu’on ne<br />

peut réduire aux formules thème > rhème et rhème > thème.<br />

1.5.2. Approche de la grammaire fonctionnelle<br />

1.5.2.1. Les principes généraux et les hiérarchies<br />

D’une manière plus générale, la grammaire fonctionnelle, partant des travaux de<br />

S. C. Dik, formule des principes sur lesquels repose l’ordre des constituants dans des<br />

langues variées. Bien que notre étude ne se concentre pas sur le degré de validité de ces<br />

principes en latin, il convient de les mentionner car ils influent sur la disposition des<br />

constituants dans la phrase. Il s’agit, parmi d’autres, du principe icônique, de la<br />

complexité croissante et de la proximité du terme régi par rapport au terme régissant (S.<br />

C. Dik, 1997 : 399 sqq.) 24 .<br />

Le principe icônique (cf. Siewierska, 1988 : 79) consiste à organiser, dans<br />

l’ordre linéaire, les éléments qui reflètent notre perception des faits extra-linguistiques.<br />

Par exemple :<br />

20<br />

Naturellement, l’absence de locuteurs natifs pour le latin rend l’analyse plus difficile.<br />

21<br />

Cf. chapitre premier, § 4.2.<br />

22<br />

Le terme d’ ‘émotif’ devrait être manié avec une extrême prudence. Selon nous, seuls les cas qui<br />

relèvent de la subjectivité du locuteur pourraient être qualifiés ainsi ; ce sont ceux de l’emphase ou du<br />

contraste en tête de phrase (cf. chapitre VI, Le focus, § 4).<br />

23<br />

Selon nous, la phrase répond à la question « que fait César ? », l’action (dimittit) forme une unité<br />

pragmatique avec nuntios ; Caesar en fin de phrase est une sorte de rappel du sujet car l’action pourrait<br />

être attribuée à Titus Labiénus, mentionné dans le passage. Cf. chapitre X, La phrase déclarative, § 5.1.<br />

24<br />

Comme S. C. Dik (1997, I : 392) le signale, les principes du placement ne sont pas des principes de<br />

‘mouvement’ ; il ne s’agit pas de mouvoir un constituant d’une position à une autre.<br />

5


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Introduction<br />

(6) Pompeius… Luceria proficiscitur Canusium atque inde Brundisium. (Caes., Ciu.<br />

1.24.1)<br />

« Pompée… va de Lucéria à Canusium, et de là à Brindes. »<br />

L’information sur l’itinéraire de Pompée en (6) est organisée selon le principe iconique<br />

qui consiste à mentionner d’abord le point de départ (Luceria) puis l’action elle-même<br />

(proficiscitur) et enfin, les points d’arrivée (Canusium) et (Brundisium), dans leur ordre<br />

de succession.<br />

La complexité croissante représente le principe qui est responsable du placement<br />

à droite des constituants syntaxiquement ‘lourds’ Ŕ à savoir amplement développés par<br />

des appositions, subordonnées… Ŕ, par exemple M. Scaurus en (7). En effet, le verbe<br />

fuit pourrait très bien clôturer la phrase, mais sa position entre in quis et M. Scaurus<br />

s’explique par le principe de la complexité croissante :<br />

(7) In quis fuit M. Scaurus, de quo supra memorauimus, consularis et tum senatus<br />

princeps. (Sall., Iug. 25.4)<br />

« Parmi eux, il y avait M. Scaurus, dont nous avons parlé plus haut, consulaire<br />

et, à ce moment-là, prince du Sénat. »<br />

Le principe de la proximité du terme régi par rapport au terme régissant consiste<br />

à maintenir ensemble les termes qui appartiennent à un même ensemble, par exemple :<br />

(8) His rebus impulsus / equitatum omnem / prima nocte / ad castra hostium / mittit<br />

/ ad flumen Bagradam, / quibus praeerat Saburra… (Caes., Ciu. 2.38.3)<br />

« Sous l’impulsion de ces événements, il envoie dès le début de la nuit toute la<br />

cavalerie sur le camp ennemi au bord du Bagrada, camp à la tête duquel était<br />

Saburra. »<br />

En latin, ce principe est loin de s’appliquer d’une manière systématique : dans de<br />

nombreux cas, des disjonctions se produisent au niveau du syntagme nominal aussi bien<br />

qu’à celui du verbe (par exemple, participe et auxiliaire).<br />

Outre ces principes généraux, l’ordre des constituants est influencé par des<br />

priorités hiérarchiques (S. C. Dik, 1997, I : 34). C’est d’abord la hiérarchie topique (ce<br />

dont on parle) > focus (information saillante) 25 en vertu de laquelle l’élément nouveau<br />

tend à occuper une position à droite de la phrase. Cette hiérarchie ne coïncide pas<br />

nécessairement avec l’articulation sujet > objet, car la réalisation syntaxique peut<br />

différer de l’organisation syntaxique de la phrase (voir Siewierska, 1988 : 65). On a, par<br />

exemple, en latin (9a) aussi bien qu’en néerlandais (9b), mais non en français (9c) :<br />

(9a) Hunc secutus Marcius Rufus quaestor nauibus XII. (Caes., Ciu. 2.23.5)<br />

(9b) Hem volgde de quaestor Marcius Rufus met 12 schepen.<br />

(9c) Le questeur Marcius Rufus l’avait poursuivi avec douze vaisseaux.<br />

Ensuite, la hiérarchie animé > inanimé selon laquelle l’entité animée humaine,<br />

en compétition avec une entité non humaine ou inanimée, a plus de chances d’être élue<br />

25 Elle est, en effet, très proche de l’articulation thème > rhème, postulée par J. Firbas (voir le paragraphe<br />

précédent). Les termes de topique et de focus font l’objet d’une description détaillée dans le chapitre<br />

premier, Une approche de l’ordre des constituants en latin, § 2.<br />

6


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Introduction<br />

comme sujet de la phrase. On attend, par exemple, une phrase comme « l’homme a vu<br />

le chien » ou « l’homme a été vu par le chien » beaucoup plus que « le chien a vu<br />

l’homme ». De même, « la pluie (force inanimée) a détruit la récolte (inanimé) » 26 .<br />

Cette hiérarchie peut être schématisée ainsi :<br />

humain > animé (autre) > force inanimée > inanimé<br />

Parmi les autres hiérarchies, il convient de mentionner la hiérarchie défini ><br />

indéfini (voir Siewierska, 1988 : 76), qui fait que les entités définies sont prioritaires et<br />

manifestent une tendance à apparaître à gauche de la phrase, alors que les entités<br />

indéfinies se positionnent à droite de la phrase.<br />

Sans vouloir prétendre que les principes généraux et les hiérarchies, brièvement<br />

présentés ci-dessus, suffisent à expliquer l’ordre des constituants en latin, on ne devrait<br />

pas perdre de vue que ces concepts contribuent à la construction du message et à sa<br />

réalisation syntaxique.<br />

1.5.2.2. Les analyses de l’ordre des constituants en latin<br />

La linguistique latine a bénéficié de plusieurs travaux consacrés à l’ordre des<br />

constituants selon la grammaire fonctionnelle : il s’agit en particulier des études de<br />

H. Pinkster, de M. Bolkestein et de J. de Jong, concernant des questions variées,<br />

auxquelles on se référera suo loco.<br />

Dans sa grammaire, H. Pinkster (1995 : 211 sqq.) a formulé des principes<br />

directeurs de l’ordre des constituants en latin. D’abord, il mentionne le fait que l’ordre<br />

des constituants est influencé par un ensemble de facteurs, souvent combinés. Ensuite, il<br />

retient la première position de la phrase Ŕ réservée, dans de nombreuses langues, à des<br />

constituants spécifiques (S. C. Dik 1997, I : 420) Ŕ comme une position privilégiée,<br />

susceptible d’accueillir le topique ou un constituant contrastif (1995 : 228). Le cas<br />

échéant, un connecteur dont la place initiale est obligatoire peut les précéder. Bien que<br />

la place occupée par le focus soit plus difficile à déterminer, les constituants porteurs de<br />

cette fonction pragmatique ont tendance à se positionner à droite de la phrase. Enfin, il a<br />

formulé un certain nombre de questions qui méritent d’être étudiées en détail, comme la<br />

place du focus ou la disposition des constituants dans les phrases présentant une<br />

information entièrement nouvelle.<br />

2. Objectif et méthode<br />

La présente étude est une première tentative d’expliquer, d’une manière<br />

systématique, certains aspects de l’ordre des constituants en latin en utilisant les<br />

concepts de la grammaire fonctionnelle 27 . L’objectif principal est de saisir la structure<br />

informative de différents types de phrases et de trouver les critères permettant<br />

d’identifier les constituants porteurs de fonctions pragmatiques. L’étude se concentre<br />

sur le positionnement des constituants obligatoires de la phrase, c’est-à-dire sur le verbe<br />

et ses compléments indispensables (sujet, objet direct, objet indirect, complément<br />

directionnel et complément de lieu, selon les cas). En revanche, elle n’examine pas la<br />

place occupée par les compléments facultatifs tels que les compléments de temps, de<br />

manière, d’agent… De même, cette étude n’inclut pas l’ordre des constituants dans les<br />

26 Cf. chapitre X, La phrase déclarative, § 2.<br />

27 Une étude similaire a été menée pour le grec ancien par H. Dik (1995).<br />

7


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Introduction<br />

propositions subordonnées et elle ne traite pas non plus le syntagme nominal ; en effet,<br />

ces deux domaines nécessiteraient un corpus structuré différemment 28 .<br />

L’analyse proposée est fondée sur l’examen d’un corpus de la prose latine<br />

classique, comprenant la prose historique : une œuvre de Salluste (Guerre de Jugurtha)<br />

et de César (Guerre civile, 1 Ŕ 3.30), des discours de Cicéron (De sa maison et<br />

Philippiques 1 et 4), une partie de sa correspondance (Lettres à Atticus, 13.50 Ŕ 16), et<br />

un extrait de son traité philosophique (Tusculanes, 1 et 3). Les tranches de textes ont été<br />

choisies de sorte que chaque groupe représente une étendue égale (en l’occurrence,<br />

21 000 mots environ). Ces textes ont permis de constituer un corpus assez large de<br />

propositions syntaxiquement non dépendantes, 5 719 au total 29 , qui ont fourni un<br />

matériau suffisant et représentatif pour observer le positionnement des constituants<br />

obligatoires et pour fournir des statistiques. Cependant, si la matière traitée le nécessite,<br />

nous avons recours à la base de données disponible sur le CD-ROM Bibliotheca<br />

Teubneriana Latina (BTL) ou à la Base de données des lemmes latins du LASLA afin<br />

de vérifier les observations sur un corpus plus large 30 .<br />

Le présent travail est organisé comme suit : des remarques introductives<br />

concernant la terminologie adoptée, les problèmes liés à l’étude de l’ordre des<br />

constituants en latin ainsi que les principes d’analyse des phrases font l’objet du<br />

chapitre premier. Le chapitre II est consacré à la fonction pragmatique de topique,<br />

étudiée tout particulièrement dans la prose historique ; l’anaphore pronominale (chapitre<br />

III) et les ellipses (chapitre IV) en sont complémentaires. La fonction pragmatique de<br />

thème est étudiée dans le chapitre V, celle de focus dans le chapitre VI. Après l’examen<br />

des mots enclitiques (chapitre VII), trois types de phrases sont étudiés : la phrase<br />

interrogative (chapitre VIII), la phrase impérative (chapitre IX) et la phrase déclarative<br />

(chapitre X). L’étude est clôturée par la conclusion.<br />

28 Par exemple, afin d’étudier les subordonnées, on devrait constituer un corpus de 100 subordonnées par<br />

types (relatives, interrogatives indirectes, infinitives…). De même, un corpus pour le syntagme nominal<br />

devrait cibler les types spécifiques selon la complexité, la nature des adjectifs, la disjonction…<br />

29 Voir le tableau en annexe. Les nombres de phrases relevés sont les suivants : Salluste 950 phrases,<br />

César 962, et Cicéron : Discours 858, correspondance 1848 et Tusculanes 1101.<br />

30 Tous les tableaux portent l’indication de la source où les données ont été puisées : « corpus » renvoie à<br />

nos relevés, « BTL » au CD-ROM Bibliotheca Teubneriana Latina et « LASLA » à la base de données de<br />

lemmes latins.<br />

8


Chapitre premier<br />

UNE APPROCHE DE L’ORDRE <strong>DES</strong> <strong>CONSTITUANTS</strong> <strong>EN</strong> <strong>LATIN</strong><br />

1. Introduction<br />

L’ordre des constituants en latin est dit « libre ». Cette caractéristique, remontant<br />

par ailleurs à H. Weil (1844 : 44) 1 , ne semble toutefois pas appropriée pour saisir la<br />

nature du phénomène. En effet, à la différence du français par exemple, l’ordre des<br />

constituants en latin ne se conforme pas à des règles syntaxiques et la place d’un<br />

constituant peut varier sans que sa fonction syntaxique change 2 (cf. Pinkster, 1991). En<br />

revanche, l’ordre des constituants obéit à des règles pragmatiques en ce sens que la<br />

position d’un terme contribue à constituer l’information que le locuteur veut<br />

communiquer 3 .<br />

L’approche pragmatique de la grammaire fonctionnelle, que nous adopterons,<br />

n’a pas encore été appliquée au latin de manière systématique ; en revanche, la<br />

perspective fonctionnelle de la phrase selon J. Firbas a été adoptée pour la description<br />

du latin par D. Panhuis (1982). Bien que ces deux approches diffèrent dans leurs<br />

concepts, elles ont également de points en commun. Tel est le cas de l’importance du<br />

statut informatif des termes de la phrase pour une analyse pragmatique. En effet, D.<br />

Panhuis (1982) et H. Dik (1995) Ŕ en étudiant l’ordre des constituants en grec ancien<br />

avec l’approche de la grammaire fonctionnelle Ŕ jugent indispensable d’examiner si un<br />

terme est donné par le contexte ou non. Dans notre analyse, nous nous efforcerons donc<br />

d’intégrer des observations faites par D. Panhuis, de les approfondir ou de les critiquer<br />

afin d’aboutir à la formulation de Ŕ au moins quelques Ŕ principes qui gouvernent<br />

l’ordre des constituants en latin.<br />

Dans ce chapitre, nous nous concentrerons sur les fonctions pragmatiques<br />

principales retenues par la grammaire fonctionnelle : le topique (§ 2.1) et le focus<br />

(§ 2.2). Après avoir signalé quelques problèmes que pose l’analyse du latin (§ 3), nous<br />

nous interrogerons sur la position du topique en latin (§ 4.1) et sur celle du focus<br />

(§ 4.2). La section 5 sera consacrée à la dépendance situationnelle et la dépendance<br />

contextuelle ; la section 6 présentera brièvement le phénomène de la topicalisation. Les<br />

tests mettant en œuvre des questions afin de déterminer la valeur pragmatique d’une<br />

phrase feront l’objet de la section 7. Les principes essentiels sur lesquels reposent les<br />

analyses du matériau faisant l’objet de la présente étude seront présentés dans la<br />

dernière section (§ 8).<br />

1 H. Weil est le premier à avoir établi la distinction entre les langues à construction libre et les langues à<br />

construction fixe, distinction fondée sur des observations concernant, d’une part, le grec et le latin, d’autre<br />

part, le français et l’allemand.<br />

2 Pour ne donner qu’un exemple, en français, la place préverbale est celle du sujet, la place postverbale<br />

celle de l’objet. Ainsi, les phrases Pierre bat Paul et Paul bat Pierre n’ont pas la même signification.<br />

3 C’est dans ce sens-là qu’on rencontre le terme « l’ordre des mots libre » dans les travaux de l’école de<br />

Prague. En effet, ‘libre’ ne signifie pas qu’un terme peut être placé n’importe où dans la phrase mais que<br />

la place d’un terme a une incidence sur le sens de la phrase. Cf. les exemples (16a) et (16b) cités cidessous.<br />

9


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

2. Les fonctions pragmatiques dans la description de la grammaire fonctionnelle<br />

Afin de décrire l’ordre des constituants dans une phrase, la grammaire<br />

fonctionnelle a recours à une distinction entre le topique et le focus : l’entité dont on<br />

parle est appelée le topique, l’élément saillant de la phrase est le focus (S. C. Dik, 1997,<br />

I : 68 sq. et 312 sq.). Ces fonctions pragmatiques, en effet, influencent sur le côté formel<br />

de la phrase : des positions spéciales leur sont réservées et elles peuvent être signalées<br />

par des moyens spécifiques.<br />

2.1. Le topique<br />

La fonction pragmatique de topique, « ce dont on parle », peut être attribuée à<br />

des entités (personnages, objets, lieux…) 4 . Un discours peut contenir plusieurs<br />

topiques : un topique peut être plus central que les autres, l’importance des topiques<br />

peut changer et de nouveaux topiques peuvent être introduits. Selon leur statut dans le<br />

discours, la grammaire fonctionnelle distingue plusieurs types de topiques : topique du<br />

discours, nouveau (ou : futur) topique, topique donné, topique repris et le sub-topique 5 .<br />

Le topique du discours (Discourse Topic) (S. C. Dik, 1997, I : 313-326) est<br />

l’entité dont un discours (récit, paragraphe, chapitre…) communique une ou des<br />

information(s). Afin de fonctionner comme le topique du discours, un topique doit être<br />

introduit et présenté. Ce procédé, nécessaire pour assurer un développement cohérent du<br />

discours, peut être appelé « l’introduction d’un nouveau topique » (S. C. Dik, 1997, I :<br />

315) 6 . Nous suivrons la suggestion de M. Bolkestein (2000) et utiliserons le terme de<br />

« futur topique ». Une fois introduite, la nouvelle entité est considérée comme un<br />

topique donné et peut être maintenue dans le texte pendant une période plus ou moins<br />

longue 7 . Toutefois, il est nécessaire de le maintenir ‘présent’ à l’aide de chaînes<br />

topicales ou anaphoriques. Par exemple :<br />

(1) Hier, j’ai reçu un appel d’un contrôleur des impôts. Il/cet homme/le plaisantin<br />

m’a dit de venir dans son bureau, et il/Ø m’a donné l’impression que j’avais des<br />

problèmes.<br />

Contrôleur des impôts est une nouvelle entité dans le discours (futur topique).<br />

Introduit, il est maintenu en tant que topique donné à l’aide d’un pronom personnel (il),<br />

d’un nom qui spécifie la classe à laquelle il appartient (cet homme), d’un nom qualifiant<br />

(le plaisantin) ou de l’anaphore zéro (a donné). Ces moyens de reprise diffèrent quant à<br />

leur force : un nom est plus fort qu’un pronom anaphorique, lui-même plus fort qu’un<br />

pronom personnel fort et qu’un pronom personnel faible, l’anaphore zéro étant le moyen<br />

le plus faible. (cf. Givón, 1983 : 17). Si un autre topique intervient et que le locuteur,<br />

après un certain temps revient à un topique qui a déjà été donné, contrôleur des impôts,<br />

lors d’une telle reprise, sera considéré comme un topique repris.<br />

Il est possible de déduire un topique à partir d’un autre terme, par exemple :<br />

(2) Hier, je suis allé au cinéma. Le film ne m’a pas plu du tout.<br />

4 Cependant, certains admettent que les verbes peuvent être pris pour topiques Ŕ voir cf. H. Dik (1995 :<br />

207) et M. Bolkestein (1998a : 197). Or il semble qu’il s’agisse plutôt de la topicalité, cf. ci-dessous, §<br />

4.1.<br />

5 Au cours de cette étude, nous n’aurons pas recours à toutes ces catégories de topiques ; voir plus loin, §<br />

4.1.<br />

6 Malgré son nom, le futur topique est de caractère focal, voir ci-dessous, § 4.1 et chapitre II, Le topique,<br />

§ 2.<br />

7 Certains topiques peuvent disparaître rapidement, d’autres sont maintenus dans tout le texte.<br />

10


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

À partir d’un fait extralinguistique relevant du savoir partagé Ŕ qu’au cinéma, on<br />

joue de films Ŕ on déduira aisément le film du constituant au cinéma. Le film n’est donc<br />

pas une information nouvelle mais il découle du contexte.<br />

2.2. Le focus<br />

Le focus est l’élément le plus saillant, le plus informatif de la phrase (S. C. Dik,<br />

1997, I : 326 sqq.). La fonction pragmatique de focus peut être attribuée à des entités ou<br />

à des procès. Le focus, en tant qu’élément le plus important, ajoute une information<br />

nouvelle ou remplace l’information dont on dispose déjà par une autre. L’élément<br />

saillant peut ne pas apporter une information entièrement nouvelle mais contraster avec<br />

un autre élément, implicite ou explicite. Par exemple, Mercedes en (3) est l’information<br />

nouvelle, en (4) il représente l’information surprenante par rapport à une autre,<br />

implicite, que l’on attendrait :<br />

(3) J’ai acheté une Mercedes.<br />

(4) J’ai acheté une Mercedes. Ŕ Tu as acheté une Mercedes ?<br />

La saillance d’un élément peut être liée non seulement à la nouveauté, comme le<br />

montre l’exemple (3), mais encore au contraste explicite avec un autre élément, par<br />

exemple deux jugements concernant Pierre et Paul ; dans l’exemple suivant, joyeux et<br />

fatigué représentent des focus contrastifs :<br />

(5) Pierre et Paul sont venus me voir. Pierre était joyeux, mais Paul était fatigué.<br />

Outre les focus rattachés à la nouveauté et les focus contrastifs, découlant d’une<br />

confrontation de deux éléments, d’autres types de focus peuvent être distingués ; ils<br />

seront traités plus loin, dans le chapitre VI, Le focus (§ 5).<br />

Certaines langues ont recours à des moyens variés pour signaler les éléments<br />

saillants, en particulier l’emphase (proéminence prosodique), la ou les position(s)<br />

spéciale(s) réservée(s) à ce type d’éléments, les particules focalisantes et les<br />

constructions syntaxiques spéciales.<br />

3. Problèmes d’analyse du latin<br />

Les études générales sur l’ordre des constituants examinent le plus souvent<br />

l’ordre dans des langues modernes et essaient de dégager des principes théoriques sur<br />

lesquels reposent telles ou telles configurations. Pour un latiniste, la perspective est<br />

différente : il essaie de déterminer la valeur pragmatique des constituants disposés dans<br />

une phrase donnée et tente d’expliquer pourquoi une (certaine) configuration se<br />

rencontre et non pas une autre. De même, il observe des régularités dans l’organisation<br />

de la phrase, en s’appuyant sur des observations théoriques faites à propos des langues<br />

vivantes.<br />

Le latin étant une langue morte connue seulement par la tradition littéraire, nous<br />

ignorons son intonation et sa prosodie dont la connaissance nous aurait aidés à mieux<br />

saisir les principes de l’organisation des constituants. Or, il convient de dissocier les<br />

textes conçus pour la représentation orale Ŕ comme les discours ou les comédies Ŕ qui<br />

exploitent la prosodie 8 , des textes purement littéraires. En effet, suivant le point de vue<br />

de Firbas (1992 : 218), la langue littéraire ne met pas en œuvre les moyens prosodiques.<br />

8 Cette question ne sera pas abordée dans le présent travail. Au demeurant, cf. les travaux d’E. Fraenkel<br />

(1932 et 1933, parmi d’autres), sur la segmentation des phrases en cola.<br />

11


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

Il ne faut pas perdre de vue que la langue est un code, non seulement produit mais aussi<br />

reçu. En décodant un texte et ses unités, le destinataire s’appuie sur les signaux que la<br />

phrase lui offre. Selon Firbas (ibid.), ce sont en particulier :<br />

1° les réalisations syntaxiques et les relations qu’un constituant entretient avec<br />

les autres ; elles véhiculent un contenu sémantique ;<br />

2° la position du constituant dans la phrase ;<br />

3° son rapport avec le contexte pertinent.<br />

Ce n’est que la langue parlée qui utilise, en plus, les moyens prosodiques. En laissant de<br />

côté le premier facteur, nous nous concentrerons sur les deux derniers afin de nous<br />

interroger sur la position des constituants (§ 4) et leur rapport avec le contexte (§ 5).<br />

4. La position des constituants dans la phrase<br />

4.1. Le topique en latin<br />

H. Pinkster (1995 : 222) a mis en évidence que le topique, l’entité dont on parle,<br />

se positionne à l’initiale de la phrase. La place initiale peut être absolue ou non, auquel<br />

cas le topique est précédé par un constituant prioritaire, par exemple un connecteur. Par<br />

exemple, la phrase (6) véhicule une information sur Marius et Marius est le topique :<br />

(6) Marius postquam confecto quo intenderat negotio Cirtam redit et de aduentu<br />

legatorum certior factus est. (Sall., Iug. 104.1)<br />

« Après avoir achevé son expédition, Marius revient à Cirta et est informé de<br />

l’arrivée des ambassadeurs. »<br />

La fonction de topique peut être attribuée non seulement à des entités animées<br />

mais également inanimées (objets, lieux…), par exemple en (7) le locuteur nous informe<br />

sur la ville (id oppidum) :<br />

(7) Marius ad Zamam peruenit. Id oppidum, in campo situm, magis opere quam<br />

natura munitum erat… (Sall., Iug. 57.1)<br />

« Marius arrive devant Zama. Cette place, située en plaine, était plus fortifiée par<br />

l’art que par la nature… »<br />

Le sub-topique, déduit à partir d’un élément donné au préalable, occupe<br />

également la première position de la phrase. On a par exemple le camp de Rutilius (ad<br />

Rutili castra) qui implique Romani « les Romains » :<br />

(8) (Bomilcar) aciem… latius porrigit eoque modo ad Rutili castra procedit.<br />

Romani ex improuiso pulueris uim magnam animaduertunt. (Sall., Iug. 52.6 Ŕ<br />

53.1)<br />

« Bomilcar étend plus largement sa ligne de bataille… et marche ainsi contre le<br />

camp de Rutilius. Soudainement, les Romains aperçoivent un gros nuage de<br />

poussière. »<br />

Il importe de signaler que le soi-disant futur topique a un caractère entièrement<br />

différent ; malgré son nom, il s’agit de l’élément saillant Ŕ le focus Ŕ de la phrase (voir<br />

Hannay, 1991 : 138). Il sera étudié en détail dans le chapitre II, Le topique, § 2.<br />

En outre, certaines phrases sont dépourvues de topique (cf. Hannay, 1985b : 50,<br />

et Bolkestein, 1998a : 203) ; il s’agit en particulier de phrases présentatives :<br />

12


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

(9) Est autem C. Herennius quidam, tribunus pl., quem tu fortasse ne nosti quidem.<br />

(Cic., Att. 1.18.4)<br />

« Il y a aussi un certain C. Hérennius, tribun de la plèbe, que tu ne connais peutêtre<br />

même pas. »<br />

Le topique Ŕ et ses différents sous-types Ŕ, défini comme une fonction<br />

pragmatique, n’est toutefois pas sans difficultés dans la description de la grammaire<br />

fonctionnelle (voir Bolkestein, 1998a : 195). Pour les besoins de l’analyse, nous<br />

adopterons l’approche de M. Hannay (1991 : 141 ; cf. 1985b : 61). La définition de la<br />

fonction pragmatique de topique qu’il a proposée peut être résumée de la manière<br />

suivante : la fonction de topique consiste à sélectionner un élément, accessible à<br />

l’interlocuteur, qui servira de fondement pour la construction du message. L’élément<br />

choisi comme topique bénéficie (généralement) d’un traitement spécifique, en<br />

particulier, d’un placement à la première position dans la phrase. Cette définition nous<br />

amène à considérer le topique de la phrase.<br />

En effet, il est tout à fait possible de rencontrer, dans une même phrase, deux<br />

éléments qui pourraient être qualifiés de « topiques ». À la suite de H. Dik (1995 : 20 et<br />

23), nous distinguerons entre le topique de la phrase et le topique du discours. Le<br />

premier occupe la place initiale, le second se positionne généralement après lui ou,<br />

éventuellement, à une autre place 9 , par exemple :<br />

(10) Cuius legationis princeps fuit L. Opimius, homo clarus et tum in senatu potens…<br />

Eum Iugurtha tametsi Romae in amicis habuerat, tamen accuratissime recepit.<br />

(Sall., Iug. 16.2)<br />

« Le chef de cette délégation était L. Opimius, personnage célèbre et influent<br />

alors au Sénat… Bien qu’à Rome Jugurtha le comptât parmi ses amis, il le reçut<br />

pourtant très formellement. »<br />

Eum reprenant Lucius Opimius, représente le topique de la phrase : la phrase donne une<br />

information sur lui. Iugurtha, un personnage bien établi dans le discours, représente le<br />

topique du discours. Ces topiques possèdent un statut discursif hiérarchiquement<br />

différent Ŕ le topique du discours appartient à un niveau supérieur (voir H. Dik, 1995 :<br />

20 sqq.).<br />

Les phrases peuvent contenir Ŕ et contiennent assez souvent Ŕ d’autres éléments<br />

qui se rapportent à des entités déjà mentionnées dans le récit précédent, par exemple :<br />

(11) Reducitur ad eum… N. Magius Cremona… Quem Caesar ad eum remittit…<br />

(Caes., Ciu. 1.24.4-5)<br />

« On lui (à Pompée) amène… N. Magius, de Crémone… César le lui<br />

renvoie… »<br />

L’anaphorique eum renvoie, à deux reprises, à Pompée, bien établi dans le discours. Il<br />

assure la coréférence avec lui sans assumer une fonction pragmatique particulière. Dans<br />

ces cas, nous ne parlerons pas de topique mais d’un élément contextuellement lié (cf. cidessous,<br />

§ 5). En revanche, il importe de distinguer les cas où un changement de<br />

topique se produit Ŕ par exemple en (11), on passe de Pompée, topique du paragraphe<br />

précédent, à Caesar. On dira que Caesar est un topique du discours placé après le<br />

9 Ce point sera plus amplement développé dans le chapitre II, Le topique, § 5.4.3.<br />

13


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

topique de la phrase quem. Les changements de topique se caractérisent par un<br />

contraste.<br />

Le rôle de topique de la phrase peut être assumé également par des noms, des<br />

pronoms ou des syntagmes qui expriment un cadre spatial, par exemple :<br />

(12) (mons) Sed ex eo medio quasi collis oriebatur, in immensum pertingens… Igitur<br />

in eo colle… Iugurtha… consedit. (Sall., Iug. 48.3 Ŕ 49.1)<br />

« (chaîne de montagnes) Mais au milieu se dresse une sorte de colline, dont la<br />

pente se prolonge au loin… Donc, sur cette colline… Jugurtha s’établit. »<br />

Une partie de la chaîne de montagnes, le milieu (ex eo medio) est pris pour le topique<br />

servant de cadre pour situer collis (« une colline ») ; de même, la phrase subséquente<br />

nous informe sur ce qui s’est passé sur cette colline (in eo colle).<br />

Le cadre peut être indiqué par d’autres expressions circonstancielles qui sont<br />

ancrées au contexte, comme eo triduo « dans les trois premiers jours » (13), ou<br />

indépendantes (14) comme VI Id. « le 8 », indiquant la date. Leur fonction de créer le<br />

cadre (spatial, temporel ou circonstanciel) a été signalée par M. Bolkestein (1998a :<br />

199). Or les circonstants ne font pas partie de la présente étude ; leur positionnement<br />

dans la phrase et leurs fonctions nécessite une investigation approfondie.<br />

(13) Eo triduo legio VIII ad eum uenit… (Caes., Ciu. 1.18.5)<br />

« Dans les trois premiers jours, arrive vers lui la VIII e légion... »<br />

(14) VI Id. ueni ad me in Sinuessanum. (Cic., Att. 16.10.1)<br />

« Le 8, je suis arrivé chez moi à Sinuessa. »<br />

De la description fonctionnelle de topique (§ 2.1), nous retiendrons donc le<br />

concept du topique du discours, du sub-topique et du futur topique. Nous travaillerons<br />

également avec la notion de topique de la phrase (qui peut coïncider avec le topique du<br />

discours et avec le sub-topique), en particulier, parce qu’il est étroitement lié au concept<br />

de la dépendance contextuelle, empruntée à Firbas (voir § 5) 10 . En outre, M. Hannay<br />

(1985b) propose également de travailler avec la notion de dépendance contextuelle, en<br />

se référant à l’article de František Daneš (1974) 11 .<br />

4.2. Le focus en latin. Une confrontation entre le latin et le tchèque<br />

Si l’on s’accorde sur le fait que l’entité dont on parle figure à l’initiale de la<br />

phrase (Pinkster, 1991 : 74, 1995 : 222, et Panhuis 1982 : 57 et passim sur le thème<br />

propre), la place occupée par l’élément le plus informatif est plus difficile à déterminer.<br />

En effet, D. Panhuis (1982) a essayé de démontrer que l’ordre (normal) de la phrase<br />

latine observe le principe du dynamisme communicatif (selon Firbas) en ce sens que le<br />

terme porteur de l’information essentielle figure à la fin ou, dans la prose classique Ŕ en<br />

10 La dépendance contextuelle pourrait être rattachée à la dimension de topicalité, décrite par la<br />

grammaire fonctionnelle (voir, parmi d’autres, Bolkestein 1998a : 196). Le besoin était de clarifier la<br />

terminologie pour ne pas étiqueter plusieurs éléments comme « topique ».<br />

11 M. Hannay (1985b : 61, en particulier) considère comme liés les constituants qui sont inférables, au<br />

sens d’être associés à un terme explicitement mentionné, et les constituants évoqués dans le contexte<br />

précédent.<br />

14


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

particulier chez César Ŕ devant le verbe 12 . Dans cette section, nous proposons une<br />

confrontation entre le latin et le tchèque, dont l’ordre des constituants est dit libre. Elle<br />

pourrait mettre en lumière les différences de la disposition des constituants dans les<br />

deux langues.<br />

Afin de montrer quelles implications peut avoir la position d’un constituant dans<br />

une langue à l’ordre de mots dit libre, il convient de comparer deux exemples, l’un<br />

emprunté au français, langue à l’ordre fixe, et l’autre emprunté au tchèque. Le tchèque,<br />

abondamment étudiée par Firbas (1992) entre autres, obéit à l’organisation linéaire de<br />

termes, allant de l’élément le moins informatif vers l’élément le plus informatif 13 , en ce<br />

sens que l’information essentielle (le « rhème propre » dans la terminologie de Firbas)<br />

se positionne à la fin de la phrase. Les exemples suivants sont à considérer comme<br />

relevant d’une langue écrite (sans influence des moyens prosodiques) :<br />

(15a) Hier, un accident s’est produit.<br />

(15b) Hier, il s’est produit un accident.<br />

(16a) Včera se stalo neštěstí.<br />

hier REFL 3.SGPASSÉ NOM.SG<br />

arriva accident<br />

(16b) Neštěstí se stalo včera.<br />

NOM.SG REFL 3.SGPASSÉ hier<br />

accident arriver<br />

Les deux phrases en français (15a et 15b) reçoivent la même interprétation, sauf<br />

que la seconde phrase (15b) est privilégiée : le sujet apparent (il) accompagné d’une<br />

position ultérieure du syntagme indéfini (un accident) est préféré dans le cas d’un verbe<br />

de type « apparaître », « se passer » (voir Vet, 1981 : 151). En tchèque, au contraire, la<br />

position des éléments dans la phrase contribue à constituer l’information qui est<br />

communiquée. Formellement identiques, les phrases (16a) et (16b) ne véhiculent pas la<br />

même information. En (16a), il s’agit de dire ce qui s’est passé hier, neštěstí<br />

(« accident ») étant l’élément le plus informatif, et l’adverbe včera (« hier ») sert de<br />

cadre temporel au procès se passer. Or en (16b), on informe quelqu’un quand l’accident<br />

s’est produit Ŕ c’était hier, l’adverbe včera spécifie le moment dans le temps. On notera<br />

que neštěstí (« accident ») n’a pas le même rapport avec le contexte : en (16a), placé à la<br />

fin, il sera naturellement lu et compris comme l’élément nouveau dont on n’a pas encore<br />

parlé. En revanche, la place en tête de la phrase (16b) signale que cet élément est<br />

connu ; dans le cas contraire, il y aurait une spécification indéfinie, nějaké neštěstí, « un<br />

(certain) accident », pour éviter la lecture définie qui serait naturelle 14 .<br />

On comparera à présent ces exemples avec un passage de César (Caes., Ciu.<br />

1.48.1) 15 accompagné de ses traductions en français et en tchèque :<br />

(17a) Accidit etiam repentinum incommodum biduo, quo haec gesta sunt.<br />

12<br />

Cf. les réserves de H. Pinkster (1995 : 211). En revanche, Ch. Touratier (1984 : 105) s’est interrogé sur<br />

la suffisance des notions « thème » et « rhème » dans la description de la structure informative de la<br />

phrase.<br />

13<br />

Ce principe est appelé le dynamisme communicatif ; l’élément connu dans la phrase est, dans la<br />

terminologie de Firbas, le thème, l’information nouvelle, essentielle, est appelée le rhème.<br />

14<br />

Si notre exemple figurait dans un contexte, il y aurait une mention préalable du phénomène en<br />

question.<br />

15<br />

Cf. Caes., Ciu. 3.79.3 qui fournit un autre exemple du même type.<br />

15


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

(17b) Deux jours après ces événements, il arriva encore un accident soudain.<br />

(17c) Dva dni po těchto událostech došlo ještě k neočekávanému neštěstí 16 .<br />

deux jours après ces événements 3SG.PASSE encore PREP ADJ DAT.SG<br />

IMPERS arriver à soudain accident<br />

Dans la phrase tchèque (17c), la place finale de neočekávanému neštěstí<br />

(« accident soudain ») est le signal de la nouveauté de cet élément tout comme en (16a,<br />

cité ci-dessus) 17 ; l’expression du cadre temporel (dva dni po těchto událostech « deux<br />

jours après ces événements ») figure à l’initiale. En revanche, l’exemple<br />

latin (17a) présente une configuration différente : le verbe à l’initiale, la particule etiam<br />

(« en plus de tout cela ») précédant repentinum incommodum, et l’expression du temps<br />

(biduo, quo haec gesta sunt « deux jours après ces événements ») à la fin de la phrase.<br />

Si nous nous appuyions sur les positions occupées par les constituants, le constituant<br />

circonstanciel devrait être considéré comme le focus dans une disposition relevant du<br />

dynamisme croissant des constituants, ou bien le verbe accidit, placé à l’initiale, devrait<br />

correspondre à l’ordre « émotif » (dans ce cas, le sens serait « il arriva vraiment »). Or,<br />

l’examen du contexte nous amène à rejeter ces deux interprétations : dans ce passage,<br />

César nous informe sur un accident qui a encore aggravé la situation dans laquelle il<br />

s’est retrouvé après un combat long et difficile. Incommodum n’a pas été mentionné<br />

auparavant, au contraire, le paragraphe suivant est consacré à sa description : c’est donc<br />

l’élément saillant, le plus informatif de la phrase. En outre, son épithète repentinum<br />

(« soudain ») est par son sens lexical lui-même le signe d’une nouveauté (cf. Torrego<br />

2005). Le verbe accidit n’est pas mis en relief, il ne sert qu’à introduire repentinum<br />

incommodum ; le complément de temps exprimant le cadre Ŕ on le constate avec<br />

étonnement Ŕ figure à la place finale.<br />

Cet exemple, loin d’être isolé, montre que la position finale en latin peut ne pas<br />

être un indicateur fiable du degré de l’informativité d’un constituant 18 . Comparons<br />

également d’autres exemples.<br />

(18a) (Caesar) Cognita militum uoluntate Ariminum cum ea legione proficiscitur…<br />

Eo L. Caesar adulescens uenit… Is… demonstrat. (Caes., Ciu. 1.8.1-2)<br />

« Assuré des dispositions de ses soldats, César part avec cette légion pour<br />

Ariminum… Là, vient le jeune L. César… Il annonce... »<br />

(18b) Když se Caesar přesvědčil o dobré vůli vojáků, vyrazí v čele<br />

SUBORD REFL NOM.SG 3SG.PASSE PREP ADJ LOC.SG G<strong>EN</strong>.PL 3SG.PRS PREP. LOC.SG.<br />

quand Caesar s’assurer bonne volonté des soldats se diriger en tête<br />

té legie do Arimina …<br />

ANAPH. G<strong>EN</strong>.SG PREP G<strong>EN</strong>.SG<br />

de cette légion à Ariminum<br />

Do Arimina přijde mladý Lucius Caesar… Když *vyřídil…<br />

PREP G<strong>EN</strong>.SG 3SG.PRS ADJ NOM.SG SUBORD 3SG.PASSE<br />

à Ariminum arriver jeune Lucius Caesar quand exposer<br />

16 Les traductions tchèques cités dans ce chapitre ont été puisées dans Gaius Iulius Caesar: Válečné<br />

paměti. O válce občanské, Praha (1972 : 311, 327, 304, 389), et Gaius Sallustius Crispus: Catillinovo<br />

spiknutí, Válka s Jugurtou, Praha (1988 : 105 et 141).<br />

17 En comparaison avec (2a) présentant un verbe personnel, la construction syntaxique est différente ici<br />

(verbe impersonnel + complément obligatoire au datif construit avec une préposition). Cela n’a aucune<br />

incidence sur la disposition des constituants.<br />

18 Voir <strong>Spevak</strong> (à paraître, a).<br />

16


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

Ariminum est la destination de César 19 et cet endroit constituera le cadre pour le<br />

récit suivant (à noter la reprise par eo dans la phase subséquente). Ce constituant est<br />

placé après l’ablatif absolu, alors qu’il figure en position finale dans la traduction<br />

tchèque. L. Caesar désigne un personnage nouvellement introduit à l’aide d’une phrase<br />

présentative de type « apparaître » (uenit), l’anthroponyme étant placé après l’adverbe<br />

anaphorique eo dans la phrase latine, mais à la fin de la phrase en tchèque. On<br />

remarquera au passage que dans la phrase suivante, l’anaphorique is est employé, alors<br />

que le tchèque admet ici l’anaphore zéro (marquée par l’astérisque) 20 .<br />

Un autre exemple, avec le placement final de Brundisii, est particulièrement<br />

intéressant (cf. Bolkestein, 1996b : 15) :<br />

(19a) Erat eo tempore Antonius Brundisii ; is 21 … scaphas… circiter LX… contexit.<br />

(Caes., Ciu. 3.24.1)<br />

« À ce moment, Antoine était à Brindes ; …il fit garnir… le bordage d’une<br />

soixantaine de chaloupes… » (trad. C.U.F.)<br />

(19b) Tehdy byl v Brundisiu Antonius ; ten… opatřil asi šedesát člunů…<br />

alors 3SG.PASSE PREP. LOC.SG NOM.SG NOM.SG 3SG.PAST NUM G<strong>EN</strong>.PL<br />

être à Brundisium Antonius ANAPH pourvoir environ soixante chaloupe<br />

En effet, Brindes a été explicitement mentionné dans le paragraphe précédent et<br />

cette ville représente évidemment le cadre. Le fait surprenant, c’est la présence<br />

d’Antoine à Brundisium à ce moment. Cependant, le constituant Antonius ne figure pas<br />

en position finale.<br />

On comparera également les configurations dans les phrases comportant un<br />

verbe trivalent, tel mitto :<br />

(20a) (… et custodiunt) legatosque ex suo numero ad Caesarem mittunt (sese paratos<br />

esse…) (Caes., Ciu. 1.20.5)<br />

« (le gardent en prisonnier) et envoient à César des délégués pris parmi eux : (ils<br />

déclarent être prêts…) »<br />

(20b) (a hlídají) a pošlou k Caesarovi mezi sebou vybrané posly<br />

3PL.PASSE COORD. 3PL.PRS PREP DAT.SG PREP REFL. ADJ. ACC.PL<br />

garder et envoyer à César entre eux choisis délégués<br />

s tímto vzkazem : (jsou připraveni…)<br />

PREP PR.DEM. INST.SG 3PL.PRS 3PL.PTC<br />

avec ce message être prêts<br />

19 Nous considérons, dans cet exemple complexe, Ariminum comme focus. Cum ea legione reprend la<br />

treizième légion (legionis XIII), qui s’est adjointe à César d’abord. Le contexte plus large est tel que César<br />

n’était pas censé persuader les soldats de le suivre (cf. Caes., Ciu. 1.6.2 : …alieno esse animo in<br />

Caesarem milites neque iis posse persuaderi uti eum defendant aut sequantur « que les soldats sont mal<br />

disposés à l’égard de César, et qu’on ne pourra les persuader de le défendre ou de le suivre. »). Les autres<br />

légions (reliquas legiones) qui sont mentionnées dans le contexte d’après, sont déductibles en tant que<br />

sub-topique. À la rigueur, on pourrait prendre Ariminum… proficiscitur comme une unité pragmatique,<br />

mais l’action de proficiscitur semble découler du fait que César a persuadé les soldats ; en revanche,<br />

Ariminum est entièrement indépendant du contexte.<br />

20 Sur ce point, voir <strong>Spevak</strong> (à paraître, a). En (19b), l’anaphorique ten est facultatif et pourrait être omis.<br />

En effet en tchèque, l’anaphore pronominale est utilisée dans les cas de désambiguïsation, voir Uhlìřová<br />

(1988), et Adamec (1988). Sur les différences dans les langues slaves, voir Siewierska et Uhlìřová (1998 :<br />

106). La question de l’anaphore zéro vs. l’anaphore pronominale en latin sera traitée plus loin, dans le<br />

chapitre Le topique.<br />

21 L’anaphorique is est ajouté par les éditeurs. À ma connaissance, il s’agit du seul exemple sans<br />

continuation anaphorique dans ce type de phrase. Toutefois, Antonius n’est pas un personnage<br />

entièrement nouveau ici.<br />

17


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

(21a) Nam Bocchus nuntios ad eum saepe miserat : uelle populi Romani amicitiam…<br />

(Sall., Iug. 88.5)<br />

« Car Bocchus lui avait souvent envoyé des députations : il désirait l’amitié du<br />

peuple Romain… »<br />

(21b) Bocchus s ním nepřetržitě vyjednával prostřednictvím poslů ;<br />

NOM.SG PREP. PRON. ADV. 3SG.PASSE PREP. G<strong>EN</strong>.PL<br />

Bocchus avec lui constamment négocier à l’aide de délégués<br />

vzkazoval, že si přeje mír s Římany…<br />

3SG.PASSE SUBORD. PR.REFL. 3SG.PRS ACC.SG PREP. INSTR.PL<br />

faire savoir que désirer paix avec Romains<br />

La délégation représente l’élément saillant dans ces phrases 22 . Les constituants<br />

legatos et nuntios introduisent, en quelque sorte, les propos rapportés ou la mission qui<br />

leur est confiée ; en français aussi bien qu’en tchèque, les traducteurs insèrent des mots<br />

de type « pour dire que » ou « avec le message suivant ». Cependant, legatos ou nuntios<br />

peuvent occuper en latin une position autre que finale, comme le montrent les exemples<br />

précités ; en revanche, les termes Ŕ le verbe mis à part Ŕ qui apparaissent à une place<br />

ultérieure (ad Caesarem en 20a, ad eum ou saepe en 21a) ne véhiculent pas<br />

l’information essentielle.<br />

Les exemples cités ci-dessus montrent que la configuration des phrases<br />

véhiculant la même information ne coïncide pas dans les deux langues. On pourrait<br />

naturellement citer des exemples où la configuration est similaire comme en (22) :<br />

(22a) Erat ea tempestate Romae Numida quidam nomine Massiua… Huic Sp.<br />

Albinus… persuadet… (Sall., Iug. 35.1-2)<br />

« Il y avait à ce moment à Rome un Numide nommé Massiva… Sp. Albinus…<br />

lui persuade de… »<br />

(22b) Tehdy v Římě pobýval jakýsi Numiďan jménem Massiva…<br />

alors PREP. LOC.SG. 3SG.PASSE PR.INDEF. NOM.SG INSTR.SG NOM.SG<br />

à Rome être un certain Numide nommé Massiva<br />

Spurius Albinus… ho přiměl, aby…<br />

NOM.SG PR.ACC.SG 3SG.PASSE SUBORD.<br />

Spurius Albinus le convaincre que<br />

Dans ces phrases, un Numide, Massiva, est présenté pour la première fois : ce<br />

constituant figure à la fin de la phrase. On notera au passage que le tchèque préfère<br />

commencer la phrase par les éléments exprimant le cadre alors qu’en latin, la phrase<br />

s’ouvre par le verbe erat.<br />

En outre, cet exemple peut servir encore à une autre démonstration. Le Numide<br />

Massiva jouera un rôle important dans le récit suivant ; après son introduction, ce<br />

constituant est repris à l’aide de huic placé en tête de la phrase, en d’autres termes, une<br />

place proéminente lui est attribuée. Tel n’est pas le cas en tchèque, où un enclitique,<br />

ho 23 , est employé. On comparera, à cette occasion, les exemples cités ci-dessus (18) :<br />

l’emploi de is en latin et l’anaphore zéro en tchèque (*vyřídil). Cette confrontation<br />

confirme l’importance de la première position en latin, susceptible d’accueillir, entre<br />

autres, les constituants fonctionnant comme topique (voir plus haut, § 4.1).<br />

22 Le verbe mitto sera analysé dans le chapitre X, La phrase déclarative, § 5.1.<br />

23 L’emploi de toho « celui-ci » en tête de la phrase serait attendu seulement s’il y avait une confusion<br />

possible avec un autre personnage.<br />

18


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

La comparaison entre le latin et le tchèque nous a permis d’observer quelques<br />

différences dans deux langues à l’ordre « libre ». La configuration d’une phrase n’est<br />

pas nécessairement la même : tous les exemples tchèques relèvent du dynamisme<br />

communicatif et les éléments les plus informatifs figurent à la fin de la phrase, alors que<br />

les phrases latines citées n’en relèvent pas toujours. Ce fait n’est pas dû à la tendance à<br />

placer le verbe à la fin de la phrase, ni à ce que les grammaires appellent « l’ordre<br />

emphatique ». Le latin ne semble pas exploiter, de manière systématique, la place finale<br />

(ou préverbale) pour le placement des éléments les plus informatifs. En d’autres termes,<br />

la position finale ne peut pas constituer pour nous un point de départ fiable pour<br />

déterminer la fonction de focus d’un constituant. Il s’avère nécessaire de considérer le<br />

rapport du constituant en question avec le contexte qui, lui, fournit des signaux<br />

significatifs Ŕ parfois les seuls Ŕ pour une analyse correcte de la phrase latine. En<br />

revanche, la place initiale de la phrase en latin mérite une attention particulière.<br />

5. La dépendance situationnelle et contextuelle<br />

Comme nous traitons d’une langue qui nous est parvenue uniquement par la<br />

transmission littéraire, le rapport avec le contexte est souvent le seul élément qui nous<br />

permette de décider et sur le statut discursif d’un constituant, et sur la valeur<br />

pragmatique de la phrase 24 . Aussi, proposons-nous de travailler de manière<br />

systématique avec le concept de dépendance contextuelle, développé en particulier par<br />

J. Firbas 25 et appliqué à l’analyse du latin par D. Panhuis (1982 : 11 et passim). Selon<br />

Firbas (1992 : 22), un terme contextuellement dépendant est celui qui est inférable de la<br />

situation ou celui qui figure dans le contexte précédent ; seul le contexte pertinent est à<br />

considérer.<br />

Sont dépendants de la situation (Firbas, 1992 : 24 sq.) tous les termes qui y<br />

réfèrent, en particulier ceux qui renvoient aux participants du discours Ŕ au locuteur et à<br />

l’interlocuteur, ainsi que les termes référant à une réalité extralinguistique qui les<br />

concerne. Ces éléments peuvent assurer une fonction pragmatique, ou non. On<br />

comparera le pronom personnel me, dépourvu de fonction spécifique en (23) et placé à<br />

l’intérieur de la phrase, avec ego tibi mis en contraste (exemple 24) et occupant, de ce<br />

fait, la place initiale privilégiée :<br />

(23) Lepidus ad me heri uesperi litteras misit Antio. (Cic., Att. 13.47a)<br />

« Lépide m’a envoyé hier soir une lettre d’Antium. »<br />

(24) Ego tibi irascerer? Tibi ego possem irasci ? Scilicet ; tu enim me adflixisti, tui<br />

me inimici, tua me inuidia ac non ego te misere perdidi. (Cic., Q. frat. 1.3.1)<br />

« De moi contre toi un mouvement de colère ? Contre toi de ma part c’eût été<br />

chose possible ? Ah ! C’est toi, sans doute, qui es cause de ma chute ; ce sont tes<br />

ennemis, c’est l’envie qu’on te porte qui m’ont perdu, et non pas moi qui suis la<br />

lamentable cause de ta ruine ! » (trad. C.U.F.)<br />

Il convient de mentionner ici l’observation faite par D. Panhuis (1982 : 56 sq.)<br />

concernant la co-occurrence de plusieurs éléments liés dans une même phrase. Il<br />

constate que les éléments contextuellement liés sont « plus thématiques » que les<br />

éléments donnés par la situation. De ce fait, les premiers se positionnent devant les<br />

seconds, par exemple id tibi en (25) :<br />

24 Cependant, le rapport avec le contexte n’est pas toujours évident ou possible à déterminer : un tel<br />

problème se pose, en particulier, pour l’analyse de la correspondance de Cicéron.<br />

25 Voir, en particulier la synthèse de la question (Firbas 1992).<br />

19


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

(25) Nunc ibo in tabernam, uasa atque argentum tibi referam… Id tibi iam huc<br />

adferam. (Plaut., Men. 1035)<br />

« Pour le moment, je cours à l’auberge, et je te rapporte les bagages et l’argent…<br />

Je te le rapporte tout de suite. » (trad. P. Grimal)<br />

Les termes contextuellement liés sont ceux qui ont été mentionnés dans le<br />

contexte précédent, pertinent pour le discours. Ils sont alors accessibles au lecteur. Par<br />

exemple, la vallée près d’Utique, mentionnée au paragraphe 27.3 (exemple 26) du livre<br />

II de la Guerre civile de César n’appartient pas au contexte pertinent pour le paragraphe<br />

34.1 (exemple 27) : en est témoin, la relative qui assure un rappel et permet au locuteur<br />

de se situer dans le discours (« comme il a été indiqué plus haut »).<br />

(26) ...atque una ualle non magna interiecta suas uterque copias instruit. (Caes., Ciu.<br />

2.27.3)<br />

« ...et n’étant séparés que par une vallée de peu de largeur, ils rangent l’un et<br />

l’autre leurs troupes en bataille. »<br />

(27) Erat uallis inter duas acies, ut supra demonstratum est, non ita magna, at<br />

difficili et arduo ascensu. Hanc uterque, si aduersariorum copiae transire<br />

conarentur, exspectabat… (Caes., Ciu. 2.34.1)<br />

« Entre les deux armées, il y avait une vallée, comme on l’a dit plus haut, qui<br />

n’était pas très large, mais dont la pente était escarpée et difficile à gravir.<br />

Chacun attendait que les troupes adverses entreprennent la traversée. »<br />

Bien qu’il n’y ait pas de règle précise pour mesurer la non-pertinence d’un terme<br />

dans le contexte 26 , la dépendance contextuelle, quant à elle, est souvent signalée. Les<br />

moyens de le faire sont variés ; Firbas (1992 : 31) distingue les catégories suivantes :<br />

(a) reprise du nom ;<br />

(b) reprise par un pronom ;<br />

(c) reprise par un moyen morphologique 27 ;<br />

(d) ellipse.<br />

Les exemples sont donnés en (28-30):<br />

(28a) Huic Sp. Albinus, qui proximo anno post Bestiam cum Q. Minucio Rufo<br />

consulatum gerebat, persuadet… regnum Numidiae ab senatu petat. Auidus<br />

consul belli gerendi mouere quam senescere omnia malebat. (Sall., Iug. 35.1-2)<br />

« Sp. Albinus qui, l’année précédente, après Bestia, exerçait le consulat avec Q.<br />

Minucius Rufus, lui persuade de réclamer au Sénat le royaume de Numidie.<br />

Dans son désir de mener une guerre, le consul préférait agir plutôt que de laisser<br />

traîner les choses. »<br />

26 Cf. le concept de la ‘prédictibilité’ selon Givón (1983), appliqué au polonais par A. Siewierska (1998).<br />

La prédictibilité qu’un constituant apparaisse (Task urgency principle selon Givón) peut être mesurée à<br />

l’aide de la distance référentielle prenant en considération le nombre de propositions entre la présente<br />

occurrence d’un terme et son occurrence dans le contexte précédent. Cependant, A. Siewierska, en<br />

travaillant avec une distance comprenant vingt propositions, conclut que l’analyse du polonais Ŕ tout en<br />

offrant des conclusions intéressantes Ŕ ne confirme que faiblement la prédictibilité en tant que test. Cf.<br />

également M. Bolkestein et M. van de Grift (1994 : 286 sq.).<br />

27 La reprise par un moyen morphologique concerne, par exemple, l’emploi des pronoms de la troisième<br />

personne dans les langues qui n’admettent pas l’anaphore zéro, par exemple : Marius arrive dans une<br />

région accidentée…; là, il attend. » (cf. l’exemple 27, cité ci-dessous).<br />

20


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

(29b) (Iugurtha) At ille sese in loca saltuosa et natura munita receperat. (Sall., Iug.<br />

54.3)<br />

« Jugurtha s’était retiré dans une région boisée et naturellement fortifiée. »<br />

(30d) (Marius)… peruenit in locum tumulosum…, ibique… *opperitur. (Sall., Iug.<br />

91.3)<br />

« Marius... arrive dans une région accidentée... ; là, il attend. »<br />

Les moyens signalant la dépendance contextuelle sont des moyens anaphoriques,<br />

expressions de coréférence. Spurius Albinus est repris par le nom indiquant sa fonction<br />

Ŕ consul en (28) ; le pronom ille renvoie à Jugurtha (29), personnage principal du récit ;<br />

enfin, Marius (30), topique établi dans le discours, est continué au moyen de l’anaphore<br />

zéro (marquée par un astérisque) : opperitur.<br />

Il convient de noter qu’en latin, un constituant repris par un nom (commun ou<br />

propre) n’est pas nécessairement placé en tête de la phrase (cf. consul en 28). On<br />

rencontre assez souvent les cas de type (31), où un constituant situé à une place<br />

ultérieure dans la phrase reçoit la lecture définie Ŕ tel oratio « le discours (en<br />

question) » :<br />

(31) Brutus noster misit ad me orationem suam habitam in contione Capitolina<br />

petiuitque a me ut eam ne ambitiose corrigerem ante quam ederet. Est autem<br />

oratio scripta elegantissime sententiis, uerbis, ut nihil possit ultra. (Cic., Att.<br />

15.1a.2)<br />

« Notre cher Brutus m’a envoyé le texte du discours qu’il a prononcé devant le<br />

peuple, au Capitole, et demandé de le corriger sans complaisance avant qu’il ne<br />

le publie. La forme du discours est d’une pureté sans défaut, pour les tours de la<br />

phrase, le vocabulaire ; on ne peut faire mieux. » (trad. C.U.F.)<br />

À ces moyens de base s’ajoutent encore d’autres, en particulier les expressions<br />

coréférentielles, associées par leur signification à un terme. Cet aspect peut très bien<br />

être illustré à l’aide des exemples suivants :<br />

(32) Decretum fit, uti decem legati regnum, quod Micipsa obtinuerat, inter Iugurtham<br />

et Adherbalem diuiderent. Cuius legationis princeps fuit L. Opimius… (Sall.,<br />

Iug. 16.2-3)<br />

« On décréta que dix députés partageraient entre Jugurtha et Adherbal le<br />

royaume que Micipsa avait obtenu. Le chef de cette délégation était L.<br />

Opimius… »<br />

(33) Erat in celeritate omne positum certamen, utri prius angustias montesque<br />

occuparent… Confecit prior iter Caesar atque… (Caes., Ciu. 1.70.1-3)<br />

« Il s’agissait uniquement d’un combat lutte de vitesse, pour décider qui<br />

occuperait le premier les défilés et les montagnes… Ce fut César qui arriva le<br />

premier… » (trad. C.U.F.)<br />

(34) (Caesar) …duas legiones suas antecedere, reliquas subsequi iussit…, eique<br />

negotio Q. Fufium Calenum legatum praeficit. Hoc eius praescripto ex<br />

Hispania ad Varum flumen est iter factum… (Caes., Ciu. 1.87.4)<br />

« César fit prendre les devants à deux légions et ordonna aux autres de les<br />

suivre…, et il charge de cette tâche le légat Q. Fufius Calénus. Le trajet de<br />

l’Espagne jusqu’au Var s’effectua d’après ses ordres... »<br />

21


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

L’expression cuius legationis « de cette délégation » (32), comportant un<br />

anaphorique, est sémantiquement associée à legati « députés ». Princeps est également<br />

un terme lié Ŕ il découle du fait (extralinguistique) que normalement, les délégations ont<br />

un chef. En (33), confecit iter est déductible de l’intention d’occuper les montagnes :<br />

pour le faire, il faut s’y rendre. En outre, prior « premier » représente la répétition de<br />

prius. Le verbe praeficit est donné par le fait (extralinguistique) que les légions sont<br />

conduites par quelqu’un. Le syntagme eique negotio (34) « de cette tâche » sert à<br />

résumer la phrase précédente. Cette analyse conduit à conclure que dans les phrases<br />

exemplifiées en (32-34), seuls les termes L. Opimius, Caesar et Q. Fufium Calenum ne<br />

peuvent pas être déduits du contexte précédent et véhiculent, de ce fait, l’information<br />

saillante.<br />

La dépendance contextuelle peut donc apparaître sous des formes variées.<br />

Cependant, il convient d’attirer l’attention sur un phénomène qui semble avoir une<br />

incidence importante sur l’ordre des constituants en latin : l’anaphore qui met en œuvre<br />

des moyens pronominaux. Pour les besoins de notre démonstration, nous dissocierons<br />

deux types de textes, exemplifiés en (35) et en (36), empruntés à la Guerre civile de<br />

César. Dans le premier passage, César décrit ce qui s’est passé lors d’une séance du<br />

Sénat ; dans le second, il parle de la campagne de Curion en Afrique. Dans les deux cas,<br />

il s’agit de présenter des événements, et dans les deux cas, il y a plusieurs acteurs sur la<br />

scène. Les deux récits sont parfaitement cohérents, toutefois, l’organisation des<br />

informations données n’est pas la même. La différence réside dans l’enchaînement des<br />

informations et dans l’emploi des mots grammaticaux qui l’assurent.<br />

Analysons d’abord le premier :<br />

(35)<br />

1 Proximis diebus habetur extra urbem senatus. Pompeius eadem illa, quae per<br />

Scipionem ostenderat, agit ; senatus uirtutem constantiamque collaudat ; copias<br />

suas exponit ; legiones habere sese paratas X… 3 De reliquis rebus ad senatum<br />

refertur : tota Italia dilectus habeatur, Faustus Sulla pro praetore in<br />

Mauretaniam mittatur… Refertur etiam de rege Iuba, ut socius sit atque amicus.<br />

4 Marcellus uero passurum se in praesentia negat. De Fausto impedit Philippus,<br />

tribunus plebis. 5 De reliquis rebus senatusconsulta perscribuntur. Prouinciae<br />

priuatis decernuntur duae consulares, reliquae praetoriae. Scipioni obuenit<br />

Syria, L. Domitio Gallia. (Caes., Ciu. 1.6.1-5)<br />

« Les jours suivants, le Sénat s’assemble hors de Rome. Pompée dit ce qu’il<br />

avait fait connaître par l’intermédiaire de Scipion. Il loue le courage et la fermeté<br />

du Sénat ; il énumère ses forces : il a dix légions toutes prêtes… Pour les autres<br />

questions, on en réfère au Sénat : on propose de faire une levée dans toute<br />

l’Italie, d’envoyer Faustus Sylla en qualité de propréteur en Maurétanie… Une<br />

proposition est faite aussi concernant le roi Juba : de le déclarer ami et allié.<br />

Mais Marcellus dit qu’il ne le tolérera pas quant à présent. Pour Faustus, le<br />

tribun de la plèbe Philippus oppose son veto. Les autres questions font l’objet de<br />

sénatus-consultes. Les gouvernements des provinces sont accordés à<br />

des particuliers : deux provinces sont décrétées consulaires, les autres<br />

prétoriennes. À Scipion échoit la Syrie, à L. Domitius la Gaule. »<br />

Ce passage concerne des séances du sénat. L’intervenant principal, Pompée, est<br />

le topique du discours maintenu pendant un certain temps. Il affirme sa position, loue le<br />

sénat, dénombre ses forces (Pompeius agit, collaudat, exponit…). Au programme du<br />

jour, il y a d’autres points (de reliquis rebus refertur), qui sont énumérés. D’autres<br />

22


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

intervenants apparaissent : Marcellus qui exprime son désaccord (negat) concernant<br />

l’alliance de Juba, et Philippus, qui oppose son veto (impedit) au sujet de Faustus. Des<br />

actions faites par des personnages supposés connus sont ainsi rapportées. Des sujets<br />

traités lors des séances sont lancés au moyen du syntagme prépositionnel de… « à<br />

propos de ». Suivent des décisions concernant l’attribution des provinces. Cet extrait<br />

représente une suite d’actions sans aucun enchaînement explicite autre que la reprise par<br />

le nom propre ou commun (Faustus – de Fausto ; senatus – ad senatum). Les phrases ne<br />

donnent pas lieu à un enchaînement explicite ; par exemple, « les jours suivants, les<br />

séances du Sénat se tiennent hors de Rome » pourrait avoir une suite, par exemple « lors<br />

de la première séance, Pompée prit la parole en premier ». Ou encore, « le propréteur<br />

Faustus Sylla sera envoyé en Maurétanie » pourrait être développé ainsi : « à cette<br />

proposition, Philippus oppose son veto ». De plus, les intervenants sont introduits<br />

directement par leur nom propre ; un nouveau sujet débattu est introduit par de… On<br />

notera également que la décision sur les provinces (prouinciae) se déduit de de reliquis<br />

rebus. Certes, cet extrait témoigne d’un style bref, pertinent, administratif, mais il<br />

illustre bien comment un auteur procède lorsqu’il veut décrire ce qui se passe.<br />

(36)<br />

Il convient de procéder à une analyse de l’autre passage :<br />

1 Isdem temporibus C. CVRIO in Africam profectus ex Sicilia et … duas legiones<br />

ex IIII, quas a Caesare acceperat, D equites transportabat biduoque et noctibus<br />

tribus nauigatione consumptis appellit ad eum locum, qui appellatur<br />

Anquillaria. 2 Hic locus abest a Clupeis passuum XXII milia… 3 HVIVS aduentum<br />

L. Caesar filius cum X longis nauibus ad Clupea praestolans…, ueritus nauium<br />

multitudinem ex alto refugerat… et pedibus Hadrumetum perfugerat. 4 Id<br />

oppidum C. Considius Longus unius legionis praesidio tuebatur. Reliquae<br />

Caesaris naues eius fuga se Hadrumetum receperunt. 5 Hunc secutus<br />

Marcius Rufus quaestor nauibus XII…, postquam in litore relictam nauem<br />

conspexit, hanc remulco abstraxit ; ipse ad C. Curionem cum classe redit.<br />

(Caes., Ciu. 2.23.1-5)<br />

« À la même époque, C. Curion s’embarquait en Sicile pour l’Afrique, et… ne<br />

transportait que deux légions sur les quatre qu’il avait reçues de César, et cinq<br />

cents cavaliers. Après deux jours et trois nuits de navigation, il aborda à un lieu<br />

qui s’appelle Anquillaria. Ce lieu est à vingt-deux mille pas de Clupéa… L.<br />

César le fils l’attendait à Clupéa avec dix navires de guerre… ; effrayé par le<br />

nombre considérable de la flotte ennemie, il avait abandonné la haute mer… et<br />

s’était enfui par voie de terre à Hadrumète. C. Considius Longus défendait cette<br />

place avec une légion. Le reste de la flotte de L. César se réfugia également à<br />

Hadrumète, après avoir appris sa fuite. Le questeur Marcius Rufus avait<br />

poursuivi L. César avec douze vaisseaux… ; ayant aperçu le navire abandonné<br />

sur le rivage, il le prit en remorque ; il lui-même rejoint ensuite C. Curion avec<br />

sa flotte. »<br />

Dans ce texte, les événements sont reliés à l’aide de pronoms anaphoriques.<br />

Caius Curion, topique du discours placé après un complément circonstanciel de temps<br />

(isdem temporibus), est en route pour l’Afrique et arrive à Anquillaria. La mention de<br />

cet endroit donne lieu à une explication, d’ordre descriptif, où Anquillaria est repris par<br />

hic locus. Après cette digression, on retourne au récit des événements : huius placé à<br />

l’initiale reprend C. Curio ; un autre topique lui est opposé Ŕ son adversaire L. Caesar<br />

filius. On apprend que ce dernier s’enfuit à Hadrumète et, ici encore, une explication<br />

23


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

suit (à noter la reprise de Hadrumentum par id oppidum) concernant le commandement<br />

de cette place. Le retour à la ligne principale est signalé par hunc qui reprend le dernier<br />

topique mentionné, L. César, et non pas Considius Longus, personnage mentionné dans<br />

la parenthèse 28 . Puis, un nouveau topique est donné : Marcius Rufus, qui l’a poursuivi.<br />

Dans cet extrait, nous pouvons observer, au premier plan, des changements de<br />

topiques (C. Curio, L. Caesar, Marcius Rufus) ainsi que leur enchaînement à l’aide des<br />

anaphoriques (huius, hunc). Au second plan, dans les parenthèses complémentaires à<br />

propos d’Anquillaria et de Hadrumentum, les entités sont reprises à l’aide<br />

d’anaphoriques suivis du nom générique (hic locus, id oppidum). On notera enfin que<br />

dans la dernière phrase, le bateau remarqué par Marcius Rufus est donné comme<br />

l’élément nouveau dans la proposition, puis repris par hanc dans la proposition<br />

subséquente.<br />

Le degré de continuation anaphorique assez élevé dans ce second extrait nous<br />

montre l’importance de l’enchaînement pour l’ordre des constituants en latin. En effet,<br />

la connexion entre des éléments porteurs d’une fonction pragmatique, exprimée par des<br />

éléments anaphoriques, se manifeste dans leur position au sein de la phrase. Ainsi, des<br />

mots grammaticaux reprenant des constituants porteurs d’une fonction pragmatique se<br />

positionnent à l’initiale de la phrase, qu’ils soient employés comme pronominaux ou<br />

adnominaux 29 .<br />

6. La topicalisation 30<br />

La comparaison de deux autres passages éclairera davantage ce point. Lorsque,<br />

par exemple, l’auteur nous donne l’information que tel personnage va quelque part, on<br />

peut s’attendre à ce que ce lieu devienne la scène des événements suivants comme dans<br />

(37) et (38) :<br />

(37) Pompeius his rebus cognitis, quae erant ad Corfinium gestae, Luceria<br />

proficiscitur Canusium atque inde Brundisium. Copias undique omnes ex nouis<br />

dilectibus ad se cogi iubet… (Caes., Ciu. 1.24.1-2).<br />

« Pompée, après avoir appris ce qui s’était passé à Corfinium, va de Lucéria à<br />

Canusium et de là à Brindes. Il fait venir à lui de toutes parts les troupes<br />

nouvellement levées... »<br />

(38) (Caesar) Cognita militum uoluntate Ariminum cum ea legione proficiscitur<br />

ibique tribunos plebis qui ad eum confugerant conuenit... Eo L. Caesar<br />

adulescens uenit… » (Caes., Ciu. 1.8.1-2)<br />

« Assuré des dispositions de ses soldats, César part avec cette légion pour<br />

Ariminum et il y rencontre les tribuns du peuple qui s’étaient réfugiés auprès de<br />

lui... Là, vient le jeune L. César… »<br />

En (37), nous apprenons que Pompée s’installe à Brindes et ses actions (iubet…)<br />

se déroulent là-bas ; mais l’endroit lui-même n’est pas explicitement exprimé. En<br />

revanche, en (38), César gagne Ariminum 31 ; la ville est non seulement reprise par un<br />

anaphorique dans la proposition suivante (ibique) mais encore dans la phrase suivante<br />

28 La phrase reliquae Caesaris naues... représente une information située au second plan.<br />

29 Ce point sera examiné plus loin, dans les chapitres II, Le topique et III, L’anaphore pronominale.<br />

30 Le concept présenté ici est différent du celui utilisé dans les travaux adoptant les approches générative<br />

et transformationnelle. De même, J. Firbas (1992 : 125) parle de la « topicalisation » à propos du<br />

placement d’un terme à l’initiale. Voir l’Introduction, note 9.<br />

31 Les villes de Brindes (38) et d’Ariminum (39) sont mentionnées ici pour la première fois, mais comme<br />

toutes les deux sont suffisamment connues du destinataire, elles ne nécessitent pas d’explication.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

(eo). La ville est ainsi prise pour cadre spatial dans lequel les événements vont se passer<br />

et l’anaphorique occupe une place importante Ŕ la place initiale 32 . Nos exemples<br />

montrent donc deux approches différentes : l’une sans enchaînement explicite, l’autre<br />

avec un enchaînement mettant en œuvre des pronoms anaphoriques.<br />

L’enchaînement à l’aide de l’anaphore pronominale des éléments porteurs de<br />

fonctions pragmatiques s’avère particulièrement exploité en latin. Il suffit de comparer<br />

les exemples (39) et (40) :<br />

(39) Simul… equitatus omnis et una leuis armaturae interiecti complures…,<br />

cernebantur. Ad eos Curio equitatum et duas Marrucinorum cohortes mittit ;<br />

quorum primum impetum equites hostium non tulerunt. (Caes., Ciu. 2.34.2-3)<br />

« En même temps…, on apercevait toute la cavalerie et, entremêlée, de<br />

l’infanterie légère en grand nombre… Contre eux, Curion envoie sa cavalerie et<br />

deux cohortes de Marrucins ; les cavaliers ennemis ne soutinrent pas le premier<br />

choc. »<br />

(40) Illi (Massilienses)… minus libere, minus audacter uagabantur… Interim<br />

Oscenses et Calagurritani… mittunt ad eum legatos seseque imperata facturos<br />

pollicentur. Hos Tarraconenses et Iacetani et Ausetani… insequuntur. (Caes.,<br />

Ciu. 1.59.2 Ŕ 60.1-2)<br />

« Les ennemis (les Marseillais)… avaient dans leurs mouvements moins de<br />

liberté et moins d’audace… Pendant ce temps, les Oscenses et les<br />

Calagurritains…, lui (à César) envoient des députés et promettent d’obéir à ses<br />

ordres. Les Tarraconnais, les Jacétains, les Ausétains… suivent leur exemple. »<br />

En (39), ad eos en tête de phrase reprend equitatus et complures, constituants<br />

coordonnés qui représentent l’information nouvelle donnée dans la phrase précédente.<br />

De même, les Oscenses et les Calagurritains (40), éléments nouveaux de cette phrase,<br />

sont repris à l’aide de hos et equitatum et duas cohortes en (39) à l’aide de quorum.<br />

Repris, ces constituants fonctionnent comme des topiques de leurs phrases respectives.<br />

En revanche en (40), on parle de la situation des Marseillais ennemis Ŕ le<br />

topique de la phrase est illi. Puis, le récit se tourne du côté de César et les Oscenses et<br />

les Calagurritains sont pris pour le topique. Ce changement est signalé par interim. Ad<br />

eum renvoie à César, personnage établi dans le discours sans être le topique de ce<br />

passage Ŕ on ne donne pas d’information sur lui. Le constituant ad eum n’est pas<br />

porteur d’une fonction pragmatique particulière et est, pour cette raison, positionné à<br />

l’intérieur de la phrase ou, pourrait-on dire également, à une place autre qu’initiale. Le<br />

pronom eum (ad eum) reprend donc un personnage connu sans avoir une fonction<br />

pragmatique spécifique.<br />

Dans le même ordre d’idées, il convient d’introduire les observations de J.<br />

Firbas (1992 : 12) concernant les types d’enchaînement. En prenant comme exemple le<br />

français, l’anglais, l’allemand et le tchèque, il montre que des éléments linguistiques qui<br />

contribuent au développement du récit peuvent varier, quant à leur nombre et quant à<br />

leur disposition dans la phrase. Par exemple, un élément linguistique reprenant une<br />

information qui vient d’être donnée est doté d’un degré faible d’informativité et<br />

viendrait, dans un arrangement interprétatif, à la première place. Or, l’arrangement<br />

32 À ce propos, il convient de mentionner la remarque faite par D. Panhuis (1982 : 57) concernant les<br />

éléments liés contextuellement. Il les considère comme le « thème propre », c’est-à-dire comme les<br />

éléments les plus thématiques, plus que les pronoms personnels, par exemple, liés à la situation du<br />

discours.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

interprétatif ne coïncide pas toujours avec l’arrangement linéaire, celui que les langues<br />

en question réalisent effectivement. Les deux types d’arrangement selon Firbas, linéaire<br />

et interprétatif, ressortent dans les exemples suivants (ibid., p. 3-4, et cf. 12). Il s’agit<br />

d’un passage emprunté aux Misérables de Victor Hugo, où il décrit une pierre tombale,<br />

et de ses traductions en anglais, en allemand et en tchèque :<br />

Arrangement linéaire Arrangement interprétatif<br />

(cette pierre) L’eau la verdit. La l’eau verdit.<br />

(this stone) Water turns it green. It water turns green.<br />

(der Stein) Das Wasser färbt ihn grün. Ihn das Wasser färbt grün.<br />

(ten kámen) Voda jej barví na zeleno. Jej voda barví na zeleno.<br />

Les exemples latins que nous avons introduits dans cette section montrent que le<br />

latin semble mettre en œuvre l’enchaînement linéaire qui est proche de l’enchaînement<br />

interprétatif.<br />

On conclura qu’en latin, il importe de distinguer, parmi les moyens<br />

grammaticaux qui assurent l’enchaînement explicite, les anaphoriques qui sont porteurs<br />

d’une fonction pragmatique de ceux qui en sont dépourvus. La fonction pragmatique de<br />

leur antécédent a en effet une incidence sur la place de l’anaphorique. On parlera alors<br />

de topicalisation au sens de reprise en tête de phrase, au moyen d’anaphore<br />

pronominale, de l’élément donné comme nouveau dans la phrase précédente 33 .<br />

7. Les tests mettant en œuvre des questions<br />

On sait que chaque phrase ou proposition est censée véhiculer une information.<br />

Elle peut renfermer d’autres éléments, mais doit contenir la partie qui apporte<br />

l’information essentielle, qu’on appellera le focus. La partie la plus informative peut<br />

être déterminée à l’aide de tests mettant en œuvre des questions 34 . En effet, chaque<br />

phrase ou proposition peut être regardée comme la réponse à une question, implicite ou<br />

explicite. Considérons l’exemple suivant :<br />

(41) Hier, je suis allé au cinéma.<br />

Cette phrase, selon le contexte, peut constituer la réponse à au moins trois questions.<br />

(41a) Où es-tu allé hier ?<br />

(41b) Qu’as-tu fait hier ?<br />

(41c) Que s’est-il passé ?<br />

Selon les cas, la phrase en (41) peut être réalisée telle quelle et renfermer des éléments<br />

déjà donnés, ou être réduite à la partie la plus informative :<br />

(41a) Au cinéma.<br />

(41b) Je suis allé au cinéma.<br />

33 Ce point sera plus amplement abordé dans le chapitre III, L’anaphore pronominale. Pour les reprises de<br />

type « tail-head linking », voir ibid., § 7, note 31.<br />

34 Voir, parmi d’autres, Sgall et al. (1986 : 207), et Daneš (1968 : 57). Pour le latin, voir de Jong (1989 :<br />

522 sq.) et Bolkestein (2000 : 199).<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

Or, en tant que réponse à la question (41c), la phrase ne peut pas être réduite car tout y<br />

est nouveau, l’information y est complexe, comme dans le contexte suivant :<br />

(41c) (Je vais te raconter ce qui m’est arrivé :) Hier, je suis allé au cinéma. J’y ai<br />

rencontré Paul. Il m’a dit que…<br />

Déterminer les questions, explicites ou implicites, auxquelles les phrases<br />

répondent, c’est identifier la partie la plus informative, le focus. Au mieux, le jeu<br />

question/réponse s’observe dans les dialogues, par exemple :<br />

(42) Cicero : Quid ? Orationis quot sunt partes ?<br />

Pater : Quattuor. Earum duae ualent ad rem docendam, narratio et confirmatio ;<br />

ad impellendos animos duae, principium et peroratio.<br />

Cicero : Quid ? Quaestio quasnam habet partis ?<br />

Pater : Infinitam, quam consultationem appello, et definitam, quam causam<br />

nomino.<br />

Cicero : Quoniam igitur inuenire primum est oratoris, quid quaeret ?<br />

Pater : Vt inueniat, quem ad modum fidem faciat iis, quibus uelit persuadere, et<br />

quem ad modum motum eorum animis afferat.<br />

Cicero : Quibus rebus fides fit ?<br />

Pater : Argumentis, quae ducuntur ex locis aut in re ipsa insitis aut assumptis.<br />

Cicero : Quos uocas locos ?<br />

Pater : In quibus latent argumenta.<br />

Cicero : Quid est argumentum ?<br />

Pater : Probabile inuentum ad faciendam fidem. (Cic., Part. orat. 4-5)<br />

« Cicéron : Et pour le discours, combien de parties ?<br />

Père : Quatre. Deux servent à exposer le fait, la narration et la confirmation,<br />

deux à émouvoir les âmes, l’exorde et la péroraison.<br />

C. Et pour la question, combien de parties ?<br />

P. La question indéterminée, que j’appelle cas général, et la question déterminée,<br />

que j’appelle cause particulière.<br />

C. Eh bien ! Puisque l’invention est le premier objet de l’orateur, que chercherat-il<br />

?<br />

P. À trouver le moyen de convaincre ceux qu’il voudra persuader et de toucher<br />

les passions dans leur âme.<br />

C. Comment arrive-t-il à convaincre ?<br />

P. Par les arguments, que l’on tire des lieux inhérents à la cause ou pris en<br />

dehors d’elle.<br />

C. Qu’appelles-tu lieu ?<br />

P. Ce qui renferme les arguments.<br />

C. Qu’est-ce qu’un argument ?<br />

P. Une raison plausible inventée pour convaincre. » (trad. C.U.F.)<br />

Dans ce passage emprunté aux Divisions de l’art oratoire de Cicéron, nous<br />

pouvons observer les interrogations introduites par des mots spécifiques ainsi que les<br />

réponses, réduites aux parties les plus informatives et pertinentes. Par exemple,<br />

l’interrogation sur le nombre (quot ? – quattuor), sur la qualité (quas ? – infinitam et<br />

definitam), sur la cause (quid ? – ut…).<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

8. Principes d’analyse des phrases du corpus<br />

Dans un texte prosaïque Ŕ tel est le caractère des textes compris dans notre<br />

corpus Ŕ, l’objectif est de déterminer à quelle question implicite la phrase donnée<br />

apporte la réponse. La tâche n’est pas toujours facile et il est nécessaire de s’appuyer sur<br />

des signaux donnés par le contexte, qui sont, on l’a vu, la dépendance contextuelle et la<br />

continuation dans le contexte d’après.<br />

Comme J. Firbas (1992 : 42) l’a mis en évidence, les éléments indépendants du<br />

contexte sont les plus forts candidats à la fonction de focus. Par exemple, la place forte<br />

de Tauroentum dans l’exemple suivant :<br />

(43) (Nacti idoneum uentum ex portu exeunt) et Tauroenta, quod est castellum<br />

Massilensium, ad Nasidium perueniunt ibique naues expediunt… (Caes., Ciu.<br />

2.4.5)<br />

« (Profitant d’un vent favorable, les Marseillais sortent du port) et rejoignent<br />

Nasidius à Tauroentum, une place forte appartenant aux Marseillais, et ils y<br />

disposent leurs navires... »<br />

Les Marseillais, topique maintenu de la phrase, sont connus du contexte<br />

précédent, aussi bien que Nasidius ; le terme contextuellement non lié est Tauroenta.<br />

L’endroit dénoté par Tauroenta constitue le cadre pour les actions suivantes (ibi) et<br />

représente l’élément le plus informatif dans sa proposition. On notera en outre que le<br />

verbe perueniunt découle du contexte : si les Marseillais sortent (exeunt), on attend<br />

qu’ils arrivent quelque part. La phrase répond alors à la question où ?, quo ?.<br />

Considérons l’exemple suivant :<br />

(44a) Eum libellum Caesari dedi. (Cic., Att. 16.16a.2)<br />

« Je remis cette requête à César. »<br />

Le constituant eum libellum est évidemment lié au contexte ; on peut envisager<br />

que la phrase répond à la question à qui ? ou qu’est-ce que j’ai fait ? Le contexte nous<br />

permet d’écarter la première interprétation :<br />

(44b) Commotus Atticus libellum composuit. Eum mihi dedit ut darem Caesari ; eram<br />

enim cenaturus apud eum illo die. Eum libellum Caesari dedi. Probauit causam.<br />

(Cic., Att. 16.16a.2)<br />

« Atticus, fort ému, rédigea une requête. Il me la confia en me demandant de la<br />

remettre à César ; en effet, je devais dîner chez lui ce jour-là. Je remis cette<br />

requête à César. Il jugea la cause bonne. »<br />

En effet, on voit bien que non seulement libellum, mais également César sont<br />

liés au contexte, car la demande d’Atticus était de « donner la requête à César ». Il ne<br />

s’agit donc pas de dire « à qui » donner mais de « donner ». Le focus y est porté sur<br />

l’action de donner qui a été accomplie par le locuteur. Ce type de phrases pourrait être<br />

réduit au verbe Ŕ on comparera l’exemple donné en (45), avec l’ellipse de ad te litteras :<br />

(45) Auere te scribis accipere aliquid a me litterarum. Dedi, ac multis quidem de<br />

rebus h(merolegdo_n perscripta omnia. (Cic., Att. 4.15.3)<br />

« Tu me dis que tu aimerais recevoir quelque lettre de moi. Je t’ai écrit, et je t’ai<br />

même fait un rapport détaillé, jour par jour, de tout. »<br />

28


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

Le focus peut très bien concerner un élément d’un syntagme nominal Ŕ tel<br />

l’adjectif qualificatif de litteras : aculeatas en (46). Le contexte met en évidence que le<br />

fait d’avoir écrit une lettre à Dolabella n’est pas nouveau.<br />

(46) (Atque ego ad eum (Dolabellam) VIII Id. litteras dederam bene mane…) Sed, ut<br />

ad te eo ipso die scripseram, satis aculeatas ad Dolabellam litteras dedi ; quae<br />

si nihil profecerint… (Cic., Att. 14.18.1)<br />

« (De mon côté, je lui (à Dolabella) ai envoyé une lettre le 8, de bon matin…)<br />

Mais, comme je te l’ai écrit le jour même, j’ai envoyé à Dolabella une lettre<br />

assez pointue ; si elle ne s’avère pas efficace… » (trad. C.U.F.)<br />

Cependant, il serait erroné de dire que l’élément contextuellement lié ne peut pas<br />

porter le focus. L’exemple suivant l’illustre très bien. Cicéron parle de Décianus qui a<br />

enlevé une jeune femme et il lui demande de la rendre. La jeune femme, son mari et son<br />

père ont déjà été mentionnés dans le contexte précédent :<br />

(47) Exsurge, Amynta, repete a Deciano non pecuniam, non praedia… ; restituat<br />

uxorem, reddat misero patri filiam. Membra quae debilitauit lapidibus fustibus<br />

ferro, manus quas contudit, digitos quos confregit, neruos quos concidit<br />

restituere non potest ; filiam, filiam, inquam, aerumnoso patri, Deciane, redde.<br />

(Cic., Flacc. 73)<br />

« Lève-toi, Amyntas, réclame à Décianus, non pas l’argent, ni les domaines… ;<br />

qu’il rende l’épouse, qu’il rende sa fille à ce malheureux père. Les membres<br />

qu’il a estropiés à coups de pierres, de bâtons, d’épées, les mains qu’il a<br />

écrasées, les doits qu’il a brisés, les nerfs qu’il a coupés, il ne peut les remettre<br />

en état. Mais la fille, oui, rends la fille, Décianus, à ce père infortuné. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

Les propositions restituat uxorem et reddat misero patri filiam répondent à la<br />

question quem ?. Un signal en est donné dans la phrase précédente Ŕ l’énumération des<br />

objets accompagnée de négations (non pecuniam, non praedia). Les verbes restituat,<br />

reddat ne véhiculent pas l’information nouvelle mais découlent du verbe repete. En<br />

revanche, les éléments les plus informatifs sont uxorem et filiam. L’objet indirect, patri<br />

pourrait également être un candidat à la fonction du focus mais dans ce cas, on<br />

attendrait l’expression explicite du mari qui, elle, est absente. L’énumération des parties<br />

du corps (membra, digitos, neruos), indépendantes du contexte, que Décianus ne peut<br />

remettre en état repose également sur la question quid ? La dernière proposition avec<br />

filiam, filiam répété confirme l’analyse : Cicéron dit qui Décianus doit rendre.<br />

Certaines phrases peuvent contenir une information complexe 35 , par exemple :<br />

(48) Otacilius sibi timens ex oppido fugit et ad Pompeium peruenit. Expositis<br />

omnibus copiis Antonius… (Caes., Ciu. 3.29.1)<br />

« Otacilius, craignant pour sa vie, s’échappa de la ville et rejoignit<br />

Pompée. Après avoir débarqué toutes ses troupes, Antoine… »<br />

(49) Qua opinione adductus Varus postero die mane legiones ex castris educit. Facit<br />

idem Curio… (Caes., Ciu. 2.27.3)<br />

35 Nous préférons le terme d’information complexe au terme de focus complexe (cf. H. Dik, 1995 : 71).<br />

29


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre I : L’approche de l’ordre de constituants en latin<br />

« Persuadé par ces paroles, Varus fait sortir le lendemain matin ses légions du<br />

camp. Curion fait de même… »<br />

Les propositions de la première phrase en (48) sont sans continuation<br />

anaphorique. Otacilius qui s’est enfui et a rejoint Pompée, disparaît de la scène, on n’a<br />

plus d’information sur lui. César ne nous renseigne donc pas ici sur le lieu d’où<br />

Otacilius s’échappe ni sur celui où il va, mais sur le fait qu’il s’échappe et qu’il rejoint<br />

Pompée. Les constituants ex oppido fugit et ad Pompeium peruenit fonctionnent comme<br />

des unités pragmatiques (voir H. Dik 1995 : 71 sq., et Pinkster 1995 : 232) et les<br />

propositions répondent à la question « que fait Otacilius (ensuite) ? ». De même, en<br />

(49), legiones e castris educit forme une unité pragmatique, témoin : facit idem Curio<br />

« Curion fait de même » dans la phrase suivante 36 .<br />

Enfin, un exemple pour illustrer les cas des phrases où tout est nouveau,<br />

répondant à la question « que s’est-il passé ? » :<br />

(50) Nunc neglegentiam meam cognosce. De gloria librum ad te misi, et in eo<br />

prohoemium id quod est in Academico tertio. Id euenit ob eam rem quod habeo<br />

uolumen prohoemiorum. Ex eo eligere soleo cum aliquod su/ggramma institui.<br />

(Cic., Att. 16.6.4)<br />

« Maintenant découvre ma négligence : je t’ai envoyé mon livre De la gloire<br />

avec le même préambule que dans le troisième livre des Académiques ! Cela<br />

s’est produit parce que j’ai un volume de préambules, où j’ai l’habitude de faire<br />

mon choix quand j’ai mis un ouvrage en chantier. » (trad. C.U.F.)<br />

Cicéron raconte à Atticus ce qui lui est arrivé : il a par erreur confondu les<br />

préambules et a accompagné son livre De la gloire du préambule du livre trois des<br />

Académiques. La phrase nunc neglegentiam meam cognosce « maintenant découvre ma<br />

négligence » a une fonction introductive et sert à attirer l’attention sur l’histoire qui suit.<br />

De même, id euenit « cela s’est produit » est un signal évident qu’il s’agit ici d’un<br />

événement. La proposition de gloria librum ad te misi répond donc à la question « que<br />

s’est-il passé ? ». Cependant, on peut envisager qu’il y ait une autre question sousjacente,<br />

quid ?, car cet élément est topicalisé dans la proposition subséquente (in eo).<br />

36 Cf. également : Ego meo Ciceroni, quoniam Roma caremus, Arpini potissimum togam puram dedi,<br />

idque municipibus nostris fuit gratum. (Cic., Att. 9.19.1) « Comme je me tiens à l’écart de Rome, c’est à<br />

Arpinum, de préférence à tout autre endroit, que j’ai remis à mon cher fils sa toge blanche, et mes<br />

compatriotes m’en ont su gré. » Le fait d’avoir donné au fils la toge est repris à l’aide de id ; à noter<br />

également l’emploi de potissimum, particule focalisante. Dans une lettre précédente, nous lisons : uolo<br />

Ciceroni meo togam puram dare, istic puto. (Cic., Att. 9.17.1) « Je veux donner à mon cher fils sa toge<br />

blanche, là où tu te trouves, je pense. »<br />

30


Chapitre II<br />

LE TOPIQUE<br />

1. Introduction<br />

Le topique 1 en tant qu’entité dont on parle a été présenté, d’un point de vue<br />

théorique, dans le chapitre premier (§ 2.1 et 4.1). Dans ce chapitre, il convient d’aborder<br />

la question de son fonctionnement dans notre corpus, plus particulièrement dans la<br />

prose historique. On examinera le futur topique (§ 2), l’introduction et la réintroduction<br />

de nouveaux personnages ainsi que d’entités inanimées. Le sub-topique et le topique<br />

contrastif feront l’objet des sections suivantes (§ 3 et 4). Le topique va souvent de pair<br />

avec le sujet de la phrase. Ainsi, nous nous concentrerons sur l’expression du sujet (§ 5)<br />

et examinerons les chaînes référentielles, le maintien du sujet et le changement du sujet.<br />

Enfin, la place des noms Iugurtha et Caesar, protagonistes centraux de la Guerre de<br />

Jugurtha et de la Guerre civile respectivement, sera étudiée dans la section 5.4. Cet<br />

examen aboutira aux considérations relatives au placement du topique du discours, du<br />

topique de la phrase et des circonstants.<br />

En prenant comme point de départ les remarques faites par H. Pinkster sur le<br />

topique (1995 : 222 sqq.), nous nous référerons également aux articles de J. de Jong<br />

(1989) et de M. Bolkestein et M. van de Grift (1994), qui ont étudié certains aspects de<br />

cette matière, en particulier l’expression du sujet.<br />

2. Le futur topique<br />

2.1. Introduction de nouveaux personnages<br />

Afin d’examiner le traitement des entités nouvellement introduites dans le<br />

discours narratif, nous nous concentrerons d’abord sur les entités animées, humaines,<br />

puis, sur les entités inanimées. La prose historique de Salluste (la Guerre de Jugurtha)<br />

et de César (la Guerre civile) se distingue par de nombreux épisodes, changements de<br />

scènes ainsi que par un nombre important de personnages que l’auteur doit introduire et<br />

présenter, ou réintroduire dans le récit après un certain temps. Les personnages ont<br />

toutefois des statuts différents et leur accessibilité varie. Les protagonistes comme César<br />

ou Pompeius, supposés connus de tous, ne nécessitent pas de présentations spécifiques<br />

et peuvent être mentionnés directement sans plus de développement 2 ; en revanche,<br />

l’entrée sur la scène des autres personnages, même principaux, est accompagnée de<br />

certains faits linguistiques. D’abord, les noms désignant de nouveaux acteurs sont<br />

accompagnés d’un développement, généralement d’une apposition ou d’une relative 3 .<br />

Ensuite, certains personnages sont introduits à l’aide d’une phrase présentative.<br />

Sans vouloir prétendre à proposer une typologie de personnages dans la prose<br />

historique, nous avons observé que lors de la première mention d’un personnage qui<br />

jouera un rôle important et qui n’est probablement pas complètement inconnu du<br />

1<br />

Pour la définition de ce terme emprunté à la grammaire fonctionnelle (S. C. Dik), voir le chapitre<br />

précédent, § 2.1, et l’introduction, note 9.<br />

2<br />

Par exemple, C. Caesaris et Pompeio (Caes., Ciu. 1.1.1).<br />

3<br />

Cf. Bellum scripturus sum, quod populus Romanus cum Iugurtha rege Numidarum gessit… (Sall., Iug.<br />

5.1) « Je me propose d’écrire la guerre que le peuple romain fit au roi des Numides, Jugurtha… »<br />

31


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

destinataire, Salluste et César spécifient sa fonction, par exemple : C. Marius legatus<br />

(Sall., Iug. 46.7) « son lieu-tenant G. Marius » ; Afranius et Petreius et Varro, legati<br />

Pompei (Caes., Ciu. 1.38.1) « Afranius, Pétréius et Varron, légats de Pompée » ; L.<br />

Sulla quaestor (Sall., Iug. 95.1) « le questeur L. Sulla » ; L. Lentulus consul (Caes., Ciu.<br />

1.1.1) « le consul L. Lentulus » ou M. Antonius, Q. Cassius, tribuni plebis (Caes., Ciu.<br />

1.2.8) « les tribuns de la plèbe, Marc-Antoine et C. Cassius ». On remarquera que le<br />

nom propre est accompagné du praenomen et que le nom indiquant la fonction est<br />

postposé 4 . De même, la mission peut être spécifiée par une relative : L. Staberius, qui<br />

ibi praeerat « L. Staberius, qui commandait la place » (Caes., Ciu. 3.12.1). Le nom<br />

complet est introduit lors de la première mention des personnages secondaires ou<br />

épisodiques, par exemple : M. Marcellus et L. Calidius (Caes., Ciu. 1.2.2 et 1.2.3), mais<br />

lors d’une seconde mention, le praenomen est généralement omis (cf. sententiam Calidi<br />

et Marcellus en 1.2.5).<br />

Afin d’introduire un nouvel acteur, les auteurs ont recours à des phrases<br />

présentatives comportant le verbe esse (erat « il y avait ») ou similaire (agebat « se<br />

trouvait »), ou un verbe signifiant « venir, apparaître » (voir Hannay, 1985 et 1991 :<br />

144 ; S. C. Dik, 1997, I : 315-318 ; Pinkster, 1995 : 237-238 et Rosén 1998) 5 .<br />

L’examen des futurs topiques dans notre corpus nous a fourni les données<br />

suivantes : chez César, on relève 11 personnages et chez Salluste 15 personnages traités<br />

comme un futur topique. Dans 14 cas (54 %), ils sont placés à une place initiale (après<br />

connecteur, topique, expression du cadre), dans 10 cas (38 %), à la place finale où ils<br />

peuvent être suivis d’une apposition (cf. exemple 1) ou d’une relative. Deux<br />

occurrences apparaissent dans des subordonnées. Les personnages sont associés au<br />

verbe sum (5 occ.), (per)uenio (4 occ.), profugio (2 occ.), inuenio, habeo, obtineo, ago,<br />

parmi d’autres. Les exemples cités ci-dessous nous montreront que les entités occupent<br />

une place à droite en particulier dans le cas des phrases comportant le verbe sum. Avec<br />

un verbe sémantiquement plus fort, même avec uenio (cf. exemple 3), la nouvelle entité<br />

peut être placée à l’initiale. La continuation anaphorique s’effectue à l’aide d’un<br />

pronom anaphorique (20 occ.) ou d’un nom propre (6 occ.) 6 . Voici trois exemples<br />

typiques :<br />

(1) Erat ea tempestate Romae Numida quidam nomine Massiua, Gulussae filius,<br />

Masinissae nepos, qui… profugus ex patria abierat. Huic Sp. Albinus…<br />

persuadet… (Sall., Iug. 35.1-2)<br />

« Il y avait à ce moment à Rome un Numide nommé Massiva, fils de Gulussa,<br />

petit-fils de Masinissa, qui... avait fui sa patrie. Sp. Albinus… lui persuade<br />

de… »<br />

(2) Ibi cum Boccho Numida quidam Aspar nomine multum et familiariter agebat,<br />

praemissus ab Iugurtha… Quem Bocchus… mittit… (Sall., Iug. 108.1)<br />

« Là, auprès de Bocchus, se trouvait un Numide nommé Aspar, vivant dans une<br />

extrême intimité avec lui ; Jugurtha l’avait dépêché... Bocchus envoie Aspar… »<br />

4 En revanche, une fois la fonction spécifiée, un rappel peut avoir lieu avec l’antéposition de la fonction,<br />

cf. L. Roscius praetor (Caes., Ciu. 1.3.6) « le préteur L. Roscius » mais seulement praetor Roscius par la<br />

suite (1.8.4). En revanche, rex précède toujours le nom propre : rex Bocchus (Sall., Iug. 19.7) « le roi<br />

Bocchus ».<br />

5 Voir chapitre X, La phrase déclarative, § 7.1.<br />

6 Les moyens de reprise ne sont pas utilisés de la même manière chez les deux auteurs : Salluste se sert de<br />

qui (4 occ.), de is (4 occ.), de hic (1 occ.), de noms propres (6 occ.), alors que César de qui (2 occ.), de is<br />

(2 occ.) et de hic (7 occ.).<br />

32


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

(3) (Caesar) Cognita militum uoluntate Ariminum cum ea legione proficiscitur… Eo<br />

L. Caesar adulescens uenit cuius pater Caesaris erat legatus. Is reliquo sermone<br />

confecto, cuius rei causa uenerat… demonstrat. (Caes., Ciu. 1.8.1-2)<br />

« Assuré des dispositions de ses soldats, César part avec cette légion pour<br />

Ariminum... Là, vient le jeune L. César, dont le père était légat de César. Après<br />

avoir exposé les motifs qui l’amènent, il annonce... »<br />

Ces phrases présentatives nous montrent l’introduction de nouveaux<br />

personnages dans le discours. S’il s’agit de quelqu’un qui est entièrement inaccessible<br />

au lecteur, plus particulièrement du côté des Numides, Salluste utilise une expression<br />

explicitement indéterminée (Numida quidam) Ŕ voir Rosén (1998). Des appositions ou<br />

des relatives spécifient la naissance du personnage (1), son appartenance ou éclairent<br />

son rapport avec un autre protagoniste (2 et 3).<br />

Les phrases présentatives répondant à la question quis ? ; Massiua, Aspar et L.<br />

Caesar représentent l’élément nouveau (voir Hannay, 1991 : 138, Bolkestein, 1998a :<br />

195 ; <strong>Spevak</strong>, à paraître, b). Ils n’ont pas de rapport avec le contexte d’avant, mais ils en<br />

ont avec le contexte d’après : ils deviendront le topique dans la phrase subséquente, on<br />

parlera d’eux par la suite.<br />

Les entités nouvellement introduites dans le discours sont nommées « futurs<br />

topiques » par la grammaire fonctionnelle 7 . Malgré ce nom, leur caractère n’est pas<br />

topical, mais focal Ŕ ces éléments sont porteurs du focus (voir Hannay, 1991 : 138) 8 .<br />

Dans de nombreuses langues, les futurs topiques se distinguent par le fait qu’ils<br />

occupent la position finale ou tout au moins une place à droite de la phrase et qu’ils sont<br />

repris aux moyens d’anaphores plus ou moins fortes.<br />

L’examen des exemples précités confirme les tendances observées par H. Rosén<br />

à propos de la phrase présentative (1998) : les futurs topiques peuvent occuper la place<br />

finale, absolue ou non absolue (lorsqu’ils sont suivis par des appositions ou des relatives<br />

dont l’antéposition serait exclue) mais également une place (proche de) à l’initiale. En<br />

effet, en (2), Numida quidam Aspar est placé après ibi et cum Boccho, constituants de<br />

caractère topical, et en (3), L. Caesar figure après le topique eo. En ce qui concerne les<br />

continuations, nous observons que les futurs topiques sont repris à l’aide de pronoms<br />

anaphoriques, huic, quem et is respectivement. En comparaison avec d’autres langues 9 ,<br />

le latin montre ainsi, d’une part, une liberté de placement plus grande, d’autre part, une<br />

continuation anaphorique plus forte Ŕ à l’aide de pronoms anaphoriques. En effet, le<br />

latin évite l’anaphore zéro dans le cas d’entités non encore établies dans le discours (de<br />

Jong, 1989 : 532). Or il est possible d’utiliser un moyen de rappel plus fort, telle la<br />

reprise par le nom propre, pour éviter des ambiguïtés. Dans l’exemple suivant, un is<br />

pourrait très bien se rencontrer :<br />

(4) (Iugurtha) Bomilcari, proximo ac maxime fido sibi, imperat pretio…<br />

insidiatores Massiuae paret… Bomilcar mature regis mandata exequitur. (Sall.,<br />

Iug. 35.4-5)<br />

7 En suivant la suggestion faite par M. Bolkestein (2000), nous préférons le nom de futur topique à celui<br />

de nouveau topique, utilisé par S. C. Dik (1997).<br />

8 Ce n’est donc pas le verbe mais l’entité qui porte le focus. Pour le verbe à l’initiale, voir <strong>Spevak</strong> (2004).<br />

Cf. également H. Dik (1995 : 221 sqq.) qui considère le verbe être dans les phrases présentatives comme<br />

topical.<br />

9 Le tchèque, par exemple.<br />

33


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

« Jugurtha donna l’ordre à Bomilcar, son ami le plus intime et le plus dévoué, de<br />

soudoyer à prix d’argent des hommes pour tendre une embuscade à Massiva…<br />

Bomilcar exécute promptement les ordres du roi. »<br />

Cependant, la délimitation des phrases présentatives pose des difficultés car les<br />

verbes associables au type ‘être’ ou ‘apparaître’ ne constituent pas un groupe homogène<br />

(cf. Firbas, 1992 : 60). Le phénomène du futur topique semble ne pas se limiter aux<br />

phrases présentatives : la même stratégie, qui met en œuvre les mêmes moyens<br />

(nouvelle entité, reprise par un pronom anaphorique) et qui aboutit à la constitution d’un<br />

topique, se rencontre dans le cas d’autres verbes. Par exemple l’introduction de Scaurus,<br />

associée au verbe censeo :<br />

(5) At contra pauci… Hiempsalis mortem seuere uindicandam censebant, sed ex<br />

omnibus maxime Aemilius Scaurus, homo nobilis impiger factiosus… Is<br />

postquam uidet… (Sall., Iug. 15.4-5)<br />

« En revanche, la minorité... considérait qu’il fallait venger sévèrement la mort<br />

de Hiempsal ; le plus intransigeant de tous était M. Aemilius Scaurus,<br />

personnage de naissance noble, entreprenant, intrigant… Après avoir vu..., il... »<br />

Toutefois, il serait erroné d’essayer d’établir une équation entre la première<br />

mention d’un personnage et sa fonction pragmatique de futur topique. En effet, il est<br />

tout à fait possible de rencontrer des passages où apparaît pour la première fois un<br />

personnage, autrement inconnu, qui ne jouera pas un rôle important par la suite mais<br />

restera secondaire et épisodique. Un exemple typique est donné en (6) ; l’astérisque (*)<br />

signifie l’anaphore zéro :<br />

(6) Qua in fuga Fabius Pelignus quidam ex infimis ordinibus de exercitu<br />

Curionis… magna uoce Varum nomine appellans requirebat… Vbi ille saepius<br />

appellatus aspexit ac… quaesiuit, umerum apertum gladio *appetit… (Caes.,<br />

Ciu. 2.35.1-2)<br />

« Pendant cette déroute, un certain Pélignien nommé Fabius, un des derniers<br />

centurions de l’armée de Curion… cherchait Varus en l’appelant par son nom<br />

d’une voix forte... Celui-ci (Varus), entendant ainsi répéter son nom, regarda<br />

et… lui demanda… ; l’autre (Fabius) frappa de son épée l’épaule découverte de<br />

Varus … »<br />

Cet épisode nous dit ce qui s’est passé pendant la déroute (qua in fuga). Si Varus<br />

est un personnage bien établi dans le discours, Fabius Pelignus est nouveau (à noter<br />

quidam indéfini). Or, il n’est pas présenté d’une manière spécifique, mais est<br />

mentionné, pour ainsi dire, directement. L’action qui lui est attribuée (requirebat<br />

« réclamait ») ne relève pas d’un caractère présentatif, sémantiquement faible, comme<br />

les verbes cités en (1-3), mais son sémantisme est fort. Fabius Pelignus… requirebat est<br />

à considérer comme une information complexe, condensée. Si l’on compare avec (2,<br />

cité ci-dessus), cette phrase pourrait très bien être formulée à l’aide de deux phrases (cf.<br />

H. Dik, 1995 : 26) : « Dans l’armée de Curion, il y avait un Pélignien nommé Fabius. Il<br />

se mit à réclamer… ». On comprend alors pourquoi l’anaphore zéro est admise (appetit)<br />

dans la phrase subséquente. Les phrases de ce type peuvent être dépourvues de topique<br />

34


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

et présenter des informations entièrement nouvelles, ou avoir un ancrage topical (qua in<br />

fuga) 10 .<br />

2.2. Réintroduction des personnages<br />

Les personnages qui ont déjà été introduits dans le discours et y ont joué un rôle<br />

peuvent disparaître de la scène pour un temps plus ou moins long. S’il s’agit d’un<br />

protagoniste comme Jugurtha ou Marius, il n’est pas nécessaire de procéder à des<br />

rappels de leur identité Ŕ il suffit de les nommer par leurs noms propres (Jugurtha,<br />

Marius) ou par un nom générique (Numida « le Numide », consul « le consul »).<br />

Les personnages moins bien établis et, de ce fait, moins accessibles au<br />

destinataire, peuvent être, en particulier après une longue absence, réintroduits à l’instar<br />

des futurs topiques. Ils apparaissent alors dans des phrases de type présentatif ou<br />

assimilables et sont repris par des anaphoriques. Afin d’assurer une meilleure connexion<br />

avec ce qui a été dit auparavant, on rencontre des explications sous la forme des<br />

propositions relatives (7) ou même des formules de rappel explicites : « comme on l’a<br />

vu plus haut » (8).<br />

(7) (Metellus) Igitur Bomilcarem, qui Romae cum Iugurtha fuerat…, multis<br />

pollicitationibus aggreditur… Is… Iugurtham… accedit. (Sall., Iug. 61.4 Ŕ 62.1)<br />

« Métellus entreprend alors par maintes promesses Bomilcar, qui avait été à<br />

Rome avec Jugurtha… Bomilcar va trouver Jugurtha... »<br />

(8) Erat in exercitu Vari Sextus Quintilius Varus, quem fuisse Corfinii supra<br />

demonstratum est. Hic dimissus a Caesare in Africam uenerat… (Caes., Ciu.<br />

2.28.1-2)<br />

« Dans l’armée de Varus, il y avait Sextus Quintilius Varus, qui s’était trouvé à<br />

Corfinium, comme on l’a vu plus haut. Ayant été libéré par César, il était venu<br />

en Afrique… »<br />

Bomilcar aussi bien que Varus sont réintroduits dans le discours après une<br />

longue période (cf. Iug. 52.5 et Ciu. 1.23.2 ; cependant, la relative renvoie au 1.35), les<br />

deux sont traités comme des futurs topiques avec une continuation par hic et is<br />

anaphoriques. On notera leurs positions à l’initiale et à la fin de la phrase. En revanche,<br />

les topiques établis dans le discours sont maintenus par la suite au moyen de l’anaphore<br />

zéro et se positionnent à l’initiale, lorsqu’ils marquent un changement de topique (9).<br />

(9) Per idem tempus Bomilcar… die noctuque fatigare animum. Denique omnia<br />

temptando socium sibi *adiungit Nabdalsam… (Sall., Iug. 70.1-2)<br />

« Au même moment, Bomilcar… n’avait jour et nuit d’autre pensée en tête. En<br />

usant de tous les moyens, il finit par s’adjoindre Nabdalsa… » (trad. C.U.F.)<br />

2.3. Introduction des entités inanimées<br />

Si la Guerre de Jugurtha se déroule dans des localités peu connues en Afrique,<br />

que l’auteur doit présenter, les noms géographiques qui constituent le cadre de la<br />

Guerre civile de César ne nécessitent pas souvent une ample introduction. Lors des<br />

premières mentions chez les deux auteurs, les noms propres supposés inconnus sont<br />

accompagnés de noms génériques : oppidum « ville », flumen « fleuve » (cf. exemples<br />

10, 12 et 13), qui représentent des épithètes nominales ou des appositions. Un exemple<br />

typique est donné en (10). Des événements peuvent se dérouler dans une localité<br />

10 Cf. également Iisdem temporibus M. Caelius Rufus praetor… sellam collocauit… (Caes., Ciu. 3.20.1)<br />

« À la même époque, M. Célius Rufus… installa son tribunal… ».<br />

35


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

désignée seulement par le nom générique, telle uallis « vallée » (11). En comparaison<br />

avec les personnages, les localités nouvellement introduites dans le discours ont une vie<br />

plus courte : en effet, elles représentent seulement le cadre pour des événements.<br />

(10) Erat haud longe ab eo itinere, quo Metellus pergebat, oppidum Numidarum<br />

nomine Vaga, forum rerum uenalium totius regni maxime celebratum… Huc<br />

consul, praesidium imposuit. (Sall., Iug. 47.1-2)<br />

« Il y avait non loin de la route que suivait Métellus une ville numide nommée<br />

Vaga ; c’était le marché le plus important de tout le royaume… Le consul… y<br />

établit une garnison… » (trad. C.U.F.)<br />

(11) Erat uallis inter duas acies, ut supra demonstratum est, non ita magna, at<br />

difficili et arduo ascensu. Hanc uterque, si aduersariorum copiae transire<br />

conarentur, exspectabat… (Caes., Ciu. 2.34.1)<br />

« Entre les deux armées, il y avait une vallée, comme on l’a dit plus haut, qui<br />

n’était pas très large, mais avait une pente escarpée et difficile à gravir. Chacun<br />

attendait que les troupes adverses entreprennent la traversée. »<br />

Les entités inanimées sont introduites Ŕ ou réintroduites 11 Ŕ dans le récit au<br />

moyen d’une phrase présentative (« il y avait »), comme le montrent les exemples<br />

précités, et occupent non seulement la place finale (10) mais aussi une place initiale<br />

(11). Or, des entités nouvellement introduites peuvent également représenter la<br />

destination et être associées à un verbe de mouvement, tel peruenire « arriver », mittere<br />

« envoyer » ou similaire, par exemple :<br />

(12) (Aulus...) magnisque itineribus hieme aspera peruenit ad oppidum Suthul, ubi<br />

regis thesauri erant. Quod… neque capi neque obsideri poterat… (Sall., Iug.<br />

37.3-4)<br />

« (Aulus...) par de longues marches, malgré la rigueur de la saison, gagne la<br />

place de Suthul, où se trouvaient les trésors royaux. Il ne pouvait ni en faire<br />

l’assaut, ni en faire le siège… »<br />

(13) (Afranius Petreiusque) …naues conquiri et Octogesam adduci iubent. Id erat<br />

oppidum positum ad Hiberum miliaque passuum a castris aberat XXX. Ad eum<br />

locum fluminis nauibus iunctis pontem imperant fieri… (Caes., Ciu. 1.61.5)<br />

« (Afranius et Pétréius) …réquisitionnent… les navires, et les font rassembler à<br />

Octogésa. Cette ville était située sur l’Èbre, à trente milles pas du camp. À ce<br />

point du fleuve, ils font construire un pont de bateaux… »<br />

Le corpus de la prose historique nous a permis de relever 7 et 6 localités traitées<br />

comme un futur topique, chez César et Salluste respectivement. À la différence de la<br />

place occupée par les personnages nouvellement introduits (cf. ci-dessus, § 2.1), les<br />

localités sont placées à une place initiale dans 2 cas seulement (cf. exemple 11), mais<br />

dans 10 cas (77 %), elles occupent la place finale, y compris préverbale. Une occurrence<br />

apparaît dans une subordonnée. Les localités sont introduites à l’aide d’un sum (7 occ.)<br />

ou d’un peruenio (2 occ.) ou encore confero, adpello… La position à droite de la phrase<br />

se confirme en particulier dans le cas de phrases comportant le verbe sum, sans que ce<br />

soit de règle Ŕ voir l’exemple (11), cité ci-dessus. La continuation anaphorique<br />

s’effectue à l’aide d’un adverbe anaphorique tels huc, ibi, eo… (5 occ.), d’un pronom<br />

anaphorique, par exemple hanc (4 occ.) ou d’un syntagme nominal de type ad eum<br />

11 L’exemple (11) reprend l’information donnée plus haut (Caes., Ciu. 2.27.4).<br />

36


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

locum « à cet endroit » (4 occ.) comportant un anaphorique accompagné d’un nom<br />

générique.<br />

Les futurs topiques que nous avons essayés de présenter se distinguent par le fait<br />

qu’ils sont entièrement nouveaux ou traités comme tels. Comme on le verra plus loin, la<br />

continuation anaphorique n’est pas exclusive des futurs topiques Ŕ ils partagent cette<br />

propriété avec d’autres constituants fonctionnant comme focus.<br />

3. Le sub-topique<br />

Il est possible de déduire un topique à partir d’un terme mentionné auparavant.<br />

Dans ce cas, nous parlons du sub-topique. Par exemple, on peut aisément déduire<br />

oppidani « les habitants » de ad Thalam « devant Thala », définie comme une grande<br />

cité (oppidum magnum) au début d’un même paragraphe. Le constituant oppidani est<br />

donc accessible au lecteur. Les sub-topiques se positionnent à l’initiale de la phrase.<br />

(14) (Milites) Deinde postero die contra opinionem Iugurthae ad Thalam perueniunt.<br />

Oppidani… nihilo segnius bellum parare. (Sall., Iug. 75.9-10)<br />

« Et le lendemain, contrairement à l’opinion de Jugurtha, les soldats arrivent à<br />

Thala. Les habitants... se préparèrent néanmoins à bien combattre. »<br />

L’exemple (15), emprunté à César, quoique relevant d’une construction non<br />

soutenue, montre bien le caractère topical du sub-topique. L’anaphorique ab iis reprend<br />

les habitants déduits à partir du nom de la ville (Massiliam) 12 :<br />

(15) Haec dum inter eos aguntur, Domitius nauibus Massiliam peruenit atque ab eis<br />

receptus urbi praeficitur. (Caes., Ciu. 1.36.1)<br />

« Tandis qu’ont lieu ces négociations, Domitius arrive à Marseille avec sa<br />

flotte et, reçu par les habitants, il est mis à la tête de la cité. »<br />

Un terme peut impliquer plusieurs sub-topiques, qui sont développés<br />

successivement. Pour donner un exemple, decem legati en (16) constitue une délégation<br />

qui, normalement, a un chef. Ainsi, princeps et reliquos legatos représentent des subtopiques<br />

:<br />

(16) Decretum fit, uti decem legati regnum, quod Micipsa obtinuerat, inter Iugurtham<br />

et Adherbalem diuiderent. Cuius legationis princeps fuit L. Opimius… Eum<br />

Iugurtha… tamen accuratissime recepit... Reliquos legatos eadem uia aggressus<br />

plerosque capit… (Sall., Iug. 16.2-4)<br />

« On décréta que dix députés partageraient entre Jugurtha et Adherbal le<br />

royaume que Micipsa avait obtenu. Le chef de cette délégation était L.<br />

Opimius… Jugurtha... le reçut pourtant très formellement. Usant de la même<br />

méthode avec les autres délégués, il entreprend la plupart d’entre eux. »<br />

4. Le topique contrastif<br />

Le topique contrastif n’est pas un type spécifique de topique, mais un topique<br />

qui figure dans une structure de contraste. Par contraste, nous entendons une<br />

confrontation de deux termes qui peut concerner des constituants porteurs de fonctions<br />

pragmatiques (cf. chapitre VI, Le focus, § 4). En effet, un topique repris ou un subtopique<br />

peuvent y figurer. Les exemples suivants l’illustrent bien :<br />

12 Cf. Kühner et Stegmann (1914, I : 29) qui mentionnent cet exemple à propos de la constructio ad<br />

sensum : le pronom au pluriel subit un accord avec une expression collective (sic) précédente.<br />

37


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

(17) Sed consul, ubi ea res bene euenit, ad alia oppida pergit, pauca repugnantibus<br />

Numidis capit, plura deserta propter Capsensium miserias igni corrumpit. (Sall.,<br />

Iug. 92.3)<br />

« Mais le consul, après ce succès, marcha sur d’autres villes : il n’en prit qu’un<br />

petit nombre, à cause de la résistance des Numides ; il livre aux flammes la<br />

plupart d’entre elles, abandonnées à la suite du désastre de Capsa. »<br />

(18) Haec eodem fere tempore Caesar atque Pompeius cognoscunt… eodemque die<br />

uterque eorum ex castris statiuis a flumine Apso exercitum educunt : Pompeius<br />

clam et noctu, Caesar palam atque interdiu. (Caes., Ciu. 3.30.1-3)<br />

« César et Pompée apprennent ces événements presque au même moment… Le<br />

même jour, chacun d’eux fait sortir ses troupes des camps fixes au bord de<br />

l’Apsus : Pompée secrètement et de nuit, César ouvertement et en plein jour. »<br />

Le premier exemple (17) montre deux sub-topiques déductibles de alia<br />

oppida « d’autres villes » : pauca (« un petit nombre ») et plura (« la plupart »), mis en<br />

contraste et figurant à l’initiale des propositions. Le second exemple (18) est emprunté à<br />

un passage où César confronte les actions de Caesar et de Pompeius, fonctionnant<br />

comme les topiques du discours. Plutôt que déduits à partir de uterque, Pompeius et<br />

Caesar représentent des topiques donnés mis en contraste. En outre, on remarquera que<br />

les modalités de l’action des deux protagonistes (clam et noctu et palam atque interdiu<br />

« secrètement et de nuit » et « ouvertement et en plein jour ») représentent les éléments<br />

saillants Ŕ les focus, également en contraste 13 .<br />

Le contraste peut concerner le topique aussi bien que le focus. En outre, on peut<br />

aussi bien rencontrer des structures combinées, par exemple :<br />

(19) Itaque ipse (Metellus) cum expeditis cohortibus, item funditorum et<br />

sagittariorum delecta manu apud primos erat, in postremo C. Marius legatus<br />

cum equitibus curabat. (Sall., Iug. 46.7)<br />

« Aussi se tenait-il (Métellus) lui-même au premier rang avec des troupes<br />

légères, et l’élite des frondeurs et des archers ; son lieutenant C. Marius, à la tête<br />

de la cavalerie, surveillait l’arrière. »<br />

Salluste parle ici de la distribution du commandement des troupes : le pronom<br />

ipse renvoie à Métellus, topique bien établi dans le passage. L’avant-garde (apud<br />

primos) qui lui a été attribuée peut être retenue comme l’élément le plus informatif dans<br />

cette proposition. En revanche, l’arrière-garde (in postremo) est accessible car elle<br />

découle logiquement de l’avant-garde. Topical, ce constituant est placé à l’initiale de la<br />

proposition et est suivi par l’élément le plus informatif : C. Marius. Les propositions<br />

répondent à deux questions différentes : « où Métellus se tenait-il ? » et « qui<br />

commandait l’arrière-garde ? ». Cette interprétation se justifie par le fait qu’à cet<br />

endroit, Salluste nomme Gaius Marius pour la première fois.<br />

Les contrastes concernant les topiques, que nous venons de présenter, se<br />

produisent au sein d’une phrase complexe. Cependant, les auteurs de la prose historique,<br />

dont la tâche est de décrire essentiellement un conflit entre deux partis, se concentrent<br />

tantôt sur un côté, tantôt sur l’autre. Il est donc tout à fait envisageable de considérer les<br />

topiques exemplifiés en (20) comme une mise en contraste au niveau supérieur à la<br />

phrase Ŕ au niveau discursif :<br />

13 Dans l’exemple (17), les actions du consul ont également un caractère focal, il s’agit ici d’une<br />

information complexe (voir le chapitre premier, § 8, exemples (48) et (49), et le chapitre VI, Le focus, §<br />

2).<br />

38


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

(20) Interim Albinus renouato bello commeatum, stipendium aliaque, quae militibus<br />

usui forent, maturat in Africam portare… At contra Iugurtha trahere omnia…<br />

(Sall., Iug. 36.1-2)<br />

« Cependant, après la reprise des opérations militaires, Albinus se hâte de faire<br />

transporter en Afrique approvisionnement, solde, et tout ce qu’il faut à une<br />

armée… Jugurtha, au contraire, faisait traîner les choses en longueur… »<br />

Le contraste qui affecte les topiques repris, Albinus et Iugurtha, concerne la<br />

situation du côté des Romains et des Numides respectivement. Leur place est à l’initiale,<br />

absolue ou non absolue après un connecteur ou un constituant indiquant le cadre. Des<br />

connecteurs adversatifs (at…) 14 et continuatifs (interim « entre-temps »...) se<br />

rencontrent fréquemment. La mention d’une entité déjà établie dans le discours<br />

(Albinus, Iugurtha) va de pair avec le changement de topique/sujet, question qui sera<br />

plus amplement développée plus loin (voir § 5.3). Notons au passage que la place<br />

initiale est la place privilégiée des topiques repris, marquant un changement de topique<br />

et/ou contrastant avec un autre personnage. La structure de la phrase y est adaptée, par<br />

exemple Bomilcar en tête, suivi d’une relative rappelant les faits présentés récemment<br />

(au 49.1), repris par eum dans la subordonnée de temps avec la mention d’un autre<br />

personnage :<br />

(21) Interea Bomilcar, quem elephantis et parti copiarum pedestrium praefectum ab<br />

Iugurtha supra diximus, ubi eum Rutilius praetergressus est, paulatim suos in<br />

aequum locum deducit… (Sall., Iug. 52.5)<br />

« Cependant Bomilcar, mis, comme nous l’avons dit, par Jugurtha à la tête des<br />

éléphants et d’une partie de l’infanterie, dès que Rutilius l’eut dépassé, fait<br />

descendre au petit pas ses troupes dans la plaine… »<br />

5. L’expression du sujet<br />

5.1. Les chaînes référentielles<br />

Les sujets exprimant des entités animées, humaines, sont porteurs d’un degré<br />

élevé d’individuation (voir Hopper et Thompson, 1980 : 253, et Givón, 1983 : 22) et<br />

méritent, de ce fait, une attention particulière. Dans la prose historique de César et de<br />

Salluste, plusieurs personnages agissent sur la scène, des protagonistes aussi bien que<br />

des personnages secondaires, et contribuent, d’une manière décisive, au développement<br />

des événements. Avant d’attribuer des actions à un personnage, l’auteur doit d’abord<br />

l’introduire. Les façons de le faire sont variées (voir § 2), mais une fois introduit, un<br />

personnage est pris pour le topique du discours. Cela concerne tout particulièrement les<br />

protagonistes tel César ou Pompée dans la Guerre civile, et Jugurtha chez Salluste. Il est<br />

tout à fait possible d’introduire un nouveau protagoniste au cours du récit (par exemple<br />

Métellus, Marius, Sulla dans la Guerre de Jugurtha). Des personnages secondaires<br />

peuvent avoir une « vie » plus ou moins longue dans le récit ; quelquefois ils ne jouent<br />

qu’un rôle épisodique, puis disparaissent de la scène (Bomilcar, Cassius… chez<br />

Salluste ; Vibullius, Otacilius… chez César), ou sont réintroduits après un certain<br />

temps 15 .<br />

14 Pour l’emploi de at marquant un changement de topique, voir Orlandini (1995 : 90, et 1994 : 164).<br />

15 Ou même, certains personnages ne sont pas continués du tout, cf. Cn. Domitius : Hortatur Curionem<br />

Cn. Domitius, praefectus equitum, cum paucis equitibus circumsistens, ut fuga salutem petat atque in<br />

castra contendat, et se ab eo non discessurum pollicetur. (Caes., Ciu. 2.42).<br />

39


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

En nous concentrant sur l’expression du sujet, nous ne voulons ni établir une<br />

équation entre le sujet et le topique, ni essayer d’expliquer l’ordre des constituants dans<br />

les termes syntaxiques. En effet, un personnage déjà connu qui représentera le topique<br />

peut apparaître, par exemple, comme complément au datif d’une construction passive :<br />

(22) Interim Caesari nuntiatur Sulmonenses… cupere ea facere, quae uellet… Mittit<br />

eo M. Antonium cum legionis XIII cohortibus V. (Caes., Ciu. 1.18.1-2)<br />

« Pendant ce temps, on apprend à César que les habitants de Sulmone… ne<br />

demandaient qu’à obéir à ses ordres… César y envoie M. Antoine avec cinq<br />

cohortes de la XIII e légion. »<br />

Cependant, la reprise d’un topique déjà connu s’effectue le plus souvent à l’aide<br />

d’un nom ou d’un pronom au nominatif et des changements de topiques du discours<br />

vont souvent de pair avec des changements de sujets.<br />

On sait que les moyens référentiels utilisés dans le discours varient en degré :<br />

l’emploi d’un nom (propre ou générique) ou d’un syntagme nominal représente une<br />

expression plus forte que l’emploi d’un pronom ; l’anaphore zéro est le moyen de<br />

référence le plus faible (voir Givón 1983 : 6). Dans leur article consacré aux moyens<br />

utilisés pour reprendre un participant du discours, M. Bolkestein et M. van de Grift<br />

(1994) Ŕ cf. Orlandini (1995 : 87 sq.) Ŕ ont étudié la distribution de moyens de rappel<br />

utilisés pour les participants d’un discours, en particulier nom ou syntagme nominal,<br />

anaphore zéro, is, hic et ille. Ils ont montré que le choix de l’expression pour une<br />

référence continue varie en fonction de l’ordre de référence 16 . En effet, si l’on examine<br />

les occurrences des moyens de rappel selon qu’ils apparaissent pour la première, la<br />

deuxième ou tout autre référence au participant, on obtient cet aperçu (voir p. 290) :<br />

R1 première référence nom<br />

R2 deuxième référence is, hic et qui<br />

R3… autre référence anaphore zéro, ille<br />

Pour la première référence, un nom ou un syntagme nominal est généralement choisi ; is<br />

et hic sont fréquents pour la deuxième référence Ŕ nous ajouterions ici le relatif de<br />

liaison qui 17 ; l’anaphore zéro et ille s’utilisent pour tout autre rappel. Partant, on peut<br />

poser un modèle abstrait suivant :<br />

Schéma 1 : Modèle d’une chaîne référentielle<br />

Il y avait XY. > Is/hic/qui était/a fait > Ø/ille fait<br />

Ce modèle apparaît clairement dans les passages qui présentent l’introduction d’une<br />

nouvelle entité, tel L. Caesar. L’astérisque (*) indique l’anaphore zéro :<br />

(23) Eo L. Caesar1 adulescens uenit, cuius pater Caesaris erat legatus. Is2 reliquo<br />

sermone confecto, cuius rei causa uenerat, habere se a Pompeio ad eum priuati<br />

officii mandata demonstrat… (discours indirect). Pauca eiusdem generis *addit3<br />

cum excusatione Pompei coniuncta. (Caes., Ciu. 1.8.1-2)<br />

16 Pour plus de détails sur les critères concernant la distance référentielle, la persistance et l’ambiguïté,<br />

voir Bolkestein et van de Grift (1994 : 285 sqq.).<br />

17 Le relatif de liaison n’a pas été examiné dans l’article cité (1994) ; toutefois, il peut aisément être<br />

ajouté, suite à l’article de M. Bolkestein (2000 : 128 sq.) et à nos propres observations.<br />

40


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

« Là, vient le jeune L. César, dont le père était légat de César. Après avoir<br />

exposé les motifs qui l’amènent, il annonce qu’il était chargé par Pompée d’une<br />

mission particulière auprès de César... Il (L. César) ajoute quelques mots de ce<br />

genre, tendant à la justification de Pompée. »<br />

L. Caesar étant à cet endroit mentionné pour la première fois, l’expression du<br />

nom propre complet (R1 L. Caesar) est pleinement attendue. La deuxième référence<br />

(R2) à L. Caesar est effectuée à l’aide de is. Tous les cas que nous avons examinés 18<br />

nous permettent de souscrire à l’observation faite par J. de Jong (1989 : 532), qu’un<br />

futur topique est repris par un anaphorique (is, hic ou qui relatif de liaison) dans la<br />

phrase subséquente. Le latin manifeste ainsi l’impossibilité d’omettre le sujet<br />

coréférentiel avec un référent nouvellement introduit 19 . En revanche, le sujet nul ou<br />

anaphore zéro est admis dès la troisième référence (R3 addit). Il est possible de faire<br />

intervenir, entre R1 et R2 ou/et R2 et R3, un autre matériau, tel discours indirect ou<br />

remarques explicatives (marquées par enim, nam)… Ces unités n’exercent aucune<br />

interférence à l’identification du référent (cf. Pennell Ross, 1996 : 519).<br />

Bien que l’exemple donné en (23) concerne tout particulièrement un nouveau<br />

personnage qui apparaît sur la scène, le modèle présenté plus haut se réalise également<br />

dans le cas des entités pourvues de la fonction de focus. Un référent ne doit pas<br />

nécessairement être nouveau, comme ne l’est pas C. Marius en (24), déjà introduit dans<br />

le discours (46.7, C. Marius legatus), mais il est traité comme l’élément le plus<br />

informatif.<br />

(24) (Metellus) Igitur equitatum omnem ad castra propere misit ac statim C.<br />

Marium1 cum cohortibus sociorum, eum2que… obsecrat, ne… hostis inultos<br />

abire sinat. Ille3 breui mandata efficit. // At Iugurtha… (Sall., Iug. 58.5)<br />

« (Métellus) Il envoie donc promptement vers le camp toute sa cavalerie, puis<br />

aussitôt après C. Marius avec les cohortes des alliés, et le supplie… de ne pas<br />

laisser l’ennemi s’échapper impunément. Marius se conforme sans retard à ses<br />

instructions. // Jugurtha… »<br />

C. Marius 20 (R1) fait partie, ensemble avec equitatum omnem, du focus de la<br />

phrase, repris par eum (R2) à l’initiale de la proposition. Lors de la troisième référence,<br />

ille (R3) est choisi pour lever toute ambiguïté (cf. Bolkestein et van de Grift, 1994 :<br />

286), mais aussi pour contraster avec le topique précédent, Métellus. Marius pourrait<br />

être continué au moyen de l’anaphore zéro, mais un changement de topique se produit<br />

dans la phrase subséquente (At Iugurtha…). Il est intéressant de comparer cette<br />

distribution avec celle en (25) :<br />

(25) At Cassius praetor… ad Iugurtham1 proficiscitur ei2que… persuadet… ne…<br />

Priuatim praeterea fidem suam interponit, quam ille3 non minoris quam<br />

publicam ducebat : talis ea tempestate fama de Cassio erat. Igitur Iugurtha4…<br />

cum Cassio Romam uenit. (Sall., Iug. 32.5 Ŕ33.1)<br />

18 Is ajouté par les éditeurs dans : Erat eo tempore Antonius Brundisii; is uirtute militum confisus…<br />

(Caes., Ciu. 3.24.1) constituerait la seule exception.<br />

19 Il convient de mentionner que dans les mêmes conditions, l’anaphore zéro est exclue dans les langues<br />

slaves du groupe oriental (par exemple en russe), alors que le groupe occidental (polonais, tchèque…)<br />

l’admettent ; voir Siewierska et Uhlìřová (1998 : 106).<br />

20 À noter le praenomen ; Salluste l’introduit seulement à trois endroits (46.7, 58.5 et 63.1).<br />

41


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

« Le préteur Cassius se rend auprès de Jugurtha… et lui persuade de… En outre<br />

il lui engage sa propre foi qui, pour Jugurtha, ne valait pas moins que la garantie<br />

de l’État : si grande était alors la réputation de Cassius. Jugurtha donc… va avec<br />

Cassius à Rome. »<br />

Ici, les deux premières références (R1 et R2) suivent le même principe. Or, la<br />

troisième (R3), à l’aide de ille, ne marque pas un changement de sujet, mais un contraste<br />

avec Cassius. Jugurtha n’est promu au rang de sujet que lors de la quatrième référence<br />

(R4 Iugurtha), où le nom propre est répété pour des raisons de clarté ; étant<br />

explicitement mentionné, Cassius serait difficilement pris pour sujet (cum Cassio). Dans<br />

la quatrième référence, ille renvoyant à Jugurtha semble exclu Ŕ deux références à l’aide<br />

de ille au nominatif ne se succèdent jamais, ni pour un seul personnage, ni pour deux<br />

personnages différents.<br />

Un autre exemple pour l’illustrer :<br />

(26) At rex postero die Asparem1, Iugurthae legatum, appellat dicitque sibi per<br />

Dabarem ex Sulla cognitum posse condicionibus bellum poni... Ille2 laetus in<br />

castra Iugurthae proficiscitur. Deinde ab illo cuncta edoctus properato itinere<br />

post diem octauum *redit3 ad Bocchum et ei nuntiat… (Sall., Iug. 112.2)<br />

« Le lendemain, le roi convoque Aspar, l’envoyé de Jugurtha ; il lui dit que Sulla<br />

lui avait fait connaître par Dabar qu’il était possible de mettre fin à la guerre<br />

dans des conditions… Aspar, tout joyeux, part pour le camp de Jugurtha. Puis,<br />

après avoir pris toutes ses instructions, il revient, forçant sa marche, le huitième<br />

jour auprès de Bocchus et lui annonce que… »<br />

Cet exemple est emprunté au passage qui concerne des négociations entre le roi<br />

Bocchus et Sulla ; le Numide Aspar (introduit au 108.1) sert d’intermédiaire entre ces<br />

deux partis. La première référence (R1) à ce personnage, le focus de la proposition,<br />

nécessite un nom propre car Aspar n’a pas été récemment mentionné (dernièrement au<br />

109.1). Dans la proposition subséquente, on pourrait attendre qu’un anaphorique<br />

reprenne ce focus (ei dicit), plutôt qu’une ellipse ; son absence s’explique par le fait que<br />

les paroles de Bocchus ne sont pas destinées à Aspar, l’intermédiaire, mais à Sulla. La<br />

deuxième référence (R2) à Aspar est effectuée par ille au nominatif, qui signale en<br />

même temps un changement de sujet. Par la suite, le sujet est maintenu à l’aide de<br />

l’anaphore zéro (R3 redit).<br />

Encore un exemple pour l’illustration :<br />

(27) Erat in exercitu Vari Sextus Quintilius Varus1, quem fuisse Corfinii supra<br />

demonstratum est. Hic2 dimissus a Caesare in Africam uenerat, legionesque eas<br />

traduxerat Curio, quas superioribus temporibus Corfinio receperat Caesar…<br />

Hanc nactus appellationis causam Quintilius3 circuire aciem Curionis atque<br />

obsecrare milites coepit, ne… Huc pauca... *addidit4… (Caes., Ciu. 2.28.1-2)<br />

« Dans l’armée de Varus, il y avait Sextus Quintilius Varus, qui s’était trouvé à<br />

Corfinium, comme nous l’avons dit plus haut. Ayant été libéré par César, il était<br />

venu en Afrique. Or Curion avait amené avec lui ces mêmes légions qui s’étaient<br />

rendues à César, à Corfinium… Ayant trouvé là occasion de leur parler,<br />

Quintilius commence à parcourir la ligne de bataille de Curion et à conjurer les<br />

soldats de ne pas… Il ajouta quelques mots... »<br />

42


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

Sextus Quintilius Varus a déjà était présenté (1.23.2), la distance est toutefois<br />

considérable. Ainsi il est réintroduit comme un futur topique. La première mention (R1)<br />

comporte un nom complet. La deuxième référence (R2) s’effectue à l’aide de<br />

l’anaphorique hic, conformément à nos attentes. Or, il n’est pas surprenant de voir la<br />

troisième référence (R3) avec un renvoi fort mettant en œuvre le nom de Quintilius car<br />

d’autres sujets interviennent, Curion et César. L’anaphore zéro n’a sa place que par la<br />

suite (R4 addidit).<br />

Les exemples précités montrent donc clairement la stratégie de promouvoir un<br />

personnage nouvellement introduit ou réintroduit comme sujet. Après cet examen, il<br />

convient d’étudier de près les conditions dans lesquelles un sujet peut être maintenu et<br />

les cas de changements de sujet.<br />

5.2. Maintien d’un sujet<br />

Dans l’article que nous avons mentionné plus haut, M. Bolkestein et M. van de<br />

Grift (1994 : 293) ont examiné encore un autre point intéressant : le choix des moyens<br />

de rappel selon que le sujet est le même ou différent. Voici les échelles qu’ils ont<br />

proposées (x > y indique que x est plus fréquent que y) :<br />

Schéma 2 : Moyens référentiels et expression du sujet (d’après Bolkestein et van de<br />

Grift, 1994 : 293)<br />

Même sujet Ø > hic > is / ille > nom<br />

45 % 27 % 10 % 10 % 8 %<br />

Sujets différents nom > ille > Ø > hic > is<br />

37 % 31 % 14 % 11 % 7 %<br />

Si les sujets sont les mêmes, l’anaphore zéro est préférée (46 %) dans la phrase<br />

subséquente, l’anaphorique hic peut également apparaître (27 %). Si les sujets sont<br />

différents, les moyens les plus fréquents sont le nom ou le syntagme nominal (37 %) ou<br />

ille (31 %).<br />

Nous avons vu qu’une nouvelle entité devenant sujet de la phrase subséquente<br />

n’est normalement pas continuée à l’aide de l’anaphore zéro, mais au moyen d’un<br />

anaphorique (cf. l’exemple 29 pour is). En revanche, un sujet coréférentiel avec le sujet<br />

de la phrase (ou de la proposition) précédente est repris au moyen de l’anaphore zéro<br />

dans le cas d’un topique du discours déjà établi, et ce jusqu’à un changement signalé par<br />

un nom propre, un nom commun désignant des personnes ou un ille (cf. les exemples 24<br />

et 26, cités ci-dessus). Des phrases de type descriptif (renfermant souvent un imparfait)<br />

ou explicatif (marquées par enim, nam), des phrases avec un sujet abstrait (29, cf.<br />

également Caes., Ciu. 1.20.3), des constructions au passif (30), des discours indirects<br />

(cf. Caes., Ciu. 1.24-25) ou des sujets contenus dans des subordonnées n’ont aucune<br />

interférence avec un sujet maintenu.<br />

(28) Caesar1, ubi luxit, omnes senatores senatorumque liberos, tribunos militum<br />

equitesque Romanos ad se produci iubet. //Erant quinque ordinis L.<br />

Domitius, P. Lentulus Spinther…// Hos omnes productos a contumeliis militum<br />

conuiciisque *prohibet2. (Caes., Ciu. 1.23.1-3)<br />

« Dès le lever du jour, César fait venir devant lui tous les sénateurs, leurs<br />

enfants, les tribuns militaires et les chevaliers romains. // Il y avait cinq<br />

personnages de l’ordre sénatorial, L. Domitius, P. Lentulus Spinther…// Quand<br />

43


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

ils furent en sa présence, César les protège contre les outrages et les insultes des<br />

soldats. »<br />

(29) (Curio) …proelio rem committere *constituit. //Multum ad hanc rem probandam<br />

adiuuat adulescentia, magnitudo animi…// His rebus impulsus equitatum omnem<br />

prima nocte ad castra hostium *mittit ad flumen Bagradam… (Caes., Ciu.<br />

2.38.2-3)<br />

« Curion… décide de livrer bataille. //À cette décision contribuent largement sa<br />

jeunesse, son grand cœur…// Sous l’impulsion de ces sentiments, il envoie, dès<br />

le début de la nuit, toute la cavalerie au camp ennemi, situé au bord du<br />

Bagrada… »<br />

(30) …imperat militibus Caesar, ut naues faciant… Carinae ac prima statumina ex<br />

leui materia fiebant ; reliquum corpus nauium uiminibus contextum coriis<br />

integebatur. Has perfectas... *deuehit… (Caes., Ciu. 1.54.1-3)<br />

« César ordonne aux soldats de construire des bateaux... La quille et la<br />

membrure étaient faites de bois léger ; le reste du corps de ses bateaux, en osier<br />

tressé, était recouvert de cuir. Lorsqu’ils sont terminés, il les fait transporter... »<br />

Peu fréquemment, un ille apparaît là où le sujet pourrait être maintenu car<br />

aucune ambiguïté n’est permise. L’exemple (31) montre un autre sujet qui intervient,<br />

nonnulli, au pluriel par rapport à César. Toutefois, ille renvoyant à César est employé<br />

(avec une valeur laudative pour mettre en relief sa générosité) :<br />

(31) Caesar, qui milites aduersariorum in castra per tempus colloquii uenerant,<br />

summa diligentia conquiri et remitti iubet. Sed ex numero tribunorum militum<br />

centurionumque nonnulli sua uoluntate apud eum remanserunt. Quos ille postea<br />

magno in honore habuit. (Caes., Ciu. 1.77.1-2)<br />

« César fait rechercher avec grand soin et mettre en liberté les soldats ennemis<br />

qui étaient venus au camp pendant les négociations. Mais, parmi les tribuns et<br />

les centurions, quelques-uns, de leur propre volonté, restèrent près de lui. Plus<br />

tard, il les combla d’honneurs. » (trad. C.U.F.)<br />

5.3. Changement du sujet<br />

Dans la prose historique de notre corpus, un changement de sujet est<br />

généralement marqué et l’auteur emploie alors un nom propre (32), un nom commun<br />

désignant des personnes (rex « roi », imperator « empereur »…) ou ille/illi (33).<br />

(32) Per quos re cognita Caesar scalas parari militesque armari iubet, ne quam rei<br />

gerendae facultatem dimittat. Pompeius sub noctem naues soluit. (Caes., Ciu.<br />

1.28.2-3)<br />

« Mis par eux au courant, César fait réparer les échelles et alerter les troupes,<br />

pour ne pas laisser échapper l’occasion d’engager l’action. Pompée, à la nuit<br />

tombante, lève l’ancre. » (trad. C.U.F.)<br />

(33) Metellus… saucios cum cura reficit… Tamen interim transfugas et alios<br />

opportunos, Iugurtha ubi gentium aut quid agitaret… exploratum misit. At ille<br />

sese in loca saltuosa et natura munita receperat… (Sall., Iug. 54.1-3)<br />

« Métellus… fait soigneusement panser les blessés… Dans le même temps,<br />

néanmoins, il envoya des transfuges et d’autres gens qualifiés pour reconnaître<br />

la position et les desseins de Jugurtha… Le roi s’était retiré dans une région<br />

boisée et naturellement fortifiée… » (trad. C.U.F.)<br />

44


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

Il est possible Ŕ sans que cette possibilité soit fréquemment exploitée dans la<br />

prose historique (cf. Bolkestein et van de Grift, 1994 : 293) Ŕ de promouvoir un<br />

constituant exprimé dans la proposition qui précède au rang de sujet dans la proposition<br />

d’après 21 . Les auteurs y ont recours là où aucune ambiguïté ne peut se produire, par<br />

exemple lorsque les personnes ou le nombre sont différents. Comparons les exemples<br />

suivants :<br />

(34) (Curio) e captiuis quaerit, quis castris ad Bagradam praesit : *respondent<br />

Saburram. Reliqua studio itineris conficiendi quaerere praetermittit... (Caes.,<br />

Ciu. 2.39.1-2)<br />

« (Curion) demande aux prisonniers qui commande au camp du Bagrada : ils<br />

répondent Saburra. Il néglige de s’informer du reste, pressé d’achever sa<br />

marche... »<br />

(35) Interim Oscenses et Calagurritani… mittunt ad eum (Caesarem) legatos seseque<br />

imperata facturos pollicentur. Hos Tarraconenses… insequuntur. *Petit ab his<br />

omnibus, ut se frumento iuuent. Pollicentur… (Caes., Ciu. 1.60.1-3)<br />

« Pendant ce temps, les Oscenses et les Calagurritains… lui (à César) envoient<br />

des députés, promettant d’obéir à ses ordres. Les Tarraconnais… suivent leur<br />

exemple. Il leur demande à tous de lui venir en aide en lui fournissant du blé. Ils<br />

en promettent… »<br />

(36) Haec dum inter eos aguntur, Domitius nauibus Massiliam peruenit atque ab iis<br />

receptus urbi praeficitur ; summa ei belli administrandi permittitur. Eius<br />

imperio classem quoquo uersus *dimittunt… (Caes., Ciu. 1.36.1-2)<br />

« Tandis qu’ont lieu ces négociations, Domitius arrive à Marseille avec sa<br />

flotte et, reçu par les habitants, il est mis à la tête de la cité ; on lui donne<br />

conduite de la guerre. Sur ses ordres, ils expédient leur flotte dans toutes les<br />

directions. »<br />

Le verbe quaerit en (34) a pour sujet maintenu Curion ; on extrait le sujet de respondent<br />

Ŕ captiui Ŕ de la proposition précédente. Puis, praetermittit reprend le sujet maintenu,<br />

Curion. De même, petit (35) renvoie au topique du discours Ŕ César. Sans qu’un<br />

changement soit marqué, les sujets sont bien identifiables. On remarquera que petit et<br />

pollicentur sont à l’initiale, mis en contraste (ab his omnibus pourrait précéder petit). En<br />

(36), à partir de la destination Massiliam, on déduira le référent de ab iis Ŕ les<br />

Marseillais Ŕ qui sont promus comme sujet du verbe dimittunt, occupant la position<br />

finale.<br />

De même, un topique établi peut être continué sans un signal explicite. Ceci est<br />

permis là où aucune ambiguïté ne menace, par exemple lorsque les nombres sont<br />

différents (cf. également Caes., Ciu. 1.9.1) :<br />

(37) His rebus cognitis Marcius Rufus1 quaestor… cohortatur suos, ne animo<br />

deficiant. Illi orant atque obsecrant, ut in Siciliam nauibus reportentur.<br />

*Pollicetur2… (Caes., Ciu. 2.43.1)<br />

« À la nouvelle de ces événements, le questeur Marcius Rufus… exhorte ses<br />

hommes à ne pas perdre courage. Eux le prient et le supplient d’embarquer pour<br />

les ramener en Sicile. Il le leur promet… »<br />

21 Cf. également Massiliensibus… decertabant (Caes., Ciu. 2.6.1).<br />

45


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

En revanche, on rencontre un ille pour marquer l’action de l’adversaire (38) ou<br />

pour éviter toute confusion, comme en (39). En effet, l’omission de ille y entraînerait la<br />

continuation du sujet imperator :<br />

(38) Consul Numidis ex senatus decreto nuntiari iubet. Ita infectis rebus illi domum<br />

discedunt. (Sall., Iug. 28.3)<br />

« Le consul fait notifier aux Numides la décision du Sénat. Ils retournent chez<br />

eux sans avoir rempli leur mission. »<br />

(39) Rursus imperator contra postulata Bocchi nuntios mittit ; ille probare partim,<br />

alia abnuere. (Sall., Iug. 83.3)<br />

« À ces demandes de Bocchus, le général répond par de nouvelles propositions<br />

portées par des délégués ; le roi en accepte une partie, et écarte les autres. »<br />

Ille ou illi au nominatif figurent généralement à l’initiale de la phrase ou de la<br />

proposition, après un connecteur ou une expression indiquant le cadre (38). Toutefois,<br />

ils peuvent se rencontrer à une autre place, comme en (40), où illi reprend Libon et<br />

Bibulus et contraste avec César (ipse) :<br />

(40) Ibi certior ab Acilio et Murco per litteras factus de postulatis Libonis et Bibuli<br />

legionem relinquit ; ipse Oricum reuertitur. Eo cum uenisset, euocantur illi ad<br />

colloquium. (Caes., Ciu. 3.16.2-3)<br />

« Là ayant appris par une lettre d’Acilius et de Murcus la demande de Bibulus et<br />

de Libon, il quitte sa légion ; il revient à Oricum. Dès qu’il y est arrivé, il les fait<br />

convoquer à une entrevue. »<br />

5.4. Iugurtha et Caesar<br />

5.4.1. Les données<br />

Afin d’observer la place d’un sujet/topique, nous avons examiné les références<br />

faites à deux protagonistes à l’aide du nom propre : Iugurtha chez Salluste et Caesar<br />

dans la Guerre civile. Du nombre total de 165 occurrences sous toutes les formes de<br />

Iugurtha et 241 de Caesar, nous avons retenu les nominatifs seuls (54 Iugurtha et 99<br />

Caesar, soit 33 % et 40 %) 22 . Dans le classement proposé, une distinction est établie<br />

entre la place à l’initiale absolue (colonne a) et à l’initiale non-absolue (col. b), lorsque<br />

le nom propre est précédé par un connecteur (sed, at, igitur…) ou un adverbe tel<br />

interim, un circonstant (syntagme adverbial, proposition participiale, ablatif absolu,<br />

subordonnée temporelle) ou un constituant topical qui n’indique pas une circonstance.<br />

La colonne c regroupe les autres cas : toute position autre qu’initiale lorsque l’élément<br />

intervenant ne rentre pas dans la catégorie b. Les occurrences dans des subordonnées à<br />

l’intérieur d’une phrase complexe 23 Ŕ qui ne nous intéressent pas ici, car nous traitons la<br />

question du changement de sujet Ŕ apparaissent dans la colonne d. Les différents types<br />

sont exemplifiés ci-dessous et sont suivis par le tableau qui réunit les résultats.<br />

(a) Caesar in campis exercitum reficit. (Caes., Ciu. 1.65.2)<br />

« César fait reposer son armée dans la plaine. »<br />

22<br />

Deux occurrences chez Salluste et deux chez César apparaissant dans un discours direct n’ont pas été<br />

prises en compte.<br />

23<br />

Comme on le verra plus loin, nous ne nous occupons pas ici des occurrences dans des subordonnées de<br />

type : Erat iniqua condicio postulare, ut Caesar Arimino excederet…(Caes., Ciu. 1.11.1) « Pompée posait<br />

des conditions injustes en exigeant que César évacuât Ariminum… », mais la position du nom et d’un<br />

subordonnant, surtout temporel, à l’initiale de la phrase sera pertinente.<br />

46


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

(b1) Igitur Iugurtha oppidum circumsedit. (Sall., Iug. 21.3)<br />

« Jugurtha assiégea donc la place. »<br />

(b2) Sub uesperum Caesar… legiones reducit. (Caes., Ciu. 1.41.6)<br />

« Au soir tombant, César retire ses troupes… »<br />

(b3) Ad ea Caesar respondit : … (Caes., Ciu. 1.85.1)<br />

« À ces paroles, César répondit que… »<br />

(c) Conatus est Caesar reficere pontes… (Caes., Ciu. 1.50.1)<br />

« César essaya de rétablir les ponts… »<br />

Tableau 1 : La place des noms Iugurtha et Caesar au nominatif (corpus)<br />

a<br />

b<br />

c d<br />

Protagoniste Initiale<br />

absolue connecteur<br />

Après<br />

circonstant<br />

constit.<br />

topical<br />

Autre Dans une<br />

subordonnée<br />

Total<br />

Iugurtha 4 21 6 5 1 15 52<br />

Caesar 25 3 22 7 17 23 97<br />

Total 29 24 28 12 18 38 149<br />

Le tableau montre qu’il y a des différences entre nos deux auteurs : chez César,<br />

le nom propre au nominatif se rencontre plus souvent à l’initiale absolue (25 occ.) ou<br />

précédé par un circonstant (22 occ.), alors que chez Salluste, un connecteur est placé<br />

devant lui. Toutefois, les emplois dans des subordonnées à l’intérieur d’une phrase<br />

complexe mis à part, on remarque que les références aux topiques du discours aussi bien<br />

établis que Iugurtha et Caesar se rencontre à l’initiale, absolue ou non absolue dans la<br />

majorité de cas (a + b vs. c Salluste : 36 vs. 1, César 57 vs. 17). Il convient d’ajouter<br />

qu’à quatre reprises seulement, chacun de nos auteurs renvoie au même personnage en<br />

se servant de ille ; ce dernier figure à l’initiale absolue ou est précédé par un connecteur<br />

(at) ou par un relatif de liaison (quos ; quem) 24 . Il est remarquable que chez César, le<br />

topique du discours se rencontre à une place non initiale après un constituant à dix sept<br />

reprises alors que chez Salluste une seule fois (voir plus loin, § 5.4.3, exemple 55).<br />

La place des connecteurs est fixe (at Iugurtha mais Caesar enim) ; en revanche,<br />

nous allons examiner la place du nom propre par rapport aux constituants topicaux et<br />

par rapport aux circonstants.<br />

5.4.2. Le topique de la phrase et le topique du discours<br />

Les anaphoriques peuvent reprendre un focus précédent, résumer un contenu<br />

précédent ou sélectionner un constituant faisant partie de l’information complexe<br />

précédente pour le transformer en topique. Ce procédé de topicalisation, plus<br />

amplement décrit au chapitre III, L’anaphore pronominale (§ 3) établit un ancrage<br />

topical de la phrase par rapport au contexte (immédiatement) précédent. Pour cette<br />

raison, l’élément topical est prioritaire et occupe la première place dans la phrase. On a<br />

ainsi ad ea Caesar respondit et non pas Caesar ad ea respondit :<br />

(41) …loquitur Afranius:… ne ad ultimum supplicium progredi necesse habeant.<br />

Haec quam potest demississime et subiectissime exponit. Ad ea Caesar<br />

respondit : … (Caes., Ciu. 1.84.5 Ŕ 85.1)<br />

24 Voir Sall., Iug. 12.3, 25.6, 54.3 et 56.2 ; Caes., Ciu. 1.72.4, 1.77.2, 2.20.7 et 3.11.3.<br />

47


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

« Afranius prend la parole… ‘…qu’ils ne soient pas contraints de marcher au<br />

dernier supplice.’ Il fait ces déclarations avec toute l’humilité et la soumission<br />

possibles. À ces paroles, César répondit que… » (trad. C.U.F.)<br />

Ad ea reprend ici le contenu du discours d’Afranius. La phrase introduite par<br />

haec (ce dernier a le même référent) représente un commentaire fait par l’auteur et<br />

n’appartient pas au même niveau que la phrase ad ea… qui, elle, continue la ligne<br />

narrative. Ad ea est le topique de la phrase, placé à l’initiale. Caesar, renvoyant au<br />

protagoniste principal du récit, représente un topique dont le caractère est cependant<br />

différent. Caesar est un topique du discours, un topique repris ou réactivé, qui se situe à<br />

un niveau supérieur par rapport à ad ea, au niveau du discours. En d’autres termes,<br />

plusieurs topiques peuvent se rencontrer dans une phrase à condition qu’ils n’aient pas<br />

la même fonction et n’occupent le même niveau hiérarchique. Ad ea est ainsi le topique<br />

de la phrase, Caesar le topique du discours, et ils apparaissent dans l’ordre mentionné.<br />

On a de même :<br />

(42) Cuius legationis princeps fuit L. Opimius… Eum Iugurtha tametsi Romae in<br />

amicis habuerat, tamen accuratissime recepit. (Sall., Iug. 16.2-3)<br />

« Le chef de cette délégation était L. Opimius… Bien qu’à Rome Jugurtha le<br />

comptât parmi ses amis, il le reçut pourtant très formellement. »<br />

(43) Reducitur ad eum… N. Magius Cremona… Quem Caesar ad eum remittit…<br />

(Caes., Ciu. 1.24.4-5)<br />

« On lui amène… N. Magius, de Crémone… César le lui renvoie… »<br />

(44) Sed Hiempsal… eius domo utebatur, qui proximus lictor Iugurthae… Quem<br />

ille… promissis onerat impellitque… (Sall., Iug. 12.3)<br />

« Hiempsal logeait dans la maison du principal licteur de Jugurtha… Jugurtha, à<br />

force de promesses, lui persuade de… »<br />

Selon l’interprétation traditionnelle, on expliquerait eum, reprenant L. Opimius,<br />

et Iugurtha en (42) comme mis en tête de la phrase parce que ce sont l’objet et le sujet<br />

communs à la subordonnée et à la principale. Cependant, on voit bien que le même<br />

modèle se reproduit dans d’autres cas Ŕ quem en (43) et (44) a la même fonction, en<br />

topicalisant Magius et lictor respectivement. On remarquera enfin que ille, renvoyant au<br />

topique du discours (Iugurtha), occupe la même position que les noms propres.<br />

5.4.3. Les circonstants et le topique du discours<br />

Il convient d’examiner à présent la place des circonstants, dont la forme<br />

syntaxique peut être variée, par rapport au topique du discours. Parmi les expressions<br />

circonstancielles, nous avons relevé : ablatifs absolus, subordonnées temporelles et<br />

syntagmes nominaux. Ces constituants indiquent un cadre, spatial ou temporel, pour<br />

l’action qui sera décrite par la suite, mais au point de vue pragmatique, ces constituants<br />

peuvent être Ŕ ou ne pas être Ŕ topicaux. On comparera deux ablatifs absolus :<br />

(45) Recepto Firmo expulsoque Lentulo Caesar conquiri milites, qui ab eo<br />

discesserant, delectumque institui iubet. (Caes., Ciu. 1.16.1)<br />

« Après la capitulation de Firmum et la fuite de Lentulus, César fait rechercher<br />

les soldats qui avaient déserté, et ordonna d’organiser une nouvelle levée. »<br />

(46) His rebus confectis Caesar…, milites in proxima municipia deducit. (Caes., Ciu.<br />

1.32.1)<br />

48


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

« Ces dispositions prises, César… dirige ses troupes sur les villes municipales<br />

voisines. »<br />

Bien que dans ces deux cas, la disposition soit la même en ce sens que l’ablatif<br />

absolu précède le sujet/topique, les constructions circonstancielles n’ont pas la même<br />

fonction pragmatique. L’ablatif absolu recepto Firmo expulsoque Lentulo ne topicalise<br />

pas une information donnée auparavant, au contraire, il apporte une information<br />

nouvelle. En revanche, l’ablatif absolu his rebus confectis reprend les événements<br />

indiqués dans le paragraphe précédent et contient un anaphorique résomptif, his. Ce<br />

point de vue nous permet de formuler quelques tendances.<br />

1° Si l’expression circonstancielle, en particulier l’ablatif absolu ou un participe<br />

conjoint, contient un anaphorique, le sujet se positionne après elle. Cela est évident dans<br />

le cas du relatif de liaison, par exemple : qua re animaduersa Caesar… (Caes., Ciu.<br />

1.83.5) « César, s’en étant aperçu… », mais est valable pour les autres anaphoriques (cf.<br />

également l’exemple 46, cité ci-dessus).<br />

(47) Ea fuga Iugurtha impensius modo rebus suis diffidens cum perfugis et parte<br />

equitatus in solitudines, dein Thalam peruenit. (Sall., Iug. 75.1)<br />

« Après cette déroute, Jugurtha désespérant plus que jamais de sa fortune, gagne<br />

le désert avec les transfuges et une partie de sa cavalerie, et parvient ensuite à<br />

Thala. » (trad. C.U.F.)<br />

Les explications traditionnelles essaient de déterminer la position du sujet selon<br />

qu’il concerne la subordonnée participiale et/ou la principale (voir par exemple<br />

Chausserie-Laprée, 1969 : 150 sq.). Or, notre explication, c’est-à-dire que le constituant<br />

topicalisé est prioritaire par rapport au sujet, se justifie très bien si l’on examine<br />

également les tours qu’a relevés J.-P. Chausserie-Laprée (1969 : 61 sqq.) et a considérés<br />

comme des « clichés de liaison, de reprise et d’enchaînement ». En effet, la<br />

topicalisation telle que nous la décrivons établit un lien explicite d’enchaînement, entre<br />

un élément donné comme nouveau et repris par la suite comme un point de départ.<br />

2° Si l’expression circonstancielle ne contient pas d’anaphorique, elle n’est pas<br />

nécessairement prioritaire et le sujet/topique du discours figure plus souvent à l’initiale<br />

(9 occ. contre 3 occ. du sujet placé après), ou est intercalé dans l’expression<br />

circonstancielle. On a ainsi (cf. l’exemple 45) 25 :<br />

(48) Caesar exploratis regionibus albente caelo omnes copias castris educit…<br />

(Caes., Ciu. 1.68.1)<br />

« Après avoir exploré le terrain, César fait sortir du camp, à l’heure où le ciel<br />

blanchit, toutes ses forces… »<br />

Exploratis legionibus ne reprend pas une information donnée, c’est une action<br />

qui précède celle de educit ; albente caelo indique le moment où l’action principale s’est<br />

produite.<br />

25 Cf. également : Tum Iugurtha patratis consiliis… (Sall., Iug. 13.5) « Jugurtha, une fois ses projets<br />

réalisés… », qui ne reprend pas nécessairement le contenu précédent, et : Ibi fide data et accepta<br />

Iugurtha…(Sall., Iug. 81.5) « Là, après l’échange des serments, Jugurtha… » où ibi est topical et l’ablatif<br />

absolu représente un élément nouveau.<br />

49


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

Cependant, l’ablatif absolu est attendu à l’initiale s’il reprend, sans moyens<br />

explicites, un contenu précédent, comme en (49) :<br />

(49) Re cognita, Domitius ad Pompeium… peritos… mittit… (Caes., Ciu. 1.17.1)<br />

« Ayant pris connaissance de cette situation, Domitius envoie à Pompée des gens<br />

qui connaissent le pays… »<br />

3° Les expressions indiquant le temps de type postero die « le lendemain », sub<br />

uesperum « au soir tombant », ou eo tempore « à ce moment » réfèrent non pas à un<br />

constituant du discours, mais à un moment du discours. Exprimant un cadre temporel,<br />

elles montrent une tendance à se positionner au début de la phrase. La compétition entre<br />

le topique et le circonstant est forte, nous avons noté 6 occurrences pour l’ordre<br />

circonstant Ŕ sujet vs. 4 occurrences de sujet Ŕ circonstant, avec une légère préférence<br />

pour eo tempore à l’initiale de la phrase, car il pourrait commuter avec un adverbe tel<br />

que tunc « alors » :<br />

(50) Eo tempore Iugurtha per collis sequi… (Sall., Iug. 55.8)<br />

« Pendant ce temps Jugurtha les suivait le long des collines. »<br />

4° Les subordonnées temporelles qui indiquent le cadre temporel, tout comme les<br />

constructions participiales et les syntagmes circonstanciels, sont placées en tête de la<br />

phrase complexe. En latin, il est normal de trouver le sujet/topique placé à l’initiale<br />

devant le subordonnant. Ce phénomène est traditionnellement expliqué par le fait que le<br />

sujet, commun à la subordonnée et à la principale, est antéposé (Kühner et Stegmann,<br />

1914, II : 625) ou « détaché » en début de la phrase (Chausserie-Laprée, 1969 : 150).<br />

Nous dirions plutôt qu’il occupe la première place non pas parce qu’il est sujet mais<br />

parce qu’il est topique. Le fait que le sujet est exprimé est significatif : en cette position,<br />

il s’agit dans la plupart des cas d’un changement de sujet/topique. On a ainsi :<br />

(51) (Consul…) Iugurtha ubi Metelli dicta cum factis composuit…, statuit armis<br />

certare. (Sall., Iug. 48.1)<br />

« (Le consul…) Lorsque Jugurtha confronta les discours de Métellus avec ses<br />

actes…, il décida de recourir aux armes. »<br />

(52) (Lentulus Spinther…) Caesar, ubi luxit, omnes senatores… ad se produci iubet.<br />

(Caes., Ciu. 1.23.1)<br />

« (Lentulus Spinther…) Dès le lever du jour, César fait venir devant lui tous les<br />

sénateurs... »<br />

Si les sujets sont souvent les mêmes (cf. exemple 51), ils peuvent aussi être<br />

différents (52). Chez nos auteurs, les subordonnants temporels (cum, ubi, postquam, ut,<br />

dum) mais également concessifs (etsi, tametsi) suivent le sujet (10 occ. chez Salluste, 5<br />

occ. chez César) ; à deux reprises seulement, le sujet est placé après. L’une de ces<br />

occurrences 26 (53) montre deux sujets différents (Iugurtha et Calpurnius auquel se<br />

rapporte le nom animus), mais non pas un changement de topique, ce dernier étant le<br />

consul Calpurnius (non exprimé) :<br />

(53) Sed ubi Iugurtha per legatos pecunia temptare…, animus aeger auaritia facile<br />

conuersus est. (Sall., Iug. 29.1)<br />

26 Voir également Quem ubi Caesar (Caes., Ciu. 3.17.6), quem avec une variante quae.<br />

50


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

« Mais, sitôt que Jugurtha eut entrepris par des émissaires de le corrompre à prix<br />

d’argent…, le consul, d’une cupidité maladive, changea vite de sentiments. »<br />

Nous avons vu plus haut que le sujet/topique se positionne de préférence après<br />

un élément topical ou après un syntagme en contenant un. Bien que l’exemple (54) soit<br />

dépourvu d’élément résomptif, sa signification « tandis qu’on se bat ainsi autour de<br />

Zama » ainsi que son rapport au contexte précédent, qui apporte une description de<br />

Zama, nous autorisent à l’interpréter comme un constituant permettant la transition<br />

d’une scène à l’autre, et à le comparer avec un adverbe de type interim. La subordonnée<br />

temporelle ayant un rapport avec le paragraphe précédent, le topique du discours est<br />

placé après.<br />

(54) Dum apud Zamam sic certatur, Iugurtha ex improuiso castra hostium cum<br />

magna manu inuadit. (Sall., Iug. 58.1)<br />

« Pendant qu’on se bat ainsi autour de Zama, Iugurtha, à l’improviste, se jette<br />

sur le camp ennemi avec une forte troupe. »<br />

Chez Salluste, un topique du discours comme Iugurtha se positionne à la place<br />

initiale, après un élément topical, après un élément exprimant le cadre ou<br />

éventuellement les deux combinés ; il occupe rarement une place ultérieure (cf. cidessus,<br />

tableau 1). Ce placement peut être représenté par un schéma :<br />

Schéma 3 : Placement des éléments de la phrase<br />

Topique de la<br />

phrase<br />

eum, quem, hos<br />

montes, in eo<br />

loco…<br />

Topique du<br />

discours<br />

Caesar<br />

Cadre<br />

re cognita<br />

eo tempore<br />

dum… sic certatur<br />

51<br />

Cadre<br />

exploratis<br />

regionibus<br />

ubi… cognouit<br />

Topique du<br />

discours<br />

Caesar<br />

Autres éléments<br />

Autres éléments<br />

Le topique de la phrase (s’il est présent) occupe la première place ; le topique du<br />

discours se place après lui. Une expression de temps ou de lieu, indiquant le cadre, peut<br />

être placée devant le topique du discours ou après le topique de la phrase.<br />

Chez César, en revanche, nous avons des occurrences, au nombre de 17, du<br />

topique du discours figurant à une autre place à droite de la phrase. Ce phénomène a été<br />

repéré et commenté, en particulier, par J. de Jong (1989 : 535) et M. Bolkestein (1995 :<br />

38, et 1996b : 12 sq.). Il s’agit, partiellement, des cas où le sujet/topique se place après<br />

le verbe. Traditionnellement, ce fait est expliqué comme une mise en relief du verbe<br />

(voir Kühner et Stegmann, 1914, II : 599 et Marouzeau, 1953 : 45 sqq.). Il convient de<br />

commenter un exemple bien connu emprunté à la Guerre civile :<br />

(55) (…et loca trans flumen integra, quo omnino Caesar adire non poterat.) Hae<br />

permanserunt aquae dies complures. Conatus est Caesar reficere pontes ; sed<br />

nec magnitudo fluminis permittebat… (Caes., Ciu. 1.50.1)


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

« (… un terrain intact de l’autre côté du fleuve, où César ne pouvait absolument<br />

pas pénétrer.) Cette crue dura plusieurs jours. César essaya de rétablir les ponts,<br />

mais la rivière trop grosse n’en permettait pas l’achèvement. »<br />

Un orage violent a emporté deux ponts (voir 1.48.2) et César s’est retrouvé dans des<br />

difficultés de ravitaillement, tandis que son adversaire Afranius avait tout en abondance<br />

(1.49.1). En même temps, César savait que le pays au-delà de la rivière offrait des<br />

ressources. Le contexte nous permet de considérer Caesar comme un topique<br />

réintroduit, venant après la reprise des conditions défavorables (hae aquae, 1.48) qui<br />

l’empêcheront d’achever le travail. La réparation des ponts n’est pas un élément<br />

nouveau, elle peut aisément être attendue. Le verbe, conatus est, à l’initiale de la phrase,<br />

est l’élément le plus informatif, qui, de plus, figure dans une construction contrastive<br />

(conatus est, sed nec… permittebat). Cela étant, la question que nous nous poserons à<br />

propos de cette phrase est l’expression même du sujet/topique, car il pourrait être<br />

maintenu. En effet, César a été expressément mentionné auparavant et hae aquae, sujet<br />

inanimé au pluriel, ne pourrait pas influencer le référent de conatus est. L’expression du<br />

sujet se justifie ici par le style précis de César, par son souci de rappeler de quoi on<br />

parle précisément (« il essaya, à savoir César, de rétablir… »). Un autre exemple de ce<br />

type est donné en (56) :<br />

(56) Quibus rebus neque tum respondendum Caesar existimauit, neque nunc, ut<br />

memoriae prodantur, satis causae putamus. Postulabat Caesar, ut legatos sibi<br />

ad Pompeium sine periculo mittere liceret… (Caes., Ciu. 3.17.1-2)<br />

« À ces mots, César estima qu’il n’y avait pas lieu de répondre à ce moment-là,<br />

et nous ne pensons pas qu’il vaille maintenant la peine d’en perpétuer la<br />

mémoire. Il demanda de pouvoir envoyer sans risque des députés à Pompée… »<br />

Si les exemples de type (55) ou (56) peuvent être caractérisés comme des<br />

« rappels » de topique (cf. également 1.18.4), d’autres cas se rencontrent où le sujet<br />

occupant une place à droite de la phrase est doté d’une fonction pragmatique différente<br />

Ŕ celle de focus (voir le chapitre premier, exemple 33).<br />

6. Conclusions<br />

L’examen détaillé de différents topiques dans la prose historique de Salluste et<br />

de César confirme que le futur topique est une catégorie spécifique. Or en latin, une<br />

entité, animée ou inanimée, nouvellement introduite dans le discours, peut se<br />

positionner à la fin aussi bien qu’à l’initiale de la phrase. L’entrée sur la scène ne se fait<br />

pas toujours à l’aide d’une phrase présentative mais peut être ‘directe’ Ŕ un nouveau<br />

personnage est introduit sans un signal spécifique ; en revanche, une action lui est<br />

directement attribuée. Lors de la deuxième référence, l’anaphore zéro n’est pas admise ;<br />

le nouveau référent est repris au moyen de l’anaphore Ŕ à l’aide d’un pronom<br />

anaphorique ou éventuellement à l’aide du nom propre. Ces tendances valent pour les<br />

entités qui joueront un rôle, plus ou moins grand, dans le récit suivant ; elles ne<br />

s’appliquent pas à celles qui disparaissent de la scène juste après leur mention. La<br />

réintroduction des personnages et des choses procède de la même manière. Les topiques<br />

déduits d’un terme qui vient d’être mentionné se positionnent, tout comme les topiques<br />

de la phrase, à l’initiale. Se rencontrent à l’initiale de la phrase également les topiques<br />

contrastifs.<br />

Les personnages bien établis dans le discours représentent les topiques du<br />

discours et fonctionnent souvent comme sujets. De tels sujets sont maintenus au moyen<br />

52


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

de l’anaphore zéro ou subissent des changements. Ces derniers sont signalés par<br />

l’emploi d’un nom propre ou d’un ille en tête de la phrase. Un examen du placement de<br />

Iugurtha et de Caesar au nominatif dans la prose historique de Salluste et de César le<br />

confirme. Le topique du discours se positionne après le topique de la phrase, s’il est<br />

présent. Il se rencontre devant ou après l’expression circonstancielle indiquant le cadre.<br />

En outre, chez César, on relève à plusieurs reprises des topiques du discours figurant<br />

après un autre constituant, tel que le verbe ; il s’agit de simples rappels qui<br />

correspondent au souci d’exactitude recherchée par César.<br />

53


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre II : Le topique<br />

Chapitre III<br />

L’ANAPHORE PRONOMINALE<br />

1. Introduction. État de la question<br />

La fonction pragmatique assumée par un constituant a une incidence<br />

significative sur l’ordre des constituants en latin. Nous avons abordé le phénomène de la<br />

topicalisation au chapitre premier (§ 6) et nous avons vu qu’un constituant repris par la<br />

suite peut être identifié, dans la plupart des cas, comme l’élément saillant de la phrase.<br />

Des études récentes consacrées aux phénomènes d’anaphore n’ont traité la position de<br />

ces moyens linguistiques dans la phrase que partiellement et, à l’exception du<br />

phénomène de futur topique et de l’expression du sujet, la question concernant la<br />

fonction pragmatique assumée par l’antécédent n’a pas encore été posée d’une manière<br />

systématique 1 .<br />

Dans son article important, J. de Jong (1989) s’est intéressé à la position du<br />

sujet. Il a remarqué que les sujets qui portent la fonction pragmatique de focus diffèrent<br />

des sujets connus du contexte en ce qu’ils sont susceptibles d’être pronominalisés dans<br />

la phrase subséquente, comme le montre l’exemple suivant :<br />

(1) Legantur tamen in Africam maiores natu nobiles… Ii… triduo nauem ascendere.<br />

(Sall., Iug. 25.4)<br />

« On députe cependant en Afrique des personnes d’âge et de naissance… Ils…<br />

s’embarquèrent dès le troisième jour. »<br />

(2) Igitur Iugurtha oppidum circumsedit ; uineis turribusque et machinis omnium<br />

generum expugnare *aggreditur… (Sall., Iug. 21.3)<br />

« Jugurtha assiégea donc la place ; il en entreprend l’assaut avec des mantelets,<br />

des tours et des machines de toute sorte... »<br />

En (1), le sujet nobiles, de caractère focal, occupe une place à droite de la phrase et est<br />

repris à l’aide de l’anaphorique ii dans la phrase subséquente ; en revanche, Iugurtha en<br />

(2), un sujet déjà connu, est continué au moyen de l’anaphore zéro (aggreditur) (voir de<br />

Jong, 1989 : 532 sq.) 2 . En d’autres termes, la pronominalisation Ŕ ou son absence Ŕ dans<br />

la phrase suivante est un indicateur de la fonction pragmatique du sujet précédent. Cette<br />

propriété, à savoir la reprise systématique, comme nous le verrons plus loin, des sujets<br />

qui fonctionnent comme focus, nous semble être une propriété remarquable du latin 3 .<br />

Plusieurs articles ont été consacrés aux anaphoriques : d’abord, A. Orlandini<br />

(1995 : 63 sqq.) s’est interrogée sur le statut référentiel du référent ; ensuite, J. de Jong<br />

1 En effet, J. de Jong (1989 : 524 sq.) observe que l’antécédent d’un anaphorique reprend un constituant<br />

de focus, sans toutefois développer plus amplement cette constatation. De même, M. Bolkestein (passim).<br />

En outre, M. Bolkestein et M. van de Grift (1994 : 287 sqq.) se sont interrogés sur la valeur pragmatique<br />

d’un constituant et sa sélection comme sujet par la suite (cf. chapitre II, Le topique, § 5). Cf. également F.<br />

Jones (1991 : 86).<br />

2 J. de Jong (1989 : 534) fait remarquer que cette règle est valable pour les entités avec un degré élevé<br />

d’individuation ; la situation est différente pour les entités abstraites.<br />

3 En comparaison avec le tchèque, par exemple, qui ne semble utiliser la reprise anaphorique que dans le<br />

cas des phrases présentatives ou dans les cas où il faut lever l’ambiguïté car plusieurs entités sont éligibles<br />

à la continuation. Voir le chapitre premier, note 20.<br />

54


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

(1996), D. Pennell Ross (1996) et M. Bolkestein (2000) se sont intéressés notamment à<br />

leur distribution, due à la motivation fonctionnelle 4 , et à leur position privilégiée. En<br />

effet, le latin offre un assez grand choix de moyens de reprise : is, hic, ille et qui (dit<br />

« relatif de liaison ») qui, à l’exception du relatif de liaison dont la place est fixe à<br />

l’initiale, peuvent occuper des positions variées.<br />

En ce qui concerne la position de ces mots de reprise, D. Pennell Ross (1996) a<br />

constaté, pour la prose historique de César (Guerre civile), que hic occupe avec<br />

prédilection la place initiale tandis que is se positionne à l’intérieur ; ille ne montre pas<br />

de préférence nette. M. Bolkestein (2000 : 118) aboutit aux mêmes conclusions. En<br />

outre, J. de Jong (1996 : 502) a observé que ille apparaît au nominatif beaucoup plus<br />

fréquemment que is ou hic qui, eux, sont attestés surtout sous les formes fléchies.<br />

Ce chapitre sera donc consacré à la fonction pragmatique du constituant repris<br />

au moyen d’anaphores dans le contexte immédiatement suivant. Ce phénomène<br />

s’observe au mieux dans les textes narratifs ; pour cette raison, la prose historique de<br />

César et de Salluste a été choisie comme corpus. Cependant, des passages narratifs se<br />

rencontrent dans d’autres œuvres, comme la correspondance de Cicéron par exemple.<br />

Nous nous concentrerons sur les pronoms is, hic, qui dit « relatif de liaison » et ille Ŕ<br />

iste ne se présente pas dans la prose historique Ŕ et aborderons, quoique rapidement, les<br />

problèmes de leur distribution (§ 2). Le concept de topicalisation (§ 3) laisse apparaître<br />

plusieurs fonctions assurées par is et hic : reprise d’un focus (§ 4), reprise d’un contenu<br />

(§ 5) et sélection d’un constituant (§ 6). Les sections suivantes (§ 7-9) seront consacrées<br />

au relatif de liaison qui, à ille et aux adverbes anaphoriques. La perspective choisie nous<br />

permettra de distinguer plusieurs types de topicalisation Ŕ la reprise d’un focus, la<br />

reprise d’un contenu et la sélection d’un constituant. Le chapitre sera clôturé par les<br />

adverbes anaphoriques.<br />

2. Les données<br />

Bien que des statistiques concernant la Guerre civile de César aient déjà été<br />

effectuées (voir Pennell Ross 1996 et Bolkestein 2000), le besoin était de procéder à une<br />

comparaison avec la prose historique de Salluste. Il convient de rappeler que nos œuvres<br />

étudiées comportent un nombre comparable de mots (21 000 environ). Après avoir<br />

relevé les anaphoriques dans la Guerre civile de César et dans la Guerre de Jugurtha de<br />

Salluste, nous les avons classés en fonction de la place qu’ils occupent dans la phrase.<br />

Comme des statistiques concernant la première œuvre ont déjà été faites, nous avons<br />

choisi une autre perspective de groupement. Sous la rubrique de la « place initiale »<br />

figurent les occurrences à l’initiale de la phrase (a) Ŕ où l’anaphorique peut être précédé<br />

par un connecteur tel at, sed… Ŕ et à l’initiale de la proposition (b) 5 , distinction faite<br />

entre les emplois pronominaux (is, eum…) et adnominaux (eo tempore…) 6 . Les<br />

adverbes anaphoriques, par exemple ibi, eo, huc… ont également été comptés.<br />

(a) (collem) Hunc celeriter, priusquam ab aduersariis sentiatur, communit. (Caes.,<br />

Ciu. 1.54.4)<br />

« (coline) En hâte, avant que l’ennemi ne s’en aperçoive, il la fortifie. »<br />

4 Cf. également l’article de M. Lavency (2004). Pour une approche différente, voir M. Fruyt (2003).<br />

5 Les statistiques de M. Bolkestein (2000 : 118) concernent les occurrences à l’initiale de la phrase et à<br />

l’initiale de la proposition (voir note 7, p. 134) ; nous ignorons si ce critère a été pris en considération par<br />

Pennell Ross (1996).<br />

6 En revanche, les emplois corrélatifs n’ont pas été pris en compte. En outre, 12 occurrences chez Salluste<br />

et 11 chez César ont été éliminées car elles apparaissent dans des phrases non déclaratives ou présentent<br />

des problèmes textuels.<br />

55


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

(b) Seruos, pastores armat atque iis equos attribuit. (Caes., Ciu. 1.24.2)<br />

« Il arme des esclaves, des bergers et il leur donne des chevaux. »<br />

Les résultats sont réunis dans les tableaux qui suivent ; les nombres élevés sont<br />

signalés en gras.<br />

Tableau 1 : Les anaphoriques chez César (corpus)<br />

Pronom Place initiale Autre place<br />

Pronominal Adnominal pronom. + adnom. Total<br />

Occ. % 7 Occ. % Occ. %<br />

Is 44 29 % 21 14 % 88 57 % 153<br />

Hic 102 53 % 60 32 % 28 15 % 190<br />

Ille 33 69 % 0 0 % 15 31 % 48<br />

Adverbes 41 75 % Ŕ Ŕ 14 25 % 55<br />

Total 220 49 % 81 18 % 145 33 % 446<br />

Tableau 2 : Les anaphoriques chez Salluste (corpus)<br />

Pronom Place initiale Autre place<br />

Pronominal Adnominal pronom. + adnom. Total<br />

Occ. % Occ. % Occ. %<br />

Is 74 40 % 51 28 % 58 32 % 183<br />

Hic 30 58 % 10 19 % 12 23 % 52<br />

Ille 29 52 % 1 2 % 26 46 % 56<br />

Adverbes 21 78 % Ŕ Ŕ 6 22 % 27<br />

Total 154 49 % 62 19 % 102 32 % 318<br />

Une première comparaison de ces deux tableaux amène à conclure que César se<br />

sert de préférence de hic, alors que Salluste privilégie is. On remarquera ensuite que la<br />

majorité de hic et de ille pronominaux se positionnent à l’initiale de la phrase ou de la<br />

proposition chez les deux auteurs (César Ŕ hic 53 %, ille 69 % ; Salluste hic 58 %, ille<br />

52 %). Les formes pronominales concrètes les plus représentées sont, chez César, iis, id,<br />

haec, his, has, hunc, ille et illi ; chez Salluste, is, ea, ii, hoc, ille et illi 8 . Il est<br />

remarquable que nous n’ayons relevé aucune forme de hic et de hi (nominatif sg. et pl.)<br />

chez Salluste. Les adverbes anaphoriques figurent à l’initiale (César 75 %, Salluste 78<br />

%).<br />

Les emplois adnominaux concernent en particulier hic chez César (32 %) et is<br />

chez Salluste (28 %) ; les syntagmes, conjoints ou disjoints, récurrents sont hoc opus,<br />

hoc consilium, his rebus (César) et ea tempestate, ea res, eo modo, eo loco (Salluste).<br />

En revanche, les emplois adnominaux de ille sont absents chez César, et très rares chez<br />

Salluste.<br />

7 Les pourcentages sont calculés horizontalement et indiquent, proportionnellement, le nombre de is par<br />

exemple en position initiale, employé pronominalement ou adnominalement, et en une autre position (les<br />

deux emplois confondus). La distinction entre l’emploi pronominal et adnominal n’influe pas sur les<br />

résultats.<br />

8 D. Longrée (2004 : 171), après avoir procédé à une analyse statistique beaucoup plus large et complexe,<br />

observe que ille, à la différence des autres pronoms, n’apparaît quasiment jamais à l’initiale à un autre cas<br />

qu’au nominatif.<br />

56


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

Une autre place, emplois pronominal et adnominal confondus, occupent le plus<br />

fréquemment des formes de is (César 88 occ., Salluste 58 occ.), en particulier eius et<br />

eum. Chez Salluste en particulier, un bon nombre de ille figurent en une position autre<br />

qu’initiale (26 occ.), par exemple illis et illi 9 .<br />

En comparaison avec les statistiques de D. Pennell Ross (1996) et de M.<br />

Bolkestein (2000), mentionnées plus haut, nous observons des différences<br />

distributionnelles des anaphoriques dans les œuvres de César et de Salluste, qui sont à<br />

mettre au compte du style personnel de nos auteurs (cf. Longrée, 2004 : 140) 10 .<br />

3. La topicalisation<br />

On sait (voir Pinkster, 1995 : 222) que les constituants de topique montrent, en<br />

latin, une forte tendance à se positionner à l’initiale de la phrase. La question est de<br />

savoir comment expliquer la place de ad eum en (3), à l’intérieur de la phrase, et celle<br />

de ad eos en (4), à l’initiale.<br />

(3) Illi (Massilienses)… minus libere, minus audacter uagabantur… Interim<br />

Oscenses et Calagurritani… mittunt ad eum legatos seseque imperata facturos<br />

pollicentur. (Caes., Ciu. 1.59.2 Ŕ 60.1)<br />

« Les ennemis (les Marseillais)… avaient dans leurs mouvements moins de<br />

liberté et moins d’audace… Pendant ce temps, les Oscenses et les<br />

Calagurritains…, lui (à César) envoient des députés et promettent d’obéir à ses<br />

ordres. »<br />

(4) Simul… equitatus omnis et una leuis armaturae interiecti complures…,<br />

cernebantur. Ad eos Curio equitatum et duas Marrucinorum cohortes<br />

mittit. (Caes., Ciu. 2.34.2-3)<br />

« En même temps…, on apercevait toute la cavalerie et, entremêlée, de<br />

l’infanterie légère en grand nombre… Contre eux, Curion envoie sa cavalerie et<br />

deux cohortes de Marrucins. »<br />

Les anaphoriques (ad) eum et (ad) eos en (3) et en (4), on l’a vu au chapitre<br />

premier (§ 6, exemples 39-40) n’ont pas la même fonction pragmatique : (ad) eum n’est<br />

pas porteur d’une fonction pragmatique, alors que (ad) eos reprend Ŕ ou topicalise Ŕ le<br />

focus de la phrase précédente (equitatus et complures). C’est en ce sens que nous<br />

utiliserons le terme de topicalisation : reprise, au moyen de l’anaphore pronominale,<br />

d’un focus précédent 11 . Dans le premier cas, la phrase nous dit ce que les Oscenses et<br />

les Calagurritains font Ŕ ils lui (à César) envoient une ambassade Ŕ, alors que dans le<br />

second, on apprend ce qui arrive à la cavalerie Ŕ on lui envoie quelqu’un. En effet,<br />

topicaliser un élément est un procédé pour signaler « ce qui lui arrive », « ce qui se<br />

passe avec lui ». En assurant la topicalisation, l’anaphorique (ad) eos est placé en tête de<br />

la phrase, alors que (ad) eum ne figure pas à l’initiale mais occupe une autre position (à<br />

l’intérieur de la phrase). La différence fonctionnelle ainsi déterminée, les anaphoriques<br />

qui reprennent le focus de la phrase précédente devraient occuper la place initiale,<br />

absolue ou non absolue (auquel cas ils seraient précédés par un connecteur).<br />

9 Il convient d’ajouter que des formes fléchies de ille apparaissent chez Salluste dans le discours indirect.<br />

10 Comme D. Longrée le signale, des différences se produisent même dans les œuvres d’un seul auteur.<br />

11 L’absence de reprise ne signifie pas qu’un constituant n’est pas focus ; ceux qui sont continués sont<br />

mieux identifiables. Voir chapitre premier, § 4.2.<br />

57


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

Il convient de signaler que postuler la première place pour des pronoms assurant<br />

la topicalisation est tout à fait possible en latin. En effet, l’anaphorique is n’est pas<br />

enclitique et n’obéit donc pas à des contraintes positionnelles 12 .<br />

Afin d’éclairer davantage le phénomène de topicalisation, il est nécessaire<br />

d’établir une distinction entre la topicalisation qui fonctionne sur deux phrases (5) et<br />

celle qui se produit à l’intérieur d’une phrase complexe (4), dont chaque proposition a<br />

son propre focus.<br />

(5) …continentemque ripae collem improuiso occupat. Hunc celeriter, priusquam<br />

ab aduersariis sentiatur, communit. (Caes., Ciu. 1.54.4)<br />

« …il occupe à l’improviste la colline qui touche au rivage. En hâte, avant que<br />

l’ennemi s’aperçoive de rien, il la fortifie. »<br />

(6) Seruos, pastores armat atque iis equos attribuit. (Caes., Ciu. 1.24.2)<br />

« Il arme des esclaves, des bergers, et il leur donne des chevaux. »<br />

En (5), hunc reprend le focus de la proposition appartenant à la phrase précédente,<br />

collem, alors qu’en (6), iis reprend seruos et pastores de la proposition précédente. On<br />

dira ainsi que hunc est placé à l’initiale de la phrase, iis à l’initiale d’une proposition.<br />

4. La reprise d’un focus<br />

4.1. Is et hic à l’initiale<br />

Les futurs topiques, qui ont été analysés au chapitre II, Le topique (§ 2) 13 ,<br />

mettent en œuvre le même principe de topicalisation : une entité nouvellement<br />

introduite Ŕ ou réintroduite Ŕ est topicalisée dans la phrase ou dans la proposition<br />

subséquente située au même niveau discursif. Juste un exemple pour l’illustrer :<br />

(7) Erat in exercitu Vari Sextus Quintilius Varus, quem fuisse Corfinii supra<br />

demonstratum est. Hic dimissus a Caesare in Africam uenerat… (Caes., Ciu.<br />

2.34.1)<br />

« Dans l’armée de Varus, il y avait Sextus Quintilius Varus, qui s’était trouvé à<br />

Corfinium, comme on l’a vu plus haut. Ayant été libéré par César, il était venu<br />

en Afrique… »<br />

Les deux exemples qui suivent concernent également une introduction de<br />

nouvelles entités qui seront topicalisées par la suite ; seul le procédé est différent :<br />

(8) Proxima nocte centuriones Marsi duo ex castris Curionis cum manipularibus<br />

suis XXII ad Attium Varum perfugiunt. Hi, siue uere quam habuerant opinionem<br />

ad eum perferunt… (Caes., Ciu. 2.27.1)<br />

« La nuit suivante, deux centurions Marses quittent le camp de Curion avec<br />

vingt-deux de leurs hommes et passent dans celui d’Attius Varus. Soit qu’ils<br />

voulussent le flatter… ils affirment à Varus que… »<br />

(9) Sed paucis ante diebus L. Domitius cognita Massiliensium uoluntate nauibus III<br />

comparatis, ex quibus duas familiaribus suis attribuerat, unam ipse<br />

conscenderat nactus turbidam tempestatem profectus est. Hunc conspicatae<br />

naues quae iussu Bruti... ad portum excubabant, sublatis ancoris sequi<br />

coeperunt. (Caes., Ciu. 2.22.2)<br />

12 Voir chapitre VII, Les enclitiques.<br />

13 Pour les personnages secondaires et épisodiques, voir chapitre II, Le topique, exemple (6).<br />

58


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

« Mais quelques jours auparavant, Domitius, ayant appris les intentions des<br />

Marseillais, avait préparé trois navires dont il avait attribué deux à ses amis,<br />

tandis qu’il s’embarquait lui-même sur le troisième, et profitant d’une violente<br />

tempête, il était parti. Les navires à qui Brutus avait donné l’ordre de veiller sur<br />

le port, levèrent l’ancre et se mirent à sa poursuite. »<br />

Centuriones Marsi duo en (8) n’ont pas été mentionnés auparavant. Sans être<br />

introduits par une construction présentative, une action leur est attribuée (perfugiunt).<br />

Cette phrase n’a pas d’ancrage topical et peut être considérée comme une phrase où tout<br />

est nouveau et représente en soi l’information nouvelle. L’un de ses éléments,<br />

centuriones Marsi duo est topicalisé par la suite par hi et la phrase répond à la question<br />

« que se passe-t-il avec eux ? ». Attius Varus, repris par (ad) eum, n’a pas de fonction<br />

pragmatique particulière.<br />

Un cas similaire se rencontre en (9) où L. Domitius n’est pas un personnage<br />

entièrement nouveau ; toutefois, il a disparu de la scène pour quelque temps (César a<br />

parlé de lui plusieurs paragraphes plus haut, 2.2.3) et est réintroduit ici.<br />

La reprise d’un constituant focus est loin de se limiter aux futurs topiques.<br />

L’examen des occurrences chez César et chez Salluste nous amène à conclure que, sauf<br />

quelques exceptions (répertoriées ci-dessous, § 4.4 Cas particuliers), la topicalisation<br />

avec le placement de l’anaphorique en tête de la phrase/proposition se produit de<br />

manière systématique. La topicalisation s’effectue par un anaphorique is, hic ou qui<br />

relatif de liaison en emploi pronominal ou adnominal. Les entités animées humaines<br />

sont reprises par l’anaphorique seul, les entités inanimées, soit par l’anaphorique seul,<br />

soit par un syntagme nominal.<br />

Considérons d’abord les exemples où un anaphorique au nominatif est employé,<br />

en d’autres termes, où la topicalisation s’accompagne d’un changement de sujet. À la<br />

différence des futurs topiques (cf. exemple 7, cité plus haut), les entités en (10) et (11)<br />

ne sont pas particulièrement introduites dans le discours, elles ont seulement un<br />

caractère focal.<br />

(10) Denique Romani… oppido modo potiti ; praeda omnis ab perfugis corrupta. Ii<br />

postquam murum arietibus feriri… uident, aurum atque argentum et alia, quae<br />

prima ducuntur, domum regiam comportant. (Sall., Iug. 76.5-6)<br />

« Enfin les Romains... s’emparèrent seulement de la ville : tout le butin avait été<br />

détruit par les transfuges. Quand ils virent que le mur était battu en brèche par<br />

les béliers…, ils emportèrent au palais royal l’or, l’argent et tout ce qu’on estime<br />

au premier rang. »<br />

(11) Nam ubi per loca aequalia et nuda gignentium uentus coortus harenam humo<br />

excitauit, ea magna ui agitata ora oculosque implere solet. (Sall., Iug. 79.6)<br />

« Lorsque le vent souffle sur cette plaine unie et sans végétation, il soulève des<br />

nuages de sable qui, chassés avec une grande force, emplissent la bouche et les<br />

yeux. » (trad. C.U.F.)<br />

L’exemple (10) concerne l’emploi d’un anaphorique au nominatif (ii). Il<br />

topicalise ab perfugis, l’élément saillant de la proposition précédente ; en outre, praeda<br />

corrupta (« le butin avait été détruit ») découle, en quelque sorte de oppido modo potiti<br />

(« ils s’emparèrent seulement de la place »), car il serait normal de s’emparer également<br />

du butin. De même, harenam est repris à l’aide de ea en (11). L’emploi de ii et de ea est<br />

59


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

obligatoire ; leur omission entraînerait l’interprétation des verbes uident et comportant<br />

comme ayant pour sujet Romani, et solet serait attribué à uentus 14 .<br />

On a de même :<br />

(12) Quis rebus cognitis Bocchus per litteras a Mario petiuit, uti Sullam ad se<br />

mitteret... Is missus cum praesidio equitum atque funditorum Baliarium. (Sall.,<br />

Iug. 105.1-2)<br />

« Sur cette réponse, Bocchus avait demandé par lettre à Marius de lui envoyer<br />

Sylla... Sulla partit avec une garde de cavalerie et de frondeurs Baléares. »<br />

Dans ce passage qui concerne des négociations entre Bocchus et les Romains, le<br />

référent de is (Sulla) s’explique, non pas par la distance (parmi les deux référents<br />

possibles, Sylla étant le plus proche), mais par le fait que c’était le personnage demandé<br />

par Bocchus. La phrase répond à la question « qui Bocchus a-t-il demandé ? ».<br />

D’autres exemples sont donnés en (13-17), avec des anaphoriques à l’initiale de<br />

la phrase ou de la proposition :<br />

(13) Igitur equitatum omnem ad castra propere misit ac statim C. Marium cum<br />

cohortibus sociorum, eumque lacrimans per amicitiam perque rem publicam<br />

obsecrat, ne… (Sall., Iug. 58.5)<br />

« Il envoie donc en hâte vers le camp toute sa cavalerie, puis aussitôt après C.<br />

Marius avec les cohortes des alliés, et le supplie en pleurant, au nom de leur<br />

amitié et de la République de… »<br />

(14) (Capuae primum se confirmant et colligunt delectumque colonorum… habere<br />

instituunt) ; gladiatoresque, quos ibi Caesar in ludo habebat, ad forum<br />

productos Lentulus spe libertatis confirmat atque iis equos attribuit et se sequi<br />

iussit. (Caes., Ciu. 1.14.4)<br />

« (à Capoue seulement on se rassure, on se réunit, on se met à lever les<br />

colons…) ; des gladiateurs, dont César avait là une école, sont amenés au<br />

forum : Lentulus leur assure la liberté, leur donne des chevaux et leur commande<br />

de le suivre. »<br />

(15) Certas sibi deposcit naues Domitius atque has colonis pastoribusque, quos<br />

secum adduxerat, complet. (Caes., Ciu. 1.56.3)<br />

« Domitius demande pour lui-même un chiffre déterminé de navires, et les<br />

remplit des fermiers et des bergers qu’il avait amenés. »<br />

(16) (Afranius) Armat familiam ; cum hac et praetoria cohorte cetratorum<br />

barbarisque equitibus paucis… improuiso ad uallum aduolat… (Caes., Ciu.<br />

1.75.2)<br />

« (Afranius) Il arme ses esclaves ; avec eux, sa cohorte prétorienne de cetrati et<br />

un petit nombre de cavaliers barbares… il bondit tout à coup au<br />

retranchement… » (trad. C.U.F.)<br />

(17) Suberant enim montes… Hos montes intrasse cupiebant… (Caes., Ciu. 1.65.3-4)<br />

« Car non loin étaient des montagnes... Ces montagnes, ils désiraient y<br />

pénétrer… »<br />

Comportant les anaphoriques à l’initiale, ces phrases nous disent ce qui se passe<br />

au sujet de ces entités par la suite. On remarquera qu’à l’initiale de la proposition, le<br />

14 Dans nos exemples, les sujets sont respectivement au pluriel et au singulier. Pour l’anaphore zéro, voir<br />

chapitre II, Le topique, § 5.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

pronom topicalisant est coordonné à l’aide de -que 15 ou atque ; après une pause (16) ou<br />

à l’initiale de la phrase, la coordination n’a pas lieu. En (13), il y a un double focus<br />

(equitatum ac C. Marium), mais seul le second est continué.<br />

La reprise peut s’effectuer à une distance, plus ou moins grande, lorsqu’une<br />

autre information de type explicatif ou descriptif intervient 16 . Cette information<br />

n’appartient pas au même niveau discursif, mais à l’arrière-plan, et n’influe pas sur<br />

l’identification du référent de l’anaphorique (voir Pennell Ross, 1996 : 517 sqq.,<br />

Bolkestein, 2000 : 128, et Kroon, 1995 : 129 sq.). Dans l’exemple suivant, hos<br />

(oppressos et dispersos) reprend le focus (imprudentes atque inopinantes) hostes et la<br />

phrase explicative (Numidae enim… consederant) nous éclaire sur ce qui a permis de les<br />

attaquer à l’improviste.<br />

(18) Equites missi nocte iter conficiunt, imprudentes atque inopinantes hostes<br />

aggrediuntur. /Numidae enim quadam barbara consuetudine nullis ordinibus<br />

passim consederant./ Hos oppressos somno et dispersos adorti magnum eorum<br />

numerum interficiunt. (Caes., Ciu. 2.38.4-5)<br />

« Les cavaliers envoyés par Curion font route de nuit, et attaquent à l’improviste<br />

l’ennemi surpris. /Car les Numides, selon la coutume barbare, campent dispersés<br />

et sans ordre./ Tombant ainsi sur ces hommes profondément endormis et<br />

disséminés de tous côtés, les cavaliers en massacrent un grand nombre. »<br />

Il est tout à fait possible de rencontrer des renvois multiples à un même focus,<br />

comme le montre l’exemple suivant, où le focus montem est repris deux fois par le<br />

pronom hunc :<br />

(19) (Afranius) Ex eo loco IIII cetratorum cohortes in montem, qui erat in conspectu<br />

omnium excelsissimus, mittit. Hunc magno cursu concitatos iubet occupare…<br />

Hunc cum obliquo itinere cetrati peterent, conspicatus equitatus Caesaris in<br />

cohortes impetum fecit. (Caes., Ciu. 1.70.4-5)<br />

« De ce point, Afranius envoie quatre cohortes de cetrati pour occuper un<br />

sommet très élevé qui était en vue des deux armées. Il donne l’ordre de s’élancer<br />

au pas de course et de s’y établir… Mais, tandis que ces cohortes se dirigeaient<br />

vers ce poste par une marche oblique, la cavalerie de César, les ayant aperçues,<br />

tomba sur elles. » (trad. C.U.F.)<br />

Dans le second emploi, hunc précède un subordonnant, cum en l’occurrence ;<br />

cela s’explique par la fonction pragmatique de l’anaphorique 17 .<br />

4.2. Is vs. hic<br />

L’examen des exemples présentés plus haut suscite une question : dans quelles<br />

conditions trouvera-t-on is et dans quelles trouvera-t-on hic ? J. de Jong (1996 : 504 et<br />

15 Comme le fait remarquer Bolkestein (2000 : 134, note 7), les combinaisons des mots se terminant par<br />

un -c avec l’enclitique -que sont exclues (*hicque, *huncque) ; voir Kühner et Stegmann (1914, II : 13).<br />

En outre, l’enclitique -que ne devrait pas apparaître avec un mot monosyllabique, et pourtant, isque est<br />

bien attesté ; rien n’empêche ille d’accepter cet enclitique, mais illeque n’est pratiquement pas attesté<br />

(l’unique occurrence est celle de Cic., Sex. Rosc. 114).<br />

16 Cf. également Sall., Iug. 89.4-6.<br />

17 Cf., à ce propos, Kühner et Stegmann (1914, II : 625) qui signalent les cas où un sujet ou un objet sont<br />

mis en tête de la phrase lorsqu’ils se rapportent à la fois à la subordonnée et à la principale, sans toutefois<br />

mentionner les expressions pronominales. Cf. également Marouzeau (1953 : 83) qui parle d’une<br />

postposition du subordonnant tout en rejetant l’idée que le mot à l’initiale soit mis en relief.<br />

61


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

506), qui s’est intéressé au choix entre ces deux pronoms, en séparant les formes au<br />

nominatif des formes fléchies, conclut que hunc est doté d’une fonction introductive<br />

alors que eum a plutôt une fonction continuative. En conséquence, il rejette les<br />

exemples comme (20b) et (21b) :<br />

(20a) Pauci… ad T. Labienum legatum in hiberna perueniunt atque eum de rebus<br />

gestis certiorem faciunt. (Caes., Gall. 5.37.7)<br />

« Une poignée d’hommes… parvient aux quartiers d’hiver du légat T. Labiénus<br />

et l’informent de ce qui s’est passé. »<br />

(20b) * atque hunc… certiorem faciunt.<br />

(21a) Caesar… Brutum adulescentem his copiis praeficit ; hunc monet, ut in omnes<br />

partes equites quam latissime peruagentur. (Caes., Gall. 7.9.1)<br />

« César… donne le commandement des troupes au jeune Brutus ; il lui<br />

recommande de faire des incursions de cavalerie de tous côtés, et le plus loin<br />

possible. »<br />

(21b) * Brutum adulescentem copiis praeficit ; eum monet, ut…<br />

Or, ces exemples nous sembleraient grammaticaux si pour (20b), on posait une<br />

ponctuation forte ( ; hunc…) et une coordination en (21b) (eumque) Ŕ cf. les exemples<br />

(15-16) et (13), cités plus haut. En effet, eum en (20a) n’assure pas un renvoi au topique<br />

continu mais reprend un constituant focal, tout comme en (22), placé à l’initiale absolue,<br />

eum reprend un futur topique :<br />

(22) Cuius legationis princeps fuit L. Opimius, homo clarus… Eum Iugurtha tametsi<br />

Romae in amicis habuerat, tamen accuratissime recepit… (Sall., Iug. 16.2-3)<br />

« Le chef de cette délégation était L. Opimius, personnage célèbre… Bien qu’à<br />

Rome Jugurtha le comptât parmi ses amis, il le reçut pourtant très<br />

formellement. »<br />

La difficulté de l’analyse de J. de Jong consiste, selon nous, en ce qu’il a<br />

examiné la distribution des mots de reprise chez César (Guerre de Gaules). Or, on a vu<br />

que chez Salluste, le choix est différent et qu’il se sert très peu de hic 18 . Le choix entre<br />

is et hic nous semble plutôt à mettre au compte du style et de l’expressivité des auteurs.<br />

César, en effet, montre un souci de précision et d’exactitude ; cela expliquerait ses<br />

emplois fréquents de hic au sens de « celui-ci » là où is pourrait suffire 19 , comme encore<br />

en (21) :<br />

(23) Prouinciae Q. Cassium praeficit ; huic IIII legiones attribuit. (Caes., Ciu.<br />

2.21.4)<br />

« Au gouvernement de la province, il nomme Q. Cassius ; il lui attribue quatre<br />

légions. »<br />

18 Voir ci-dessus, tableau 2. En effet, chez Salluste, on ne relève que des formes fléchies de hic (nom. sg.<br />

et pl. sont absents), par exemple, pour l’emploi pronominal à l’initiale, 1 occurrence de hunc Ŕ chez César<br />

11 ( !) occurrences Ŕ, 1 de huic et de hos ; seul his est attesté en 3 occurrences. Sauf quelques exceptions,<br />

hic se rencontre dans les discours de Salluste.<br />

19 Cf. encore Bolkestein (2000 : 121) qui, tout au moins pour la continuation des futurs topiques, ne voit<br />

pas de différence sensible entre le choix de is et hic.<br />

62


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

4.3. Is et hic à l’intérieur<br />

Les occurrences des anaphoriques examinées nous amènent à conclure que<br />

placés à l’intérieur d’une phrase ou d’une proposition, is et hic en emploi pronominal ou<br />

adnominal ne reprennent pas le focus de la phrase précédente. En revanche, ils assurent<br />

un renvoi à une entité déjà connue.<br />

Considérons les exemples suivants :<br />

(24) De quibus rebus Seruilius consul ad senatum rettulit, senatusque Caelium ab re<br />

publica remouendum censuit. Hoc decreto eum consul senatu prohibuit et<br />

contionari conantem de rostris deduxit. (Caes., Ciu. 3.21.3)<br />

« Le consul Servilius en fit un rapport au sénat, et le sénat décréta que Célius<br />

devait être écarté du gouvernement. En vertu de ce décret, le consul lui interdit<br />

l’entrée du Sénat et le fit expulser des rostres, d’où il voulait haranguer le<br />

peuple. »<br />

(25) Cuius (Curionis) aduentu cognito diffisus municipii uoluntati Thermus cohortes<br />

ex urbe reducit et profugit. Milites in itinere ab eo discedunt ac domum<br />

reuertuntur. (Caes., Ciu. 1.12.2)<br />

« Ayant appris leur arrivée, Thermus, se défiant des dispositions du municipe,<br />

retire ses cohortes de la ville et s’enfuit. Ses soldats, pendant l’étape, désertent et<br />

rentrent chez eux. »<br />

(26) Conclamant legionis XIII, quae aderat, milites – hanc enim initio tumultus<br />

euocauerat, reliquae nondum conuenerant – sese paratos esse imperatoris sui<br />

tribunorumque plebis iniurias defendere. Cognita militum uoluntate Ariminum<br />

cum ea legione proficiscitur… (Caes., Ciu. 1.7.8 Ŕ 8.1)<br />

« Les soldats de la treizième légion, qui était là (César l’avait appelée dès le<br />

commencement des troubles ; les autres ne l’avaient pas encore rejoint) s’écrient,<br />

d’une voix unanime, qu’ils sont prêts à venger les injures faites à leur général et<br />

aux tribuns de la plèbe. Assuré des dispositions de ses soldats, César part avec<br />

cette légion pour Ariminum... »<br />

(27) Igitur Marius cum aliquanto maiore numero…, in Africam profectus paucis<br />

diebus Vticam aduehitur. Exercitus ei traditur a P. Rutilio legato. (Sall., Iug.<br />

86.4)<br />

« Marius part donc pour l’Afrique avec des troupes un peu plus nombreuses…,<br />

et, en quelques jours, il débarque à Utique. L’armée lui est remise par le<br />

lieutenant P. Rutilius. »<br />

Dans ces cas (24-27), on ne dit pas ce qui arrive à Caelius, à Thermus, à la treizième<br />

légion ou à Marius. En (24), Caelius, repris par eum, n’est pas le focus ; l’information y<br />

est complexe (Caelium ab re publica remouendum) et est reprise par le syntagme<br />

comportant hic (hoc decreto) en tête de la phrase suivante. Thermus n’est pas donné<br />

comme l’élément nouveau dans l’exemple (25) : c’est un personnage établi dans le<br />

discours, l’information nouvelle dans cette phrase est son action (reducit, profugit) ;<br />

Thermus n’étant pas le focus, ab eo n’est pas à l’initiale de la phrase suivante. La même<br />

explication peut être donnée pour la place de cum ea legione en (26) : il ne s’agit pas de<br />

dire ici « qui » déclare quelque chose mais « ce que » la XIII e légion déclare. Le<br />

contenu de la complétive Ŕ constituant apportant l’information nouvelle Ŕ est par<br />

ailleurs résumé dans l’ablatif absolu (cognita militum uoluntate « assuré de l’esprit de<br />

ces hommes »). On remarquera que le constituant au génitif (legionis XIII), développé<br />

par une relative, porte une certaine emphase. La parenthèse avec hanc en tête (même<br />

disposition que si c’était le focus) témoigne qu’il s’agit d’un élément surprenant. La<br />

63


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

première phrase de l’exemple (27) nous informe de l’arrivée de Marius à Utique ; ei ne<br />

renvoie donc pas à un élément nouveau, mais au topique du discours Marius.<br />

Ce type de renvoi au topique bien établi dans le discours est fréquemment assuré<br />

par l’anaphorique is, en particulier fléchi, qui est ainsi un signal d’identité avec le<br />

topique (voir J. de Jong, 1996 : 504) ; en revanche, hic n’est pas apte à assurer des<br />

renvois continus au topique 20 . Is est susceptible de reprendre le topique, malgré d’autres<br />

personnages intervenants ; un exemple emprunté à César l’illustre très bien :<br />

(28) Haec ad Antonium statim per Graecos deferuntur. Ille missis ad Caesarem<br />

nuntiis unum diem sese castris tenuit. Altero die ad eum peruenit Caesar.<br />

(Caes., Ciu. 3.30.6)<br />

« Ces faits sont aussitôt rapportés par les Grecs à Antoine. Il envoya des<br />

messagers à César et ne sortit pas de son camp pendant une journée. Le<br />

lendemain César le joignit. »<br />

Dans ce passage, un changement de topique se prépare : contrastif, ille,<br />

renvoyant à Antoine, marque ce changement. Dans la phrase subséquente, ad eum<br />

reprend Antoine, représentant le dernier topique.<br />

Adnominal et surtout pronominal, hic occupe moins souvent une position<br />

intérieure. Il peut reprendre un élément donné comme a Brundisinis en (29), qui n’est ni<br />

le focus, ni le topique de la phrase précédente :<br />

(29) Milites positis scalis muros ascendunt, sed moniti a Brundisinis, ut uallum<br />

caecum fossasque caueant, subsistunt et longo itinere ab his circumducti ad<br />

portum perueniunt… (Caes., Ciu. 1.28.4)<br />

« Les soldats dressent les échelles et escaladent les remparts ; mais, avertis par<br />

les habitants de Brindes de prendre garde aux chausse-trapes et aux tranchées, ils<br />

s’arrêtent et, guidés par ceux-ci, ils font un long détour pour arriver au port. »<br />

De même, hanc fossam en (30) :<br />

(30) Caesar… pedum XV fossam fieri iussit. Prima et secunda acies in armis, ut ab<br />

initio constituta erat, permanebat ; post has opus in occulto a III acie fiebat. Sic<br />

omne prius est perfectum, quam intellegeretur ab Afranio castra muniri. Sub<br />

uesperum Caesar intra hanc fossam legiones reducit atque ibi sub armis<br />

proxima nocte conquiescit. (Caes., Ciu. 1.41.5)<br />

« César… fit creuser une tranchée de quinze pieds de large. La première et la<br />

seconde ligne restaient sous les armes comme elles avaient été placées d’abord ;<br />

derrière elles, les travaux se faisaient à l’abri des vues par la troisième ligne. De<br />

cette façon, tout fut terminé avant qu’Afranius s’aperçut qu’on fortifiait le camp.<br />

Au soir tombant, César retire ses troupes derrière la tranchée et passe là, sous les<br />

armes, la nuit suivante. »<br />

Il apparaît bien que hanc fossam renvoie à un élément déjà connu (fossam) qui n’est<br />

toutefois pas le focus précédent, vu d’autres informations qui interviennent sur le même<br />

20 Cette différence fonctionnelle entre is et hic observée par J. de Jong (ibid.) est parfaitement applicable<br />

ici, mais non pas lorsqu’il s’agit de reprendre le focus (voir § 4.1). L’idée de la corréférence peut être bien<br />

illustrée par : proxumus lictor Iugurthae, carus acceptusque ei semper fuerat (Sall., Iug. 12.3) « le<br />

principal licteur de Jugurtha, homme qui avait toujours joui de l’affection et de la faveur du prince. »<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

plan narratif. Placé après le circonstant de temps et le topique Caesar, le constituant<br />

hanc fossam ne topicalise pas un constituant mais, continué par ibi, il est même le focus<br />

de la proposition.<br />

Le principe de topicalisation que nous venons de décrire permet d’expliquer des<br />

cooccurrences d’anaphoriques dans les passages où plusieurs personnages sont sur la<br />

scène, comme en (31) :<br />

(31) (Varro…) Tum uero omni interclusus itinere ad Caesarem mittit, paratum se<br />

esse legionem, cui iusserit, tradere. Ille ad eum Sextum Caesarem mittit atque<br />

huic tradi iubet. Tradita legione Varro Cordubam ad Caesarem uenit. (Caes.,<br />

Ciu. 2.20.7-8)<br />

« Alors, bloqué de toutes parts, Varron fait dire à César qu’il est prêt à remettre<br />

sa légion à qui il ordonnera. César lui envoie Sextus César avec l’ordre qu’elle<br />

lui soit remise. La remise effectuée, Varron va trouver César à Cordoue. »<br />

Varron envoie un message à César pour lui dire qu’il était prêt à remettre sa légion Ŕ la<br />

complétive représente l’information nouvelle ; il est donc question ici de savoir à qui la<br />

remettre. Ille, en tête de la phrase, marque un changement de topique, en renvoyant à<br />

César (par ailleurs mentionné dans la phrase précédente). Ad eum reprend Varron, le<br />

topique précédent, sans fonction pragmatique particulière dans cette phrase. Sextum<br />

Caesarem est le focus, repris par huic en tête de la proposition suivante. Le choix de hic<br />

(cf. l’exemple 12 cité ci-dessus) s’expliquerait par le souci de le différencier de is (ad<br />

eum) figurant dans la proposition précédente et renvoyant à une autre personne ;<br />

toutefois, sa position est la seule possible car aucun élément n’intervient entre lui et le<br />

verbe (tradi iubet).<br />

4.4. Cas particuliers<br />

L’examen des anaphoriques et des fonctions pragmatiques assumées par leurs<br />

antécédents dans la Guerre civile et dans la Guerre de Jugurtha nous a offert quelques<br />

exemples 21 qui seraient en désaccord avec la règle que nous avons formulée plus haut 22 .<br />

(32) Media circiter nocte iis, qui aquandi causa longius a castris processerant ab<br />

equitibus correptis, fit ab his certior Caesar duces aduersariorum silentio<br />

copias castris educere. (Caes., Ciu. 1.66.1)<br />

« Vers le milieu de la nuit, des soldats qui s’étaient écartés à une certaine<br />

distance du camp pour la corvée d’eau sont enlevés par la patrouille de la<br />

cavalerie ; par eux, César apprend que les chefs ennemis font sortir sans bruit<br />

leurs troupes du camp. » (trad. C.U.F.)<br />

L’exemple (32) montre un cas de topicalisation par ab his 23 qui reprend le<br />

nouvel élément « les soldats qui se sont écartés » ; on attendrait que l’anaphorique se<br />

21 Outre les quatre occurrences concernant la reprise d’un focus traitées ici, on a relevé comme exceptions<br />

trois occurrences concernant la reprise d’un contenu (§ 5.2) et quatre occurrences concernant les adverbes<br />

anaphoriques (§ 9). Au total, il s’agit de 13 occurrences dont 5 chez César et 8 chez Salluste.<br />

22 Il s’agit de onze occurrences au total (5 chez César et 6 chez Salluste). Quatre occurrences concernant<br />

la reprise d’un constituant sont traitées ici, trois occurrences de reprise d’un contenu au § 5.1 et quatre<br />

occurrences concernant les adverbes anaphoriques au § 9.<br />

23 Les reprises de ce type, iis… correptis… his, se produisent assez souvent chez César ; selon<br />

l’explication donnée dans le commentaire (F. Kraner, W. Dittenberger et H. Meusel, C. Iulii Caesaris<br />

Commentarii De bello ciuili, Wiedmann, 1959 12 , concernant quibus effectis…, his 1.36.5), la construction<br />

souligne la corréférence de l’ablatif absolu et de l’anaphorique. De même, J. A. M. van der Linden<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

positionne en tête : ab his fit certior… Or, cette solution produirait une séquence lourde<br />

iis, qui… correptis, ab his… qui est évitée par l’intercalation de fit. Si la construction en<br />

(32) peut être considérée comme particulière, la place de in eam dans l’exemple suivant<br />

devrait être devant duabus :<br />

(33) Conspicataeque naues triremes duae nauem D. Bruti, quae ex insigni facile<br />

agnosci poterat, duabus ex partibus sese in eam incitauerant. Sed tantum re<br />

prouisa Brutus celeritate nauis enissus est… (Caes., Ciu. 2.6.4)<br />

« Deux trirèmes, ayant repéré le vaisseau de D. Brutus, aisément reconnaissable<br />

par l’insigne, se lancèrent sur lui de deux côtés. Mais Brutus vit la manœuvre et<br />

poussa la vitesse de son vaisseau… »<br />

En effet, nauem D. Bruti est l’élément saillant de la proposition conspicatae… (« qu’ont<br />

repéré les trirèmes ? ») et la reprise du focus en tête de la proposition subséquente serait<br />

attendue.<br />

Dans les discours de Salluste, nous avons relevé une occurrence d’un<br />

anaphorique à l’intérieur de la phrase, là où nous l’attendrions plutôt à l’initiale :<br />

(34) Neque litteras Graecas didici : parum placebat eas discere, quippe quae ad<br />

uirtutem doctoribus nihil profuerant. (Sall., Iug. 85.32)<br />

« Je n’ai pas étudié les lettres grecques ; je ne me souciais guère d’une étude qui<br />

n’avait pas su inspirer à ses maîtres l’amour de la vertu. » (trad. C.U.F.)<br />

Or le placement de eas après parum placebat s’explique par des raisons d’emphase<br />

portée sur ces constituants à valeur subjective.<br />

En revanche, is, qui figure à l’initiale, topicalise un élément nouveau ; tel n’est<br />

pas le cas en (35) où eos se rapporte à quinque, déjà topicalisé dans la phrase précédente<br />

par eos. Il se peut que cette deuxième occurrence de eos renoue avec le premier emploi :<br />

(35) (Bocchus…quinque delegit… Eos… ire iubet.) Illi mature ad hiberna<br />

Romanorum proficiscuntur, deinde in itinere a Gaetulis latronibus circumuenti<br />

spoliatique pauidi sine decore ad Sullam profugiunt, quem consul in<br />

expeditionem proficiscens pro praetore reliquerat. Eos ille non pro uanis<br />

hostibus, uti meriti erant, sed accurate ac liberaliter habuit. (Sall., Iug. 103.4-5)<br />

« (Bocchus choisit cinq hommes … Il leur ordonne d’aller…) Ils partent aussitôt<br />

pour les quartiers d’hiver des Romains ; mais ayant été attaqués et dépouillés en<br />

cours de route par des brigands gétules, ils se réfugient, tremblants et mal en<br />

point, auprès de Sulla que le consul, en partant pour son expédition, avait laissé<br />

en qualité de propréteur. Il les accueillit, non en ennemis sans foi, comme ils<br />

l’auraient mérité, mais avec égards et générosité. »<br />

(1955 : 75) constate en outre des parallélismes fréquents dans ces constructions démontrant une intention<br />

de clarté, et analyse plusieurs exemples de ce type où le sujet de l’ablatif absolu est identique à l’objet de<br />

la proposition principale. Cf. également Kühner et Stegmann (1914, I : 786) sur les cas où le sujet de<br />

l’ablatif absolu intervient dans la principale, par exemple Caesar obsidibus imperatis hos Haeduis<br />

custodiendos tradit (Caes., Gall. 6.4.4) « il exige cent otages, et en confie la garde aux Héduens », on<br />

attendrait : Caesar obsides imperatos Haeduis custodiendos tradit.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

5. Reprise d’un contenu<br />

5.1. Is et hic<br />

Les exemples traités dans la section précédente nous ont montré la topicalisation<br />

par is et hic d’un constituant qui fonctionne comme focus. Cependant, il est possible de<br />

reprendre un constituant complexe, par exemple une proposition subordonnée ou une<br />

proposition infinitive. La topicalisation s’effectue alors à l’aide d’un is ou d’un hic<br />

adnominal, ou à l’aide d’un pronom neutre, singulier ou pluriel. Les anaphoriques<br />

figurent à l’initiale et dans les emplois adnominaux, des disjonctions sont admises.<br />

Deux exemples sont donnés en (36) et (37) :<br />

(36) At illa multo optima rei publicae doctus sum : hostem ferire, praesidia agitare,<br />

nihil metuere nisi turpem famam, hiemem et aestatem iuxta pati, humi<br />

requiescere, eodem tempore inopiam et laborem tolerare. His ego praeceptis<br />

milites hortabor. (Sall., Iug. 85.34)<br />

« Mais j’ai appris ce qui est bien plus utile à la République : frapper l’ennemi,<br />

monter la garde, ne rien craindre, sauf le déshonneur, endurer aussi bien l’hiver<br />

et l’été, dormir sur la terre, supporter en même temps le dénuement et la peine.<br />

Telles sont les leçons que je donnerai à mes soldats. »<br />

(37) Igitur bello Numantino Micipsa… sperans uel ostentando uirtutem uel hostium<br />

saeuitia facile eum occasurum, praefecit Numidis, quos in Hispaniam mittebat.<br />

Sed ea res longe aliter, ac ratus erat, euenit. (Sall., Iug. 7.2-3)<br />

« Aussi, pendant la guerre de Numance,..., Micipsa, dans l’espoir que Jugurtha<br />

succomberait aisément, victime de son courage ou de la cruauté ennemie, le mit<br />

à la tête des Numides qu’il expédiait en Espagne. Mais l’issue fut tout autre qu’il<br />

avait pensé. »<br />

La reprise concerne tout un contenu : l’énumération en (36) et l’action de Micipsa en<br />

(37). Dans les deux cas, les anaphoriques sont employés adnominalement. His<br />

praeceptis reprend l’énumération des aptitudes que le locuteur a apprises, ea res résume<br />

le contenu précédent. Les substantifs qui accompagnent les anaphoriques sont des noms<br />

qui nomment le phénomène présenté (« préceptes ») ou des noms génériques tel res<br />

(« chose ») qui pourraient alterner avec un anaphorique neutre, singulier ou pluriel (id<br />

ou haec) 24 .<br />

Chez Salluste, nous avons relevé trois cas où l’anaphorique n’occupe pas la<br />

place initiale. À deux reprises, il est précédé par un mot exprimant une appréciation<br />

subjective (cf. ci-dessus, exemple 34), parui en (38) et l’adverbe uehementer « très »<br />

devant eo negotio qui résume la situation troublante de Micipsa en (39) :<br />

(38) Non sunt composita uerba mea : parui id facio. (Sall., Iug. 85.31)<br />

« Mes paroles sont sans art ; j’en fais peu de cas. »<br />

(39) Micipsa… postquam hominem adulescentem exacta sua aetate et paruis liberis<br />

magis magisque crescere intellegit, uehementer eo negotio permotus multa cum<br />

animo suo uoluebat. (Sall., Iug. 6.2)<br />

« Après avoir pris conscience de sa propre vieillesse, du jeune âge de ses fils et<br />

du prestige sans cesse grandissant du jeune homme, Micipsa, très préoccupé par<br />

cette situation, il ne cessait de réfléchir. »<br />

24 Comme l’a remarqué J. de Jong (1996 : 507), il y a une différence fonctionnelle entre hic et is<br />

employés au neutre. Au singulier, id reprend une phrase tandis que haec au pluriel en reprend plusieurs,<br />

un contenu précédent ou tout un paragraphe.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

Le cas exemplifié en (40) est plus complexe. On n’attendrait pas ob ea feliciter<br />

acta placé devant senatus ; or, senatus est mis en contraste avec ciuitas et l’information<br />

concernant le succès de Métellus, résumée par ob ea feliciter acta, est nouvelle pour les<br />

sénateurs, mais non pas pour le lecteur. Ce dernier apprend essentiellement la joie à<br />

Rome et ainsi que les réactions du sénat et de la cité.<br />

(40) Interim Romae gaudium ingens ortum cognitis Metelli rebus, ut seque et<br />

exercitum more maiorum gereret… Itaque senatus ob ea feliciter acta dis<br />

immortalibus supplicia decernere ; ciuitas, trepida antea et sollicita de belli<br />

euentu, laeta agere. (Sall., Iug. 55.2)<br />

« Pendant ce temps, à Rome, des transports de joie éclatèrent dès qu’on connut<br />

les exploits de Métellus : lui et son armée s’étaient comportés comme les<br />

ancêtres... Aussi, en raison de l’heureux succès de ces opérations, le Sénat<br />

prescrivit des actions de grâces aux dieux immortels ; la cité, naguère troublée et<br />

inquiète sur la fin de la guerre, vit la joie. »<br />

5.2. La fonction résomptive de hic<br />

Bien que is puisse reprendre un contenu précédent, en particulier celui de la<br />

proposition précédente, hic a une portée plus large qui lui donne la possibilité<br />

d’introduire des phrases qui apparaissent comme des clôtures de sections. Cet emploi<br />

est sans parallèle avec is (voir Bolkestein, 2000 : 121).<br />

(41) Dixerat aliquis leniorem sententiam, ut primo M. Marcellus… ut M. Calidius…<br />

ut M. Rufus… Hi omnes conuicio L. Lentuli consulis correpti exagitabantur.<br />

(Caes., Ciu. 1.2.2-4)<br />

« Certains avaient exprimé un avis plus modéré : tel tout d’abord M.<br />

Marcellus… tel M. Calidius… tel M. Rufus… Tous ceux-ci furent fortement<br />

réprimandés par le consul L. Lentulus. »<br />

(42) Decurritur ad illud extremum atque ultimum senatus consultum… : dent operam<br />

consules, praetores, tribuni plebis, quique pro consulibus sint ad urbem, ne quid<br />

res publica detrimenti capiat. Haec senatusconsulto perscribuntur a.d. VII Id.<br />

Ian. (Caes., Ciu. 1.5.3-4)<br />

« On a recours à ce suprême et ultime sénatus-consulte… ‘Que les consuls, les<br />

préteurs, les tribuns de la plèbe et les proconsuls qui sont près de la ville, veillent<br />

à ce que la République ne subisse aucun dommage.’ Tel fut la teneur du sénatusconsulte<br />

rédigé le 7 janvier. »<br />

(43) His de causis aguntur omnia raptim atque turbate. (Caes., Ciu. 1.5.1)<br />

« Par ces motifs, tout fut mené dans la hâte et la confusion. »<br />

Hi omnes « tous ceux-ci » en (41) reprend des éléments saillants du passage précédent,<br />

les personnages qui ont exprimé leur avis (Marcellus, Calidius, Rufus), tandis que haec<br />

en (42) reprend tout le contenu précédent, celui du sénatus-consulte, en d’autres termes,<br />

toute l’information. De même, des exemples de type (43) pourraient être évoqués, qui<br />

reprennent le contenu de tout un paragraphe.<br />

On comprend alors pourquoi hic signalant le résumé 25 d’un contenu précédent<br />

apparaît fréquemment dans la construction de l’ablatif absolu (44) 26 ou dans les<br />

formules de type « dum haec… geruntur » (45) où haec suit le subordonnant 27 :<br />

25 Is apparaît rarement dans l’ablatif absolu, comme l’a signalé M. Bolkestein (2002).<br />

26 En revanche, l’ablatif absolu ne reprend pas le contenu précédent par exemple dans : Pompeius his<br />

rebus cognitis quae erant ad Corfinium gestae Luceria proficiscitur Canusium atque inde Brundisium.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

(44) Quem Caesar ad eum remittit cum mandatis :… His datis mandatis Brundisium<br />

cum legionibus VI peruenit… (Caes., Ciu. 1.24.5 Ŕ 25.1)<br />

« César le lui renvoie avec mission de lui dire que… Cette mission donnée,<br />

César arrive avec six légions à Brindes... »<br />

(45) Dum haec Romae geruntur… (Sall., Iug. 32.1)<br />

« Pendant que cela se passe a Rome… »<br />

En tout cas, quelle que soit la forme syntaxique, il convient de souligner que hic<br />

résomptif, employé surtout dans des syntagmes, marque la fin d’un discours, d’un autre<br />

contenu (lettre, message…), ou d’une description (47). Des disjonctions sont admises,<br />

hic figurant toujours à l’initiale.<br />

(46) (‘…si ulla apud uos memoria remanet aui mei Masinissae.’) His litteris recitatis<br />

fuere qui exercitum in Africam mittendum censerent. (Sall., Iug. 25.1)<br />

« (‘…si vous gardez encore en vous quelque souvenir de mon aïeul Masinissa.’)<br />

Après la lecture de cette lettre, quelques sénateurs demandèrent l’envoi d’une<br />

armée en Afrique. »<br />

(47) Hic fuit oppugnationis exitus. (Caes., Ciu. 3.9.7)<br />

« C’est ainsi que se termina le siège. »<br />

Hic peut très bien ouvrir une nouvelle section. Or dans ce cas, il fonctionne<br />

comme cataphorique et sa place n’est pas à l’initiale 28 . Hic annonce un contenu qui va<br />

suivre et marque le début d’une unité textuelle, par exemple lettre, discours, description<br />

d’un lieu ou d’une bataille… :<br />

(48) Genus erat hoc pugnae : expeditae cohortes nouissimum agmen claudebant…<br />

(Caes., Ciu. 1.79.1)<br />

« Le combat se déroulait de la façon suivante : des cohortes légères fermaient<br />

l’arrière-garde… »<br />

(49) Sic locutus cum litteris eum, quas Micipsae redderet, dimisit. Earum sententia<br />

haec erat : … (Sall., Iug. 9.1)<br />

« Sur ces mots, il lui remit une lettre pour Micipsa et lui donna congé. Voici quel<br />

était le sens de ce message :… »<br />

(50) (... si haec esset in altitudinem turris elata.) Id hac ratione perfectum est. Vbi<br />

turris altitudo perducta est ad contabulationem… (Caes., Ciu. 2.8.3 Ŕ 2.9.1)<br />

« (... que cette tour fût plus élevée.) Voici comment la tâche fut accomplie.<br />

Quand la hauteur de la tour atteignit un étage… »<br />

Si le résumé signalé par hic, analysé plus haut, est une sorte de topicalisation, les<br />

introductions exemplifiées en (48-50) ne le sont pas : en témoignent les pronoms earum<br />

et id qui assurent une topicalisation, de litteris (49) et du contenu précédent (50). Hic a<br />

une autre fonction ici : les syntagmes dans lesquels il figure représentent l’information<br />

(Caes., Ciu. 1.24.1) « Pompée, une fois connus les événements qui s’étaient déroulés à Corfinium, quitte<br />

Lucéria pour Canusium et ensuite pour Brindes. »<br />

27 Pour César et Salluste, le corpus de BTL enregistre 17 occurrences de type dum haec geruntur<br />

(aguntur), mais seulement 2 occurrences de haec dum geruntur.<br />

28 De même, un hic assurant une déixis situationnelle ne se positionne pas nécessairement à l’initiale, cf.<br />

Nunc, quoniam…, per hanc dexteram, per regni fidem moneo obtestorque te… (Sall., Iug. 10.3) «<br />

Maintenant que… par cette main que je presse, par la foi due au royaume, je te prie, je te conjure… ».<br />

Chez Salluste, hic exophorique apparaît tout particulièrement dans ses discours.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

saillante. Pour cette raison, hic n’est pas à l’initiale mais occupe une position ultérieure.<br />

Les disjonctions fréquentes et/ou les postpositions de hic par rapport à son substantif<br />

(46-47) portent à conclure que hic lui-même est le focus.<br />

Un contenu repris par des syntagmes contenant un hic peut encore ne pas avoir<br />

de fonction pragmatique du tout. Un exemple emprunté à César nous l’illustrera :<br />

(51) (naues) ex Massiliensium classe V sunt depressae, IV captae, una cum<br />

Nasidianis profugit ; quae omnes citeriorem Hispaniam petiuerunt. At ex<br />

reliquis una praemissa Massiliam huius nuntii perferendi gratia cum iam<br />

appropinquaret urbi… (Caes., Ciu. 2.7.2-3)<br />

« De la flotte marseillaise, cinq vaisseaux furent coulés, quatre pris, et un<br />

s’enfuit avec ceux de Nasidius, qui gagnèrent tous l’Espagne citérieure.<br />

Cependant, un des vaisseaux qui restaient fut envoyé à Marseille pour porter<br />

cette nouvelle ; à peine s’approchait-il de la ville… » (trad. C.U.F.)<br />

César dresse ici un bilan des navires qui représentent le topique du passage. Le<br />

syntagme huius nuntii reprend tout le contenu précédent sur le sort de la flotte<br />

marseillaise sans être topicalisé ; de plus, ce constituant exprime le motif pour lequel un<br />

vaisseau fut envoyé à Marseille. Le topique de la phrase 3 est una, élément déduit du<br />

constituant classe.<br />

6. Sélection d’un constituant<br />

Après avoir examiné la reprise d’un focus (§ 4) et la reprise d’un contenu (§ 5),<br />

il importe d’analyser un troisième cas de topicalisation : la topicalisation d’un<br />

constituant sélectionné. En effet, il est possible de topicaliser un constituant lorsque le<br />

contexte précédent donne une information entièrement nouvelle, dépourvue d’élément<br />

saillant. Considérons l’exemple suivant :<br />

(52) Sed postquam in Hispania Hercules, sicuti Afri putant, interiit, exercitus eius,<br />

compositus ex uariis gentibus, amisso duce ac passim multis sibi quisque<br />

imperium petentibus breui dilabitur. Ex eo numero Medi, Persae et Armenii<br />

nauibus in Africam transuecti proximos nostro mari locos occupauere… (Sall.,<br />

Iug. 18.3)<br />

« Mais après la mort d’Hercule en Espagne Ŕ c’est l’opinion des Africains Ŕ son<br />

armée, composée de peuples divers, ayant perdu son chef, et voyant plusieurs<br />

rivaux se disputer le commandement, se débanda bien vite. Dans le nombre, les<br />

Mèdes, les Perses et les Arméniens passèrent en Afrique sur des vaisseaux et<br />

occupèrent des territoires les plus rapprochés de notre mer. »<br />

Ce passage emprunté à Salluste concerne les premiers habitants de l’Afrique,<br />

dont le nombre a été augmenté par d’autres peuples : les Mèdes, les Perses et les<br />

Arméniens. Dans la phrase concernant Hercule, indépendant du contexte, tout est<br />

nouveau ; cette information est donnée pour permettre le passage aux peuples qui sont<br />

venus en Afrique. La topicalisation (ex eo numero) concerne non pas tout le contenu<br />

mais un seul élément, ex uariis gentibus.<br />

Un cas similaire se présente en (53) :<br />

(53) Nostrae naues duae tardius cursu confecto in noctem coniectae, cum ignorarent,<br />

quem locum reliquae cepissent, contra Lissum in ancoris constiterunt. Has<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

scaphis minoribusque nauigiis compluribus immissis Otacilius Crassus, qui Lissi<br />

praeerat, expugnare parabat ; simul de deditione eorum agebat. (Caes., Ciu.<br />

3.28.1)<br />

« Deux de nos vaisseaux dont la marche avait été moins rapide furent surpris par<br />

la nuit, et, ignorant la route que les autres avaient tenue, jetèrent l’ancre en face<br />

de Lissus. Otacilius Crassus, qui commandait dans cette ville, prépara un grand<br />

nombre de petites barques et de chaloupes pour aller les combattre ; en même<br />

temps, il traitait de leur capitulation. »<br />

Bien que plusieurs paragraphes soient déjà consacrés aux navires, à cet endroit,<br />

César commence un nouvel épisode qui concernera le sort particulier de deux bâtiments.<br />

Sous cet angle, nostrae naues duae représente l’élément nouveau, et ce qui leur est<br />

arrivé (« surpris par la nuit », « jetèrent l’ancre »…) est nouveau également. Une<br />

information entièrement nouvelle est donnée ainsi et un élément, le sujet (nostrae naues<br />

duae), est topicalisé par la suite (has).<br />

Les cas de topicalisation exemplifiés en (52) et (53) pourraient être mis en<br />

relation avec l’introduction ou la réintroduction d’une entité dans le discours sans<br />

formule présentative (cf. les exemples 8 et 9 cités plus haut, § 4.1).<br />

7. Qui – le relatif de liaison<br />

Outre is et hic, le latin dispose d’un autre pronom/adjectif susceptible d’assurer<br />

des reprises anaphoriques : qui dit « relatif de liaison ». Il partage certaines fonctions<br />

avec is et hic, en particulier la reprise d’un focus et la reprise d’un contenu ; toutefois, il<br />

présente des différences distributionnelles et fonctionnelles.<br />

Bien que son identification pose de nombreux problèmes (voir, en particulier,<br />

Bolkestein 1996a, et Rosén, 1999 : 165 sqq.), il s’avère Ŕ tout au moins pour un texte<br />

narratif Ŕ acceptable de considérer comme contenant un relatif de liaison les<br />

propositions qui appartiennent à la ligne narrative, par opposition aux relatives qui<br />

apportent une information d’arrière-plan (voir ibid., p. 557). En outre, les propositions<br />

ouvertes par un relatif de liaison présentent le plus souvent un temps narratif (présent<br />

historique, parfait) ; l’imparfait est relativement rare.<br />

La place du relatif de liaison est toujours à l’initiale. Pour ce qui est de sa<br />

fréquence, nous nous limiterons à présenter les résultats obtenus par D. Pennell Ross<br />

(1996 : 514) concernant les deux premiers livres de la Guerre civile de César. Selon ses<br />

statistiques, qui obtient 12 % dans la distribution générale des anaphoriques, et est ainsi<br />

aussi fréquent que ille (11 %) et que des adverbes (13 %), mais beaucoup moins que hic<br />

(27 %) et que is (37 %) 29 . M. Bolkestein (1996a : 559) a observé que dans la majorité<br />

des cas, qui renvoie à des entités inanimées et que son antécédent se rencontre dans la<br />

phrase ou le paragraphe immédiatement précédent. En outre, dans 29 % des cas, le<br />

relatif de liaison figure dans la construction de l’ablatif absolu.<br />

Après avoir passé en revue les caractéristiques générales du relatif de liaison, il<br />

convient d’aborder la question de la fonction pragmatique de son antécédent. Le relatif<br />

de liaison, admettant des emplois pronominaux et adnominaux, peut, à l’instar de is et<br />

de hic, reprendre le focus de la phrase précédente. Deux exemples sont donnés, l’un<br />

pour illustrer un référent animé (54), l’autre un inanimé (55) ; la phrase comportant le<br />

relatif de liaison appartient à la ligne narrative, et dans ces deux cas, il s’agit de futurs<br />

topiques :<br />

29 Cf. également l’étude de D. Longrée (2002).<br />

71


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

(54) Ibi cum Boccho Numida quidam Aspar nomine multum et familiariter agebat…<br />

Quem Bocchus... ad Sullam nuntiatum mittit… (Sall., Iug. 108.1-2)<br />

« Là, auprès de Bocchus, se trouvait un Numide nommé Aspar, vivant dans une<br />

extrême intimité avec lui... Bocchus l’envoie… annoncer à Sulla que… »<br />

(55) Namque haud longe a flumine Muluccha, quod Iugurthae Bocchique regnum<br />

diiungebat, erat inter ceteram planitiem mons saxeus… Quem locum Marius,<br />

quod ibi regis thesauri erant, summa ui capere intendit. (Sall., Iug. 92.5)<br />

« Non loin du fleuve Muluccha, qui séparait les royaumes de Bocchus et de<br />

Jugurtha, il y avait, au milieu d’un pays tout plaine, une montagne rocheuse…<br />

Marius résolut de s’emparer de cette place parce qu’elle renfermait les trésors du<br />

roi. »<br />

Or, le relatif de liaison se rencontre dans d’autres types de contextes. Le premier<br />

peut être exemplifié par les emplois de type (56) :<br />

(56) Caesar… ab urbe proficiscitur atque in ulteriorem Galliam peruenit. Quo cum<br />

uenisset, cognoscit missum a Pompeio Vibullium Rufum... (Caes., Ciu. 1.33.4 Ŕ<br />

34.1)<br />

« César… quitte Rome et arrive en Gaule ultérieure. Une fois arrivé, il apprend<br />

que Vibullius Rufus avait été envoyé par Pompée… »<br />

Quo suit une phrase indiquant que César se rend quelque part ; or, il n’est pas<br />

employé seul mais figure dans une subordonnée 30 , et pourrait être remplacé par eo (cf.<br />

eo cum uenisset, par exemple Caes., Ciu. 1.16.2). Complexe, la reprise concerne donc<br />

non pas l’endroit même mais plutôt « le fait de venir là-bas ». Cet emploi de qui,<br />

accompagné d’une répétition sémantique (peruenit… uenisset), ainsi que le caractère<br />

subordonné de la proposition qui l’accueille, semble être typique de qui (voir<br />

Bolkestein, 2000 : 129 sq.). Selon la grammaire fonctionnelle, il s’agit de liaisons dites<br />

« tail-head linking » qui consistent à résumer l’action précédente à l’aide d’une<br />

proposition placée en tête de la phrase (cf H. Dik, 1995 : 241, et H. Pinkster 1995 :<br />

319), en particulier à l’aide d’un ablatif absolu (voir Bolkestein, 1998a : 199 sq.) 31 . Ce<br />

procédé, typiquement assuré par un ablatif absolu, est un moyen de cohésion textuelle.<br />

On pourrait citer également :<br />

(57) Recepto Caesar Orico nulla interposita mora Apolloniam proficiscitur. Cuius<br />

aduentu audito L. Staberius… aquam comportare in arcem… coepit. (Caes.,<br />

Ciu. 3.12.1)<br />

30 Cf. également : Nacti portum…, eo naues introduxerunt… Quo simulatque introitum est, incredibili<br />

felicitate auster, qui per biduum flauerat, in Africum se uertit. (Caes., Ciu. 3.26.4-5) « Se trouvant en face<br />

du port…, ils y firent entrer leurs bâtiments… À peine y fut-on entré que, par une chance incroyable, le<br />

vent du midi, qui avait soufflé pendant deux jours, tourna au sud-ouest. »<br />

31 Il nous semble important de distinguer l’enchaînement de type « tail-head linking » de ce que nous<br />

décrivons comme la topicalisation, et ce malgré S. C. Dik (1997, II, 438 sqq.). En effet, tail-head linking<br />

va de pair avec répétition sémantique du contenu donné au préalable ; aussi, des exemples donnés par S.<br />

C. Dik, retiendrons-nous seulement le suivant (p. 439) : Ils ont traversé la rivière… Après avoir traversé<br />

la rivière…Le même phénomène se rencontre en grec ancien (voir H. Dik, 1995 : 249), par exemple :<br />

Pu/qioj o( )/Atouj… xrh/mata/ te e)pagge/lleto boulo/menoj e)j to\n po/lemon pare/xein.<br />

e)paggellome/nou de\ xrh/mata Puqi/ou, ei)/reto… (Herod. 7.27.1-2) « Pythios, le fils d’Atys… offrit<br />

volontairement de fournit de l’argent pour les frais de la guerre. Après avoir fourni l’argent… »<br />

72


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

« César, après la prise d’Oricum, se dirige sur Apollonie sans perdre un instant.<br />

En apprenant son arrivée, L. Stabérius… commence à faire porter de l’eau dans<br />

la citadelle… »<br />

Les reprises effectuées par qui contribuent donc à constituer un cadre Ŕ spatial,<br />

temporel ou autre Ŕ à l’élément narratif suivant. Qui y topicalise une information<br />

complexe (‘l’arrivée de quelqu’un quelque part’). En tant que forme faible de<br />

l’anaphore, le relatif de liaison reprend généralement un constituant exprimé dans le<br />

contexte immédiatement précédent. Bien qu’il puisse intervenir après des informations<br />

appartenant à l’arrière-plan comme hic ou is (voir Bolkestein 2000 : 128), un qui ne<br />

serait pas attendu dans un exemple comme :<br />

(58) Eisdem temporibus C. Curio in Africam profectus ex Sicilia… appellit ad eum<br />

locum, qui appellatur Anquillaria. Hic locus abest a Clupeis passuum XXII<br />

milia… Huius aduentum L. Caesar filius cum X longis nauibus ad Clupea<br />

praestolans… (Caes., Ciu. 2.23.1-3)<br />

« À la même époque, C. Curion s’embarquait en Sicile pour l’Afrique… et il<br />

aborda au lieu qui s’appelle Anquillaria. Ce lieu est à vingt-deux mille pas de<br />

Clupéa… César le fils attendait son arrivé à Clupéa avec dix navires de<br />

guerre… »<br />

Huius aduentum reprend l’arrivée de Curio qui est ici réintroduit dans le<br />

discours (dernièrement mentionné au 2.3.1 ; à noter, l’expression de son<br />

praenomen). La phrase de départ, que l’on peut considérer comme une information<br />

entièrement nouvelle, donne lieu à deux topicalisations : le point d’arrivée de Curion<br />

(hic locus Ŕ cet endroit constituera le cadre pour la suite), et l’arrivée même de Curion<br />

(huius aduentum Ŕ ce substantif peut aisément être déduit du verbe appellit). L’emploi<br />

de hic est lié ici à la réintroduction du personnage et est préféré en tant que forme plus<br />

forte de l’anaphore 32 .<br />

Ce type de reprise complète ressort nettement dans les exemples suivants où un<br />

nom générique tel res est employé. La topicalisation concerne tout le contenu<br />

précédent (cf. Chausserie-Laprée, 1969 : 39 sur les séquences initiales complexes) :<br />

(59) Massilienses arma tormentaque ex oppido, ut est imperatum, proferunt, naues ex<br />

portu naualibusque educunt, pecuniam ex publico tradunt. Quibus rebus<br />

confectis Caesar… ciuitatis conseruans duas ibi legiones praesidio relinquit…<br />

(Caes., Ciu. 2.22.5-6)<br />

« Les Marseillais, sur l’ordre qui leur en est donné, nous remettent les armes et<br />

les machines de guerre, font sortir les vaisseaux du port et des chantiers, livrent<br />

l’argent du trésor. Ces choses faites, César laissa subsister la ville… ; il y place<br />

deux légions comme garnison… » (trad. C.U.F.)<br />

(60) Ager in medio harenosus, una specie ; neque flumen neque mons erat, qui finis<br />

eorum discerneret. Quae res eos in magno diuturnoque bello inter se habuit.<br />

(Sall., Iug. 79.2)<br />

« Les territoires qui les séparaient étaient sablonneux, d’aspect uniforme ; il n’y<br />

avait ni fleuve, ni montagne pour servir de limite. Ce fut la cause d’une guerre<br />

longue et interminable entre eux. »<br />

32 Pour l’identification de huius, cf. Pennell Ross (1996 : 517 sq.). Dans ce passage, il y a en effet d’autres<br />

participants (que nous avons omis dans l’exemple).<br />

73


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

Un autre type d’emploi de qui consiste à sélectionner un élément donné dans la<br />

phrase précédente qui servira de cadre pour la suite. Le constituant repris n’y est pas le<br />

focus :<br />

(61) Curio… copias ex locis superioribus in campum deducit. Quibus ex locis cum<br />

longius esset progressus, confecto iam labore exercitu XVI milium spatio<br />

constitit. (Caes., Ciu. 2.40.3 Ŕ 41.1)<br />

« Curion… conduit ses troupes des hauteurs dans la plaine. Lorsqu’il se fut<br />

avancé à une certaine distance de ces hauteurs, voyant son armée épuisée de<br />

fatigue après une marche de seize milles, il s’arrêta. »<br />

Quibus ex locis de notre exemple renoue avec ex locis superioribus (« des<br />

hauteurs ») qui serait difficilement le focus de la phrase ; cette fonction est plutôt<br />

remplie par le constituant in campum indiquant la direction de deducit. La subordonnée<br />

qui accueille le relatif de liaison exprime une circonstance intervenant pendant la<br />

descente même ; le point d’arrivée ne fait pas à lui seul l’objet d’un plus ample<br />

développement.<br />

Une sélection peut concerner des entités animées auquel cas qui atteste un<br />

emploi pronominal. L’exemple (62) montre une reprise de legatos, et non pas du<br />

contenu de la supplique ; en (63), un développement est fourni à Romanorum ordines,<br />

qui n’est pas focal, par le génitif pluriel quorum qui est particulièrement adapté à<br />

marquer une sélection. Tout comme pour les entités inanimées, nous constatons que qui<br />

fait partie d’une proposition subordonnée et constitue, avec d’autres éléments, une<br />

expression de circonstance 33 .<br />

(62) Inter haec negotia Iugurtha impensius modo legatos supplices mittere, pacem<br />

orare, praeter suam liberorumque uitam omnia Metello dedere. Quos item uti<br />

priores consul illectos ad proditionem domum dimittebat. (Sall., Iug. 47.3)<br />

« Pendant ces opérations, Jugurtha envoie avec insistance des suppliants pour<br />

implorer la paix, offrant tout à Métellus, excepté sa vie et celle de ses enfants.<br />

Comme les premiers, le consul poussa ces gens à la trahison et les renvoya chez<br />

eux. »<br />

(63) Numidae… infensi adesse atque instare, omnibus locis Romanorum ordines<br />

conturbare. Quorum etiam qui firmioribus animis obuii hostibus fuerant…<br />

eminus sauciabantur. (Sall., Iug. 50.4)<br />

« Les Numides… les pressent, ils les harcèlent, mettent partout le désordre dans<br />

les rangs des Romains. Ceux d’entre les Romains qui, avec un courage plus<br />

résolu, avaient été au devant des Numides..., étaient frappés de loin… »<br />

8. Ille<br />

À la différence des pronoms is et hic qui viennent d’être étudiés, ille ne reprend<br />

pas le focus 34 . Au nominatif, singulier et pluriel, la fonction typique de ille est de<br />

marquer un changement de topique Ŕ sujet (voir Pinkster 1987 ; Bolkestein et Van de<br />

33 Cf. également : At Iugurtha… ad Bocchum nuntios mittit : quam primum in Numidiam copias<br />

adduceret… Quem ubi cunctari accepit… eius donis corrupit (Sall., Iug. 97.1) « Cependant Jugurtha…<br />

envoya prier Bocchus d’amener au plus tôt ses troupes en Numidie… Ayant appris qu’il hésitait…, acheta<br />

par des présents les confidents du roi. »<br />

34 Ce constat est en contradiction avec celui de M. Bolkestein et M. van de Grift (1994 : 288) ; selon eux,<br />

ille reprend les entités focales.<br />

74


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

Grift 1994 ; de Jong 1996 35 ; Bolkestein 2000 : 125 sqq.). Son référent est souvent<br />

mentionné dans le contexte immédiatement précédent, mais non nécessairement ; en<br />

tout cas, il est connu et identifiable. Dans la prose historique 36 de César et de Salluste, il<br />

apparaît généralement là où l’auteur passe au récit des événements « de l’autre côté »,<br />

pour utiliser l’expression de J. de Jong (1996 : 502), chez l’adversaire. Ille désigne<br />

« l’autre » protagoniste 37 (cf. également Orlandini, 1995 : 79 sq.) et semble commuter<br />

avec un nom propre (Caesar, Iugurtha…) ou avec un nom commun désignant une<br />

personne (rex, imperator, consul…). Assumant cette fonction, ille figure à l’initiale de<br />

la phrase.<br />

(64) (Iugurtha) Igitur ex improuiso finis eius (Adherbalis) cum magna manu<br />

inuadit…, existimans Adherbalem dolore permotum iniurias suas manu<br />

uindicaturum eamque rem belli causam fore. At ille quod neque se parem armis<br />

existimabat… legatos ad Iugurtham de iniuriis questum misit. (Sall., Iug. 20.3-5)<br />

« Aussi Jugurtha envahit-il à l’improviste le royaume d’Adherbal avec une<br />

troupe nombreuse…, convaincu qu’Adherbal, sous le coup de l’indignation,<br />

vengerait par les armes l’injure reçue, et qu’il aurait là une cause de guerre<br />

ouverte. Mais Adherbal, ne se jugeant pas de force égale…, envoya des députés<br />

à Jugurtha pour se plaindre des violences commises. » (trad. C.U.F.)<br />

(65) Acceptis mandatis Roscius cum L. Caesare Capuam peruenit ibique consules<br />

Pompeiumque inuenit ; postulata Caesaris renuntiat. Illi deliberata re<br />

respondent… (Caes., Ciu. 1.10.1-2)<br />

« Après avoir accepté la mission, Roscius se rend à Capoue avec L. César, et là<br />

il trouve les consuls et Pompée ; il leur rapporte les demandes de César. Ceux-ci,<br />

après délibération, donnent une réponse… »<br />

Le premier exemple concerne une confrontation entre Jugurtha et Adherbal. Le<br />

verbe inuadit a pour sujet maintenu Jugurtha ; ille, précédé ici par le connecteur<br />

adversatif at 38 renvoie à Adherbal et marque un changement de topique. Le second<br />

exemple montre un cas de négociations entre César et le parti adverse ; illi, reprenant les<br />

consuls et Pompée, signale le changement. Le pronom ille produit un effet de contraste<br />

et il est remarquable qu’en latin, les changements de topique soient (généralement)<br />

marqués, soit à l’aide de ille, soit par la reprise du nom propre, même là où il n’y a pas<br />

d’ambiguïté. Par exemple, en (65), le sujet de la première phrase étant au singulier, le<br />

sujet pluriel du verbe respondent pourrait aisément être déduit :<br />

(65a) ? Roscius cum L. Caesare Capuam peruenit ibique consules Pompeiumque<br />

inuenit ; postulata Caesaris renuntiat. Deliberata re respondent…<br />

De même, dans l’exemple suivant où il s’agit de négociations menées par le roi<br />

Boccus par l’intermédiaire d’Aspar. Si ille (Aspar) contraste avec rex (« roi »), un autre<br />

renvoi est effectué, ab illo, qui se rapporte à Jugurtha 39 :<br />

35<br />

J. de Jong a pour mérite d’avoir traité à part les cas au nominatif et les autres.<br />

36<br />

Pour l’emploi de ille dans un autre type de texte, telle la description biographique, voir Pinkster<br />

(2005a).<br />

37<br />

En effet, ille et illi au nominatif ont toujours, dans notre corpus, un référent animé, humain.<br />

38<br />

À quatre reprises chez Salluste, et une fois chez César, ille est précédé par at. Il est intéressant de<br />

signaler que dans notre corpus, ille pronominal qui n’apparaît pas avec l’enclitique -que, n’est pas non<br />

plus coordonné à l’aide de et ou atque.<br />

39<br />

À (ab) illo, on pourrait attribuer une fonction purement anaphorique ici, cf. Pinkster (2005a : 61).<br />

75


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

(66) At rex postero die Asparem, Iugurthae legatum, appellat dicitque sibi per<br />

Dabarem ex Sulla cognitum posse condicionibus bellum poni ; quam ob rem<br />

regis sui sententiam exquireret. Ille laetus in castra Iugurthae proficiscitur.<br />

Deinde ab illo cuncta edoctus properato itinere post diem octauum redit ad<br />

Bocchum. (Sall., Iug. 112.1-2)<br />

« Le lendemain, le roi convoque Aspar, l’envoyé de Jugurtha, et dit que Sulla lui<br />

avait fait connaître par Dabar qu’il était possible de mettre fin à la guerre dans<br />

certaines conditions ; qu’il aille donc s’informer des intentions du roi. Aspar,<br />

tout joyeux, part pour le camp de Jugurtha. Puis, muni de toutes ses instructions,<br />

il force la marche et revient le huitième jour auprès de Bocchus. »<br />

Signalant un changement de topique, ille figure, on l’a vu, à l’initiale. Il importe<br />

de mentionner les cas où un élément de la phrase précédente est topicalisé : une<br />

cooccurrence peut donc se produire de qui ou is et de ille, qui se positionne alors après<br />

le pronom qui topicalise 40 :<br />

(67) Sed ex numero tribunorum militum centurionumque nonnulli sua uoluntate apud<br />

eum (Caesarem) remanserunt. Quos ille postea magno in honore habuit…<br />

(Caes., Ciu. 1.77.2)<br />

« Mais, parmi les tribuns et les centurions, quelques-uns, de leur propre volonté,<br />

restèrent près de lui. Plus tard, il les combla d’honneurs. » (trad. C.U.F.)<br />

Dans les autres cas, la position non initiale de ille ou illi s’expliquerait par la<br />

présence d’un élément circonstanciel (68) ou par un chiasme qui appuie l’idée du<br />

contraste (ipse, illi). Cf. également illosque et Sullam (Sall., Iug. 104.1) :<br />

(68) Consul Numidis ex senatus decreto nuntiari iubet. Ita infectis rebus illi domum<br />

discedunt. (Sall., Iug. 28.3)<br />

« Le consul fait notifier aux Numides la décision du Sénat. Ils retournent chez<br />

eux sans avoir rempli leur mission. »<br />

(69) Ipse (Caesar) Oricum reuertitur. Eo cum uenisset, euocantur illi ad colloquium.<br />

(Caes., Ciu. 3.16.2-3)<br />

« Il revient à Oricum. Une fois de retour, il les convoque à une entrevue. »<br />

Cet emploi de ille (« l’autre », « celui-ci » par opposition à un autre) peut être<br />

mis en parallèle avec ille utilisé dans des expressions contrastives où ille est également<br />

porteur d’une certaine emphase. Ille, aussi bien que le terme qui lui est confronté, peut<br />

figurer à l’initiale, mais il cède quelquefois cette place à un autre constituant, par<br />

exemple dans des structures en chiasme :<br />

(70) Dominari illi uolunt, uos liberi esse; facere illi iniurias, uos prohibere. (Sall.,<br />

Iug. 31.23)<br />

« Ils veulent dominer, vous voulez être libres ; ils veulent commettre l’injustice,<br />

vous l’empêcher. »<br />

Ille fléchi, comme l’a observé J. de Jong (1996 : 503) pour la prose historique de<br />

César (Bell. Gall.), renvoie au personnage qui n’est pas le topique ; cela explique la<br />

40 Voir également, par exemple : quibus illi (Sall., Iug. 59.3) et has ille (Caes., Gall. 5.45.3).<br />

76


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

fréquence de ille dans les discours indirects 41 et son interchangeabilité avec is fléchi.<br />

Nous avons toutefois observé, mis à part des cas de contraste qui peuvent intervenir aux<br />

cas obliques, un autre emploi qui peut être illustré par les exemples (71) et (72), l’un<br />

concernant des personnes, l’autre des entités inanimées :<br />

(71) Marius… de aduentu legatorum certior factus est, illosque et Sullam uenire<br />

iubet, item L. Bellienum praetorem, praeterea omnis undique senatorii ordinis…<br />

(Sall., Iug. 104.1)<br />

« Marius… apprend l’arrivée des ambassadeurs, les fait venir avec Sulla,<br />

convoque aussi le préteur L. Bellienus, en même temps que tous les membres de<br />

l’ordre sénatorial… »<br />

(72) Ii… aurum atque argentum et alia, quae prima ducuntur, domum regiam<br />

comportant. Ibi uino et epulis onerati illaque et domum et semet igni<br />

corrumpunt… (Sall., Iug. 76.6)<br />

« Ils... (les transfuges) emportent au palais royal l’or, l’argent et tout ce que les<br />

hommes estiment au premier rang. Là, ayant bien bu et bien mangé, ils livrent<br />

aux flammes tous ces biens, et le palais, et eux-mêmes. »<br />

Le pronom illos (71) renvoie évidemment aux ambassadeurs ; or la coordination<br />

avec Sulla (illosque et Sullam) ainsi que l’ajout d’autres personnages (item L.<br />

Bellienum ; praeterea omnis…) porte à interpréter illos non pas comme un élément qui<br />

topicalise les ambassadeurs, mais comme un constituant qui fait partie du focus<br />

composé de plusieurs constituants de la phrase (bien qu’il n’y ait pas de continuation<br />

topicale par la suite). En effet, l’énumération des personnages est un signe du fait que la<br />

phrase répond à la question « qui fait-il venir ? ». De même, l’exemple (71) a la même<br />

structure. Les transfuges emportent des choses précieuses au palais royal, topicalisé par<br />

ibi par la suite. La seconde phrase aurait pour focus illaque et domum et semet<br />

coordonnés répondant à la question « que brûlent-ils ? ». En effet, il est tout à fait<br />

possible qu’un élément contextuellement lié puisse constituer le focus.<br />

Cela étant, nous attribuerions la même interprétation à in illo dans la phrase<br />

finale de la Guerre de Jugurtha. Il est employé à propos de Marius qui vient d’être<br />

topicalisé à l’aide de ei et is. La phrase comportant in illo véhicule ainsi l’information<br />

répondant à la question « sur qui reposèrent les espoirs ? » et in illo, le focus, figure à la<br />

place préverbale :<br />

(73) Sed postquam bellum in Numidia confectum et Iugurtham Romam uinctum<br />

adduci nuntiatum est, Marius consul absens factus est, et ei decreta prouincia<br />

Gallia, isque Kalendis Ianuariis magna gloria consul triumphauit. Et ea<br />

tempestate spes atque opes ciuitatis in illo sitae. (Sall., Iug. 114.3-4)<br />

« Aussi, lorsqu’on eut appris à Rome que la guerre de Numidie était terminée et<br />

qu’on ramenait dans la ville Jugurtha enchaîné, Marius, bien qu’absent, fut réélu<br />

consul, et la province de Gaule lui fut assignée. Son triomphe fut célébré en<br />

grande pompe aux calendes de janvier. Et dès lors c’est sur lui que reposèrent<br />

toutes les ressources et tous les espoirs de la cité. » (trad. C.U.F.)<br />

41 Voir par exemple : (Metellus) Simul orare et hortari milites, ne deficerent neu paterentur hostis<br />

fugientis uincere : neque illis castra esse neque munimentum ullum… (Sall., Iug. 51.3) « Il exhorte les<br />

siens, il les supplie de ne pas perdre courage, de ne pas laisser la victoire à un ennemi toujours en fuite.<br />

Du reste, vous n’avez, disait-il, ni camp, ni retranchement… »<br />

77


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

9. Les adverbes ibi, eo, huc…<br />

La topicalisation peut être assurée non seulement par les pronoms, mais encore<br />

par les adverbes anaphoriques Ŕ eo, ibi, huc, quo… Considérons le passage suivant :<br />

(74) Recepto Firmo expulsoque Lentulo Caesar conquiri milites, qui ab eo<br />

discesserant, delectumque institui iubet ; ipse unum diem ibi rei frumentariae<br />

causa moratus Corfinium contendit. Eo cum uenisset, cohortes V praemissae a<br />

Domitio ex oppido pontem fluminis interrumpebant qui erat ab oppido milia<br />

passuum circiter III. Ibi cum antecursoribus Caesaris proelio commisso…<br />

(Caes., Ciu. 1.16.1-3)<br />

« Après la capitulation de Firmum et la fuite de Lentulus, César fait rechercher<br />

les soldats qui avaient déserté, et ordonna d’organiser une nouvelle levée. Il ne<br />

s’arrête qu’un jour à Ausculum pour se ravitailler et marche sur Corfinium.<br />

Quand il y arriva, cinq cohortes, détachées de la ville par Domitius, coupaient un<br />

pont qui était à environ trois milles pas en avant de la ville. Là, un combat<br />

s’étant engagé entre les éclaireurs de César... »<br />

Cet exemple montre clairement que le premier ibi reprend une information qui a été<br />

donnée auparavant et non pas le focus de la phrase précédente (ce qui est la complétive<br />

de iubet ; cf. également 1.51.1 Venerant eo…) ; en revanche, placés à l’initiale, eo<br />

reprend Corfinium et ibi reprend pontem. Lorsque eo ou ibi topicalisent un endroit, les<br />

phrases/propositions répondent à la question « que fait-il là bas ? ».<br />

Au sein d’une même phrase complexe, l’adverbe anaphorique se positionne en<br />

tête de la proposition subséquente, comme l’illustre l’exemple (75) 42 . L’élément<br />

nouveau peut apparaître dans une proposition participiale ; l’adverbe généralement suit<br />

cette dernière (76-7) ; à titre de comparaison, citons l’exemple (77) comportant un<br />

pronom anaphorique (in hac, leçon critique pour in hanc figurant dans les manuscrits) :<br />

(75) Cuius aduentu cognito Pompeius…, ex eo loco discedit omnibusque copiis ad<br />

Asparagium Dyrrachinorum peruenit atque ibi idoneo loco castra ponit. (Caes.,<br />

Ciu. 3.30.7)<br />

« Pompée, à la nouvelle de son arrivée…, quitte la place et atteint avec toutes ses<br />

troupes les abords d’Asparagium Dyrrachinorum et là, il établit son camp dans<br />

une position avantageuse. »<br />

(76) Hoc idem Pompeius fecit et trans flumen Apsum positis castris eo copias omnes<br />

auxiliaque conduxit. (Caes., Ciu. 3.13.6)<br />

« Pompée en fit autant, et après avoir établi son camp sur l’autre rive de l’Apsus,<br />

il y rassembla toutes ses troupes et ses auxiliaires. »<br />

(77) …idoneum locum nactus ibi copias collocauit… (Caes., Ciu. 3.30.5)<br />

« …ayant choisi un poste avantageux, il y plaça ses troupes. »<br />

(78) Confecit prior iter Caesar atque ex magnis rupibus nactus planitiem in hac<br />

contra hostem aciem instruit. (Caes., Ciu. 1.70.3)<br />

« Ce fut César qui arriva le premier ; et, ayant trouvé une plaine au sortir de<br />

grands rochers, il y range l’armée contre l’ennemi en formation de combat. »<br />

42 Il convient de signaler un cas intéressant relevé chez César où l’on déduira les habitants à partir de la<br />

localité : Domitius nauibus Massiliam peruenit atque ab eis receptus urbi praeficitur (Caes., Ciu. 1.36.1).<br />

« Domitius arrive à Marseille avec sa flotte : les habitants l’accueillent et le mettent à la tête de la cité. »<br />

78


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

Cependant, nous avons noté quatre exemples qui seraient en contradiction avec<br />

cette tendance. Les deux premiers montrent l’adverbe ibi en position préverbale et non<br />

pas en tête de la proposition :<br />

(79) Illi eum tumulum, pro quo pugnatum est, magnis operibus munierunt<br />

praesidiumque ibi posuerunt. (Caes., Ciu. 1.47.4)<br />

« Les ennemis fortifièrent puissamment la hauteur pour laquelle on avait<br />

combattu, et y établirent une garnison. »<br />

(80) …ipsi idoneum locum nacti reliquam noctis partem ibi confecerunt. (Caes., Ciu.<br />

3.28.5)<br />

« … ayant choisi une position avantageuse, ils y passèrent le reste de la nuit. »<br />

Dans le troisième exemple, eo figure également en position préverbale ; la<br />

localité est toutefois mise en contraste (Sardiniam – Siciliam) et eo renvoie à ces deux<br />

endroits respectivement. En effet, eo cum exercitibus perueniunt pourrait renvoyer à<br />

Siciliam seulement :<br />

(81) Nacti uacuas ab imperiis Sardiniam Valerius, Curio Siciliam, cum exercitibus eo<br />

perueniunt. (Caes., Ciu. 1.31.1)<br />

« Valérius trouvant sans gouvernement la Sardaigne, et Curion la Sicile, tous les<br />

deux gagnent ces provinces avec leurs armées. » (trad. C.U.F.)<br />

plus :<br />

Enfin, la place de eo dans l’exemple emprunté à Salluste n’est pas attendue non<br />

(82) Sed postquam Roma egressus est, fertur saepe eo tacitus respiciens postremo<br />

dixisse : … (Sall., Iug. 35.10)<br />

« Quand il fut hors de Rome, il tourna, dit-on, plusieurs fois ses regards vers la<br />

ville en gardant le silence, et s’écria enfin : … » (trad. C.U.F.)<br />

10. Conclusions<br />

Dans ce chapitre, nous espérons avoir montré la différence entre le placement<br />

des anaphoriques à l’initiale et à l’intérieur de la phrase.<br />

(23) Prouinciae Q. Cassium praeficit ; huic III legiones attribuit. (Caes., Ciu. 2.21.4)<br />

« Au gouvernement de la province, il nomme Q. Cassius ; il lui attribue quatre<br />

légions. »<br />

(27) Igitur Marius cum aliquanto maiore numero…, in Africam profectus paucis<br />

diebus Vticam aduehitur. Exercitus ei traditur a P. Rutilio legato. (Sall., Iug.<br />

86.4)<br />

« Marius part donc pour l’Afrique avec des troupes un peu plus nombreuses…,<br />

et, en quelques jours, il débarque à Utique. L’armée lui est remise par le<br />

lieutenant P. Rutilius. »<br />

En (23), Q. Cassium, l’élément saillant de sa proposition, est repris par huic : la<br />

seconde proposition dit ce qui lui arrive par la suite. En (27), Marius n’est pas l’élément<br />

le plus informatif et la phrase contenant ei ne dit pas ce qui arrive à Marius par la suite<br />

mais ce qui se passe ensuite. Topicaliser une entité, animée ou inanimée, c’est dire ce<br />

qu’elle devient ensuite ; topicaliser un lieu, c’est informer sur ce qui se passe là-bas. Le<br />

statut informatif de l’élément repris par l’anaphore pronominale a une incidence sur le<br />

79


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre III : L’anaphore pronominale<br />

positionnement de l’anaphorique. En effet, le latin montre une tendance nette à<br />

positionner les anaphoriques qui topicalisent un constituant saillant à l’initiale de la<br />

phrase ; en revanche, de simples reprises ou rappels d’une entité connue se rencontrent à<br />

l’intérieur de la phrase.<br />

L’anaphore pronominale présentée dans ce chapitre a montré des reprises<br />

variées : la reprise d’un focus, la reprise d’un contenu et la sélection d’un constituant. Is<br />

et hic sont les principaux moyens de topicalisation d’un focus précédent ou d’un<br />

contenu nouveau. Qui assume les mêmes fonctions mais peut également reprendre un<br />

constituant sans fonction pragmatique particulière. En outre, hic peut avoir une fonction<br />

résomptive sans parallèle pour is. En revanche, ille n’est pas utilisé pour reprendre le<br />

focus : au nominatif, sa fonction typique est de marquer un changement de topique Ŕ<br />

sujet ou d’apparaître dans des structures contrastives. En outre, ille peut constituer un<br />

focus. Les adverbes anaphoriques, conformément à leur sémantisme, assurent les<br />

renvois aux entités géographiques et topicalisent les éléments saillants en tête de la<br />

phrase.<br />

80


Chapitre IV<br />

LES ELLIPSES<br />

1. Introduction<br />

Le latin est une langue qui admet, dans certaines conditions, des omissions de<br />

constituants obligatoires (voir Panhuis, 1980). Au point de vue pragmatique, l’omission<br />

d’un constituant est un signal du fait que ce dernier n’assume pas de fonction<br />

pragmatique dans la phrase donnée. L’omission Ŕ et la non expression Ŕ du sujet<br />

représente une question en soi et a été traitée dans le chapitre II, Le topique. Il convient<br />

de se concentrer à présent sur l’omission du verbe (§ 2) et sur celle de l’actant 2 (§ 3).<br />

2. Les ellipses de verbes<br />

Les ellipses de verbes sont généralement considérées comme un procédé<br />

d’économie (Szantyr, 1972 : 424, et Kühner et Stegmann, 1914, II : 551 sq.) ; selon ces<br />

grammaires, ce phénomène concerne surtout les verbes d’action, de mouvement (eo,<br />

uenio…), les verbes « dire » et « écrire », et le verbe sum.<br />

Dans notre corpus, les ellipses de verbes se rencontrent en particulier dans la<br />

correspondance de Cicéron 1 . Il s’agit principalement d’ellipses contextuelles qui<br />

s’expliquent par la situation dans laquelle les énoncés sont produits, mais aussi par la<br />

valeur sémantique de la phrase. Pour notre sujet, il est important d’examiner les<br />

positions des constituants qui sont exprimés. En effet, on verra que l’organisation des<br />

phrases à verbe élidé ne diffère pas de celle des phrases à verbe exprimé : ces phrases<br />

présentent une division en topique, placé à l’initiale, et en focus. Elles peuvent contenir<br />

un thème, extraposé à gauche de la phrase. On examinera les cas d’omission du verbe<br />

sum (§ 2.1), des verbes « dire » (§ 2.3) et des verbes d’action (§ 2.4).<br />

2.1. L’ellipse du verbe sum<br />

Le placement de l’attribut dans les phrases attributives relève des mêmes<br />

tendances que celui observé dans les phrases à verbe sum exprimé. L’exemple (1)<br />

montre un topique à l’initiale, suivi directement de l’attribut (uariae), avec la fonction<br />

de focus (question quales ?). L’exemple (2) concerne l’ellipse dans une phrase locative,<br />

ouverte par un topique (hic) ; en fin de phrase, le focus multiple se rencontre (Balbus,<br />

Hirtius, Pansa). La phrase répond à la question quis ?<br />

(1) De meo itinere uariae sententiae ; multi enim ad me. (Cic., Att. 15.25)<br />

« Sur mon voyage, les avis sont partagés Ŕ car j’en reçois de bien de gens Ŕ. »<br />

(2) Hic mecum Balbus, Hirtius, Pansa. (Cic., Att. 14.11.2)<br />

« Balbus, Hirtius, Pansa sont ici avec moi. »<br />

2.2. Ellipse d’un verbe de mouvement<br />

L’ellipse d’un verbe de mouvement est permise par la valeur sémantique des<br />

autres constituants. Un bon exemple est celui en (3) : la première proposition contient<br />

un adverbe exprimant la localisation (hic) ; en revanche, la seconde proposition<br />

comporte la préposition suivie d’un accusatif (in Tusculanum) et véhicule ainsi l’idée<br />

1 Les ellipses de esse auxiliaire ne sont pas prises en considération ici Ŕ cf. le chapitre X, La phrase<br />

déclarative, § 6.4 sur le passif.<br />

81


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

d’une direction. Les propositions répondent à la question ubi ? et quo ? respectivement,<br />

mais le complément de localisation et le complément de direction, les focus, occupent la<br />

même place Ŕ la place finale. Le complément directionnel (ad Siccam « chez Sicca »)<br />

est le focus en (4) ; il s’agit de dire « où suis-je venu ? » et non pas « quand ? ».<br />

La question quando ? est sous-jacente à la phrase en (5) : elle comporte un<br />

topique (is), un autre élément donné par le contexte (hinc), signifiant le point de départ<br />

qui permet de suppléer le verbe proficiscitur, puis l’élément saillant (VII Id.) en fin de la<br />

phrase.<br />

(3) Ego paulisper hic, deinde in Tusculanum. (Cic., Att. 13.52.2)<br />

« Je reste ici un peu de temps ; ensuite, ma maison de Tusculum. »<br />

(4) (Ego adhuc – perueni enim Vibonem ad Siccam Ŕ … Veni igitur ad Siccam<br />

octauo die e Pompeiano, cum unum diem Veliae constitissem…) VIIII Kal. igitur<br />

ad Siccam. (Cic., Att. 16.6.1)<br />

« (Jusqu’à présent Ŕ car me voici arrivé à Vibo chez Sicca Ŕ … Je suis donc<br />

arrivé chez Sicca sept jours après avoir quitté ma maison de Pompéi, y compris<br />

un jour d’arrêt à Velia…) Le 24 donc, je suis arrivé chez Sicca. » (trad. C.U.F.)<br />

(5) (Quintus filius) Is hinc VII Id. (Cic., Att. 16.1.6)<br />

« Il s’en va d’ici le 9. »<br />

2.3. Ellipses d’un verbe « dire »<br />

Dans la correspondance de Cicéron, la situation du discours Ŕ rédaction d’une<br />

lettre Ŕ nous permet de déterminer que le procès associé aux anaphoriques comme haec<br />

concerne le fait d’écrire. Haec reprenant le contenu précédent représente le topique en<br />

(6) ; la partie la plus informative est ad te (6) renvoyant au destinataire de la lettre :<br />

(6) Haec ego ad te. (Cic., Att. 14.4.2)<br />

« Voici ce que j’avais à te dire. »<br />

L’exemple (7) illustre un thème, constituant extra-phrastique (de Lepidianis<br />

feriis), suivi du topique Balbus ; l’information essentielle est véhiculée par usque ad III<br />

Kal. Si un verbe signifiant « informer » était exprimé, il n’assumerait pas de fonction<br />

pragmatique :<br />

(7) De Lepidianis feriis Balbus ad me usque ad III Kal. (Cic., Att. 16.11.8)<br />

« À propos des ‘Féries de Lépide’, Balbus m’apprend qu’elles dureront jusqu’à<br />

l’avant-veille des Calendes. »<br />

Le passage donné en (8) représente un exemple intéressant pour illustrer les<br />

ellipses de verbes. Un rogat est omis dans la seconde proposition et ce n’est que la<br />

complétive (ut… ueniam) qui est exprimée, apportant l’information essentielle. En<br />

outre, la première proposition répond à la question « que s’est-il passé ? », tout en<br />

impliquant une autre question sous-jacente : quid ? ; le verbe élidé est un passif : missae<br />

sunt. Binae (« deux ») en tête de la phrase véhicule l’information essentielle et<br />

conjointement, porte l’emphase ; il contraste avec uno die (deux lettres en un jour) :<br />

(8) Binae uno die mihi litterae ab Octauiano, nunc quidem ut Romam statim<br />

ueniam. (Cic., Att. 16.9)<br />

« Deux lettres d’Octavien pour moi en un jour ! Il me demande à présent de<br />

venir à Rome immédiatement. »<br />

82


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

2.4. Ellipses d’un verbe d’action<br />

La situation du discours et la valeur sémantique des autres constituants<br />

permettent de suppléer des verbes d’action, en particulier mitto « envoyer » et accipio<br />

« recevoir » dans les exemples (9) et (10). En (9), ego est le topique, le focus est porté<br />

sur litteras ; la phrase répond à la question quid ? L’exemple (10) nous informe sur ce<br />

qui s’est passé. Sans topique, la phrase comporte un complément de temps à l’initiale<br />

(Kalendis uesperi) qui la situe dans le temps. Le constituant ab Octauiano (question<br />

« de qui ? ») semble véhiculer l’information saillante, car le contexte d’après concerne<br />

ce personnage Ŕ il est le sujet du verbe molitur.<br />

(9) Ego igitur ad eum litteras. (Cic., Att. 15.14a.5)<br />

« Je vais donc lui écrire. »<br />

(10) Kalendis uesperi litterae mihi ab Octauiano ; magna molitur. (Cic., Att. 16.8.1)<br />

« Le 1 er au soir, j’ai reçu une lettre d’Octavien ; il s’engage dans de grands<br />

projets. »<br />

En (11), on suppléera le verbe ago qui forme habituellement une locution avec<br />

gratias (« remercier ») 2 . Bien que gratias soit qualifié à l’aide de miras, nous proposons<br />

de considérer Austro comme le focus, développé par une relative.<br />

(11) Ego uero Austro gratias miras qui me a tanta infamia auerterit. (Cic., Att.<br />

16.7.5)<br />

« Pour ma part, je suis prodigieusement reconnaissant au vent du sud de m’avoir<br />

détourné d’une telle ignominie. » (trad. C.U.F.)<br />

3. Les omissions d’actants 2<br />

On sait que le latin a la capacité d’omettre, dans certaines conditions, l’actant 2<br />

auprès des verbes bivalents ou trivalents. Comme Ch. Touratier (1987 et 1991 : 111),<br />

parmi d’autres, l’a montré, cette omission n’entraîne jamais un changement de valence<br />

du verbe. Récemment, deux études ont été consacrées à l’omission de l’objet. S.<br />

Luraghi (1997) a essayé de déterminer les conditions syntaxiques de ce phénomène, L.<br />

Sznajder (1998) a apporté une étude d’ensemble fondée sur un corpus concret. Pour<br />

notre part, nous allons essayer de déterminer quel rôle pragmatique porte l’objet omis<br />

dans la proposition/phrase subséquente, en d’autres termes, dans quelles conditions<br />

pragmatiques l’anaphore zéro se produit.<br />

Nous nous concentrerons sur les verbes transitifs employés sans l’actant 2. Les<br />

cas relevés dans le corpus peuvent être répartis selon trois catégories au moins : verbes<br />

employés absolument, verbes représentant des locutions et verbes avec l’actant 2 élidé.<br />

Dans notre corpus, ils se répartissent de la manière suivante :<br />

emplois absolus 34 26 %<br />

ellipses 90 70 %<br />

locutions 5 4 %<br />

Les verbes formant des expressions idiomatiques avec un objet direct restituable,<br />

par exemple numero « payer la solde » (Cic., Att. 15.15.4), ou des locutions variées tels<br />

uidebimus « on verra » (Cic., Att. 15.21.3) ou male narras « tu as tort » (Cic., Tusc.<br />

1.10) sont sans intérêt direct avec notre propos. En revanche, nous nous concentrerons<br />

2 Cf. également le chapitre X, La phrase déclarative, § 2.3.6 sur la locution gratias ago.<br />

83


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

principalement sur les élisions de l’objet direct, qui semblent parfois difficiles à<br />

dissocier des emplois absolus.<br />

3.1. Verbes transitifs employés absolument<br />

L. Sznajder (1998 : 792), en se référant à Ch. Touratier (1987), définit le<br />

phénomène de l’emploi absolu d’un verbe transitif ainsi : « il y a emploi absolu ou<br />

omission d’un objet général quand l’objet omis est un élément quelconque de<br />

l’ensemble ou d’un sous-ensemble des objets possibles du verbe, et ne peut de ce fait<br />

être restitué de façon précise et unique ». En revanche, « il y a ellipse quand l’objet<br />

omis est un élément précis et unique restituable grâce au contexte écrit ou au contexte<br />

extra-linguistique » (ibid.).<br />

Cependant, l’examen du corpus, qui a offert 32 cas plus ou moins évidents<br />

d’emplois absolus 3 , a montré que dans certains cas, il n’est pas facile de déterminer si<br />

l’on a affaire à un emploi absolu ou à une ellipse (cette question sera abordée plus loin,<br />

au § 2.2.2 et 2.2.3). Considérons à présent des exemples de verbes employés<br />

absolument qui ne sont pas l’équivalent d’un verbe avec l’objet élidé, par<br />

exemple (l’astérisque * marque l’anaphore zéro) :<br />

(12) Theophanes quid uelit nescio ; scripserat enim ad me. Cui rescripsi ut potui.<br />

(Cic., Att. 15.19.1)<br />

« J’ignore ce que veut Théophane ; de fait, il m’avait écrit. Je lui ai répondu de<br />

mon mieux. »<br />

(13) Populusque iure sciuit. (Cic., Phil. 1.26)<br />

« Et le peuple, conformément au droit, a pris une décision. »<br />

En (12), le verbe scripserat ad me véhicule l’information suivante « il s’était manifesté<br />

en m’écrivant », et non pas « il m’a écrit quelque chose » ; de même, sciuit en (13) « il a<br />

pris une décision ». Le procès est ainsi considéré en lui-même. En revanche, en (14), il y<br />

a ellipse de l’actant 2 :<br />

(14) Rubeo, mihi crede, sed iam *scripseram ; delere nolui. (Cic., Att. 15.4.3)<br />

« Je rougis, crois-moi, mais c’est déjà écrit ; je ne veux pas effacer. »<br />

3.2. Ellipses de l’actant 2<br />

3.2.1. Les données<br />

Dans les phrases syntaxiquement non dépendantes, le corpus nous a fourni le<br />

nombre suivant d’ellipses 4 :<br />

3 À 17 reprises, il s’agit du verbe scribo employé dans la correspondance de Cicéron. En comparaison<br />

avec J. Lebreton (1901 : 156-167), qui présente une liste de verbes transitifs sans objet chez Cicéron, nous<br />

en avons relevé encore quelques autres : quaesiui (exemple 2), perspexi (Att. 15.1.3), repressi (Att.<br />

15.11.2) et feriunt (Tusc. 3.55). Cf. également l’étude sur Salluste par S. L. Fighiera (1897 : 169 sq.).<br />

4 Trois occurrences (une chez César et deux chez Cicéron, relevées dans sa correspondance), présentant<br />

de problèmes textuels, n’ont pas été prises en compte.<br />

84


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

Tableau 1 : Ellipse de l’objet avec les verbes bivalents transitifs (corpus)<br />

Œuvre Ellipses Pourcentage Nombre total de<br />

propositions<br />

Salluste 15 8 % 188<br />

César 25 13 % 189<br />

Cicéron, Tusculanes 12 12 % 103<br />

Cicéron, Discours 19 32 % 60<br />

Cicéron, Corresp. 27 26 % 103<br />

Total 98 15 % 643<br />

Les discours et la correspondance de Cicéron offrent le plus grand nombre<br />

d’ellipses de l’actant 2 auprès de verbes bivalents (32 et 26 %). En revanche, chez<br />

Salluste, les omissions ne se produisent que dans 8 % des cas.<br />

3.2.2. L’anaphore zéro<br />

Comme L. Sznajder (1998 : 799) l’a montré, l’ellipse de l’actant 2 Ŕ ou<br />

l’anaphore zéro Ŕ se répartit selon deux groupes : soit le complément élidé est présent<br />

dans le contexte (et est pourvu des mêmes forme et fonction), soit il est à extraire du<br />

contexte précédent (forme et fonction sont différentes). Sous cet angle, nous étudierons<br />

successivement : les ellipses de l’actant 2 exprimé dans la proposition précédente (§<br />

2.2.1), les ellipses de l’actant 2, exprimé ou extrait de la phrase précédente (§ 2.2.2), et<br />

les ellipses d’un pronom résomptif (§ 2.2.3). Les premières conclusions (§ 3) que nous<br />

tirerons de l’examen des données seront suivies d’une confrontation directe des emplois<br />

de l’anaphore zéro et de l’anaphore pleine dans les phrases complexes présentant une<br />

coordination (§ 3). Ce dernier paragraphe sera complémentaire, tout particulièrement,<br />

du paragraphe 2.2.1.<br />

3.2.2.1. L’anaphore zéro au sein d’une même phrase complexe<br />

Presque la moitié des occurrences de l’anaphore zéro (43 occurrences sur 98,<br />

soit 44 %, voir tableau ci-dessus) se rencontrent dans une même phrase complexe<br />

présentant une coordination à l’aide de -que, atque (ac), neque ou sed. Le modèle le<br />

plus fréquemment rencontré (36 occ.) est le suivant :<br />

Actant 2 > verbe > coordonnant > anaphore zéro > verbe<br />

L’ellipse concerne donc l’actant du second verbe. Les modèles moins souvent attestés<br />

sont : verbe > coordonnant > verbe > actant 2 (4 occ.) et verbe > actant 2 > coordonnant<br />

> verbe (3 occ.). Ces résultats confirment entièrement les observations de L. Sznajder<br />

(1998 : 801).<br />

Le modèle le plus fréquemment reproduit est exemplifié en (15) ; la phrase<br />

répond à la question quid ? et comporte un objet référant à une entité abstraite,<br />

contextuellement indépendante. Les autres possibilités sont présentées en (16-17). En<br />

(16), il s’agit d’une coordination de verbes quasi synonymes avec un pronom personnel<br />

comme actant 2 (2 occ. chez Salluste, 1 chez Cicéron) ; en (18), d’une cooccurrence de<br />

trois prédicats avec une valeur sémantique renchérissante, portant sur animum :<br />

(15) Milites… acta edocent atque *audiunt. (Sall., Iug. 53.8)<br />

« Les soldats… racontent, écoutent ce qui s’est passé. »<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(16) Quare *moneo hortorque uos, ne tantum scelus inpunitum omittatis. (Sall., Iug.<br />

31.25)<br />

« Aussi je vous engage, je vous invite à ne pas laisser un si grand crime<br />

impuni. »<br />

(17) Ad haec bona me si reuocas, Epicure, pareo, *sequor, utor te ipso duce. (Cic.,<br />

Tusc. 3.37)<br />

« Si tu me ramènes à ces biens, Épicure, j’obéis, je te suis, je ne veux point<br />

d’autre guide. »<br />

(18) Aegritudo… lacerat, exest animum planeque *conficit. (Cic., Tusc. 3.27)<br />

« Le chagrin déchire, dévore l’âme et la consume entièrement. »<br />

Il importe d’examiner à présent le statut contextuel des actants 2 concernés par<br />

l’anaphore zéro. En effet, il nous faut savoir quel type de constituants est susceptible<br />

d’être soumis à l’anaphore zéro puisque les éléments donnés comme nouveaux, porteurs<br />

de focus, peuvent être topicalisés, à l’aide de l’anaphore pronominale, en tête de la<br />

phrase (voir chapitre III, L’anaphore pronominale). Afin d’élucider cette question, nous<br />

examinerons, tour à tour, les antécédents référant à des entités animées (humaines),<br />

inanimées et abstraites. L’anaphore zéro concernant des entités animées et inanimées se<br />

rencontre surtout dans la prose historique, celle concernant des entités inanimées et<br />

abstraites dans les discours, la correspondance et les traités de Cicéron. Seront d’abord<br />

examinés les actants 2 avec la même forme syntaxique, ensuite, ceux qui sont à extraire<br />

de la proposition précédente.<br />

Si l’antécédent marque une entité humaine, c’est-à-dire une entité avec un haut<br />

degré d’individuation, qui a été nouvellement introduite dans le discours, l’anaphore<br />

zéro (marquée par l’astérisque* dans les exemples suivants) n’est possible qu’à partir de<br />

la troisième référence (voir chapitre II, Le topique, § 5.1). Par exemple, le Numide<br />

Gauda a été présenté, puis topicalisé à l’aide de hunc ; on notera que la référence à ce<br />

nouveau topique apparaît également par la suite (illum) :<br />

(19) (Erat praeterea in exercitu nostro Numida quidam nomine Gauda…) Hunc<br />

Marius anxium adgreditur atque *hortatur, ut contumeliarum in imperatorem<br />

cum suo auxilio poenas petat. (Sall., Iug. 65.1-3)<br />

« (Il y avait en outre dans notre armée un Numide nommé Gauda...). Marius va<br />

le trouver et l’exhorte à s’appuyer sur lui pour tirer vengeance de l’outrage du<br />

général. »<br />

En revanche, lorsqu’il s’agit d’un personnage bien établi dans le discours,<br />

l’anaphore zéro est admise. Tel est le cas de Marius qui joue déjà un rôle sur la scène.<br />

Le fait que Marium ne soit pas pronominalisé (eum… edocet) ne signifie pas qu’il soit<br />

dépourvu de la fonction de focus. La proposition en (20) répond à la question quem ? :<br />

(20) Itaque Marium propere adit, acta *edocet, *hortatur, ab ea parte qua ipse<br />

ascenderat castellum temptet, pollicetur sese itineris periculique ducem. Marius<br />

cum Ligure promissa eius cognitum ex praesentibus misit. (Sall., Iug. 93.6-7)<br />

« Il va aussitôt trouver Marius, lui raconte ce qu’il a fait, l’incite à tenter<br />

l’ascension du fort du même côté que lui, s’offre à servir de guide et à s’exposer<br />

le premier au danger. Marius envoya avec le Ligure, afin de vérifier ses dires,<br />

quelques-uns de ceux qui étaient là. »<br />

86


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

Des entités inanimées promues à la fonction de topique, tel rates « radeaux » en<br />

(21), obéissent à la même chaîne référentielle que les entités animées (cf. exemple 19) ;<br />

seulement, ces cas se rencontrent peu souvent dans notre corpus.<br />

(21) His perfectis conlocatisque alias deinceps pari magnitudine rates iungebat. Has<br />

terra atque aggere integebat ne aditus atque incursus ad defendendum<br />

impediretur. A fronte atque ab utroque latere cratibus ac pluteis *protegebat.<br />

(Caes., Ciu. 1.25.8-9)<br />

« Quand ces radeaux furent achevés et mis en place, il y joignait aussitôt<br />

d’autres de même taille. Il les couvrait de terre formant remblai, pour qu’on pût<br />

y accéder et y courir pour la défense aisément. Pour les protéger devant et de<br />

chaque côté, il les garnit de fascines et de mantelets. »<br />

Il est possible de procéder à l’ellipse lorsque l’antécédent a été donné dans le<br />

contexte précédent. Dans les exemples suivants, naues « les navires » et oppidum « la<br />

ville » ont une lecture définie :<br />

(22) Massilienses… ueteres... ex naualibus productas nauis refecerant summaque<br />

industria *armauerant, remigum gubernatorum magna copia subpetebat….<br />

(Caes., Ciu. 2.4.1)<br />

« Les Marseillais… avaient radoubé de vieux vaisseaux tirés des chantiers... et<br />

les avaient armés avec beaucoup de soin ; un grand effectif de rameurs et de<br />

pilotes était à leur disposition. »<br />

(23) Igitur Iugurtha oppidum circumsedit, uineis turribusque et machinis omnium<br />

generum expugnare *adgreditur. (Sall., Iug. 21.3) 5<br />

« Jugurtha assiégea donc la place ; il en entreprend l’assaut avec des mantelets,<br />

des tours et des machines de toute sorte... »<br />

De même, l’anaphore zéro apparaît dans les cas où l’antécédent est<br />

contextuellement indépendant. Or, donné comme nouveau, il ne constitue pas le topique<br />

dans le récit suivant. Dans les deux exemples suivants, les antécédents sont déterminés<br />

par des adjectifs Ŕ comme suos libros en (24) ; cependant, on a déjà parlé de libri Latini<br />

« ouvrages latins » :<br />

(24) Itaque suos libros ipsi legunt cum suis, nec quisquam *attingit praeter eos, qui<br />

eandem licentiam scribendi sibi permitti uolunt. (Quare si aliquid oratoriae<br />

laudis nostra attulimus industria…). (Cic., Tusc. 1.6)<br />

« Aussi leurs ouvrages n’ont-ils d’autres lecteurs qu’eux-mêmes et leurs<br />

partisans, et personne n’y touche, à l’exception de ceux qui veulent se faire<br />

octroyer la permission d’écrire dans le même goût. (C’est pourquoi, si dans la<br />

gloire de l’éloquence romaine il est une part qui revient à notre activité…) »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

L’exemple (25) avec iudicium lié au contexte, montre une autre disposition :<br />

actant 2 > verbe > sujet > anaphore zéro > verbe > sujet. La phrase répond à la question<br />

quis ? :<br />

5 Sur cet exemple, voir J. de Jong (1989 : 532).<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(25) Quarum legionum fortissimum uerissimumque iudicium confirmat senatus,<br />

*comprobat uniuersus populus Romanus, nisi… (Cic., Phil. 4.6)<br />

« Le jugement énergique et équitable de ces légions reçoit la ratification du<br />

Sénat, l’approbation du peuple romain tout entier Ŕ à moins que… »<br />

Pour les entités animées et inanimées, l’anaphore zéro se rencontre lorsque deux<br />

verbes quasi synonymes sont coordonnés (cf. ci-dessous, § 3.4, 2°) ou lorsque les verbes<br />

marquent deux procès successifs, par exemple (26) où castella et oppida « des<br />

forteresses et des places » sont déductibles du contexte :<br />

(26) Itaque in loca Numidiae opulentissuma pergit, agros uastat, multa castella et<br />

oppida temere munita aut sine praesidio capit *incenditque, puberes interfici<br />

iubet, alia omnia militum praedam esse. (Sall., Iug. 54.6)<br />

« Il pénètre dans les régions les plus riches de la Numidie, ravage les campagnes,<br />

prend et brûle nombre de forteresses et de places mal fortifiées ou sans garnison,<br />

fait mettre à mort les adultes, et abandonne tout le reste au pillage. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

L’ellipse concerne non seulement les actants 2 pourvus de la même fonction<br />

syntaxique (voir Sznajder, 1998 : 799) mais peut aussi intervenir avec des verbes de<br />

construction syntaxique différente. En (27), l’actant du verbe interficit représenté non<br />

par supplicium, mais par ad unum, est à extraire de son complément : de seruis<br />

liberisque. L’exemple (28) montre un verbe bivalent transitif, peruenerunt, dont le<br />

complément directionnel, ad legatos exercitumque, fournit l’objet élidé au verbe<br />

trivalent orant. Dans ce cas, on notera également que l’anaphore zéro ne se produit pas<br />

seulement par rapport à la proposition immédiatement précédente.<br />

(27) Qui de seruis liberisque omnibus ad inpuberes supplicium sumit et ad unum<br />

*interficit. (Caes., Ciu. 3.14.3)<br />

« Il envoya à la torture tout l’équipage, esclaves et hommes libres, même les<br />

enfants, et les fit massacrer jusqu’au dernier. »<br />

(28) Vbi hostes ad legatos exercitumque peruenerunt, uniuersi se ad pedes proiciunt,<br />

*orant ut aduentus Caesaris expectetur. (Caes., Ciu. 2.12.2)<br />

« Dès que les ennemis furent arrivés devant les légats et l’armée, ils se jettent<br />

tous à leurs pieds, les conjurent d’attendre l’arrivée de César. »<br />

3.2.2.2. L’anaphore zéro portant sur la phrase précédente<br />

Les exemples de l’anaphore zéro dont l’antécédent se trouve dans la phrase<br />

précédente (20 occ. au total) sont fournis par la correspondance de Cicéron (9 occ.),<br />

mais également par les autres œuvres. L’antécédent élidé est, dans la majorité des cas,<br />

donné par le contexte. Il a déjà été question d’Antoine (29) ; le verbe tulit en (30)<br />

concerne « la loi dont je parle » :<br />

(29) Quid igitur D. Brutus, de M. Antonio iudicauit ? *Excludit prouincia, exercitu<br />

*obsistit. (Cic., Phil. 4.8)<br />

« Quel est donc le jugement de D. Brutus sur Marc Antoine ? Il le chasse de la<br />

province, il dresse contre lui son armée. »<br />

(30) Vetant leges sacratae, uetant XII tabulae leges priuatis hominibus inrogari.<br />

Nemo umquam *tulit. (Cic., Dom. 43)<br />

88


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

« Les lois sacrées, les Douze Tables interdisent de proposer des lois contre des<br />

individus. Jamais personne n’en a porté. »<br />

Il est possible d’utiliser l’anaphore zéro lorsque le référent est contextuellement<br />

indépendant mais n’est pas repris comme topique par la suite, par exemple litteras en<br />

(31) :<br />

(31) Quinto scripsisti te ad eum litteras. Nemo *attulerat. Tiro negat… (Cic., Att.<br />

15.21.2)<br />

« Tu as écrit à Quintus que tu lui envoyais une lettre. Personne ne l’a apportée.<br />

Tiron dit que… »<br />

Dans certains cas, l’anaphore zéro va de pair avec le focus sur l’action : en effet,<br />

c’est le procès lui-même qui est considéré. Un bon exemple est donné en (32), avec le<br />

focus sur genueram. La femme grecque ne nous dit pas « qui » elle a mis au monde<br />

mais qu’elle l’a « mis au monde » avec une intention :<br />

(32) (Lacaena) Quae cum filium in proelium misisset et interfectum audisset,<br />

‘Idcirco’ inquit ‘genueram, ut esset, qui pro patria mortem non dubitaret<br />

occumbere’. (Cic., Tusc. 1.102)<br />

« (Une femme de Lacédémone) Elle avait envoyé son fils au combat. Elle<br />

apprend qu’il est tué : ‘en le mettant au monde’, dit-elle, ‘c’était bien mon<br />

intention d’en faire un homme qui n’hésiterait pas à mourir pour sa patrie. »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

La même explication pourrait être donnée à custodies en (33) ; le traité De gloria est<br />

contextuellement indépendant :<br />

(33) ‘De gloria’misi tibi. *Custodies igitur, ut soles… (Cic., Att. 16.2.6)<br />

« Je t’ai envoyé mon traité ‘De la gloire’. Garde-le donc en lieu sûr, comme<br />

d’habitude… »<br />

Ces exemples portent à conclure que l’auteur a recours à l’ellipse de l’objet direct là où<br />

il veut exprimer le procès en soi. En conséquence, nous pouvons hésiter quelquefois<br />

entre l’ellipse ou l’emploi absolu d’un verbe transitif (cf. ci-dessus, § 3.1, les exemples<br />

12 et 13) 6 . Par exemple orant atque obsecrant en (34) : Marcius Rufus est connu du<br />

contexte, bien que sa dernière mention soit un peu éloignée (voir Caes., Ciu. 2.24.1).<br />

L’anaphore zéro est donc admise, et pour l’objet (orant, à savoir eum) et pour le sujet<br />

(pollicetur, à savoir Marcius Rufus). Néanmoins, les verbes orant atque obsecrant<br />

peuvent être compris comme employés de manière absolue :<br />

(34) His rebus cognitis Marcius Rufus quaestor in castris relictus a Curione<br />

cohortatur suos ne animo deficiant. Illi *orant atque *obsecrant ut in Siciliam<br />

nauibus reportentur. Pollicetur… (Caes., Ciu. 2.43.1)<br />

6 C’est ainsi, au sens absolu avec le focus sur le procès, que nous interpréterions le passage suivant :<br />

Milites imperat : mittunt. (Caes., Ciu. 1.15.3) « César demande des soldats ; on les envoie. ». En effet, S.<br />

Luraghi (1997 : 245) estime que l’ellipse concerne ici un objet pronominal indéfini et elle traduit par « ils<br />

en envoient quelques-uns ».<br />

89


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

« À la nouvelle de ces événements, le questeur Marcius Rufus, que Curion avait<br />

laissé au camp, exhorte ses hommes à ne pas perdre courage. Eux le prient et le<br />

conjurent de les ramener par mer en Sicile. Il le leur promet… »<br />

3.2.2.3. Ellipse d’un pronom résomptif<br />

Dans le corpus, nous avons dénombré 22 occurrences de l’ellipse d’un pronom<br />

résomptif neutre, id ou hoc, qui reprendrait le contenu de la proposition ou de la phrase<br />

précédente. Deux exemples typiques sont donnés en (35) et (36) :<br />

(35) Conatus est Caesar reficere pontes sed nec magnitudo fluminis *permittebat<br />

neque ad ripam dispositae cohortes aduersariorum perfici patiebantur. (Caes.,<br />

Ciu. 1.50.1)<br />

« César essaya de rétablir les ponts, mais la rivière trop grosse n’en permettait<br />

pas l’achèvement, aussi bien que les troupes ennemies placées sur l’autre bord. »<br />

(36) A Caesare petii ut Sex. Cloelium restitueret ;*impetraui. (Cic., Att. 14.13a.2)<br />

« J’ai demandé à César de rappeler Sex. Cloelius d’exil ; j’ai eu gain de cause. »<br />

La tentative de César de refaire les ponts (reficere pontes en 35) pourrait être résumée<br />

par id, aussi bien que d’obtenir (impetraui) le rapatriement de Sextus Cloelius en (36).<br />

La même situation se rencontre dans les dialogues qu’on lit chez Cicéron dans<br />

les Tusculanes où seul le verbe est employé, qui représente la réponse minimale par<br />

l’élément saillant à la question dont le terme le plus important est marqué par -ne (cf.<br />

chapitre VIII, La phrase interrogative, exemples 21 et 22). Le contenu n’est pas résumé<br />

par un id :<br />

(37) Hoc dasne aut manere animos post mortem aut morte ipsa interire ? – *Do uero.<br />

(Cic., Tusc. 1.25)<br />

« Accordes-tu que l’âme ou subsiste après la mort ou périt au moment même de<br />

la mort ? Ŕ Oui, je l’accorde. »<br />

3.3. Premières conclusions<br />

L’examen des verbes transitifs dans les phrases syntaxiquement indépendantes<br />

confirme les observations de L. Sznajder (1998) : l’omission de l’actant 2 se produit à<br />

deux niveaux syntaxiques : à l’intérieur d’une phrase complexe ou entre deux phrases.<br />

Le plus fréquemment, le modèle suivant se rencontre : actant 2 > verbe > anaphore zéro<br />

> verbe. Nous avons essayé de montrer qu’au point de vue pragmatique, les actants 2<br />

concernés par l’anaphore zéro sont majoritairement des entités dépendantes du<br />

contexte. Elles peuvent également en être indépendantes auquel cas elles ne jouent pas<br />

un rôle significatif dans le récit suivant Ŕ en d’autres termes, elles ne sont pas prises<br />

pour topique. Les phrases à l’actant 2 élidé présentent souvent le focus sur le verbe et<br />

sont parfois difficiles à distinguer des emplois absolus du verbe. L’ellipse de l’actant 2<br />

peut concerner un contenu précédent (d’une complétive, par exemple), susceptible<br />

d’être résumé par un id ou hoc. Ici encore, le verbe est considéré en soi et l’ellipse se<br />

confond parfois avec des emplois absolus.<br />

3.4. Anaphore zéro ou reprise par un anaphorique ? Le cas de la coordination<br />

Les conditions de l’emploi de l’anaphore zéro qui viennent d’être résumées<br />

appellent à une vérification complémentaire des données dans le corpus. En effet,<br />

l’anaphore zéro et la reprise par un anaphorique ne semblent pas avoir une distribution<br />

libre mais plutôt déterminée par la fonction pragmatique attribuée ou non attribuée au<br />

90


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

constituant en question. Une telle conclusion serait contraire, en particulier, à l’avis<br />

généralement partagé concernant l’omission de l’actant 2 dans le cas de deux (ou<br />

plusieurs) propositions coordonnées dans une même phrase complexe ; pour ne citer<br />

que L. Sznajder (1998 : 800) : « Lorsqu’un objet est commun à deux ou plusieurs<br />

prédicats coordonnés, le latin opte pour l’ellipse et non pour la reprise par un<br />

anaphorique plein ». S. Luraghi (1997 : 255) conclut également que l’omission est<br />

obligatoire dans le cas de la coordination, en se référant à Szantyr (1972 : 824 sq.) qui<br />

décrit l’emploi d’un anaphorique comme emphatique 7 .<br />

Il importe donc de procéder à présent à l’examen de phrases complexes<br />

comportant des verbes coordonnés qui partagent un même actant 2. Deux cas-types sont<br />

donnés en (a) et (b) :<br />

(a) P. Scipio… Iugurtham in praetorium abduxit ibique secreto *monuit, ut… (Sall.,<br />

Iug. 8.2)<br />

« P. Scipion… emmena Jugurtha dans le prétoire et là, seul à seul, il lui conseilla<br />

de… »<br />

(b) Elephantis et parti copiarum pedestrium Bomilcarem praefecit eumque edocet<br />

quae ageret. (Sall., Iug. 49.1)<br />

« (Jugurtha) Il confie à Bomilcar le commandement des éléphants et d’une partie<br />

de l’infanterie, et l’instruit de ce qu’il devait faire. »<br />

La valence des verbes ne semble pas influer ici : la différence entre (a) et (b) réside dans<br />

le statut contextuel des antécédents. Iugurtha est un topique établi Ŕ et admettant, de ce<br />

fait, l’anaphore zéro Ŕ, alors que Bomilcar est traité comme l’élément nouveau.<br />

L’objectif de l’enquête, présentée ci-dessous, sera de rechercher combien de cas de<br />

l’anaphore zéro (a) et de l’anaphore pronominale (b) se rencontrent et comment ces<br />

deux solutions se justifient.<br />

Le tableau ci-dessous réunit les résultats ; la dernière colonne indique le nombre<br />

total de phrases complexes qui présentent une coordination de toutes sortes de verbes à<br />

l’aide de et, atque, ac, -que, nec et neque. L’examen concerne seulement la coordination<br />

de propositions indépendantes, déclaratives ; les subordonnées n’ont pas été prises en<br />

compte.<br />

Tableau 2 : L’anaphore zéro vs. l’anaphore pronominale : propositions coordonnées<br />

(corpus)<br />

Œuvre Anaphore Anaphore Nombre de<br />

zéro pronominale phrases complexes<br />

Salluste 14 5 86<br />

César 15 10 287<br />

Cicéron, Tusculanes 2 1 40<br />

Cicéron, Discours 6 1 33<br />

Cicéron, Corresp. 3 2 91<br />

Total 40 19 537<br />

Pourcentage 68 % 32 % Ŕ<br />

7 Il convient de noter que Szantyr (1972 : 824 sq.), traitant l’ellipse dans le chapitre sur la stylistique,<br />

considère l’omission de l’objet dans le cas du second verbe comme normale ; l’emploi d’un is, rare chez<br />

Cicéron, relève de la langue familière.<br />

91


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

On observe que l’anaphore, zéro ou pronominale, dans les propositions<br />

coordonnées de types (a) et (b), exemplifiées plus haut, se rencontre en particulier chez<br />

les historiens César (25 occ.) et Salluste (19 occ.). Prise globalement, l’anaphore zéro<br />

(68 %) l’emporte sur l’anaphore pronominale (32 %). Toutefois, afin d’obtenir une<br />

évaluation plus exacte, il convient d’éliminer les expressions de type oro obtestorque te<br />

(11 occ. au total) 8 qui réunissent des verbes à sémantisme quasi synonyme et qui, par<br />

ailleurs, présentent toujours l’anaphore zéro. Après avoir ajusté les chiffres, on obtient<br />

les chiffres suivants :<br />

Tableau 3 : L’anaphore zéro vs. l’anaphore pronominale : propositions coordonnées,<br />

sans oro obtestorque te (corpus)<br />

Œuvre Anaphore Anaphore<br />

Zéro pronominale<br />

Salluste 10 5<br />

César 12 10<br />

Cicéron, Tusculanes 2 1<br />

Cicéron, Discours 4 1<br />

Cicéron, Corresp. 1 2<br />

Total 29 19<br />

Pourcentage 60 % 40 %<br />

L’anaphore zéro atteint ainsi 60 % des cas, l’anaphore pronominale 40 %. Ces<br />

résultats portent à conclure que l’anaphore pronominale dans le cas de propositions<br />

coordonnées de type (b) est une solution assez usuelle, surtout chez les historiens : elle<br />

constitue la moitié des occurrences relevées chez Salluste (5 vs. 10) ; chez César, elle<br />

est presque aussi fréquente que l’anaphore zéro. En revanche, Cicéron offre peu<br />

d’occurrences de ce type de coordination. Le pronom anaphorique utilisé est is, hic<br />

apparaît à deux reprises seulement chez César, coordonné à l’aide de atque 9 .<br />

Après avoir réuni les résultats, on peut aboutir à la formulation de tendances<br />

générales.<br />

1° Si l’actant 2, commun aux verbes coordonnés, est exprimé par un pronom (quem,<br />

has, hunc id et eos, corrélatif de qui Ŕ 6 occ.), celui-ci n’est pas répété. Le pronom en<br />

tête de la phrase reprend l’élément saillant de la phrase précédente :<br />

(38) (Sex naues) Has superioribus diebus refecerat atque omnibus rebus<br />

*instruxerat. (Caes., Ciu. 2.5.1)<br />

« (Six navires) Il les avait remis en état les jours précédents et entièrement<br />

équipés. »<br />

2° Dans le cas des verbes quasi synonymes comme oro obtestorque (11 occurrences au<br />

total), nous n’avons rencontré aucun exemple où un anaphorique est employé ou un<br />

8 Les autres sont par exemple : fugant funduntque (Sall., Iug. 21.2) « ils les bousculent et mettent en<br />

déroute » ; orat atque obsecrat (Caes., Ciu. 1.22.3) « il le prie, il le supplie », monet atque obtestatur<br />

uti… (Sall., Iug. 49.2) « il les encourage, et les conjure de… ».<br />

9 Il s’agit de deux emplois rapprochés : atque hos et atque has (Caes., Ciu. 1.56.2 et 3).<br />

92


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

pronom personnel est répété. L’anaphore zéro se justifie par le fait qu’il s’agit d’une<br />

coordination de verbes et non pas de propositions. Il semble en effet nécessaire de<br />

séparer la coordination des verbes Ŕ des constituants (voir Pinkster, 1990 : 8) Ŕ de la<br />

coordination des propositions. Ce point affine l’analyse de L. Sznajder (1998 : 800) qui<br />

n’envisage pas une telle distinction. Il s’agirait alors de la coordination copulative et<br />

non pas de coordination connective (voir A. Orlandini et P. Poccetti, à paraître). Il est<br />

remarquable que les expressions de type oro obtestorque apparaissent fréquemment Ŕ<br />

voire majoritairement (cf. BTL) Ŕ avec le coordonnant -que ; atque (ac) est possible, et<br />

est fortement minoritaire 10 . Cela s’explique par les différences distributionnelles de ces<br />

coordonnants : -que marque l’addition, l’unité et l’équivalence des termes coordonnés,<br />

ac/atque l’addition et l’unité, mais et la simple addition (voir Coseriu, 1977 : 219).<br />

(39) Quaeso obtestorque uos, pontifices, ut me… manibus quoque uestris in sedibus<br />

meis conlocetis. (Cic., Dom. 147)<br />

« Je vous en prie et vous en conjure, pontifes…, daignez de vos propres mains<br />

me replacer dans mes foyers. »<br />

La coordination de verbes exprimant des actions successives (5 occ.) est également<br />

affectée par l’anaphore zéro Ŕ par exemple castigat atque incitat en (40) ou ago et<br />

habeo en (41). La coordination de verbes est illustrée au mieux par ce dernier exemple<br />

avec la coordination et… et…<br />

(40) Laudat promptos Pompeius atque in posterum confirmat, segniores castigat<br />

atque *incitat. (Caes., Ciu. 1.3.1)<br />

« Pompée loue ceux qui sont prompts à agir et les encourage pour l’avenir ; il<br />

réprimande et incite ceux qui sont trop apathiques. »<br />

(41) Quare primum maximas gratias et ago et *habeo Pisoni, qui… (Cic., Phil. 1.15)<br />

« C’est pourquoi, tout d’abord, je témoigne et je garde à Pison une très grande<br />

reconnaissance de ce que… »<br />

3° L’anaphore zéro va de pair avec la non-topicalisation de l’entité en question ; cela<br />

vaut et pour les animés et pour les inanimés. Si l’anaphore zéro est employée, l’entité,<br />

donnée par le contexte Ŕ Antonium en (42) Ŕ ne constitue pas le topique du récit suivant.<br />

(42) Quo facto conuentus ciuium Romanorum… Antonium recepit omnibusque rebus<br />

*iuuit. Otacilius… (Caes., Ciu. 3.29.1)<br />

« Sur ces entrefaites, l’assemblée des citoyens romains établis à Lissus…<br />

accueillit Antoine et l’aida de toutes les manières. Otacilius… »<br />

En revanche, l’anaphorique est employé en particulier (13 cas sur 19),<br />

lorsqu’une autre information va être donnée sur l’entité en question dans le contexte<br />

immédiatement suivant Ŕ par exemple sur signum (43). Une telle topicalisation signifie<br />

« et que fait-on avec l’entité en question ? ».<br />

(43) Q. Marcius censor signum Concordiae fecerat idque in publico conlocarat. Hoc<br />

signum C. Cassius censor cum in curiam transtulisset… (Cic., Dom. 130)<br />

10 À noter qu’un autre coordonnant que -que est exceptionnel dans le cas de fugant funduntque (par<br />

exemple Sall., Iug. 21.2) ; Tite-Live emploie cette expression dans l’ordre inverse : fundunt fugantque<br />

(par exemple Liv. 3.8.9).<br />

93


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

« Q. Marcius avait fait faire une statue de la Concorde et l’avait placée dans un<br />

lieu public. Le censeur C. Cassius, l’ayant transférée à la curie… »<br />

Il n’est toutefois pas nécessaire que l’actant 2 repris par un anaphorique fasse l’objet<br />

d’un ample développement par la suite (6 occurrences sur 19). Le sens de ces phrases<br />

est également « et que fait-on de X ? » :<br />

(44) Eo super tigna bipedalia iniciunt eaque laminis clauisque religant. (Caes., Ciu.<br />

2.10.3)<br />

« Par-dessus ils mettent des poutres de deux pieds d’épaisseur, et les attachent<br />

avec des bandes et des chevilles de fer. »<br />

4° La reprise par l’anaphorique se rencontre également lorsqu’il s’agit de reprendre tout<br />

un contenu précédent. Le pronom id est alors employé ou un syntagme nominal comme<br />

ea res, placés à l’initiale. Dans les phrases complexes comportant des propositions<br />

coordonnées, nous en avons dénombré 10 et 3 occurrences respectivement. Par<br />

exemple, la situation du combat est résumée par le syntagme nominal ea res en (45). Il<br />

n’y a pas de continuation directe par la suite, mais la proposition subséquente apporte<br />

un contenu contraire aux attentes.<br />

(45) Deinde signo dato undique simul clamor ingens oritur, neque ea res Numidas<br />

terret ; infensi intentique sine tumultu manent, proelium incipitur. (Sall., Iug.<br />

57.3)<br />

« Puis, au signal donné, un immense cri de guerre jaillit de toutes parts, sans que<br />

les Numides en soient effrayés ; menaçants et résolus, ils demeurent en bon<br />

ordre, le combat s’engage. » (trad. C.U.F.)<br />

4. Perspectives<br />

Dans les subordonnées Ŕ qui n’ont pas été considérées dans la présente étude Ŕ,<br />

l’ellipse de l’actant 2 semble obéir aux mêmes règles. Une étude approfondie en la<br />

matière est nécessaire pour confirmer cette hypothèse, étude qui prendrait en compte la<br />

fonction pragmatique des constituants concernés par l’ellipse. Pour ne donner qu’un<br />

exemple :<br />

(46) Memmius populo persuadet, uti L. Cassius, qui tum praetor erat, ad Iugurtham<br />

mitteretur eumque interposita fide publica Romam duceret… (Sall., Iug. 32.1)<br />

« Memmius persuade au peuple d’envoyer auprès de Jugurtha L. Cassius, alors<br />

préteur, avec mandat de le ramener à Rome sous la sauvegarde de la foi<br />

publique… »<br />

De même, il importera de considérer les ellipses concernant des constituants<br />

exprimés dans les participiales, comme naues en (47) :<br />

(47) Hic repentino aduentu naues onerarias quasdam nactus *incendit… (Caes., Ciu.<br />

3.23.2)<br />

« Étant arrivé sans qu’on s’y attendît, il surprit quelques vaisseaux de charge<br />

qu’il incendia… »<br />

Une autre question intéressante est celle du traitement des constituants<br />

représentés par des participes. Les deux exemples suivants montrent un participe seul,<br />

94


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

productos (48), et un participe, oppressos, précédé par l’anaphorique hos 11 . Hos reprend<br />

l’élément saillant de la phrase précédant la remarque explicative (Numidae enim…) –<br />

hostes – pour le transformer en topique :<br />

(48) Edicunt, penes quem quisque sit Caesaris miles ut producat, productos palam in<br />

praetorio interficiunt. (Caes., Ciu. 1.76.4)<br />

« On ordonne à tous ceux qui ont en leur pouvoir quelque soldat de César de le<br />

livrer ; ces soldats livrés, on les met à mort dans le prétoire. »<br />

(49) Equites missi… imprudentisque atque inopinantis hostes adgrediuntur.<br />

(Numidae enim…) Hos oppressos, somno dispersos adorti magnum eorum<br />

numerum interficiunt ; multi perterriti profugiunt. (Caes., Ciu. 2.38.4-5)<br />

« Les cavaliers… fondent à l’improviste sur l’ennemi surpris. (Car les<br />

Numides…) Tombant ainsi sur ces hommes profondément endormis et<br />

disséminés de tous côtés, les cavaliers en massacrent un grand nombre ;<br />

beaucoup d’autres, effrayés, prennent la fuite. »<br />

11 Cf. également Sall., Cat. 60.5 : ... cohortem praetoriam in medios hostis inducit eosque perturbatos<br />

atque alios alibi resistentis interficit.<br />

95


Chapitre V<br />

LE THÈME<br />

1. Définition. Problèmes d’identification<br />

Outre le topique et le focus, la grammaire fonctionnelle décrit le thème 1 comme<br />

une fonction pragmatique (voir S. C. Dik, 1997, II : 389, cf. Bolkestein, 1981 : 65 sq. et<br />

Pinkster, 1995 : 46 et 222 sq.). Il s’agit de constituants qui ne font pas partie<br />

syntaxiquement de la phrase Ŕ ce sont des constituants extra-phrastiques. Ils ont pour<br />

fonction d’indiquer l’entité ou le domaine dans le cadre desquels la phrase est à<br />

interpréter, par exemple :<br />

(a) Ta sœur, je l’ai vue hier.<br />

(b) Quant aux étudiants, ils ne seront pas invités.<br />

En se servant d’un constituant extra-phrastique : ta sœur en (a) et quant aux étudiants en<br />

(b), le locuteur oriente l’interlocuteur vers le domaine concerné par le contenu de la<br />

phrase 2 . Leur propriété remarquable est qu’ils ne sont pas intégrés dans la phrase mais<br />

se rencontrent en dehors d’elle (cf. Touratier, 1994 : 709 et Amacker 2001) 3 .<br />

L’intégration et la non-intégration séparent alors les topiques des thèmes : les premiers<br />

représentent les constituants intra-phrastiques, les seconds les constituants extraphrastique.<br />

L’identification des constituants de thème pose un certain nombre de<br />

difficultés en latin : la reprise du constituant par un anaphorique (la en a, par exemple) y<br />

est rare et nos méconnaissances de la prosodie ne nous permettent pas de nous<br />

prononcer sur la segmentation de la phrase que de manière hypothétique.<br />

2. Typologie des constituants de thème<br />

M. E. Hoffmann (1989 : 188 sqq.) a proposé une typologie des constituants de<br />

thème, que nous reprendrons. En partant de critères syntaxiques, elle fait une distinction<br />

entre le thème réalisé par un syntagme nominal (1), par un syntagme prépositionnel (2),<br />

par une relative (3), par une subordonnée en quod (4) et par une construction infinitive<br />

(5). Par exemple :<br />

(1) Amicos domini, eos habeat sibi amicos. (Cato, Agr. 5.3)<br />

« Les amis du maître, qu’il les considère comme ses amis. »<br />

(2) De domo et Curionis oratione, ut scribis ita est. (Cic., Att. 3.20.2)<br />

« Au sujet de ma maison et du discours de Curion, c’est bien comme tu le dis. »<br />

(3) Qui ager frigidior et macrior erit, ibi oleam Licinianam seri oportet. (Cato, Agr.<br />

6.2)<br />

« Dans un champ plus froid et plus maigre, il convient de planter l’olivier<br />

licinien. » (trad. C.U.F.)<br />

1<br />

Le thème en tant que concept de la grammaire fonctionnelle est différent du ‘thème’ défini par Firbas<br />

(1992).<br />

2<br />

On ne peut pas alors parler d’un « déplacement » de ces constituants à gauche Ŕ voir Bolkestein (1981 :<br />

67).<br />

3<br />

Cf. également Chausserie-Laprée (1969 : 39 et passim) sur les séquences initiales complexes et sur les<br />

mots-titres.<br />

96


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(4) Quod multitudinem Germanorum in Galliam traducat, id se sui muniendi, non<br />

Galliae oppugnandae causa facere. (Caes., Gall. 1.44.6)<br />

« S’il faisait passer en Gaule un grand nombre de Germains, c’était pour sa<br />

propre sûreté et non pour attaquer les Gaulois. »<br />

(5) ‘Vero, uero’ inquit Habinnas ‘de una die duas facere, nihil malo’. (Petron., Sat.<br />

72.4)<br />

« ‘Juste, juste !, dit Habinnas, ‘d’une journée en faire deux, je ne demande pas<br />

mieux.’ » (trad. C.U.F.)<br />

Les constituants amicos domini « les amis du maître » (1), de domo et Curionis<br />

oratione « au sujet de ma maison et du discours de Curion » (2), qui ager… erit « le<br />

champ qui sera… » (3), quod… traducat « le fait de faire passer… » (4) et de una die<br />

duas facere « d’une journée en faire deux » (5) sont, pour ainsi dire, antéposés à la<br />

proposition qui suit et n’en font pas partie intégrante. Ils expriment à quoi le contenu<br />

exprimé dans la proposition subséquente se rapporte, par exemple : « concernant les<br />

amis du maître, qu’il les considère comme ses amis ». Le thème a ainsi pour fonction de<br />

traduire l’intention du locuteur qui est la suivante : « maintenant, je vais dire quelque<br />

chose concernant X ; il en est ainsi… ». Les constituants de thème peuvent être repris à<br />

l’aide d’un anaphorique (eos en 1 et ibi en 3 ; id en 4 est un corrélatif).<br />

Les constituants de thème apparaissent le plus souvent sous la forme d’un<br />

syntagme prépositionnel en de, d’une subordonnée en quod et moins fréquemment sous<br />

la forme d’un nominatif ou d’un accusatif dits pendens (Somers 1994 : 151). Un facteur<br />

non négligeable pour la description des constituants de thème est le type de textes 4 dans<br />

lesquels ils apparaissent, comme M. H. Sommers l’a mis en évidence (1994 : 161) : ce<br />

sont les comédies de Plaute, la correspondance de Cicéron ou la prose technique (par<br />

exemple, les manuels) ; en revanche, ils sont peu fréquents dans les textes narratifs.<br />

L’auteur a recours à ces constructions pour passer à un sujet nouveau. Dans ce chapitre,<br />

une attention particulière sera portée à l’identification du thème par rapport au topique<br />

(§ 3), à la distinction entre le thème et les syntagmes prépositionnels en de… (§ 4) ainsi<br />

qu’aux subordonnées en quod et en ut (§ 5).<br />

3. Le thème vs. le topique<br />

Distinguer le thème du topique pose problème dans de nombreux cas, comme<br />

l’ont signalé M. Bolkestein (1981 : 67 sq.), M. H. Sommers (1994), M. E. Hoffmann<br />

(1989) et C. Cabrillana (1999) 5 . La différence entre les deux apparaît bien dans<br />

l’exemple suivant, cité par M. H. Sommers (1994 : 152) :<br />

(c) Quant à Paris, la tour Eiffel est vraiment spectaculaire.<br />

Le constituant de thème (quant à Paris) concerne tout le contenu exprimé par la phrase<br />

suivante, alors que le topique (la tour Eiffel) ne touche qu’à la prédication.<br />

Il est important de s’interroger sur la nature contextuelle de l’information<br />

véhiculée par le constituant de thème. M. E. Hoffmann (1989) constate que le thème ne<br />

peut contenir une information entièrement nouvelle. Pour notre part, nous préciserions<br />

que le thème concerne, soit les éléments déductibles du contexte car ils font partie d’une<br />

4 À noter également que l’exemple cité en (a) relève du langage de tous les jours, et non pas du français<br />

littéraire. De même, l’exemple (b) a un caractère technique.<br />

5 De même, cf. P. Sgall et al. (1986 : 175 sqq.).<br />

97


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

sorte d’énumération (cf. exemple 6) 6 , soit les éléments appartenant au savoir partagé (cf.<br />

l’exemple 9).<br />

C. Cabrillana (1999 : 423 sq.) apporte quelques autres critères qui permettent de<br />

séparer le thème du topique en latin ; dans le cas du thème, la reprise anaphorique (cf.<br />

l’exemple 1, cité ci-dessus et l’exemple 6) est un signal évident du caractère extraphrastique<br />

; de même, la modalité (assertive, interrogative ou impérative) aide à les<br />

identifier.<br />

(6) Pater tuos, is erat frater patruelis meus. (Plaut., Poen. 1069)<br />

« Ton père, il était mon cousin germain, par nos pères. » (trad. P. Grimal)<br />

Cet exemple montre clairement que pater tuus « quant à ton père » est le thème,<br />

déductible du contexte car on vient de parler de la mère (mater) ; is fonctionne comme<br />

topique de sa phrase. En revanche, signa déterminé par une relative dans l’exemple<br />

suivant relève du savoir partagé :<br />

(7) Signa quae nobis curasti, ea sunt ad Caietam exposita. (Cic., Att. 1.3.2) 7<br />

« Les statues que tu m’as procurées ont été débarquées à Caïète. »<br />

Or, contrairement à l’avis de M. E. Hoffmann (1989 : 192), nous ne considérons<br />

pas comme thème un constituant comme Caesari en (8) :<br />

(8) Caesari cum id nuntiatum esset eos per prouinciam nostram iter facere conari,<br />

maturat ab urbe proficisci… (Caes., Gall. 1.7.1)<br />

« César, apprenant qu’ils se disposent à passer par notre province, se hâte de<br />

quitter Rome. »<br />

Placé en tête de la phrase complexe, Caesari 8 fait partie de la phrase et ne<br />

représente pas un constituant extra-phrastique. Le fait qu’il se retrouve à l’initiale<br />

absolue correspond aux tendances concernant le placement du topique et est dû au<br />

contraste qui accompagne le changement de topique (voir chapitre II, Le topique, § 4).<br />

De surcroît, César est un personnage bien établi Ŕ c’est un topique du discours, fonction<br />

que les thèmes n’ont pas 9 .<br />

4. Le thème vs. les syntagmes prépositionnels en de…<br />

Le thème peut être exprimé par le syntagme prépositionnel en de… et un bon<br />

exemple est le suivant :<br />

(9) De Tadiana re, mecum Tadius locutus est te ita scripsisse… (Cic., Att. 1.5.6) 10<br />

« À propos de l’affaire de Tadius, Tadius m’a dit que tu lui avais écrit que… »<br />

De Tadiana re « à propos de l’affaire de Tadius » est le constituant de thème, et ce pour<br />

deux raisons. Théoriquement, le verbe loquor « parler » pourrait être complété par le<br />

6 Cf. également H. Pinkster (2005c) sur Pline l’Ancien.<br />

7 Cet exemple est cité par R. Amacker (2001 :189).<br />

8 De même, on pourrait citer des exemples avec Caesar au nominatif.<br />

9 César pourrait faire l’objet de la thématisation, si par exemple l’auteur énumérait un certain nombre de<br />

personnages et se prononçait sur leur sort. À la fin, pour compléter sa liste, l’auteur pourrait dire : quod<br />

ad Caesarem attinet, …<br />

10 Il est cité également par M. H. Somers (1994 : 159).<br />

98


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

syntagme prépositionnel de… mais son complément est représenté par la subordonnée<br />

infinitive (te scripsisse). Or considérer de Tadiana re comme un complément du verbe<br />

loquor serait inacceptable au point de vue sémantique : « Tadius m’a parlé de l’affaire<br />

de Tadius… » (Cabrillana, 1999 : 418). L’affaire de Tadius relève du savoir partagé<br />

entre Cicéron et Atticus et l’auteur lance ainsi un nouveau sujet, que l’on pourrait<br />

paraphraser ainsi « maintenant, je passe à l’affaire de Tadius ».<br />

Comme H. Pinkster (1995 : 47, voir également les notes p. 340 sq.) l’a justement<br />

remarqué, les constituants de thème comportant un syntagme prépositionnel tel que<br />

de… ne doivent pas être confondus avec les compléments prépositionnels des verbes<br />

scribo, audio, cogito, cognosco… En effet, ces compléments remplissent bien une place<br />

valencienne du prédicat et, dans certains cas, ils ne font qu’alterner avec un complément<br />

d’objet direct. À la différence des constituants de thème, ils ne se positionnent pas<br />

(seulement) à l’initiale, comme le montrent les exemples ci-dessous :<br />

(10) Post H. VIII in balneum. Tum audiuit de Mamurra, uultum non mutauit. (Cic.,<br />

Att. 13.52.1)<br />

« Passé la 8 e heure, au bain. Il apprit alors la nouvelle pour Mamurra, sans<br />

changer de visage. »<br />

(11) Tota igitur hac de re, ut soles si quid ad me pertinere putas, cogitabis. (Cic., Att.<br />

14.13.4)<br />

« Tu réfléchiras donc à cette question sous tous ses aspects, comme tu as<br />

l’habitude de le faire pour toutes celles qui te semblent me concerner. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

En revanche, en tête de la phrase, ces constituants fonctionnent comme thèmes :<br />

(12) De Herode faciam ut mandas et ea quae scribis ex Saufeio et e Xenone<br />

cognoscam. (Cic., Att. 16.3.2)<br />

« Pour Hérodès, je m’acquitterai de ta commission et m’enquerrai des points que<br />

tu me signales auprès de Sauféius et de Xénon. » (trad. C.U.F.)<br />

(13) De geographia, dabo operam ut tibi satis faciam; sed nihil certi polliceor. (Cic.,<br />

Att. 2.4.3)<br />

« Concernant la géographie, je tâcherai de te satisfaire, mais je ne te promets rien<br />

de certain. »<br />

(14) De Publilio autem, quod perscribi oportet, moram non puto esse faciendam.<br />

(Cic., Att. 16.2.1)<br />

« Mais en ce qui concerne Publilius, puisque je suis tenu de signer une traite, je<br />

ne pense pas qu’il y ait lieu de tarder. »<br />

Ces exemples nous montrent encore une différence notable : tandis que les verbes de<br />

perception exemplifiés en (10-11) admettent des syntagmes prépositionnels introduits<br />

par de, les verbes tels facio (13) ou operam do (13) n’en admettent pas. Le verbe puto<br />

en (14) a les positions syntaxiques saturées. Dans tous ces cas, les constituants de thème<br />

font référence à un savoir partagé.<br />

En outre, dans la correspondance de Cicéron, on rencontre également des<br />

phrases elliptiques, par exemple :<br />

(15) De CCX, optime. (Cic., Att. 16.1.5)<br />

« Pour les 210 000 sesterces, parfait. »<br />

99


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

Il s’agit du montant d’un emprunt obtenu par l’intermédiaire d’Atticus, mentionné dans<br />

l’une des lettres précédentes (Cic., Att. 15.20.4).<br />

5. Les subordonnées<br />

Parmi les moyens qui fonctionnent comme thèmes, il convient de citer la<br />

formule quod ad me attinet « en ce qui me concerne » :<br />

(16) Primum, quod ad te attinet, nihil mihi concedebat. (Cic., Att. 15.1.2)<br />

« En premier lieu, pour ce qui te concerne, il se montrait aussi affirmatif que<br />

moi. » (trad. C.U.F.)<br />

En outre, dans un récit, on rencontre des phrases autonomes qui servent à<br />

articuler le discours, par exemple qui ont pour fonction d’annoncer la transition d’un<br />

sujet à un autre. Dans ce cas, on ne parlera pas de thème, car elles n’ont pas d’incidence<br />

sur l’ordre des constituants ; en revanche, il s’agit de stratégies qui contribuent à<br />

l’enchaînement d’idées dans un texte structuré 11 , par exemple :<br />

(17) Redeo enim ad miseram seu nullam potius rem publicam. M. Antonius ad me<br />

scripsit de restitutione Sex. Cloeli… (Cic., Att. 14.13.6)<br />

« J’en reviens, en effet, à notre République défaillante, ou plutôt inexistante.<br />

Marc Antoine m’a écrit au sujet du rappel de Sex. Cloelius… »<br />

6. Conclusions<br />

Les constituants de thème ont une fonction pragmatique distincte : constituants<br />

extra-phrastiques, placés à gauche de la phrase, ils indiquent sous quel point de vue la<br />

phrase entière est à interpréter. Bien qu’il soit parfois difficile de distinguer le thème du<br />

topique, il apparaît que les constituants de thème représentent typiquement des éléments<br />

déductibles du contexte car ils font partie d’un groupe, ou des éléments relevant du<br />

savoir partagé. Les thèmes sous la forme de syntagmes prépositionnels introduits par<br />

de… sont à séparer des compléments de verbes dotés d’une même forme syntaxique.<br />

Les constituants de thème peuvent prendre une autre forme, par exemple une<br />

subordonnée en quod ou en ut. Les thèmes ont une fréquence minime dans les textes<br />

narratifs ; en revanche, ils se rencontrent dans la correspondance, dans la prose<br />

technique ou dans les textes interactifs comme des dialogues.<br />

11 Cf. également les structures de transition qu’a relevées V. Naas (Le projet encyclopédique de Pline<br />

l’Ancien, École française de Rome, 2002), en examinant l’enchaînement des livres.<br />

100


Chapitre VI<br />

LE FOCUS<br />

Dans le chapitre premier (§ 2.2 et 4.2), le focus a été défini comme l’élément<br />

saillant de la phrase. Le présent chapitre se concentrera sur les différents types de focus<br />

Ŕ le focus lié à la nouveauté (§ 1), l’information complexe (§ 2) et sur les phrases<br />

présentant un contenu entièrement nouveau (§ 3). Le contraste et ses types seront<br />

présentés dans la section 4. Le marquage par les particules focalisantes et, etiam,<br />

quoque et quidem fera l’objet de la section 5. Ensuite, seront abordés quelques autres<br />

phénomènes qui ne touchent au focus que d’une manière complémentaire : l’emphase (§<br />

6), les particules connectives (§ 7) et l’hyperbate (§ 8).<br />

1. Le focus lié à la nouveauté<br />

Le focus représente l’élément saillant, le plus informatif de la phrase (S. C. Dik,<br />

1997, I : 326 sqq.). La fonction pragmatique de focus peut être attribuée à des entités ou<br />

à des procès. Les entités entièrement indépendantes du contexte sont de forts candidats à<br />

la fonction de focus, par exemple :<br />

(1) (ut illo itinere ueniret Lampsacum) Deducitur iste ad Ianitorem quendam<br />

hospitem, comitesque eius item apud ceteros hospites collocantur…. Erat comes<br />

eius Rubrius quidam, homo factus ad istius libidines, qui miro artificio<br />

quocumque uenerat haec inuestigare omnia solebat. Is ad eum rem ita defert :…<br />

(Cic., Verr. 2.1.64)<br />

« (dans ce voyage, il vint à Lampsaque) On le (Verrès) conduit chez un certain<br />

Janitor, chargé de lui donner l’hospitalité ; les personnes de sa suite sont reçues<br />

chez d’autres hôtes.… Il y avait parmi ses compagnons un certain Rubrius,<br />

homme fait pour servir ses passions, qui, partout où il était arrivé, avait coutume<br />

de rechercher, un art merveilleux, tout ce qu’il fallait à Verrès. Il lui rapporte<br />

que... »<br />

Dans un passage narratif tiré de ses discours contre Verrès, Cicéron décrit le<br />

comportement méprisable de ce dernier dans la ville de Lampsaque. Un soir, Verrès est<br />

conduit chez un certain Janitor, qui lui donne Ŕ comme c’était d’usage Ŕ l’hospitalité. Le<br />

constituant ad Ianitorem quendam hospitem est entièrement indépendant du contexte, de<br />

même que apud ceteros dans la proposition subséquente ; les deux propositions<br />

répondent à la question ad quem ? Un des compagnons de Verrès, Rubrius quidam,<br />

contextuellement non lié, entre sur la scène et le contexte d’après le concernera (is…).<br />

On notera les expressions quendam et quidam qui accompagnent ces personnages et<br />

signalent explicitement leur caractère indépendant du contexte 1 . Comme l’exemple (1)<br />

le montre, le focus occupe une place à droite de la proposition/phrase, préverbale (apud<br />

ceteros hospites) ou finale (ad Ianitorem quendam hospitem ; Rubrius quidam).<br />

Cependant, des constituants fonctionnant comme focus se rencontrent également en tête<br />

de phrase ou après le constituant de topique, par exemple :<br />

1 Pour ce type de phrases présentatives, voir chapitre X, La phrase déclarative, § 8.5.<br />

101


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(2) Duas a te accepi epistulas heri. Ex priore theatrum Publiliumque cognoui, bona<br />

signa consentientis multitudinis… Altera epistula… (Cic., Att. 14.2.1)<br />

« Hier, j’ai reçu deux lettres de toi. La première m’a mis au courant pour le<br />

théâtre et pour Publilius, signes favorables de l’accord populaire… La deuxième<br />

lettre… »<br />

(3) Et forte in eo loco grandis ilex coaluerat inter saxa, paulum modo prona…<br />

Cuius ramis… nisus Ligus… (Sall., Iug. 93.4)<br />

« Le hasard a voulu qu’à cet endroit, un grand chêne avait poussé entre les<br />

rochers, chêne légèrement incliné… Le Ligure, s’appuyant sur ses branches… »<br />

Duas en (2), disjoint de epistulas, figure à l’initiale de la phrase qui ouvre une<br />

lettre de Cicéron. La phrase apporte un contenu entièrement nouveau (question « que<br />

s’est-il passé ? »), mais duas est traité comme l’élément saillant. Il s’agit d’un focus,<br />

placé à l’initiale, et non pas d’une emphase 2 (cf. ci-dessous, § 6) : en témoigne le<br />

contexte d’après qui apporte des réponses à chacune de ces lettres (ex priore…, altera<br />

epistula). Dans ce type de cas, on parlera du focus à l’initiale. En (3), grandis ilex est<br />

l’élément saillant de la phrase. Il est placé après le topique in eo loco et la phrase dit ce<br />

qui se passait là-bas. Le verbe coaluerat « avait poussé » est indépendant du contexte<br />

mais il exprime un procès sémantiquement associable aux arbres.<br />

Cependant, il est tout à fait possible de traiter comme focus les entités<br />

contextuellement liées 3 .<br />

L’énumération de plusieurs entités est souvent un signal du fait que ces<br />

constituants représentent l’information saillante, par exemple la provenance du blé en<br />

(4) :<br />

(4) Frumenti uim maximam ex Thessalia, Asia, Aegypto, Creta, Cyrenis reliquisque<br />

regionibus comparauerat. (Caes., Ciu. 3.5.1)<br />

« Du blé, Pompée en avait fait venir une grande quantité de Thessalie, d’Asie,<br />

d’Égypte, de Crète, de Cyrénaïque, et des autres contrées. »<br />

Lorsqu’une action représente l’élément nouveau, la phrase répond à la question<br />

« que fait X ? »), par exemple :<br />

(5) Milites in itinere ab eo discedunt ac domum reuertuntur. (Caes., Ciu. 1.12.2)<br />

« Pendant l’étape, les soldats désertent et rentrent chez eux. »<br />

Dans la première proposition, discedunt est le seul élément indépendant du contexte.<br />

Dans la seconde, domum reuertuntur peut être considéré comme l’unité pragmatique<br />

2 Une lecture emphatique se justifierait, par exemple, si Cicéron ne recevait presque jamais de lettres<br />

d’Atticus et si soudainement, il en recevait deux à la fois. Il nous semble peu probable que duas « deux<br />

lettres » contraste implicitement avec « une lettre ». Selon nous, Cicéron constate simplement que deux<br />

lettres lui sont parvenues et qu’il va répondre successivement à chacune d’elles. Cf. également : a te heri<br />

duas epistulas accepi (Cic., Att. 12.37.1) « j’ai reçu hier deux lettres de toi », et VIII Kal. duas a te accepi<br />

(Cic., Att. 15.13.1) « le 25, j’ai reçu deux lettres de toi », où duas n’est pas en tête de la phrase. Or deux<br />

lettres d’Octavien parvenues le même jour (uno die) semblent être présentées comme un fait remarquable<br />

et binae peut être qualifié d’emphatique : binae uno die mihi litterae ab Octaviano (Cic., Att. 16.9) « deux<br />

lettres d’Octavien pour moi en un jour ! » (à noter le contraste entre binae et uno die). Toutes les phrases<br />

citées dans cette note apparaissent en début de lettres.<br />

3 Voir chapitre premier, § 8, exemple (47).<br />

102


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

fonctionnant comme un bloc, comme le montre la coordination avec le verbe<br />

monovalent discedunt 4 .<br />

En outre, le focus peut également être porté sur l’indication du temps ou sur la<br />

modalité de l’action ; on comparera l’expression du présent (iudicant) et du parfait<br />

(iudicauerunt), ou le constat d’un procès accompli (feci) et du désir de l’accomplir<br />

(factum uolui) :<br />

(6) Itaque uiri fortissimi atque honestissimi, qui ordines duxerunt, res et iudicant et<br />

iudicauerunt. (Cic., Phil. 1.20)<br />

« C’est ainsi que ces hommes vaillants et fort honorables, qui ont commandé des<br />

centuries, ont exercé et exercent encore des fonctions judiciaires. »<br />

(7) Bellum ego populo Romano neque feci neque factum umquam uolui. (Sall., Iug.<br />

110.6)<br />

« Je n’ai pas fait et je n’ai jamais voulu faire la guerre au peuple romain. »<br />

2. Information complexe<br />

Dans certains cas, la phrase n’a pas un seul élément saillant mais c’est une unité<br />

qui apporte l’information nouvelle. Dans ce cas, nous parlerons de l’ « information<br />

complexe » (cf. chapitre premier, § 8, exemples 48 et 49) car celle-ci est véhiculée non<br />

pas par un seul constituant mais par un groupe de constituants. Ce phénomène peut très<br />

bien être illustré par le passage suivant emprunté à César :<br />

(8) (uulnerati) Qui omnes discessu Curionis multique praeterea per simulationem<br />

uulnerum ex castris in oppidum propter timorem sese recipiunt. Qua re<br />

animaduersa… (Caes., Ciu. 2.35.5)<br />

« Après le départ de Curion, tous les blessés avec bien d’autres qui feignaient de<br />

l’avoir été quittent le camp, poussés par la peur, et se réfugient dans la place.<br />

Varus s’en aperçoit… »<br />

Les soldats de Curion, ramenés dans le camp, le quittent pour se réfugier dans la place.<br />

La phrase dit, non pas « où se réfugient les soldats ? », mais « que font les soldats ? ».<br />

Le constituant in oppidum forme ainsi une unité pragmatique avec sese recipiunt.<br />

3. « Tout est nouveau »<br />

Certaines phrases peuvent apporter un contenu entièrement nouveau (voir<br />

Hannay, 1991 : 146, et Bolkestein, 1998a : 198) dont les éléments sont indépendants du<br />

contexte ; elles répondent alors à la question « que se passe-t-il ?, que s’est-il passé ? ».<br />

En d’autres termes, elles n’ont pas un seul élément saillant ; cependant dans certains<br />

cas, la phrase peut être orientée sur un constituant et une autre question sous-jacente se<br />

laisse déterminer (quis ?, quid ?, quem ?…).<br />

De nombreux exemples de phrases de type « tout est nouveau » se rencontrent<br />

dans la prose historique, mais également chez Cicéron, par exemple dans les<br />

Tusculanes, en particulier là où il introduit des parallèles pour appuyer son<br />

argumentation. Le passage suivant lui sert d’exemple pour démontrer que le temps<br />

adoucit et supprime le chagrin, car l’âme s’endurcit à la longue :<br />

4 Tel est majoritairement le statut informatif des infinitifs historiques relevés chez Salluste, par exemple :<br />

Sed ne Iugurtha quidem interea quietus erat : circumire, hortari, renouare proelium... (Sall., Iug. 51.2).<br />

« Cependant Jugurtha non plus ne restait pas inactif : il parcourait les rangs, encourageait ses hommes,<br />

rétablissait le combat... ». Pour les ellipses, voir chapitre IV, § 3.<br />

103


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(9) Karthaginienses multi Romae seruierunt, Macedones rege Perse capto ; uidi<br />

etiam in Peloponneso, cum essem adulescens, quosdam Corinthios. Hi poterant<br />

omnes eadem illa de Andromacha deplorare : ‘haec omnia uidi ...’, sed iam<br />

decantauerant fortasse. (Cic., Tusc. 3.53)<br />

« Nombre de Carthaginois, et, après la capture du roi Persée, de Macédoniens,<br />

ont été esclaves à Rome. J’ai même vu dans le Péloponnèse, au temps de ma<br />

jeunesse, des individus qui étaient originaires de Corinthe. Ces gens auraient<br />

tous pu redire les lamentations de la tragédie d’Andromaque : ‘tout cela, je l’ai<br />

vu…’ mais déjà sans doute ils avaient fini de chanter leur complainte. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

De même dans sa correspondance :<br />

(10) (Redeo enim ad miseram seu nullam potius rem publicam.) M. Antonius ad me<br />

scripsit de restitutione Sex. Cloeli ; quam honorifice, quod ad me attinet, ex<br />

ipsius litteris cognosces. (Cic., Att. 14.13.6)<br />

« (J’en reviens, en effet, à notre République défaillante, ou plutôt inexistante.)<br />

Marc Antoine m’a écrit au sujet du rappel de Sex. Cloelius ; en termes combien<br />

flatteurs, pour ce qui me concerne, tu le verras par sa propre lettre. »<br />

Ces phrases véhiculent une information entièrement nouvelle. Leurs sujets,<br />

Karthaginienses en (9) et M. Antonius en (10), indépendants du contexte, sont posés<br />

comme des topiques et un procès leur est attribué : seruierunt et scripsit. Leur place à<br />

l’initiale 5 s’explique par le fait qu’il s’agit de participants animés, pourvus d’un haut<br />

degré d’individuation et agentifs (Hopper et Thompson, 1980 : 252 ; cf. Siewierska<br />

1988 : 65 sq.) 6 . Si l’on admet que Karthaginienses et M. Antonius sont posés comme<br />

topiques (cf. H. Dik, 1995 : 26) 7 , les phrases peuvent être interprétées comme reposant<br />

sur une autre question sous-jacente : « que faisaient les Carthaginois ? » et « qu’a fait<br />

Marc Antoine ? ».<br />

Lorsqu’il s’agit d’états ou de procès non contrôlables, on dira que la phrase<br />

répond à la question « que se passe-t-il ? » avec la question sous-jacente « qu’arrive-il à<br />

X ? », par exemple :<br />

(11) Minucius quidam mortuus est ante istum praetorem ; eius testamentum erat<br />

nullum ; lege hereditas ad gentem Minuciam ueniebat. (Cic., Verr. 2.1.115)<br />

« Un certain Minucius vint à mourir avant la préture de celui-ci ; il ne laissait pas<br />

de testament ; la loi déférait l’hérédité à l’ensemble de la famille Minucia. »<br />

Les entités inanimées peuvent être traitées de la même manière :<br />

5 Cf. J. de Jong (1989 : 536) qui considère la place initiale occupée par les sujets dans les phrases où tout<br />

est nouveau comme une place « non marquée ».<br />

6 Voir chapitre X, La phrase déclarative, § 2, et cf. la remarque faite par J. de Jong (1989 : 534) ; selon<br />

lui, les sujets pourvus d’un haut degré d’individuation occupent la place initiale plus souvent que les<br />

sujets dotés d’un faible degré d’individuation.<br />

7 Contrairement à J. de Jong (1989 : 536) qui ne considère pas de tels sujets comme topiques. Cf.<br />

également J. Firbas (1992 : 64) sur Le président Kennedy a été assassiné.<br />

104


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(12) (Cuius musculi haec erat forma.) Duae primum trabes in solo aeque longae<br />

distantes inter se pedes IIII conlocantur inque eis columellae pedum in<br />

altitudinem V defiguntur. (Caes., Ciu. 2.10.2)<br />

« (Voici le mode de construction de cette galerie :) tout d’abord, on pose sur le<br />

sol deux pièces de bois d’égale longueur, à quatre pieds de distance l’une de<br />

l’autre ; des piliers de cinq pieds de haut y sont fichés. »<br />

L’auteur commence ici la description d’une galerie. Duae trabes « deux pièces de bois »<br />

est posé comme topique et l’action qui les concerne est indiquée (conlocantur) ; dans la<br />

phrase subséquente, on apprend ce qu’on fait avec ces pièces de bois (inque eis…<br />

defiguntur).<br />

Les phrases apportant l’information entièrement nouvelle peuvent revêtir une<br />

autre disposition. Par exemple, Cicéron donne la phrase citée en (13) comme un<br />

exemple de départ pour démontrer que nul sentiment ne subsiste dans le corps. Il ne<br />

s’agit pas de dire ce qu’Achille fait ou qui il traîne. Nous assistons à une phrase où tout<br />

est nouveau, qui se rencontre dans un contexte tel que « imaginons la situation<br />

suivante », « il y a une situation X », qui permet de passer à l’argument lui-même<br />

(lacerari…). De même, la phrase en (14) qui sert de point de départ pour démontrer<br />

qu’il faut éviter la cupidité 8 :<br />

(13) Trahit Hectorem ad currum religatum Achilles : lacerari eum et sentire, credo,<br />

putat. (Cic., Tusc. 1.105)<br />

« Achille traîne Hector attaché à son char ; il pense, ma foi, qu’Hector est<br />

déchiré et le sent. »<br />

(14) Laudat Africanum Panaetius quod fuerit abstinens. Quidni laudet ? (Cic., De<br />

off. 2.76)<br />

« Panétius loue Scipion l’Africain pour avoir été désintéressé. Pourquoi ne le<br />

louerait-il pas ? »<br />

Dans la même catégorie, il convient de ranger les phrases à verbe sum à l’initiale,<br />

indépendant du contexte 9 . L’existence de quelqu’un ou de quelque chose peut être<br />

exprimée avec le verbe en tête, mais une autre disposition est également possible. Avec<br />

(15) et (16) 10 , montrant des phrases présentatives (voir chapitre X, La phrase<br />

déclarative § 8.5), on comparera également l’exemple (31) cité plus loin 11 .<br />

(15) Est autem C. Herennius quidam, tribunus plebis, quem tu fortasse ne nosti<br />

quidem… Is ad plebem P. Clodium traducit… (Cic., Att. 1.18.4)<br />

« Il y a aussi un certain C. Hérennius, tribun de la plèbe, que tu ne connais peutêtre<br />

même pas... Il personnage fait passer P. Clodius dans la plèbe. »<br />

8 Cf. également : Condiunt Aegyptii mortuos et eos servant domi. (Cic., Tusc. 1.108) « Les Égyptiens<br />

embaument leurs morts et les gardent à la maison. »<br />

9 Or H. Dik (1995 : 221 sqq.) considère les verbes initiaux comme topiques en grec ancien.<br />

10 Cf. également : Cn. Octauius est (an Cn. Cornelius ?) quidam, tuus familiaris… Is me… crebro ad<br />

cenam inuitat. (Cic., Fam. 7.9.2) « Il y a un certain Cn. Octavius (à moins qu’il ne s’appelle Cn.<br />

Cornélius), un de tes amis… Il m’a invité à dîner à plusieurs reprises… » où quidam représente une<br />

conjecture, adoptée cependant par tous les éditeurs.<br />

11 Pour les phrases existentielles et locatives, voir chapitre X, La phrase déclarative, § 8.5.<br />

105


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(16) Gauius 12 est quidam, cui cum praefecturam detulissem Bruti rogatu… Is me nec<br />

proficiscentem Apamea prosecutus est nec… (Cic., Att. 6.3.6)<br />

« Il y a un certain Gavius à qui j’avais offert le titre de préfet, sur la demande de<br />

Brutus… À mon départ d’Apamée, il ne m’a ni reconduit, ni… »<br />

4. Le contraste<br />

D’une manière générale, le contraste se produit entre deux éléments qui<br />

partagent une propriété en commun ou qui diffèrent d’une propriété (de Jong, 1983 :<br />

132). Pour le positionnement des constituants dans la phrase, le contraste représente un<br />

facteur prioritaire (de Jong, 1989 : 525).<br />

4.1. Topique et focus contrastifs<br />

Le contraste peut concerner le topique aussi bien que le focus. Le contraste est<br />

établi entre des constituants explicitement mentionnés, ou concerne un élément<br />

implicite. Le topique contrastif se rencontre dans les cas de changement de topique (voir<br />

H. Dik, 1995 : 27 ; cf. chapitre II, Le topique, § 4), par exemple Caesar en (17). Un<br />

exemple du focus contrastif est donné en (18) ; il concerne les chefs désignés pour le<br />

commandement de la flotte (D. Brutum) et pour le siège de Marseille (C. Trebonium).<br />

(17) Tradita legione Varro Cordubam ad Caesarem uenit… Caesar contione habita<br />

Cordubae omnibus generatim gratias agit. (Caes., Ciu. 2.21.1)<br />

« La remise effectuée, Varron va trouver César à Cordoue… César fait un<br />

discours à Cordoue, dans lequel il adresse un remerciement général à tous. »<br />

(18) (Naues) Quibus effectis armatisque diebus XXX, a qua die materia caesa est,<br />

adductisque Massiliam his D. Brutum praeficit, C. Trebonium legatum ad<br />

oppugnationem Massiliae relinquit. (Caes., Ciu. 1.36.5)<br />

« Achevés et armés en trente jours à compter du moment où le bois pour leur<br />

construction a été coupé, ces vaisseaux sont amenés à Marseille ; César en donne<br />

le commandement à D. Brutus, et laisse le légat C. Trébonius pour conduire le<br />

siège de la ville. »<br />

Un bon exemple qui réunit les deux fonctions est cité en (19), avec le topique<br />

contrastif altera ; le focus contrastif concerne le nombre et la composition des<br />

troupes transportées par les bateaux :<br />

(19) (Nostrae naues duae) Harum altera nauis CCXX e legione tironum sustulerat,<br />

altera ex ueterana paulo minus CC. (Caes., Ciu. 3.28.3)<br />

« (Deux de nos vaisseaux) L’un de ces vaisseaux portait deux cent vingt soldats<br />

d’une légion de recrues, l’autre un peu moins de deux cents d’une légion de<br />

vétérans. »<br />

Cet exemple montre bien que le topique contrastif (altera nauis) se positionne après le<br />

topique de la phrase (harum). Le second terme du contraste peut figurer à la finale<br />

absolue 13 .<br />

12 Avec la variante Gaius attestée dans certains manuscrits.<br />

13 Cf. chapitre X, La phrase déclarative, § 1.2.3, exemple (7).<br />

106


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

Le contraste avec un élément implicite peut être illustré par l’exemple suivant où<br />

le constituant tuas litteras, occupant la place initiale, implique un contraste avec meae<br />

litterae qui découle du verbe scribo, renvoyant à l’auteur de la lettre :<br />

(20) Nunc quae scribo, scribo ex opinione hominum atque fama. Tuas litteras auide<br />

exspecto. (Cic., Fam. 12.4.2)<br />

« Ce que j’écris maintenant, je l’écris d’après l’opinion générale et les bruits qui<br />

courent. J’attends impatiemment une lettre de toi. »<br />

4.2. Le verum focus<br />

Le verum focus (cf. Kühner et Stegmann, 1914, II : 600 et Bolkestein, 1996b :<br />

17) est un type de focus contrastif porté sur un procès. Il présuppose la question<br />

implicite « est-ce vraiment le cas ? » et se distingue par le placement du verbe à<br />

l’initiale de la phrase 14 , par exemple :<br />

(21) Euolue diligenter eius eum librum, qui est de animo : amplius quod desideres<br />

nihil erit. – Feci mehercule, et quidem saepius. (Cic., Tusc. 1.24)<br />

« Lis attentivement celui de ses livres qui est consacré à l’âme : tu n’auras rien<br />

de plus à désirer. Ŕ Je l’ai fait, par Hercule ! et même bien souvent. »<br />

(22) Dico te priore nocte uenisse inter falcarios… in M. Laecae domum. Num negare<br />

audes ?… Fuisti igitur apud Laecam illa nocte, Catilina, distribuisti partis<br />

Italiae… (Cic., Cat. 1.9)<br />

« Je dis que tu es venu, cette avant-dernière nuit, aux Taillandiers… dans la<br />

maison de M. Laeca. Oses-tu le nier ?... Donc, Catilina, en cette nuit, tu as été<br />

chez Laeca. Tu as partagé l’Italie… »<br />

Feci en (21), « je l’ai fait effectivement », et fuisti en (22), « tu y es allé effectivement »,<br />

représentent les focus de leurs phrases respectives. Or on ne peut pas dire que tout verbe<br />

qui se rencontre à l’initiale est un verum focus ; la place initiale accueille également, en<br />

effet, des verbes des phrases où tout est nouveau (voir section 3) et des verbes<br />

dépendants du contexte 15 .<br />

5. Marquage du focus<br />

Le focus peut être marqué 16 par des moyens spécifiques Ŕ par des particules qui<br />

explicitent le rapport entretenu par un élément avec un autre. En utilisant la<br />

terminologie de la grammaire fonctionnelle, on parlera du focus contreprésuppositionnel<br />

(S. C. Dik, I, 1997 : 330). La saillance de ce type de focus résulte<br />

d’une idée de contraste entre l’information présentée par le locuteur, et l’information<br />

que l’interlocuteur est supposé avoir. Plusieurs types de focus contre-présuppositionnel<br />

se laissent dissocier, parmi eux la substitution (a), l’extension (b), et la restriction (c) 17 .<br />

(a) Il n’a pas lu les Tusculanes, mais les Catilinaires.<br />

14 Le verum focus recouvre les cas que J. Marouzeau (1938 : 49 sqq.) range sous les rubriques de la<br />

« mise en relief de la notion et de la fonction verbales ».<br />

15 Cf. l’exemple (53), cité ci-dessous, et voir chapitre premier, § 5, exemple (33).<br />

16 Cf. Panhuis (1982 : 89 sqq.) sur les ‘facteurs rhématisants’ ; en outre, la négation augmente le caractère<br />

‘rhématique’ d’un constituant (cf. également Kühner et Stegmann, 1914, II : 593).<br />

17 Voir S. C. Dik (1997, I : 333 sq.) ; pour la sélection (X ou Y), voir chapitre VIII, La phrase<br />

interrogative, § 4. Cf. également H. Dik (1995 : 39 sq.).<br />

107


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(b) Il a lu non seulement les Catilinaires, mais également les Tusculanes.<br />

(c) Il a lu seulement les Catilinaires.<br />

Dans le cas de la substitution (a), le locuteur présume que l’interlocuteur possède<br />

une information incorrecte et la remplace par l’information correcte. L’extension (b)<br />

consiste à compléter l’information par l’élément qui manque. Dans le cas de la<br />

restriction (c), le locuteur corrige l’information que l’interlocuteur est supposé avoir en<br />

limitant son contenu aux seuls éléments corrects.<br />

En latin, la substitution est signalée par non…, sed… ou non… uerum…<br />

L’information incorrecte : lex (23) et Hectora (24) est remplacée par l’information<br />

correcte : libido (23), et corpus (24). Ces phrases répondent à la question quis ? et<br />

quem ? En (25), le contraste concerne les verbes contempsisti et pertimuisti. On notera<br />

qu’en (24), le verbe traxit est contextuellement lié (cf. l’exemple 13, cité ci-dessus)<br />

aussi bien que dignitatem en (25) :<br />

(23) Vtriusque cladis non lex, uerum libido eorum finem fecit. (Sall., Iug. 31.7)<br />

« Dans les deux cas, ce n’était pas la loi, mais leur bon plaisir qui a mis fin aux<br />

massacres. »<br />

(24) Non igitur Hectora traxisti, sed corpus quod fuerat Hectoris. (Cic., Tusc. 1.105)<br />

« Ce n’était donc pas Hector que tu traînais, mais le corps qui avait appartenu à<br />

Hector. »<br />

(25) Quorum quidem tu non contempsisti, sed pertimuisti dignitatem. (Cic., Dom.<br />

132)<br />

« En vérité, tu n’as pas méprisé, mais redouté leur prestige. »<br />

L’extension d’une information par un élément additionnel s’exprime en latin à<br />

l’aide du couple non solum…, sed (etiam)… « non seulement…, mais également », par<br />

exemple :<br />

(26) Nam nunc quidem, pontifices, non solum domo de qua cognostis, sed tota urbe<br />

careo, in quam uideor esse restitutus. (Cic., Dom. 146)<br />

« Car maintenant en vérité, pontifes, je suis privé non seulement de la maison sur<br />

laquelle porte votre enquête, mais encore de toute la ville, dans laquelle on me<br />

croit rétabli. »<br />

La restriction s’exprime à l’aide de nisi, 18 solum, tantum et d’autres similaires<br />

qui marquent seulement les éléments corrects pour lesquels un contenu est valable, par<br />

exemple :<br />

(27) Nihil cogitant nisi caedem, nisi incendia, nisi rapinas. (Cic., Cat. 2.10)<br />

« Ils ne rêvent plus que massacres, incendie, pillage. »<br />

(28) Inter bina castra Pompei atque Caesaris unum flumen tantum intererat Apsus.<br />

(Caes., Ciu. 3.19.1)<br />

« Les deux camps de Pompée et de César n’étaient séparés que par un fleuve,<br />

l’Apsus. »<br />

18 Pour la valeur de nisi, voir Orlandini (2001 : 151 sqq.).<br />

108


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

La particule nisi figure devant le constituant sur lequel elle porte (caedem, incendia,<br />

rapinas), tantum y est parfois postposé (unum flumen).<br />

5.1. Particules focalisantes<br />

Les particules focalisantes, par exemple et, etiam, quoque, uel, iam, quidem,<br />

solum, modo, marquent les constituants qui contrastent avec un autre constituant<br />

exprimé dans le contexte, ou avec un constituant sous-entendu contraire aux attentes ou<br />

aux présupposés 19 . Les particules focalisantes se distinguent par une variabilité de<br />

positionnement et permettent au constituant modifié d’apparaître à n’importe quelle<br />

position de la phrase (voir E. König, 1991) 20 . Dans cette section, on se concentrera sur<br />

les particules les plus fréquentes, et, etiam, quoque et quidem. En outre, il est intéressant<br />

de signaler qu’il est possible de rencontrer deux particules dans une même phrase,<br />

comme le montre l’exemple (29).<br />

(29) Sed tamen hi quoque etiam nunc uolitant, ut uidetis. (Cic., Sest. 94)<br />

« Cependant, eux aussi, ils se promènent librement, comme vous le voyez,<br />

maintenant encore. »<br />

5.1.1. Et, etiam et quoque<br />

Les particules et, etiam et quoque 21 signalent l’addition d’un élément au sens de<br />

« également » et indiquent l’inclusion d’une entité dans un ensemble. Il s’agit d’une<br />

sorte d’extension (voir le paragraphe précédent) sans le premier segment, présentée dans<br />

la partie introductoire de cette section. L’addition peut s’opérer à l’intérieur de la phrase<br />

ou peut concerner le contexte précédent, par exemple :<br />

(30) … nosque cum multum litterae, tum non minimum Idus quoque Martiae<br />

consolentur. (Cic., Att. 14.13.3)<br />

« ... l’activité littéraire beaucoup, mais aussi Ŕ de manière non négligeable Ŕ les<br />

Ides de mars nous apportent une consolation. »<br />

(31) Erant signa ex aere complura… Erat etiam Stesichori poetae statua senilis<br />

incurua cum libro, summo ut putant artificio facta… (Cic., Verr. 2.2.87)<br />

« C’étaient des statues d’airain en grand nombre… Il y avait aussi une statue du<br />

poète Stésichore Ŕ un vieillard courbé, avec un livre Ŕ qui passait pour un chefd’œuvre<br />

d’art. » (trad. C.U.F.)<br />

En (30), l’adjonction concerne les Ides de mars (Idus Martiae) qui apportent également<br />

la consolation ; quoque y focalise un élément particulièrement important. En (31),<br />

l’inclusion concerne la statue de Stésichore (Stesichori poetae statua) dans l’ensemble<br />

des statues de la ville d’Himère.<br />

Et présente les mêmes emplois que etiam, ou peut marquer plusieurs éléments à<br />

inclure à l’aide de la structure et… et…, par exemple :<br />

(32) Itaque et Gaetulos, et Iugurtham ex sociis nostris praedas agentis saepe<br />

aggressus in itinere fuderat. (Sall., Iug. 88.3)<br />

19<br />

Cette section ne se donne pas pour objectif de présenter toutes les particules focalisantes latines ; cela<br />

constituerait un sujet de recherche en soi.<br />

20<br />

Voir, en particulier, les remarques sur les particules additives (König, 1991 : 164 sq.) et restrictives (p.<br />

166 sq.) dans les langues modernes. Cf. également C. Kroon (1995 : 282).<br />

21<br />

Sur et et etiam, voir Kroon (1995 : 63) ; sur etiam et quoque, voir Orlandini (2001 : 211 sqq.).<br />

109


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

« C’est ainsi que souvent il avait attaqué les Gétules et Jugurtha chargés de butin<br />

pris à nos alliés, et il les avait mis en déroute. »<br />

Et et etiam se positionnent devant le terme sur lequel ils portent. Cependant,<br />

etiam est susceptible de disjoindre un syntagme nominal, tel le prénom et le nom en<br />

(33). Or dans ce cas, l’addition concerne non pas le syntagme nominal, mais tout le<br />

contenu véhiculé par la proposition. Quoque est toujours postposé au terme qu’il<br />

modifie qui, lui, peut occuper n’importe quelle place dans la phrase (34) 22 ; il arrive<br />

alors que quoque se retrouve à la place finale absolue (35).<br />

(33) Diserti autem Q. Varius, C. Carbo, Cn. Pomponius, et hi quidem habitabant in<br />

rostris. C. etiam Iulius, aedilis curulis, cotidie fere accuratas contiones habebat.<br />

(Cic., Brut. 305)<br />

« Habiles à parler étaient Q. Varius, C. Carbo, Cn. Pomponius, et ils habitaient à<br />

la tribune. C. Iulius, édile curule, prononçait presque chaque jour des discours<br />

soigneusement préparés. »<br />

(34) Qua re si addubitas, ad Brutum transeamus ; est enim is quoque Antiochius.<br />

(Cic., Att. 13.25.3)<br />

« En conséquence, si tu as des hésitations, passons à Brutus : lui aussi est un<br />

adepte d’Antiochus. »<br />

(35) Quod si perseueras me ad Matris tui cenam reuocare, feram id quoque. (Cic.,<br />

Fam. 9.16.8)<br />

« Si tu persistes à me ramener aux dîners de ton cher Matris, je le ferai encore. »<br />

5.1.2. Quidem<br />

La particule quidem connaît des emplois très variés 23 ; elle peut porter sur un<br />

constituant Ŕ précédée par et au sens de « de même », « et encore » et par ne au sens de<br />

« pas même » Ŕ ou sur toute une proposition ou phrase (« certes » ; « mais » ;<br />

« cependant », « du moins »). Sans prétendre présenter une description détaillée de tous<br />

ses emplois, nous nous concentrerons sur l’emploi de quidem comme particule<br />

focalisante 24 .<br />

Quidem se postpose à l’élément qu’il modifie ; il est exclu de la première<br />

position de la phrase. Il accompagne un constituant qui contraste avec un autre, par<br />

exemple tibi par rapport à nobis (36). Seruitutem en (37) contraste avec un élément<br />

implicite Ŕ en effet, la servitude serait la conséquence attendue pour le peuple romain, si<br />

Jugurtha gagnait la guerre.<br />

(36) (Nobis ob merita sua carus est…) Tibi quidem pro nostra amicitia gratulor.<br />

(Sall., Iug. 9.2)<br />

« (Ses mérites nous l’ont rendu cher…) Pour toi, je te félicite au nom de notre<br />

amitié. »<br />

22 Quoque est donc une particule focalisante et non pas un enclitique ; il n’obéit pas à la loi de<br />

Wackernagel (cf. chapitre VII, Les enclitiques).<br />

23 Voir A. Orlandini (2005 et 2001 : 211 sqq.). De même, C. Kroon (2005), en particulier pour l’étude<br />

détaillée de la question ; malheureusement, l’emploi dit emphatique de quidem (Solodow, 1978 : 94 ; cf.<br />

Kühner et Stegmann, 1914, I : 802) n’a pas fait l’objet d’analyse dans cette étude. Sur et quidem, voir H.<br />

Rosén (2005, à paraître).<br />

24 Quidem est une particule focalisante postpositive (cf. Berger, 1942 : 342), et non pas un enclitique Ŕ<br />

contrairement à l’avis de J. Marouzeau (1949 : 98 sqq.) ; cf. chapitre VII, Les enclitiques.<br />

110


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(37) (Nisi forte nondum etiam uos dominationis eorum satietas tenet…) Nam<br />

seruitutem quidem quis uostrum recusare audebat ? (Sall., Iug. 31.20)<br />

« (Mais peut-être n’êtes-vous pas encore las de leur tyrannie…) Car pour ce qui<br />

est de la servitude, lequel d’entre vous osait s’y refuser ? » (trad. C.U.F.)<br />

Les tournures et… quidem et et quidem marquent le focus de la phrase, sans<br />

toutefois concerner les verbes. Dans et… quidem 25 , et est commutable avec ac ou atque<br />

et il a une fonction coordonnante. Le terme concerné est renforcé par quidem et dans de<br />

nombreux cas, on a affaire à une gradation argumentative (voir Orlandini, 2005 : 164<br />

sq.). Le constituant marqué par et… quidem fait partie de la syntaxe de la phrase mais<br />

est présenté comme une unité additionnelle (cf. Kroon, 2005 : 583, et Rosén, 1990 : 35,<br />

sur la mise en position détachée par les coordonnants), par exemple :<br />

(38) Itaque et ego cum illo locutus sum et saepius quidem, ut etiam accusarer…<br />

(Cic., Att. 16.16a.3)<br />

« Aussi lui ai-je parlé moi-même Ŕ et plus d’une fois Ŕ, au point d’être accusé<br />

par lui de… »<br />

(39) Mihi res ad caedem et eam quidem propinquam spectare uidetur. (Cic., Att.<br />

15.18.2)<br />

« Il me semble qu’on s’oriente vers un massacre, et cela dans un avenir proche. »<br />

Au niveau de la phrase, et quidem est un type de coordination corrective ou<br />

additive d’un terme ou d’un syntagme, qui peuvent fonctionner comme des actants (40)<br />

ou des circonstants (41). Et quidem précède le constituant concerné :<br />

(40) (Hic mecum Balbus, Hirtius, Pansa.) Modo uenit Octauius et quidem in<br />

proximam uillam Philippi. (Cic., Att. 14.11.2)<br />

« (Balbus, Hirtius, Pansa sont ici avec moi ;) Octave est arrivé récemment et<br />

s’est même installé dans la propriété de Philippe, tout près de la mienne. »<br />

(41) Puto enim nobis Lanuuium eundum et quidem non sine multo sermone. (Cic.,<br />

Att. 14.11.2)<br />

« Je pense en effet que nous devrons aller à Lanuvium, ce qui exigera de longs<br />

entretiens. » (trad. C.U.F.)<br />

La particule à forme discontinue ne… quidem « pas même » opère la focalisation<br />

dans un contexte négatif en signalant l’exclusion d’une entité de l’ensemble préétabli.<br />

Elle peut renfermer des constituants de type varié, y compris les verbes 26 . Des exemples<br />

sont donnés en (42-43). On remarquera qu’en (43) hic Q. Hortensius, fonctionnant<br />

comme une apposition, est disjoint et que quidem se place après le premier terme (hic)<br />

du syntagme nominal :<br />

25 Chez Cicéron (BTL), on relève 133 occurrences de et… quidem qui renferme (à la différence de ne…<br />

quidem, voir ci-dessous) un seul constituant, éventuellement précédé par une préposition. Dans 50 % des<br />

cas, le constituant est représenté par un anaphorique.<br />

26 Ne… quidem peut également renfermer des unités syntaxiques, par exemple possum et son infinitif :<br />

Ego autem ne irasci possum quidem iis quos ualde amo. (Cic., Att. 2.19.1) « Et puis, je ne suis même pas<br />

capable de m’irriter contre ceux que j’aime bien. », ou même une subordonnée : Hippodamus ne num<br />

quid uellem quidem rogauit. (Cic., Q. frat. 3.1.21) « Hippodamus ne m’a même pas demandé si j’avais<br />

quelque commission. »<br />

111


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(42) Non possunt omnes esse patricii ; si uerum quaeris, ne curant quidem. (Cic.,<br />

Sulla 23)<br />

« Tous ne peuvent être patriciens et, à parler franc, ils ne s’en soucient guère. »<br />

(43) Quis nostrum adfuit Vargunteio ? Nemo, ne hic quidem Q. Hortensius,<br />

praesertim qui illum solus antea de ambitu defendisset. (Cic., Sulla 6)<br />

« Qui de nous a prêté assistance à Vargunteius ? Personne, pas même Quintus<br />

Hortensius que voici qui seul pourtant l’avait défendu auparavant dans une<br />

affaire de brigue. » (trad. C.U.F.)<br />

En effet, quidem et les tournures et… quidem et ne… quidem produisent des<br />

disjonctions du syntagme nominal (cf. exemples de eam en 39 et de hic en 43). Ce sont<br />

en particulier les pronoms anaphoriques, qui se retrouvent à l’intérieur de la particule à<br />

forme discontinue (voir Orlandini, 2005 : 165). Selon nous, il ne s’agit pas d’une<br />

‘emphase’ portée sur le pronom (cf. Solodow 1978 : 98) mais du simple fait que des<br />

disjonctions du syntagme nominal ont lieu. En outre, quidem peut très bien s’insérer<br />

entre le prénom et le nom, comme le montrent les exemples (44) et (45) où quidem<br />

porte sur tout le syntagme nominal et pas uniquement sur le prénom (cf. également<br />

l’exemple 33, cité ci-dessus) :<br />

(44) C. quidem Caesar non exspectauit uestra decreta, praesertim cum illud esset<br />

aetatis. (Cic., Phil. 8.5)<br />

« Quant à C. César, il n’a pas attendu vos décrets, surtout à son âge. »<br />

(45) Ne M. quidem Seio uitio datum est quod in caritate asse modium populo dedit.<br />

(Cic., De off. 2.58)<br />

« Pas même à Marcus Seius on ne reprocha d’avoir donné, par temps de cherté,<br />

au peuple un boisseau pour un as. »<br />

6. L’emphase<br />

L’emphase est un moyen qui sert au locuteur à exprimer son évaluation<br />

personnelle d’une information (de Jong, 1989 : 528) 27 . Les adjectifs et adverbes<br />

intensifs tels tantus, talis « tel », multus « nombreux », magnus « grand » et d’autres<br />

similaires sont souvent porteurs de l’emphase et de ce fait, la place initiale leur est<br />

attribuée. Les mêmes observations valent pour les mots négatifs nullus « aucun », nemo<br />

« personne »… En d’autres termes, ce type d’expressions peut figurer à l’initiale et être<br />

dans ce cas porteur de l’emphase. Par exemple multi en (46), disjoint de menses avec<br />

lequel il forme le focus (question « que se passe t-il ? »), et talis innumerabilis sans<br />

disjonction (quem ?) :<br />

(46) Multi iam menses erant 28 et hiems praecipitauerat neque Brundisio naues<br />

legionesque ad Caesarem ueniebant. (Caes., Ciu. 3.25.1)<br />

« Bien des mois s’étaient déjà écoulés et l’hiver était presque achevé, et ni<br />

vaisseaux, ni légions n’arrivaient à César de Brindes. »<br />

(47) Tales innumerabiles nostra ciuitas tulit. (Cic., Tusc. 1.101)<br />

« De pareils hommes, notre patrie en a produit d’innombrables. » (trad. C.U.F.)<br />

Or les disjonctions avec l’emphase ne sont pas systématiques et un mot intensif peut<br />

être maintenu dans son groupe comme talem en (48) Ŕ cette phrase a pour focus les<br />

27<br />

Comme J. de Jong (1989 : 527) le fait remarquer, l’emphase est un terme vague qui reçoit des<br />

acceptions variées.<br />

28<br />

Avec la variante textuelle de transierant.<br />

112


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

verbes à l’impératif (« que faut-il faire ? ») Ŕ ou occuper une autre position, comme<br />

nemo en fin de proposition en (49). En outre, les exemples (46) et (49) montrent qu’un<br />

élément emphatique peut faire partie du focus (multi menses, répondant à la question<br />

quid ?) ou le représenter (nemo, question quis ?).<br />

(48) Vos autem, Adherbal et Hiempsal, colite, obseruate talem hunc uirum,<br />

imitamini uirtutem… (Sall., Iug. 10.8)<br />

« Quant à vous, Adherbal et Hiempsal, respectez, honorez un pareil homme,<br />

imitez son mérite… »<br />

(49) Sed hunc laborem recusabat nemo, quod eum omnium laborum finem fore<br />

existimabant… (Caes., Ciu. 1.68.3)<br />

« Mais personne ne se refusait à cette fatigue, dans l’espoir que cela serait la fin<br />

de toutes les fatigues… »<br />

Or les constituants emphatiques ne représentent pas nécessairement le focus de la<br />

phrase, par exemple praeclare « de façon remarquable », constituant emphatique placé à<br />

l’initiale. Cette phrase, employée dans un passage concernant les devoirs des jeunes<br />

gens, est de type ‘tout est nouveau’ ; cependant, Alexandrum filium y est l’élément<br />

saillant.<br />

(50) Praeclare in epistula quadam Alexandrum filium Philippus accusat quod<br />

largitione beniuolentiam Macedonum consectetur. (Cic., De off. 1.53)<br />

« De façon remarquable, dans une lettre, Philippe reproche à son fils Alexandre<br />

de rechercher par des largesses la bienveillance des Macédoniens. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

7. Particules connectives<br />

Les particules connectives indiquent le rapport sémantique que la phrase<br />

entretient avec le contexte précédent. À la différence des particules focalisantes (§ 5.4),<br />

elles ne marquent pas le focus mais explicitent le rapport sémantique, causal ou<br />

adversatif par exemple, entre deux phrases. Elles contribuent à la cohésion textuelle.<br />

Deux exemples sont donnés avec la particule conclusive igitur « donc » :<br />

(51) Ceteri uidelicet gratiis condemnarunt. Non est igitur circumuentus, non<br />

oppressus pecunia, non… omnes qui Oppianicum condemnarunt in culpa sunt ac<br />

suspicione ponendi. (Cic., Cluent. 127)<br />

« Les autres l’ont évidemment condamné sans être payés. Donc il (Oppiniacus)<br />

n’a pas été circonvenu, il n’a pas été accablé par la puissance d’argent, il n’est<br />

pas vrai que… tous ceux qui ont condamné Oppiniacus doivent être considérés<br />

comme coupables et soupçonnés. »<br />

(52) Frugi igitur hominem, iudices, frugi, inquam, et in omnibus uitae partibus<br />

moderatum ac temperantem… uidetis… (Cic., Font. 40)<br />

« Vous voyez donc, juges, un honnête homme, oui, un honnête homme, sage et<br />

modéré dans toute sa conduite. »<br />

Dans le premier cas, la fonction de focus est attribuée à un procès : non est<br />

circumuentus, qui nie un contenu inférable du contexte. En (52), l’adjectif frugi, disjoint<br />

de hominem, est le focus de la phrase, placé à l’initiale (à noter sa répétition et la<br />

présence de l’incise inquam). En outre, cet emploi de frugi est un bon exemple qui<br />

montre la coïncidence du focus et de l’emphase en tête de phrase.<br />

113


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

Considérons encore les exemples suivants avec tamen et at :<br />

(53) (… in Africam mittendum… Ita bonum publicum, uti in plerisque negotiis solet,<br />

priuata gratia deuictum.) Legantur tamen in Africam maiores natu nobiles,<br />

amplis honoribus usi. (Sall., Iug. 25.3)<br />

« (… envoyer en Afrique… C’est ainsi que l’intérêt public, comme il arrive dans<br />

la plupart des cas, fut sacrifié à l’intérêt privé.) On députe cependant en Afrique<br />

des personnes d’âge et de naissance, qui avaient rempli les plus hautes charges. »<br />

(54) (Epicurus) Ille a uirtute summum bonum separauit. – At laudat saepe uirtutem.<br />

(Cic., Tusc. 3.48)<br />

« (Épicure) Il a séparé le souverain bien de la vertu. Ŕ Mais il célèbre souvent la<br />

vertu. »<br />

Dans le contexte d’avant, Salluste parle de la délibération du Sénat concernant l’envoi<br />

d’une armée en Afrique ; certains se prononcent contre pour empêcher un tel décret<br />

d’être rendu. Il semble qu’il n’y ait plus d’espoir d’une action efficace. Cependant, on<br />

envoie une députation Ŕ le verbe legantur découle du contexte (mittendum), tamen<br />

« pourtant » signale que l’initiative était contraire aux espérances. L’information<br />

apportée par cette phrase est maiores natu nobiles « des personnes d’âge et de<br />

naissance » (question quis ?). Selon l’analyse proposée, le verbe legantur est<br />

contextuellement lié et n’est porteur ni de focus, ni d’emphase quelconque 29 . La<br />

situation est différente en (54). Si Épicure sépare le souverain bien de la vertu, on<br />

pourrait en déduire qu’il néglige cette dernière. Or cette conclusion serait incorrecte Ŕ<br />

c’est ce que at « mais » signale Ŕ car il la (uirtutem) loue (laudat) : nous sommes en<br />

présence d’un focus sur le verbe.<br />

8. L’hyperbate<br />

Les cas d’intervention des particules postpositives (quoque ou quidem) ou des<br />

particules enclitiques (-que, -ne, -ue, enim, autem, uero) dans un syntagme nominal mis<br />

à part, l’hyperbate ou la disjonction du syntagme nominal 30 est un moyen de<br />

focalisation, comme l’ont mis en évidence les articles de J. de Jong (1986) et de M.<br />

Bolkestein (1998c et 2001) 31 . De son étude sur l’emploi de magnus, J. de Jong (1986)<br />

conclut que les syntagmes disjoints portent une certaine focalité ; le premier terme,<br />

l’adjectif, est presque toujours emphatique et les constituants intervenant au milieu ne<br />

sont pas concernés par la focalité 32 , par exemple (55, voir p. 326) ou (56) :<br />

(55) Cuius aduentu ab hostibus cognito magnae ex finitimis ciuitatibus copiae<br />

conuenerunt. (Caes., Gall. 7.57.2)<br />

« Quand l’ennemi apprit son arrivée, de nombreuses troupes, venues des cités<br />

voisines, se rassemblèrent. »<br />

29<br />

H. Dik (1995 : 207, cf. M. Bolkestein, 1998a : 197) considérerait legantur comme topique. Selon nous,<br />

il s’agirait plutôt de la topicalité, cf. le chapitre premier, § 2.1.<br />

30<br />

Une étude détaillée sur l’hyperbate reste à faire. Ce phénomène touche aux problèmes du syntagme<br />

nominal qui ne fait pas l’objet de cette étude.<br />

31<br />

Cf. également D. Panhuis (1982 : 72-80).<br />

32<br />

J. de Jong constate (1986 : 331) que l’ordre nom… adjectif se produit moins fréquemment.<br />

114


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre V : Le thème<br />

(56) Prima nocte aquandi causa nemo egreditur ex castris ; proximo die praesidio in<br />

castris relicto uniuersas ad aquam copias educunt, pabulatum emittitur nemo.<br />

(Caes., Ciu. 1.81.5)<br />

« La première nuit, personne ne sort du camp pour aller chercher l’eau ; le jour<br />

suivant, on laisse une garde au camp et on fait sortir toutes les troupes pour y<br />

aller ; mais on n’envoie personne pour aller faire du fourrage. »<br />

Dans la première phrase, magnae copiae représente le focus de la phrase (question<br />

quis ?) ; la disjonction sépare l’adjectif magnae Ŕ mot susceptible d’être emphatique, il<br />

faut le souligner grâce à son sémantisme, « grand » qui admet des évaluations<br />

subjectives Ŕ de son substantif copiae. De même en (56), la phrase répond à la question<br />

quem ?<br />

Or, les disjonctions ne se réduisent pas aux types exemplifiés en (55) et (56). On<br />

rencontre également des cas où l’adjectif lui-même est porteur du focus, comme<br />

aculeatas en (57), seul terme contextuellement indépendant (question quales ?) :<br />

(57) (Atque ego ad eum (Dolabellam) VIII Id. litteras dederam bene mane…) Sed, ut<br />

ad te eo ipso die scripseram, satis aculeatas ad Dolabellam litteras dedi ; quae<br />

si nihil profecerint… (Cic., Att. 14.18.1)<br />

« (De mon côté, je lui (à Dolabella) ai envoyé une lettre le 8, de bon matin…)<br />

Mais, comme je te l’ai écrit le jour même, j’ai envoyé à Dolabella une lettre<br />

assez pointue ; si elle ne s’avère pas efficace… » (trad. C.U.F.)<br />

La disjonction peut s’opérer dans le sens de nom… adjectif (cf. Bolkestein,<br />

2001 : 254), et l’apposition dans l’exemple suivant a évidemment pour focus l’adjectif<br />

humanus : en témoigne la parenthèse uere ut dicam (cf. Bolkestein, 1998b : 9) :<br />

(58) Est quidam Graecus qui cum isto uiuit, homo, uere ut dicam – sic enim cognoui<br />

– humanus, sed tamdiu quamdiu aut cum aliis est aut ipse secum. (Cic., Pis. 68)<br />

« Il y a un certain Grec qui vit avec lui, un homme, à vrai dire (telle est, en effet,<br />

mon expérience), sociable, mais aussi longtemps qu’il est avec d’autres, ou bien<br />

tout seul. »<br />

Et, comme M. Bolkestein l’a signalé (2001 : 251), les disjonctions des<br />

syntagmes nominaux contenant un anaphorique (exemple 59, cité ibid.) se produisent<br />

également, toujours dans l’ordre anaphorique > nom, sans qu’ils portent le focus : en<br />

effet, his… rebus est le topique de la phrase.<br />

(59) His ille rebus ita conualuit ut nunc in uno ciui spes ad resistendum sit. (Cic., Att.<br />

7.3.4)<br />

« Par toutes ces démarches, il est devenu si puissant qu’aujourd’hui un seul<br />

citoyen est l’espoir de la résistance. »<br />

En somme, il semble que la disjonction concerne non seulement les constituants<br />

de focus mais encore les constituants de topique. La question de l’hyperbate nécessite<br />

davantage d’investigations afin qu’on puisse mieux saisir ce phénomène et son rôle<br />

dans la structuration pragmatique de la phrase. Le critère de la dépendance contextuelle<br />

permettrait de déterminer quels types de constituants sont concernés. De même, il serait<br />

fructueux de séparer les cas d’hyperbate motivés des cas « mécaniques », comme l’a<br />

suggéré H. Pinkster (2005b ; cf. 2004).<br />

115


Chapitre VII<br />

LES <strong>EN</strong>CLITIQUES ET LES ‘PSEUDO-<strong>EN</strong>CLITIQUES’<br />

1. Introduction<br />

Le latin dispose d’un certain nombre de mots liés à un autre élément adjacent<br />

qualifiés d’ « enclitiques ». Un classement des mots enclitiques latins a été récemment<br />

proposé par D. Wanner (1987 : 71 sq.). Il distingue deux groupes d’enclitiques :<br />

« vrais » enclitiques catégoriels (-que, -ue, -ne et -ce déictique) et enclitiques non<br />

catégoriels (enim, autem, quidem, tamen, uero, igitur, quis, quisque… En ce qui<br />

concerne le premier groupe, il signale qu’à l’exception de -ce, les « vrais » enclitiques<br />

disposent d’une forme pleine alternante : et, ac, atque pour -que ; aut, uel pour -ue, et<br />

nonne, num et zéro pour -ne. Le second groupe, hétérogène, renferme des mots<br />

susceptibles de cliticisation. Or, ces dénominations qualificative et potentielle Ŕ<br />

« vrais » et « susceptibles » Ŕ ne nous semblent pas convenables : la question est de<br />

savoir quels mots latins sont effectivement concernés par le phénomène de cliticisation.<br />

D’un point de vue général, T. Janson (1979 : 111), en se référant aux travaux de<br />

A. M. Zwicky (1977), a mis en relief le fait que dans diverses langues les mots clitiques<br />

Ŕ enclitiques et proclitiques Ŕ se recrutent principalement dans les catégories suivantes :<br />

verbes des constructions périphrastiques, auxiliaires et modaux ; pronoms personnels ;<br />

déterminants ; conjonctions et mots adverbiaux (négatifs, emphatiques, épistémiques,<br />

marqueurs de la phrase interrogative, impérative…). Il s’agit donc de mots<br />

grammaticaux qui ne sont normalement pas le centre d’intérêt du locuteur, explique T.<br />

Janson (p. 112), et de ce fait, n’apparaissent pas à une place proéminente. Ainsi sont-ils<br />

enclins à devenir clitiques.<br />

Pour notre part, nous essaierons de proposer des critères syntaxiques permettant<br />

de décider sur le statut enclitique des mots, en nous concentrant sur la synchronie du<br />

latin classique 1 . Ce seront plus particulièrement : les restrictions positionnelles (ou leur<br />

absence), les régularités de placement et les capacités combinatoires. Les travaux<br />

récents en la matière (Adams 1994a, 1994b et Salvi 2004) ne présentent pas une étude<br />

systématique mais examinent des points singuliers (le statut des pronoms personnels, du<br />

verbe sum…). Ce chapitre sera organisé comme suit : après des remarques concernant la<br />

place de Wackernagel (§ 2) et après une distinction préliminaire entre les enclitiques<br />

liés et non liés (§ 3), le comportement syntaxique de -que, -ne et -ue sera examiné (§ 4).<br />

Ensuite, seront successivement étudiés : le verbe sum (§ 5), les pronoms personnels (§<br />

6), les subordonnants (§ 7) et les particules connectives (§ 8).<br />

2. La place de Wackernagel<br />

2.1. La place seconde<br />

La deuxième place dans la phrase, dite « place seconde » ou « place de<br />

Wackernagel », a retenu l’attention des latinistes. Cet intérêt, cependant, concerne un<br />

possible héritage indo-européen plus qu’une véritable description du placement des<br />

enclitiques en latin. Si l’on rencontre des listes de groupes de mots susceptibles<br />

d’occuper la place de Wackernagel Ŕ copule sum, pronoms personnels, conjonctions,<br />

subordonnants… (Marouzeau, 1953 : 90), car des parallèles se rencontrent en grec, en<br />

1 Pour une présentation diachronique des enclitiques en latin, voir T. Janson (1979 : 93 sq.).<br />

116


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

sanskrit ou dans les langues slaves Ŕ, on n’apprend jamais quels mots exactement sont<br />

concernés par ce placement et quelles règles régissent la cooccurrence de plusieurs<br />

enclitiques 2 . Qui plus est, on rencontre souvent des hésitations telles que :<br />

« l’application de la loi est incertaine, parfois négligée et parfois affectée, un peu livrée<br />

au gré des écrivains ; il s’agit d’une survivance plutôt que d’une loi organique »<br />

(Marouzeau, 1953 : 90).<br />

La « place de Wackernagel » n’est pas en soi l’indicateur du caractère enclitique<br />

d’un mot : en effet, dans une phrase comportant plus de deux mots, il y en a toujours un<br />

qui est placé à la deuxième position. Il n’y a aucune raison de considérer filius, venant<br />

après le premier mot de la phrase suivante, ou ad patrem venant après le premier<br />

constituant, comme figurant à la place seconde ou comme étant privé de l’accent :<br />

(1) Quintus filius ad patrem acerbissimas litteras misit… (Cic., Att. 14.17.3)<br />

« Quintus fils a envoyé à son père une lettre très dure… »<br />

Par sa place après le premier constituant (sed ne comptant pas), le pronom me en (2)<br />

devrait avoir un emploi faible, non accentué ; or, comme il entre en contraste avec te,<br />

cette interprétation est exclue et me présente bien un emploi « fort » :<br />

(2) Sed Bassus noster me de hoc libro celauit, te quidem non uidetur. (Cic., Fam.<br />

7.20.3)<br />

« Mais notre cher Bassus m’a caché cet ouvrage ; il ne semble pas avoir fait de<br />

même dans ton cas. »<br />

Si le fait qu’un mot figure à la deuxième place Ŕ sauf s’il respectait cette position<br />

avec une régularité convaincante Ŕ ne semble pas un critère fiable, l’exclusion de la<br />

place initiale est le trait distinctif des enclitiques 3 .<br />

2.2. Considérations comparatives<br />

Les études consacrées à une description des enclitiques latins font de fréquentes<br />

allusions aux enclitiques dans les langues slaves (par exemple Adams, 1994b : 172 ;<br />

Salvi 2004), ainsi qu’au grec et au védique. À titre comparatif, nous proposons ici un<br />

bref aperçu du fonctionnement des enclitiques dans ces langues ; il nous permettra de<br />

mieux appréhender des phénomènes adjacents qui pourraient se manifester en latin 4 .<br />

2.2.1. Le védique<br />

Dans la prose védique, les enclitiques occupant la place de Wackernagel<br />

s’organisent dans des blocs (voir Hock, 1996 : 215) :<br />

particule non accentuée > particule accentuée > pronom non accentué ou adverbe<br />

u, sma, ha… tú, vaí… anaphorique/démonstratif nah,<br />

enam…<br />

2 Cf. également l’étude récente proposée par M. Babič (2005). Or, son approche statistique prenant en<br />

considération la longueur des mots, ne semble pas apporter une solution au problème des enclitiques en<br />

latin.<br />

3 L’existence des proclitiques n’est normalement pas postulée pour le latin ; Wanner (1987), qui envisage<br />

des « proclitiques potentiels », représente une exception.<br />

4 Cf. également des études récentes sur les enclitiques dans diverses langues : A. L. Halpern et A. M.<br />

Zwicky (1996) et H. van Riemsdijk (1999).<br />

117


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Le bloc enclitique est précédé d’un constituant, y compris un pronom accentué,<br />

occupant la première position dans la phrase. En outre, il est possible de rencontrer un<br />

élément conjonctif (‘nexus’, par exemple átho, sá, tád) en position zéro, précédant le<br />

premier constituant, par exemple (Hock, 1996 : 215-217) :<br />

(3) ádanti ha sma vá etásya purānnam (Kathaka-Samhitā, 23.2)<br />

3.PL.PRES PART PART PART. PRON.G<strong>EN</strong>. ACC.SG.<br />

manger ACC<strong>EN</strong>T SG.MASC. nourriture d’autrefois<br />

« Ils mangent sa nourriture d’autrefois. »<br />

(4) Tád ápratijagdhena vá etád dhavyéna yájamano vasiyobhúyam gácchati.<br />

NEXUS INST.SG.N PART. ADV. INST.SG.N NOM.SG.M ADJ.SG.N 3.PRES<br />

alors non consommé ACC<strong>EN</strong>T maintenant oblation sacrificateur étant mieux aller<br />

(Maitrāyanī Samhitā, 1.4.10)<br />

« Alors, le sacrificateur atteint maintenant le mieux être grâce à l’oblation non<br />

consommée. »<br />

2.2.2. Le grec<br />

Le grec ancien dispose de mots qui, exclus de la place initiale, sont<br />

communément qualifiés de « postpositifs » (voir, parmi d’autres, H. Dik, 1995 : 32 sq.).<br />

Il s’agit de particules, accentuées et non accentuées (coordonnantes : me/n « d’une part »,<br />

ga/r « car », de/ « mais »… ; adverbiales : a)/ra « alors », dh/ « donc », per, toi<br />

« certes »…), de pronoms personnels (me, mou, moi…) et de pronoms indéfinis (tij<br />

« quelqu’un », pou « quelque part », pwj « de quelque façon »…). Comme A. L.<br />

Halpern l’a mis en évidence (1995 : 37 sq.), plusieurs enclitiques peuvent y apparaître<br />

en blocs ou occuper des positions distinctes.<br />

Pour le grec homérique, qui illustre bien la loi de Wackernagel, C. H. Ruijgh<br />

(1990 : 217) a proposé l’ordre suivant :<br />

particule coordonnante > particule adverbiale > pronom ou adverbe indéfini enclitique<br />

> pronom personnel enclitique<br />

De même en grec classique, on rencontre des enclitiques à la place de<br />

Wackernagel avec de possibles combinaisons, par exemple particule + particule (5) ou<br />

particule + pronom atone (6) :<br />

(5) oi( me\n dh\ stratiw~tai e)n e)lpi/si mega/laij o)/ntej… (Xen., An. 1.4.17)<br />

« Les soldats concevant de grandes espérances… »<br />

(6) a)kou/sate dh/ moi ta\ sumbebhko/ta. (Plat., Apol. 32a)<br />

« Laissez-moi vous raconter ce qui m’est arrivé. »<br />

Les enclitiques obéissent à des règles internes de placement : les pronoms ne peuvent<br />

pas précéder les particules ; les particules observant un certain ordre, par exemple : me_n<br />

ou]n, me_n dh/, me_n ga/r (même me_n ga_r dh/), de_ dh/ ou ga_r dh/, n’admettent pas de<br />

permutation 5 . Si deux particules enclitiques apparaissent à des positions distinctes, elles<br />

5 L’examen de ces combinaisons dans Platon (Thesaurus Linguae Graecae, E, 2000, CD-ROM), nous a<br />

offert une seule exception : ti/ dh\ ga\r ou)/ ; (Plat., Parm. 138b) « Pourquoi ne le pourrait-il donc pas ? ».<br />

Pour ces combinaisons, voir Denniston (1954 : 243, 258-259, 391 et 470).<br />

Euthyphron, Apologie, Criton et Phaedon ne nous en ont offert aucun exemple.<br />

118


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

ont une fonction hiérarchique différente : en (7), ga/r articule la phrase, me/n… de/... des<br />

constituants 6 :<br />

(7) a)lla\ ga\r h)/dh w(/ra a)pie/nai, e)moi\ me\n a)poqanoume/nw|, u(mi=n de\<br />

biwsome/noij. (Plat., Apol. 42a)<br />

« Mais voici l’heure de nous en aller, moi pour mourir, vous pour vivre. »<br />

Les enclitiques grecs peuvent s’intercaler dans un syntagme nominal et figurer<br />

après l’article (exemple 4, cité ci-dessus) ou après l’un de ses constituants (8). En outre,<br />

le grec permet de placer un enclitique après une préposition (9).<br />

(8) dia\ me/sou de\ th=j po/lewj r(ei= potamo\j Ku/dnoj o)/noma (Xen., An. 1.2.23)<br />

« La ville est traversée par la rivière Cydnos. »<br />

(9) meta\ ga\r tou\j politikou\j h]|a e)pi\ tou\j poihta\j… (Plat., Apol. 22a)<br />

« Après les hommes d’État, j’allai trouver les poètes… »<br />

Les enclitiques pronominaux suivent les particules, comme l’a montré l’exemple (6) ;<br />

en leur absence, ils occupent la deuxième (10) ou une autre position (11) :<br />

(10) kai/ moi a)po/krinai (Plat., Apol. 25a)<br />

« Voyons, réponds-moi. »<br />

(11) oi( deinoi/ ei)si/n mou kath/goroi (Plat., Apol. 18c)<br />

« Mes accusateurs sont redoutables. »<br />

L’enclitique pronominal peut ne pas suivre la particule enclitique à la place de<br />

Wackernagel, comme l’illustre l’exemple (12). Selon l’explication de H. Dik (1995 : 33<br />

sq.), les particules s’appliquent au domaine 7 de la phrase, tandis que les pronoms<br />

peuvent également s’appliquer au domaine de la proposition ou à celui du constituant.<br />

Si le pronom appartient à une proposition subordonnée, sa place est déterminée par son<br />

cadre (13) :<br />

(12) ou) ga\r e)/sti moi xrh/mata o(po/qen e)ktei/sw. (Plat., Apol. 37c)<br />

« Je n’ai pas les moyens de m’acquitter. »<br />

(13) fhsi_ ga_r dh_ tou_j ne/ouj a)dikei~n me diafqei/ronta. (Plat., Apol. 24c)<br />

« Il prétend donc que je suis coupable de corrompre les jeunes gens. »<br />

Outre ces enclitiques non liés, le grec dispose également d’un enclitique lié, le<br />

coordonnant te, qui suit le constituant coordonné :<br />

(14) Boiwtw=n me\n Phne/lewj kai\ Lh/i+toj h]rxon<br />

)Arkesi/lao/j te Proqoh/nwr te Kloni/oj te (Hom., Il. 495-496 VERIF VERS)<br />

« Pènéléôs et Lèitos, et Arkésilaos, et Prothoènôr, et Klonios commandaient aux<br />

Boiôtiens. »<br />

6<br />

Les particules, si nombreuses en grec, marquent la liaison des unités textuelles, voir H. Dik (1995 : 35<br />

sq.).<br />

7<br />

Sur le domaine syntaxique, voir C. H. Ruijgh (1990 : 215).<br />

119


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

2.2.3. Les langues slaves<br />

Dans les langues slaves, on parle d’enclitiques à propos de quelques particules,<br />

des pronoms personnels atones, y compris le réfléchi, et des verbes auxiliaires servant à<br />

la formation de l’indicatif passé, du conditionnel et du futur 8 . Les enclitiques<br />

pronominaux et auxiliaires se placent dans la phrase selon la loi de Wackernagel, dont<br />

l’application est plus ou moins rigoureuse selon les langues (voir Siewierska et<br />

Uhlìřová, 1998 : 113). Par exemple, la loi opère fortement en tchèque et serbo-croate,<br />

tandis qu’en polonais, le placement est plus libéral, les enclitiques privilégiant le verbe<br />

en tant qu’hôte. Les enclitiques obéissent à des règles internes de placement décrites en<br />

termes de blocs (ibid., p. 120) ; pour ne donner que quelques exemples :<br />

(a) SERBO-CROATE<br />

particule interrogative li > verbe auxiliaire (excepté je) > pronom au datif ><br />

pronom à l’accusatif > pronom au génitif > pronom réfléchi > auxiliaire je<br />

« est »<br />

(b) SLOVÈNE<br />

particules > auxiliaire du passé (excepté je) > pronom réfléchi > pronom au datif<br />

> pronom à l’accusatif > pronom au génitif > auxiliaire du futur > auxiliaire je<br />

« est »<br />

(c) TCHÈQUE<br />

particule li > verbe auxiliaire > pronom réfléchi > pronom au datif > pronom à<br />

l’accusatif<br />

(15a) Da li mu ga je možda Goran dao ? (Progovac, 1996 : 413)<br />

est-ce PART. PR. PR. 3.PRES peut-être Goran PTC.PASSÉ<br />

que INTERR. DAT ACC être donner<br />

« Peut-être Goran le lui a-t-il donné ? »<br />

(15b) Oče mu jo je dal. (Siewierska et Uhlìřová, 1998 : 113)<br />

père PR. PR. 3.PRES PTC.PASSÉ<br />

DAT ACC être donner<br />

« Le père le lui a donné. »<br />

(15c) Dnes by ti je jistě prodali levněji. (ibid., p. 114)<br />

aujourd’ 3.COND PR. PR. certaine- PTC.PASSÉ moins cher<br />

hui être DAT ACC ment vendre<br />

« Aujourd’hui, ils te les vendraient certainement moins cher. »<br />

(16c) Včera jsem se mu to tam snažil vysvětlit. (Svoboda, 1984 : 29)<br />

hier 3.PRES PR. PR. PR. là-bas PTC.PASSÉ INF<br />

être REFL DAT ACC essayer expliquer<br />

« Hier, j’ai essayé de le lui expliquer là-bas. »<br />

À l’intérieur de ces blocs, l’ordre des enclitiques est fixe : la permutation, par<br />

exemple du verbe auxiliaire et du pronom au datif, produirait une phrase<br />

agrammaticale : (15c) *Dnes ti by je jistě prodali levněji. De même, il est impossible de<br />

les interrompre par d’autres constituants : (15c) *Dnes by ti jistě je… /*Dnes by jistě ti<br />

je… (cf. Progovac, 1996 : 413 et 420).<br />

8 Il convient de souligner que ces périphrases verbales sont relativement récentes (cf. A. Lamprecht et al.,<br />

Historická mluvnice češtiny [Grammaire historique du tchèque], Prague, SPN, 1986 : 194-197). En<br />

revanche, le verbe être qui contribue à former le passif analytique n’est pas enclitique.<br />

120


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Si le premier constituant est représenté par un syntagme nominal, les enclitiques<br />

suivent non pas le premier mot, mais tout le constituant (17c, tchèque, 18a serbocroate).<br />

Le serbo-croate est la seule langue slave où l’enclitique peut, dans certaines<br />

conditions (pour le détail, voir Progovac, 1996 : 418) produire une disjonction (19a-<br />

20a), par exemple :<br />

(17c) Tohle staré kolo se ti jednou rozpadne. (Siewierska et Uhlìřová, 1998 :114)<br />

PR.DEM vieux vélo PR. PR. un jour 3.PRES.PERF<br />

REFL DAT se casser<br />

« Ton vieux vélo se cassera un jour. »<br />

(18a) Anina sestra im nudi čokoladu. (Progovac, 1996 : 414)<br />

de Anna sœur PR. 3.PRES chocolat<br />

DAT offrir<br />

(19a) Anina im sestra nudi čokoladu.<br />

« La sœur d’Anna leur offre du chocolat. »<br />

(20a) Anina mi ga je sestra poklonila.<br />

de Anna PR. PR. 3.PRES sœur PTC.PASSÉ<br />

DAT ACC être donner<br />

« La sœur d’Anna me l’a donné. »<br />

Les enclitiques quittent leur place régulière dans quelques langues slaves ; par<br />

exemple en slovaque, l’auxiliaire du conditionnel figure fréquemment à la troisième<br />

place (21d) ou encore une place ultérieure (22d), en accompagnant le verbe (Siewierska<br />

et Uhlìřová, 1998 : 114).<br />

(21d) Mária na stôl by položila knihu.<br />

Marie sur la table 3.COND PTC.PASSÉ livre<br />

être poser<br />

« Marie poserait le livre sur la table. »<br />

(22d) Mária jablká priniesla by zajtra.<br />

Marie pommes PTC.PASSÉ 3.COND demain<br />

apporter être<br />

« Marie apporterait les pommes demain. »<br />

Que la loi de Wackernagel opère plus ou moins fortement dans les langues<br />

slaves, les enclitiques auxiliaires et pronominaux sont (à l’exception des auxiliaires<br />

proclitiques en haut sorabe), bien entendu, exclus de la place initiale.<br />

3. Approche des enclitiques en latin<br />

3.1. Les enclitiques liés et non liés<br />

A. Siewierska, dans son étude sur la personne grammaticale (2004), établit une<br />

distinction entre plusieurs clitiques. Selon elle (p. 26), les clitiques partagent les<br />

propriétés des formes liées et des mots indépendants. En tant que formes liées, les<br />

clitiques forment une unité phonologique avec le mot qui les précède Ŕ dans ce cas, il<br />

s’agit d’enclitiques Ŕ, ou avec le mot qui les suit Ŕ on parle alors de proclitiques. Les<br />

clitiques peuvent aussi ressembler aux mots indépendants en ce sens qu’ils sont écrits en<br />

tant que mots séparés et qu’ils peuvent porter un accent.<br />

Adoptant cette approche (voir p. 33 sq.), nous pouvons dissocier, en latin, les<br />

enclitiques liés : -que, -ne, -ue (et -ce) qui sont traités, au point de vue prosodique,<br />

121


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

comme partie constituante du mot qui les accueille 9 , et les enclitiques non liés, qui ne<br />

s’attachent pas à un autre mot (tel enim). Ces derniers, indépendants en apparence, sont<br />

sujets à une distribution particulière dans la phrase. Il en suit que les enclitiques liés<br />

dépendent de leur hôte qui, lui, peut occuper n’importe quelle place dans la phrase ;<br />

cependant, il est possible d’avoir des enclitiques liés qui dépendent du premier mot<br />

autonome dans la phrase 10 . En revanche, les enclitiques non liés obéissent uniquement à<br />

des restrictions positionnelles : les enclitiques étant exclus de la première place, la place<br />

de Wackernagel leur est réservée.<br />

3.2. Critères d’identification<br />

Afin de décider si un mot latin est enclitique, nous adopterons trois critères<br />

syntaxiques :<br />

l’impossibilité d’admettre un enclitique lié -que, -ue ou -ne : les enclitiques non<br />

liés ne peuvent pas en admettre un ;<br />

l’impossibilité de figurer à l’initiale ;<br />

l’impossibilité d’être dans la portée d’une particule focalisante.<br />

En effet, ces caractéristiques sont valables pour un mot communément considéré<br />

comme enclitique Ŕ enim. Enim doit figurer après le premier mot (23) : les syntagmes<br />

nominaux sont normalement disjoints, y compris les noms propres 11 (24) (voir<br />

Marouzeau, 1953 : 73). Dans le cas des syntagmes prépositionnels, l’enclitique ne se<br />

place pas après la préposition, mais après le premier mot du syntagme (25). Il est exclu<br />

de la première place et n’admet pas les enclitiques de type -que. Enim ne peut être<br />

précédé d’une particule focalisante (etiam, quoque…).<br />

(23) Bibulus enim Corcyrae certior factus de aduentu Caesaris, sperans alicui se<br />

parti onustarum nauium occurrere posse, inanibus occurrit. (Caes., Ciu. 3.8.3)<br />

« En effet Bibulus, informé à Corcyre de l’arrivée de César, et espérant pouvoir<br />

se porter contre une partie des navires chargés de troupes, tomba sur les<br />

vaisseaux vides. »<br />

(24) Q. enim Ligarius cum esset nulla belli suspicio, legatus in Africam C. Considio<br />

profectus est. (Cic., Lig. 2)<br />

« En effet, Q. Ligarius, quand rien ne laissait pressentir une guerre, partit pour<br />

l’Afrique comme légat de C. Considius. »<br />

(25) Caesar… aciem instruit ; contra opinionem enim militum famamque omnium<br />

uideri proelium defugisse magnum detrimentum afferebat. (Caes., Ciu. 1.82.2)<br />

« César… prend la formation de combat : car paraître éviter une bataille, contre<br />

l’attente des soldats et l’opinion de tous, c’eût été se faire grand tort. »<br />

9 La cohérence phonologique, complète en latin, se manifeste dans l’accentuation des mots Ŕ l’accent se<br />

déplace à la pénultième, indépendamment de sa quantité, par exemple Cáesar, hómines, rósa : Caesárne,<br />

hominésque, rosáque. Voir W. S. Allen (1973 : 25) et M. Leumann (1977 : 240).<br />

10 Cf. ci-dessus, § 2.2.3, sur la particule -li.<br />

11 Un examen de huit prénoms dans le corpus cicéronien (BTL) : C(aius), Cn. (Gnaeus), D(ecimus),<br />

L(ucius), M(arcus), P(ublius), S(extus), et Q(uintus) a montré que enim disjoint normalement le prénom et<br />

le nom (6 occ.) ; de même, autem (11 occ.) et uero (15 occ.). Nous n’avons noté que deux contreexemples<br />

(soit 6 %), avec un syntagme prépositionnel : de C. Tuditano enim (Cic., Att. 13.32.3) et de C.<br />

Gracchi autem tribunatu (Cic., Lael. 41).<br />

122


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Après un examen des enclitiques liés (§ 4), nous nous concentrerons sur les<br />

catégories des mots évoqués comme susceptibles d’être enclitiques ou considérés<br />

comme des enclitiques « occasionnels » (Marouzeau, 1953 : 90) : le verbe sum (§ 5) ;<br />

les pronoms (§ 6) ; les subordonnants (§ 7) et les particules connectives (§ 8). Une<br />

attention particulière sera portée à la possibilité de combiner les enclitiques et leur ordre<br />

d’apparition dans des blocs éventuels.<br />

4. Les enclitiques liés<br />

Le latin dispose de trois enclitiques liés productifs 12 : -que, -ne et -ue. Dépourvus<br />

d’accent et d’autonomie, ils dépendent de leur hôte qui, lui, en est doté (cf. Hoff, 1985 :<br />

25 sur -ne). Leurs fonctions sont distinctes : -que est un coordonnant, -ue marque la<br />

disjonction, -ne accompagne le mot sur lequel porte l’interrogation.<br />

4.1. Les particules -que et -ue<br />

La particule -que « et » assure la coordination entre des constituants dont la<br />

fonction syntaxique est la même (voir Pinkster, 1995 : 39), par exemple :<br />

(26) Cui (Atticae) quidem ego totam uillam cellamque tradidi eamque cogitabam V<br />

Idus uidere. (Cic., Att. 14.19.6)<br />

« Je lui ai confié toute la propriété, avec les provisions, et je pensais la voir le<br />

11. »<br />

Un rapport de coordination y est établi, entre uillam entre cellam, et entre deux<br />

propositions ; la particule accompagne le premier terme de la seconde proposition, eam<br />

qui reprend Attica. Si le constituant est complexe, l’enclitique accompagne son premier<br />

terme. Nous avons ainsi, pour introduire un exemple avec des noms propres :<br />

(27) et in causa M’. Aquili Caique Norbani nonnullisque aliis (Cic., De orat. 2.188)<br />

« à propos de Manlius Aquilius, de Caius Norbanus et de plusieurs autres »<br />

La particule -ue « ou » s’emploie dans le cas de constituants disjoints, par<br />

exemple :<br />

(28) Num, quod maximum est, leges nostras moresue nouit ? (Cic., Phil. 5.13)<br />

« Et, ce qui est le principal, connaît-il nos lois et nos mœurs ? »<br />

(29) Quamquam dicebas omnia, quae fierent futuraue essent, fato contineri. (Cic.,<br />

Diu. 2.19)<br />

« Cependant tu affirmais que tout ce qui arrive ou arrivera fait partie du destin. »<br />

Ces quatre exemples suffisent pour montrer que les particules -que et -ue<br />

s’accrochent au constituant concerné par la coordination ou par la disjonction : en<br />

revanche, ils n’obéissent en rien à la loi de Wackernagel 13 .<br />

12 Nous ne parlerons donc pas de -ce. Les éléments tels -dem (ibidem…), -dam (quidam…), -met<br />

(memet)… représentent des morphèmes liés dotés d’une distribution particulière ; ils ne seront pas<br />

considérés ici.<br />

13 À moins que l’on veuille considérer le placement de -que en (26) eamque et de -ue en (29) futuraue<br />

comme à la deuxième place d’un segment (« colon »). En tout cas, une telle interprétation ne se<br />

justifierait point pour les autres exemples. Ajoutons que pour Marouzeau (1949 : 70), -que et -ue<br />

occupent « la place seconde ».<br />

123


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

4.2. La particule -ne<br />

La particule -nĕ 14 apparaît dans les interrogations 15 et en marque le constituant<br />

saillant. Un examen du placement de -ne, employé dans les interrogations directes chez<br />

Cicéron, aboutit aux résultats présentés dans le tableau ci-dessous : l’hôte de -ne figure<br />

à la première place de la phrase ou de la proposition, ou à une autre place :<br />

Tableau 1 : La place de l’hôte de -ne chez Cicéron (BTL, 1999)<br />

Œuvre 1 er mot Autre place Total<br />

Discours 319 28 347<br />

Œuvres rhétoriques 64 8 72<br />

Œuvres philosophiques 197 39 236<br />

Lettres 78 3 81<br />

Total 658 78 736<br />

Pourcentage 89 % 11 % 100 %<br />

Le tableau montre que le mot accueillant -ne figure à une place autre que<br />

première dans 11 % des cas 16 . En outre, les discours de Cicéron offrent le plus<br />

d’exemples de -ne dans les interrogations directes (347 occurrences) ; un autre<br />

placement de l’hôte de -ne s’observe le plus fréquemment dans les œuvres<br />

philosophiques (39 occurrences, soit 16,5 %).<br />

Le mot qui accueille -ne occupe donc le plus souvent la première place dans la<br />

phrase (exemple 30), si celle-ci est simple. Dans le cas des phrases complexes<br />

construites avec une (des) subordonnée(s) antéposée(s), -ne accompagne le premier<br />

terme de la proposition régissante (31).<br />

(30) Meministine te clamare causam perisse… ? (Cic., Att. 14.10.1)<br />

« Te souviens-tu d’avoir proclamé que la cause était perdue… ? »<br />

(31) Sin te auctoritas commouebat, nobisne omnibus et Platoni ipsi nescio quem<br />

illum anteponebas ? (Cic., Fin. 4.61)<br />

« Si l’autorité avait du pouvoir sur toi, préférais-tu un je-ne-sais-qui à nous tous,<br />

à Platon lui-même ? »<br />

Il convient de déterminer quels constituants peuvent précéder l’hôte de -ne ; ces<br />

configurations se produisent, on l’a vu, dans 11 % des cas. Les exemples relevés<br />

permettent de constituer les groupes suivants : les connecteurs (32), les topiques (33-<br />

34), les constituants exprimant le cadre, en particulier l’ablatif absolu (35).<br />

(32) Facio, inquit, equidem, sed audistine modo de Carneade ? (Cic., Fin. 5.6)<br />

« C’est vrai, répondit-il, mais as-tu entendu récemment parler de Carnéade ? »<br />

(33) Pro te ipso, Piso, nemone mutabit ? Ne isti quidem quos… (Cic., Sest. 33)<br />

« Pour toi-même, Pison, personne ne prendra le deuil ? Pas même ceux qui… »<br />

(34) Dic mihi, C. Antonius uoluitne fieri septemuir ? (Cic., Att. 15.19.2)<br />

« Dis moi : est-ce que C. Antonius a voulu devenir septemvir ? »<br />

14 En outre, -ne contribue à former la particule interrogative nonne.<br />

15 Voir également le chapitre sur la phrase interrogative, § 5.1.1. La particule -ne apparaît dans les<br />

interrogations directes et indirectes, par exemple cum paucisne esset (Sall., Iug. 54.2) « s’il n’y avait que<br />

peu d’hommes ».<br />

16 Ces résultats présentent un pourcentage supérieur à celui indiqué par F. Hoff (1984 : 21) qui observe le<br />

mot accompagné de -ne en tête de la phrase dans 76 % des cas.<br />

124


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

(35) Hac lege sublata uidenturne uobis posse Caesaris acta seruari ? (Cic., Phil.<br />

1.19)<br />

« Une fois cette loi abrogée, vous paraît-il possible qu’on conserve les actes de<br />

César ? »<br />

Ces exemples, à la seule exception de (32), portent à conclure que l’ordre des<br />

constituants dans ces phrases interrogatives est le même que celui que l’on peut trouver<br />

dans une phrase déclarative.<br />

Si la majorité des cas se laisse ramener aux catégories exemplifiées en (32-35), il<br />

reste des exemples divers : le constituant précédant l’hôte de -ne est contextuellement<br />

dépendant Ŕ tel epistula mea ad Varronem en (36), ou fait référence à une entité<br />

identifiable (uitae en 37) :<br />

(36) Sed, quaeso, epistula mea ad Varronem ualdene tibi placuit ? (Cic., Att. 13.25.3)<br />

« Mais, dis-moi, es-tu pleinement satisfait de ma lettre à Varron ? »<br />

(37) Vitae censetisne, patres conscripti, habendam mihi aliquam esse rationem ?<br />

(Cic., Phil. 12.21)<br />

« Croyez-vous, pères conscrits, que je doive faire quelque estime de ma vie ? »<br />

Il est remarquable que -ne se rencontre également dans des phrases<br />

interrogatives marquées par utrum… an… ; -ne ne semble donc pas être une particule<br />

interrogative, mais, en premier lieu, une particule focalisante 17 :<br />

(38) Vtrum igitur tandem perspicuisne dubia aperiuntur, an dubiis perspicua<br />

tolluntur ? (Cic., Fin. 4.67)<br />

« Est-ce donc l’évidence qui doit servir à dissiper le doute, ou bien est-ce le<br />

doute qui doit servir à supprimer l’évidence ? » (trad. C.U.F.)<br />

Attaché au focus de l’interrogation, -ne est un enclitique lié. Sa place dépend de<br />

la place de son hôte : en d’autres termes, -ne n’est pas sujet à la loi de Wackernagel.<br />

5. Le verbe sum<br />

Le caractère possiblement enclitique du verbe sum « être », en particulier de sa<br />

forme est, a fait couler beaucoup d’encre, sans doute parce que J. Wackernagel luimême<br />

(1892 : 428 sq.) a évoqué la copule latine est comme l’un des arguments en<br />

faveur de sa théorie. Il convient de rappeler les mots de J. Marouzeau (1953 : 34) :<br />

« certaines formes du verbe être étant enclitiques, on a pensé pouvoir expliquer leur<br />

position dans la phrase en invoquant une loi indo-européenne qui assigne aux<br />

enclitiques la place seconde, immédiatement après le premier mot autonome. Il ne<br />

semble pas que cette loi soit applicable au verbe latin. » En se concentrant sur sum<br />

attributif, Marouzeau (1949 : 68) constate que la mobilité de la copule est extrême et<br />

que la place seconde s’explique par le fait que sum s’attache à son attribut qui est<br />

fréquemment le mot initial de la proposition. En revanche, J. N. Adams (1994a ; cf.<br />

également Salvi, 2004 : 52 et 138) attribue à certaines formes du verbe sum (celles en<br />

es-) un caractère enclitique, tout en refusant de souscrire à la théorie selon laquelle sum<br />

se place obligatoirement à la deuxième place dans la phrase.<br />

17 L’emploi de utrum… -ne… an est rare, voir Kühner et Stegmann (II, 526). La particule -ne était à<br />

l’origine affirmative, voir T. Janson (1979 : 103) et G. Lodge, Lexicon Plautinum (1933, II : 133).<br />

125


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Pour notre part, nous examinerons le comportement de ce verbe, tout<br />

particulièrement de la forme est, en le soumettant à des critères syntaxiques, pour<br />

vérifier s’il s’agit d’un enclitique, lié ou non lié. Tout d’abord, il importe de séparer ses<br />

fonctions car sum est polyvalent et est « il existe » pourrait se comporter différemment<br />

de est auxiliaire. On dissociera donc :<br />

(a) sum verbe exprimant l’existence<br />

(b) sum verbe copule<br />

(c) sum auxiliaire du déponent parfait et du parfait passif<br />

Il convient de souligner que dans les deux premiers emplois, sum constitue un lexème à<br />

part entière, dans la dernière fonction, sum contribue à constituer un lexème. Le<br />

caractère autonome de sum assumant une fonction, par exemple (a), n’exclurait pas le<br />

caractère enclitique dans une autre fonction (c). Or s’il est enclitique, toutes les formes<br />

du paradigme sont censées présenter cette caractéristique : par exemple si l’auxiliaire est<br />

est enclitique, sum, es, sumus…, assurant la même fonction, devraient l’être également.<br />

Les critères syntaxiques que nous allons examiner, sont les suivants :<br />

la possibilité d’admettre un enclitique lié -que, -ne, -ue ;<br />

la possibilité de figurer à la première position de la phrase ;<br />

la possibilité d’être dans la portée d’une particule focalisante.<br />

Comme notre objectif est de trouver des combinaisons possibles, nous nous servirons du<br />

corpus que constituent les œuvres de César, Salluste et Cicéron (BTL), et nous nous<br />

concentrerons sur la forme de la troisième personne du sg. : est.<br />

5.1. Sum « exister » et sum copule<br />

Est signifiant « exister » et est copule dans une construction attributive<br />

répondent positivement à nos deux premiers critères : ils peuvent se combiner avec des<br />

enclitiques liés et ils sont admis à la première position de la phrase.<br />

(39) Est, est illa uis profecto. (Cic., Mil. 84) 18<br />

« Elle existe évidemment, elle existe cette puissance. »<br />

(40) Estne haec uera contentio ? (Cic., Planc. 48)<br />

« N’est-ce pas là une discussion véritable ? »<br />

(41) Estne, quaeso, inquam, sitienti in bibendo uoluptas ? (Cic., Fin. 2.9)<br />

« Dis-moi, repris-je, un homme qui a soif éprouve-t-il, quand il boit, du<br />

plaisir ? »<br />

(42) Percommode facis estque mihi gratum. (Cic., De orat. 2.350)<br />

« C’est fort bien, et agréable pour moi. »<br />

Nous avons, en (39), l’exemple d’un est redoublé à l’initiale de la phrase, qui<br />

remplit la fonction de verum focus (« elle est vraiment »). Un est dans une structure<br />

d’identification, accompagné de -ne interrogatif est présenté en (40). Deux constructions<br />

attributives sont exemplifiées, l’une avec -ne interrogatif (41), l’autre avec un est<br />

coordonné à l’aide de -que (42). Les mêmes démonstrations pourraient aisément être<br />

faites pour les autres formes de esse : es, sunt… Inutile de multiplier des exemples : par<br />

18 Cet exemple est cité par J. Marouzeau (1953 : 47).<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

sa possible position à l’initiale et par sa capacité d’admettre les enclitiques liés, est ne<br />

montre pas d’indices permettant de dire qu’il est un enclitique 19 .<br />

5.2. Sum auxiliaire du parfait passif et du déponent<br />

Le verbe sum fonctionne dans plusieurs périphrases 20 . Nous nous concentrerons<br />

ici sur les formes analytiques du parfait passif et du déponent parfait qui présente des<br />

affinités morphologiques 21 . Le test qui suivra est effectué à partir du corpus de la BTL<br />

(1999) et de la Base de données des lemmes latins du LASLA 22 . Seules les occurrences<br />

de l’indicatif dans la proposition ‘principale’ ont été prises en considération.<br />

Comme le placement du participe et du verbe sum fera l’objet d’une analyse<br />

ailleurs (voir chapitre X, La phrase déclarative, § 6.4), nous nous contenterons<br />

d’indiquer ici que ces formations ne montrent pas de signes de figement. En<br />

comparaison avec les langues slaves (cf. ci-dessus, § 2.2.3), le verbe sum ne figure pas à<br />

une place fixe, au contraire, il jouit d’une grande mobilité et des disjonctions variées se<br />

produisent.<br />

Par rapport au verbe sum Ŕ lexème autonome, traité au paragraphe précédent,<br />

l’auxiliaire du passif et du déponent ne contribue qu’à constituer une unité lexicale : il<br />

s’agit donc d’un moyen grammatical qui pourrait être enclin à devenir enclitique. Il en<br />

résulte qu’il est moins facile de trouver les exemples pour vérifier son comportement.<br />

Cependant, l’exemple (43) nous confirme qu’il est possible de placer est à l’initiale de<br />

la phrase et l’exemple (44) 23 montre que est, suivi de autem, représente bien le premier<br />

mot autonome :<br />

(43) Est animaduersum ab legionibus, qui dextram partem operis administrabant, ex<br />

crebris hostium eruptionibus magno sibi esse praesidio posse, si… (Caes., Ciu.<br />

2.8.1)<br />

« Les légionnaires qui travaillaient aux ouvrages de droite, remarquèrent, à cause<br />

des fréquentes sorties de l’ennemi, que ce pourrait être pour eux une sérieuse<br />

défense, si… »<br />

(44) Est autem genus radicis inuentum ab eis, qui fuerant uacui ab operibus, quod<br />

appellatur chara… (Caes., Ciu. 3.48.1)<br />

« Mais ceux qui faisaient partie des troupes auxiliaires découvrirent une espèce<br />

de racine appelée chara… »<br />

De même, quoique rarement 24 , pour le déponent :<br />

19 Cette conclusion ne nous semble pas être infirmée par l’existence de la forme réduite ’st attestée chez<br />

les comiques. Une réduction du volume d’un mot n’est pas une preuve de cliticisation. Cf. ci-dessous,<br />

note 42.<br />

20 Les autres formes périphrastiques, par exemple l’adjectif verbal : Lege autem carens ciuitas estne ob id<br />

ipsum habenda nullo loco ? (Cic., Leg. 2.12) « Un état qui manque de lois, du seul fait de cette privation<br />

perd-il toute valeur ? », ne montrent pas un est enclitique non plus.<br />

21 Sur le placement du participe et du verbe auxiliaire, voir chapitre X, La phrase déclarative, § 6.4.<br />

22 Toutes les œuvres de notre corpus ne sont pas disponibles sur cette base ; nous avons effectué une<br />

sélection représentative pour le latin classique.<br />

23 Cet exemple nous permet d’écarter une éventuelle interprétation proclitique de est car il est peu<br />

probable que est se lie au connecteur autem.<br />

24 Nous avons noté encore : es enim ita ingressus (Cic., Rep. 2.22) « en effet, ton entrée en matière le<br />

montre », et, dans une parenthèse, es autem adeptus amplissimos (Cic., Fam. 10.6.2) « or tu en as obtenu<br />

de considérables ». Voici les verbes qui ont été examinés : est profectus, (co)hortatus, (per)secutus,<br />

(ex)ortus, locutus, usus, questus, natus, mortuus, imitatus, adeptus, functus, potitus, arbitratus, adsensus,<br />

tutatus, passus (BTL).<br />

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Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

(45) Vndeuiginti annos natus erat eo tempore, est autem L. Paullo C. Marcello<br />

consulibus mortuus. (Cic., Brut. 229)<br />

« À ce moment, il avait dix-neuf ans, mais il est mort sous le consulat de Lucius<br />

Paullus et de Caius Marcellus. »<br />

L’autre critère de notre test, la possibilité d’admettre les enclitiques liés, est<br />

rendu difficile dans la mesure où le verbe auxiliaire a peu de chances de représenter le<br />

mot saillant 25 . Pour cette raison, il n’est pas combiné pas avec -ne interrogatif. Quant<br />

aux coordinations à l’aide de -que, on sait que le participe est normalement coordonné,<br />

et non pas le verbe auxiliaire, dans le cas du déponent (46) aussi bien que du<br />

passif (47) :<br />

(46) (Caesar)…contionem apud milites habuit hortatusque est, ne ea, quae<br />

accidissent, grauiter ferrent… (Caes., Ciu. 3.73.2)<br />

« César… prononça un discours devant ses troupes et il les exhorta à ne pas se<br />

désoler de ce qui s’était passé. »<br />

(47) Iam uero uenae et arteriae micare non desinunt… animaduersumque saepe est<br />

cum cor animantis alicuius euolsum ita mobiliter palpitaret ut… (Cic., Nat.<br />

deor. 2.24)<br />

« En outre, nos veines et nos artères ne cessent de battre… et l’on a souvent<br />

observé que le cœur d’un animal une fois arraché, avait encore de vives<br />

palpitations… »<br />

Bien que sans exemple pour le latin classique, l’examen du corpus intégral de<br />

BTL nous a offert quelques rares occurrences de l’auxiliaire coordonné en latin<br />

postclassique 26 .<br />

(48) Et mihi siquis erat ducendi carminis usus, deficit estque minor factus inerte situ.<br />

(Ov., Pont. 1.5.7)<br />

« Et si j’avais quelque pratique de la poésie, elle s’affaiblit et diminue dans une<br />

molle oisiveté. »<br />

Il est plus probable que le latin classique évite cette combinaison plutôt que ces types de<br />

coordination y soient agrammaticaux.<br />

La négation, en revanche, accompagne sum auxiliaire, et non pas le participe 27 ,<br />

par exemple :<br />

(49) Si uenisses ad exercitum, a tribunis militaribus uisus esses ; non es autem ab his<br />

uisus : non es igitur ad exercitum profectus. (Cic., De inu. 1.87)<br />

25 Une focalisation sur l’expression du temps ou du mode est, bien sûr, envisageable (cf. Marouzeau,<br />

1953 : 45, et Firbas, 1992 : 17), par exemple : Vtrum id solum uidetur esse actum, quod est tamen actum,<br />

ut haec Heraclio pecunia eriperetur, an…? (Cic., Verr. 2.2.67) « Vous semble-t-il que s’il a agi ainsi,<br />

c’était seulement pour enlever Ŕ ce qu’il a, d’ailleurs fait Ŕ cette somme d’argent à Héraclius ? ».<br />

26 Nous n’avons relevé qu’une dizaine d’exemples dans tout le corpus concernant est et sunt, par<br />

exemple : exhibita estque Thetis (Ov., Met. 11.260) « et elle devient Thétis » ; imposita estque fero<br />

tandem manus ultima bello (Ov., Met. 13.402 -que dans certains manuscrits) « et on mit enfin la dernière<br />

main à cette longue guerre » ; suntque ad id pertinentia et a Graecis et a Latinis composita praecepta…<br />

(Quint., Inst. 6.3.11) « et que les Grecs et les Latins ont rédigé les préceptes à son sujet ».<br />

27 Or, en tchèque, où le verbe être auxiliaire est enclitique, la négation sous forme de préfixe ne peut<br />

s’accrocher qu’au participe, par exemple nebyl jsem tady « je n’étais pas là » (Svoboda, 1984 : 91).<br />

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Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

« Si tu étais venu rejoindre l’armée, tu aurais été vu par les tribuns militaires ; or,<br />

tu n’as pas été vu par ceux-ci : tu n’es donc pas parti rejoindre l’armée. »<br />

Ajoutons encore que la particule focalisante discontinue ne… quidem concerne<br />

généralement le participe et le verbe auxiliaire se trouve hors de sa portée 28 . En<br />

revanche, il y a de rares exemples du passif (en particulier, chez Ovide) où le verbe<br />

auxiliaire se rencontre avec la particule focalisante quoque :<br />

(50) Si ne scriptum quidem umquam est in ista ipsa rogatione… (Cic., Dom. 82)<br />

« S’il n’en est pas même dit un mot dans cette loi de votre façon… »<br />

(51) Est quoque per matrem Cyllenius addita nobis altera nobilitas. (Ov., Met.<br />

13.146)<br />

« Par ma mère, le dieu du Cyllène m’a transmis un second titre de noblesse. »<br />

Le verbe sum, qu’il fonctionne comme verbe d’existence, copule ou auxiliaire,<br />

ne montre pas de signes d’appartenance à la catégorie des enclitiques. Il répond<br />

positivement aux tests syntaxiques.<br />

6. Les pronoms<br />

6.1. État de la question<br />

Les grammaires latines traditionnelles ne manquent pas de mentionner, dans les<br />

sections consacrées aux enclitiques, les pronoms personnels (Szantyr, 1972 : 174 ;<br />

Kühner et Stegmann, 1914, II : 593, parmi d’autres ; voir également Marouzeau, 1953 :<br />

90 et 1949 : 69). Ce fait s’explique du point de vue comparatif : dans plusieurs langues<br />

indo-européennes, anciennes (sanskrit, grec) ou modernes (langues slaves), les pronoms<br />

personnels, aux cas obliques 29 , sont sujets à la loi de la « place seconde » formulée par<br />

J. Wackernagel (1892 : 333-366, 406-412). On en a déduit que les pronoms personnels<br />

latins obéissent à cette restriction positionnelle ou, tout au moins, l’observent en tant<br />

que survivance (cf. Marouzeau, ibid.).<br />

Si les pronoms latins ont intéressé les comparatistes, ils n’en ont pas moins attiré<br />

l’attention des romanistes : il suffit de citer la monographie de D. Wanner (1987)<br />

consacrée au développement des pronoms clitiques dans les langues romanes, et<br />

l’ouvrage récent de G. Salvi (2004).<br />

Dans son important article, J. N. Adams (1994b, en particulier 107 sqq.) a remis<br />

en question la validité de la loi de Wackernagel pour les pronoms personnels latins : la<br />

place seconde ne leur est pas obligatoire en latin classique. En revanche, il a formulé<br />

une tendance selon laquelle les pronoms personnels suivent un mot emphatique 30 ; ils<br />

seraient ainsi postpositifs, enclitiques, dans un segment appelé colon 31 . Par exemple tibi<br />

qui suit uoluntatem, le premier mot du deuxième colon (mais cf. Salvi, 2004 : 145) :<br />

(52) Ego autem // uoluntatem tibi profecto emetiar. (Cic., Brut. 16)<br />

« Mais de ma bonne volonté, je te ferai large mesure. » (trad. C.U.F.)<br />

28 Le corpus de la BTL n’enregistre aucune occurrence de ne est quidem (mais cf. Cic., Tusc. 1.11 : ne<br />

sunt quidem) ; cependant, sum peut être accompagné de quidem.<br />

29 À la différence des formes fléchies, dotées d’une fonction grammaticale, les nominatifs ego, tu, nos et<br />

uos n’ont pas la même fonction : leur expression et non-expression dépend des fonctions pragmatiques Ŕ<br />

voir Pinkster (1987).<br />

30 Dans ce chapitre, nous utiliserons le mot « emphatique » non pas seulement au sens défini dans le<br />

chapitre VI, Le focus, § 6, mais aussi au sens plus large (stress), qui implique la proéminence prosodique<br />

portée sur un constituant. En effet, c’est dans ce sens là que le mot « emphatique » est employé dans les<br />

études dont nous discutons les thèses (Adams, Salvi…).<br />

31 J. N. Adams adopte la division en colon élaborée par E. Fraenkel (voir Adams, 1994b : 105).<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Dans leurs considérations indo-européanisantes, les grammairiens (Szantyr,<br />

1972 : 174, et Kühner et Stegmann 1914, II : 569 sq.) qualifient les pronoms personnels<br />

(aux cas obliques) d’enclitiques en introduisant généralement deux arguments : d’abord<br />

leur origine indo-européenne Ŕ en effet, mē repose sur l’enclitique indo-européen *mĕ Ŕ,<br />

ensuite, la tmèse 32 . Or, on ne prend pas suffisamment en compte le fait que le latin<br />

dispose d’une seule série de pronoms. En d’autres termes, il n’y a pas de différenciation<br />

entre les formes toniques et atones, comme en grec (53a acc. e)me/ vs. me), en sanskrit<br />

(53b : acc. mām vs. mā) ou dans une langue slave comme le tchèque (53c : dat. mně vs.<br />

mi) 33 ; les premières sont employées après les prépositions :<br />

(53a) pro_j e)me/ Ŕ *pro_j me « vers moi »<br />

(53b) upa mām Ŕ *upa mā « près de moi »<br />

(53c) ke mně Ŕ *ke mi « vers moi »<br />

Contrairement aux formes atones, les formes toniques ou « pleines » admettent les<br />

emplois emphatiques et sont admises à l’initiale de la phrase, par exemple :<br />

(54a) e)moi_ a)re/skei Ŕ a)re/skei moi « cela me plaît »<br />

(54c) MNĚ to řekni. Ŕ Řekni to MNĚ. Ŕ *Mi to řekni. – *Řekni to MI. – *Řekni to mi.<br />

Řekni mi to. 34 « Dis-le-moi. »<br />

En revanche, en latin, on a :<br />

(55) ‘Cenabo’ inquit ‘apud te’. (Cic., De orat. 2.246)<br />

« Je dînerai chez toi, dit-il. »<br />

(56) Sed obsecro te, quid est quod audiui de Bruto ? (Cic., Att. 16.7.8)<br />

« Mais je t’en prie, quelle est cette nouvelle que j’ai entendue de Brutus ? »<br />

(57) Quocirca te, Capitoline,…, teque, Iuno Regina,… precor atque quaeso… (Cic.,<br />

Dom. 144)<br />

« C’est pourquoi, je vous implore, toi, dieu du Capitole…, toi, Junon reine… »<br />

Face à cette indifférenciation formelle, J. N. Adams (1994b : 104) postule<br />

l’existence de deux types de pronoms en latin, accentués et non accentués, identifiables<br />

dans la prose classique seulement par des critères sémantiques. Un tel double<br />

comportement d’une même forme assumant la même fonction syntaxique nous semble<br />

difficile à adopter.<br />

Sans souscrire au statut enclitique, G. Salvi (2004 : 123 sq.) envisage également<br />

deux emplois des pronoms personnels, différents sur le plan prosodique 35 . Il établit ainsi<br />

32 Le fait que les formes latines dérivent des formes enclitiques indo-européennes (voir également<br />

Wanner, 1987 : 80) n’est pas, en soi, une preuve qu’elles sont enclitiques. La tmèse qui témoignerait d’un<br />

caractère enclitique des pronoms personnels, par exemple ob uos sacro pour obsecro uos (voir<br />

Wackernagel, 1892 : 406, et Kühner et Stegmann, 1914, II : 592), ne nous semble pas un argument<br />

convaincant car la tmèse peut concerner d’autres mots comme qua re cunque (cf. Kühner et Stegmann,<br />

1914, II : 593) pour quacumque re, où re devrait également être interprété comme enclitique.<br />

33 En grec et en tchèque, la différenciation formelle ne concerne que le singulier, par exemple au datif<br />

e)moi/ vs. moi, mně vs. mi, mais h(mi~n, nám. Nous ne qualifierions cependant pas ces formes du pluriel<br />

d’enclitiques « occasionnels » mais de pronoms avec une forme indifférenciée dans un paradigme<br />

préexistant.<br />

34 L’emphase, « à moi », est marquée par les majuscules.<br />

35 Cette nécessité s’expliquerait par deux résultats dans les langues romanes, par exemple mē aboutit à<br />

(mei/)moi tonique aussi bien qu’à me atone en français.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

une distinction entre les emplois « forts » et « faibles » ; les premiers, toniques, seraient<br />

réservés aux fonctions pragmatiques (focus, topique, y compris contrastifs), alors que<br />

les seconds, atones, seraient purement anaphoriques (p. 124). Les pronoms « faibles » se<br />

laisseraient identifier par la fonction sémantico-pragmatique assumée par ces éléments.<br />

Or, la différence entre le statut ‘enclitique’, rejeté, et ‘faible’ des pronoms latins n’est<br />

pas très claire (cf. « i pronomi latini non erano clitici » et « carattere enclitico delle<br />

forme deboli », p. 140). Salvi postule, en effet, une place fixe pour les pronoms<br />

« faibles » : après le premier constituant (58) ou après le premier terme du premier<br />

constituant, ou après l’élément focalisé à l’initiale de la phrase ou de la proposition<br />

(59) ; à la différence des enclitiques de phrase, placés après le premier mot, tel enim<br />

(60), le pronom se positionnerait après le constituant, par exemple 36 :<br />

(58) Caninius noster me tuis uerbis admonuit ut scriberem ad te… (Cic., Fam. 9.6.1)<br />

« Mon cher Caninius m’a engagé de ta part à t’écrire… »<br />

(59) Tu enim ipse…omnia, credo, uidisti, nihil te omnino fefellit ! (Cic., Fam. 9.2.2)<br />

« Toi-même, en effet…, tu as vu tout, je crois, pas une seule fois tu ne t’es<br />

trompé. »<br />

(60) Haec enim ornamenta sunt tibi etiam cum aliis communia. (Cic., Fam. 6.5.3)<br />

« Car tu partages ces distinctions avec d’autres. »<br />

Salvi postule également un bloc des formes « faibles » de pronoms latins (p. 138 sq.) 37 ,<br />

précédés par le verbe sum Ŕ sans toutefois donner d’exemple concret d’une telle<br />

séquence Ŕ, en faisant référence aux séquences des enclitiques en serbo-croate et en<br />

tchèque (cf. ci-dessus, § 2.2.3) :<br />

sum Ŕ pronom Nom. Ŕ pronom Dat. Ŕ pronom Acc. Ŕ syntagme prépositionnel<br />

6.2. Pronoms enclitiques ?<br />

6.2.1. Caractéristiques générales<br />

Enclitiques, les pronoms personnels latins devraient présenter des<br />

caractéristiques comparables à celles que l’on observe dans d’autres langues. En effet,<br />

on s’attendrait à ce que les pronoms personnels montrent un certain comportement ; ils<br />

pourraient, en particulier :<br />

(a) présenter une différenciation formelle, au moins partielle, au sein du<br />

paradigme des pronoms ;<br />

(b) occuper une place (plus ou moins) fixe dans la phrase ;<br />

(c) s’organiser dans un certain ordre, dans le cas de cooccurrence de plusieurs<br />

pronoms, et former ainsi des blocs.<br />

Les tests 38 que nous utilisons pour déterminer le caractère enclitique d’un mot<br />

peuvent aisément être appliqués aux pronoms personnels aux cas obliques 39 :<br />

36 Les exemples sont empruntés à Salvi (2004 : 136).<br />

37 Sur l’ordre datif Ŕ accusatif qui ne peut être soutenu comme fixe, voir Salvi (2004 : 3).<br />

38 Cf. Salvi (2004 : 124 sq.) sur les pronoms « forts » qui peuvent occuper la place initiale absolue, être<br />

modifiés par des particules focalisantes ou par des compléments variés. En outre, il observe que les<br />

pronoms « faibles » admettent des compléments, par exemple épithète, apposition, participe, relative, par<br />

exemple : e)pi/treyo/n moi a)pelqo/nti (Lc. 9.59) « permets-moi de m’en aller… ».<br />

39 Sur les nominatifs, cf. ci-dessus, note 29.<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

la possibilité d’admettre un enclitique lié -que, -ne, -ue 40 ;<br />

la possibilité de figurer à la première position de la phrase (ou de la<br />

proposition) ;<br />

la possibilité d’être dans la portée d’une particule focalisante.<br />

Les réponses sont évidemment positives et les occurrences faciles à trouver.<br />

Citons par exemple me accompagné de l’enclitique lié coordonnant -que (61), me à<br />

l’initiale d’une phrase (62) et me figurant dans la particule focalisante à forme<br />

discontinue ne… quidem « ni » qui délimite précisément sa portée (63) :<br />

(61) Tum uero denique filium meque seduxit. (Cic., Phil. 9.9)<br />

« Alors enfin il me prit à part avec son fils. »<br />

(62) (Reliquorum sententiae spem adferunt, si te hoc forte delectat…) Me uero<br />

delectat… (Cic., Tusc. 1.24)<br />

« (Les opinions des autres philosophes m’apportent l’espoir, qui te plaît peutêtre…)<br />

Assurément, il me plaît... »<br />

(63) Neque enim rogauit, ne me quidem. (Cic., Att. 11.24.2)<br />

« Car elle ne t’a rien demandé, et à moi non plus. »<br />

En outre, les mêmes tests pourraient être appliqués aux formes obliques de<br />

l’anaphorique is 41 , qui apparaît parfois sur les listes des enclitiques (cf. Wackernagel,<br />

1892 : 81, et Marouzeau, 1953 : 90) :<br />

(64) Sin metus, ab eone aliquid metuis quem uides ipsum ab se tam atrocem iniuriam<br />

propulsare non posse ? (Cic., Sex. Rosc. 145)<br />

« Si c’est la crainte, que peux-tu craindre de celui que tu vois incapable de se<br />

défendre lui-même contre une injustice atroce ? »<br />

(65) (Tiro) Eum ad te uocabis… (Cic., Att. 15.4a)<br />

« Tu le convoqueras… »<br />

(66) Nil igitur ne ei quidem litterarum ? (Cic., Att. 13.24.1)<br />

« Il n’a donc envoyé aucune lettre, pas même à lui ? »<br />

Tous ces résultats portent à conclure que les pronoms personnels et<br />

l’anaphorique is ne sont pas formellement enclitiques. Leur placement dans la phrase est<br />

une autre question que nous devons nous poser.<br />

Le latin ne dispose donc que d’une série, formellement indifférenciée, de<br />

pronoms. Elle sert aux emplois emphatiques (cf. exemple 62) aussi bien qu’aux emplois<br />

non emphatiques (exemple 58, cité ci-dessus). Par rapport aux langues comme le grec<br />

ou le tchèque, il n’a donc pas une forme plus spécifique pour marquer l’emphase et le<br />

contraste. Le latin n’a alors que deux possibilités : soit employer une particule<br />

focalisante (etiam me, ne me quidem…, cf. l’exemple 63), soit faire figurer le pronom à<br />

l’une des places du focus Ŕ à l’initiale de la phrase/proposition (67), à la fin (68) ou à<br />

une autre place (préverbale…). On peut supposer que dans la réalisation orale de la<br />

phrase, le pronom porterait une proéminence prosodique.<br />

(67) Ad Dolabellam, quem ad modum tibi dicis placere, scripsi diligenter. Ego etiam<br />

ad Siccam ; tibi hoc oneris non impono. (Cic., Att. 14.19.4)<br />

40 En sanskrit, les formes plus brèves de pronoms (par exemple 1 ère pers. acc. mā, dat. me… ; 2 e pers. acc.<br />

tvā, dat. te…) ne peuvent pas figurer devant les particules enclitiques ca « et », va « ou », ha, aha, ainsi<br />

que eva « même » postpositif (voir L. Renou, 1996 : 366).<br />

41 Sur ses emplois à l’initiale, voir chapitre III, L’anaphore pronominale.<br />

132


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

« J’ai écrit à Dolabella avec grand soin, dans le sens conseillé par ta lettre. J’ai<br />

écrit aussi moi-même à Sicca ; je t’épargne ce fardeau. » (trad. C.U.F.)<br />

(68) Mihi ualde placent, mallem tibi. (Cic., Att. 16.2.6)<br />

« Ces deux passages ont ma faveur, mais j’aurais préféré la tienne. »<br />

La place initiale des pronoms personnels est souvent due à un contraste. L’exemple (67)<br />

montre des topiques contrastifs : ego et tibi, l’exemple (68) des focus contrastifs mihi et<br />

tibi.<br />

6.2.2. Traitement prosodique<br />

Le caractère non accentué ou faible des pronoms, postulé par G. Salvi (2004),<br />

est impossible à reconnaître dans la prose ; en revanche, la poésie pourrait nous aider à<br />

éclairer ce point. Si l’on postule une distinction entre les pronoms personnels<br />

emphatiques et enclitiques (ou « forts » et « faibles » tels que les conçoit G. Salvi), les<br />

emplois emphatiques devraient porter l’ictus, par exemple :<br />

(69) Mé tamen úrit amór. (Verg., Ecl. 2.68)<br />

« Moi, pourtant, l’amour me brûle encore. »<br />

En revanche, on attend que les emplois faibles ou enclitiques soient exclus de l’ictus.<br />

Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons examiné les pronoms personnels me, mihi,<br />

te et tibi dans les Bucoliques de Virgile 42 . Or, à plusieurs reprises, nous avons relevé des<br />

emplois accentués d’un pronom personnel qui n’est porteur ni d’emphase, ni de<br />

contraste, ni de focus, par exemple :<br />

(70) Sóluite mé, puerí : satis ést potuísse uidéri. (Verg., Ecl. 6.24)<br />

« Déliez-moi, garçons ; il suffit que votre victoire soit évidente. »<br />

(71) Phýllida mítte mihí : meus ést natális, Iólla. (Verg., Ecl. 3.76)<br />

« Envoie-moi Phyllis ; c’est mon anniversaire, Iollas. »<br />

(72) Éxtremum húnc, Arethúsa, mihí concéde labórem. (Verg., Ecl. 10.1)<br />

« Pour finir, Aréthuse, permets-moi cet effort. »<br />

Ces exemples mettent en évidence que sans contraste (en effet, il n’y a pas d’opposition<br />

à une autre personne), les pronoms personnels peuvent très bien porter l’ictus : mé (70)<br />

en deuxième position venant après un impératif (soluite), mihí (71) à la troisième place<br />

42 Le tableau suivant résume les données relevées :<br />

Pronoms personnels dans Verg., Ecl.<br />

Pronom Sans ictus Avec ictus<br />

à l’intér. à l’init.<br />

133<br />

Élidé<br />

Total<br />

Me 6 13 2 5 26<br />

Mihi 31 6 0 0 37<br />

Te 17 10 4 1 32<br />

Tibi 32 5 0 2 39<br />

Total 86 34 6 8 134<br />

Pourcentage 65 % 25 % 4 % 6% 100 %<br />

Nous pouvons observer que les pronoms sont accentués dans 29 % des cas, et occupent une position à<br />

l’intérieur (25 %) ou la place initiale (4 %) ; l’élision représente 6 % des cas. Sur l’élision, voir J.<br />

Soubiran (1966 : 183) : « l’élision est dans son principe une synalèphe où aucun des phonèmes n’est<br />

exempt d’altération ». L’aphérèse de est (’st) s’explique, selon lui, d’une manière similaire.


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

aussi bien que mihí (72) venant après un vocatif non initial. Par ailleurs, nous pouvons<br />

observer que ce pronom non emphatique n’occupe pas une position déterminée par<br />

rapport à l’impératif : il peut le précéder ou le suivre (mitte mihi et mihi concede).<br />

De surcroît, les pronoms personnels non emphatiques sont admis après la césure,<br />

tel tē : cela a déjà été signalé par J. Hellegouarc’h (1964 : 76) :<br />

(73) Hōc prō cōntĭnŭō tē, Gāllĕ, mŏnēmŭs ămōrĕ (Prop. 1.20.1)<br />

« Écoute, Gallus, ce conseil d’une affection fidèle. »<br />

Enfin, nous n’avons pas rencontré de signe d’une réduction phonologique : les<br />

pronoms mē, tē, maintiennent toujours leur voyelle longue, les pronoms mĭhĭ, tĭbĭ sont<br />

occasionnellement allongés en mĭhī, tĭbī.<br />

6.2.3. La place des pronoms personnels<br />

Deux points de vue ont été utilisés pour la description de la place des pronoms<br />

personnels : d’une part, on considère qu’ils occupent la place de Wackernagel (Salvi,<br />

2004 : 126), d’autre part, on envisage leur positionnement par rapport au verbe (Wanner<br />

1987) Ŕ tel est l’aboutissement, on le sait, dans les langues romanes (cf. également<br />

Adams, 1994b : 166 sq.). Nous proposons de vérifier ces deux hypothèses en examinant<br />

la place des pronoms me, mihi, te et tibi dans deux œuvres de notre corpus : les<br />

Tusculanes et la correspondance de Cicéron. Seules les occurrences sans préposition<br />

dans les propositions syntaxiquement non dépendantes ont été prises en considération.<br />

Le premier tableau indique la place du pronom :<br />

Tableau 2 : La place 43 des pronoms me, mihi, te, tibi dans la correspondance et dans les<br />

Tusculanes de Cicéron (corpus)<br />

Pronom 1 ère<br />

2<br />

place<br />

e place 3 e place 4 e place 5 e place Autre Total<br />

place<br />

Me 9 30 20 7 4 3 73<br />

Mihi 33 52 28 16 9 10 148<br />

Te 2 13 14 6 3 2 40<br />

Tibi 5 29 18 9 3 1 65<br />

Total 49 124 80 38 19 16 326<br />

Pourcentage 15 % 37 % 25 % 12 % 6 % 5 % 100 %<br />

Le second tableau concerne la juxtaposition au verbe :<br />

43 Ce tableau indique quelle place occupe le pronom personnel dans la phrase ; les syntagmes<br />

prépositionnels (par exemple ex eo) sont comptés comme une seule unité. Si l’on prenait en compte non<br />

pas les termes, mais les constituants, en particulier les syntagmes nominaux, la différence ne serait pas<br />

notable : cf. les nombres totaux : 1 ère place 49 (15 %), 2 e place 138 (42 %), 3 e place 83 (25 %), 4 e place 31<br />

(10 %), 5 e place 18 (6 %), autre place 7 (2 %).<br />

134


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Tableau 3 : La place de me, mihi, te et tibi par rapport au verbe dans la correspondance<br />

et dans les Tusculanes de Cicéron (corpus)<br />

Pronom Devant le Après le Pas de Total<br />

verbe verbe contiguïté<br />

Me 17 11 45 73<br />

Mihi 41 14 93 148<br />

Te 3 12 25 40<br />

Tibi 24 8 33 65<br />

Total 85 45 196 326<br />

Pourcentage 26 % 14 % 60 % 100 %<br />

Le premier tableau montre que les pronoms personnels peuvent figurer à des<br />

positions variées, y compris la position initiale (15 %) ; la deuxième place est<br />

statistiquement la plus représentée (37 %) mais n’a rien de rigoureux ; le pourcentage<br />

des autres places n’est pas négligeable (3 e 25 %, 4 e 12 %, 5 e 6 %, autre 5 %).<br />

Le second tableau met en évidence que le positionnement du pronom devant (26<br />

%) ou après (14 %) le verbe ne peut être retenu pour significatif : en effet, le plus<br />

souvent, le verbe n’apparaît pas dans la proximité immédiate (60 %) du pronom 44 .<br />

G. Salvi (2004), qui postule l’existence de pronoms personnels « forts » et<br />

« faibles », considère que dans les propositions syntaxiquement non dépendantes, les<br />

pronoms « faibles » se placeraient après le premier terme de la phrase (qui peut être<br />

focalisé), ou après le premier constituant (p. 126) ; dans une phrase complexe construite<br />

avec une subordonnée antéposée, le pronom se placerait après le premier constituant de<br />

la phrase régissante (p. 130). Or, nous avons vu (tableau 2) que le positionnement après<br />

le premier terme n’apparaît que dans 37 % des cas Ŕ ou, si l’on compte le premier<br />

constituant, dans 42 % (voir note 43) Ŕ et les autres positions constitueraient alors des<br />

contre-exemples.<br />

Le pronom peut aussi bien occuper une autre place, par exemple :<br />

(74) Postremo meo iure te hoc beneficium rogo. (Cic., Att. 14.13a.3)<br />

« Enfin, j’ai un droit à te demander cette faveur. »<br />

(75) Interpellantibus enim his inimicitiis animus tuus mihi magis patuit quam domus.<br />

(Cic., Att. 14.13b.5)<br />

« De fait, avec la coupure née de frictions récentes, ton cœur m’a été plus ouvert<br />

que ta maison. »<br />

De surcroît, le placement des pronoms après le premier terme ou après le<br />

premier constituant semble toucher à un autre phénomène. Considérons les exemples<br />

suivants :<br />

(76) Leonidae me litterae non satis delectarunt. (Cic., Att. 14.18.4)<br />

« La lettre de Léonidès ne m’a pas beaucoup plu. »<br />

(77) Meae tibi litterae non deerunt. (Cic., Att. 15.27.2)<br />

« Mes lettres ne te feront pas défaut. »<br />

(78) Buthrotia tibi causa ignota non est. (Cic., Att. 16.16a.2)<br />

« Le cas de Buthrote ne t’est pas inconnu. »<br />

44 Cf. également le placement de se, traité dans le chapitre X, La phrase déclarative, § 3.1.6.<br />

135


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

(79) Quintus filius mihi pollicetur se Catonem. (Cic., Att. 16.1.6)<br />

« Quintus fils me promet d’être un Caton. »<br />

(80) Reginae fuga mihi non molesta est. (Cic., Att. 14.8.1)<br />

« La fuite de la reine ne me cause aucune peine. »<br />

En effet, nous assistons à des disjonctions (76-78) et aux absences de disjonction<br />

(79 et 80). Le choix n’est toutefois pas aléatoire et le placement en tête est dû au<br />

contraste attribué aux constituants Leonidae, meae et Buthrotia. Or les premiers termes<br />

en (79) et (80), Quintus et reginae, ne sont pas mis en contraste 45 .<br />

En revanche, les pronoms personnels peuvent se positionner devant ou après les<br />

enclitiques enim, autem et uero qui, eux, figurent normalement à la deuxième position.<br />

Ainsi, est-il intéressant de signaler des exemples isolés où ces enclitiques sont repoussés<br />

à la troisième place :<br />

(81) Itaque eum Romae libentissime uidi. Non te enim fugit, qui plurimis in ista<br />

prouincia benigne fecisti, quam multi grati reperiantur. (Cic., Fam. 13.67.2)<br />

« Aussi l’ai-je vu à Rome avec beaucoup de plaisir. Car tu n’ignores pas, toi qui<br />

as rendu service à plusieurs personnes dans cette province, chez combien on<br />

trouve de la reconnaissance. »<br />

Dans ce cas, te est emphatique car il est développé par une relative 46 .<br />

La place du pronom peut être comparée à celle de l’actant au datif (cf.<br />

Kruschwitz, 2004 : 110), qui ne produit normalement pas de disjonctions (excepté les<br />

cas de contraste de type 76-78), par exemple :<br />

(82) Eum libellum tibi misi. (Cic., Att. 15.24)<br />

« Je t’ai envoyé ce plaidoyer. »<br />

(83) Eum libellum Caesari dedi. (Cic., Att. 16.16a.2)<br />

« J’ai remis cette requête à César. »<br />

Les pronoms personnels ne semblent pas avoir une place fixe dans la phrase,<br />

étant donné la variété de leurs positions. Le fait qu’ils apparaissent souvent à l’une des<br />

premières places s’expliquerait par le fait qu’ils renvoient à l’un des participants du<br />

discours, locuteur ou interlocuteur, qui sont identifiables et accessibles.<br />

Il convient d’étudier à présent les phrases complexes où la proposition régissante<br />

suit la subordonnée. Le pronom occupe la première, la deuxième ou une autre place<br />

dans la régissante, par exemple :<br />

(84) Si haec ita manent ut uidentur (feres quod dicam), me Idus Martiae non<br />

delectant. (Cic., Att. 15.4.3)<br />

« Si la situation persiste comme il le semble (tu dois tolérer ce que je vais dire),<br />

les Ides de mars ne m’enchantent pas. »<br />

(85) Quod ut facias, te uehementer rogo. (Cic., Att. 16.16c.4)<br />

« Je te demande avec insistance de le faire. »<br />

45 En outre, nous n’avons pas noté d’exemples où le pronom figurerait entre le praenomen et le nomen de<br />

type M. + pronom + Antonius ; cela se produit fréquemment dans le cas des particules conjonctives<br />

enclitiques (voir ci-dessus, note 11).<br />

46 Les autres cas relevés dans le corpus cicéronien de la BTL (1999) sont les suivants : quid me autem<br />

(Cic. Att. 6.1.14) ; tum mihi uero (Cic., Agr. 2.5) et neque me uero paenitet (Cic., Rab. Post. 32).<br />

Cependant, ces pronoms ne semblent pas être emphatiques.<br />

136


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

(86) Quod ut facias, uehementer te rogo. (Cic., Fam. 11.17.2)<br />

« Je te demande avec insistance de le faire. »<br />

(87) Cuius epistulae, quam interpretari ipse uix poteram, exemplum pridie tibi<br />

miseram. (Cic., Att. 15.28)<br />

« Je t’ai envoyé hier une copie de sa lettre, que je ne sais comment interpréter<br />

moi-même. »<br />

Compte tenu de ces faits, nous soutenons que les pronoms personnels latins ne<br />

sont pas enclitiques. S’ils ne sont porteurs ni d’une fonction pragmatique particulière, ni<br />

d’un contraste, ils occupent une place à l’intérieur de la phrase car ils ne sont pas au<br />

centre informatif du message. Considérons les exemples suivants, des phrases répondant<br />

à la question « que t’ai-je envoyé ? » ou « qu’ai-je fait ? » :<br />

(88) Epistulam tibi misi. (Cic., Att. 15.5.1)<br />

« Je t’ai envoyé sa lettre. »<br />

(89) ‘De gloria’ misi tibi. (Cic., Att. 16.2.6)<br />

« Je t’ai envoyé mon traité ‘De la gloire’. »<br />

(90) Librum tibi celeriter mittam de gloria.' (Cic., Att. 15.27.2)<br />

« Je t’enverrai rapidement mon livre ‘De la gloire’. »<br />

(91) ‘De gloria’ librum ad te misi. (Cic., Att. 16.6.4).<br />

« Je t’ai envoyé mon livre ‘De la gloire’. »<br />

Les parties les plus informatives étant la lettre et le traité De la gloire ou l’action<br />

d’envoyer, nous pouvons observer la position des pronoms personnels : devant le verbe<br />

(88 tibi, 91 ad te) et après le verbe (89 tibi). En revanche, en (90), il n’y a pas de<br />

contiguïté : celeriter mittam sont maintenus ensemble, en revanche, le syntagme<br />

nominal Ŕ librum et de gloria sont disjoints. La place du pronom personnel n’a pas<br />

d’importance. Or, si l’on avait tibi à l’initiale, il serait porteur de focus contrastif (‘à toi’<br />

impliquant ‘et non pas à un autre’) ou d’une emphase. Comparons encore :<br />

(92) ‘Me facere magnam pra=cin Dolabellae.’ Mihi mehercule ita uidetur, non<br />

potuisse maiorem tali re talique tempore… Tibi uero adsentior maiorem pra/cin<br />

eius fore si mihi quod debuit dissoluerit. (Cic., Att. 14.19.5)<br />

« ‘D’après toi, je grossis l’action de Dollabella.’ Mais je crois vraiment qu’il<br />

était impossible de faire plus, étant donné la circonstance et le moment… Mais<br />

je suis d’accord avec toi : il accomplira une plus grande action si… » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

(93) – Tibi omnisne animi commotio uidetur insania?<br />

– Non mihi quidem soli… maioribus quoque nostris hoc ita uisum intellego<br />

multis saeculis ante Socratem… (Cic., Tusc. 3.8)<br />

« Que veux-tu dire ? Appelles-tu folie n’importe quel ébranlement de l’âme ?<br />

Ŕ Sans aucun doute, et je ne suis pas le seul… nos aïeux mêmes en ont jugé ainsi<br />

bien des siècles avant Socrate… » (trad. C.U.F.)<br />

Occupant la position initiale significative, mihi et tibi en (92) sont employés par<br />

contraste. Tibi en (93) porte une emphase (« précisément à toi »), le focus de<br />

l’interrogation est sur omnis. L’interlocuteur justifie son opinion en disant « non<br />

seulement à moi » (non mihi quidem).<br />

137


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Les pronoms personnels au nominatif seront traités au chapitre X, La phrase<br />

déclarative (§ 2).<br />

6.2.4. Les combinaisons des pronoms personnels<br />

Pour conclure la section sur les pronoms personnels, nous proposons encore un<br />

test pour vérifier la place des pronoms au datif et à l’accusatif lorsque ces deux formes<br />

se rencontrent dans une même phrase. En effet, si la position des pronoms était fixe, on<br />

pourrait attendre que le pronom au datif précède le pronom à l’accusatif, ou vice versa.<br />

Par exemple :<br />

(94) Dolabella me sibi legauit a. d. iii Nonas. (Cic., Att. 15.11.4)<br />

« Dolabella m’a nommé son légat le 3. »<br />

Voici les combinaisons contiguës que nous avons relevées dans le corpus de<br />

Cicéron (BTL), indifféremment dans les propositions dépendantes et non dépendantes ;<br />

les emplois prépositionnels n’ont pas été pris en considération :<br />

Tableau 4 : Combinaisons des pronoms au datif et à l’accusatif (sg.) chez Cicéron (BTL)<br />

Pronoms Occurr. Pronoms Occurr.<br />

me tibi 51 tibi me 13<br />

me sibi 13 sibi me 6<br />

te mihi 46 mihi te 33<br />

te sibi 12 sibi te 1<br />

se tibi 8 tibi se 6<br />

se mihi 8 mihi se 7<br />

Total 138 Total 66<br />

Pourc. 68 % Pourc. 32 %<br />

Si nous notons de grandes différences pour certains ordres, par exemple me tibi<br />

vs. tibi me (51 vs. 13 occurrences), ou te sibi vs. sibi te (12 vs. 1 occurrence), nous ne<br />

constatons qu’une préférence pour les autres : te mihi vs. mihi te (46 vs. 33 occurrences)<br />

ou se tibi vs. tibi se (8 vs. 6 occurrences). D’une manière plus générale, le placement du<br />

pronom à l’accusatif devant le pronom au datif est privilégié (68 % des cas), mais<br />

compte tenu des variations possibles, ce fait ne nous autorise pas à conclure que cet<br />

ordre est fixe, contrairement au constat de G. Salvi (2004 : 138, mais cf. p. 3), présenté<br />

plus haut au § 6.1.<br />

De même, les combinaisons avec les pronoms au pluriel (seules les<br />

combinaisons attestées sont indiquées) :<br />

138


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Tableau 5 : Combinaisons des pronoms au datif et à l’accusatif (sg. et pl.) chez Cicéron<br />

(BTL)<br />

Pronoms Occurr. Pronoms Occurr.<br />

te nobis 4 nobis me 1<br />

me uobis 5 uobis me 4<br />

se nobis 6 uobis se 4<br />

se uobis 1 nobis se 1<br />

uos mihi 5 mihi uos 2<br />

nos sibi 2 tibi nos 6<br />

nos uobis 1 sibi nos 1<br />

uos nobis 1<br />

Total 25 Total 19<br />

Pourc. 57 % Pourc. 43 %<br />

Ici encore, nous ne pouvons que signaler une légère préférence pour le pronom à<br />

l’accusatif précédant le datif (57 %). Comparons :<br />

(95) Et primum me tibi excuso in eo ipso in quo te accuso. (Cic., Q. frat. 2.2.1)<br />

« Et tout d’abord je me défends d’un reproche qui est justement celui que je te<br />

fais. »<br />

(96) Ego enim tibi me non offerebam. (Cic., Att. 2.1.3)<br />

« Je ne m’offrais pas à toi de moi-même. »<br />

6.3. Premières conclusions<br />

Les pronoms personnels latins ne sont pas enclitiques et ils n’ont pas de place<br />

fixe dans la phrase ; ils ne sont donc pas soumis à la loi de Wackernagel. En outre, ils<br />

n’obéissent pas à un ordre de placement obligatoire entre eux (par exemple, l’ordre<br />

accusatif Ŕ datif) et ne s’organisent pas dans des blocs. En revanche, s’ils portent<br />

l’emphase ou sont mis en contraste avec un autre constituant, ils occupent la première<br />

place de la phrase ou de la proposition. S’ils ne sont pas porteurs d’une fonction<br />

pragmatique particulière, ils occupent une position à l’intérieur de la phrase.<br />

7. Les subordonnants<br />

Selon J. Marouzeau (1953 : 83 et 1949 : 122), les subordonnants (et les<br />

« coordonnants », voir le paragraphe suivant) obéissaient à la loi de la place seconde en<br />

latin ancien ; en latin classique (Cicéron et César), le placement après le premier mot<br />

autonome ne se manifeste que dans 15-20 % des cas. En revanche, Kühner et Stegmann<br />

(1914, II : 614) considèrent que les subordonnants se placent en tête de la phrase mais<br />

peuvent subir un déplacement (traiectio) vers une autre position.<br />

Tout en laissant de côté le placement des subordonnants en latin archaïque, nous<br />

proposons de nous concentrer ici sur la prose historique et d’examiner en détail la<br />

position de trois subordonnants, cum « quand », dum « pendant que » et si « si ». Leurs<br />

occurrences dans le corpus sont classées selon que la position est à l’initiale absolue<br />

(colonne a), après un constituant Ŕ représenté par un ou plusieurs mots Ŕ (b) ou une<br />

autre (c) ; les occurrences de cum, dum et si dans les subordonnées qui suivent leur<br />

régissante (et figurent à l’intérieur d’une phrase complexe) sont indiquées dans la<br />

colonne (d). Les résultats sont présentés dans le tableau ci-dessous :<br />

139


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Tableau 6 : La place de cum, dum et si chez César et Salluste (BTL)<br />

a<br />

Initiale<br />

absolue<br />

b<br />

Après un<br />

constituant<br />

140<br />

c<br />

Autre<br />

d<br />

À l’intérieur<br />

Total<br />

César 12 41 9 94 156<br />

Salluste 9 19 11 78 117<br />

Total 21 60 20 172 273<br />

% 8 % 22 % 7 % 63 % 100 %<br />

Nous pouvons observer que le placement des subordonnants après un premier<br />

constituant représente 22 % 47 ; les occurrences à l’intérieur de la phrase (63 %) ne nous<br />

intéressent pas ici. La place à l’initiale absolue n’est pas exclue (8 %), une place autre<br />

qu’initiale ou après un constituant est également possible (7 %).<br />

Bien que la place après un constituant soit la solution la plus usuelle lorsqu’une<br />

temporelle ou une conditionnelle ouvre la phrase complexe, nous ne pouvons pas en<br />

conclure que cum, dum et si se comportent comme des enclitiques : en effet, ils sont<br />

bien admis à l’initiale absolue (exemple 97).<br />

(97) Cum cohortes ex acie procucurrissent, Numidae integri celeritate impetum<br />

nostrorum effugiebant. (Caes., Ciu. 2.41.6)<br />

« Toutes les fois que des cohortes se détachaient en avant de la ligne, les<br />

Numides, qui étaient frais, évitaient l’attaque. » (trad. C.U.F.)<br />

Or, avant de confirmer cette observation, procédons à l’examen des constituants<br />

qui précèdent les subordonnants cum, dum et si. Ils peuvent être classés dans plusieurs<br />

groupes. Ce sont, en premier lieu, les connecteurs (nam, itaque, at, sed, ac…) dont la<br />

place à l’initiale absolue est prioritaire (98). Ensuite, les relatifs de liaison Ŕ qui<br />

obéissent à la même nécessité (99). Or, les relatifs de liaison sont anaphoriques et on<br />

notera que les autres anaphoriques occupent la même position (100). Les subordonnants<br />

se positionnent après un topique (101), représenté par un nom propre ou un pronom (par<br />

exemple ipse) :<br />

(98) Itaque, dum locus comminus pugnandi daretur, aequo animo singulas binis<br />

nauibus obiciebant. (Caes., Ciu. 1.58.4)<br />

« Aussi, pourvu qu’il fût possible de combattre de près, chaque équipage tenait,<br />

sans crainte, tête à deux navires. »<br />

(99) Quem (Iugurtham) si Romanis tradidisset, fore ut illi plurimum deberetur.<br />

(Sall., Iug. 111.1)<br />

« S’il le livrait aux Romains, ceux-ci seraient alors vraiment ses débiteurs. »<br />

(100) Hunc (montem) cum obliquo itinere cetrati peterent, conspicatus equitatus<br />

Caesaris in cohortes impetum fecit. (Caes., Ciu. 1.70.5)<br />

« Tandis que les cetrati se dirigeaient vers ce poste par une marche oblique, la<br />

cavalerie de César, les ayant aperçus, se lança sur eux. »<br />

(101) Tubero cum in Africam uenisset, inuenit in prouincia cum imperio Attium<br />

Varum. (Caes., Ciu. 1.31.2)<br />

47 Chez César, 41 occurrences des subordonnants après un autre constituant représentent 26 % des cas, ce<br />

qui est encore plus que l’estimation de J. Marouzeau (1953 : 82).


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

« Tubéron, arrivé en Afrique, trouve comme gouverneur de la province Attius<br />

Varus. »<br />

La particularité du latin est de laisser précéder le subordonnant par un<br />

constituant topique (cf. Panhuis, 1982 : 80 sqq., Pinkster, 1995 : 221, et Amacker, 1998)<br />

Ŕ que ce soit un anaphorique, quem et hunc, ou un nom propre (Tubero), dans nos<br />

exemples Ŕ et de ne pas l’impliquer dans la subordonnée. On consultera le chapitre II,<br />

Le topique, § 5.4 pour plus de détail. Il serait erroné d’essayer d’établir un parallèle<br />

entre le placement de cum en (101) et de enim en (103). En effet, les subordonnants<br />

signalent des subordonnées ; si la phrase comporte une proposition participiale, la<br />

subordonnée peut la suivre et le subordonnant est placé après la proposition participiale<br />

(102) Ŕ un constituant (rappelons que la colonne b concerne le placement après un<br />

constituant et non pas après le premier mot). En revanche, un enim se positionnerait<br />

après le premier mot Ŕ dans notre exemple (102), après his :<br />

(102) His rebus confectis, cum fides tota Italia esset angustior…, constituit… (Caes.,<br />

Ciu. 3.1.2)<br />

« Cette affaire terminée, comme le crédit était embarrassé dans toute l’Italie, il<br />

décida que… »<br />

(103) Pompeius enim rescripserat… (Caes., Ciu. 1.19.4)<br />

« En effet, Pompée avait répondu… »<br />

Le subordonnant (et sa subordonnée) peut occuper une autre place dans la phrase<br />

complexe, par exemple lorsqu’on a une séquence comme : connecteur, topique,<br />

proposition participiale :<br />

(104) At Iugurtha munimento castrorum impeditus, cum alii super uallum<br />

praecipitarentur… in loca munita sese recepit. (Sall., Iug. 58.6)<br />

« Jugurtha, empêtré dans les retranchements du camp, voyant les autres franchir<br />

les fossés…, se retire… dans des lieux protégés. »<br />

Les exemples précités montrent clairement que, d’une part les subordonnants<br />

cum, dum et si laissent la première place au constituant topique, d’autre part, que les<br />

subordonnées peuvent être précédées par un autre constituant indiquant le cadre Ŕ en<br />

particulier, une proposition participiale.<br />

En outre, les subordonnants peuvent être précédés par un mot porteur d’une<br />

emphase, tel l’intensif tali ; on notera la disjonction tali… modo :<br />

(105) Tali dum pugnatur modo, lente atque paulatim proceditur. (Caes., Ciu. 1.80.1)<br />

« Avec une telle manière de combattre, on avançait peu et lentement. »<br />

En conclusion, il n’y a aucune raison de considérer les subordonnants comme<br />

enclitiques : ils ne sont pas exclus de la place initiale et n’obéissent pas à la loi de<br />

Wackernagel. De plus, ils admettent les enclitiques de type -que : cumque, dumque, ou<br />

de -ue : siue 48 .<br />

48 Voir, par exemple : cumque (Caes., Ciu. 3.101.5), dumque (Cic., Phil. 13.22). Si ne se combine pas<br />

avec -que (BTL n’enregistre qu’une occurrence tardive), mais l’existence de si-ue montre que si est un<br />

mot autonome.<br />

141


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

8. Les particules connectives<br />

Les grammaires latines 49 donnent des informations sur les positions, la première,<br />

la deuxième ou autre, occupées par les particules enim, nam, itaque, igitur… et<br />

établissent implicitement une équation entre la deuxième place et la place de<br />

Wackernagel en ce sens qu’apparaître à la deuxième place signifie être enclitique (cf.,<br />

parmi d’autres, Marouzeau, 1953 : 73 sqq., et 1949 : 67 sqq.). Kühner et Stegmann<br />

(1914, II : 593) rangent explicitement parmi les enclitiques : autem, enim, igitur (et<br />

quoque et -ne interrogatif), Szantyr (1972 : 400) : autem, enim, nam, etiam, igitur et<br />

quidem.<br />

Afin de décider quelles particules connectives sont véritablement enclitiques et<br />

afin de déterminer le statut des autres, nous partirons du fait que théoriquement, les<br />

particules qui assurent la connexion des phrases peuvent être assujetties à des<br />

restrictions positionnelles, ou non. Les restrictions positionnelles concernent la première<br />

et la non-première place dans la phrase : certaines particules doivent obligatoirement<br />

observer la première place, certaines en sont exclues Ŕ on les appelle alors enclitiques.<br />

Les particules qui ne sont pas soumises à des règles de positionnement peuvent être<br />

nommées « mobiles ». Les mêmes règles s’appliquent à l’intérieur d’une phrase<br />

complexe où elles articulent une proposition 50 .<br />

Les particules chargées d’assurer la connexion des phrases partagent certaines<br />

propriétés : elles ne peuvent pas constituer un mot-phrase ni un focus de la phrase (elles<br />

n’admettent pas l’enclitique lié interrogatif -ne). Certaines peuvent être formées à l’aide<br />

du coordonnant -que (itaque « aussi donc » et namque « et de fait »). Pour leurs<br />

propriétés, voir H. Pinkster (1995 : 328).<br />

Il importe de souligner que nous examinons ici la synchronie du latin classique,<br />

en nous limitant à la prose. Pour pouvoir décider quelles particules sont enclitiques et<br />

lesquelles ne le sont pas, nous n’allons pas faire d’allusions à leur (possible)<br />

comportement enclitique à une autre période du latin (archaïque, postclassique,<br />

tardif…), en particulier, parce que le statut d’un mot peut changer au cours de<br />

l’évolution ; cette question constituerait un sujet de recherche à lui seul.<br />

Notre objectif est donc de présenter des critères qui permettent d’évaluer le<br />

comportement enclitique des particules dans la prose classique, en partant des<br />

principes suivants :<br />

Si une particule doit observer la place initiale, elle est exclue des autres<br />

positions ; la particule n’est pas enclitique.<br />

Si une particule est exclue de la place initiale, elle est enclitique. Elle est<br />

attendue à la deuxième position ; toutefois, il est envisageable qu’elle apparaisse<br />

à la troisième ou à la quatrième (ou autre) position.<br />

Si une particule apparaît à la deuxième, mais est aussi bien admise à la première<br />

position, elle n’est pas enclitique mais « mobile ».<br />

Il reste à définir la « deuxième position ». La deuxième est la position après le<br />

premier mot autonome de la phrase (106) ou de la proposition (107) lorsqu’il s’agit<br />

d’une phrase complexe, par exemple :<br />

49 Voir, par exemple Kühner et Stegmann (1914, II : 113 sqq.).<br />

50 Les particules connectives seront dissociées ici des particules focalisantes qui se postposent au mot<br />

focalisé : quidem et quoque, à tort rangés parmi les enclitiques (voir Wackernagel, 1892 : 85-86, et<br />

Marouzeau, 1953 : 77 parmi d’autres). Pour leur analyse, voir chapitre VI, Le focus, § 5.1.<br />

142


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

(106) Pompeius enim rescripserat… (Caes., Ciu. 1.19.4)<br />

« En effet, Pompée avait répondu… »<br />

(107) Hoc pugnae tempus magnum attulit nostris ad salutem momentum ; nacti enim<br />

spatium se in loca superiora receperunt. (Caes., Ciu. 1.51.6)<br />

« La durée de ce combat donna aux nôtres une occasion pour se sauver ; en effet,<br />

ils eurent le temps de se retirer dans les hauteurs. »<br />

L’enclitique lié -ne 51 ainsi que les prépositions dans la prose classique 52 ne<br />

constituent pas une position ; en revanche, le syntagme nominal est régulièrement<br />

disjoint (in ipsa… Graecia). Dans ces cas, on dira que autem et enim figurent à la<br />

deuxième place :<br />

(108) Sitne autem explicata necne, tecum cognoscam. (Cic., Att. 15.20.4)<br />

« S’il est assuré ou non, je l’examinerai avec toi. »<br />

(109) In ipsa enim Graecia philosophia tanto in honore numquam fuisset, nisi… (Cic.,<br />

Tusc. 2.4)<br />

« En effet, la philosophie n’aurait jamais été en si grand honneur en Grèce ellemême,<br />

si… »<br />

Les mots interrogatifs (cur enim, quis autem, quid uero…), relatifs (quod enim, qui<br />

autem…), les coordonnants 53 (et uero, sed uero), les particules connectives (at enim, at<br />

uero…) ainsi que les subordonnants (ut enim, si autem, cum uero…) représentent bien le<br />

premier mot de la phrase.<br />

8.1. Témoignages antiques<br />

Nous disposons de quelques témoignages antiques concernant le placement des<br />

particules. Bien qu’ils ne se rapportent pas expressément à la synchronie du latin<br />

classique, ils nous semblent précieux. En premier lieu, celui de Quintilien (cité par<br />

Marouzeau, 1953 : 73 et 79) qui qualifie de solécisme le placement de enim et de autem<br />

à l’initiale de la phrase ; en revanche, il observe des doutes à propos de igitur :<br />

(Soloecismus fit)… transmutatione, qua ordo turbatur… : enim hoc uoluit,<br />

autem non habuit’. Ex quo genere an sit ‘igitur’ initio sermonis positum dubitari<br />

potest, quia maximos auctores in diuersa fuisse opinione uideo, cum apud alios<br />

sit etiam frequens, apud alios numquam reperiatur. (Quint., Inst. 1.5.38)<br />

« (Le solécisme)… résulte… d’une transposition génératrice de désordre :<br />

…enim hoc uoluit, autem non habuit’. Igitur placé au début d’une phrase,<br />

appartient à cette dernière catégorie, mais on peut hésiter, car je vois que les<br />

meilleurs garants se sont divisés sur ce point, les uns ayant souvent placé igitur<br />

ainsi, les autres jamais. » (trad. C.U.F.)<br />

51<br />

Les enclitiques enim, autem et uero ne suivent jamais ni le coordonnant -que, ni le disjonctif -ue (voir<br />

BTL).<br />

52<br />

Sur la possibilité de placer la particule entre la préposition et le terme régi voir Marouzeau (1953 : 73)<br />

qui renvoie à Cic. Tim. 46 (la citation correcte est : post autem eam sationem « après cette distribution »,<br />

Cic., Tim. 13). C’est probablement l’unique exemple chez Cicéron, car nous n’en avons pas rencontré<br />

d’autres.<br />

53<br />

Il convient de noter que enim s’est soudé avec et pour former etenim « et de fait » ; en revanche, enim<br />

ne se combine pas avec sed. Autem ne se combine ni avec et ni avec sed.<br />

143


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Sa formulation porte à conclure que enim et autem 54 , exclus de la première<br />

place, sont donc enclitiques ; en revanche, igitur semble être admis, en principe, à<br />

l’initiale 55 .<br />

Cette observation se confirme ensuite par les témoignages de Priscien et<br />

Cledonius, le premier faisant également mention de ergo :<br />

Igitur et ergo tam praeponuntur, tam supponuntur. (Prisc. 3.369.5)<br />

Sunt mediae coniunctiones ut igitur : qua parte uoluero, licenter pono, et stat<br />

elocutio, ut : ‘igitur hoc faciam’ et ‘hoc igitur faciam’. (Cledon. 5.74.16)<br />

En outre, Priscien (3.105.4) range itaque dans la même catégorie.<br />

8.2. Les particules enclitiques : enim, autem et uero<br />

Enim 56 « en effet » et autem « or » sont généralement comptés parmi les<br />

enclitiques (voir ci-dessus, introduction au § 8), uero « de fait » n’est considéré comme<br />

tel que par certains grammairiens (parmi eux, Marouzeau, 1953 : 75 et 77).<br />

En nous concentrant sur la prose latine classique, nous allons examiner en détail<br />

la position occupée par ces mots dits « accessoires ». Considérons d’abord leur place<br />

chez César et Salluste, dans l’ensemble de leurs œuvres.<br />

Tableau 7 : La place de enim, autem et uero chez César et Salluste (BTL)<br />

Particule Auteur 1 ère place 2 e place Autre place<br />

Enim César 0 81 0<br />

Salluste 0 10 0<br />

Autem César 0 59 1<br />

Salluste 0 18 0<br />

Vero César 0 73 0<br />

Salluste 0 25 1<br />

Total 0 266 2<br />

Le tableau montre que enim, autem et uero figurent régulièrement à la deuxième<br />

place et articulent une phrase ou une proposition (enim : 91 occurrences, autem : 77,<br />

uero : 98). Jamais ils ne sont placés à l’initiale absolue. Le seul exemple d’une place<br />

autre que deuxième se rencontre, chez Salluste pour uero (Iug. 105.3 : numerum<br />

ampliorem uero) et chez César pour autem 57 :<br />

(110) Tempus erat autem difficillimum quo neque frumenta in cauernis erant... (Caes.,<br />

Ciu. 1.48.5)<br />

54<br />

Autem à l’initiale est qualifié de solécisme également par Charisius (1.267.19) et d’autres<br />

grammairiens, voir ThLL, s. u., p. 1577.<br />

55<br />

Quintilien emploie lui-même igitur 16 fois à l’initiale, 114 fois à la deuxième et 24 fois à la troisième<br />

place (E. B. Lease, « Notes on Quintilian », The Classical Review, 13, 1899 : 130). Voir également E.<br />

Woelfflin, « Igitur », Archiv für lateinische Lexicographie und Grammatik, 3, 1886 : 560-561, et J.<br />

Cousin, Quintilien, Institution oratoire, tome I, livre I, Paris, 1975, notes complémentaires, p.166.<br />

56<br />

Enim contribue à former etenim « et de fait » et enimuero « c’est un fait » ; ce dernier est admis à la<br />

première position de la phrase, fait qui pourrait s’expliquer par l’ancienne valeur adverbiale de enim<br />

« bien sûr » (cf. Lodge, 1933, I : 494).<br />

57<br />

Cet ordre, erat autem, est adopté dans l’édition Teubner ; certains manuscrits présentent l’ordre tempus<br />

autem erat.<br />

144


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

« D’autre part, c’était un moment très difficile, où il n’y avait plus de blé dans<br />

les meules… »<br />

Unique dans la prose historique, ce placement est plus fréquent chez Cicéron.<br />

Dans l’ensemble de ses œuvres, enim apparaît 6 383 fois, autem 4 092. Le tableau<br />

suivant montre le nombre d’occurrences à la deuxième et troisième (rarement<br />

quatrième) place Ŕ enim et autem sont évités à l’initiale absolue. Vero « mais », avec<br />

2 280 occurrences 58 , ne manifeste pas la même tendance : il occupe surtout la deuxième<br />

place 59 . Il existe quelques occurrences de uero « véritablement » avec une fonction<br />

différente, à l’initiale absolue ; elles seront examinées plus loin (§ 8.3.3).<br />

Tableau 8 : La place de enim, autem et uero chez Cicéron (BTL 1999)<br />

Particule 1 ère place 2 e place 3 e (4 e ) place Total<br />

enim 0 5 987 396 (6 %) 6 383<br />

autem 0 3 964 128 (3 %) 4 092<br />

uero 0 2 268 12 (0,5 %) 2 280<br />

Le placement uniforme à la deuxième position chez César et Salluste, mais plus<br />

variable chez Cicéron s’explique par la fréquence de ces mots et par le genre littéraire.<br />

En effet, les historiens ont moins souvent recours à des connecteurs conclusifs et<br />

adversatifs que Cicéron dans ses œuvres, qu’il s’agisse de ses écrits rhétoriques,<br />

philosophiques, de ses discours ou de sa correspondance 60 . De même, ils utilisent<br />

relativement peu les constructions qui seront concernées par cette place ultérieure (voir<br />

ci-dessous, § 8.3).<br />

8.3. La troisième place de enim et autem<br />

Il convient de procéder à l’examen des cas où enim et autem sont repoussés de la<br />

deuxième place. Ils ont été signalés et énumérés par J. Marouzeau (1949 : 86 sqq.) ;<br />

selon lui, ce procédé s’explique par un souci de maintenir l’unité de termes précédant la<br />

particule. Dans son article, J. N. Adams (1994a) a constaté, en se référant à W. S. Watt<br />

(1980), que enim figure à une place autre que la deuxième lorsqu’il est précédé par un<br />

groupe de mots comportant une forme du verbe sum. Sous cet angle, nous avons classé<br />

les occurrences de enim et autem et avons abouti aux résultats suivants :<br />

Tableau 9 : Troisième place de enim et autem chez Cicéron (BTL)<br />

Particule combinaison<br />

avec sum<br />

a<br />

parfait passif<br />

b<br />

145<br />

gérondif<br />

c<br />

autre<br />

syntagme<br />

Total<br />

Enim 313 39 18 26 396<br />

Autem 52 1 2 72 127<br />

58<br />

Dont 5 occurrences de enim uero et approximativement une vingtaine d’occurrences de uero abl. sg.<br />

59<br />

Certaines séquences sont récurrentes, par exemple tum uero et neque uero (Cic., Phil. 1.9), itane uero ?<br />

« comment donc ? » (Cic., Dom. 4).<br />

60<br />

En ce qui concerne le pourcentage obtenu par les genres littéraires, le placement de enim à une autre<br />

position que deuxième représente 6 % dans les discours, 8 % dans les œuvres rhétoriques et<br />

philosophiques, et seulement 4 % dans la correspondance.


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Le tableau met en évidence que enim occupe la troisième place lorsqu’une forme<br />

du verbe sum intervient, qu’il s’agisse d’une construction avec le verbe sum ou d’un<br />

sum auxiliaire contribuant à former un parfait passif ou un gérondif, soit dans 93 % des<br />

cas. Pour autem, le pourcentage ne s’élève qu’à 43 %.<br />

Par commodité, nous avons intitulé le tableau la « troisième place de enim et<br />

autem » car les occurrences à une place ultérieure sont minimes : enim est placé en<br />

quatrième mot à trois reprises, autem à quatre reprises 61 ; autem figure une fois à la<br />

cinquième place.<br />

8.3.1. Absence de la disjonction<br />

Il convient d’analyser d’abord les cas les moins nombreux, ceux concernant le<br />

placement de enim et de autem à la troisième position, après un syntagme (colonne<br />

‘autre syntagme’, dans le tableau 9). On sait que normalement, enim et autem<br />

produisent des disjonctions (cf. Marouzeau, 1953 : 76) ; Cicéron insère donc<br />

régulièrement ces particules entre les constituants d’un syntagme nominal :<br />

(111) Hanc enim perfectam philosophiam semper iudicaui, quae… (Cic., Tusc. 1.7)<br />

« J’ai toujours estimé en effet que la philosophie idéale est celle qui… »<br />

En revanche, dans un certain nombre de cas (26 pour enim, 72 pour autem),<br />

Cicéron tâche de maintenir ensemble ce qui appartient à un ensemble. Mis à part de<br />

rares cas du type : de re publica enim… (Cic., Fam. 15.16.3) où on peut considérer re<br />

publica comme une unité lexicale, l’absence de disjonction se produit dans les groupes<br />

suivants : pronom exclamatif/interrogatif quam suivi d’un adjectif (exemple 112, multus<br />

à cinq reprises pour enim), moins fréquemment dans un autre syntagme nominal (113),<br />

et négation et terme nié (114). Des exemples typiques sont donnés ci-dessous :<br />

(112) Quam multi enim iam oratores commemorati sunt ! (Cic., Brut. 138)<br />

« Combien d’orateurs ont en effet déjà été cités ! »<br />

(113) Facultatum infirmatione autem utetur, si… (Cic., Part. orat. 119)<br />

« En ce qui concerne les possibilités d’exécution, pour les infirmer, on montrera<br />

que… » (trad. C.U.F.)<br />

(114) Non lubet enim mihi deplorare uitam. (Cic., Cato M. 84)<br />

« Je ne veux pas me plaindre de la vie. »<br />

Il importe de souligner que les phrases comportant un enim ou un autem à la troisième<br />

place sont interrogatives ou exclamatives introduites par un pronom ou un adjectif (9<br />

occurrences pour enim, 20 pour autem), et que la négation apparaît fréquemment (4 non<br />

pour enim ; 12 non et 3 nihil pour autem) ; de même, le premier mot est représenté par<br />

des subordonnants tels cum, ut, quod… (8 occurrences pour autem).<br />

8.3.2. Le verbe sum et les particules enim et autem<br />

Le verbe sum, en particulier sa forme de la troisième personne du singulier, est,<br />

est considéré par de nombreux chercheurs comme enclitique. Selon l’explication de J.<br />

N. Adams (1994a : 8) 62 , est s’accroche à un mot emphatique, ce qui serait en accord<br />

61 Par exemple : Duae res sunt enim quae… (Cic., Orat. 128) « Il y a, en effet, deux moyens qui… » (avec<br />

toutefois une variante textuelle de duo), ou quae uis est enim quae… (Cic., Parad. 3.23) « quelle force est<br />

plus capable de… ».<br />

62 Tel que le conçoit J. N. Adams (1994a : 12), enclitique, le verbe sum n’obéit pas à la loi de<br />

Wackernagel.<br />

146


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

avec la tendance de est à l’aphérèse 63 en latin archaïque du type factust pour factus est<br />

(p. 86). Ainsi s’expliqueraient les occurrences de type :<br />

(115) Non est enim philosophia similis artium reliquarum (Cic., De orat. 3.79)<br />

« En effet, il n’en est pas de la philosophie comme des autres sciences. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

On voit ici que enim est repoussé à la troisième place (voir Watt 1980) 64 et non est est<br />

traité comme une unité syntaxique (Adams, 1994a : 13). Cette explication est tentante<br />

pour plusieurs raisons. D’abord, parce que la forme est intervient, pour enim, dans 92 %<br />

des cas, et dans 84 % pour de autem 65 ; ensuite, parce que le monosyllabe 66 est, formant<br />

une unité avec le mot qui le précède, ne constituerait pas une « position » pour le<br />

placement de enim. En outre, il est remarquable que est s’attache surtout aux mots<br />

négatifs, aux adjectifs quantificatifs (omnis) et intensifs (magnus) et aux démonstratifs<br />

(cf. Adams, 1994a : 9-28).<br />

L’explication de sum enclitique proposée par J. N. Adams soulève cependant<br />

une réserve. En effet, la forme est (pour nous concentrer sur cette forme la plus faible)<br />

peut aisément constituer une position et être directement suivie par enim ou autem.<br />

Chez Cicéron, à l’initiale absolue de la phrase ou à l’initiale d’une proposition, on<br />

rencontre 176 occurrences de est enim et 56 de est autem, qu’il s’agisse d’un est copule,<br />

existentiel ou auxiliaire, par exemple :<br />

(116) Est enim turpe iudicium. (Cic., Caecin. 7)<br />

« La sentence est en effet diffamante. »<br />

(117) Est enim in nobis is animus, Quirites, ut… (Cic., Cat. 3.28)<br />

« En effet, j’ai assez de cœur, citoyens, pour… »<br />

(118) Est enim ita decretum ut… (Cic., Phil. 6.9)<br />

« En effet, il a été décrété que… »<br />

Mais pour revenir à la question de enim et autem à la troisième place, précédés<br />

par est, après avoir regroupé les occurrences, nous avons relevé des constructions<br />

récurrentes qui apparaissent à l’initiale : prédicat impersonnel formé avec un adjectif<br />

neutre (119), pronom négatif, interrogatif ou démonstratif complété plus loin par une<br />

relative attribut (120) ou par un adjectif quelquefois précédé par tam (121) ; adjectif en<br />

attribut (122), le sujet étant postposé, et enfin, sum existentiel (123), y compris non est.<br />

Ces constructions, dénombrées et exemplifiées ci-dessous, représentent 81 % et 83 %<br />

des cas indiqués au tableau 9, colonne a.<br />

63<br />

Or, J. Soubiran (1966 : 183) considère l’aphérèse, aussi bien que l’élision, comme « une synalèphe où<br />

aucun des phonèmes n’est exempt d’altération ». L’aphérèse de es et est ne se produit pas dans n’importe<br />

quel contexte, mais elle est conditionnée par l’environnement phonologique.<br />

64<br />

W. S. Watt (1980) conclut que la forme est repousse enim à la troisième place, alors qu’un pronom<br />

jamais (p. 122).<br />

65<br />

À savoir, par rapport aux occurrences impliquant le verbe sum Ŕ voir tableau 9, colonnes a, b et c. Pour<br />

enim, nous avons relevé 340 est, 20 sunt, 4 erat, 2 fuit et sit, 1 es et erit ; pour autem : 46 est, 3 sunt, 2<br />

esse et erat, 1 sit et sum.<br />

66<br />

W. S. Watt (1980 : 123) cite d’autres monosyllabes (non, quid, quae, hoc, ius…) qui forment une unité<br />

syntaxique avec le second mot. Or, un monosyllabe n’empêche pas, en principe, le placement second de<br />

enim car les séquences non enim (324 occurrences), hoc enim (38 occ.), quid enim (295 occ.), ius enim (5<br />

occ.) sont bien attestées chez Cicéron (BTL).<br />

147


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Tableau 10 : Est enim/autem chez Cicéron (BTL)<br />

Occurrences (P = particule) enim autem<br />

(119) difficile est P tacere 45 6<br />

(120) nemo/quis/is est P qui 61 14<br />

(121) nemo est P (tam) 46 7<br />

(122) optumus est P orator (qui) 47 8<br />

(123) duo sunt P aditus (quorum) 54 8<br />

Total 253 43<br />

Les configurations types sont exemplifiées ci-dessous :<br />

(119) Difficile est enim tacere, cum doleas. (Cic., Sulla 31)<br />

« Car il est difficile de se taire lorsque tu souffres. »<br />

(120a) Nemo est enim iam qui queratur. (Cic., Att. 1.20.4)<br />

« Personne, en effet, ne se plaint. »<br />

(120b) Quid est enim, Catilina, quod te iam in hac urbe delectare possit ? (Cic., Cat.<br />

1.13)<br />

« Quel charme, Catilina, peut encore avoir pour toi cette ville ? » (trad. C.U.F.)<br />

(121) Nihil est enim beneficentia praestantius. (Cic., Diu. 1.82)<br />

« Rien, en effet, n’est supérieur à la bienfaisance. »<br />

(122) Magna est enim pecunia. (Cic., Verr. 2.3.201)<br />

« En effet, la somme d’argent est considérable. »<br />

(123a) Duo sunt enim aditus in Ciliciam ex Syria… (Cic., Fam. 15.4.4)<br />

« Il y a en effet deux accès pour pénétrer de Syrie en Cilicie… »<br />

(123b) Non est autem diuinatio ; non sunt ergo di. (Cic., Diu. 2.41)<br />

« Or la divination n’existe pas ; donc les dieux n’existent pas. »<br />

Ces résultats appellent deux analyses complémentaires : l’une, concernant les<br />

prédicats impersonnels de type difficile est (type 119), l’autre, les constructions de type<br />

nemo est… qui (type 120) « il n’y a personne qui » Ŕ « personne ne… ».<br />

8.3.2.1. Difficile est enim<br />

Afin de vérifier la pertinence de l’observation précédente concernant la<br />

postposition des particules enclitiques dans les constructions de type difficile est +<br />

complétive, nous avons examiné 71 occurrences de prédicats impersonnels (necesse,<br />

facile, difficile, aequum, satis, perspicuum et longum est/erat/fuit) complétés par une<br />

infinitive ou une conjonctive, qui apparaissent ensemble avec les connecteurs enim,<br />

autem et uero. L’analyse montre deux modèles principaux :<br />

difficile est + P … 25 occurrences<br />

… P (…) difficile est (…) 40 occurrences<br />

(124) Necesse est enim in suum quaeque locum natura rapiatur. (Cic., Nat. deor. 3.34)<br />

« Car chacun d’eux est nécessairement entraîné, par la nature, à sa place. »<br />

(125) Mihi autem difficile est satis copiose de eo dicere, quod... (Cic., Tull. 2)<br />

« Pour moi, au contraire, il est difficile de parler avec assez d’abondance à<br />

propos du fait que… »<br />

148


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Les prédicats impersonnels ont donc tendance à maintenir leurs parties<br />

constitutives ensemble (difficile est), bien qu’une particule enclitique intervienne. En<br />

outre, l’ordre du groupe est majoritairement adjectif + est (erat, fuit) sans disjonction ;<br />

l’ordre inverse est (erat, fuit) + adjectif ne se produit que dans 8 cas (11 %). La<br />

disjonction n’intervient jamais dans le cas de necesse est/erat/fuit (40 occurrences) ; en<br />

revanche, nous en avons noté pour facile, difficile et perspicuum – 6 occurrences au<br />

total, soit 8 %, dans l’ordre est/erat/fuit… difficile. Elle peut résulter du sémantisme de<br />

l’adjectif : ces expressions sont des appréciations subjectives du locuteur. Un exemple<br />

pour l’illustrer, avec erat en tête de la phrase :<br />

(126) Erat enim non facile agentis aliquid et molientes deos in aliarum formarum<br />

imitatione seruare. (Cic., Nat. deor. 1.76)<br />

« Car il n’était pas facile de représenter sous une forme autre qu’humaine des<br />

dieux agissants, s’appliquant à quelque entreprise. »<br />

8.3.2.2. Nemo est enim qui<br />

Les constructions de type nemo est enim qui est un autre type récurrent dans le<br />

corpus cicéronien et la négation, on l’a vu, est souvent responsable du placement de est<br />

devant enim (Adams, 1994a : 9). Nous proposons d’examiner quelques séquences pour<br />

observer s’il y a des variations. Nous avons choisi des mots négatifs (nihil, nullus, nemo<br />

et non) et interrogatifs (quis, quid) en combinaison avec enim et autem 67 . Voici les<br />

résultats :<br />

Tableau 11a : Est enim/autem vs. enim/autem est chez Cicéron (BTL)<br />

nihil est enim 57 nihil enim est 13<br />

quid est enim 36 quid enim est 28<br />

nullus/a/um est enim 16 nullus/a/um enim est 2<br />

quis est enim 15 quis enim est 12<br />

non est enim 9 non enim est 6<br />

nemo est enim 8 nemo enim est 2<br />

nihil est autem 6 nihil autem est 4<br />

quid est autem 10 quid autem est 6<br />

nullus/a/um est autem 1 nullus/a/um autem est 1<br />

quis est autem 2 quis autem est 3<br />

non est autem 3 non autem est 0 68<br />

nemo est autem 0 nemo autem est 0<br />

Les expressions énumérées ci-dessus, si nombreuses pour … est enim,<br />

représentent 45 % des occurrences indiquées dans la colonne a du tableau 9 ; pour …est<br />

autem, 42 %.<br />

Si dans certains cas, un ordre est nettement privilégié, par exemple nihil est enim<br />

(57 occurrences) ou nullus est enim (16 occurrences), dans les autres cas, les différences<br />

67 Vero n’apparaît pratiquement jamais dans de telles séquences.<br />

68 Alors que non apparaît normalement dans la séquence non enim et constitue ainsi une position, les<br />

séquences non autem sont rares et se limitent à trois occurrences de la formule : non autem hoc (Cic., Fin.<br />

4.55 ; Top. 56 et 57) « or ceci n’est pas ».<br />

149


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Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

ne semblent pas significatives et les deux ordres, avec est devant ou après la particule,<br />

pourraient être pris pour des variantes.<br />

Considérons à présent, tout en nous concentrant sur enim qui est le plus fréquent,<br />

la cooccurrence avec un pronom relatif, quod ou qui selon les cas, ainsi que celle avec<br />

l’adverbe tam. Force est de vérifier si la présence d’une relative ou d’un adjectif précédé<br />

par tam entraîne telle ou telle séquence.<br />

Tableau 11b : Est enim/autem vs. enim/autem est chez Cicéron (BTL)<br />

+quod,<br />

+qui<br />

+tam +quod,<br />

+qui<br />

150<br />

+tam<br />

nihil est enim 21 9 nihil enim est 4 2<br />

nullus/a/um est enim 7 Ŕ nullus/a/um<br />

est<br />

enim 1 Ŕ<br />

nemo est enim 8 1 nemo enim est 2 1<br />

quis est enim 15 1 quis enim est 9 3<br />

quid est enim 5 3 quid enim est 8 5<br />

Ces données nous permettent de conclure que dans les constructions de type<br />

nihil est quod… et nihil est tam…, la particule enim privilégie la place après est ; de<br />

même, dans nullus est qui et nemo est qui. Voici des exemples typiques :<br />

(127) Nihil est enim, quod ad artem redigi possit. (Cic., De orat. 1.186)<br />

« En effet, rien ne peut être réduit en système. »<br />

(128) Nihil est enim tam miserabile quam ex beato miser. (Cic., Part. orat. 57)<br />

« En effet rien n’est aussi déplorable qu’un bienheureux devenu misérable. »<br />

(129) Nemo est enim qui nesciat… (Cic., Sex. Rosc. 130)<br />

« Car il n’est personne qui ne le sache… »<br />

Or, il ne s’agit que d’une tendance observée et non pas d’une obligation (130) ; nous<br />

avons même noté une occurrence de est à l’initiale 69 (131) :<br />

(130) Nihil enim est, quod non fieri possit. (Cic., Cluent. 70)<br />

« Car il n’est rien qui ne puisse arriver. »<br />

(131) Est enim nihil utile quod idem non honestum. (Cic., De off. 3.110)<br />

« Il n’est en effet rien d’utile qui ne soit en même temps digne d’estime. »<br />

Les séquences avec des pronoms interrogatifs sont moins nettes : nous<br />

constatons des variations sans motivations syntaxique ou sémantique :<br />

(132) Quis est enim qui hoc non intellegat... ? (Cic., Phil. 4.4)<br />

« Est-il, en effet, quelqu’un qui ne se rende pas compte de ceci : ... »<br />

(133) Quis enim est, qui non uideat haec esse in natura rerum tria ? (Cic., Fin. 2.16)<br />

« Qui ne voit en effet qu’il y a ces trois états dans notre nature ? »<br />

Chez Cicéron, la troisième place de enim est en corrélation avec des<br />

constructions comportant le verbe sum, en particulier à la forme est ; la cooccurrence<br />

avec est est moindre pour autem. La troisième place de ces deux particules Ŕ ce qui<br />

n’infirme en rien leur statut enclitique Ŕ semble due au souci de maintenir l’unité<br />

69 Cf. également est enim nulla alia opinio (Cic., Tusc. 3.25.61) « il n’y en a pas d’autre que l’opinion ».


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Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

syntaxique de deux éléments qui autrement pourraient être disjoints. Cependant, il ne<br />

s’agit que d’un choix possible parmi d’autres.<br />

8.3.3. Vero à l’initiale<br />

Vero est placé régulièrement en deuxième mot de la phrase. L’ensemble des<br />

œuvres de Cicéron, où uero apparaît 2 280 fois, donne neuf occurrences de ce mot à<br />

l’initiale absolue de la phrase, soit 0,4 %. Or dans ces cas, il ne s’agit pas d’un<br />

connecteur adversatif au sens de « mais », mais d’un adverbe signifiant<br />

« véritablement », « en réalité », par exemple :<br />

(134) Sed tu, inquit me intuens, orationes nobis ueteres explicabis ? – Vero, inquam,<br />

Brute. (Cic., Brut. 300)<br />

« Mais toi, ajouta-t-il en se tournant vers moi, nous expliqueras-tu les discours<br />

des Anciens ? Ŕ Certainement, Brutus, répondis-je. »<br />

8.4. Igitur et ergo<br />

Il convient d’examiner à présent l’emploi de igitur 70 « donc » et de ergo « par<br />

conséquent » dans la prose latine classique 71 . Le tableau suivant présente les résultats de<br />

l’analyse.<br />

Tableau 12 : La place de igitur (BTL)<br />

Auteur 1 ère place 2 e place 3 e place Autre place Total<br />

César 0 1 0 0 1<br />

Salluste 70 4 1 1 76<br />

Cicéron 33 1 740 301 17 2 091<br />

En comparant les résultats, nous constatons que les emplois de igitur chez<br />

Cicéron et chez Salluste manifestent une tendance opposée : alors que Cicéron le place<br />

en deuxième position de la phrase (83 %), Salluste préfère la première (92 %) 72 . La<br />

première place chez Cicéron est minime (1,6 %) dans l’ensemble, mais reste possible.<br />

En comparaison avec les particules enim et autem, nous pouvons remarquer que la<br />

troisième place atteint 14 % dans le cas de igitur 73 (cf. 6 % pour enim et 3 % pour<br />

autem) et qu’une autre place, quatrième ou cinquième, se rencontre aussi bien (0,8 %).<br />

Igitur bénéficie ainsi d’une plus grande mobilité.<br />

Bien que le placement après le premier mot de la phrase soit statistiquement<br />

dominant chez Cicéron, la possibilité de figurer à la première place nous amène à<br />

conclure que igitur ne se comporte pas comme un enclitique en latin classique 74 . En<br />

revanche, nous pouvons dire que Cicéron préfère l’introduire à la deuxième position 75 .<br />

70 Le corpus de la BTL enregistre une seule occurrence de igiturque (Colum., Rust. 6, praef.). Les<br />

combinaisons avec -ne et -ue sont inexistantes. Ergo n’est jamais combiné avec les enclitiques non liés.<br />

71 Igitur et ergo sont considérés comme enclitiques par J. Marouzeau (1949 : 111 et 117).<br />

72 Kühner et Stegmann (1914, II : 132) font observer que la place de igitur diffère selon les auteurs ; cf.<br />

également J. Marouzeau (1949 : 113) sur la première place de igitur chez les historiens.<br />

73 Sur la troisième place de igitur voir Kühner et Stegmann (1914, II : 132).<br />

74 Cela n’exclut pas la possibilité de devenir un véritable enclitique à une période postérieure du latin. Cf.<br />

Le tableau concernant ergo et igitur dans le ThLL, s. u. ergo, p. 759. La réponse à une telle question<br />

nécessiterait une étude détaillée.<br />

75 Nous avons noté deux cooccurrences de igitur et d’un nom propre ; dans les deux cas, igitur se place<br />

après le nomen : C. Sicinius igitur (Cic., Brut. 263) Ŕ cf. ci-dessus, note 11, concernant le placement de<br />

151


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Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

(135) Igitur imperator omnis fere res asperas per Iugurtham agere… (Sall., Iug. 7.6)<br />

« Aussi le général confiait-il presque toujours à Jugurtha les missions<br />

difficiles… »<br />

(136) Fuit igitur causa capiendi noui consili. (Cic., Dom. 14)<br />

« Il y avait donc lieu de prendre une mesure exceptionnelle. »<br />

(137) Hanc uos igitur, pontifices, iudicio atque auctoritate uestra tribuno plebis<br />

potestatem dabitis, ut proscribere possit quos uelit ? (Cic., Dom. 44)<br />

« Donnerez-vous, pontifes, à un tribun de la plèbe par votre sentence et votre<br />

autorité ce pouvoir de proscrire qui bon lui semblera ? » (trad. C.U.F.)<br />

La place occupée par ergo est indiquée dans le tableau suivant :<br />

Tableau 13 : La place de ergo (BTL)<br />

Auteur 1 ère place 2 e place 3 e place Autre place Total<br />

César 0 3 0 0 3<br />

Salluste 1 2 0 0 3<br />

Cicéron 273 313 29 5 620<br />

Le nombre peu élevé d’occurrences chez César et chez Salluste ne nous permet<br />

pas de formuler de conclusions. En revanche, une tendance peut être observée chez<br />

Cicéron : ergo figure à la deuxième place dans 50 % des cas, à la première dans 44 %.<br />

Ergo n’est pas une particule enclitique en latin classique.<br />

Occupant la position non initiale chez Cicéron, igitur et ergo apparaissent assez<br />

fréquemment dans la phrase interrogative : dans 33 % (672 occurrences) des cas pour<br />

igitur, 58 % (201 occurrences) pour ergo 76 . Ces particules connectives ne précèdent<br />

jamais un mot interrogatif (exemples 138 et 139) et évitent la place initiale, si ce dernier<br />

est absent (140).<br />

(138) Quis ergo intererat uestris consiliis ? (Cic., Sulla 12)<br />

« Qui donc était associé à vos délibérations ? »<br />

(139) Num ergo etiam armorum interpretes quaerimus ? (Cic., Phil. 5.9)<br />

« Demandons-nous donc aussi des interprètes pour les armes ? »<br />

(140) Ibit igitur in exilium miser ? Quo ? (Cic., Mur. 89)<br />

« Partira-t-il pour l’exil, l’infortuné ? Où ? »<br />

Le premier mot dans les phrases déclaratives comportant igitur ou ergo est, à<br />

plusieurs reprises, représenté par un mot relevant des catégories suivantes 77 :<br />

l’enclitique enim après le praenomen. En revanche, ergo ne se rencontre pas en combinaison avec un nom<br />

propre.<br />

76 La séquence quid ergo ? apparaît à 119 reprises, par exemple Cic., Cat. 2.18.19 ou Brut. 100.<br />

77 Il importe de noter que les syntagmes nominaux sont généralement disjoints par la particule, par<br />

exemple : Eorum igitur malorum in una uirtute posita sanatio est. (Cic., Tusc. 4.35) « Dans tous ces<br />

maux donc la guérison ne peut être obtenue que par la seule vertu. » ; cependant, nous n’avons pas noté<br />

d’exemples où le praenomen serait séparé du nomen, comme c’est fréquemment le cas pour enim, par<br />

exemple : C. Sicinius igitur… (Cic., Brut. 263) « Donc Gaius Sicinius… ». En revanche, les prédicats<br />

constitués de plusieurs éléments sont souvent maintenus ensemble, par exemple les prédicats<br />

impersonnels : probabile est igitur… (Cic., Nat. deor. 2.43) « il est donc vraisemblable que… » ; verbe et<br />

sa négation : Non est igitur uoluptas bonum. (Cic., Fin. 1.39) « Donc le plaisir n’est pas un bien. » ;<br />

152


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Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Tableau 14 : Mots précédant igitur et ergo chez Cicéron (BTL 1999)<br />

igitur ergo<br />

verbe à l’indicatif 13 % (264 occ.) 7 % (23 occ.)<br />

anaphorique/démonstratif 10 % (207 occ.) 5 % (16 occ.)<br />

mot négatif (non, nemo…) 4 % (82 occ.) 4 % (14 occ.)<br />

subordonnant 3 % (70 occ.) 2 % (8 occ.)<br />

Par exemple :<br />

(141) Fuisti igitur apud Laecam illa nocte, Catilina, distribuisti partis Italiae... (Cic.,<br />

Cat. 1.9)<br />

« Donc, Catilina, en cette nuit, tu as été chez Laeca. Tu as partagé l’Italie… »<br />

(142) (Senectus) Caret epulis extructisque mensis et frequentibus poculis ; caret ergo<br />

etiam uinulentia et cruditate et insomniis. (Cic., Cato M. 44)<br />

« La vieillesse ignore les festins, les tables dressées et les coupes nombreuses ;<br />

elle ignore donc aussi l’ivresse, l’indigestion et les insomnies. »<br />

(143) Haec igitur Epicuri non probo, inquam. (Cic., Fin. 1.26)<br />

« Je n’accepte pas ces idées d’Épicure, dis-je. »<br />

Le verbe à l’indicatif qui obtient 13 % des cas pour igitur, peut représenter le focus (en<br />

141, il s’agit d’un verum-focus) mais aussi véhiculer une information connue, comme<br />

caret répété en (142).<br />

Il importe de signaler qu’à plusieurs reprises, igitur suit les verbes à l’impératif<br />

(67 occ., soit 3 %) 78 ou au subjonctif (76 occ., soit 4 %) ; pour ergo, cela se manifeste<br />

dans une moindre mesure (3 occ. de l’impératif et 12 du subjonctif) :<br />

(144) Reddite igitur, patres conscripti, ei uitam cui ademistis. (Cic., Phil. 9.10)<br />

« Rendez donc, pères conscrits, la vie à celui que vous en avez privé. »<br />

(145) Agamus igitur, ut coepimus. (Cic., Tusc. 2.13)<br />

« Poursuivons donc ce que nous avons commencé. »<br />

Tous ces contextes privilégiés de igitur et ergo, à savoir l’interrogation, l’ordre et<br />

l’exhortation, semblent être en accord avec leur valeur sémantique : il s’agit de<br />

particules conclusives au sens de « donc ».<br />

8.5. Nam et itaque<br />

Le placement de nam 79 « car » et de itaque 80 « ainsi donc » chez les prosateurs<br />

classiques (BTL) feront l’objet de l’enquête suivante :<br />

déponents et passifs : Oblitusne es igitur fungorum… ? Cic., Fam. 9.10.2) « As-tu donc oublié ces fameux<br />

champignons… ?, sans que ce soit une règle absolue.<br />

78 Mais cf. hoc igitur explica. (Cic., Att. 16.8.2) « ainsi résous ce problème » avec un anaphorique en tête.<br />

79 Nam contribue à former la particule namque « et de fait ».<br />

80 Pour itaque, voir ThLL, s. u. et s. u. ergo. Cf. Kühner et Stegmann (1914, II : 113 et 130) qui constatent<br />

la première place. Cf. également J. Marouzeau (1949 : 111).<br />

153


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Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

Tableau 15 : La place de nam et itaque (BTL)<br />

Particule Auteur 1 ère place Autre place<br />

Nam César 67 0<br />

Salluste 117 0<br />

Cicéron 2 293 0<br />

Itaque César 80 0<br />

Salluste 36 0<br />

Cicéron 1 175 0<br />

Leur placement à l’initiale, qui représente 100 % des occurrences, nous permet<br />

de conclure que cette place leur est obligatoire. Nam et itaque se positionnent alors<br />

devant les conjonctions et les mots interrogatifs.<br />

(146) Nam quis est qui utilia fugiat ? (Cic., De off. 3.101)<br />

« Car quel est celui qui fuit les choses utiles ? »<br />

(147) Itaque quando illius postea sica illa quam a Catilina acceperat conquieuit ?<br />

(Cic., Mil. 37)<br />

« Quand donc, depuis ce temps, le poignard que Clodius avait reçu de Catilina<br />

est-il resté inactif ? » (trad. C.U.F.)<br />

8.6. Tamen, tandem, uidelicet, nimirum…<br />

D’autres mots qualifiés d’« accessoires » (voir Marouzeau, 1953 : 75-77 et<br />

1949 : 94) sont parfois rangés parmi les enclitiques : tamen, tandem, nimirum,<br />

uidelicet…, pour n’en mentionner que quelques-uns. Le fait qu’ils apparaissent<br />

fréquemment à la deuxième place n’est pas une preuve de leur statut enclitique, car ils<br />

n’observent pas cette place de manière systématique.<br />

Tamen « pourtant » est loin d’être exclu de la première place de la proposition et<br />

occupe même la première place de la phrase (exemple 148) 81 . En outre, il manifeste la<br />

capacité d’admettre l’enclitique lié -ne (149) (voir <strong>Spevak</strong>, à paraître, e). Le prendre<br />

pour un enclitique serait complètement injustifié.<br />

(148) Tamen quem erat aequissimum contra Cn. Pompei liberos pugnare ? (Cic.,<br />

Phil. 2.75)<br />

« Qui donc pouvait, malgré tout, combattre le plus justement les enfants de<br />

Pompée ? »<br />

(149) Si horum ego nihil cogito et idem sum in re publica qui fui semper, tamenne<br />

libertatem requires meam ? (Cic., Planc. 93)<br />

« Si je ne pense à rien de semblable, si je suis dans l’État celui que j’ai toujours<br />

été, déploreras-tu, malgré cela, ma liberté ? »<br />

Tandem « enfin » occupe des places variées et peut figurer à l’initiale absolue<br />

(par exemple Cic., Cat. 2.1.13, ou Cael. 68). Il se rencontre même en cooccurrence avec<br />

une particule enclitique enim (150), ce qui nous amène à conclure que tandem ne relève<br />

pas de la même catégorie que enim et représente plutôt un adverbe. Cependant en latin<br />

classique, tandem ne se combine pas avec des enclitiques liés 82 .<br />

81 Voir encore par exemple : Cic., Verr. 2.4.37 ou Lael. 96.<br />

82 Le corpus de la BTL ne donne des combinaisons avec -que que pour le latin postclassique, par<br />

exemple : eluditque diu tandemque est uisus ad ipsos confugisse deos (Ov., Met. 8.687) « il leur échappe<br />

longtemps ; enfin ils le voient se réfugier auprès de dieux eux-mêmes ».<br />

154


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Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

(150) Quid enim tandem illi iudices responderent, si qui ab iis quaereret :<br />

‘Condemnastis Scamandrum, quo crimine ?’ (Cic., Cluent. 61)<br />

« Et qu’auraient en effet bien pu répondre ces juges, si quelqu’un leur avait<br />

demandé : ‘Vous avez condamné Scamander : pour quel crime ?’ »<br />

Les mêmes caractéristiques s’appliquent à uidelicet « évidemment » et à<br />

nimirum « assurément », admis à l’initiale absolue (par exemple, uidelicet : Cic., Verr.<br />

2.3.90 ; nimirum : Cic., Tusc. 3.33.79). Ils n’acceptent toutefois pas les enclitiques liés -<br />

que, -ne et -ue.<br />

(151) Verebatur enim uidelicet, ne quid apud uos populumque Romanum de<br />

existimatione sua deperderet… (Cic., Font. 29)<br />

« En effet, il craignait apparemment que sa réputation auprès de vous et du<br />

peuple romain n’en fût diminuée … »<br />

(152) Nimirum enim inops ille si bonus est uir, etiam si referre gratiam non potest<br />

habere certe potest. (Cic., De off. 2.69)<br />

« Assurément en effet, ce pauvre, s’il est vrai qu’il est homme de bien, même s’il<br />

ne peut témoigner sa reconnaissance, il peut du moins en avoir. »<br />

8.7. Premières conclusions<br />

L’examen des particules qui assurent la connexion des phrases dans la prose<br />

latine permet de proposer un groupement en trois catégories :<br />

(i) Enim, autem et uero sont des particules enclitiques, exclues de la place initiale.<br />

Elles ne se combinent pas avec les enclitiques liés (-que, -ne, -ue). Ces particules<br />

se positionnent à la deuxième place ; une place ultérieure Ŕ troisième en<br />

l’occurrence, est possible, et répond au souci de maintenir l’unité syntaxique<br />

d’un groupe nominal (quam multi autem) ou verbal (nemo est enim).<br />

(ii) Nam et itaque sont des particules obligatoirement placées à l’initiale de la<br />

phrase.<br />

(iii) Igitur et ergo représentent des particules « mobiles ». Elles occupent une place à<br />

gauche de la phrase (la première, la deuxième, la troisième ou une autre), ce qui<br />

s’explique par leur fonction d’assurer la connexion logique avec le contexte<br />

précédent. Igitur et ergo suivent les mots interrogatifs.<br />

9. Les enclitiques en latin<br />

Le fait qu’un mot se rencontre à plusieurs reprises à la deuxième place de la<br />

phrase ne signifie pas nécessairement qu’il dépend de la présence d’un autre mot.<br />

L’examen du comportement syntaxique des mots latins qui sont communément<br />

qualifiés d’enclitiques a montré que le latin dispose de deux types d’enclitiques :<br />

enclitiques liés : -que, -ue et -ne<br />

enclitiques non liés : enim, autem et uero<br />

Les premiers dépendent phonétiquement du mot qui les précède, les seconds figurent à<br />

la deuxième (ou : non première) place dans la phrase, à la « place de Wackernagel ». Il<br />

est possible de rencontrer, dans une même phrase, l’enclitique lié -ne (les suites avec -<br />

que et -ue ne sont pas attestées) suivi d’un enclitique non lié (enim, autem, uero). Or les<br />

155


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre VII : Les enclitiques et les ‘pseudo’-enclitiques<br />

enclitiques de la même catégorie ne se combinent pas et les combinaisons enclitique<br />

non lié Ŕ enclitique lié n’existent pas.<br />

10. Perspectives<br />

L’étude que nous avons proposée permet de dégager plusieurs questions<br />

connexes. D’abord, il serait intéressant d’examiner les enclitiques en diachronie du<br />

latin, en partant du latin archaïque jusqu’au latin tardif, afin d’observer la cliticisation<br />

de certains mots. Par exemple, enim est attesté en latin archaïque en tant qu’adverbe<br />

mais uniquement comme particule connective dans la prose classique. Les instruments<br />

électroniques, en particulier les bases de données sur des CD-Roms, permettent de<br />

traiter aisément de grands corpus. De même, l’intégration de textes poétiques dans une<br />

telle étude apporterait des résultats fructueux.<br />

Ensuite, l’examen des enclitiques latins suscite une autre question : pourquoi ne<br />

pas envisager, comme D. Wanner (1987) l’a proposé, l’existence de proclitiques en<br />

latin ? Des critères syntaxiques seraient alors à établir afin de prouver une telle<br />

propriété. Pour notre part, nous ne sommes pas convaincue que, par exemple, les<br />

pronoms personnels ou le verbe sum soient des proclitiques, en particulier parce qu’ils<br />

peuvent précéder des enclitiques comme enim. Cela prouve qu’ils constituent bien le<br />

premier mot de la phrase (cf. ci-dessus, l’exemple 45). Toutefois, cette question est<br />

compliquée par notre méconnaissance de la prosodie en latin et par le fait qu’en<br />

certaines positions, les enclitiques peuvent être réalisés comme proclitiques. Cela se<br />

produit, comme J. Toman (1996 : 506) l’a signalé, lorsqu’un enclitique vient après une<br />

subordonnée ou après un vocatif non initial, éléments qui ne peuvent aucunement servir<br />

d’hôte à un enclitique 83 .<br />

Enfin, le placement des pronoms personnels, abordé au § 6.2.2 ne concerne que<br />

les propositions syntaxiquement non dépendantes. De ce fait, il serait indispensable de<br />

mener une étude sur le placement de pronoms personnels dans les subordonnées,<br />

conjonctives aussi bien qu’infinitives. Il faudrait alors observer, en particulier, le<br />

placement de pronoms contrastifs, par exemple :<br />

(153) Nolo te illum iratum habere. (Cic., Att. 14.19.4)<br />

« Je ne veux pas qu’il se fâche contre toi. »<br />

(154) Senatus te uoluit mihi nummos, me tibi frumentum dare. (Cic., Verr. 2.3.197)<br />

« Le sénat a décidé que tu me donnerais de l’argent et que je te donnerai du<br />

froment. »<br />

En (153), te représente le deuxième mot de la phrase mais le premier mot de la<br />

proposition infinitive. De même te en (154) ; or ici, il y a un double contraste entre te<br />

mihi et me tibi. Dans la première proposition, te, semble-t-il, est préposé à uoluit pour<br />

des raisons d’emphase portée sur lui.<br />

83 Par exemple :<br />

Knihy, které tady vidíte, se dnes platí zlatem.<br />

NOM.PL PR. ici 2.PL.PRES PR. aujourd’- 3.PL.PRES INSTR.SG<br />

livres REL. voir REFL. hui payer or<br />

« Les livres que vous voyez ici se payent aujourd’hui au prix d’or. »<br />

L’enclitique se, pronom réfléchi, apparaît à la frontière prosodique après une relative Ŕ formant une unité<br />

avec le substantif knihy, le premier constituant de la phrase Ŕ est prosodiquement réalisé non pas comme<br />

enclitique de la relative, mais comme proclitique orienté vers dnes. Dans de tels cas, son orientation est<br />

due au progrès prosodique.<br />

156


Chapitre VIII<br />

LA PHRASE INTERROGATIVE<br />

1. Introduction<br />

Il y a peu d’études consacrées à l’ordre des constituants dans la phrase<br />

interrogative. D. Panhuis (1982 : 61-68), adoptant le point de vue du dynamisme<br />

communicatif formulé par Firbas (cf. 1992), retient, pour la phrase interrogative, le<br />

schéma suivant :<br />

rhème propre > thème propre > thème > rhème<br />

En d’autres termes, à la différence de la phrase déclarative, la phrase<br />

interrogative présente l’élément le plus informatif à l’initiale (rhème propre). Le type de<br />

phrase semble alors jouer un rôle important pour la disposition des constituants : en<br />

particulier, la phrase interrogative se distingue de la phrase déclarative en ce que le<br />

verbe y occupe une position différente (Pinkster, 1995 : 217).<br />

M. Babič (1992) aboutit, dans les grandes lignes, aux mêmes conclusions que D.<br />

Panhuis. En outre, il constate que dans les interrogations totales, le mot sur lequel<br />

l’interrogation porte se positionne en tête de la phrase et que les interrogations partielles<br />

présentent presque toujours le mot interrogatif à l’initiale (p. 61 sq. ; cf. Kühner-<br />

Stegmann, II : 501). Cependant, il est possible de rencontrer un constituant de ‘thème’<br />

(= topique) qui précède un mot interrogatif ou un mot accompagné de la particule -ne,<br />

par exemple :<br />

(1) Viginti minas dabin ? – Dabuntur. (Plaut., Pseud. 1077)<br />

« Tu me donneras vingt mines ? Ŕ On les donnera. »<br />

Il convient de souligner que ces études menées par D. Panhuis et M. Babič<br />

concernent les comédies de Plaute, un texte interactif, constitué de dialogues et destiné à<br />

une représentation orale. Des facteurs prosodiques y sont donc susceptibles de jouer un<br />

rôle non négligeable, comme les auteurs le signalent eux-mêmes.<br />

L’importance des interrogations dans une étude de l’ordre des constituants est<br />

sans conteste : des questions et des réponses permettent au mieux de saisir la partie la<br />

plus informative de la phrase (cf. chapitre premier, § 7). Or, il n’est pas surprenant que<br />

notre corpus, composé de prosateurs latins classiques, n’offre pas un matériau très<br />

riche pour une telle étude. La phrase interrogative constitue 35 % des phrases dans les<br />

discours de Cicéron (voir tableau en annexe) et 21 % dans son traité philosophique<br />

(Tusculanes), conçu comme un dialogue ; en revanche, elle ne représente que 9 % des<br />

phrases dans les lettres de Cicéron, et de 2 à 3 % dans la prose historique (Salluste et<br />

César). Notre corpus n’offre pas un matériau idéal, car la majorité des phrases<br />

interrogatives sont dépourvues de réponses ; d’une part, elles représentent des<br />

interrogations oratoires et véhiculent, de ce fait, une réponse implicite (voir Touratier,<br />

1994 : 489, et Hoff, 1979 : 191) ; d’autre part, les phrases interrogatives dans la<br />

correspondance de Cicéron sont souvent formulées à l’adresse d’Atticus et nous<br />

ignorons les réponses de celui-ci. Seuls les discours et les Tusculanes offrent, dans<br />

157


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

quelques cas, des réponses explicites 1 . Cependant, nous essayerons de présenter des<br />

occurrences particulièrement intéressantes de ce point de vue. De même, nous nous<br />

interrogerons sur la place du verbe dans la phrase interrogative et sur la place occupée<br />

par les mots interrogatifs. Une attention particulière sera portée sur le type de<br />

constituants susceptibles de précéder le mot interrogatif ; en principe, il devrait s’agir du<br />

même type de constituants que dans le cas des subordonnants 2 Ŕ des topiques qui,<br />

syntaxiquement intégrés dans la phrase se distingueraient ainsi des constituants de<br />

thème (voir chapitre V, Le thème) 3 .<br />

2. Les données<br />

En nous appuyant sur la distinction entre les interrogations totales, partielles et<br />

disjonctives (voir Touratier, 1994 : 477 sqq. et Hoff, 1984), nous pouvons observer,<br />

dans le corpus, la distribution suivante :<br />

Tableau 1 : Les interrogations 4 (corpus)<br />

Auteur Partielles Totales Disjonctives Total<br />

Salluste 13 7 2 22<br />

César 16 11 0 27<br />

Cicéron, Tusc. 118 104 7 229<br />

Cicéron, Ad Att. 101 65 0 166<br />

Cicéron, Disc. 144 135 8 287<br />

Total 392 322 17 731<br />

Pourcentage 54 % 44 % 2 % 100 %<br />

Les interrogations partielles obtiennent la majorité (54 %), les interrogations<br />

totales sont bien représentées (44 %) ; en revanche, les interrogations doubles sont peu<br />

fréquentes (2 %). Il importe d’étudier à présent quels mots interrogatifs introduisent les<br />

interrogations totales. Les résultats sont réunis dans le tableau suivant :<br />

Tableau 2 : Les interrogations totales (corpus)<br />

Auteur Mot interrogatif<br />

sans mot<br />

interrog.<br />

-ne nonne an num ecquis Total<br />

Salluste 1 4 1 1 0 0 7<br />

César 2 2 3 4 0 0 11<br />

Cic., Tusc. 36 25 12 12 17 2 104<br />

Cic., Ad Att. 28 21 4 6 4 2 65<br />

Cic., Disc. 63 24 13 23 10 2 135<br />

Total 130 76 33 46 31 6 322<br />

Les interrogations totales sans mot introducteur sont les plus fréquentes (130<br />

occurrences), et ce en particulier dans les trois œuvres de Cicéron examinées. On notera<br />

1<br />

Cf. également les exemples donnés par Kühner et Stegmann (1914, II : 511).<br />

2<br />

Cf. chapitre II, Le topique, § 5.4. et chapitre VIII, Les enclitiques, § 7, en particulier les exemples (99-<br />

101) et ainsi que les références.<br />

3<br />

Cependant, cf. Touratier (1994 : 479) qui parle d’ « extraposition ».<br />

4<br />

En comparaison avec le tableau en annexe, nous avons pris ici en considération également des incises<br />

qui font partie des phrases complexes déclaratives.<br />

158


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

également la fréquence de la particule enclitique -ne (76 occ.). En revanche, les<br />

particules nonne, an et num apparaissent à une fréquence comparable.<br />

3. Les interrogations partielles<br />

À l’aide d’interrogations partielles accompagnées d’une réponse, nous pouvons<br />

observer au mieux à quel terme la fonction de focus est attribuée (voir S. C. Dik, 1997,<br />

I : 328), par exemple :<br />

(a) Où va Jean ?<br />

(b) Jean va au marché.<br />

(c) Au marché.<br />

Dans la réponse à la question portant sur l’endroit où se rend Jean, le constituant<br />

« au marché » assume la fonction pragmatique de focus. La réponse peut présenter<br />

seulement le focus (c), ou peut contenir en plus (b) des éléments déjà donnés (« Jean<br />

va »). Le mot interrogatif (« où ») ou le constituant comportant un mot interrogatif (« à<br />

quel endroit ») signale quelle information est à fournir et représente, de ce fait, le focus<br />

de la phrase interrogative (Dik, ibid.) 5 . En outre, dans de nombreuses langues, le terme<br />

interrogatif occupe une position spéciale Ŕ initiale, préverbale ou autre (S. C. Dik (1997,<br />

II : 264 sq.).<br />

Il n’est pas difficile de trouver des exemples latins pour montrer que les<br />

questions et les réponses peuvent se réduire à la partie essentielle ou comporter<br />

également des éléments contextuellement donnés :<br />

(2) A : – Sed tu mihi uideris Epicharmi, acuti nec insulsi hominis ut Siculi,<br />

sententiam sequi.<br />

B : – Quam ? Non enim noui.<br />

A : – Dicam, si potero, Latine. Scis enim me Graece loqui in Latino sermone<br />

non plus solere quam in Graeco Latine.<br />

B : – Et recte quidem. Sed quae tandem est Epicharmi ista sententia ?<br />

A : – ‘Emori nolo, sed me esse mortuum nihil aestimo.’ (Cic., Tusc. 1.15)<br />

« Mais tu adoptes, il me semble, la maxime d’Épicharme, qui était un Sicilien<br />

subtil et fort spirituel. Ŕ Quelle maxime ? Je ne la connais pas. Ŕ Je te la dirai en<br />

latin, si je puis, car tu le sais, je n’aime pas plus à mettre du grec dans mon latin<br />

que du latin dans mon grec. Ŕ C’est logique. Mais quelle est donc la maxime<br />

d’Épicharme à laquelle tu fais allusion ? Ŕ ‘Je ne tiens pas à mourir, mais peu me<br />

chaut d’être mort.’ » (trad. C.U.F.)<br />

Après l’affirmation de la part du locuteur A, « tu adoptes la maxime d’Épicharme », le<br />

locuteur B demande un complément d’information car il ne parvient pas à identifier la<br />

maxime. Quam ? « laquelle ? » représente le focus, et la phrase se limite à lui seul.<br />

Comme la réplique du locuteur A n’apporte pas l’information voulue, B redemande :<br />

« quelle est donc la maxime ? » Cette phrase se compose du mot interrogatif (quae) et<br />

de la partie contextuellement donnée (Epicharmi ista sententia). Nous pouvons<br />

remarquer également la disjonction qui se produit au sein du groupe nominal : quae, le<br />

focus de l’interrogation, figure à l’initiale, alors que la partie liée, Epicharmi ista<br />

sententia, est placée en fin de phrase. La réponse du locuteur A, ‘Emori nolo…’ se<br />

5 Cf. Firbas (1992 : 98) pour une conception différente. Il ne considère pas le terme interrogatif comme le<br />

rhème propre.<br />

159


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

réduit à l’information essentielle mais elle pourrait contenir une partie liée (Epicharmi<br />

ista sententia est…).<br />

Les interrogations partielles peuvent concerner tout constituant de la phrase :<br />

actants, circonstants, leurs déterminants. On a ainsi, par exemple, les interrogations qui<br />

intéressent un sujet (3), un déterminant (4), un complément du verbe (5) et un<br />

complément de lieu (6). Les exemples de phrases interrogatives choisis sont<br />

accompagnés de leurs réponses.<br />

(3) Qui sunt homines a Q. Metello, fratre tuo, consule in senatu palam nominati, a<br />

quibus ille se lapidibus adpetitum, etiam percussum esse dixit ? L. Sergium et M.<br />

Lollium nominauit. (Cic., Dom. 13)<br />

« Quels sont les hommes que le consul Q. Métellus, ton frère, a nommés, en<br />

plein sénat, comme l’ayant poursuivi et même atteint à coups de pierres ? C’est<br />

L. Sergius et M. Lollius qu’il a nommés. »<br />

(4) Quae est ei (animo) natura ? Propria, puto, et sua. (Cic., Tusc. 1.70)<br />

« Quelle nature a-t-elle (l’âme) ? Une nature particulière, je crois, et qui n’est<br />

que pour elle. »<br />

(5) (Quaere acta Gracchi…) Quid ? Pompei tertius consulatus in quibus actis<br />

constitit ? Nempe in legibus. (Cic., Phil. 1.18)<br />

« (Demandez les actes de Gracchus…) Et le troisième consulat de Pompée, quels<br />

actes comporte-t-il ? Ses lois évidemment. »<br />

(6) (Mens hominis) In quo igitur loco est ? Credo equidem in capite. (Cic., Tusc.<br />

1.25)<br />

« Où donc l’esprit est-il placé ? Je crois pour mon compte qu’il est dans la tête. »<br />

Les exemples présentés ci-dessus invitent à être étudiés de plusieurs points de vue ; les<br />

questions qui s’imposent en particulier, sont les suivantes : la place du mot interrogatif<br />

qui est, on l’a vu, porteur du focus, et la place du constituant sur lequel porte<br />

l’interrogation dans la réponse.<br />

Le mot interrogatif se positionne en tête de phrase (exemples 3, 4 et 6) mais non<br />

nécessairement, comme le montre l’exemple (5). Pompei tertius consulatus qui précède<br />

le terme interrogatif est un topique contrastif. Les disjonctions du syntagme nominal se<br />

produisent qui… homines (3), quae… natura (4) et in quo… loco (5), le terme<br />

interrogatif gardant sa place initiale. En revanche, in quibus actis, à la place préverbale<br />

en (5) n’est pas disjoint. Il convient de préciser que l’interrogation peut intéresser tout le<br />

syntagme (3 et 5) ou seulement le mot interrogatif (quae en 4). Sans représenter le<br />

focus, le verbe peut clôturer la phrase interrogative, par exemple constitit en (5) et est en<br />

(6).<br />

Dans les réponses, les constituants saillants se positionnent en fin de phrase : in<br />

legibus (5) et in capite (6) ou en tête de la phrase : L. Sergium et M. Lollium (3), et avec<br />

disjonction propria et sua en (4). On notera au demeurant que le verbe n’est pas<br />

exprimé en (4) et que nominauit (3), en fin de phrase, est contextuellement lié. Un autre<br />

exemple de ce type est donné en (7), sans disjonction du syntagme nominal :<br />

(7) At quae dea est ?... ‘Libertas,’ inquit, ‘est.’ (Cic., Dom. 110)<br />

« Mais de quelle déesse s’agit-il ?… C’est, dit-il, la Liberté. »<br />

Le placement du mot interrogatif en tête de phrase (ou après connecteur, cf. 7)<br />

n’est pas surprenant ; en revanche, les configurations de type (5) où il est précédé par un<br />

autre constituant méritent attention. Notre corpus en a fourni 30 occurrences (soit 8 %<br />

160


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

sur un total de 392) dans le cas d’interrogations partielles comportant un mot<br />

interrogatif. L’élément précédant le mot interrogatif est représenté par un constituant ou<br />

par un syntagme, accompagnés éventuellement d’expansions. Les constituants qui<br />

précèdent le mot interrogatif assument la fonction de topique contrastif (8) de tu par<br />

rapport à ille, de topiques contextuellement liés (9) ou bien il s’agit de constituants,<br />

dépendants du contexte, exprimant le cadre (10). À plusieurs reprises, les constituants<br />

précédant le mot interrogatif comportent le relatif de liaison qui 6 .<br />

(8) Atque ille tamen ad collegium rettulit, tu ad quem rettulisti ? (Cic., Dom. 132)<br />

« Il a, malgré tout, consulté le collège ; et toi, qui as-tu consulté ? »<br />

(9) Esto, collegium non adhibuisti ; quid ? De collegio quis tandem adfuit ? (Cic.,<br />

Dom. 117)<br />

« Soit, tu n’as pas appelé le collège ; mais qui de ce collège fut enfin présent ? »<br />

(10) Exaggeratis igitur regiis opibus, quae uidebantur sempiternae fore, quid<br />

adiungit ? (Cic., Tusc. 3.45)<br />

« Aussi, après avoir étalé les richesses royales qui paraissaient devoir être<br />

éternelles, qu’ajoute-t-il… ? »<br />

On remarquera que de collegio en (9), dépendant du contexte, ne peut pas être pris pour<br />

un thème ; en effet, il est expansion du mot interrogatif quis.<br />

Un élément contextuellement indépendant peut également figurer en tête de<br />

phrase, tel que aduentus meus… en (11) qui est un nouveau topique annoncé cependant<br />

dans le contexte d’avant (in patriam reuertisse) et développé dans le contexte d’après.<br />

Cependant, l’interrogation elle-même concerne qui « quelles, comment ? » :<br />

(11) (in patriam reuertisse) Aduentus meus atque introitus in urbem qui fuit ? (Cic.,<br />

Dom. 75)<br />

« (ramené dans ma patrie) Mais quelle fut mon arrivée, mon entrée à Rome ? »<br />

Cur (32 occ.) sert à introduire des interrogations portant sur la cause (12) ; à<br />

trois reprises, cur occupe une place non initiale, comme en (13). Dans le passage en<br />

question, Cicéron parle de l’adoption de Clodius ; sacra Clodiae gentis se présente<br />

comme un topique contrastif :<br />

(12) Cur igitur pacem nolo ? Quia turpis est, quia periculosa, quia esse non potest.<br />

(Cic., Phil. 7.9)<br />

« Pourquoi donc ne veux-je pas la paix ? Parce qu’elle est honteuse, parce<br />

qu’elle est périlleuse, parce qu’elle ne peut exister. »<br />

(13) Quid ? Sacra Clodiae gentis cur intereunt ? (Cic., Dom. 34)<br />

« Et pourquoi laisses-tu éteindre les cultes de la gens Clodia ? »<br />

4. Les interrogations disjonctives<br />

Les interrogations disjonctives, qui interrogent sur la vérité, présentent un choix<br />

entre deux termes (ou plus) dont l’un est correct. Disjoints, ces termes portent la<br />

fonction de focus, dans l’interrogation (d) aussi bien que dans la réponse (voir S. C.<br />

6 Par exemple : quare quis est qui existimare possit ? « aussi comment penser que… ? » (Cic., Dom.<br />

135) ; quo quidem dempto quis tam esset amens… ? (Cic., Tusc. 1.33) « sans cela qui serait assez<br />

fou… ? ».<br />

161


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

Dik, 1997, II : 261). Le locuteur peut choisir l’alternative correcte des deux qui sont<br />

proposées (e), ou (implicitement) nier les deux en apportant la réponse juste (f) :<br />

(d) Est-ce que Jean va à Londres ou à Paris ?<br />

(e) (Il va) à Paris.<br />

(f) (Il va) à New York !<br />

En latin, les interrogations disjonctives sont marquées par le couple utrum…<br />

an…, ou -ne… an…, qui signale les deux termes ; toutefois, seul le second terme peut<br />

être accompagné de an. Un exemple emprunté à Cicéron nous illustrera ce type de<br />

phrase interrogative :<br />

(14) Vtrum, si dies dicta esset, iudicium mihi fuit pertimescendum an sine iudicio<br />

priuilegium ? Iudiciumne ? (Cic., Dom. 57)<br />

« Si l’on m’eût ajourné, avais-je à redouter un jugement, ou une mesure<br />

d’exception sans jugement? Un jugement ? »<br />

En (14), iudicium et sine iudicio priuilegium sont deux focus de la phrase,<br />

disjoints à l’aide de utrum… an… L’alternative (iudicium-ne) est reprise dans<br />

l’interrogation suivante et nous confirme la fonction pragmatique de ce constituant. Le<br />

terme interrogatif occupe la position initiale de la phrase et est suivi d’une subordonnée<br />

circonstancielle ; vient ensuite le focus iudicium, les autres constituants (de caractère<br />

topical, car dans le passage précédent on parle de la peur) et le second focus sine iudicio<br />

priuilegium en position finale.<br />

Deux autres exemples empruntés aux Tusculanes montrent des constructions<br />

disjonctives :<br />

(15) Vtrum igitur, si tum (Pompeius) esset extinctus, a bonis rebus an a malis<br />

discessisset ? – Certe a miseris. (Cic., Tusc. 1.86)<br />

« S’il fût donc mort à cette date, eût-il quitté des biens, ou des maux ? Ŕ<br />

Assurément des maux. »<br />

(16) Hic (Priamus) si uiuis filiis incolumi regno occidisset…, utrum tandem a bonis<br />

an a malis discessisset ? Tum profecto uideretur a bonis. (Cic., Tusc. 1.85)<br />

« Si Priam était mort, lui, du vivant de ses fils, dans la plénitude de sa puissance<br />

royale…, est-ce donc de biens ou de maux qu’il se fût séparé ? Sur le moment<br />

certes il eût paru que c’était des biens. » (trad. C.U.F.)<br />

Si l’exemple (15) reproduit le modèle que l’on a examiné en (14) avec utrum à<br />

l’initiale Ŕ sauf que le verbe discessisset, contextuellement lié, est en position finale Ŕ<br />

l’exemple (16) a une structure différente. Il se distingue par le topique placé à l’initiale<br />

(hic), suivi d’une circonstancielle ; le mot interrogatif utrum est rapproché du<br />

constituant sur lequel il porte (a bonis) et an introduit l’alternative (a malis) ; la phrase<br />

est clôturée par le verbe. Au demeurant, il convient de remarquer que dans les réponses,<br />

a bonis (16) qui représente l’alternative correcte, est placé à la finale absolue ; a miseris<br />

en (15), réponse qui corrige les deux éventualités, est à lui seul le focus précédé par<br />

l’adverbe certe.<br />

Vtrum peut encore être précédé d’un topique contrastif comme me en (17) ; ce<br />

dernier est suivi d’un constituant dépendant du contexte (huic maledicto). En d’autres<br />

162


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

termes, utrum se retrouve directement devant le constituant focus (non respondere), an<br />

introduit l’alternative (demisse respondere) :<br />

(17) Me huic maledicto utrum non respondere an demisse respondere decuit ? (Cic.,<br />

Dom. 72)<br />

« Devais-je alors ne pas répondre à cette calomnie ou y répondre timidement ? »<br />

Les interrogations disjonctives peuvent concerner non pas un terme, mais un<br />

contenu tout entier :<br />

(18) Vtrum causa noui consili capiendi non fuit, an meae partes in ea causa non<br />

praecipuae fuerunt, an alio potius confugiendum fuit nobis ? (Cic., Dom. 10)<br />

« N’y avait-il pas lieu de prendre une disposition exceptionnelle ? Mon rôle en<br />

cette affaire n’était-il pas primordial ? Fallait-il se tourner d’un autre côté ? »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

Cet exemple, qui illustre une interrogation disjonctive à plus de deux termes,<br />

présente une série de reproches éventuels concernant le comportement de Cicéron : le<br />

premier est introduit par utrum, les deux autres par an. L’interrogation ne porte pas sur<br />

causa ni sur meae partes. En outre, il apparaît que l’ordre des constituants ressemble à<br />

l’ordre d’une phrase déclarative (causa noui consilii capiendi non fuit…).<br />

Les interrogations disjonctives peuvent comporter -ne dans le premier membre ;<br />

cette particule s’accroche au focus (cf. ci-dessous, § 5.1.1), par exemple à uos qui<br />

contraste avec Domitius :<br />

(19) Vosne uero L. Domitium, an uos Domitius deseruit ? (Caes., Ciu. 2.32.8)<br />

« Est-ce vous qui avez abandonné L. Domitius, ou Domitius qui vous a<br />

abandonnés ? »<br />

Les interrogations comportant necne « … ou non » représentent un type<br />

particulier des interrogations disjonctives. Figurant en fin de phrase, necne ne repère pas<br />

le focus, ce dernier étant, dans notre exemple, à l’initiale (sunt) :<br />

(20) Sunt haec tua uerba necne ? In eo quidem libro, qui continet omnem<br />

disciplinam tuam…, dicis haec : 'Nec equidem habeo, quod intellegam bonum<br />

illud… (Cic., Tusc. 3.41)<br />

« Est-ce que ce sont là tes propres mots, ou non ? Dans le livre qui renferme<br />

toute ta doctrine…, tu dis ceci : ‘Pour mon compte, je ne vois pas en quoi peut<br />

consister le souverain bien...’ »<br />

5. Les interrogations totales<br />

Les interrogations totales portent sur la vérité d’un contenu et entraînent des<br />

réponses de type « oui/non » 7 , par exemple :<br />

7 S. C. Dik (1997, II : 262) souligne le lien entre les interrogations totales et disjonctives : en effet, les<br />

interrogations totales présentent l’alternative « est-ce vrai ou non ? » de manière implicite. La disjonction<br />

pourrait être exprimée explicitement : Est-ce que Jean va à Londres ou ne va pas à Londres ? Est-ce que<br />

Jean va à Londres, ou non ? Les interrogations totales seraient ainsi un sous-type des interrogations<br />

disjonctives.<br />

163


(f) Est-ce que Jean va à Londres ?<br />

(g) Oui. – Non.<br />

<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

En latin, les interrogations totales peuvent être marquées par un mot interrogatif,<br />

tel num, an, nonne, par la particule enclitique -ne (voir Hoff, 1985 et Bodelot, 1987 : 60<br />

sq.) ou par un interrogatif de type ecquis. Or, ne sont pas rares les cas où les<br />

interrogations totales sont dépourvues de tout mot interrogatif.<br />

5.1. Les interrogations totales comportant un mot interrogatif<br />

5.1.1. La particule -ne<br />

Le tableau 2 (voir ci-dessus) nous a montré que la particule enclitique -ne<br />

apparaît le plus fréquemment en tant que marque interrogative (72 occ.). Cette particule<br />

s’accroche généralement au mot sur lequel porte l’interrogationŔ en d’autres termes, le<br />

focus. En effet, les interrogations totales peuvent porter sur un constituant précis ;<br />

comme C. Bodelot (1987 : 57) l’a justement remarqué, « ce qui est révoqué en doute,<br />

c’est la connexion globale, établie antérieurement à l’interrogation, entre ce constituant<br />

et les autres constituants de la phrase ». On a ainsi dasne ? « accordes-tu ? » (21), repris<br />

dans la réponse (do), ou oblitine sumus ? « oublions-nous ? » (22), que l’interlocuteur<br />

nie en répondant memineram « je ne l’ai pas oublié » :<br />

(21) Hoc dasne aut manere animos post mortem aut morte ipsa interire ? – Do uero.<br />

(Cic., Tusc. 1.25)<br />

« Accordes-tu que l’âme ou subsiste après la mort ou périt au moment même de<br />

la mort ? Ŕ Oui, je l’accorde. »<br />

(22) Oblitine sumus hoc nunc nobis esse propositum… ? – Ego uero memineram….<br />

(Cic., Tusc. 1.81)<br />

« Oublions-nous que notre sujet était de montrer que… ? Moi, je l’avais à<br />

l’esprit… »<br />

Lorsque l’interrogation se présente sous la forme d’une phrase complexe<br />

comportant une (ou plusieurs) subordonnée(s) placée(s) en tête de la phrase, c’est le<br />

premier mot de la régissante qui comporte la particule -ne (23). Les phrases complexes<br />

peuvent également avoir le topique à l’initiale, comme le montre l’exemple (24) :<br />

(23) Si per uim tulisti, tamenne lex est ? (Cic., Dom. 53)<br />

« Si tu as fait passer cette loi par violence, est-ce toujours une loi ? »<br />

(24) Haec igitur et alia innumerabilia cum cernimus, possumusne dubitare quin…<br />

(Cic., Tusc. 1.70)<br />

« Quand, dis-je, nous voyons cela et d’autres innombrables spectacles, pouvonsnous<br />

douter que… ? »<br />

Le mot sur lequel l’interrogation porte préfère la place initiale dans la phrase<br />

(22) ou la proposition (23-24) : dans 7 % des cas (5 occ.), il occupe une autre place dans<br />

la phrase 8 . Par exemple, il est précédé par un hoc cataphorique (21) qui annonce la<br />

complétive dépendant de das, ou par un topique contrastif comme tibi en (25) ou par un<br />

autre type de topique Ŕ tel le sub-topique en (26). Dans ce dernier cas, Cicéron vient de<br />

parler des maux qui frappent l’État et a l’intention d’aborder les autres (reliquis) :<br />

8 Cf. chapitre VII, Les enclitiques, § 4.2. Une étude plus large du corpus cicéronien montre un<br />

pourcentage encore plus élevé Ŕ 11 %. Cf. également F. Hoff (1984 : 21) selon lequel le mot auquel -ne<br />

est accolé figure en tête dans 76 % des cas ; il s’agit de verbes dans 37 % des cas.<br />

164


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

(25) – Tibi omnisne animi commotio uidetur insania ?<br />

– Non mihi quidem soli… maioribus quoque nostris hoc ita uisum intellego<br />

multis saeculis ante Socratem… (Cic., Tusc. 3.8)<br />

« Appelles-tu folie n’importe quel ébranlement de l’âme ?<br />

Ŕ Sans aucun doute, et je ne suis pas le seul… nos aïeux même en ont jugé ainsi<br />

bien des siècles avant Socrate… » (trad. C.U.F.)<br />

(26) De reliquis rei publicae malis licetne dicere ? Mihi uero licet… (Cic., Phil. 1.14)<br />

« Est-on libre de parler des autres maux politiques ? Moi, je suis libre de le<br />

faire… »<br />

La particule -ne semble marquer le focus de l’interrogation, comme le montrent<br />

les exemples précités ; toutefois, on relève des cas où une telle interprétation serait<br />

difficile à admettre. En effet, -ne dans des exemples de type (27), où il accompagne un<br />

mot qui n’est pas un candidat à la fonction de focus (iam, etiam, tamen…, cf. l’exemple<br />

23), marque non pas le focus, mais l’unité constituée de plusieurs éléments (cf. Hoff,<br />

1979 : 78 sq.), par exemple iam plane abiit en (27). Nausea appartient au savoir partagé<br />

Ŕ Atticus en a parlé dans sa lettre précédente. Sa place initiale s’explique par le fait que<br />

c’est un topique repris, un sujet auquel Cicéron réagit. Étant donné sa pleine intégration<br />

dans la structure de la phrase, il n’y a aucune raison de vouloir le considérer comme un<br />

thème, syntaxiquement extraposé (cf. chapitre V, Le thème).<br />

(27) Nausea iamne plane abiit ? Mihi quidem ex tuis litteris coniectanti ita uidebatur.<br />

(Cic., Att. 14.10.2)<br />

« Tes nausées ont-elles complètement disparu ? À deviner d’après ta lettre, j’en<br />

ai bien l’impression. » (trad. C.U.F.)<br />

5.1.2. Les particules num et nonne<br />

Les particules num « est-ce que ? » (31 occ.) et nonne « est-ce que ne pas ? » (33<br />

occ.), mots autonomes, montrent un comportement similaire. Placées à l’initiale, elles<br />

ne marquent pas particulièrement un constituant :<br />

(28) Num ille furor tribuni plebis ductus ex non nullis perueterum temporum<br />

exemplis fraudi Metello fuit, summo illi et clarissimo uiro ? Certe non fuit. (Cic.,<br />

Dom. 123)<br />

« Cette folie furieuse du tribun de la plèbe, fondée sur quelques exemples de la<br />

plus haute antiquité, a-t-elle porté préjudice à un homme aussi éminent et illustre<br />

que Métellus ? Certainement pas. » (trad. C.U.F.)<br />

(29) Nonne uobis Numa Pompilius uidetur loqui ? (Cic., Dom. 127)<br />

« Ne croyez-vous pas entendre parler Numa Pompilius ? »<br />

Une telle explication se confirme pleinement là où nous disposons d’une réponse à la<br />

question posée (28) Ŕ il s’agit de savoir si la folie portait préjudice ou non (fraudi fuit).<br />

En revanche, les cas comme (29) sont moins nets ; on peut cependant considérer que<br />

l’interrogation porte sur la phrase en entier et non pas sur un seul constituant Ŕ uobis en<br />

l’occurrence.<br />

Le placement après le topique ou devant le focus est possible même pour ces<br />

particules 9 : nous avons relevé 4 occurrences pour num (soit 13 %) et 12 occ. pour<br />

9 Cf. également les exemples donnés par Kühner et Stegmann (1914, II : 516).<br />

165


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

nonne (soit 36 %). Par exemple en (30), nonne est précédé de in dedicatione,<br />

contextuellement lié. En (31), totum prope caelum représente un sub-topique car<br />

Cicéron est en train de démontrer que des héros comme Romulus et Hercule sont au ciel<br />

tenus pour des dieux :<br />

(30) ‘Dedicatio magnam,’ inquit, ‘habet religionem.’… Quid ? In dedicatione nonne<br />

et quis dedicet et quid et quo modo quaeritur ? (Cic., Dom. 127)<br />

« ‘Une dédicace, dit-il, est un engagement sacré... Dans une dédicace<br />

n’examine-t-on pas qui dédie, ce qu’il dédie et comment il dédie ? »<br />

(31) Totum prope caelum, ne pluris persequar, nonne humano genere completum<br />

est ? (Cic., Tusc. 1.28)<br />

« Pour ne pas allonger l’énumération, le ciel presque entier n’est-il pas peuplé du<br />

genre humain ? »<br />

Un autre type de phrases se laisse relever : les phrases où tout le contenu est<br />

nouveau. Le premier exemple montre un num précédant la partie focale aliter…<br />

censetis ; sa fonction pragmatique se confirme par la formulation « tous les hommes<br />

sont unanimes », utilisée dans la réponse. Or, les constituants municipia, colonias,<br />

praefecturas, n’ont pas été mentionnés dans le contexte précédent et sont posés comme<br />

topiques :<br />

(32) Municipia, colonias, praefecturas num aliter iudicare censetis ? Omnes<br />

mortales una mente consentiunt… (Cic., Phil. 4.7)<br />

« Croyez-vous que le jugement des municipes, des colonies, des préfectures soit<br />

différent ? Tous les hommes pensent unanimement que… »<br />

Dans le second exemple, Cyrenaeus Theodorus est un personnage mentionné à des fins<br />

comparatives : en effet, Cicéron cite un parallèle qui appuie son argumentation.<br />

Cyrenaeus Theodorus, contextuellement indépendant et plus amplement développé par<br />

la suite, est posé comme topique et nonne se positionne devant miramur :<br />

(33) Cyrenaeum Theodorum, philosophum non ignobilem, nonne miramur ? Cui cum<br />

Lysimachus rex crucem minaretur, ‘istis, quaeso’ inquit ‘ista horribilia minitare<br />

purpuratis tuis…’ (Cic., Tusc. 1.102)<br />

« N’admirons-nous pas Théodore de Cyrène, philosophe assez réputé ? Lorsque<br />

le roi Lysimaque le menaçait de la croix, il dit : ‘Je t’en prie, menace ces gens-ci,<br />

tes courtisans, de tes instruments de torture…’ »<br />

Dans cet exemple, Cyrenaeum Theodorum est l’élément nouveau sans mention<br />

précédente : témoin, la reprise par le relatif de liaison cui. En effet, il s’agit d’un<br />

personnage nouvellement introduit, d’un futur topique. Sa présence à l’initiale de la<br />

phrase pourrait s’expliquer par le fait que l’interrogation oratoire dont il est question ici,<br />

a la valeur d’une phrase déclarative positive : Cyrenaeum Theodorum… miramur. Cui<br />

cum…<br />

5.1.3. La particule an<br />

À la différence de num et nonne, la particule an (excepté les cas des<br />

interrogations disjonctives, voir ci-dessus, § 4) ne quitte pas sa place à l’initiale de la<br />

phrase ; tout au moins, nous n’avons relevé aucun exemple où elle occupe une autre<br />

position. L’interrogation porte sur la phrase entière :<br />

166


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

(34) An tu haec non credis ? – Minime uero. (Cic., Tusc. 1.10)<br />

« Tu n’y crois pas ? » Ŕ « Mais pas du tout. »<br />

5.2. Les interrogations totales sans mot interrogatif<br />

Les interrogations totales sans mot interrogatif laissent apercevoir trois stratégies<br />

principales.<br />

La première consiste à placer à l’initiale de la phrase le mot sur lequel porte<br />

l’interrogation. L’exemple (35) l’illustre très bien : l’auteur veut dire « infirmes-tu ? »,<br />

et non pas « qu’est-ce que tu infirmes ? » ; cette interprétation est confirmée par la<br />

réponse négative minime (« non ») :<br />

(35) ‘Infirmas igitur tu acta C. Caesaris, uiri fortissimi ?’ – Minime. (Cic., Dom. 39)<br />

« Tu vas donc infirmer les actes du valeureux C. César ? Ŕ Pas du tout. »<br />

La deuxième stratégie met en œuvre le focus contrastif :<br />

(36) Timor igitur ab his aegritudinem potuit repellere, ratio ac sapientia uera non<br />

poterit ? (Cic., Tusc. 3.66)<br />

« La crainte a-t-elle donc pu écarter le chagrin de leurs cœurs ; la raison et la<br />

vraie sagesse en seront-elles incapables ? »<br />

L’exemple (36) contient un double contraste, entre timor et ratio ac sapientia, et entre<br />

potuit et non poterit. Le focus, contrastif, est représenté par potuit et non poterit.<br />

L’ordre des constituants dans ce type de phrases interrogatives semble ne pas différer<br />

sensiblement de celui observé dans les phrases déclaratives.<br />

Enfin, dans la troisième stratégie, des pronoms/adjectifs anaphoriques ou<br />

intensifs apparaissent à l’initiale de la phrase. On notera la disjonction du groupe<br />

nominal hanc… uoluntatem ; l’interrogation porte sur hanc (« précisément cette… ») :<br />

(37) Hanc uos, pontifices, tam uariam, tam nouam in omni genere uoluntatem,<br />

impudentiam, audaciam, cupiditatem comprobabitis ? (Cic., Dom. 116)<br />

« Approuverez-vous, pontifes, ses dispositions, aussi fortes, aussi variées, aussi<br />

nouvelles en tout genre, son impudence, son audace, sa cupidité ? »<br />

Même ici, l’ordre des constituants fait penser à l’ordre d’une phrase déclarative. En<br />

outre, il s’agit d’interrogations oratoires qui correspondent à l’affirmation suivante :<br />

hanc… cupiditatem non comprobabimus.<br />

6. Conclusions<br />

Les phrases interrogatives partielles ont un ordre des constituants particulier qui<br />

est dû au caractère focal du mot interrogatif. Le mot interrogatif occupe majoritairement<br />

la position initiale de la phrase, mais peut céder cette place à un constituant fonctionnant<br />

comme topique, en particulier topique contrastif, ou à une expression du cadre. La place<br />

à la finale absolue semble exclue (sauf quelques cas particuliers de l’ellipse). Les<br />

mêmes possibilités se confirment pour les interrogations totales comportant la particule<br />

enclitique -ne, qui marque le focus ou le premier constituant de la partie focale, et pour<br />

celles construites avec les particules num et nonne. La première place de la phrase peut<br />

être occupée par un terme topical dans 7-13 % des cas, la plus grande fréquence se<br />

167


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre IX : La phrase impérative<br />

produisant dans le cas de nonne (36 %). Cette stratégie, à savoir faire précéder un terme<br />

interrogatif ou un terme sur lequel porte l’interrogation, confirme l’importance de la<br />

première position de la phrase en latin. En revanche, la particule an manifeste une<br />

tendance à être placée à l’initiale. Dans les interrogations totales sans mot interrogatif,<br />

la première place est occupée par le focus Ŕ représenté par le verbe ou par un terme mis<br />

en contraste Ŕ ; et l’ordre des constituants dans ces phrases ne diffère pas de celui que<br />

l’on observe dans la phrase déclarative.<br />

7. Perspectives<br />

L’étude de la phrase interrogative dans la prose classique a confirmé<br />

l’importance de la première position de la phrase. En effet, un topique peut précéder le<br />

mot interrogatif ou la particule interrogative ou même, toute la partie topicale de la<br />

phrase. Le terme interrogatif se retrouve alors devant le focus ou devant la partie focale.<br />

Dans la poésie, des libertés de placement encore plus grandes devraient se manifester.<br />

Une étude menée dans ce domaine pourrait en préciser les conditions 10 ; nous nous<br />

limiterons ici à introduire deux exemples trouvés au hasard, l’un avec des disjonctions<br />

de syntagmes nominaux (38), l’autre avec un cur venant après le groupe verbal (39) :<br />

(38) Maius apud Troiam forti quid habemus Achille ? (Ov., Trist. 3.5.37)<br />

« Qu’avons-nous, sous les murs de Troie, de plus grand que le vaillant<br />

Achille ? » (trad. C.U.F.)<br />

(39) Vlmus amat uitem, uitis non deserit ulmum ; separor a domina cur ego saepe<br />

mea ? (Ov., Am. 2.16.41-42)<br />

« L’ormeau aime la vigne, la vigne ne quitterait pas l’ormeau ; moi, pourquoi<br />

suis-je souvent séparé de ma maîtresse ? » (trad. C.U.F.)<br />

10 De même, la place de subordonnants dans la poésie offre un sujet de recherche intéressant, cf. par<br />

exemple la place de quoniam venant après le verbe : superat quoniam Fortuna, sequamur (Verg., Aen.<br />

5.22) « puisque la Fortune est plus forte, suivons-la ».<br />

168


Chapitre IX<br />

LA PHRASE IMPÉRATIVE<br />

1. Introduction<br />

1.1. L’état de la question<br />

Selon l’approche traditionnellement présentée dans les grammaires, l’impératif<br />

se positionne à l’initiale de la phrase (Kühner et Stegmann, 1914, II : 598 sq. ; Szantyr,<br />

1972 : 403 ; Touratier, 1994 : 712). Il occupe alors une position différente de celle qu’il<br />

occupe dans la phrase déclarative (cf. Pinkster, 1995 : 217). Par exemple :<br />

(1) Audite Romanos milites. (Caes., Gall. 7.20.8)<br />

« Écoutez des soldats romains. »<br />

La phrase impérative latine a été relativement peu étudiée. J. Marouzeau (1938 :<br />

38 et 51 sq.) considère que les impératifs se positionnent à l’initiale, ce qui est dû à la<br />

mise en relief de la fonction verbale. Ils peuvent être délogés de cette position par un<br />

terme comme hoc et tu, mais les autres dispositions sont, selon lui, exceptionnelles.<br />

D. Panhuis (1982 : 68-72) ne partage pas l’avis traditionnellement évoqué à<br />

propos de la place initiale de l’impératif 1 en disant que le verbe à l’impératif n’est pas<br />

contraint à une place particulière. En effet, les occurrences qu’il a examinées dans<br />

Plaute montrent une place initiale dans 57 % des cas, une place médiane dans 11 % et<br />

une place finale dans 32 %. Au point de vue pragmatique, les phrases impératives<br />

présentent les mêmes configurations que la phrase déclarative (l’ordre normal thème ><br />

rhème ou l’ordre emphatique rhème > thème).<br />

Récemment, M. Babič (1992), après avoir étudié le corpus plautinien, aboutit<br />

aux mêmes conclusions, en défendant la perspective fonctionnelle de la phrase<br />

impérative. En outre, il observe que l’impératif présent se positionne à l’initiale de la<br />

phrase, l’impératif futur à la fin. M. Babič s’est également interrogé sur la place des<br />

pronoms personnels et des pronoms et adverbes anaphoriques ; s’ils sont exprimés, ils<br />

suivent directement l’impératif présent car ils sont enclitiques.<br />

Le chapitre se donne pour objectif de saisir la structure de la phrase impérative.<br />

Comme point de départ, nous prendrons la fonction de la phrase impérative mise en<br />

évidence par R. Risselada (1993) et le type sémantique et syntaxique du verbe à<br />

l’impératif. Des remarques d’ordre typologique et méthodologique aboutiront à une<br />

évaluation du corpus (§ 1.4). L’analyse s’appuiera sur la distinction entre les impératifs<br />

utilisés dans les périphrases (§ 2), les impératifs formés à partir de verbes de type<br />

dire/penser/savoir (§ 3), les verbes bivalents transitifs (§ 4) et intransitifs (§ 5), les<br />

verbes trivalents (§ 6). L’impératif futur sera examiné dans la section 7, la place des<br />

pronoms personnels dans la section 8. Les résultats (§ 9) seront vérifiés dans notre<br />

propre corpus (§ 10).<br />

1 En outre, la place initiale de l’impératif est postulée pour l’indo-européen, voir parmi d’autres E. Richter<br />

(1903 : 66).<br />

169


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

1.2. Typologie de la phrase impérative<br />

L’étude de R. Risselada (1993) a mis en évidence que la phrase impérative<br />

recouvre plusieurs types dont les valeurs illocutoire et perlocutoire sont très différentes.<br />

Comparons les exemples suivants :<br />

(2) Recta perge in exsilium. (Cic., Cat. 1.23)<br />

« Va tout droit en exil. »<br />

(3) ‘Catonem’ tuum mihi mitte ; cupio enim legere. (Cic., Fam. 7.24.2)<br />

« Envoie-moi ton ‘Caton’, car j’ai envie de le lire. »<br />

(4) Dic : quid addidit ? (Cic., Verr. 2.1.143)<br />

« Dis : qu’a-t-il ajouté ? »<br />

(5) Tu fac uenias. (Cic., Att. 4.4a.2)<br />

« Tâche de venir. »<br />

Les deux premières phrases impératives, l’ordre/recommandation (2) et la<br />

requête (3) ont pour but (ce qui est leur valeur perlocutoire) de modifier le<br />

comportement de l’allocutaire. En revanche, dic (4) ne fait qu’accompagner un autre<br />

acte de parole Ŕ une interrogation (voir Risselada, 1989 : 370). Fac, combiné avec un<br />

subjonctif, représente une périphrase. Si les impératifs (2) et (3) peuvent être considérés<br />

comme ‘directifs’, c’est-à-dire comme destinés à entraîner un certain comportement, le<br />

type (4) est appelé, par R. Risselada (1993 : 258) ‘métadirectif’. Les impératifs<br />

métadirectifs, en effet, représentent des expressions qui mentionnent explicitement les<br />

effets perlocutoires liés à l’acte de parole qu’elles accompagnent. Fac (5) (ibid., 268) est<br />

une expression lexicale qui réfère à une action ou à une réalisation de manière générale<br />

(« fais ») et ce n’est que la complétive qui en précise le contenu. Les différentes<br />

fonctions des phrases impératives, exemplifiées ci-dessus, semblent être un critère<br />

important pour l’étude de l’ordre de constituants. Aussi, seront séparées les expressions<br />

périphrastiques (§ 2) des expressions métadirectives (§ 3) et des impératifs directifs (§<br />

4-6).<br />

1.3. Problèmes méthodologiques<br />

L’examen des phrases impératives (123 occurrences) offertes par notre corpus a<br />

révélé une difficulté majeure d’ordre méthodologique. D’abord, les types de textes étant<br />

très variés, les résultats obtenus sont très disparates : Salluste présente 24 occurrences<br />

de phrases impératives, César 3, Cicéron 22 dans les discours, 55 dans la<br />

correspondance et 19 dans le traité philosophique. À l’initiale absolue ou après un<br />

connecteur ne se rencontrent que 40 % des impératifs (49 occurrences). Afin<br />

d’examiner si l’impératif se positionne avant ou après son complément, nous avons pu<br />

isoler 108 occurrences avec la distribution suivante : dans 71 % de cas, le verbe<br />

précède, dans 29 % des cas, le verbe suit le complément (pro)nominal. Or, vu la grande<br />

variation de verbes employés et les types de compléments, il est impossible de tenir ces<br />

données pour significatives. De même, les conditions qui influencent le choix de telle<br />

ou telle disposition sont difficiles à reconnaître.<br />

Face à la variété d’impératifs et à la spécificité du corpus prosaïque, une autre<br />

solution s’est avérée plus fructueuse : étudier la phrase impérative dans le corpus<br />

cicéronien en utilisant les données informatisées du LASLA ainsi que celles de la BTL<br />

(1999). Dans un premier temps, nous procéderons à une évaluation du corpus<br />

170


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

cicéronien, et ce, à l’aide des données informatisées du LASLA 2 , fichier qui permet une<br />

recherche systématique des formes syntaxiques. Cette approche nous montrera quels<br />

verbes sont attestés à l’impératif et se proposent ainsi à l’analyse. Dans un deuxième<br />

temps, nous utiliserons les données électroniques disponibles sur le CD-ROM :<br />

Bibliotheca Teubneriana Latina afin de rechercher, toujours dans le corpus cicéronien,<br />

des formes impératives singulières. Cette approche permet de relever des impératifs<br />

récurrents et de les regrouper en fonction de la valence verbale.<br />

1.4. Les verbes à l’impératif dans les discours de Cicéron<br />

Le corpus du LASLA enregistre 1 241 occurrences de verbes à l’impératif,<br />

présent et futur. Si l’on ne considère que les verbes qui apparaissent au moins cinq fois,<br />

on obtient le tableau fréquentiel suivant qui, au total, représente 963 occurrences (soit<br />

78 %). En même temps, les données obtenues permettent un regroupement en trois<br />

catégories : d’abord, les impératifs contribuant à former des périphrases (marqués par<br />

un astérisque*) ; ensuite, les impératifs relevant du groupe des verbes de<br />

dire/penser/savoir/percevoir, mis en italique, qui recouvrent partiellement les impératifs<br />

métadirectifs ; enfin, les impératifs directifs marqués en gras :<br />

Tableau 1 : Les impératifs dans les discours de Cicéron (LASLA)<br />

Impératif Occ.<br />

*uide/uidete 3 131<br />

cognosce/cognoscite 84<br />

*noli/nolite 78<br />

recita 53<br />

crede/credite/creditote 46<br />

adtende/adtendite 3<br />

dic/dicite/dicito 36<br />

*fac/facite/facito 35<br />

scito/scitote 31<br />

esto 30<br />

audi/audite 26<br />

recordare/recordamini 24<br />

da/date/dato 23<br />

*caue/cauete ; considera/considerate 17<br />

adde/addite 15<br />

quaere/quaerite/quaerito 14<br />

conserua/conseruate/conseuato 13<br />

accipe/accipite ; confer/conferte ;<br />

defende/defendite/ito<br />

11<br />

doce 10<br />

cogita/cogitate ; puta/putate/ato/atote ; redde/reddite 9<br />

aude/audete ; ignosce/ignoscite/itote ; ostende/ 8<br />

ostendite ; respice/respicite<br />

aspice/aspicite ; perspice/perspicite ; *prouidete ;<br />

tolle/tollite<br />

2 Malheureusement, le corpus du LASLA ne comporte pas la correspondance de Cicéron ; en revanche, y<br />

sont représentés tous les discours et les œuvres suivantes : Lael., Off. et Cato.<br />

3 Les impératifs adtende et uide, en particulier, peuvent avoir une autre fonction.<br />

171<br />

43<br />

7


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

habe/habeto/tote ; memento/mementote ; perge ;<br />

pone/ponite ; prospicite ; retinete ; statue/statuite<br />

accusa ; animaduerte/animadvertite ; circumspice/<br />

circumspicite ; concede/concedite ; *desine/desinite ;<br />

iudica/iudicato ; miseremini ; nega/negate/tote ;<br />

propone/proponite ; refer/referte/referto ; remoue/<br />

remouete ; responde/respondeto ; restitue/restituite ;<br />

*sine/sinite ; suscipe/suscipite<br />

Avant de procéder à l’analyse de ces données, il convient de préciser quelle est<br />

la proportion entre les impératifs présents et futurs. Les données du LASLA permettent<br />

de déterminer que, dans le corpus cicéronien, les impératifs futurs représentent 11 % de<br />

tous les impératifs 4 chez Cicéron.<br />

En examinant les données présentées dans le tableau, on s’aperçoit que ce ne<br />

sont pas les impératifs directifs qui sont le plus représentés. En regroupant les impératifs<br />

relevés selon la typologie de la phrase impérative (selon Risselada, 1993), présentée<br />

plus haut, dans les catégories d’impératifs directifs, d’impératifs du groupe<br />

dire/savoir/penser et d’impératifs contribuant à former des périphrases, on obtient les<br />

résultats suivants :<br />

occurrences pourcentage<br />

impératifs directifs 314 32 %<br />

dire/savoir/penser/percevoir 371 39 %<br />

périphrases 278 29 %<br />

Cette évaluation aboutit à une conclusion importante : en effet, les impératifs directifs<br />

(da, conserua, accipe…) n’atteignent que 32 % des cas, alors que, ensemble, les<br />

impératifs du groupe dire/penser/savoir/percevoir (dic, puta, scito…) et les impératifs<br />

utilisés dans des périphrases sont majoritaires (fac, noli…) 5 .<br />

2. Les impératifs utilisés dans les périphrases<br />

Les impératifs présents utilisés dans les périphrases (29 % du total), tels caue<br />

« garde-toi (de) », noli « veuille ne pas », fac « tâche (de) » et desine « cesse » 6 ,<br />

montrent les mêmes tendances de placement. Ils figurent en tête de la phrase ou, si elle<br />

est complexe, en tête de la proposition, et sont suivis de leurs infinitif ou subjonctif qui,<br />

eux, véhiculent l’information nouvelle (6-7). Les connecteurs et, sed… ou les particules<br />

connectives comme quare sont prioritaires et, s’ils sont exprimés, ils les précèdent. De<br />

même, les subordonnées circonstancielles se rencontrent en tête de la phrase (8).<br />

(6) Nolite Cn. Fannio dicenti credere. (Cic., Verr. 2.1.128)<br />

« N’allez pas croire ce que déclare Cn. Fannius. »<br />

4<br />

Pour un total de 1241 occurrences d’impératifs, il y a 1106 occ. d’impératifs présents et 135 occ.<br />

d’impératifs futurs.<br />

5<br />

Si l’on considère que les impératifs attestés moins de cinq fois ne sont pas périphrastiques et ne relèvent<br />

pas du groupe de dire/penser/savoir/percevoir, mais qu’il s’agit d’impératifs directifs, le pourcentage<br />

(calculé sur le nombre total de 1241 occurrences) serait le suivant : directifs 48 %, métadirectifs 30 %,<br />

périphrastiques 22 %. De toute manière, les impératifs directifs n’excéderaient pas 50 %.<br />

6<br />

À l’aide de la BTL (1999), nous avons relevé le nombre d’occurrences suivant : 118 fac, 8 facite ; 67<br />

noli, 45 nolite ; 38 caue, 6 cauete ; 7 desine, 5 desinite.<br />

172<br />

6<br />

5


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(7) Caue ignoscas ! (Cic., Lig. 16)<br />

« Garde-toi de pardonner ! »<br />

(8) Quando te proficisci istinc putes, fac ut sciam. (Cic., Att. 2.6.2)<br />

« Fais-moi savoir quand tu penses partir. »<br />

Si le pronom au nominatif, tu ou uos est employé Ŕ généralement par opposition à une<br />

autre personne Ŕ, il précède l’impératif (9). Il est très rare de trouver des cas où le<br />

pronom vient après l’impératif ; cependant, la configuration exemplifiée en (10)<br />

s’explique par le fait que, dans un groupe d’auditeurs, c’est seulement à l’interlocuteur<br />

que les paroles sont adressées Ŕ voir Pinkster (1987 : 370) ; l’exemple (10) est la suite<br />

directe de la phrase citée en (6) :<br />

(9) Ego autem quo modo sim adfectus ex Lepta et Trebatio poteris cognoscere. Tu<br />

fac ut tuam et Tulliae ualetudinem cures. (Cic., Fam. 14.17.1)<br />

« Quels sont mes sentiments, tu pourras l’apprendre de Lepta et de Trébatius.<br />

Toi, donne tous tes soins à ta santé et à celle de Tullia. »<br />

(10) Noli inquam tu, Q. Titini, Cn. Fannio fratri tuo credere. (Cic., Verr. 2.1.128)<br />

« Et toi, dis-je, Q. Titinius, ne va pas croire ton frère, Cn. Fannius. »<br />

La phrase impérative prend une autre disposition si elle contient des éléments<br />

liés qui renvoient au contexte immédiatement précédent. Les constituants représentés<br />

par les relatifs de liaison mis à part 7 , les constituants de topique se placent<br />

prioritairement en tête de phrase. Il s’agit de changements de topique (11) ou de<br />

topiques contrastifs, par exemple libros tuos en (12) qui contraste avec « ce que tu as<br />

acquis pour mon Académie » :<br />

(11) Quintum, fratrem meum, fac diligas. (Cic., Att. 3.13.2)<br />

« Aime bien Quintus, mon frère. »<br />

(12) (quae nostrae Academiae parasti...) Libros uero tuos caue cuiquam tradas ;<br />

nobis eos, quem ad modum scribis, conserua. (Cic., Att. 1.11.3)<br />

« (ce que tu as acquis pour mon Académie...) Tes livres, garde-toi de les céder à<br />

personne : conserve-les, comme tu me l’écris, pour moi. » (trad. C.U.F.)<br />

Les impératifs noli, caue et desine se postposent, exceptionnellement (13 cas au<br />

total, soit 8 %) 8 , à leurs infinitifs ou subjonctifs ; or fac leur est toujours antéposé. On a<br />

par exemple :<br />

(13) (Crudelitate)… Hanc tollite ex ciuitate, iudices, hanc pati nolite diutius in hac re<br />

publica uersari. (Cic., Sex. Rosc. 154)<br />

« (Cruauté)… Faites-la disparaître de l’État, juges ; ne tolérez pas qu’elle règne<br />

plus longtemps dans la République. »<br />

(14) Tu me, ut facis, opera, consilio, gratia iuua. Consolari iam desine, obiurgare<br />

uero noli. (Cic., Att. 3.11.2)<br />

« Quant à toi, aide-moi, comme tu le fais, de ton activité, de tes conseils et de ta<br />

faveur. Cesse enfin de me consoler ; quant aux reproches, épargne-les-moi. »<br />

7 Voir, par exemple : (Competitores)… Quorum tu caue quemquam peregrinum appelles. (Cic., Sulla 24)<br />

« (Ces compétiteurs)… Ne te risque pas à traiter l’un d’eux d’étranger. »<br />

8 La postposition apparaît 8 fois dans le cas de noli, 3 fois pour caue et 2 fois pour desine.<br />

173


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

La disposition en (13) est due à la présence d’un constituant de topique (hanc) ; on<br />

remarquera que l’information nouvelle, représentée par la complétive de pati, est placée<br />

en fin de la phrase. En (14), les différentes sortes d’attention qu’Atticus porte à Cicéron<br />

(activité, conseil, crédit, consolation et reproches) appartiennent à leur savoir partagé ;<br />

consolari et obiurgare sont placés en tête de la proposition par contraste.<br />

L’impératif uide (150 occ.) et uidete (89 occ.), dont le nombre d’occurrences est<br />

très élevé, n’est cependant pas limité à l’emploi dans des constructions périphrastiques<br />

de type uide/uidete ne… 9 . Assumant cette fonction, uide/uidete précède, à une exception<br />

près (sur un total de 69 occ.), sa complétive (15). En revanche, L’impératif<br />

prouide/prouidete « veille(z) à ce que » se positionne devant (6 occ.) sa complétive ou<br />

en fin de phrase (7 occ.), par exemple (16) :<br />

(15) ‘Vide’, inquit ‘ne ueteranos offendas’. (Cic., Phil. 11.37)<br />

« Prends garde, me dit-il, d’offenser les vétérans. »<br />

(16) Vos ne paeniteat tali ciui non pepercisse, per deos immortales, iudices,<br />

prouidete. (Cic., Flacc. 104)<br />

« Quant à vous, juges, par les dieux immortels, ne vous exposez pas à regretter<br />

de n’avoir pas épargné un tel citoyen. »<br />

En outre, l’impératif uide/uidete se rencontre dans des exclamations (voir ci-dessous, §<br />

3.3).<br />

L’impératif futur réfère à un procès dont la réalisation n’est pas immédiate, mais<br />

reportée à un moment ultérieur (voir Vairel-Carron, 1975 : 224, et Risselada, 1993 :<br />

122). Leur caractère futur expliquerait bien leur apparition dans les régissantes des<br />

conditionnelles ainsi que leur place en fin de ces phrases complexes (Pinkster, 1995 :<br />

260). Ces dispositions montrent, en effet, un ordre similaire à celui des phrases<br />

déclaratives. Or, le nombre peu élevé d’occurrences dans le corpus cicéronien (11 au<br />

total) 10 ne permet pas de tirer de conclusions générales. Toutefois, nous avons relevé, au<br />

total, 4 cas de l’impératif futur occupant la position finale de la phrase/proposition, et 5<br />

occurrences de son antéposition à l’infinitif ou au subjonctif 11 . Les exemples de ces<br />

deux configurations sont donnés en (17) et (18), ce dernier étant une phrase complexe. Il<br />

est remarquable, en particulier, que facito se postpose au subjonctif (19), alors que<br />

fac/facite, on l’a vu, ne montre pas cette possibilité (voir les exemples 9 et 11).<br />

(17) Illud caueto…, ne ille uersus… de lege Aurelia falso testimonio confirmetur.<br />

(Cic., Q. frat. 1.3.8)<br />

« Il te faut aussi prendre garde… qu’un faux témoignage ne vienne confirmer<br />

que tu es l’auteur de cette épigramme sur la loi Aurélia. » (trad. C.U.F.)<br />

9 L’impératif uide (150 occ.) et uidete (89 occ.) apparaît dans les constructions suivantes : avec les<br />

subordonnées en ne/ut 69 occ. ; avec interrogation indirecte en quid 33 occ. (dont 2 avec postposition de<br />

uide/uidete, par exemple Cic., Cluent. 148) ; et en quam, quantum, qua… 77 occ. (dont 7 avec<br />

postposition) ; avec complément à l’accusatif 43 occ. (dont 9 avec postposition), avec syntagme<br />

propositionnel en de 3 occ. ; emploi absolu 9 occ. En outre, cinq occurrences présentant des problèmes<br />

textuels ont été éliminés.<br />

10 Voici le nombre exact : 4 facito, 2 caueto, 2 nolitote, 1 desinito.<br />

11 À deux reprises, nolitote est employé de manière absolue.<br />

174


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(18) Simulac tute coeperis tua iudicia rescindere, mihi suscensere desinito. (Cic.,<br />

Verr. 2.5.19)<br />

« Aussitôt que toi, tu auras commencé à casser tes arrêts, cesse de t’enflammer<br />

contre moi. »<br />

(19) Et simul tibi in mentem ueniat facito quemadmodum uitam huiusce depinxeris.<br />

(Cic., Sex. Rosc. 74)<br />

« En même temps, veuille bien te rappeler comment tu as décrit la vie de celuici.<br />

»<br />

3. Impératifs du groupe dire/penser/savoir/percevoir<br />

Les verbes signifiant le fait de dire, de penser, de savoir ou de percevoir<br />

fournissent un grand nombre d’impératifs (39 % au total, voir ci-dessus, tableau 1).<br />

Bien que leurs sémantismes puissent paraître divers, ce groupe partage une propriété en<br />

commun : il s’agit d’expressions qui contribuent à l’interactivité du discours et à sa<br />

progression. L’examen de ces impératifs et du contexte de leur apparition permet<br />

d’isoler les catégories suivantes : les emplois métadirectifs et les emplois en tant<br />

qu’expressions communicatives lorsqu’ils introduisent des interrogations, appellent à<br />

l’attention, introduisent un nouveau contenu ou rappellent un contenu important, ou<br />

introduisent des contenus exclamatifs.<br />

3.1. Les impératifs métadirectifs<br />

Les impératifs métadirectifs sont, on l’a vu plus haut, des expressions explicites<br />

qui accompagnent un acte de parole. Comme R. Risselada (1993 : 259) l’a montré, les<br />

expressions directives peuvent être utilisées pour tous les types d’actes de parole. Par<br />

exemple, l’assertion peut être accompagnée d’un crede mihi « crois-moi » qui renforce<br />

la vérité du contenu, ou d’un scito « sache » qui insère un contenu dans le savoir de<br />

l’interlocuteur ; l’interrogation peut être signalée par un dic « dis » ou un responde<br />

« réponds » qui incitent à un complément d’information. De même, audi « écoute »<br />

attire l’attention, et uide « regarde » invite à partager les émotions du locuteur. Ces<br />

formules ne sont pas de véritables impératifs mais des expressions qui se distinguent par<br />

des propriétés remarquables : certaines sont parenthétiques et contribuent à l’expression<br />

de la force illocutoire (Risselada, 1989 : 370), certaines admettent des éléments<br />

évaluatifs qui caractérisent les exclamations (voir Vairel-Carron, 1975 : 77, et Pinkster,<br />

1995 : 263).<br />

3.1.1. Expressions parenthétiques<br />

L’impératif crede/credite représente l’expression parenthétique par excellence<br />

sans que ce soit là son emploi exclusif 12 . Crede (86 occurrences) et credite (17 occ.)<br />

apparaissent pratiquement toujours en combinaison avec mihi 13 dans l’ordre mihi<br />

crede/credite 14 en contiguïté directe (79 et 17 occ.) ; crede mihi est fortement<br />

minoritaire (4 occ.). En principe, la locution mihi crede s’insère dans la phrase après le<br />

terme dont la véracité est à souligner (20-21) ou éventuellement devant ce terme, par<br />

exemple, subdubitabam en (22) Ŕ voir Bolkestein (1998b : 7 sq.). Ce dernier exemple<br />

montre l’ordre crede mihi.<br />

12 En effet, l’impératif crede peut régir une complétive, par exemple : Quod cum ita sit, mihi crede<br />

neminem inuitum inuitabis. (Cic., Pis. 94) « Dans ces conditions, crois-moi, tu n’auras à inviter personne<br />

à contre-cœur. »<br />

13 L’unique exception est crede huic testi « croyez ce témoin » (Cic., Caecin. 72).<br />

14 Cf. Berger (1942 : 342) qui considère mihi crede comme une « construction consacrée par l’usage ».<br />

175


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(20) Rubeo, mihi crede, sed iam scripseram ; delere nolui. (Cic., Att. 15.4.3)<br />

« Je rougis, crois-moi, mais c’est déjà écrit ; je ne veux pas effacer. »<br />

(21) (sacrificium) Non ignouit, mihi crede, non. (Cic., Har. resp. 37)<br />

« (Cérémonie) Elle n’a pas pardonné, crois-moi, non. »<br />

(22) O mirificum Dolabellam meum ! Iam enim dico meum ; antea, crede mihi,<br />

subdubitabam. (Cic., Att. 14.15.1)<br />

« Oh ! Mon cher et merveilleux Dolabella ! Car à présent je l’appelle ‘mon<br />

cher’ ; avant, crois-moi, j’avais quelques doutes. » (trad. C.U.F.)<br />

Parenthétique, l’impératif dic annonce une interrogation directe (16 occ.) 15 ,<br />

comme le montre l’exemple (23) ; à six reprises seulement, il est accompagné d’un<br />

mihi, et ce dans l’ordre dic mihi. Il est possible de rencontrer l’impératif dic après<br />

l’interrogation directe (5 occ.), auquel cas il marque l’insistance particulière du locuteur<br />

(24).<br />

(23) Dic mihi, C. Antonius uoluitne fieri septemuir ? (Cic., Att. 15.19.2)<br />

« Dis-moi : est-ce que C. Antonius a voulu devenir septemvir ? »<br />

(24) Manilio et Luscio negas esse credendum ? Dic, aude. (Cic., Rosc. Gall. 44)<br />

« Déclares-tu que l’on ne doit pas croire le serment de Manilius et de Luscius ?<br />

Dis-le, ose le dire. »<br />

D’autres impératifs peuvent être utilisés comme parenthétiques, par exemple<br />

putato, memento (voir note 21), responde.<br />

Les expressions parenthétiques sont dépourvues de topique. Le positionnement<br />

des expressions parenthétiques dépend de leur fonction : tandis que mihi crede sert à<br />

renforcer une assertion, dic (et similaires) suscitent une réponse. On comprend alors<br />

pourquoi mihi crede s’insère dans la phrase, et pourquoi dic la précède ou la suit.<br />

3.1.2. Impératifs introduisant des contenus exclamatifs<br />

Des impératifs tels que uide/uidete ont pour fonction d’inviter l’interlocuteur à<br />

partager des émotions (Risselada, 1993 : 262 ; cf. Vairel-Carron, 1975 : 77, et Pinkster,<br />

1995 : 263). Ces phrases peuvent contenir des éléments relevant d’une évaluation<br />

subjective ou des mots intensifs, comme quam multi en (25).<br />

(25) Deinde alii quaestus instituuntur, ex uno genere nauali uidete quam multi !<br />

accipere a ciuitatibus pecuniam ne nautas darent… (Cic., Verr. 2.5.61)<br />

« Puis, d’autres sources de gain ont été établies, de cette partie de<br />

l’administration navale, voyez comme elles sont nombreuses : recevoir des villes<br />

de l’argent pour ne pas fournir des matelots... »<br />

3.2. Expressions communicatives<br />

De nombreux impératifs relevés dans le corpus cicéronien sont étroitement liés à<br />

la communication. Au point de vue sémantique, certains invitent l’interlocuteur à faire<br />

un acte de parole : répondre à une question (dic, responde) ou produire des explications<br />

(doce), d’autres l’incitent à porter son attention sur un contenu particulièrement<br />

important (audi, attende) ou sur une nouvelle information (cognosce, adde, scito),<br />

d’autres encore l’invitent à considérer un point particulier (puta, recordare, cogita).<br />

15 Pour les autres emplois de dic (52 occ. au total), voir le paragraphe § 3.2.<br />

176


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

3.2.1. Impératifs accompagnant des interrogations<br />

Par leur force lexicale, les impératifs tels que dic, responde et doce sont<br />

employés pour susciter une réponse. Ils régissent des interrogations indirectes, des<br />

complétives infinitives ou un constituant à l’accusatif. Assumant cette fonction,<br />

l’impératif présent dic « dis », responde « réponds » et doce « montre » 16 précèdent<br />

généralement leurs complétives et compléments. Des exemples typiques sont donnés en<br />

(26-28) :<br />

(26) Scio dolorem non esse nequitiam. Desine id me docere : hoc doce, doleam necne<br />

doleam, nihil interesse. (Cic., Tusc. 2.29)<br />

« Je sais que la douleur n’est pas la perversité. Cesse de m’en donner des<br />

leçons ; montre-moi ceci : que j’éprouve ou non la douleur, cela n’a aucune<br />

importance. »<br />

(27) Atque istam ipsam quaestionem dicite qui obsignarit. (Cic., Cluent. 185)<br />

« Et dites : qui a signé ce prétendu interrogatoire ? »<br />

(28) Quo die ? Te ipsum, Naeui, uolo audire… Dic, Naeui, diem. – A. d. V Kal.<br />

intercalares. (Cic., Quinct. 79)<br />

« Quel jour ? Je veux t’entendre toi-même, Naevius… Dis le jour, Naevius ! Ŕ<br />

Le cinquième jour avant les calendes du mois intercalaire. »<br />

Le verbe à l’impératif ne porte pas l’information saillante Ŕ celle-ci est généralement<br />

véhiculée par le complément à l’accusatif (28) ou par la subordonnée (26) et (27). Les<br />

impératifs eux-mêmes peuvent être précédés des particules (atque, quare, age…), d’une<br />

subordonnée circonstancielle, d’un pronom cataphorique hoc (26) 17 ou du pronom tu,<br />

employé par contraste (3 occ. pour dic : Caecin. 48). De même, le topique se rencontre<br />

en tête de la phrase, comme le montre l’exemple (27) avec istam ipsam quaestionem.<br />

La fonction de focus peut être attribuée à un autre constituant, par exemple à un<br />

complément circonstanciel Ŕ tel est le cas de in iudicio et in senatu en (29) :<br />

(29) At tu eadem ista dic in iudicio aut, si coronam times, dic in senatu. (Cic., Fin.<br />

2.74)<br />

« Mais dis-le du moins quand tu seras dans le tribunal à rendre justice ; ou, si tu<br />

crains le cercle des assistants, dis-le dans le sénat.… »<br />

Parmi les impératifs futurs, nous avons relevé en particulier l’impératif dicito (9<br />

occ.) ; il se rencontre dans des phrases complexes de type (30) et figure à la place finale.<br />

La postposition de la subordonnée en (31) s’explique par le fait qu’elle est annoncée par<br />

haec cataphorique précédant dicito. À deux reprises seulement, il est suivi d’une<br />

subordonnée en si restrictive (Cic., Diu. 2.72).<br />

(30) Tum te si uoles, cum et patriae quod debes solueris, et naturam ipsam expleueris<br />

satietate uiuendi, satis diu uixisse dicito. (Cic., Marc. 27)<br />

« Alors, si tu y tiens, quitte envers la patrie, quitte envers la nature, et rassasié<br />

d’années, tu pourras dire : ‘J’ai vécu assez longtemps’. » (trad. C.U.F.)<br />

(31) Quapropter si mihi respondere uoles, haec dicito : classem instructam atque<br />

ornatam fuisse. (Cic., Verr. 2.5.135)<br />

16 Le nombre d’occurrences relevées est le suivant : 36 dic (mis à part les emplois parenthétiques étudiés<br />

dans le § 3.1.1), 1 dicite, 3 responde et 13 doce.<br />

17 C’est l’un des deux exemples relevés dans le cas du verbe doce.<br />

177


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« C’est pourquoi si tu veux me répondre, tu diras : ‘La flotte a été armée et<br />

équipée’. »<br />

3.2.2. Impératifs appelant à l’attention<br />

Les impératifs audi « écoute » et attende « prête attention » 18 admettent des<br />

constructions variées : ils sont suivis de subordonnées complétives (32) ou de<br />

compléments à l’accusatif (34 et 35), ou bien ils sont employés de manière absolue (33).<br />

(32) Sed attende, quaeso, quae sint consecuta. (Cic., Fam. 1.9.15)<br />

« Mais prête attention, je te prie, à ce qui arriva par la suite. »<br />

(33) Audi atque attende, Laterensis, ut scias quid ego Plancio debeam. (Cic., Planc.<br />

98)<br />

« Écoute et fais attention, Laterensis, afin que tu saches ce que je dois à<br />

Plancius. »<br />

Cependant, ces impératifs ne se positionnent à l’initiale de la phrase ou de la<br />

proposition que dans 67 % des cas. Cela s’explique par le fait que ces phrases qui<br />

servent à attirer l’attention sur un contenu sont dépourvues de topique. Il reste à savoir<br />

dans quelles conditions l’impératif se positionne à la fin de la phrase (33 %). Cela ne<br />

semble pas dépendre de la forme syntaxique, simple ou complexe, du complément :<br />

certes, les interrogations indirectes suivent souvent l’impératif régissant (cf. exemple<br />

32), mais les actants 2 à l’accusatif peuvent le précéder (17 occ.) aussi bien que le suivre<br />

(20 occ.) ; on comparera à ce titre les exemples (34) et (35).<br />

(34) Nunc audi reliqua. (Cic., Att. 7.1.2)<br />

« Écoute maintenant la suite. »<br />

(35) Nunc reliqua attendite. (Cic., Phil. 13.30)<br />

« Écoutez maintenant la suite. »<br />

D’une manière plus générale, la saillance de la phrase impérative comportant<br />

audi et attende réside dans leurs compléments obligatoires ou dans les compléments<br />

adverbiaux (cf. l’exemple 40 cité ci-dessous) Ŕ les impératifs eux-mêmes ne véhiculent<br />

pas l’information essentielle. Les actants 2 à l’accusatif, qui apportent l’information<br />

nouvelle, suivent l’impératif (36). En revanche, s’ils contiennent une expression<br />

évaluative, comme maximum « le plus grand » (Cic., Phil. 13.34) ou stuporem<br />

« stupidité » (37), ils se positionnent à l’initiale. De même, figurent à l’initiale les<br />

compléments accompagnés de particules focalisantes tels que quoque ou etiam (38).<br />

(36) Audite decretum mercennari praetoris ex ipsius commentario… recita. (Cic.,<br />

Verr. 2.5.54)<br />

« Écoutez la décision du préteur vénal tirée de son registre… Lis. »<br />

(37) Sed stuporem hominis uel dicam pecudis attendite. (Cic., Phil. 2.30)<br />

« Mais remarquez la stupidité, je ne dirais pas de cet homme, mais de cette<br />

brute. » (trad. C.U.F.)<br />

(38) Habes res Romanas. Sed tamen etiam illud, quod non speraram, audi. (Cic., Att.<br />

1.14.6)<br />

« Tu connais les événements à Rome. Mais écoute encore une chose que je<br />

n’espérais pas. »<br />

18 Le nombre d’occurrences relevées est le suivant : 23 audi, 24 audite, 14 attende et 36 attendite.<br />

178


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

La place initiale appartient également aux cataphoriques (hoc) qui annoncent le contenu<br />

d’une complétive (id n’est pas utilisé) :<br />

(39) Hoc quoque attendite, apparitores a praetore adsignatos habuisse decumanum.<br />

(Cic., Verr. 2.3.61)<br />

« Accordez votre attention aussi à ceci : le dîmeur avait des appariteurs assignés<br />

par le préteur. »<br />

Lorsqu’une circonstance est exprimée par une subordonnée, l’impératif, souvent<br />

employé de manière absolue, se retrouve à la fin de la phrase (40).<br />

(40) Tametsi… istius improbitatem perspicuam esse confido, tamen paulum etiam<br />

attendite. (Cic., Verr. 2.2.108)<br />

« Bien que l’improbité de cet homme soit évidente, accordez-moi encore un peu<br />

d’attention. »<br />

3.2.3. Impératifs introduisant un nouveau contenu ou rappelant un contenu<br />

important<br />

3.2.3.1. Impératifs présents<br />

Les impératifs tels que adde « ajoute », concede « accorde », cogita « songe » ou<br />

recordare « rappelle-toi » 19 servent à annoncer un nouvel élément ou à rappeler une<br />

information importante. Ces verbes régissent, dans la majorité de cas, une subordonnée<br />

complétive, infinitive ou conjonctive. Dans 89 % des cas (63 occ. sur 71), les impératifs<br />

sont placés en tête de phrase/proposition Ŕ adde, concede précèdent toujours leurs<br />

complétives, cogita et recordare peuvent les suivre. Des exemples typiques sont donnés<br />

en (41-43).<br />

(41) Concede igitur ut tibi anteponatur in accusando prouincia. (Cic., Caecil. 54)<br />

« Accorde donc que, de préférence à toi, on donne à la province le droit de<br />

l’accusation. » (trad. C.U.F.)<br />

(42) Recordare igitur illum, M. Antoni, diem quo dictaturam sustulisti. (Cic., Phil.<br />

2.115)<br />

« Rappelle-toi donc, Antoine, ce jour où tu as aboli la dictature. »<br />

(43) In ipso Cn. Pompeio… quam multa sint noua summa Q. Catuli uoluntate<br />

constituta recordamini. (Cic., Imp. Pomp. 60)<br />

« Rappelez-vous combien de choses nouvelles vous avez faites pour Cn.<br />

Pompée lui-même, avec l’approbation sans réserve de Q. Catulus. »<br />

La place initiale de l’impératif en (41) et (42) s’explique par le fait que ces phrases<br />

n’ont pas de topique ; la partie informative de la phrase figure à droite. En revanche, la<br />

présence du topique in ipso Cn. Pompeio entraîne la configuration avec l’impératif à la<br />

fin de la phrase.<br />

Les compléments à l’accusatif, en particulier, peuvent être de nature contextuelle<br />

différente : tandis qu’en (42), illum diem relève du savoir partagé, sermones,<br />

19 Le nombre d’occurrences relevées est le suivant : 27 adde, 2 addite, 7 concede, 1 concedite, 8 cogita, 8<br />

cogitate, 11 recordare et 8 recordamini.<br />

179


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

suspiciones et inuidiam en (44) sont contextuellement indépendants. Or ce fait va de<br />

pair avec la valeur sémantique des verbes recordare « rappelle-toi » et adde « ajoute » :<br />

(44) Adde istuc sermones hominum, adde suspiciones, adde inuidiam. (Cic., Phil.<br />

11.23)<br />

« Ajoute à cela les discours que l’on tient, ajoute les soupçons, ajoute la<br />

malveillance. »<br />

La subordonnée gouvernée par l’impératif peut être annoncée par un<br />

cataphorique : les impératifs cogita et adde apparaissent surtout avec illud (simple ou<br />

focalisé par etiam), ce qui s’explique par la valeur sémantique de ces verbes qui<br />

rappellent un contenu faisant partie du savoir partagé. Illud est placé à l’initiale dans le<br />

cas de cogita (3 occ.), mais après l’impératif dans le cas de adde (2 occ.), par exemple :<br />

(45) Tum etiam illud cogitate, sic uiuere ac uixisse Cornelium… (Cic., Balb. 65)<br />

« Alors considérez encore ceci : Cornélius vit et a vécu de manière que… »<br />

(46) Condemnatus est C. Iunius qui ei quaestioni praefuerat ; adde etiam illud si<br />

placet : tum est condemnatus cum esset iudex quaestionis. (Cic., Cluent. 89)<br />

« On a condamné Caius Junius qui présidait dans cette cause ; ajoute, si tu le<br />

veux, encore ceci : il a été condamné alors qu’il était juge de la cause. »<br />

3.2.3.2. Cognosce/cognoscite<br />

Il convient d’étudier en détail l’impératif du verbe cognoscere « apprendre »,<br />

« prendre connaissance », très fréquemment employé à l’impératif (106 occ. au total),<br />

qui sert à attirer l’attention sur quelque chose qui sera présenté ou dit. Au singulier,<br />

cognosce se lit surtout dans la correspondance de Cicéron (22 occurrences sur un total<br />

de 26), cognoscite n’apparaît que dans ses discours (80 occ.). L’actant 2 est représenté<br />

par un nom (syntagme nominal) à l’accusatif, par un pronom ou par une subordonnée<br />

(interrogative, relative…). En outre, au lieu d’un complément à l’accusatif, on rencontre<br />

un syntagme prépositionnel en de. À l’initiale absolue, seules 28 occurrences se<br />

rencontrent. Le pronom personnel au nominatif n’est employé qu’à une seule reprise<br />

(uos). Voici les ordres relevés :<br />

Tableau 2 : L’impératif cognosce/cognoscite (BTL 1999)<br />

cognosce > actant 2 27 actant 2 > cognosce 27<br />

cognosce > actant 2 pronom 3 actant 2 pronom > cognosce 16<br />

cognosce > subordonnée 8 subordonnée > cognosce 14<br />

total 38 total 57<br />

On peut observer que le verbe se positionne plutôt à droite de la phrase (60 %)<br />

qu’à gauche (40 %). Si les pronoms Ŕ en particulier cataphoriques et résomptifs Ŕ<br />

privilégient la place en tête de la phrase (16 occ.), par exemple (47), les actants 2<br />

nominaux se positionnent tantôt à droite, tantôt à gauche de la phrase (27 occ.) :<br />

(47) (...quid lucelli fecerit homo…) Id quaeso ex ipsorum testimonio cognoscite.<br />

Recita. (Cic., Verr. 2.3.106)<br />

« (... de petits gains qu’a faits un homme…) Cela, je vous prie, prenez-en<br />

connaissance d’après leur propre déposition. Lis. »<br />

180


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Les actants 2 gouvernés par l’impératif cognosce représentent souvent le focus<br />

de la phrase (question quem, quid ?). Ils véhiculent l’information entièrement nouvelle,<br />

comme exitum « dénouement » en (48), ou marquent l’entité déjà mentionnée<br />

auparavant comme litteras « lettre » en (49) qui sera présentée sous un autre angle :<br />

dans cet exemple, son contenu sera introduit :<br />

(48) Exitum huius assimulatae familiaritatis cognoscite. (Cic., Cluent. 36)<br />

« Apprenez le dénouement de cette amitié simulée. »<br />

(49) Cognoscite Metelli litteras. Recita. EPISTULA L. METELLI. (Cic., Verr. 2.3.45)<br />

« Prenez connaissance de la lettre de Métellus. Lis. LETTRE DE L.<br />

METELLUS. »<br />

En revanche, l’actant 2 est placé en tête de la phrase lorsqu’il fait partie d’un<br />

syntagme comportant des mots intensifs tels que tantus ou ipse (50) ou des adjectifs<br />

relevant d’une appréciation subjective Ŕ comme adrogantiam en (51). La place initiale<br />

s’explique par l’emphase portée sur ces éléments :<br />

(50) Atque ipsum decretum, quaeso, cognoscite. (Cic., Rosc. Amer. 25)<br />

« Et prenez connaissance, je vous prie, du décret lui-même. »<br />

(51) Sed adrogantiam hominis insolentiamque cognoscite. (Cic., Phil. 2.84)<br />

« Mais connaissez l’arrogance et l’effronterie de cet homme. »<br />

De même, on rencontre à l’initiale des actants 2 non emphatiques (cf. l’exemple<br />

48, exitum), contextuellement non liés Ŕ par exemple edictum « édit » qui représentent<br />

l’élément saillant de la phrase. Sa place initiale est à mettre au compte de l’importance<br />

particulière que l’auteur lui accorde :<br />

(52) Edictum enim hominis cognoscite, quo edicto omnia iudicia redegerat in suam<br />

potestatem : SIQVI PERPERAM IVDICASSET, SE COGNITVRVM. (Cic., Verr.<br />

2.2.33)<br />

« Prenez, en effet, connaissance de l’édit de cet homme Ŕ par cet édit, il avait<br />

réduit à son pouvoir toutes les instances judiciaires : SI UN JUGEM<strong>EN</strong>T<br />

INCORRECT AVAIT ÉTÉ R<strong>EN</strong>DU, IL CONNAÎTRAIT DE L’AFFAIRE. »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

Les syntagmes prépositionnels en de… se positionnent à droite de la phrase,<br />

lorsqu’ils véhiculent l’information nouvelle (53) ; de Bruto y est en contraste avec<br />

consilia nostra. En tête de la phrase, on rencontre des sub-topiques comme de<br />

Agyrinensi populo « le peuple d’Agyrium » (54) qui fait partie des « cités » (ciuitatum)<br />

dont les témoignages sont énumérés :<br />

(53) (Habes consilia nostra ;) Nunc cognosce de Bruto : familiaris habet Brutus tuus<br />

quosdam creditores… (Cic., Att. 5.21.10)<br />

« (Tu connais mes projets.) Apprends maintenant ce qui concerne Brutus : ton<br />

ami Brutus est en relations étroites avec certains créanciers… »<br />

(54) Audistis permulta iudices, testimonia ciuitatum et reliquarum audietis. Ac<br />

primum de Agyrinensi populo fideli et inlustri breuiter cognoscite. (Cic., Verr.<br />

2.3.67)<br />

181


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Vous avez entendu, juges, de très nombreux témoignages de cités et vous en<br />

entendrez encore des autres cités. Tout d’abord, apprenez en peu de mots ce qui<br />

concerne l’illustre et fidèle peuple d’Agyrium. »<br />

3.2.3.3. Impératifs futurs<br />

Le verbe scito (66 occ.) et scitote (28 occ.) compte parmi les plus fréquents. Ces<br />

impératifs appellent une subordonnée complétive et le plus souvent, ils sont incorporés<br />

à cette dernière (scito 36 occ., scitote 20 occ., soit au total 60 % des cas), cf. l’exemple<br />

(58).<br />

Le contenu de la subordonnée peut être annoncé par le cataphorique hoc (illud et<br />

id ne sont pas utilisés) qui occupe la place à l’initiale. Hoc postposé à l’impératif<br />

(exemple 56) a une fonction anaphorique :<br />

(55) Hoc scito, Antium Buthrotum esse Romae. (Cic., Att. 4.8.1)<br />

« Sache qu’Antium est le Buthrote de Rome. »<br />

(56) Illud quod tibi curae saepe esse intellexeram…, scito hoc nos in eo iudicio<br />

consecutos esse ut omnium gratissimi iudicaremur. (Cic., Q. frat. 2.4.1)<br />

« Une chose, je m’en suis rendu compte, t’a souvent préoccupé : … Eh bien,<br />

apprends que ce procès m’a valu de passer pour un modèle de reconnaissance. »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

Scito et scitote figurent en tête de phrase/proposition dans 30 % des cas ; cette<br />

organisation est en effet utilisée, s’il n’y a pas de constituant topique :<br />

(57) Scito igitur in te et in collega spem omnem esse. (Cic., Fam. 11.25.2)<br />

« Sache donc que tous les espoirs reposent sur toi et sur ton collègue. »<br />

Si la phrase contient un topique, appartenant généralement à la subordonnée,<br />

exprimé par un substantif (58) ou par un syntagme nominal, le constituant de topique<br />

figure en tête de phrase. Nous avons noté également des impératifs placés après un<br />

constituant thème (59). Ce dernier ne fait pas partie de la phrase mais y est extraposé.<br />

(58) Lucceium scito consulatum habere in animo statim petere. (Cic., Att. 1.17.11)<br />

« Sache que Luccéius a l’intention d’obtenir aussitôt le consulat. »<br />

(59) De Quinto fratre, scito eum non mediocriter laborare de usura 20 . (Cic., Att.<br />

10.15.4)<br />

« Quant à mon frère Quintus, sache qu’il se donne beaucoup de peine pour te<br />

payer. »<br />

Scito et scitote suivent rarement la subordonnée (6 % des cas), par exemple :<br />

(60) Maxima exspectatione in perditam et plane euersam in perpetuum prouinciam<br />

nos uenisse scito prid. Kal. Sext. (Cic., Att. 5.16.2)<br />

« Sache que le 31 juillet, je suis arrivé, impatiemment attendu, dans une<br />

malheureuse province complètement ruinée à jamais. »<br />

Les autres impératifs n’attestent pas beaucoup d’occurrences ; de ce fait, il serait<br />

difficile d’essayer de tirer des conclusions plus générales. Les cas de placement après le<br />

20 Avec la variante textuelle de usura.<br />

182


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

topique mis à part (par exemple, Cic., Cael. 36), on peut remarquer que les impératifs<br />

putato (9 occ.) et putatote (5 occ.) privilégient la place après leurs subordonnées (5 occ.<br />

de putato et 4 occ. de putatote), par exemple (61) et (62), en particulier dans les phrases<br />

complexes. En revanche, memento (10 occ.) et mementote (8 occ.) les précèdent (7 occ.<br />

de memento et 6 occ. de mementote) 21 .<br />

(61) Sed haec iocatum me putato, ut ego te existimo. (Cic., Fam. 5.20.9)<br />

« Mais je plaisante, tu le sens, comme je pense que tu le fais toi-même. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

(62) Hoc dico : nisi uobis id hominum honestissimorum tabulis planum fecero, fingi a<br />

me hoc totum temporis causa putatote. (Cic., Verr. 2.1.156)<br />

« Je ne dis que ceci : Si je ne vous en donne pas par les registres des hommes les<br />

plus honorables une preuve évidente, croyez alors que j’ai tout inventé dans<br />

l’intérêt du moment présent. »<br />

(63) Hic Crassus : Memento, inquit, me non de mea, sed de oratoris facultate dixisse.<br />

(Cic., De orat. 1.78)<br />

« Souviens-toi, reprit Crassus, que j’ai parlé non pas de ma faculté mais de celle<br />

de l’orateur idéal. »<br />

Les cataphoriques n’apparaissent pas dans le cas de putato/te ; la complétive de<br />

memento/te est annoncée par un hoc ou illud en tête (par exemple Cic., De orat. 2.248).<br />

4. Les verbes bivalents transitifs<br />

4.1. Caractéristiques générales<br />

Il convient de procéder à l’examen des impératifs présents formés à partir des<br />

verbes bivalents. Afin d’obtenir des données comparables, nous avons relevé, dans le<br />

corpus cicéronien (BTL 1999), des impératifs qui apparaissent à plus de cinq reprises<br />

(voir tableau 1, présenté ci-dessus) et avons pris en considération seulement les<br />

propositions comportant l’actant 2 à l’accusatif (116 occurrences, soit 70 % sur un total<br />

de 165 occ.). Cet examen devrait nous permettre d’observer la place du verbe à<br />

l’impératif et de son actant à l’accusatif. Les impératifs présents qui ont été retenus sont<br />

regroupés dans le tableau suivant ; en même temps, la place relative de l’impératif et de<br />

l’actant 2 y est indiquée.<br />

Tableau 3 : Les verbes bivalents à l’impératif + complément à l’accusatif (BTL)<br />

Impératif A2 > V V > A2<br />

accusa 1 5<br />

confer 2 12<br />

conserua 2 10<br />

defende 7 1<br />

pone 1 7<br />

propone 5 2<br />

quaere 0 5<br />

recita 1 19<br />

remoue 0 6<br />

retine 3 5<br />

suscipe 4 7<br />

21 Putato/te et memento/te apparaissent également avec un syntagme nominal, et en tant que parenthèses.<br />

183


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

tolle 3 8<br />

Total 29 87<br />

Pourcentage 25 % 75 %<br />

Le tableau met en évidence que dans la majorité de cas, l’impératif formé à<br />

partir d’un verbe sémantiquement fort Ŕ tel recita « lis » ou conserua « conserve » Ŕ est<br />

suivi de son actant 2 à l’accusatif (75 %). Toutefois, il convient de noter certaines<br />

disparités entre les verbes en question : l’impératif recita montre presque toujours<br />

l’ordre verbe > actant 2 (19 occ. sur 20), de même, quaere (5 occ.) ; en revanche,<br />

defende atteste comme majoritaire l’ordre actant 2 > verbe (7 occ. sur 8), de même,<br />

propone (5 occ. sur 7). L’analyse des résultats se concentrera sur l’organisation de la<br />

phrase et la valeur pragmatique de ses constituants. Il s’agit principalement des<br />

configurations suivantes :<br />

(64) Accusa senatum ; accusa equestrem ordinem… ; accusa omnis ordines, omnis<br />

ciuis, dum confiteare hunc ordinem hoc ipso tempore ab Ituraeis circumsederi.<br />

(Cic., Phil. 2.19)<br />

« Accuse le Sénat, accuse l’ordre équestre… ; accuse tous les ordres de l’État,<br />

tous les citoyens, mais avoue du moins qu’en ce moment même notre ordre<br />

sénatorial est assiégé par des Ityréens. » (trad. C.U.F.)<br />

(65) Retinete, retinete hominem in ciuitate iudices, parcite et conseruate. (Cic., Verr.<br />

2.2.76)<br />

« Retenez, juges, retenez cet homme dans la cité romaine ; épargnez-le et<br />

conservez-le. »<br />

(66) Quid ? Recita istam restipulationem clarius. (Cic., Quint. Rosc. 37)<br />

« Comment ? Lisez bien distinctement cette stipulation. »<br />

Dans le premier exemple (64), l’information essentielle est véhiculée par l’actant<br />

2 (senatum ; equestrem ordinem…). La phrase répond à la question quem, quid ?, ce qui<br />

se confirme (dans ce cas) par le fait que les accusés présumés sont énumérés, et le verbe<br />

accusa est répété. Les types d’actant 2 susceptibles d’apparaître dans ce type de phrases<br />

seront présentés dans le paragraphe suivant ; dans cet exemple (64), le sénat aussi bien<br />

que les ordres mentionnés sont indépendants du contexte.<br />

L’exemple (65), accompagné d’ironie, montre également un impératif (retinete)<br />

à l’initiale de la phrase et un actant 2 qui le suit. Cependant, l’actant 2, hominem,<br />

renvoie à un personnage connu et déterminé (« cet homme » ; il s’agit de Verres) et<br />

n’apporte pas l’information essentielle. Cette dernière est véhiculée par l’impératif luimême,<br />

comme le montrent sa répétition et la coordination avec deux autres impératifs<br />

(parcite et conseruate). Ainsi, cette phrase ne répond pas à la question quem, quid ?,<br />

mais nous informe sur ce qu’il faut faire de cet homme.<br />

En (66), nous avons un exemple de l’impératif recita en tête de phrase, l’actant<br />

2, istam restipulationem, contextuellement lié, le suit. L’élément saillant est l’adverbe<br />

de manière (clarius) et la phrase répond à la question quomodo ?<br />

4.2. L’actant 2 porteur de l’information essentielle<br />

L’actant 2 à l’accusatif placé après l’impératif véhicule assez souvent<br />

l’information nouvelle. Cependant, les entités ont des statuts contextuels variés. Il s’agit<br />

d’entités non mentionnées auparavant, avec une lecture indéfinie (67) ; d’entités<br />

dépendantes du contexte mais apportant l’information essentielle (68). Les documents<br />

(libellum) sont accompagnés de déictiques hunc et illum. De même, l’actant 2 peut être<br />

184


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

déterminé par la suite, à l’aide d’une relative, par exemple (69 ; cf. ci-dessous, exemple<br />

117 : eum librum qui).<br />

(67) Quaere argumenta. (Cic., Arch. 11)<br />

« Cherche des arguments. »<br />

(68) (Inueni duos solos libellos…) Recita mihi quaeso hunc primum libellum, deinde<br />

illum alterum. (Cic., Verr. 2.2.183)<br />

« (Je n’ai trouvé que deux mémoires…) Lis-moi, je te prie, le premier mémoire,<br />

puis l’autre. »<br />

(69) Recita litteras L. Metelli quas ad Cn. Pompeium et M. Crassum consules, quas<br />

ad M. Mummium praetorem, quas ad quaestores urbanos misit. (Cic., Verr.<br />

2.3.123)<br />

« Lis la lettre de L. Métellus qu’il a envoyée aux consuls Cn. Pompeius et M.<br />

Crassus, au préteur M. Mummius, aux questeurs urbains. »<br />

Si la phrase contient un topique, celui-ci est élu à l’initiale, comme le montre<br />

l’exemple (70) ; ciuem, contextuellement lié, figure à droite de la phrase. La place<br />

initiale est usuelle également pour les cataphoriques (71) annonçant un contenu exprimé<br />

par une subordonnée qui suit l’impératif :<br />

(70) A quo periculo defendite, iudices, ciuem fortem atque innocentem. (Cic., Font.<br />

49)<br />

« Écartez ce péril, juges, d’un citoyen valeureux et innocent. »<br />

(71) Hoc igitur tibi propone : amplitudinem animi… unam esse omnium rem<br />

pulcherrimam. (Cic., Tusc. 2.64)<br />

« Aie donc à l’esprit ceci : une âme qui s’est agrandie… voilà la situation la plus<br />

belle au monde. »<br />

En outre, l’auteur a la possibilité de placer en tête de la phrase des constituants<br />

porteurs de focus, même contextuellement non liés (72) et (73), auxquels il attribue une<br />

importance particulière. Ainsi, rien n’apportera des éléments d’accusation, pas même<br />

les testium dicta :<br />

(72) (Nihil, nihil inquam aliud iudices reperietis…) Testium dicta recita, doce in<br />

illorum iudiciis quid… sit obiectum. (Cic., Cluent. 62)<br />

« (Juges, vous ne trouverez rien, non, rien d’autre…) Lis les dépositions des<br />

témoins ; montre ce qui a été reproché dans le jugement de ces accusés... »<br />

(73) Num nostra culpa est ? Naturam accusa, quae in profundo ueritatem, ut ait<br />

Democritus, penitus abstruserit. (Cic., Acad. pr. 32)<br />

« Est-ce notre faute ? Accuse la nature qui cache Ŕ comme le dit Démocrite Ŕ la<br />

vérité à une profondeur inaccessible. »<br />

4.3. Le verbe porteur de l’information essentielle<br />

L’impératif formé à partir d’un verbe bivalent transitif peut véhiculer<br />

l’information essentielle : dans ce cas, l’actant 2 est contextuellement donné, comme<br />

hunc unum diem en (74). Topique, ce constituant est placé d’abord, l’impératif à la fin.<br />

De telles phrases disent, non pas ce qu’il faut prendre en main et défendre, mais « ce<br />

qu’il faut faire avec l’entité en question » :<br />

185


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(74) (Sed praeterita omittamus) Hunc unum diem, unum, inquam, hodiernum diem,<br />

hoc punctum temporis, quo loquor, defende, si potes. (Cic., Phil. 2.112)<br />

« (Mais laissons là le passé.) Justifie, si tu peux, ce seul jour, oui, le seul jour<br />

présent, le moment où je parle. »<br />

Une comparaison intéressante s’offre entre (75) et (76) ; dans les deux cas, nous<br />

avons un impératif tollite et un pronom hanc. La première phrase nous informe sur « ce<br />

qu’il faut supprimer » (hanc causam étant l’information nouvelle), la seconde, sur « ce<br />

qu’il faut faire avec la cruauté en question » Ŕ la cruauté (hanc) est traitée comme<br />

topique en tête de la phrase.<br />

(75) Tollite hanc : nullam tam prauae sententiae causam reperietis. (Cic., Phil. 14.3)<br />

« Supprimez ce motif ; vous n’en trouverez aucun autre à une motion si<br />

incorrecte. » (trad. C.U.F.)<br />

(76) (Crudelitate) Hanc tollite ex ciuitate, iudices, hanc pati nolite diutius in hac re<br />

publica uersari. (Cic., Sex. Rosc. 154)<br />

« (Cruauté)… Faites-la disparaître de l’État, juges ; ne tolérez pas qu’elle règne<br />

plus longtemps dans la République. »<br />

L’impératif porteur de focus apparaît également avec l’ellipse de l’actant 2 : tel<br />

est le cas de tollite (77) « supprimez », à savoir les « lois affichées », et remouete<br />

« écartez », à savoir « la violence et les armes ».<br />

(77) Loquor de legibus promulgatis… : demonstro uitia : tollite ! denuntio uim,<br />

arma : remouete ! (Cic., Phil. 1.26)<br />

« Je parle des lois affichées… : je vous en montre les défauts : supprimez-les ; je<br />

vous dénonce la violence et les armes : écartez-les. » (trad. C.U.F.)<br />

5. Les verbes bivalents intransitifs<br />

Dans l’ensemble, les verbes bivalents intransitifs attestent peu<br />

d’occurrences significatives pour notre sujet : nous pouvons retenir seulement 3<br />

occurrences du verbe pergo « aller, se diriger » avec un complément directionnel (sur<br />

un total de 31 occ. de perge/pergite) 22 ; de même, 1 occurrence de proficiscere 23 . Dans<br />

ces cas, peu nombreux, l’impératif figure toujours devant le complément exprimant la<br />

direction.<br />

(78) Catilina, perge, quo coepisti, egredere aliquando ex urbe ; patent portae :<br />

proficiscere. (Cic., Cat. 1.10)<br />

« Catilina, poursuis ton entreprise : sors une bonne fois de Rome ; les portes sont<br />

ouvertes : pars. » (trad. C.U.F.)<br />

(79) Perge in Siciliam. (Cic., Leg. agr. 2.48)<br />

« Passe en Sicile. »<br />

22 Dans les autres cas, il s’agit, soit d’un perge exhortatif, soit d’un perge suivi d’une complétive au sens<br />

de « continuer », par exemple Haec tu perge, ut facis, mitigare et probare quam plurimis. (Cic., Att.<br />

11.7.4) « De ton côté, continue, comme tu le fais, à embellir ma position et à la faire approuver du plus<br />

grand nombre de gens possible. »<br />

23 Il n’y a pas d’occurrences pour le verbe eo et uenio.<br />

186


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

6. Les verbes trivalents<br />

Parmi les verbes trivalents, le verbe do est le plus fréquent ; à l’analyse s’offrent<br />

également les verbes reddo et mitto 24 qui seront analysés dans les paragraphes suivants<br />

(6.2-6.3), après quelques remarques concernant l’analyse de D. Panhuis.<br />

6.1. Analyse de D. Panhuis (1982)<br />

Les verbes do et reddo attestés chez Plaute et employés souvent à l’impératif ont<br />

été analysés par D. Panhuis (1982 : 68-72), comme on l’a signalé dans la partie<br />

introductive de ce chapitre (§ 1.1). D. Panhuis a le mérite d’avoir montré que la phrase<br />

impérative obéit aux règles pragmatiques de placement des constituants et de ce fait,<br />

que l’impératif n’est pas contraint à un placement fixe dans la phrase. En revanche, le<br />

principe du dynamisme communicatif croissant semble ne pas s’appliquer d’une<br />

manière systématique : en particulier, la lecture attentive d’un passage de Plaute,<br />

Asinaria 664-692 (voir Panhuis 1982 : 37 sq.) nous en offre des exemples intéressants.<br />

Le verbe do y est employé avec des pronoms personnels (mihi, nobis), liés à la situation<br />

du discours, et avec des compléments d’objet liés au contexte : argentum « l’argent »,<br />

istas uiginti minas « ces vingt mines », istuc « cela », istuc argentum « cet argent ». Le<br />

statut contextuel de ces compléments va de pair avec la nature des phrases impératives<br />

dans lesquels ils apparaissent : il s’agit non pas d’ordonner de donner quelque chose,<br />

mais de supplier de le faire (cf. Risselada, 2004) 25 . En effet, les deux locuteurs Ŕ<br />

Argyrippe et Philénie Ŕ supplient deux esclaves de leur remettre l’argent qui leur est<br />

destiné (les traductions citées sont empruntées à P. Grimal) :<br />

(80) Da, méus ocellus…, / Leónida, argentúm mihi. Ne nós diiunge amántis. (Plaut.,<br />

As. 664-665)<br />

« Donne, mon cher œil…, Léonide, donne-moi cet argent ; nous nous aimons, ne<br />

nous sépare pas. »<br />

(81) Da míhi istas uigintí minas : uidés me amantem egére. (Plaut., As. 685)<br />

« Donne-moi ces vingt mines : tu vois que je suis amoureux et que je n’ai rien à<br />

donner. »<br />

(82) O Líbane, mi patróne, mihi trade ístuc… (Plaut., As. 689)<br />

« Ô Liban, ô mon patron, passe-moi donc ça… »<br />

(83) Mi Líbane… / Amábo, faciam quód uoles, da istúc argentum nóbis. (Plaut., As.<br />

692)<br />

« Mon petit Liban…, s’il te plaît, je ferai ce que tu voudras, donne-nous cet<br />

argent. »<br />

Comme on peut le remarquer, les variations de placement du verbe et de ses<br />

compléments sont assez grandes ; cependant, vu le contexte, ces phrases impératives<br />

n’ont pour élément saillant ni l’objet direct (quid ?) ni l’objet indirect (cui ?) 26 mais le<br />

verbe : elles invitent à donner. Cette interprétation se confirmerait par l’interrogation en<br />

(84) qui présente le verbe datis accompagné de la particule -ne :<br />

24<br />

Le nombre d’occurrences relevées est le suivant : 33 da, 12 date, 9 redde, 4 reddite, 11 mitte et 1<br />

mittite.<br />

25<br />

En identifiant ces phrases impératives comme des supplications, R. Risselada (2004) met en évidence<br />

l’effet comique qui résulte du fait que des gens libres supplient des esclaves.<br />

26<br />

Toutefois, en (80), on pourrait interpréter, avec D. Panhuis (1982 : 39), le constituant mihi comme<br />

saillant et contrastif ; cette réplique est prononcée par Philénie qui pourrait s’opposer à Argyrippe.<br />

187


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(84) Quoniam ut est lubitum nos delusistis, datísne argentum ? (Plaut., As. 711)<br />

« Puisque vous vous êtes amusés de nous autant que vous l’avez voulu, est-ce<br />

que vous nous donnez l’argent ? »<br />

Les variations de positionnement s’expliqueraient par le fait que le texte dialogique est<br />

destiné à la présentation orale qui peut mettre en œuvre des moyens de proéminence<br />

prosodique pour signaler les éléments saillants.<br />

6.2. Da, date et redde, reddite<br />

Le verbe do à l’impératif est, on l’a vu, relativement bien représenté dans le<br />

corpus cicéronien (45 occ. au total), le verbe reddo moins bien (13 occ. au total). Après<br />

avoir éliminé les occurrences incomplètes, dues à l’ellipse du complément au datif 27 ,<br />

nous pouvons observer les modèles suivants :<br />

Tableau 4 : L’impératif da/date et redde/reddite (BTL)<br />

Modèle Occ. Dont pronominaux:<br />

V > A2 > A3 7 5 A2<br />

V > A3 > A2 10 3 A2 ; 5 A3<br />

A2 > V > A3 2 2 A3<br />

A2 > A3 > V 4 1 A2 ; 1 A3<br />

A3 > V > A2 4 2 A3<br />

A3 > A2 > V 1<br />

Total 28<br />

Toutes les possibilités de placement sont attestées. Le verbe précède les<br />

compléments dans la plupart des cas (17 occurrences, dont 9 à l’initiale de la phrase).<br />

Pronominal, l’actant 2 ou 3 est placé en premier (3 cas), à l’intérieur (11 cas) ou en<br />

dernier (5 cas). Le pronom au nominatif (contrastif) apparaît une fois.<br />

Au point de vue pragmatique, le verbe n’est généralement pas porteur du focus.<br />

Le seul exemple d’un verbe focal que nous avons rencontré est l’exemple (85) ; da te y<br />

est employé au sens de « confie-toi », l’actant 3 est donné par le contexte (« à cet<br />

homme ») et renvoie à Pompée.<br />

(85) Qua re da te homini ; complectetur, mihi crede. (Cic., Fam. 2.8.2)<br />

« Aussi va avec confiance à cet homme ; il t’ouvrira ses bras, crois-moi. »<br />

Les compléments à l’accusatif ou au datif véhiculent alors souvent l’information<br />

essentielle. L’actant 2, porteur de focus, se rencontre en fin de phrase (86-87). L’actant<br />

3 est dans ces cas représenté par un pronom personnel (mihi, nobis…) ou est<br />

contextuellement lié (rei publicae, 87). Ces phrases répondent à la question<br />

quem, quid ?<br />

(86) Da mihi testimonium mutuum. (Cic., Flacc. 10)<br />

« Prête-moi ton témoignage à charge de revanche. »<br />

27 Il s’agit de 12 pour do et 8 pour reddo ; les locutions da operam et signum dare ont également été<br />

écartées.<br />

188


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(87) Reddite rei publicae consulem. (Cic., Mur. 89)<br />

« Rendez un consul à la République. »<br />

De même, l’actant 2 occupe la place finale d’une proposition, lorsqu’il est plus<br />

amplement développé par une subordonnée ou par une apposition :<br />

(88) Reddite prius nobis Brutum, lumen et decus ciuitatis ; qui ita conseruandus est<br />

ut… (Cic., Phil. 11.24)<br />

« Rendez-nous d’abord Brutus, la lumière et la gloire de la cité : il doit être<br />

conservé comme… »<br />

Le corpus a offert quelques occurrences de pronoms (3 hoc) et les syntagmes les<br />

contenant (3 cas) placés après le verbe à l’impératif ; les phrases signifient « que faut-il<br />

donner/accorder ? » :<br />

(89) Date huic religioni aditum, pontifices. (Cic., Dom. 123)<br />

« Donnez accès, pontifes, à ce pouvoir religieux. »<br />

(90) Reus ut absoluatur non peto, sed ut ab hoc potius quam ab illo accusetur, id<br />

peto. Da mihi hoc, concede… (Cic., Caecil. 23)<br />

« Je ne réclame pas que l’accusé soit absous, mais, qu’il soit accusé par celui-ci<br />

plutôt que par celui-là, voilà ce que je réclame. Accorde-moi cela, fais-moi cette<br />

concession… » (trad. C.U.F.)<br />

Des constituants contrastifs se rencontrent à l’initiale, comme filiam qui<br />

contraste avec les parties du corps (membra, manus, digitos et neruos) énumérées dans<br />

la phrase immédiatement précédente. En effet, Décianus a torturé la jeune femme et s’il<br />

ne peut la rendre intègre, il est invité à la rendre en tant que telle. Bien que les deux<br />

actants Ŕ l’objet direct filiam et l’objet indirect patri Ŕ soient liés au contexte, filiam (à<br />

noter la répétition) représente l’élément saillant et la phrase répond à la question quem ?<br />

(91) Membra quae debilitauit lapidibus fustibus ferro, manus quas contudit, digitos<br />

quos confregit, nervos quos concidit restituere non potest ; filiam, filiam<br />

inquam, aerumnoso patri, Deciane, redde. (Cic., Flacc. 73)<br />

« Les membres qu’il a estropiés à coups de pierres, de bâtons, d’épées, les mains<br />

qu’il a brisées, les nerfs qu’il a coupés, il ne peut les remettre en état. Mais la<br />

fille, oui, rends la fille, Décianus, à ce père infortuné. » (trad. C.U.F.)<br />

Il est intéressant de comparer cette configuration avec celle de la phrase au<br />

subjonctif formulée juste avant (92) : le parallélisme entre restituat uxorem et reddat<br />

filiam invite à conclure que la phrase véhicule également l’information quem ? et non<br />

pas cui ? : en effet, l’actant 3 n’est présent que dans la seconde proposition (patri) ;<br />

l’actant 3 renvoyant au mari dans la première proposition n’est pas exprimé :<br />

(92) Exsurge, Amynta, repete a Deciano non pecuniam, non praedia…; restituat<br />

uxorem, reddat misero patri filiam. (Cic., Flacc. 73)<br />

« Lève-toi, Amyntas, réclame à Décianus, non pas l’argent, ni les domaines… ;<br />

qu’il rende l’épouse, qu’il rende sa fille à ce malheureux père. » (trad. C.U.F.)<br />

L’actant 3 véhicule l’information essentielle moins souvent. Les exemples<br />

étudiés, au nombre de quatre, présentent ces constituants à la fin de la proposition. Il<br />

189


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

s’agit quelquefois d’énumérations (93) ou de constituants plus amplement développés.<br />

Ces phrases nous informent sur la personne à laquelle il faut donner ou rendre quelque<br />

chose.<br />

(93) Da igitur, quaeso, negotium Pharnaci, Antaeo, Saluio, ut id nomen ex omnibus<br />

libris tollatur. (Cic., Att. 13.44.3)<br />

« Aussi, donne mission, s’il te plaît, à Pharnace, à Antaeus, à Salvius, d’effacer<br />

ce nom de tous les livres. »<br />

Il importe de noter qu’il n’est pas toujours facile de reconnaître quelle<br />

information est véhiculée par la phrase en question. En particulier, lorsque et l’actant 2<br />

et l’actant 3 sont donnés par le contexte Ŕ par exemple, sodalis filius et bona ont déjà<br />

été mentionnés dans le contexte d’avant (Cic., Verr. 2.1.93). Le fait que bona fasse<br />

l’objet d’un commentaire par la suite (si non quae…) porte à interpréter cette phrase<br />

comme répondant à la question quid ?, et non pas cui ? L’élément saillant serait bona,<br />

qui n’occupe pas la place finale de la proposition :<br />

(94) Homo auarissime…, redde bona sodalis filio, si non quae abstulisti, at quae<br />

confessus es ! (Cic., Verr. 2.1.94)<br />

« Le plus cupide des êtres…, rends les biens au fils de ton compagnon, sinon<br />

ceux que tu as détournés, du moins ceux que tu as reconnus. »<br />

Les phrases comportant les impératifs da/date peuvent présenter des contrastes ;<br />

par exemple, on observe un double contraste en (95) entre deux constituants<br />

contextuellement liés (istum patronum et mihi) et deux focus (aduersario meo et<br />

neminem) dans une structure chiastique :<br />

(95) ‘Quaeso’ inquit ‘praetor, aduersario meo da istum patronum, deinde mihi<br />

neminem dederis’. (Cic., De orat. 2.280)<br />

« Je t’en prie, préteur, lui dit-il, donne-le pour défenseur à mon adversaire, et ne<br />

m’en donnez pas à moi-même. »<br />

6.3. Mitte/mittite<br />

Le verbe mittere avec l’actant 2 à l’accusatif n’offre que quatre occurrences<br />

complètes (sur 11) avec l’actant 3 au datif ; avec quatre ordres différents. On se limitera<br />

à citer deux exemples intéressants : l’un avec le verbe mitte porteur de focus et avec<br />

mihi contrastif (96), répondant à la question « que faut-il faire ? », l’autre avec epistulas<br />

en tant que focus et mihi en contraste avec tu :<br />

(96) Lege, quaeso, legem mihique eam mitte. (Cic., Att. 12.36.1)<br />

« Lis, s’il te plaît, le texte de la loi et envoie-le moi. »<br />

(97) Tu mihi obuiam mitte epistulas te dignas. (Cic., Fam. 2.12.3)<br />

« Pour ta part, envoie à ma rencontre des lettres dignes de toi. »<br />

7. Impératif futur<br />

Les impératifs futurs formés à partir des verbes bivalents et trivalents ne sont pas<br />

très fréquents. Dans le corpus cicéronien, il est possible de relever, pour le premier<br />

groupe, les impératifs habeto (33 occ.) et habetote (4 occ.), ainsi que quelques<br />

occurrences isolées d’autres verbes (ignoscitote, auditote…).<br />

190


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Habeto et habetote apparaissent majoritairement avec une complétive<br />

subséquente (29 occ.) ; ils peuvent être précédés de cataphoriques (tel illud) ou de<br />

l’adverbe sic (98). Une autre disposition peut se rencontrer : l’actant 2 porteur de<br />

l’information essentielle en fin de la phrase, ou habeto clôturant la phrase dans des<br />

citations de lois ; ces phrases présentent un contenu entièrement nouveau et leur sujet<br />

est posé comme topique (99).<br />

(98) Quae nec possunt scribi nec scribenda sunt ; tantum habeto, ciuem egregium<br />

esse Pompeium. (Cic., Fam. 2.8.2)<br />

« Ces choses ne peuvent ni ne doivent s’écrire ; tiens seulement pour assuré que<br />

Pompée est un grand citoyen. »<br />

(99) MERETRIX CORONAM AVREAM NE HABETO ; SI HABVERIT, PUBLICA<br />

ESTO. (Cic., De inu. 2.118)<br />

« Une prostituée ne doit pas porter de couronne en or ; si elle le fait, il faut la<br />

confisquer. » (trad. CUF)<br />

Formé à partir d’un verbe trivalent, l’impératif futur dato (6 occ.) se positionne<br />

plutôt à la fin de la phrase (5 occ.) ; un exemple typique est donné en (100), avec le<br />

focus sur l’actant 2 (question quid ?) :<br />

(100) Pro singulis modiis quos tibi impero, tu mihi octonos HS dato. (Cic., Verr.<br />

2.3.197)<br />

« Pour chaque boisseau que j’exige de toi, tu dois me donner huit sesterces. »<br />

En outre, il convient de noter que le verbe scribo à l’impératif futur (4 occ.),<br />

sans véhiculer l’information essentielle, se positionne en fin de la phrase ou devant sa<br />

complétive. Le premier ordre est préféré lorsqu’une circonstancielle, tout<br />

particulièrement conditionnelle, ouvre la phrase complexe.<br />

(101) Si rem nullam habebis, quod in buccam uenerit scribito. (Cic., Att. 1.12.4)<br />

« Si tu n’as aucune nouvelle, écris ce qui te viendra à l’esprit. »<br />

8. Impératif et pronoms personnels obliques<br />

Les exemples cités dans ce chapitre contiennent, entre autres, des actants 2 et 3<br />

pronominaux, renvoyant à la première ou à la deuxième personne. Les pronoms<br />

personnels se rencontrent souvent, comme on a pu l’observer, près du verbe à<br />

l’impératif Ŕ un exemple est donné en (102). La question se pose alors de savoir si cette<br />

place leur est obligatoire. Il importe de vérifier si les pronoms personnels peuvent<br />

figurer à une place autre que deuxième et être séparés de l’impératif.<br />

(102) Da mihi testimonium mutuum. (Cic., Flacc. 10)<br />

« Prête-moi ton témoignage à charge de revanche. »<br />

Le corpus cicéronien permet de rassembler quelques exemples qui montrent<br />

qu’un autre mot, plus particulièrement un adverbe (nunc 103, prius 104) est susceptible<br />

de s’insérer entre l’impératif et le pronom :<br />

(103) Sequere nunc me in campum. (Cic., Att. 4.15.7)<br />

« Suis-moi maintenant sur le Champ de Mars. »<br />

191


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(104) Reddite prius nobis Brutum. (Cic., Phil. 11.24)<br />

« Rendez-nous d’abord Brutus. »<br />

Les pronoms placés après le verbe (date nobis ; da mihi) occupent cette position<br />

parce qu’ils n’assument pas une fonction pragmatique particulière 28 . Par exemple, nobis<br />

en (105) n’est pas contrastif et ne fait que remplir le rôle de complément du verbe. En<br />

revanche, le pronom au nominatif tu contraste avec ego, exprimé auparavant ; hanc…<br />

ueniam est employé de manière cataphorique et anticipe le contenu suivant. Dans le<br />

contexte donné, Cotta s’adresse à Scaevola pour lui demander d’interroger Crassus ; en<br />

effet, Cotta et Sulpicius ont quelque honte à se tourner vers un homme aussi grave que<br />

Crassus :<br />

(105) (Ego uero…) Sed tu hanc nobis da ueniam, Scaeuola, et perfice ut… (Cic., De<br />

orat. 1.163)<br />

« (Quant à moi...) Mais toi, Scaevola, accorde-nous cette faveur et obtiens de lui<br />

que… »<br />

En combinaison avec hoc, anaphorique (106) ou cataphorique (107), la séquence<br />

ne semble pas fixe non plus :<br />

(106) Da mihi hoc (Cic., Caecil. 23) « Accorde-moi cela. »<br />

(107) Credite hoc mihi iudices : nulla umquam ciuitas… (Cic., Verr. 2.4.133)<br />

« Croyez-moi en ceci, juges : jamais, aucune cité… »<br />

De surcroît, il est tout à fait possible d’insérer, entre l’impératif et le pronom, un<br />

mot parenthétique comme inquis ou quaeso :<br />

(108) ‘Crede’, inquis ‘mihi’. (Cic., Att. 11.6.2)<br />

« Crois-moi, me dis-tu. »<br />

(109) Quam ob rem da, quaeso, te huic etiam generi litterarum. (Cic., Acad. post.<br />

1.12)<br />

« Pour cette raison, consacre-toi, je t’en prie, aussi à ce genre littéraire. »<br />

Le placement fréquent après l’impératif ou, en d’autres termes, à une place à<br />

gauche dans la phrase à l’exception de la place initiale (cf. exemple 102), s’explique par<br />

le fait que le pronom n’a pas de fonction pragmatique particulière. En même temps, les<br />

pronoms personnels obliques (première et deuxième personne) renvoient au locuteur ou<br />

à l’interlocuteur, qui sont facilement identifiables et donc liés à la situation du discours<br />

(cf. Panhuis, 1982 : 45). Cela n’empêche pas, toutefois, de rencontrer des pronoms<br />

obliques employés par contraste par rapport à un autre personnage Ŕ par exemple mihi et<br />

ipse en (110). Le pronom contrastif se rencontre à l’initiale ou à la fin de la<br />

phrase/proposition :<br />

(110) Sed tamen perspice quo ista uergant mihique aut scribe aut, quod multo malim,<br />

adfer ipse. (Cic., Att. 16.6.2)<br />

28 Le corpus cicéronien n’offre malheureusement pas beaucoup d’occurrences de ce type. En revanche, le<br />

corpus de la BTL offre des exemples de pronoms où on peut observer que ni la postposition au verbe, ni la<br />

contiguïté ne sont requises : nobis sans contraste dans da istuc argentum nobis (Plaut., As. 692) « Donnele-nous,<br />

cet argent » ; munus hoc mihi maximi da Colonia risus (Catul., 17.7) ; da modo lucra mihi (Ov.,<br />

Fast. 5.689) « Accorde-moi seulement de faire des bénéfices ».<br />

192


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Cependant regarde attentivement dans quel sens tournent ces choses ; écrismoi<br />

une lettre ou, ce que je préfèrerais de loin, apporte-la-moi toi-même. »<br />

L’exemple suivant montre les pronoms personnels te et tibi employés sans<br />

contraste mais avec une emphase (111) ; les propositions répondent à la question<br />

quem ?, cui ? :<br />

(111) Tecum loquere, te adhibe in consilium, te audi, tibi obtempera. (Cic., Fam.<br />

2.7.2)<br />

« Sois ton propre interlocuteur, ton propre conseiller, n’écoute que toi, n’obéis<br />

qu’à toi. » (trad. C.U.F.)<br />

9. Premières conclusions<br />

L’étude de la phrase impérative confirme l’observation de D. Panhuis (1982 : 68<br />

sqq.) selon qui l’impératif en soi, en tant que mode, n’a pas une place fixe à l’initiale de<br />

la phrase. Les exemples étudiés montrent que, tout comme dans la phrase déclarative,<br />

les constituants avec la fonction de topique ou de thème sont placés en premier. Or, à la<br />

différence de la phrase déclarative, le constituant saillant occupe plus souvent une place<br />

à droite de la phrase, en d’autres termes, il suit le verbe qui est à l’impératif. On<br />

comprend alors pourquoi l’impératif se retrouve à l’initiale lorsque la phrase est<br />

dépourvue de topique. En outre, à l’initiale de la phrase peuvent se rencontrer également<br />

les constituants porteurs de la fonction de focus, ou les constituants porteurs de<br />

l’emphase Ŕ comme, par exemple, les contenus présentés comme subjectifs et contenant<br />

des éléments évaluatifs.<br />

La distinction entre les types de phrases impératives (périphrases, métadirectives<br />

et directives), ainsi qu’entre les types sémantiques des verbes employés Ŕ les verbes du<br />

groupe dire/penser/savoir/percevoir, les verbes bivalents, trivalents et monovalents Ŕ<br />

permet de mieux saisir l’organisation de la phrase impérative. En effet, il n’y a pas de<br />

différence structurale entre l’ordre des constituants dans la phrase comportant un<br />

impératif périphrastique, métadirectif ou directif. Or, il est relativement rare que les<br />

phrases avec des impératifs périphrastiques ou métadirectifs contiennent des<br />

constituants de topique ou de thème ; cela explique pourquoi, dans la majorité de cas,<br />

l’impératif se positionne à l’initiale. Les phrases impératives contenant un verbe du<br />

groupe sémantique de dire/penser/savoir/percevoir contribuent à l’interactivité du<br />

discours et représentent ainsi une catégorie à part. Même dans ce cas, le nombre de<br />

phrases comportant un topique est peu élevé. En revanche, les phrases comportant des<br />

impératifs directifs formés à partir de verbes d’action présentent plus souvent la<br />

structure binaire de topique et de focus. Les pronoms personnels tu, uos, employés par<br />

contraste, figurent généralement à l’initiale. Les pronoms obliques n’ont pas une place<br />

fixe dans la phrase ; ils se rencontrent en tête ou en fin de phrase lorsqu’ils sont<br />

contrastifs. La place de l’impératif à l’initiale de la phrase ne signifie pas en soi qu’il y<br />

ait une fonction significative, une « mise en relief ». Si l’impératif lui-même véhicule<br />

l’information essentielle, il peut figurer à l’initiale ou lorsqu’un topique est présent en<br />

fin de la phrase.<br />

Les impératifs futurs sont peu représentés dans l’ensemble. Toutefois, ils n’ont<br />

pas une place fixe à la fin de phrase. Deux tendances se laissent distinguer : l’impératif<br />

futur en tête de la phrase régissant une complétive, et l’impératif futur en position finale<br />

en particulier dans les phrases complexes ouvertes par une circonstancielle (telle qu’une<br />

conditionnelle) ; cette dernière organisation rappelle l’ordre observé dans la phrase<br />

déclarative.<br />

193


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

10. Vérification des résultats<br />

Les règles de placement que nous avons essayé de formuler plus haut seront à<br />

présent appliquées au corpus d’étude (pour ses caractéristiques, voir § 1). Si nous<br />

utilisons la distinction entre les impératifs qui apparaissent dans les périphrases, les<br />

impératifs relevant du groupe de dire/penser/savoir/percevoir et les impératifs directifs,<br />

la structure de ce corpus est la suivante :<br />

périphrases 19 % (24 occ.)<br />

dire/penser/savoir/percevoir 19 % (23 occ.)<br />

directifs 62 % (76 occ.)<br />

Les impératifs futurs représentent 7 % des cas (9 occ.).<br />

Le réexamen du corpus d’étude permet de confirmer les tendances générales,<br />

résumées en quatre points :<br />

1° Les impératifs contribuant à former des périphrases se positionnent habituellement<br />

devant la complétive. Si le pronom de la deuxième personne est employé, il figure<br />

devant l’impératif ; son emploi s’explique par contraste avec une autre personne.<br />

(112) Tu, quaeso, fac sciam ubi Brutum nostrum et quo die uidere possim. (Cic., Att.<br />

15.16a.6)<br />

« S’il te plaît, fais-moi savoir où et quel jour je pourrais voir notre cher Brutus. »<br />

2° Les impératifs formés à partir des verbes de type dire/penser/savoir/percevoir qui<br />

régissent une complétive (dic, audi…) la précèdent généralement. Ceux qui sont<br />

combinés avec un actant 2 nominal (cognosce, uide…) peuvent le précéder ou le<br />

suivre (113) ; s’ils le précèdent, le sens lexical de l’actant 2 véhicule une idée<br />

d’évaluation subjective Ŕ par exemple, neglegentia en (114). Le complément nominal<br />

suit s’il est plus amplement développé (115).<br />

(113) Quem autem sequamur ? Vide nomen, uide aetatem. (Cic., Att. 16.8.1)<br />

« Alors, qui suivre ? Vois son nom, vois son âge. »<br />

(114) Nunc neglegentiam meam cognosce :… (Cic., Att. 16.6.4)<br />

« Maintenant découvre ma négligence :… »<br />

(115) At uidete hominis intolerabilem audaciam cum proiecta quadam et effrenata<br />

cupiditate. (Cic., Dom. 115)<br />

« Mais voyez l’audace intolérable de cet homme, jointe à sa cupidité sans<br />

mesure et sans freins. » (trad. C.U.F.)<br />

3° Les impératifs directifs formés à partir des verbes bivalents se positionnent à<br />

l’initiale de la phrase (après un connecteur ou un pronom personnel au nominatif, s’ils<br />

sont exprimés) lorsque la phrase répond à la question quem, quid ? Dans ce cas, l’actant<br />

2 apporte l’information nouvelle et de ce fait, occupe une place ultérieure dans la<br />

phrase. Il s’agit de constituants contextuellement indépendants (116), ou<br />

contextuellement liés mais traités comme éléments saillants (117).<br />

(116) Euolue diligenter eius eum librum, qui est de animo. (Cic., Tusc. 1.24)<br />

« Lis attentivement celui de ses livres qui est consacré à l’âme. »<br />

194


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(117) Tolle hanc opinionem, luctum sustuleris. (Cic., Tusc. 1.30)<br />

« Supprimez cette idée, vous supprimerez le deuil. »<br />

L’impératif lui-même peut véhiculer l’information essentielle, comme retine en<br />

(118). La même organisation s’observe pour les verbes intransitifs, comme la<br />

supplication exemplifiée en (119). L’actant 2 est alors contextuellement lié et, dans les<br />

cas les plus faciles à saisir, le verbe à l’impératif est répété, juxtaposé ou coordonné<br />

avec son (presque) synonyme (120).<br />

(118) (Brutum et Cassium) Retine, obsecro te, Cicero, illos et noli sinere haec omnia<br />

perire. (Cic., Att. 15.6.3)<br />

« (Brutus et Cassius) Retiens-les, Cicéron, je t’en supplie, et ne laisse pas<br />

disparaître tout cela. »<br />

(119) Patres conscripti…, subuenite mihi misero, ite obuiam iniuriae… (Sall., Iug.<br />

14.25)<br />

« Pères conscrits…, secourez-moi dans mon malheur, marchez contre<br />

l’injustice. »<br />

(120) Vos autem, Adherbal et Hiempsal, colite, obseruate talem hunc uirum. (Sall.,<br />

Iug. 10.8)<br />

« Quant à vous, Adherbal et Hiempsal, respectez, honorez un pareil homme. »<br />

En revanche, si la phrase contient un topique, ce dernier est prioritaire. Ces<br />

configurations signifient « que faut-il faire avec l’entité en question ? ». Les topiques<br />

sont assez souvent représentés par les anaphoriques ou les cataphoriques, ou ils les<br />

contiennent. Cette interprétation se justifie, tout particulièrement, dans le cas où le verbe<br />

à l’impératif est renforcé par son synonyme (123). Les impératifs dans les exemples<br />

cités ci-dessous sont porteurs du focus.<br />

(121) Ad haec rescribe. (Cic., Att. 16.9)<br />

« Réponds-moi à cela. »<br />

(122) Magna uis est in uirtutibus ; eas excita, si forte dormiunt. (Cic., Tusc. 3.36)<br />

« Il y a une grande puissance dans les vertus. Réveille-les, si par hasard elles<br />

dorment. »<br />

(123) Nomina mea, per deos, expedi, exsolue. (Cic., Att. 16.6.3)<br />

« Au nom des dieux, liquide, acquitte mes dettes. »<br />

De même, les phrases comportant un topique contrastif Ŕ tel que me dans la<br />

phrase suivante Ŕ répondent à la question « que faut-il faire avec… ? » :<br />

(124) Regno Numidiae, quod uostrum est, uti lubet, consulite ; me manibus inpiis<br />

eripite. (Sall., Iug. 24.10)<br />

« Disposez à votre gré du royaume de Numidie, puisqu’il est à vous ; mais<br />

arrachez-moi à des mains impies. »<br />

Les cataphoriques figurent à l’initiale dans les phrases qui répondent à la<br />

question quem ? quod ? :<br />

(125) Postremo hoc in pectus tuom demitte, numquam populum Romanum beneficiis<br />

uictum esse. (Sall., Iug. 102.11)<br />

195


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Enfin, mets-toi bien dans l’esprit ceci : jamais le peuple romain ne s’est laissé<br />

vaincre en bienfaits. »<br />

Un autre constituant, facultatif, peut représenter l’élément saillant, par exemple :<br />

(126) Item de illo Tulliano capite libere cum Cascellio loquere. (Cic., Att. 15.26.4)<br />

« De même, parle franchement à Cascellius de ce capital dû par Tullius. »<br />

4° Les verbes trivalents ont un candidat en plus à la fonction de focus : l’actant 3. Seul<br />

le contexte peut nous dire si les deux actants sont dépendants ou indépendants du<br />

contexte ; celui qui est indépendant a plus de chances de véhiculer l’information<br />

nouvelle. Cependant, les deux actants peuvent être liés au contexte comme hanc<br />

licentiam (« cette licence », à savoir proscrire quelqu’un) et tribuno plebis (« tribun de<br />

la plèbe » en général) ; cependant, la disjonction du premier nous permet de déterminer<br />

que c’est lui qui est saillant 29 .<br />

(127) Date hanc tribuno plebis licentiam et intuemini paulisper animis iuuentutem…<br />

(Cic., Dom. 47)<br />

« Accordez cette licence à un tribun de la plèbe et jetez un regard sur notre<br />

jeunesse. »<br />

29 Cf. la phrase formulée plus haut : Hanc uos igitur, pontifices, iudicio atque auctoritate uestra tribuno<br />

plebis potestatem dabitis, ut proscribere possit quos uelit ? (Cic., Dom. 44) « Donnerez-vous, pontifes, à<br />

un tribun de la plèbe par votre sentence et votre autorité ce pouvoir de proscrire qui bon lui semblera ? »<br />

196


Chapitre X<br />

LA PHRASE DÉCLARATIVE<br />

1. INTRODUCTION<br />

1.1. L’objectif et la méthode<br />

L’objectif de ce chapitre est de décrire les configurations pragmatiques et la<br />

place du verbe et de ses compléments obligatoires dans la phrase déclarative<br />

syntaxiquement non dépendante Ŕ type de phrase statistiquement le plus représenté 1 .<br />

L’approche choisie prend comme point de départ la théorie de la valence formulée par<br />

L. Tesnière et appliquée en détail au latin par H. Happ (1976). En effet, la capacité d’un<br />

verbe à admettre des compléments obligatoires est en rapport étroit avec le nombre de<br />

constituants obligatoires à placer dans une phrase 2 . Par exemple, un verbe monovalent<br />

tel nascor « naître » n’exige que l’actant 1 alors qu’un verbe trivalent comme do<br />

« donner » nécessite, à l’actif, trois actants : le sujet (actant 1), l’objet direct (actant 2) et<br />

l’objet indirect (actant 3). L’approche valencienne de l’ordre des mots permet de<br />

regrouper les verbes comparables quant à leurs propriétés sémantiques et/ou syntaxiques<br />

et d’observer le positionnement de leurs actants. Il importe de souligner qu’une telle<br />

méthode fondée sur l’examen de verbes fréquemment attestés regroupés en fonction de<br />

leurs propriétés combinatoires a été avec succès appliquée au latin en particulier par D.<br />

Panhuis (1982) 3 et au grec ancien par H. Dik (1995).<br />

Plutôt que de vouloir regrouper et examiner tous les verbes que le corpus nous a<br />

offerts, nous avons essayé de constituer et d’analyser tous les principaux types<br />

sémantiques et syntaxiques. Le présent chapitre sera donc consacré aux catégories<br />

suivantes : les verbes bivalents transitifs (§ 2), les verbes bivalents intransitifs (§ 3), les<br />

verbes de communication (§ 4), les verbes trivalents (§ 5), le passif (§ 6), les verbes<br />

monovalents (§ 7), le verbe sum (§ 8) et les verbes modaux et semi-modaux (§ 9). En<br />

fonction du nombre d’occurrences attestées, on examinera des groupes constitués de<br />

plusieurs verbes, ou des verbes singuliers, si leurs attestations offrent un matériau<br />

suffisant et d’un intérêt particulier.<br />

1.2. L’expression du sujet – les pronoms personnels – ego et tu<br />

L’expression du sujet a été étudiée en détail dans le chapitre II, Le topique. Il<br />

convient de présenter également l’emploi des pronoms personnels au nominatif dont la<br />

distribution est régie par des règles spécifiques. En effet, les pronoms personnels<br />

renvoient au locuteur et à l’interlocuteur et sont, de ce fait, dépendants de la situation du<br />

discours. Au nominatif, ils ne sont admis que dans des conditions pragmatiques<br />

particulières dont la description a été donnée par H. Pinkster (1987) : il s’agit, en<br />

1 Parmi les phrases syntaxiquement non dépendantes, la phrase déclarative obtient 92 % chez Salluste, 96<br />

% chez César, 79 % dans la correspondance de Cicéron, 68 % dans les Tusculanes et 58 % dans les<br />

discours.<br />

2 Sur la notion de la valence et de la transitivité, voir Touratier (1991 : 105). La transitivité y est définie<br />

comme « propriété syntaxique en vertu de laquelle un verbe est construit avec un ou plusieurs<br />

compléments », et la valence, comme « propriété d’avoir besoin d’un nombre donné d’actants pour<br />

constituer un énoncé doué de sens. »<br />

3 D. Panhuis est le premier à adopter cette approche pour l’ordre des constituants en latin ; cependant, son<br />

analyse n’englobe que les verbes trivalents mitto « envoyer » et do « donner ». Cf. M. Fruyt (1983 : 322).<br />

197


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

particulier du contraste et de l’emphase (§ 1.2.1), et de la subjectivité (§ 1.2.2) 4 . Pour<br />

notre part, nous nous limiterons alors à évoquer les principaux contextes de leur<br />

apparition à partir des exemples relevés dans le corpus.<br />

Pour un total de 1 081 verbes à la première 5 et 261 à la deuxième personne du<br />

singulier, on dénombre 85 occurrences de ego et 43 occurrences de tu. Les pronoms<br />

sont donc employés dans 8 % des cas pour la première et dans 16 % des cas pour la<br />

deuxième personne du singulier 6 . L’emploi de tu est ainsi relativement plus fréquent<br />

que celui de ego.<br />

Il convient d’examiner auprès de quels verbes un pronom personnel, ego ou tu,<br />

est employé. Les résultats d’une telle enquête sont présentés ci-dessous :<br />

occurrences<br />

ego tu<br />

verbes « penser » 25 7<br />

verbes « dire » 13 7<br />

verbes de sentiments 6 1<br />

verbes de perception 5 5<br />

total 49 20<br />

Ces catégories représentent plus ou moins la moitié de tous les emplois (ego : 49 occ.<br />

sur 85, soit 58 % ; tu : 20 occ. sur 43, soit 47 %). On retiendra en particulier que ego<br />

apparaît assez souvent avec des verbes « penser » (29 % du total), tels cogito, puto…, ou<br />

des verbes « dire » (15 % du total), comme dico, nego… En revanche, le pourcentage<br />

est moins important pour tu concernant les verbes « penser » (16 %), mais reste le<br />

même pour les verbes « dire » (16 %). Tu se rencontre alors plus souvent avec des<br />

verbes d’action (cf. l’exemple 4, cité ci-dessous).<br />

1.2.1. Le contraste et l’emphase<br />

L’emploi d’un pronom personnel est entraîné par l’idée d’un contraste : entre la<br />

personne du locuteur et celle de l’interlocuteur, ou d’une tierce personne. La fonction<br />

typique de ego est de marquer un changement de topique (voir Pinkster 1987 : 374).<br />

(1) Contemnunt nouitatem meam, ego illorum ignauiam. (Sall., Iug. 85.14)<br />

« Ils méprisent ma naissance, et moi, leur lâcheté. »<br />

(2) Equidem ego uobis regnum trado firmum, si boni eritis, sin mali, inbecillum.<br />

(Sall., Iug. 10.6)<br />

« Assurément, je vous transmets un royaume solide, si vous êtes vertueux,<br />

faible, si vous êtes mauvais. »<br />

En (1), le pronom ego contraste avec la troisième personne, contemnunt « ils<br />

méprisent », sans que celle-ci soit exprimée ; en même temps, il compense l’ellipse<br />

contextuelle du verbe (contemno « je méprise »). En (2), le contraste est établi entre ego<br />

et uobis. On remarquera également que plus d’un contraste intervient : par exemple en<br />

4<br />

H. Pinkster (1987 : 370) retient encore la fonction d’identification de tu dans les phrases impératives (cf.<br />

chapitre IX, § 2.<br />

5<br />

La correspondance de Cicéron en offre 688 occurrences.<br />

6<br />

La première et la deuxième personne du pluriel sont beaucoup moins fréquentes : pour 138 occurrences<br />

de la première personne du pluriel, on relève 20 emplois du pronom nos (soit 14 %), pour 25 occurrences<br />

de la deuxième personne du pluriel, 3 pronoms uos (soit 12 %).<br />

198


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(1), les expressions de possession (meam – illorum), et les objets (nouitatem –<br />

ignauiam), ces derniers étant porteurs de focus (focus contrastif).<br />

Le pronom tu est employé en particulier par contraste (3). On peut rencontrer<br />

des exemples où il représente même le focus de la phrase, comme le montre l’exemple<br />

(4) ; tu y est porteur de l’emphase :<br />

(3) Tu Atticae salutem dices. Nos Piliam diligenter tuebimur. (Cic., Att. 14.19.6)<br />

« Tu salueras Attica. Je prendrai grand soin de Pilia. »<br />

(4) Tu M. Bibulum in contionem, tu augures produxisti… (Cic., Dom. 40)<br />

« C’est toi qui fis paraître à l’assemblée M. Bibulus, les augures… »<br />

1.2.2. La subjectivité<br />

Comme l’a montré H. Pinkster (1987 : 369), le pronom ego se rencontre là où le<br />

locuteur exprime son jugement, son expérience, son opinion, ou son engagement. Tous<br />

ces contextes privilégiés de ego témoignent du fait que son expression est une marque<br />

de la subjectivité. Les analyses traditionnelles considèrent certains emplois de ego<br />

comme « emphatiques », mais d’autres emplois sont qualifiés de « faibles », « non<br />

emphatiques » 7 (Szantyr, 1972 : 173). Avec les verbes qui expriment le fait de penser,<br />

d’estimer ou de déclarer quelque chose, l’usage du pronom ego est, on l’a vu, assez<br />

fréquent. Un exemple illustre cet emploi (5), l’autre montre l’engagement personnel du<br />

locuteur dans l’accomplissement de l’action (6, non egrediar).<br />

(5) (De Herode tibi adsentior. Saufei legisse uellem.) Ego ex Pompeiano VI Id. Mai.<br />

cogitabam. (Cic., Att. 14.18.4)<br />

« (Je suis d’accord avec toi pour Hérodès. J’aurais voulu lire la lettre de<br />

Sauféius.) Je compte quitter mon domaine de Pompéi le 10 mai. »<br />

(6) Ego flumen Muluccham, quod inter me et Micipsam fuit, non egrediar neque id<br />

intrare Iugurtham sinam. (Sall., Iug. 110.8)<br />

« Moi, je ne franchirai pas le fleuve Muluccha, qui séparait du mien le royaume<br />

de Micipsa, et je ne permettrai pas à Jugurtha de le passer. »<br />

1.2.3. La place de ego<br />

Ego se rencontre à la l’initiale de la phrase (cf. Adams, 1999 : 103) ou, plus<br />

précisément à gauche dans la phrase. Cette position est attendue car, renvoyant au<br />

locuteur, ego dépend de la situation du discours. Un ego à droite dans la phrase est<br />

contrastif, par exemple :<br />

(7) Inuectus est copiosius multo in istum et paratius Dolabella quam nunc ego.<br />

(Cic., Phil. 2.79)<br />

« Dolabella invectiva contre celui-ci, avec plus d’ampleur et de préparation que<br />

moi maintenant. »<br />

De sa place habituelle à l’initiale, ego peut être délogé par un connecteur (sed,<br />

equidem…) ou un relatif de liaison, par un constituant contrastif (exemple 8 ; 2 occ.),<br />

par un constituant de topique exprimé par un pronom anaphorique ou en contenant un<br />

(exemple 9 ; 10 occurrences) ou encore par un constituant emphatique (exemple 10 ; 2<br />

occ.). Tous ces termes sont prioritaires.<br />

7 Cf. également l’article de H. Dik (2003) sur l’emploi des pronoms en grec ancien.<br />

199


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(8) Paruum ego te, Iugurtha, amisso patre… in meum regnum accepi… (Sall., Iug.<br />

10.1)<br />

« Tu étais petit, Jugurtha, sans père… lorsque je t’ai reçu dans mon royaume. »<br />

(9) Rerum ego uitia collegi, non hominum. (Cic., Att. 14.14.2)<br />

« J’ai recensé les maux dus aux circonstances, non aux hommes. »<br />

(10) (tabellarium) Huic ego litteras ipsius arbitratu dabo. (Cic., Att. 16.1.6)<br />

« Je lui remettrai donc une lettre rédigée selon son propre gré. »<br />

En (8), ego est précédé de paruum « petit », mot pourvu d’une emphase<br />

manifestant une appréciation subjective. Rerum en (9) contraste avec le constituant<br />

hominum. En (10), le topique huic occupe la place initiale privilégiée. Dans ces cas, ego<br />

cède la place initiale à un terme prioritaire (cf. Adams, 1999 : 103).<br />

Le corpus ne nous a offert que trois occurrences où ego est postposé au verbe<br />

(voir Adams, 1999 : 105) ; l’exemple suivant montre un tel emploi, qui ouvre le<br />

discours de Marius 8 :<br />

(11) Scio ego, Quirites, plerosque non isdem artibus imperium a uobis petere et,<br />

postquam adepti sunt, gerere. (Sall., Iug. 85.1)<br />

« Je sais, citoyens, que la plupart des gens n’emploient pas les mêmes procédés<br />

pour vous demander le pouvoir, que pour l’exercer quand ils l’ont obtenu. »<br />

Une telle disposition se justifie par plusieurs raisons : d’abord, parce que le<br />

verbe scio Ŕ ou credo ou un verbe similaire Ŕ fait référence à la sphère du locuteur et le<br />

contenu énoncé par la suite est plus informatif. Ensuite, parce que ego se retrouve à la<br />

proximité de Quirites Ŕ ou de uos Ŕ, expression renvoyant à l’interlocuteur, avec qui il<br />

contraste. Enfin, il est probable qu’ouvrir un discours en commençant par un ego est<br />

considéré comme un signe d’impolitesse.<br />

2. LES VERBES BIVAL<strong>EN</strong>TS TRANSITIFS<br />

De nombreuses études sur l’ordre des constituants se limitent à l’examen des<br />

verbes transitifs et essaient de dégager des théories typologiques 9 . Or notre contribution<br />

ne fera pas d’allusions à la typologie greenbergienne, elle n’apportera pas non plus<br />

d’informations concernant le prétendu « ordre de base » de la phrase latine. En<br />

revanche, elle se concentrera sur les verbes bivalents transitifs considérés dans la<br />

perspective de P. J. Hopper et S. A. Thompson (1980). En effet, selon eux, la transitivité<br />

est « une propriété de la phrase qui consiste à transférer l’action d’un agent à un<br />

patient » (p. 252). Elle implique de nombreuses composantes, parmi elles les<br />

participants (animés ou inanimés) et leur individuation, l’agentivité… 10 La transitivité<br />

peut revêtir des degrés variés, par exemple, les verbes d’action véhiculent un haut degré<br />

8 Cf. Adams (1999 : 105) qui signale la séquence credo ego qui ouvre un discours de Cicéron : Credo ego<br />

uos, iudices, mirari… (Cic., Sex. Rosc. 1.1) « Juges, vous vous demandez, je le pense, avec étonnement,<br />

pourquoi… »<br />

9 Voir l’Introduction, § 1.2.<br />

10 Il convient de noter que dans les subordonnées infinitives (AcI), l’agent n’est pas formellement<br />

distingué du patient car tous deux sont à l’accusatif. Des phrases ambiguës peuvent alors se produire et il<br />

convient de les compenser par une construction passive, comme le signale Quintilien (Inst. 7.9.6, cf.<br />

8.2.16) : Lachetem audiui percussisse Demean « j’ai entendu dire que Lachetes frappa Demeas » qui<br />

devient a Lachete percussum Demean. Or il n’est pas nécessaire de postuler, comme le fait à tort F.<br />

Charpin (1991 : 26), citant cet exemple, « une proximité de l’objet direct par rapport au verbe ». En effet,<br />

dans des conditions normales, l’agent (Lachetem) est hiérarchiquement supérieur au patient (Demean) et<br />

de ce fait, vient d’abord.<br />

200


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

de transitivité. De même, contribuent à une haute transitivité les objets pourvus d’un<br />

haut degré d’individuation, c’est-à-dire ceux qui renvoient à une entité unique, humaine,<br />

animée, concrète, singulière et/ou définie. En revanche, les objets renvoyant à une entité<br />

commune, inanimée, abstraite, plurielle, collective et/ou indéfinie sont dotés d’un faible<br />

degré d’individuation et baissent le degré de transitivité. Partant de cette perspective, on<br />

peut s’attendre à des différences quant au placement des objets pourvus d’un haut degré<br />

d’individuation (a) et des objets qui ne portent qu’un faible degré d’individuation (b).<br />

(a) Jugurtha tue Adherbal.<br />

(b) Les Romains prennent les armes.<br />

On sait que les verbes bivalents renferment des verbes variés (Touratier 1994 :<br />

247) partageant la propriété d’avoir le complément à l’accusatif ainsi que la possibilité<br />

d’être mis au passif. Cette dernière capacité ne semble pas avoir une incidence sur notre<br />

propos et pour cette raison seront examinés dans cette section non seulement les verbes<br />

transitifs proprement dits, mais également les verbes déponents nécessitant un actant 2 à<br />

l’accusatif. Étant donné l’hétérogénéité du groupe renfermant les verbes transitifs et<br />

déponents, on isolera, pour les besoins de l’analyse, les verbes d’action (§ 2.1), le verbe<br />

uideo (§ 2.2), les unités pragmatiques de type terga uerto (§ 2.3) ainsi que les verbes<br />

« penser » (§ 2.4).<br />

2.1. Les verbes d’action<br />

La présente section sera consacrée aux verbes variés (au total 196 occurrences)<br />

qui expriment une action et qui admettent des actants 2 animés ou inanimés, tels accuso<br />

« accuser », capio « saisir », exspecto « attendre », hortor « exhorter », interficio<br />

« tuer » ou sequor « suivre » 11 . On examinera d’abord les cas où l’actant 2 renvoie à une<br />

entité animée (exemple 1), ensuite ceux qui concernent les actants 2 inanimés (exemple<br />

2). Le hasard a voulu que les animés et les inanimés soient répartis à part égale (99 et 96<br />

occurrences respectivement).<br />

(1) Iugurtha in primis Adherbalem excruciatum necat… (Sall., Iug. 26.3)<br />

« Jugurtha fait d’abord périr Adherbal par torture dans les supplices… »<br />

(2) Iugurtha ex inprouiso castra hostium cum magna manu inuadit. (Sall., Iug.<br />

58.1)<br />

« Jugurtha, à l’improviste, se jette sur le camp ennemi avec une forte troupe. »<br />

2.1.1. Les donnés<br />

2.1.1.1. Actant 2 animé<br />

Les modèles relevés pour les actants 2 animés sont indiqués dans le tableau<br />

suivant :<br />

11 Voici tous les verbes faisant l’objet de l’étude : accuso (4 occ.), adfero (9 occ.), aggredior (12 occ.),<br />

capio (15 occ.), cogo (7 occ.), defendo (6 occ.), dimitto (14 occ.), dispono (6 occ.), exspecto (22 occ.),<br />

(co)hortor (13 occ.), incendo (5 occ.), interficio (5 occ.), inuado (13 occ.), (col)laudo (9 occ.), neco (2<br />

occ.), obtrunco (3 occ.), occupo (12 occ.), relinquo (22 occ.), (con)sequor (15 occ.) et uulnero (1 occ.).<br />

201


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Tableau 1 : Les verbes d’action Ŕ actant 2 animé (corpus)<br />

Modèle Caesar Salluste Cicéron Total Pourc.<br />

A1 A2 V 5 14 1 20 79 %<br />

A2 V 30 20 8 58<br />

A1 V A2 1 0 0 1 8 %<br />

V A2 1 3 3 7<br />

A2 A1 V 2 6 3 11 11 %<br />

V A2 A1 1 0 0 1 1 %<br />

A2 V A1 1 0 0 1 1 %<br />

Total 41 43 15 99 100 %<br />

Le tableau met en évidence que les verbes d’action dont l’objet direct est une<br />

entité animée apparaissent en particulier dans la prose historique de César et de<br />

Salluste ; Cicéron n’en offre qu’un petit nombre d’occurrences (15). Le modèle le plus<br />

fréquemment relevé est : (actant 1) > actant 2 > verbe (79 %). Deux autres, actant 2 ><br />

actant 1 > verbe, et (actant 1) > verbe > actant 2, apparaissent moins fréquemment (11<br />

% et 8 % respectivement).<br />

Il convient d’étudier à présent le statut de l’actant 2 dans le contexte, en séparant<br />

les actants 2 contextuellement liés et non liés, ainsi que la continuation anaphorique<br />

pronominale (+ An.), ou son absence (Ŕ An.). Les résultats, concernant les actants 2<br />

exprimés par un nom, figurent dans le tableau 2.<br />

Tableau 2 : Les actants 2 animés des verbes d’action : dépendance contextuelle et<br />

continuation anaphorique pronominale (corpus)<br />

Place Liés Non liés Total<br />

+ An. Ŕ An. + An. Ŕ An.<br />

Préverbale 2 17 3 13 35 47 %<br />

Postverbale 0 3 0 3 6 8 %<br />

Autre 1 8 3 21 33 45 %<br />

Total 3 28 6 37 74 100%<br />

Pourcentage 4 % 38 % 8 % 50 % 100 %<br />

On remarque que l’actant 2 animé complétant un verbe d’action peut être lié (4 +<br />

38 %) aussi bien que non lié (8 + 50 %) au contexte. La continuation anaphorique est<br />

rare dans l’ensemble (12 %) et concerne plutôt les objets non liés (6 occ.). On<br />

remarquera également que les actants 2 se positionnent à la place immédiatement<br />

préverbale dans 47 % des cas ; la place immédiatement postverbale concerne 8 % des<br />

cas. Toute autre position atteint 45 %.<br />

2.1.1.2. Actant 2 inanimé<br />

Pour les actants 2 inanimés, les modèles suivants ont été relevés :<br />

202


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Tableau 3 : Les verbes d’action Ŕ actant 2 inanimé (corpus)<br />

Modèle Caesar Salluste Cicéron Total<br />

A1 A2 V 3 12 5 20 21 %<br />

A2 V 24 13 22 59 62 %<br />

A1 V A2 0 0 4 4 4 %<br />

V A2 1 0 10 11 11 %<br />

A2 A1 V 1 0 1 2 2 %<br />

Total 29 25 42 96 100 %<br />

Le modèle le plus fréquemment reproduit : (actant 1) > actant 2 > verbe obtient,<br />

dans le cas des actants 2 inanimés, 83 %, ce qui est encore plus que dans le cas des<br />

animés (79 %, voir tableau 1). En revanche, on notera que l’ordre (actant 1) > verbe ><br />

actant 2 se rencontre plus souvent, dans 15 % des cas (à noter 8 % pour les animés), et<br />

ce, en particulier chez Cicéron, dans ses Tusculanes. Cela s’explique par le genre<br />

littéraire et par la matière qui y est traitée. En outre, en comparaison avec le tableau 1, la<br />

part de Cicéron a considérablement augmenté (42). Or, l’ordre actant 2 > actant 1 ><br />

verbe n’atteint que 2 % (par rapport aux 11 % dans le cas des animés).<br />

La dépendance contextuelle ainsi que la continuation anaphorique ou son<br />

absence concernant les actants 2 inanimés sont présentées dans le tableau suivant ; seuls<br />

les actants 2 exprimés par un nom ont été pris en considération.<br />

Tableau 4 : Actants 2 inanimés des verbes d’action : dépendance contextuelle et<br />

continuation anaphorique pronominale (corpus)<br />

Place Liés Non liés Total<br />

+ An. Ŕ An. + An. Ŕ An.<br />

Préverbale 0 5 4 37 46 52 %<br />

Postverbale 0 5 1 4 10 11 %<br />

Autre 0 3 3 27 33 37 %<br />

Total 0 13 8 68 89 100%<br />

Pourcentage 0 % 15 % 9 % 76 % 100%<br />

L’actant 2 inanimé auprès d’un verbe d’action est donc typiquement non lié au<br />

contexte (76 %) ; la continuation anaphorique ne concerne que les objets indépendants<br />

du contexte (9 %). L’actant 2 occupe la place immédiatement préverbale (52 %),<br />

immédiatement postverbale (11 %) ou encore une autre place (37 %).<br />

2.1.2. Analyse des donnés<br />

2.1.2.1. Actant 1 > actant 2 > verbe<br />

Pour les actants animés et inanimés, on l’a vu, l’ordre le plus fréquemment<br />

attesté est le suivant : (actant 1) > actant 2 > verbe ; or il faut souligner que, schématisé<br />

ainsi, il ne nous indique pas si la place de l’actant 2 est immédiatement préverbale ou<br />

non. Or les tableaux 2 et 4 ont montré que l’actant 2 se rencontre assez souvent (de 47 à<br />

52 %) à la place immédiatement préverbale. Deux exemples typiques sont donnés en (3)<br />

et (4).<br />

(3) At Caesar milites Attianos conlaudat, Pupium dimittit… (Caes., Ciu. 1.13.5)<br />

« Mais César félicite les soldats d’Attius, relâche Pupius… »<br />

203


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(4) Ita illis studio suorum adstrictis repente magna ui murum adgreditur. (Sall., Iug.<br />

60.6)<br />

« Ainsi, quand ils sont tout occupés par l’intérêt qu’ils portent à leurs soldats, il<br />

entreprend vigoureusement l’assaut. »<br />

Le constituant milites Attianos est contextuellement lié, de même que Pupius<br />

(exemple 3). Murum en (4) n’a pas été mentionné tel quel dans le contexte précédent,<br />

mais peut être déduit de moenia exprimé au préalable. Le statut des constituants ainsi<br />

que le contexte dans lequel ils apparaissent, portent à interpréter ces phrases comme<br />

répondant à la question « que fait-il ? ». En outre, une telle analyse s’accorde avec<br />

l’observation faite par F. Daneš (1968 : 56 sq.) ; selon lui, les verbes d’action, grâce à<br />

leur force sémantique, sont de forts candidats à la fonction de focus.<br />

Cependant, l’ordre qui apparaît statistiquement comme (actant 1) > actant 2 ><br />

verbe peut recouvrir d’autres dispositions pragmatiques qui seront exemplifiées cidessous.<br />

Les phrases contenant un actant 2 contextuellement indépendant répondent<br />

souvent à la question quem ? ou quid ? Tel est le cas de Bomilcarem, traité comme futur<br />

topique réintroduit et continué à l’aide de is (5). De même, cupas « barriques »,<br />

l’élément saillant en (6) ; la phrase répond à la question quid ? et la phrase subséquente<br />

nous dit ce qu’ils font avec ces barriques (eas). On notera également que cupae<br />

deviennent, par la suite, le sujet de labuntur.<br />

(5) (Metellus) Igitur Bomilcarem, qui Romae cum Iugurtha fuerat… multis<br />

pollicitationibus aggreditur…. Is, ubi primum opportunum fuit, Iugurtham…<br />

accedit. (Sall., Iug. 61.4 Ŕ 62.1)<br />

« Métellus entreprend alors par maintes promesses Bomilcar qui avait été à<br />

Rome avec Jugurtha... Bomilcar, à la première occasion favorable, aborde<br />

Jugurtha... »,<br />

(6) Id ubi uident mutant consilium : cupas taeda ac pice refertas incendunt easque<br />

de muro in musculum deuoluunt. Inuolutae labuntur… (Caes., Ciu. 2.11.2)<br />

« Voyant cela, ils changent de plan : ils mettent le feu à des barriques remplies<br />

de résine et de poix et ils les précipitent du rempart sur la galerie. Elles<br />

roulent… »<br />

En revanche, en (7), l’actant 2 coordonné musculum turrimque reprend des éléments<br />

donnés. La phrase ne dit pas ce qu’ils incendient, mais ce qu’ils font au pied du rempart.<br />

Comme le verbe forme une unité pragmatique avec les actants 2 coordonnés,<br />

l’information en (7) est complexe.<br />

(7) Illi sub murum se recipiunt ibique musculum turrimque latericiam libere<br />

incendunt. (Ita multorum mensum labor… interiit.) (Caes., Ciu. 2.14.4)<br />

« Ils se retirent sous les murailles, et là incendient tout à leur aise la galerie et la<br />

tour de briques. (C’est ainsi qu’un travail de plusieurs mois fut anéanti... »<br />

Cependant, il n’est pas nécessaire qu’un élément donné comme nouveau Ŕ animé ou<br />

inanimé Ŕ soit continué par la suite, par exemple C. Trebonium legatum :<br />

204


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(8) His D. Brutum praeficit, C. Trebonium legatum ad oppugnationem Massiliae<br />

relinquit. (Caes., Ciu. 1.36.5)<br />

« Il en donne le commandement à D. Brutus, et il laisse le légat C. Trébonius<br />

pour conduire le siège de Marseille. »<br />

La phrase comportant un actant 2 indépendant du contexte peut ne pas répondre<br />

à la question quem ? ou quid ? Ŕ en particulier, lorsque l’objet exprime une entité dont<br />

le degré d’individuation est faible. Dans la prose historique, arma associé au verbe<br />

capio représente un exemple typique :<br />

(9) Magis magisque adpropinquare uident, cognita re properantes arma capiunt ac<br />

pro castris, sicuti imperabatur, consistunt. (Sall., Iug. 53.1)<br />

« Le voyant se rapprocher de plus en plus, ils comprennent tout, prennent<br />

rapidement leurs armes, et, suivant l’ordre donné, ils se rangent devant le<br />

camp. »<br />

La proposition comportant arma capiunt répond à la question « que font-ils ? » et non<br />

pas « que prennent-ils ? ». Elle s’inscrit parfaitement dans la suite d’actions uident et<br />

constituunt. L’expression arma capio « prendre les armes » est différente des locutions<br />

étudiées plus loin (§ 2.3), comme castra moueo « décamper » dont l’objet peut être<br />

omis (moueo au sens de « décamper »), ce qui est impossible dans le cas de arma capio.<br />

En outre, un examen des occurrences de arma capio offertes par le corpus de la BTL<br />

montre que arma apparaît, à quelques exceptions près 12 , toujours à la place<br />

immédiatement préverbale et n’est qualifié ou déterminé que rarement. Les mêmes<br />

observations pourraient être faites à propos de portas aperio « ouvrir les portes » et<br />

d’autres expressions similaires.<br />

L’ordre (actant 1) > actant 2 > verbe se rencontre encore pour d’autres<br />

configurations pragmatiques. D’abord, lorsque l’actant 2 est exprimé par un pronom<br />

personnel, comme l’illustre l’exemple (10), où ego et uos sont rapprochés et contrastifs,<br />

le focus étant sur le verbe :<br />

(10) Neque ego uos, Quirites, hortor, ut malitis ciuis uostros perperam quam recte<br />

fecisse, sed ne ignoscundo malis bonos perditum eatis. (Sall., Iug. 31.27)<br />

« Je vous demande, citoyens, non de préférer chez des compatriotes le mal au<br />

bien, mais de ne pas causer, en pardonnant aux méchants, la perte des bons. »<br />

Ensuite, une phrase relevant de cet ordre peut répondre à la question quis ?, quand<br />

l’information essentielle est apportée par le sujet. Tel est le cas de legio XII, l’actant 2<br />

(Caesarem) dépendant du contexte. La situation est telle que César a besoin de<br />

constituer une armée et les habitants de Cingulum lui proposent leur aide :<br />

(11) Milites imperat ; mittunt. Interea legio XII Caesarem consequitur. Cum his<br />

duabus Asculum Picenum proficiscitur. (Caes., Ciu. 1.15.3)<br />

« César demande des soldats ; on les envoie. Pendant ce temps, la XII e légion<br />

rejoint César. Avec ces deux légions, il part pour Asculum Picénum. »<br />

12 Cf. par exemple : Quid est enim dementius quam, cum rei publicae perniciosa arma ipse ceperis,<br />

obicere alteri salutaria ? (Cic., Phil. 2.19) « Y a-t-il plus grande déraison, quand on a pris soi-même les<br />

armes pour la ruine de l’état, que de reprocher à un autre de les avoir prises pour son salut ? »<br />

205


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

On remarquera que les deux unités, celle de soldats envoyés de Cingulum et celle de la<br />

XII e légion, sont reprises à l’aide de cum his duabus ; César, topique établi dans le<br />

discours, est continué à l’aide de l’anaphore zéro (proficiscitur).<br />

Enfin, il convient de signaler encore des cas où l’actant 2 fonctionne comme<br />

focus, en (12) et (13) :<br />

(12) Maiores eorum omnia quae licebat illis reliquere : diuitias, imagines, memoriam<br />

sui praeclaram ; uirtutem non reliquere, neque poterant : ea sola neque datur<br />

dono neque accipitur. (Sall., Iug. 85.38)<br />

« Leurs ancêtres leur ont laissé tout ce qu’ils pouvaient leur transmettre,<br />

richesses, portraits, glorieuse mémoire ; ils ne leur ont pas légué leur vertu, et ils<br />

ne le pouvaient pas ; c’est le seul bien qu’on ne puisse ni donner ni recevoir. »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

(13) (Ti. et C. Gracchus…) Et primo Tiberium, dein paucos post annos eadem<br />

ingredientem Gaium…, cum M. Fuluio Flacco ferro necauerat. (Sall., Iug. 42.1)<br />

« (Ti. et C. Gracchus…) Et la noblesse avait d’abord tué Tibérius, puis quelques<br />

années après Caius, qui suivait la même voie..., et avec eux M. Fulvius<br />

Flaccus. »<br />

Le constituant uirtutem en (12), indépendant et contrastif, figure en tête de la<br />

proposition ; le verbe reliquere ne véhicule pas l’information nouvelle mais est<br />

entièrement repris. La phrase en (13) répond également à la question quem/quid ? :<br />

Tiberium et Gaium représentent les focus et font l’objet d’une énumération. On notera<br />

l’articulation à l’aide de connecteurs primo « d’abord » et dein « puis ».<br />

2.1.2.2. Actant 1 > verbe > actant 2<br />

Il est assez rare de rencontrer, dans la prose historique de César et de Salluste,<br />

des objets qui suivent le verbe, dans l’ordre (actant 1) > verbe > actant 2. Un exemple<br />

est donné pour illustration :<br />

(14) At ille sese in loca saltuosa et natura munita receperat ibique cogebat exercitum<br />

numero hominum ampliorem, sed hebetem infirmumque, agri ac pecoris magis<br />

quam belli cultorem. Id ea gratia eueniebat, quod… (Sall., Iug. 54.3)<br />

« Le roi s’était retiré dans une région boisée et naturellement fortifiée et là, il<br />

rassemblait une armée plus nombreuse que la première, mais faible et sans force,<br />

composée de cultivateurs et de bergers plus que d’hommes de guerre. Ceci s’est<br />

produit parce que… »<br />

La place postverbale de exercitum s’explique ici, certes, par le fait qu’il est plus<br />

amplement développé, mais encore, par le fait qu’il est contextuellement non lié. On<br />

notera également que les qualifications de exercitum, exprimant son impuissance, sont<br />

résumées à l’aide de id par la suite.<br />

Chez Cicéron, en revanche, la place postverbale de l’objet direct se produit plus<br />

souvent. On comparera (15), comportant un topique, et (16) qui en est dépourvu ; les<br />

deux actants 2 semblent indépendants du contexte :<br />

(15) In qua re accusat Volcacium. (Cic., Att. 14.9.3)<br />

« Dans cette affaire, il accuse Vulcacius. »<br />

(16) Vettienum accusat (tricatur scilicet ut monetalis). (Cic., Att. 15.13a.1)<br />

206


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Il accuse Vettiénus Ŕ lequel, en manieur d’argent, cherche à ruser Ŕ ... » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

Cependant, dans certains cas, on peut introduire une explication. L’expression exspecto<br />

tuas litteras Ŕ dont le possessif renvoie à l’interlocuteur Ŕ est récurrente à la fin des<br />

lettres de Cicéron ; on peut relever des configurations variées, parmi lesquelles :<br />

(17) (Quod censueris faciam. Sed quam primum !) Auide exspecto tuas litteras. (Cic.,<br />

Att. 16.10.2)<br />

« (Je ferai ce que tu m’auras conseillé. Mais au plus vite !) J’attends<br />

impatiemment une lettre de toi. »<br />

(18) Nunc quae scribo, scribo ex opinione hominum atque fama. Tuas litteras auide<br />

exspecto. (Cic., Fam. 12.4.2)<br />

« Ce que j’écris maintenant, je l’écris d’après l’opinion générale et les bruits qui<br />

courent. J’attends impatiemment une lettre de toi. »<br />

Dans les deux cas, le constituant tuas litteras est indépendant du contexte ; il est placé à<br />

la fin de la phrase en (17), mais à l’initiale en (18). Or la place initiale peut s’expliquer<br />

par l’idée du contraste implicite de meae litterae découlant de scribo, renvoyant au<br />

locuteur.<br />

Or il est tout à fait possible de rencontrer à la place postverbale (à la fin de la<br />

phrase) un actant 2 dépendant du contexte, comme le montre l’exemple suivant :<br />

(19) Et quidem C. Gracchus, cum largitiones maximas fecisset et effudisset aerarium,<br />

uerbis tamen defendebat aerarium. (Cic., Tusc. 3.48)<br />

« Et Caius Gracchus alors qu’il avait vidé le trésor en faisant d’énormes<br />

largesses, il défendait cependant le trésor par ses paroles. »<br />

Aerarium, avec la lecture définie « le trésor », qui vient d’être mentionné dans la<br />

relative, n’est pas l’élément le plus informatif ; le focus est porté sur uerbis et la phrase<br />

répond à la question quo modo ?<br />

2.1.2.3. Actant 2 > verbe > actant 1<br />

L’ordre actant 2 > actant 1 > verbe apparaît dans le cas d’actants 2<br />

contextuellement liés. D’abord, l’actant 2 exprimé par un anaphorique ou par un<br />

syntagme en contenant un se positionne à l’initiale de la phrase. L’exemple (20) montre<br />

cet ordre, le sujet produisant la disjonction de hunc anxium. La phrase répond à la<br />

question « que fait Marius avec lui ? » :<br />

(20) (Gauda) Hunc Marius anxium adgreditur atque hortatur, ut contumeliarum in<br />

imperatorem cum suo auxilio poenas petat. (Sall., Iug. 65.3)<br />

« Marius profite de son inquiétude pour l’entreprendre ; il l’incite à s’appuyer<br />

sur lui pour tirer vengeance de l’outrage du général. »<br />

De même, sans sujet exprimé :<br />

(21) Domitium Massiliensisque de suo aduentu certiores facit eosque magnopere<br />

hortatur ut rursus cum Bruti classe additis suis auxiliis confligant. (Caes., Ciu.<br />

2.3.3)<br />

207


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Il informe Domitius et les Marseillais de son arrivée, et les exhorte vivement à<br />

engager de nouveau la lutte contre la flotte de Brutus, avec le secours qu’il leur<br />

amenait. »<br />

Ensuite, cet ordre se rencontre lorsque la phrase répond à la question quis ?<br />

L’actant 2 lié en tête, l’actant 1 dépendant ou indépendant du contexte se positionne à la<br />

place préverbale.<br />

(22) Tuas iam litteras Brutus exspectabat. Cui quidem ego nouum attuleram de<br />

‘Tereo’ Acci. Ille 'Brutum' putabat. (Cic., Att. 16.5.1)<br />

« Brutus attendait déjà une lettre de toi. Pour ma part, je lui ai apporté des<br />

nouvelles du ‘Térée’ d’Accius. Il pensait que c’était le ‘Brutus’ ! »<br />

Le même ordre se rencontre dans le cas de sujets inanimés, par exemple :<br />

(23) Adherbalem omnisque, qui sub imperio Micipsae fuerant, metus inuadit. (Sall.,<br />

Iug. 13.1)<br />

« Adherbal et tous ceux qui avaient été assujettis à Micipsa sont saisis de<br />

terreur. »<br />

Chez Salluste, ce modèle se reproduit à quatre reprises. En revanche, lorsque le sujet est<br />

qualifié par un adjectif relevant d’une appréciation subjective (tantus, ingens…), il se<br />

positionne en tête de la proposition. Dans la Guerre de Jugurtha, on lit trois occurrences<br />

de ce type :<br />

(24) Quod postquam auditum est, tum uero ingens metus nostros inuadit. (Sall., Iug.<br />

106.6)<br />

« Après l’annonce de cette nouvelle, les nôtres sont alors saisis d’une grande<br />

terreur. »<br />

2.1.2.4. Verbe > actant 2 > actant 1<br />

Dans l’échantillon des verbes étudiés (voir note 11), nous n’avons noté qu’une<br />

seule occurrence de l’ordre verbe > actant 2 > actant 1 13 . Il s’agit de Caes., Ciu. 1.3.1,<br />

où promptos est ajouté par les éditeurs 14 . Or dans les Tusculanes de Cicéron, on lit de<br />

telles phrases dans un contexte très intéressant. En effet, Cicéron donne la phrase<br />

exemplifiée en (25) comme un exemple de départ pour démontrer que nul sentiment ne<br />

subsiste dans le corps. Il ne s’agit pas de dire ce qu’Achille fait ni qui il traîne. Nous<br />

assistons à une phrase où tout est nouveau, phrase qui se rencontre dans le contexte tel<br />

que « imaginons la situation suivante », « il y a une situation X ».<br />

(25) Trahit Hectorem ad currum religatum Achilles : lacerari eum et sentire, credo,<br />

putat. (Cic., Tusc. 1.105)<br />

« Achille traîne Hector attaché à son char ; il pense, ma foi, qu’Hector est<br />

déchiré et le sent. »<br />

13 Cf. également chapitre VI, Le focus, § 3.<br />

14 Laudat Pompeius (Caes., Ciu. 1.3.1) « Pompée loue l’ardeur des uns ». La place initiale<br />

du verbe dans cet exemple est considérée comme pourvue de la fonction « réactive » par M. Bolkestein<br />

(1996b : 14).<br />

208


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Pour terminer cette section, il convient de mentionner encore deux cas<br />

particuliers. L’exemple (26) montre le focus sur un sujet multiple, contextuellement<br />

indépendant, placé après le verbe. Il s’agit d’une énumération des habitants qui envoient<br />

une députation à César :<br />

(26) Hos sequuntur Byllidenses, Amantini et reliquae finitimae ciuitates totaque<br />

Epirus et legatis ad Caesarem missis quae imperaret facturos pollicentur.<br />

(Caes., Ciu. 3.12.4)<br />

« Les Bullidenses, les Amantini suivent leur exemple, ainsi que les autres cités<br />

voisines et l’Épire toute entière ; ayant envoyé des députations à César, ils<br />

promettent d’exécuter ses ordres. »<br />

Le dernier exemple présente un cas de contraste entre les sujets et les objets, organisés<br />

dans une structure chiastique ; les objets sont dépendants du contexte :<br />

(27) In duas partis discedunt Numidae : plures Adherbalem secuntur, sed illum<br />

alterum bello meliores. (Sall., Iug. 13.1)<br />

« Les Numides se divisent en deux partis : le plus grand nombre se range autour<br />

d’Adherbal, mais les meilleurs soldats, autour de l’autre. » (trad. C.U.F.)<br />

2.1.3. Premières conclusions<br />

L’examen des verbes d’action a montré que l’ordre le plus fréquemment<br />

reproduit, (actant 1) > actant 2 > verbe, apparaît tout particulièrement dans la prose<br />

historique de César et de Salluste ; Cicéron y a recours dans une moindre mesure. Cet<br />

ordre recouvre plusieurs configurations pragmatiques et la distribution de constituants<br />

dépend de leur statut contextuel. Cependant, dans de nombreux cas, la question sousjacente<br />

à des phrases comportant un verbe d’action est « que fait-il ? » ; cela permet de<br />

mieux comprendre pourquoi la prose historique privilégie tant le placement des verbes à<br />

la fin de la phrase. Les entités animées manifestent une plus grande mobilité dans la<br />

phrase que les entités inanimées, en particulier, lorsque la question sous-jacente est<br />

quem ? Les objets pourvus d’un faible degré d’individuation se rencontrent à la place<br />

préverbale et forment, avec le verbe, une unité pragmatique.<br />

2.2. Le verbe uideo<br />

Dans notre corpus, le verbe uideo « voir » est abondamment attesté chez Cicéron<br />

(41 occ. sur 44 au total), et se rencontre à la première ou deuxième personne (15 et 25<br />

occ. respectivement) du singulier ou du pluriel. À la différence des verbes étudiés au<br />

paragraphe précédent, uideo peut être complété non seulement par un actant 2 nominal,<br />

mais également par une subordonnée. Pour ces deux raisons, une section séparée lui<br />

sera consacrée.<br />

Le plus fréquemment, uideo est complété par un nom ou un pronom à<br />

l’accusatif (27 occ. au total) ; ce dernier le précède (13 occ.) ou le suit (14 occ.). Les<br />

constituants exprimés par un nom, animé ou inanimé, venant après uideo, dans l’ordre<br />

verbe > actant 2, sont tous contextuellement non liés, par exemple quosdam Corinthios<br />

en (28). L’exemple donné en (29) représente l’un des passages 15 où Cicéron appuie son<br />

jugement en énumérant les preuves. Le verbe uides, à la deuxième personne du<br />

singulier, y est répété.<br />

15 Voir également Att. 14.5.2 et 14.6.2.<br />

209


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(28) (Karthaginienses multi Romae seruierunt, Macedones rege Perse capto ;) uidi<br />

etiam in Peloponneso, cum essem adulescens, quosdam Corinthios. Hi poterant<br />

omnes… (Cic., Tusc. 3.53)<br />

« (Nombre de Carthaginois, et, après la capture du roi Persée, de Macédoniens,<br />

ont été esclaves à Rome.) J’ai même vu dans le Péloponnèse, au temps de ma<br />

jeunesse, des individus qui étaient originaires de Corinthe. Ces gens auraient<br />

tous pu… » (trad. C.U.F.)<br />

(29) (Mihi res ad caedem et eam quidem propinquam spectare uidetur.) Vides<br />

homines, uides arma. (Cic., Att. 15.18.2)<br />

« (Il me semble qu’on s’oriente vers un massacre, et cela dans un avenir<br />

proche.) Tu vois les hommes, tu vois les armes. »<br />

Dans l’ordre actant 2 > verbe, un actant 2 contextuellement non lié (3 occ.) peut<br />

apparaître, comme Paulum, focus en (30). Cette phrase ouvre une lettre et répond à la<br />

question « que s’est-il passé ? », avec la question quem ? sous-jacente :<br />

(30) Postridie Idus Paulum in Caieta uidi. Is mihi de Mario… aliqua. (Cic., Att.<br />

14.7.1) 16<br />

« Le 14, j’ai vu Paulus à Caiète. Il m’a donné des nouvelles de Marius… »<br />

Les actants 2 contextuellement liés figurant dans ce même ordre sont représentés<br />

par un nom (3 occ.) et par un pronom tels nihil, haec, eam… (9 occ.), par<br />

exemple Brutum (31) à la place préverbale (personnage mentionné auparavant) ou eum<br />

en (32) :<br />

(31) Atque ego celeriter Veliam deuectus Brutum uidi, quanto meo dolore non dico.<br />

(Cic., Phil. 1.9)<br />

« Et moi, débarqué promptement à Velia, je vis Brutus Ŕ avec quelle<br />

douloureuse émotion, je renonce à le dire. » (trad. C.U.F.)<br />

(32) (Saran) Semel eum omnino domi meae uidi. (Cic., Att. 15.15.2)<br />

« (Sara) Je ne l’ai vu qu’une seule fois chez moi. »<br />

Il convient de mentionner que les interrogations indirectes, complétant uideo,<br />

sont placées en premier (5 occ. sur 6), comme l’illustre l’exemple (33), avec cum<br />

Publilio, annonçant un changement de topique, en tête de la phrase. L’exemple donné<br />

en (34) montre une configuration intéressante : employé dans une parenthèse où Cicéron<br />

formule un commentaire subjectif, uides vient après le sujet de l’interrogation indirecte,<br />

u(po/qesij, résumant ce qui a été dit dans le paragraphe et contrastant avec persona<br />

dicentis.<br />

(33) Cum Publilio quo modo agendum sit uidebis. Non debet urgere. (Cic., Att.<br />

16.6.3)<br />

« Tu verras comment il faut procéder avec Publilius. Il ne devrait pas insister. »<br />

(34) u(po/qesij uides quae sit persona dicentis. (Cic., Att. 15.1a.2)<br />

« Tu vois le thème et le personnage qui parle. »<br />

16 Caietanum, que Cicéron appelait également Formianum, était l’une de ses propriétés. Sur l’entretien<br />

avec L. Aemilius Paulus, voir J. Beaujeu (1988 : 62).<br />

210


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

2.3. Les tournures verbo-nominales<br />

En analysant l’exemple 9 (cité ci-dessus), nous avons constaté que dans le<br />

contexte donné, l’actant 2 forme une unité pragmatique avec le verbe. Il convient<br />

d’analyser à présent les cas où une telle analyse s’impose : celui des verbes à<br />

sémantisme faible accompagnés d’un nom pourvu d’un faible degré d’individuation<br />

(voir J. de Jong, 1989 : 533 sq.), par exemple bellum gero « faire la guerre » 17 . Le verbe<br />

n’y est pas un candidat à la fonction de focus, aussi bien que le substantif. En revanche,<br />

s’il est exprimé, l’adjectif accompagnant le substantif peut être focal (voir H. Pinkster,<br />

1991 : 77) :<br />

(35) Terentia magnos articulorum dolores habet. (Cic., Att. 1.5.8)<br />

« Térentia souffre beaucoup de rhumatismes. »<br />

Selon l’analyse de H. Pinkster, qui a signalé ce phénomène en particulier (cf. également<br />

1995 : 231), la phrase ne répond pas à la question « qu’a Térentia ? », mais « comment<br />

Térentia se porte-t-elle ? ». En outre, l’adjectif magnos pourrait être regardé comme<br />

intensifiant le procès exprimé par l’unité pragmatique dolores habet. La coordination de<br />

saepe et de maximas, que l’exemple suivant présente, irait dans le sens de cette<br />

interprétation (cf. Pinkster, 1990 : 9, sur la coordination de « membres disparates ») :<br />

(36) Terentia tibi et saepe et maximas agit gratias. (Cic., Att. 3.5)<br />

« Térentia t’adresse souvent ses remerciements les plus chaleureux. »<br />

Nous proposons d’étudier à présent quelques expressions de ce type chez César,<br />

Salluste et Cicéron 18 , en nous inspirant de formules relevées dans le corpus. Les<br />

constructions verbo-nominales choisies diffèrent quant à leurs capacités d’admettre<br />

d’autres compléments : terga uerto « fuir » est monovalent, castra pono « camper » et<br />

castra moueo « décamper » apparaissent, à l’occasion, avec un complément de lieu, de<br />

même que iter facio « faire route » ; uerba facio « faire un discours, parler » peut être<br />

complété par une expression concernant le contenu ou l’endroit où le procès se déroule ;<br />

mentionem facere « faire mention » et finem facere « cesser » admettent des<br />

compléments de nom au génitif. L’expression operam do « s’appliquer, accorder<br />

l’attention » apparaît avec un datif ou avec une complétive, et gratias ago « adresser des<br />

remerciements » appelle un datif. Il s’agit en partie des constructions verbo-nominales<br />

17 Il convient de noter que les constructions verbo-nominales de type bellum gerere ont retenu l’attention<br />

de chercheurs adoptant une perspective typologique. En effet, les verbes composés tels belligero « faire la<br />

guerre » ou nuncupo « dénommer » sont considérés comme preuves de l’ordre objet > verbe en latin (voir<br />

Oniga, 1988 : 155, note 22). Partant d’une même perspective, G. Giannecchini (1982 : 93 sq. en<br />

particulier) a essayé d’expliquer le passage de l’ordre latin objet > verbe à verbe > objet. Il a formulé une<br />

hypothèse selon laquelle l’ordre verbe > objet (ou l’anticipation du verbe dans la proposition) s’explique<br />

par le sémantisme faible du verbe et le caractère « dynamique » du substantif. Selon lui, le nom, pourvu<br />

d’un plus grand dynamisme, montre une tendance à se postposer au verbe. La tendance à « anticiper » le<br />

verbe dans la proposition s’observe (ibid., 106-107), parmi les auteurs classiques, en particulier chez<br />

Cicéron : l’ordre « normal » objet > verbe ne représente que 41 % des cas relevés. Chez César, l’ordre<br />

objet > verbe représente 54 %, chez Salluste 59 %. Cependant, H. Pinkster (1995 : 231, note 27) signale<br />

que l’étude des expressions de type mentionem facere chez Cicéron, menée par des étudiants, n’aboutit<br />

pas aux mêmes conclusions. En outre, il importe d’ajouter que G. Giannecchini, s’appuyant sur la<br />

typologie des constructions verbo-nominales proposée par M. Renský (1966 : 292 sqq.) inclut dans son<br />

analyse les formations du parfait des verbes déponents et du passif ; or chez Renský, on ne lit rien de<br />

similaire. On comparera, à ce propos, la section consacrée au passif et au déponent (§ 6.4).<br />

18 Pour les expressions verbo-nominales singulières chez Cicéron, on consultera le lexique de Merguet<br />

(1962).<br />

211


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

constituées d’un verbe à faible charge sémantique (habeo, facio…) et d’un nom verbal<br />

(mentionem…), analysées par Hannah Rosén (1981, en particulier 130 sqq.). Pour elle,<br />

les composantes de ces formations Ŕ et d’autres formes analytiques Ŕ ne manifestent pas<br />

un ordre figé (Rosén, 1999 : 87).<br />

On prêtera une attention particulière à la possibilité d’inverser l’ordre du verbe<br />

et du nom, d’insérer d’autres éléments entre eux, de rencontrer des adjectifs qualificatifs<br />

ou déterminatifs accompagnant le nom et de rencontrer des valeurs pragmatiques<br />

variées. À l’aide de la BTL, 178 occurrences au total ont été relevées. Le tableau cidessous<br />

réunit les résultats de l’enquête concernant la position du nom (N) et du verbe<br />

(V), avec de disjonctions éventuelles (…) dans les phrases déclaratives syntaxiquement<br />

non dépendantes.<br />

Tableau 5 : Les tournures verbo-nominales chez César, Salluste et Cicéron (BTL)<br />

Construction N V N…V V N V…N Total<br />

terga uerto 7 0 0 0 7<br />

castra pono 13 3 0 0 16<br />

castra moueo 6 4 2 0 12<br />

iter facio 6 4 1 0 11<br />

uerba facio 9 2 2 0 13<br />

mentionem facio 4 1 2 0 7<br />

finem facio 9 8 1 0 18<br />

operam do 5 2 18 2 27<br />

gratias ago 32 11 17 7 67<br />

Total 91 35 43 9 178<br />

Pourcentage 50 % 21 % 24 % 5 % 100 %<br />

Le tableau met en évidence, d’une part, que d’un point de vue général, l’ordre<br />

nom > verbe (91 et 35 occ.) représente 71 % des cas, l’ordre verbe > nom 29 % des<br />

cas 19 ; d’autre part, que plus les capacités d’admettre d’autres compléments augmentent,<br />

plus on relève de variations. Par exemple, terga uerto monovalent n’apparaît que dans<br />

l’ordre nom > verbe sans disjonction ; en revanche, gratias ago est plus apte à des<br />

variations et dans le cas de operam do, l’ordre verbe > nom est même prévalent (14<br />

occ.). Des exemples concrets éclaireront ces variations.<br />

2.3.1. Terga uerto<br />

Le fait que l’expression terga uerto (exemple 37) apparaisse uniquement dans<br />

l’ordre nom > verbe est partiellement dû au nombre peu élevé d’occurrences (7 au<br />

total). La phrase signifie alors « que fait-on ? » et non pas « que tourne-t-on ? ». La<br />

disjonction par un adverbe ou une autre configuration ne semblent nullement exclues 20<br />

mais sont rares dans l’ensemble.<br />

(37) Itaque… omnis Vari acies terga uertit seque in castra recepit. (Caes., Ciu.<br />

2.34.6)<br />

19<br />

Ces résultats diffèrent donc considérablement des relevés effectués par G. Giannecchini (1982 : 106<br />

sq.) ; voir la note 17.<br />

20<br />

Cf. terga haud dubie uertunt Poeni Numidaeque (Liv. 28.13.8) « alors Carthaginois et Numides<br />

tournent carrément le dos ». L’ordre verbe > nom apparaît, par exemple, chez Sénèque et l’action y est<br />

située au futur : referet pedem, non uertet terga, sed sensim recedet in tutum (Sen., Ep. 22.8) « Il reculera,<br />

ne tournera pas le dos, mais, petit à petit, se retirera en lieu sûr ».<br />

212


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Aussi…, toute l’armée de Varus tourna le dos et se retira dans son camp. »<br />

2.3.2. Castra pono, castra moueo et iter facio<br />

Les expressions castra pono, castra moueo 21 mais également iter facio se<br />

rencontrent seules, avec un complément adverbial de lieu indiquant la localisation, le<br />

point de départ et/ou le point d’arrivée selon les cas, ou avec un complément adverbial<br />

de temps (par exemple, noctu « la nuit »). Le passage de César montre les deux<br />

possibilités ; la première phrase répond à la question « que font-ils ? », l’autre « où<br />

César campe-t-il ? ». Si l’expression est employée sans complément adverbial de lieu,<br />

un adverbe qualificatif apparaît qui porte sur toute l’unité pragmatique (39) ; il est très<br />

rare de trouver des occurrences de castra et de iter complétés par un déterminant ou par<br />

un adjectif qualificatif 22 .<br />

(38) Illi necessario maturius quam constituerant castra ponunt… Caesar quoque in<br />

proximo colle castra ponit. (Caes., Ciu. 1.65.3-5)<br />

« Ils sont obligés de camper plus tôt qu’ils ne l’avaient décidé… César, de son<br />

côté, campe sur une colline toute proche. »<br />

(39) Sed tardius iter faciebat. (Cic., Att. 11.23.2)<br />

« Mais il faisait route plutôt lentement. »<br />

L’ordre verbe > nom, rare, se rencontre sans qu’une différence soit perceptible.<br />

La phrase exemplifiée en (40) répond à la question « où décampe-t-il ? », celle en (41)<br />

« qu’ai-je fait ? ». Cependant, feci dans ce dernier exemple pourrait s’expliquer comme<br />

un verum focus au sens de « en effet, j’ai traversé » :<br />

(40) Satis ad… militum animos confirmandos factum existimans in Haeduos mouit<br />

castra. (Caes., Gall. 7.53.3)<br />

« … en jugeant qu’il avait suffisamment raffermi le courage des soldats, il<br />

décampa pour se rendre dans le pays des Héduens. »<br />

(41) Moeragenes certe periit ; feci iter per eius possessionem, in qua animal<br />

reliquum nullum est. (Cic., Att. 6.1.3)<br />

« Moeragénès est certainement mort. J’ai traversé son domaine où il ne reste<br />

plus âme qui vive. » (trad. C.U.F.)<br />

Il est possible de séparer les expressions en question par un adverbe (tel propere,<br />

Sall., Cat. 57.3) ou par un syntagme (42-43). Ad Gergouiam en (42) est le focus de la<br />

proposition ; en revanche, Laodicea en (43) est lié au contexte.<br />

(42) Caesar… tribusque horis noctis exercitui ad quietem datis castra ad Gergouiam<br />

mouit. Medio fere itinere… (Caes., Gall. 7.41.1)<br />

« Puis, après avoir donné trois heures de la nuit à l'armée pour se reposer, il<br />

décampa pour se rendre à Gergovie. Presque à mi-chemin… »<br />

(43) Iter Laodicea faciebam a. d. III Non. Sext., cum has litteras dabam, in castra in<br />

Lycaoniam. (Cic., Att. 5.15.3)<br />

21 Castra moueo peut être utilisé avec l’ellipse de castra (voir Lebreton, 1901 : 152, Happ, 1976 : 234 sq.<br />

et Touratier 1987 : 409) ; voir également chapitre IV, Les ellipses, § 3.<br />

22 Pour castra, cf. altera castra… ponit (Caes., Ciu. 1.18.5) « il établit un second camp » ; prope statiua<br />

Appi castra mouent (Liv. 43.23.5) « ils vont s’établir près du camp fixe d’Appius » ; pour iter, cf. ut illud<br />

iter familiarius facere uellent (Cic., De inu. 2.14) « qu’ils voulurent continuer leur route ».<br />

213


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Je quitte Laodicée le 3 août, au moment où je remets cette lettre, pour le camp<br />

en Lycaonie. » (trad. C.U.F.)<br />

2.3.3. Verba facio<br />

À plusieurs reprises, l’expression uerba facio annonce un discours indirect ou est<br />

complétée par un syntagme prépositionnel introduit par de. Ici encore, l’ordre verbe ><br />

nom ne nous semble pas entraîner une différence de sens :<br />

(44) Ad ea rex satis placide uerba facit : sese pacem cupere… (Sall., Iug. 83.2)<br />

« À ses mots, le roi répondit sur un ton assez modéré : il désirait la paix… »<br />

(45) Pro his Diuiciacus – nam post discessum Belgarum dimissis Haeduorum copiis<br />

ad eum reuerterat – facit uerba : Bellouacos… (Caes., Gall. 2.14.1)<br />

« Diviciacos intercéda pour eux (car après la retraite des Belges, ayant renvoyé<br />

les troupes héduennes, il était revenu auprès de lui) : Les Bellovaques, dit-il… »<br />

L’unité pragmatique de uerba facio peut être qualifiée par un adverbe Ŕ tel<br />

placide en (44). Cependant, on relève également une quantification, (per)multa auprès<br />

du nom uerba, par exemple en (46), où le focus est porté sur l’adjectif, relevant d’une<br />

appréciation subjective. Dans ce cas, il est plus exact de parler d’une disjonction de<br />

multa uerba par feci que d’une postposition de uerba par rapport à feci :<br />

(46) Multa feci uerba de toto furore latrocinioque P. Clodi. (Cic., Q. frat. 2.1.3)<br />

« Je fis un long discours sur les entreprises folles et criminelles de Clodius. »<br />

2.3.4. Mentionem facio et finem facio<br />

Mentionem facio et finem facio sont complétés en particulier par un génitif (cf.<br />

Rosén, 1981 : 142) qui dépend syntaxiquement du nom mentionem ou finem. Ces deux<br />

noms admettent des épithètes tels nullam ou ullam. Dans le cas de mentionem facio, le<br />

complément au génitif véhicule l’information essentielle (47) et figure devant le nom<br />

mentionem :<br />

(47) Tu cuiusquam denique hominis popularis mentionem facis, qui… (Cic., Rab.<br />

perd. 13)<br />

« Enfin, fais mention d’un citoyen populaire, toi qui… »<br />

Dans le cas de finem facio, le génitif peut reprendre un élément donné et c’est<br />

l’unité pragmatique de finem facio qui apporte l’information essentielle (question « que<br />

fait-on ? »). Le constituant au génitif figure avant ou après la locution, ou produit sa<br />

disjonction. On notera la place de finem facere en (49), suivi de Tusculanarum<br />

disputationum, lié au contexte.<br />

(48) Pompeius… cum… praegressos consequi cuperet quarta die finem sequendi fecit<br />

atque aliud sibi consilium capiendum existimauit. (Caes., Ciu. 3.77.3)<br />

« Pompée… malgré son désir d’atteindre l’adversaire qui se dérobait devant lui,<br />

abandonna la poursuite le quatrième jour et pensa qu’il fallait changer ses<br />

plans. » (trad. C.U.F.)<br />

(49) Quintus hic dies, Brute, finem faciet Tusculanarum disputationum. (Cic., Tusc.<br />

5.1)<br />

« Nous voici au cinquième jour, Brutus, qui marquera la fin de nos entretiens de<br />

Tusculum. »<br />

214


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

2.3.5. Operam do<br />

La locution operam do, attestée en particulier chez Cicéron, peut être complétée<br />

par un datif ou une complétive en ut. En comparaison avec les autres, comme le tableau<br />

1 l’a montré, elle présente majoritairement, à 76 % (y compris les disjonctions), l’ordre<br />

verbe > nom. Un examen détaillé des occurrences concrètes met en évidence que l’ordre<br />

do operam est adopté assez régulièrement (14 occ.) lorsqu’une complétive en ut/ne,<br />

expansion du nom operam, suit (50) ; à deux reprises seulement, l’ordre nom > verbe<br />

apparaît dans ce cas (51) :<br />

(50) Nunc, quoniam sperare nos amici iubent, dabo operam ne mea ualetudo tuo<br />

labori desit. (Cic., Fam. 14.1.2)<br />

« Maintenant, puisque les amis nous invitent à l’espoir, je tâcherai de faire que<br />

mon état de santé ne rende pas inutile tes efforts. »<br />

(51) Et ipse operam dabo ut te quam primum uideam. (Cic., Fam. 3.4.2)<br />

« Moi-même, je ferai de mon mieux pour te voir le plus tôt possible. »<br />

La locution peut être disjointe par un nom ou par un pronom au datif (52) ou<br />

même par un autre constituant, tel qu’un complément circonstanciel de temps (53).<br />

L’exemple (52) montre également la possibilité de qualifier le nom operam par un<br />

adjectif (egregiam), qui est ici porteur de focus.<br />

(52) Nicanor tuus operam mihi dat egregiam. (Cic., Att. 5.3.3)<br />

« Ton Nicanor me rend de très grands services. »<br />

(53) Iam Clitomacho Philo uester operam multos annos dedit. (Cic., Acad. pr. 17)<br />

« Votre disciple Philo a prêté, durant de nombreuses années, son attention à<br />

Clitomaque. »<br />

En outre, il convient de signaler deux exemples où le focus concerne non pas<br />

l’unité, mais seulement le verbe ; dans les deux cas, l’ordre verbe > nom est adopté et le<br />

verbe occupe la place initiale. En (54), la coordination de do et dabo signale que<br />

l’engagement vaut pour le présent et pour le futur ; en (55), l’interprétation du verbe do<br />

comme focus (il s’agit d’un verum focus) est soutenue par le connecteur equidem<br />

« assurément ».<br />

(54) Tu… expeditus facito ut sis, si inclamaro, ut accurras ; sed do operam et dabo<br />

ne sit necesse. (Cic., Att. 2.20.5)<br />

« Tiens-toi prêt à accourir à mon appel ; mais je travaille et je travaillerai à<br />

n’avoir pas à t’appeler. » (trad. C.U.F.)<br />

(55) Quod Hirtium per me meliorem fieri uolunt, do equidem operam et ille optime<br />

loquitur. (Cic., Att. 14.20.4)<br />

« Ils voudraient que j’amène Hirtius à de meilleurs sentiments : je m’y emploie,<br />

ma foi, et en paroles il est très bien. » (trad. C.U.F.)<br />

2.3.6. Gratias ago<br />

La plus fréquemment utilisée, la locution gratias ago 23 appelle un datif de la<br />

personne ou une subordonnée en quod qui exprime de quoi on remercie. Elle présente<br />

l’ordre nom > verbe (64 %) aussi bien que verbe > nom (36 %) et peut être séparée par<br />

23 Cf. également le chapitre IV, Les ellipses, l’exemple (11).<br />

215


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

un autre constituant ou par plusieurs constituants (56). Il s’agit en particulier des datifs<br />

(10 occ.), mais également de l’adjectif maximas ou de compléments comme per litteras.<br />

(56) Cuius ego studio officioque commotus egi ei per litteras gratias idque ut<br />

maturaret hortatus sum. (Cic., Fam. 15.4.5)<br />

« Ému de son empressement et de son zèle, je lui adressai une lettre de<br />

remerciement en l’invitant à se hâter. »<br />

À la différence de operam do, l’ordre verbe > nom ne semble pas être privilégié<br />

dans le cas de gratias ago lorsqu’une complétive en quod (5 occ.) ou en ut (1 occ.) suit.<br />

Cela s’explique par le fait que la subordonnée est l’expansion de l’unité nom Ŕ verbe.<br />

(57) …princepsque decima legio per tribunos militum ei gratias egit, quod de se<br />

optimum iudicium fecisset… (Caes., Gall. 1.41.1)<br />

« La dixième légion, par l’entremise de ses tribuns militaires, remercia César de<br />

l’excellente opinion qu’il avait d’elle. »<br />

Le corpus a offert deux exemples particulièrement intéressants. Le premier<br />

concerne l’action de remercier avec le focus sur le temps (action accomplie et action en<br />

cours) ; dans la proposition qui suit, on notera l’ellipse du nom gratias auprès de egi et<br />

agere :<br />

(58) Vobis uero, patres conscripti, singulis et egi et agam gratias ; uniuersis egi<br />

initio, quantum potui, satis ornate agere nullo modo possum. (Cic., Red. sen. 30)<br />

« Je vous ai fait, pères conscrits, et je vous ferai encore des remerciements à<br />

chacun : je vous en ai faits à tous en commençant, autant que je l’ai pu, et non<br />

pas avec toute l’éloquence qu’il aurait fallu. »<br />

Le second exemple montre deux emplois absolus de gratias ago rapprochés qu’on lit<br />

dans un passage chez Cicéron. Sans doute s’agit-il d’une nuance : dans le premier<br />

emploi (egit gratias), le remerciement concerne un service particulier ; dans le second<br />

(gratias egit), le remerciement représente plutôt une formule de politesse qu’on dit<br />

avant de s’en aller.<br />

(59) Pollicitus ei (Scaptio) sum curaturum me Bruti causa ut ei Salamini pecuniam<br />

soluerent. Egit gratias ; praefecturam petiuit. Negaui me cuiquam negotianti<br />

dare, quod idem tibi ostenderam (Cn. Pompeio…) ; sin praefectus uellet esse<br />

syngraphae causa, me curaturum ut exigeret. Gratias egit, discessit. (Cic., Att.<br />

5.21.10)<br />

« J’ai promis à Scaptius que je m’occuperais de la cause de Brutus pour que les<br />

Salaminiens lui versent l’argent. Il m’a remercié et m’a demandé un brevet de<br />

préfet. J’ai dit que je ne donnais de préfecture à aucun homme d’affaire, comme<br />

je l’avais déclaré aussi à toi-même (Cn. Pompée…) ; mais si c’était pour<br />

recouvrer sa créance qu’il voulait être préfet, je ferais le nécessaire pour qu’il fût<br />

payé. Il me remercia et s’en alla. »<br />

2.3.7. Premières conclusions<br />

L’examen de quelques expressions verbo-nominales variées met en évidence que<br />

l’aptitude à admettre d’autres compléments augmente les possibilités de variations. Des<br />

locutions comme terga uerto ou castra moueo semblent figées mais en réalité, elles ont<br />

216


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

peu de chances d’être qualifiées ou développées par d’autres termes. En revanche, les<br />

expressions comme operam do entrent dans des configurations plus complexes.<br />

Conformément à leur sens, les locutions étudiées apparaissent dans des phrases revêtant<br />

des valeurs pragmatiques variées : le verbe et le nom forment assez souvent une unité<br />

pragmatique, mais le focus peut être, selon les cas, porté sur un autre constituant<br />

(l’adjectif, complément directionnel, personne au datif…) ; de même, le verbe lui-même<br />

est susceptible d’être focalisé. Il nous semble incorrect de vouloir étudier<br />

schématiquement l’ordre relatif du verbe et du nom dans les expressions verbonominales<br />

car, on l’a vu, leur comportement est en rapport étroit avec leurs capacités<br />

syntaxiques et leurs propriétés sémantiques.<br />

2.3.8. Perspectives<br />

Les locutions étudiées dans ce paragraphe ne représentent qu’un échantillon<br />

relevé dans les propositions syntaxiquement indépendantes ; cependant, elles sont assez<br />

fréquentes dans les subordonnées. Elles semblent y présenter le même comportement,<br />

par exemple dans les infinitives : terga uerto ou castra moueo n’apparaissent jamais<br />

avec l’ordre inverse ; en revanche, on rencontre des variations pour operam do 24 . Une<br />

étude concentrée sur la subordination permettrait d’étendre les conclusions obtenues<br />

pour les propositions indépendantes.<br />

2.4. Les verbes « penser »<br />

Les verbes « penser » qui ont été examinés (160 occurrences au total), arbitror<br />

« juger », censeo « estimer », cogito « songer », existimo « considérer » et puto<br />

« penser » présentent des caractéristiques similaires : ils apparaissent, à quelques<br />

exceptions près, avec l’accusatif et l’infinitif, et le verbe est conjugué à la première<br />

personne du singulier, celle du locuteur, dans 52 % des cas. Ces verbes sont<br />

particulièrement fréquents chez Cicéron (81 %) ; dans la prose historique, ils se<br />

rencontrent moins souvent (César 11 % et Salluste 8 %). Le tableau suivant présente les<br />

résultats, selon que le verbe suit, précède ou s’intercale dans la subordonnée l’accusatif<br />

et l’infinitif (AcI). La rubrique « autre » regroupe les cas où le complément n’est pas<br />

l’accusatif et l’infinitif 25 .<br />

Tableau 6 : Les verbes « penser » (corpus)<br />

Modèle arbitror censeo cogito existimo puto Total Pourc.<br />

AcI + verbe 23 8 6 9 27 73 46 %<br />

verbe + AcI 4 3 3 4 11 25 16 %<br />

verbe intercalé 10 9 1 3 16 39 24 %<br />

autre 1 3 9 5 5 23 14 %<br />

Total 38 23 19 21 59 160 100 %<br />

Les données mettent en évidence que les verbes « penser » suivent le plus<br />

souvent leur subordonnée (46 %), le verbe ne les précède qu’à 16 % des cas. Or, le<br />

placement du verbe en tête ne semble pas dû au fait qu’il soit à la première personne du<br />

24 Cf. par exemple iubet operam dare (Cic., Verr. 2.2.71) ; dare operam oportebit (Cic., De inu. 2.119).<br />

25 Il s’agit des compléments suivants : une interrogative indirecte (1 occ. pour cogito, 1 pour existimo) ;<br />

une complétive en ut (1 occ. pour censeo, 1 occ. pour existimo) ; un adverbe comme nihil, ita, satis,<br />

bene… (1 occ. pour arbitror, 2 pour censeo, 4 pour cogito, 3 pour existimo et 3 pour puto) ; un nom à<br />

l’accusatif (4 occ. pour puto, 1 pour cogito) ; un syntagme prépositionnel introduit par de… (2 occ. pour<br />

cogito) et un objet neutre tel alia (1 occ. pour cogito).<br />

217


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

singulier. En effet, abstraction faite de l’intercalation, le verbe à la première personne du<br />

singulier (au nombre total de 83 occ.) suit la subordonnée dans 46 % des cas (38 occ.),<br />

et il la précède dans 23 % des cas (19 occ.). On voit là une différence par rapport aux<br />

données globales (23 % vs. 16 %). On dira alors seulement qu’à la première personne,<br />

le verbe est plus enclin à être placé en tête qu’à la troisième personne 26 . Il convient de<br />

signaler le nombre élevé des cas où il s’intercale dans la phrase (24 %).<br />

Les exemples (60-62) illustrent les cas où le verbe suit ou précède la<br />

subordonnée :<br />

(60) Albianum te confecisse arbitror. (Cic., Att. 14.18.2)<br />

« Je pense que tu as réglé l’affaire d’Albius. »<br />

(61) De quibus rebus Seruilius consul ad senatum rettulit senatusque Caelium ab re<br />

publica remouendum censuit. (Caes., Ciu. 3.21.3)<br />

« Le consul Servilius rapporta au Sénat de ces faits et le Sénat décréta que Célius<br />

devait être écarté du gouvernement. »<br />

(62) (Ibi te quam primum per uidere uelim.) Puto enim nobis Lanuuium eundum et<br />

quidem non sine multo sermone. (Cic., Att. 15.4.2)<br />

« (Je souhaite t’y voir le plus tôt possible.) Je pense en effet que nous devrons<br />

aller à Lanuvium, ce qui exigera de longs entretiens. »<br />

Ils montrent bien que ce ne sont pas les verbes « penser » qui véhiculent l’information<br />

essentielle, mais le contenu des subordonnées. Cela s’observe nettement en (62). En<br />

outre, Albianum (60) et Lanuuium (62) n’ont pas été mentionnés dans le contexte<br />

précédent, contrairement à Caelius en (61). Le verbe puto en tête de la phrase (62) n’est<br />

pas le focus, mais, suivi de enim, il peut être considéré comme traduisant une certaine<br />

subjectivité du locuteur.<br />

L’intercalation d’un verbe « penser » dans la subordonnée s’explique par des<br />

raisons pragmatiques. On notera d’abord le placement prioritaire des constituants de<br />

topique (eam et mortem) en (63-64) et de thème (de Buciliano) et de topique (Sestium)<br />

en (65) :<br />

(63) (Atticam meam gratias mihi agere de matre gaudeo ; cui quidem ego totam<br />

uillam cellamque tradidi) eamque cogitabam V Id. uidere. (Cic., Att. 14.19.6)<br />

« (Je suis heureux des remerciements que m’adresse ma chère Attica pour sa<br />

mère ; je lui ai confié toute la propriété avec les provisions,) et je pense la voir le<br />

11. »<br />

(64) Haec fortasse metuis et idcirco mortem censes esse sempiternum malum. (Cic.,<br />

Tusc. 1.10)<br />

« Tu crains peut-être cela et c’est pourquoi tu estimes que la mort est un mal<br />

éternel. »<br />

(65) De Buciliano, Sestium puto non moleste ferre. (Cic., Att. 15.17.2)<br />

« En ce qui concerne l’affaire de Bucilianus, je pense que Sestius ne le prend pas<br />

mal. »<br />

Cependant, d’autres dispositions se rencontrent, en particulier lorsque la phrase<br />

contient un terme emphatique. On notera les disjonctions hominem… neminem en (66)<br />

26 Cf. F. Jones (1991 : 95) qui fait remarquer que les verbes à la première et à la deuxième personne<br />

apparaissent dans un contexte interactif, ce qui explique leur place à gauche de la phrase.<br />

218


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

et optumam… sepulturam en (67), où neminem et optumam sont porteurs d’emphase<br />

mais occupent des places différentes en fin de phrase et à l’initiale (après le topique). Il<br />

convient d’ajouter que dans le passage exemplifié en (67), Cicéron parle de coutumes<br />

variées d’enterrement.<br />

(66) Vtrum autem sit melius, dii inmortales sciunt, hominem quidem scire arbitror<br />

neminem. (Cic., Tusc. 1.99)<br />

« Quant à savoir laquelle des deux choses vaut le mieux, les dieux immortels le<br />

savent, mais d’homme qui le sache, je ne pense pas qu’il en existe aucun. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

(67) (Nobile autem genus canum illud scimus esse, sed pro sua quisque facultate<br />

parat a quibus lanietur), eamque optumam illi esse censent sepulturam. (Cic.,<br />

Tusc. 1.108)<br />

« (Nous savons d’ailleurs que cette race de chiens est renommée, mais chacun<br />

fait selon ses moyens pour s’assurer les service de ses animaux :) ils estiment<br />

que c’est la meilleure des sépultures. »<br />

Les exemples présentés dans cette section montrent que c’est le contenu des<br />

subordonnées qui assume la fonction de focus. Or il est intéressant de mentionner un<br />

passage dans la correspondance de Cicéron où le contenu de la subordonnée représente<br />

évidemment une suggestion d’Atticus (à noter ut scribis et le passif où l’agent, le<br />

locuteur, est exprimé à l’aide du complément a me) ; dans ce cas, l’intention de Cicéron<br />

(puto) est l’élément saillant :<br />

(68) Brutum, ut scribis, uisum iri a me puto. (Cic., Att. 15.25)<br />

« Je pense, comme tu l’écris, que je rendrai visite à Brutus. »<br />

Le placement des verbes « penser » avant ou après leurs subordonnées<br />

infinitives (AcI) s’explique difficilement ; globalement, il y a une préférence pour la<br />

postposition du verbe qui, lui, n’est pas porteur de l’information essentielle. Cependant,<br />

une partie des occurrences à l’initiale Ŕ que ce soit le verbe ou la subordonnée Ŕ se<br />

laisse expliquer par le fait qu’ils découlent du contexte. En revanche, une étude détaillée<br />

concernant le placement de constituants dans les subordonnées s’avère nécessaire afin<br />

d’aboutir à des conclusions plus générales concernant la structure de la phrase<br />

complexe. Au demeurant, on notera que les topiques Ŕ bien qu’ils appartiennent<br />

syntaxiquement à la subordonnée Ŕ se positionnent en tête de la phase (cf. Albianum en<br />

60, Sestium en 65 et Brutum en 68).<br />

3. LES VERBES BIVAL<strong>EN</strong>TS INTRANSITIFS<br />

Cette section sera consacrée aux verbes bivalents intransitifs de type proficiscor<br />

« aller quelque part » (§ 3.1), nécessitant un complément directionnel, ainsi qu’à<br />

quelques autres verbes intransitifs, tels adsentior « approuver » ou utor « se servir » (§<br />

3.2), qui se construisent avec un objet indirect.<br />

3.1. Les verbes du type proficiscor<br />

3.1.1. Les données<br />

Le corpus, en particulier la prose historique, offre un grand nombre, 103 au total,<br />

de verbes de type proficiscor ad/in « aller quelque part » accompagnés d’un<br />

complément directionnel marquant la localité ou la personne vers laquelle l’on va, ou<br />

219


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

éventuellement, la combinaison des deux 27 . Il s’agit des verbes contendo « marcher<br />

vivement », pergo « se diriger », peruenio « arriver quelque part », proficiscor<br />

« partir », redeo, reuertor « revenir » et uenio « venir » 28 . Les compléments<br />

directionnels sont généralement représentés par des noms de villes, de pays, ou des<br />

noms communs tels que castra, et désignent ainsi des localités (90 occ., soit 74 %). Les<br />

personnes vers lesquelles on va apparaissent moins souvent comme compléments<br />

directionnels (25 occ., soit 20 %). Une combinaison des deux types (lieu + personne) se<br />

rencontre également (6 occ., 5 %). Le tableau suivant présente les modèles relevés chez<br />

les auteurs.<br />

Tableau 1 : Les verbes du type proficiscor<br />

Modèle Caesar Salluste Cicéron Total Pourc.<br />

A1 AD V 21 19 4 44 68 %<br />

AD V 24 11 4 39<br />

A1 V AD 8 3 0 11 24 %<br />

V AD 1 6 11 18<br />

V AD A1 1 0 0 1 1 %<br />

V A1 AD 0 0 1 1 1 %<br />

AD A1 V 5 1 0 6 5 %<br />

AD V A1 0 0 1 1 1 %<br />

Total 60 40 21 121 100 %<br />

Le tableau met en évidence, d’une part, que l’ordre le plus fréquemment<br />

employé est : actant 1 > complément directionnel > verbe (44 occ.), ou, si l’actant 1 est<br />

absent, l’ordre : complément directionnel > verbe (39 occ.), soit au total 68 %. Le<br />

placement du complément directionnel après le verbe est remarquable car il se produit<br />

dans 24 % des cas. D’autre part, le tableau montre que toutes les possibilités de<br />

placement sont attestées, ne serait-ce qu’à une seule reprise.<br />

3.1.2. Les configurations principales<br />

Les phrases comportant un verbe de type proficiscor peuvent véhiculer des<br />

informations variées. Elles répondent à la question quo ? (1), quis ? (2), à une autre<br />

question (3), ou elles représentent une information complexe (voir plus loin, § 3.1.5).<br />

Considérons les exemples suivants :<br />

(1) At Cassius praetor… ad Iugurtham proficiscitur eique… persuadet… (Sall., Iug.<br />

32.5)<br />

« Le préteur Cassius se rend auprès de Jugurtha, et… il lui persuade… »<br />

(2) (Cum… mansissem in uilla P. Valeri…), municipes Regini complures ad me<br />

uenerunt, ex eis quidam Roma recentes : a quibus… (Cic., Phil. 1.8)<br />

27 Les emplois absolus de ces verbes ainsi que les emplois abstraits (par exemple, ad rem uenio Ŕ Cic.,<br />

Att. 16.15.1) n’ont pas été pris en considération ici, de même que les expressions de finalité (ad<br />

exploranda loca peruenitur Ŕ Caes., Ciu. 1.66.3). Dans certains cas, il est possible d’exprimer le point de<br />

départ, par exemple ex castris proficiscuntur (Caes., Ciu. 1.78.3) ; la place de ces compléments,<br />

généralement peu fréquents, n’a pas été examinée en détail.<br />

28 Le nombre d’occurrences relevées est le suivant : 8 occ. de contendo, 8 occ. de pergo, 34 occ. de<br />

peruenio, 27 occ. de proficiscor, 4 occ. de redeo, 6 occ. de reuertor et 34 occ. de uenio.<br />

220


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« (Lorsque je demeurais dans la villa de P. Valerius…), plusieurs habitants de<br />

Rhegium vinrent me voir et, parmi eux, certains arrivés récemment de Rome.<br />

C’est par eux que… »<br />

(3) Antium ueni ante H. VI. Bruto iucundus noster aduentus. (Cic., Att. 15.11.1)<br />

« Je suis arrivé à Antium avant la sixième heure. Ma venue a fait plaisir à<br />

Brutus. »<br />

La phrase exemplifiée en (1) répond à la question quo ? : le complément ad<br />

Iugurtham, placé devant le verbe, véhicule l’information essentielle. En outre, ce<br />

personnage est topicalisé par la suite à l’aide de ei. La phrase en (2) est une réponse à la<br />

question quis ? ; le complément directionnel (ad me) est déductible du contexte. En<br />

revanche, le sujet, l’information nouvelle (municipes Regini complures), est plus<br />

amplement développé par la suite (ex eis… et a quibus). La phrase donnée en (3) répond<br />

à la question quando ?, le lieu (Antium) est déductible du contexte.<br />

Le complément directionnel peut être exprimé par un anaphorique (14<br />

occurrences), adverbe (eo…) ou pronom (ad eum…). Placé à l’initiale de la phrase,<br />

comme eo en (4) qui renvoie à la ville de Sicca, constituant indépendant du contexte, il<br />

fonctionne comme le topique. Occupant une place intérieure, l’anaphorique assure<br />

simplement le renvoi à une entité connue Ŕ tel ad eum (5), reprenant Antonius. Dans le<br />

premier cas, le focus concerne l’action même (« que fait Jugurtha ? »), dans le second,<br />

Caesar (5), personnage bien établi dans le discours, est le focus de la phrase.<br />

(4) (Iugurtha) Post paulo cognoscit Marium ex itinere frumentatum cum paucis<br />

cohortibus Siccam missum, quod oppidum primum omnium post malam pugnam<br />

ab rege defecerat. Eo cum delectis equitibus noctu pergit. (Sall., Iug. 56.3-4)<br />

« Peu après Jugurtha apprend que Marius, changeant de route, a été envoyé avec<br />

quelques cohortes pour s’approvisionner en blé à Sicca, la première ville qui,<br />

après la défaite, avait abandonné la cause royale. Il s’y rend de nuit avec l’élite<br />

de ses cavaliers. »<br />

(5) (Antonius) Ille missis ad Caesarem nuntiis unum diem sese castris tenuit. Altero<br />

die ad eum peruenit Caesar. Cuius aduentu… (Caes., Ciu. 3.30.6)<br />

« Antoine envoya des messagers à César et ne sortit pas de son camp pendant<br />

une journée. Le lendemain, César fait sa jonction avec lui. À la nouvelle de son<br />

arrivée… »<br />

L’exemple suivant montre un cas plus complexe :<br />

(6) (copias exspectare…) Eo triduo legio VIII ad eum uenit cohortesque ex nouis<br />

Galliae dilectibus XXII equitesque ab rege Norico circiter CCC. Quorum<br />

aduentu altera castra ad alteram oppidi partem ponit. (Caes., Ciu. 1.18.5)<br />

« (attendre le reste de ses troupes…) Dans les trois premiers jours, la VIII e<br />

légion fait sa jonction, ainsi que vingt-deux cohortes de nouvelles levées de<br />

Gaule, et environ trois cents cavaliers envoyés par le roi de Norique. À leur<br />

arrivée, il (César) forme un autre camp de l’autre côté de la ville. »<br />

Nous avons ici un focus multiple : legio VIII est placé après le complément<br />

circonstanciel de temps (eo biduo) ; suivent le verbe cohortes et equites qui lui sont<br />

coordonnés et portent la même fonction pragmatique. La phrase répond à la question<br />

« qui est venu ? », car les renforts étaient attendus par César et les troupes sont reprises<br />

221


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

par la suite par quorum aduentu. Il convient de préciser que ad eum renvoie à César et<br />

que le verbe ponit a pour sujet (maintenu) également César.<br />

3.1.3. Rapport avec le contexte<br />

Les compléments directionnels exprimés par un nom ou un syntagme nominal<br />

figurent le plus souvent à la place immédiatement préverbale (66 occ., soit 69 % Ŕ voir<br />

tableau ci-dessous), comme le montre l’exemple (7). À la place postverbale se rencontre<br />

20 % (19 occ.) des constituants ; dans 11 % (10 occ.) des cas, ils ne se trouvent pas dans<br />

la proximité immédiate du verbe.<br />

(7) Consul… paucis diebus in Africam proficiscitur ; nam… Postquam eo uenit…<br />

(Sall., Iug. 39.4)<br />

« Le consul… partit quelques jours après pour l’Afrique ; car… Une fois<br />

arrivé… »<br />

Un examen plus détaillé du statut contextuel des compléments directionnels<br />

pourrait nous éclairer sur les conditions dans lesquelles le placement postverbal est<br />

choisi. Il convient donc d’étudier si la place préverbale ou postverbale est occupée par<br />

les éléments liés ou non au contexte. En même temps, nous nous demanderons si les<br />

compléments directionnels sont topicalisés dans la phrase subséquente à l’aide d’un<br />

pronom anaphorique (cf. eo en 4) ou d’un syntagme le contenant (continuation par<br />

l’anaphore pronominale + An. ou son absence Ŕ An.). Les résultats de cette enquête sont<br />

présentés dans le tableau suivant 29 :<br />

Tableau 2 : Compléments directionnels de proficiscor : dépendance contextuelle et<br />

continuation anaphorique pronominale (corpus)<br />

Place Liés Non liés Total<br />

+ An. Ŕ An. + An. Ŕ An.<br />

Préverbale 10 32 13 11 66 69 %<br />

Postverbale 2 2 7 8 19 20 %<br />

Autre 0 5 2 3 10 11 %<br />

Total 12 39 22 22 95 100 %<br />

Comme nous pouvons l’observer, les compléments directionnels nominaux sont<br />

liés (51 occ., soit 54 %) ou non liés au contexte (44 occ., soit 46%) sans que la<br />

différence soit notable. En revanche, il est remarquable qu’à la place postverbale se<br />

rencontrent majoritairement des constituants indépendants du contexte (15 occ. de 19,<br />

soit 79 %). Quant à la continuation anaphorique, selon les données que nous avons<br />

rassemblées, les constituants liés au contexte ne sont pas topicalisés par la suite (39<br />

occ., soit 76 %), alors que les indépendants le sont plus souvent (22 occ.). En d’autres<br />

termes, un complément directionnel topicalisé dans la phrase subséquente est plus<br />

souvent non lié au contexte (22 occ. vs. 12 occ.).<br />

Les exemples suivants montrent les principales configurations : la première série<br />

concerne le placement préverbal :<br />

29 Le tableau n’inclut donc pas les compléments directionnels exprimés par des anaphoriques (14 occ.).<br />

N’y sont pas représentés non plus les syntagmes contenant un pronom personnel (ad me, 3 occ.), les<br />

cooccurrences de deux compléments (6 occ., voir § 3.1.4) ainsi que deux cas particuliers.<br />

222


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(8) (Massiliensibus...) Haec dum inter eos aguntur Domitius nauibus Massiliam<br />

peruenit atque ab iis receptus urbi praeficitur... (Caes., Ciu. 1.36.1)<br />

« (Les Marseillais) Pendant qu’ont lieu ces négociations, Domitius arrive à<br />

Marseille avec ses vaisseaux et, reçu par les habitants, il est mis à la tête de la<br />

cité... »<br />

(9) (Caesar) … Tarracone discedit pedibusque Narbonem atque inde Massiliam<br />

peruenit. Ibi…cognoscit. (Caes., Ciu. 2.21.5)<br />

« (César) ... Il quitte Tarragone et gagne par voie de terre Narbonne, puis<br />

Marseille. Il y apprend… »<br />

Dans le passage exemplifié en (8), la mention de Marseille ne représente pas une<br />

information entièrement nouvelle car on parlait de cette ville dans le paragraphe<br />

précédent. Massiliam dépend donc du contexte tout en représentant l’élément saillant 30 .<br />

La destination de Domitius est topicalisée par (ab) iis, à savoir les habitants de<br />

Marseille. En revanche, la ville de Marseille n’a pas été mentionnée dans le contexte<br />

immédiatement pertinent et de ce fait, Massilia en (9) peut être considéré comme<br />

l’élément contextuellement indépendant. En outre, on remarquera que la proposition<br />

comporte un double focus : Narbonem, topicalisé par inde et Massiliam.<br />

Les compléments directionnels placés en position préverbale sont fréquemment<br />

représentés par des noms propres référant à des personnes ou à des localités. À neuf<br />

reprises seulement, il s’agit de noms communs tels oppidum, castellum, castra… Il<br />

convient de mentionner également urbs qui, lui, réfère à Rome. Ces noms ont<br />

généralement une lecture définie et dépendent du contexte comme castellum « le<br />

fortin » en (10).<br />

(10) (castellum temptet…) Igitur diu multumque fatigati tandem in castellum<br />

perueniunt, desertum ab ea parte, quod omnes sicut aliis diebus aduorsum<br />

hostis aderant. (Sall., Iug. 94.3)<br />

« (tenter l’ascension du fortin) Après de longues et dures fatigues, ils arrivent<br />

enfin au fortin, désert de ce côté… »<br />

La seconde série d’exemples montre le placement postverbal :<br />

(11) (Marius) Dein tertia multo ante lucis aduentum peruenit in locum tumulosum ab<br />

Capsa non amplius duum milium interuallo, ibique… opperitur. (Sall., Iug. 91.3)<br />

« La troisième nuit, bien avant le lever du soleil, il arrive dans une région<br />

accidentée, située à deux milles au plus de Capsa ; là, il attend. » (trad. C.U.F.)<br />

(12) Heri… deuerteramque in Cumanum. Ibi bene ualentem uideram Piliam, quin<br />

etiam paulo post Cumis eam uidi ; uenerat enim in funus, cui funeri ego quoque<br />

operam dedi. (Cic., Att. 15.1a.1)<br />

« Hier… j’ai fait un détour jusqu’à ma propriété de Cumes. J’y ai vu Pilia en<br />

bonne santé et je l’ai même revue peu après à Cumes ; car elle s’est rendue à des<br />

obsèques auxquelles j’ai moi-même assisté. » (trad. C.U.F.)<br />

(13) Pompeius his rebus cognitis quae erant ad Corfinium gestae Luceria<br />

proficiscitur Canusium atque inde Brundisium. (Caes., Ciu. 1.24.1)<br />

30 L’intention de Domitius d’aller à Marseille a été mentionnée auparavant, cf. : …profectum item<br />

Domitium ad occupandam Massiliam (Caes., Ciu. 1.34.1) « César apprend que Domitius était également<br />

parti pour occuper Marseille ».<br />

223


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Pompée, une fois connus les événements qui s’étaient déroulés à Corfinium, va<br />

de Lucéria à Canusium et de là à Brindes. »<br />

Le placement postverbal du complément directionnel se rencontre tout<br />

particulièrement chez Salluste (11) lorsqu’il parle de localités inconnues jusqu’à<br />

présent 31 en utilisant des noms communs tels locus ou planities avec une lecture<br />

indéfinie 32 . De même, cette disposition est utilisée par Cicéron dans sa correspondance,<br />

comme le montre l’exemple (12). Dans le contexte donné, le verbe uenerat est attendu<br />

car Cicéron dit qu’il a vu Pilia encore après ; le fait qu’elle soit venue quelque part<br />

représente donc une possibilité de la rencontrer. Le complément directionnel, en<br />

revanche, ne dépend pas du contexte Ŕ c’est l’élément nouveau, par ailleurs topicalisé<br />

par la suite (cui funeri). L’exemple (13) emprunté à César montre deux compléments<br />

directionnels coordonnés (Canusium atque inde Brundisium) dans l’ordre de succession.<br />

Sans être repris par la suite, ils représentent deux éléments saillants de cette phrase.<br />

Les compléments directionnels occupent peu fréquemment une place autre<br />

qu’immédiatement préverbale ou postverbale (8 cas). Deux dispositions pragmatiques<br />

se rencontrent : le complément directionnel représente le focus (14) ou le focus réside<br />

ailleurs (15).<br />

(14) Ipse iis nauibus quas M. Varro quasque Gaditani iussu Varronis fecerant<br />

Tarraconem paucis diebus peruenit. Ibi… (Caes., Ciu. 2.21.4)<br />

« (César) Lui-même, sur la flotte construite par Varron et par les Gaditains sur<br />

l’ordre de Varron, il arrive en quelques jours à Tarragone. Là... »<br />

(15) (ipse Brundisium sit uenturus…) His datis mandatis Brundisium cum legionibus<br />

VI peruenit ueteranis III et reliquis quas ex nouo dilectu confecerat atque in<br />

itinere conpleuerat. Domitianas enim cohortes protinus a Corfinio in Siciliam<br />

miserat. (Caes., Ciu. 1.25.1)<br />

« (César devait lui-même se rendre à Brindes)… Cette mission donnée, il arrive<br />

à Brindes avec six légions, dont trois de vétérans et les autres formées par les<br />

levées nouvelles et complétées en cours de route. En effet, les cohortes de<br />

Domitius avaient été envoyées directement de Corfinium en Sicile. »<br />

La suite des événements se déroule à Tarragone, ville qui n’a pas été mentionnée<br />

récemment. Il en résulte que le point d’arrivée, et non pas l’indication de temps (paucis<br />

diebus), représente l’élément le plus informatif. En revanche, en (15), Brundisium est lié<br />

au contexte ; de surcroît, l’ample commentaire sur les légions qui l’accompagnaient<br />

nous permet de déterminer que ce complément facultatif, cum legionibus VI, en position<br />

préverbale est porteur du focus.<br />

3.1.4. Cooccurrence de deux compléments directionnels<br />

Il importe de présenter également les cas (6 occ. au total) où deux compléments<br />

directionnels se rencontrent dans une même phrase/proposition : l’un exprimant la<br />

31<br />

La Guerre de Jugurtha se déroule dans des localités généralement inconnues pour les lecteurs romains ;<br />

cf. le chapitre II, Le topique, § 2.3.<br />

32<br />

Voir peruenit in quandam planitiem (Sall., Iug. 68.2) « il parvient dans une plaine » avec une<br />

expression lexicale qui explicite le caractère indéfini. Toutefois, il est possible de rencontrer à la place<br />

postverbale une localité déjà connue, par exemple peruenit in oppidum Cirtam… Eo… (Sall., Iug. 102.1)<br />

« il arriva dans la ville de Cirta… Là… ».<br />

224


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

personne, l’autre le lieu où l’on se dirige. Trois occurrences ont été relevées dans la<br />

correspondance de Cicéron, trois dans la prose historique.<br />

Bien que l’ordre : localité > personne > verbe se reproduise trois fois, la<br />

dépendance ou l’indépendance du contexte permet de décider avec plus d’assurance<br />

quel constituant est saillant. Un exemple clair est donné en (16) :<br />

(16) (Massilienses) Nacti idoneum uentum ex portu exeunt et Tauroenta, quod est<br />

castellum Massilensium, ad Nasidium perueniunt ibique naues expediunt…<br />

(Caes., Ciu. 2.4.5)<br />

« (les Marseillais) Profitant d’un vent favorable, ils sortent du port et joignent<br />

Nasidius à Tauroentum, une place forte appartenant aux Marseillais, et ils y<br />

disposent leurs navires... »<br />

La destination des Marseillais était Tauroentum, non mentionné auparavant, où<br />

se trouvait Nasidius, personnage bien établi dans le récit. Tauroentum est accompagné<br />

d’une relative explicative et est topicalisé par la suite à l’aide de ibi ; ces deux indices<br />

nous signalent que ce constituant porte l’information saillante, sans occuper la place<br />

immédiatement préverbale. La proposition répond alors à la question quo ? L’exemple<br />

suivant présente l’ordre inverse des compléments, personne > localité (17) :<br />

(17) Cum his ad Domitium Ahenobarbum Corfinium magnis itineribus peruenit<br />

Caesaremque adesse cum legionibus duabus nuntiat. Domitius… (Caes., Ciu.<br />

1.15.6)<br />

« Avec elles, il se rend à marches forcées à Corfinium auprès de Domitius<br />

Ahénobarbus, et lui annonce que César arrive avec deux légions. Domitius… »<br />

Or ici, et la personne (Domitius) et la localité (Corfinium) sont indépendantes du<br />

contexte. Du fait que Domitius est choisi comme topique par la suite, on peut conclure<br />

que le constituant ad Domitium Ahenobarbum est le plus saillant et que Corfinium n’est<br />

qu’une spécification complémentaire. La phrase répond à la question ad quem ? On<br />

notera également que les compléments ne figurent pas à la place préverbale.<br />

Des exemples intéressants se lisent encore chez Cicéron :<br />

(18) VI Id. ueni ad me in Sinuessanum. (Cic., Att. 16.10.1)<br />

« Le 8, je suis arrivé chez moi, dans ma propriété de Sinuessa. »<br />

(19) Ego adhuc – perueni enim Vibonem ad Siccam – … ueni igitur ad Siccam<br />

octauo die e Pompeiano, cum unum diem Veliae constitissem… (Cic., Att.<br />

16.6.1)<br />

« Jusqu’à présent Ŕ car je suis arrivé à Vibo chez Sicca Ŕ… Je suis donc arrivé<br />

chez Sicca sept jours après avoir quitté ma maison de Pompéi, y compris un jour<br />

d’arrêt à Vélia… »<br />

Ad me en (18) renvoie au locuteur et la localité est alors le plus fort candidat à la<br />

fonction du focus (question quo ?). L’exemple en (19), perueni Vibonem ad Siccam, est<br />

plus complexe mais le contexte suivant qui reprend ad Siccam « chez mon ami Sicca »<br />

pour y ajouter une spécification d’ordre temporel (octauo die « sept jours après ») porte<br />

à constater que Cicéron veut dire ad quem plutôt que quo.<br />

225


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

3.1.5. Information complexe<br />

Dans certains cas, il est plus difficile de décider de la saillance du complément<br />

directionnel, en particulier là où ce dernier est lié au contexte Ŕ tels sont tous les<br />

compléments cités dans cette section Ŕ mais n’est pas repris par un adverbe<br />

anaphorique. Considérons l’exemple suivant :<br />

(20) Recepto Caesar Orico nulla interposita mora Apolloniam proficiscitur. Cuius<br />

aduentu audito L. Staberius, qui ibi praeerat, aquam comportare in arcem…<br />

(Caes., Ciu. 3.12.1)<br />

« César, après la prise d’Oricum, se dirige sur Apollonie sans perdre un instant.<br />

En apprenant son arrivée, L. Stabérius qui commandait la place, commence à<br />

faire porter de l’eau dans la citadelle… »<br />

César se dirige sur Apollonie, nous apprend-on, et la continuation s’effectue à<br />

l’aide de cuius aduentu « de son approche ». Cependant, ce passage ne peut être<br />

interprété de la même façon que l’exemple (6, legio, cohortes, cité ci-dessus, § 3.1.2).<br />

En effet, le lieu n’est pas topicalisé et Caesar est évidemment porteur de la fonction<br />

pragmatique de topique. Deux explications s’imposent ici. Cuius aduentu peut être<br />

interprété, soit comme reprenant « l’arrivée de César à Apollonia » Ŕ nous aurions ainsi<br />

affaire à une information complexe (Apolloniam proficiscitur) Ŕ, soit comme une<br />

transition permettant un changement de cadre, de Oricum à Apollonia ; dans ce cas,<br />

Apolloniam serait le focus signalant ce changement. Il importe de souligner qu’à cet<br />

endroit, L. Staberius est mentionné pour la première fois, et que la relative qui ibi<br />

praeerat, comportant d’ailleurs l’anaphorique ibi, permet d’identifier le personnage 33 .<br />

Dans la prose historique, le départ vers un lieu signale assez souvent un<br />

changement de scène (cf. Chausserie-Laprée, 1969 : 21). Par exemple, après la mention<br />

de la marche contre l’armée d’Afranius, l’auteur commence à décrire la situation dans le<br />

camp adverse commandé par Afranius et Pétréius (21). De même, Salluste à propos du<br />

camp de Rutilius (22) 34 :<br />

(21) Fabius… magnis itineribus ad exercitum Afrani contendit. Aduentu L.Vibulli<br />

Rufi…, Afranius et Petreius et Varro, legati Pompei… officia inter se<br />

partiuntur. (Caes., Ciu. 1.37.3 Ŕ 38.1)<br />

« Fabius… marche à grandes journées contre l’armée d’Afranius. À l’arrivée de<br />

L. Vibullius Rufus…, Afranius, Pétréius et Varron, légats de Pompée… se<br />

partagent les tâches. »<br />

(22) (Bomilcar) aciem… latius porrigit eoque modo ad Rutili castra procedit.<br />

Romani ex improuiso pulueris uim magnam animaduertunt. (Sall., Iug. 52.6 Ŕ<br />

53.1)<br />

« Bomilcar étend plus largement sa ligne de bataille… et marche ainsi contre le<br />

camp de Rutilius. Les Romains aperçoivent tout à coup un gros nuage de<br />

poussière. »<br />

Dans ces cas, tout comme en (20), il est difficile de décider si le complément<br />

directionnel (ad exercitum Afrani) est saillant en marquant un changement de lieu, ou<br />

33 La présence d’un commandant découle du fait extra-linguistique que les places fortes étaient<br />

commandées par quelqu’un. César nous informe ici qui avait cette fonction à Apollonie.<br />

34 Le verbe procedo, qui offre seulement deux occurrences du type que nous examinons, n’a pas été inclus<br />

dans le tableau 1.<br />

226


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

s’il forme une unité pragmatique avec le verbe en constituant ainsi une information<br />

complexe (ad exercitum Afrani contendit). En tout cas, dans les occurrences de ce type,<br />

on a également affaire à un changement de sujet, ce dernier se déduisant à partir du<br />

complément directionnel (ad exercitum Afrani – Afranius et ses alliés ; ad Rutili castra<br />

– Romani).<br />

Il convient de citer également l’exemple (23) emprunté à César montrant un<br />

changement de sujet accompagné de l’anaphore zéro (constituunt) : Pétréius rejoint<br />

Afranius, comme c’était prévu, et ensemble, ils prennent des dispositions :<br />

(23) (uti Petreius… per Vettones… ad Afranium proficiscatur…) Quibus coactis<br />

celeriter Petreius per Vettones ad Afranium peruenit *constituuntque… bellum<br />

ad Ilerdam… gerere. (Caes., Ciu. 1.38.4)<br />

« (Pétreius devait… traverser le pays des Vettones… pour rejoindre Afranius…)<br />

Après avoir rassemblé les troupes, Pétréius, traversant rapidement le pays des<br />

Vettones, rejoint Afranius, et tous les deux décident… de porter la guerre près<br />

d’Ilerda. »<br />

Une stratégie similaire se manifeste dans l’exemple suivant où la mention du<br />

départ de César pour Rome permet de transférer le récit au siège du Sénat (24). La<br />

mention du Sénat se déduit aisément de ad urbem, car la consultation du Sénat était<br />

probablement le motif de sa visite à Rome.<br />

(24) (Caesar) Ipse ad urbem proficiscitur. Coacto senatu iniurias inimicorum<br />

commemorat. (Caes., Ciu. 1.32.1-2)<br />

« Quant à lui, il part pour Rome. Devant le Sénat réuni, il rappelle les injustices<br />

de ses adversaires à son égard. »<br />

En revanche, dans les cas comme (25) et (26), il s’agit sans<br />

équivoque d’informations complexes :<br />

(25) Otacilius sibi timens ex oppido fugit et ad Pompeium peruenit. Expositis<br />

omnibus copiis Antonius… (Caes., Ciu. 3.29.1)<br />

« Otacilius, craignant pour sa vie, s’échappa de la ville et rejoignit<br />

Pompée. Après avoir débarqué toutes ses troupes, Antoine… »<br />

(26) (Curator) dormiente illo (Nabdalsa) epistulam… sumit ac perlegit, dein propere<br />

cognitis insidiis ad regem pergit. Nabdalsa… primo indicem persequi conatus…<br />

Iugurtham placandi gratia accedit. (Sall., Iug. 71.4-5)<br />

« (Son secrétaire) prend, tandis que Nabdalsa dort, la lettre… et la lit jusqu’au<br />

bout, puis, instruit du complot, il se rend chez le roi. Nabdalsa… cherche<br />

d’abord à poursuivre son dénonciateur..., il se rend chez Jugurtha afin de le<br />

calmer. »<br />

Ces phrases sont sans continuation topicale. En partant pour rejoindre Pompée,<br />

Otacilius (25) disparaît de la scène. Ad Pompeium peruenit est donc à interpréter comme<br />

une unité pragmatique : la phrase ne répond pas à la question « où va Otacilius ? » mais<br />

« que fait-il (ensuite) ? ». De même en (26), on ne nous informe pas sur l’endroit où se<br />

rend le secrétaire (curator), mais sur ce qu’il fait (ensuite). Par ailleurs, le connecteur<br />

continuatif dein en est un signal explicite.<br />

227


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

3.1.6. Le verbe se recipere<br />

3.1.6.1. Caractéristiques générales<br />

La prose historique de notre corpus offre 20 occurrences du verbe se recipere<br />

ad/in « se replier quelque part ». Bien que le placement des compléments directionnels<br />

corresponde parfaitement aux tendances décrites à propos des verbes de type<br />

proficiscor, le verbe se recipere, pronominal, suscite une attention particulière<br />

concernant le placement du pronom se ou sese. Le tableau suivant présente les<br />

configurations relevées.<br />

Tableau 3 : Le verbe se recipere (corpus)<br />

Modèle Caesar Salluste Total<br />

A1 se AD V 6 1 7<br />

se AD V 9 0 9<br />

A1 AD se V 2 0 2<br />

AD se V 1 1 2<br />

Total 18 2 20<br />

Attesté en particulier chez César, le verbe se recipere se rencontre<br />

majoritairement avec l’ordre suivant : (actant 1 >) se(se) > complément directionnel ><br />

verbe (16 occ.). Toutefois, le pronom réfléchi se(se) peut figurer à la place<br />

immédiatement préverbale (4 occ.).<br />

Les phrases comportant le verbe se recipere expriment ce qui se passe ensuite et<br />

répondent à la question « que fait-il ? ». La continuation anaphorique pronominale est<br />

rare (3 occ.), les compléments directionnels renvoient, à quelques exceptions près, à des<br />

termes contextuellement liés. Les deux modèles relevés sont exemplifiés ci-dessous<br />

(Hadrumetum est lié au contexte).<br />

(27) Reliquae Caesaris naues cognita eius fuga se Hadrumetum receperunt. (Caes.,<br />

Ciu. 2.23.4)<br />

« Les autres vaisseaux de L. César, après sa fuite, se réfugièrent à Hadrumète. »<br />

(28) Itaque perturbatis antesignanis legio quae in eo cornu constiterat locum non<br />

tenuit atque in proximum collem sese recepit. (Caes., Ciu. 1.44.4)<br />

« Aussi le désordre s’étant mis dans les rangs des troupes d’élite, la légion qui<br />

était établie à cette aile ne put maintenir ses positions et se replia sur la colline<br />

voisine. » (trad. C.U.F.)<br />

En outre, à la place préverbale, un autre élément peut intervenir, comme omnibus copiis<br />

en (29) :<br />

(29) Diebusque post paucis se in regnum cum omnibus copiis recepit. (Caes., Ciu.<br />

2.44.3)<br />

« Et après quelques jours de délai, il se rendit avec toutes ses troupes, dans son<br />

royaume. »<br />

3.1.6.2. Caesar se in castra recipit<br />

L’expression Caesar se in castra recipit « César se replie dans le camp » est<br />

assez fréquente dans la prose historique de César : à l’aide de la Bibliotheca<br />

Teubneriana Latina, nous en avons relevé 15 occurrences. Le pronom réfléchi se(se) se<br />

228


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

rencontre majoritairement (13 occ., soit 87 %) à une place autre que préverbale ; il en<br />

résulte qu’il n’est pas attiré par le verbe, par exemple :<br />

(30) Itaque priusquam telum adigi posset aut nostri propius accederent omnis Vari<br />

acies terga uertit seque in castra recepit. (Caes., Ciu. 2.34.6)<br />

« Aussi, avant qu’un projectile n’ait pu être lancé, avant que nos troupes n’aient<br />

pu prendre le contact, toute l’armée de Varus lâche pied et se replie sur le<br />

camp. »<br />

Comme nous pouvons l’observer, le réfléchi porte, dans le premier cas, le coordonnant<br />

enclitique que et figure en tête de la proposition. Il n’y a pas de contraste avec une autre<br />

personne.<br />

L’exemple en (31) présente un placement préverbal de sese ; la phrase semble<br />

focaliser sur l’action même de se replier. L’exemple en (32) montre l’insertion, entre in<br />

castra et receperunt, d’une subordonnée (ut erat imperatum). Cela porte à interpréter la<br />

phrase comme reposant sur une question sous-jacente quo ? car le focus est représenté<br />

par le constituant in castra.<br />

(31) (uulnerati) Qui omnes discessu Curionis multique praeterea per simulationem<br />

uulnerum ex castris in oppidum propter timorem sese recipiunt. Qua re<br />

animaduersa… (Caes., Ciu. 2.35.5)<br />

« Après le départ de Curion, tous les blessés avec bien d’autres qui feignaient de<br />

l’avoir été, quittent le camp, poussés par la peur, et se réfugient dans la place.<br />

Varus s’en aperçoit… »<br />

(32) Sub occasumque solis sequi destiterunt seque in castra, ut erat imperatum,<br />

receperunt. (Caes., Gall. 2.11.6)<br />

« Au coucher du soleil, ils abandonnèrent la poursuite et revinrent au camp<br />

comme ils en avaient reçu l’ordre. »<br />

On conclura que le verbe pronominal se recipere montre de grandes libertés de<br />

placement du pronom se. Les compléments directionnels apportant une spécification au<br />

verbe se rencontrent le plus souvent dans sa proximité ; le pronom se occupe une<br />

première position. Or, comme il se positionne aussi bien devant le verbe, on doit<br />

admettre qu’il y a des variations possibles. En outre, le choix entre se et sese ne semble<br />

pas être lié à un positionnement spécial. Par exemple, se se rencontre en tête de la<br />

proposition (cf. exemple 30, seque) aussi bien qu’à la place préverbale 35 et sese n’est<br />

pas réservé à l’emploi devant le verbe 36 .<br />

3.1.7. Premières conclusions<br />

L’analyse des verbes de type proficiscor montre que leurs compléments<br />

directionnels obligatoires figurent majoritairement à la place préverbale mais ils peuvent<br />

apparaître placés après le verbe ou à une autre position. La place n’est cependant pas<br />

l’indicateur de leur fonction pragmatique. À la place postverbale, on rencontre les<br />

35 Voir Ex his circiter LXXX interfectis reliquis in fugam coniectis duobus amissis in castra se receperunt.<br />

(Caes., Ciu. 3.37.7) « L’ennemi eut environ quatre vingt morts, les autres furent mis en fuite ; les notres,<br />

qui avaient perdu deux hommes, se replièrent sur le camp. »<br />

36 Il convient de noter que les variations du même type dans les subordonnées, par exemple : Decumana<br />

porta in castra se recipere iussit. (Caes., Ciu. 3.76.1) « il donna l’ordre de rentrer en hâte au camp par la<br />

porte décumane », et sed se in castra recipere conati (Caes., Gall. 6.40.6) « ils voulurent rentrer au<br />

camp ».<br />

229


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

compléments directionnels indépendants du contexte. Cela peut s’expliquer par le fait<br />

que les compléments directionnels marquent un changement du cadre. En outre, les<br />

compléments indépendants et repris par un anaphorique dans la phrase subséquente sont<br />

les plus forts candidats à la fonction de focus.<br />

Les phrases comportant un verbe de mouvement de type proficiscor peuvent<br />

représenter la réponse à plusieurs questions, en particulier quo ? mais également<br />

quis ? ou une autre question. L’information donnée par ces phrases est parfois complexe<br />

Ŕ en particulier, lorsqu’il n’y a pas de continuation topicale Ŕ et la question associée est<br />

« que fait-il après ? ».<br />

3.1.8. Perspectives<br />

Pour finir la section concernant les verbes de type proficiscor, nous proposons<br />

de considérer encore l’exemple suivant :<br />

(33) Octauius Neapolim uenit XIIII Kal. Ibi eum Balbus mane postridie, eodemque<br />

die mecum in Cumano ; illum hereditatem aditurum. (Cic., Att. 14.10.3)<br />

« Octave est venu à Naples le 18 ; Balbus l’y a rencontré le lendemain matin et<br />

m’a parlé le même jour, chez moi, à Cumes. Il va, paraît-il, accepter l’héritage. »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

Ce passage se lit dans une lettre de Cicéron. Les constituants de la première phrase sont<br />

indépendants du contexte : il s’agit d’une information entièrement nouvelle de type<br />

« que s’est-il passé ? ». Une question y est cependant sous-jacente, quis ?, quo ? ou<br />

quando ?, et l’un des trois constituants, Octauius, Neapolim ou XIIII Kal. peut être<br />

saillant. Dans la phrase subséquente, le complément de lieu, Neapolim, est topicalisé par<br />

ibi suivi de eum reprenant Octave. La même phrase présente des ellipses de verbes Ŕ<br />

d’un uidit et d’un locutus est. L’information qui suit rapporte le contenu de l’entretien<br />

entre Balbus et Octave. Si notre analyse est correcte, la question sous-jacente à la<br />

première phrase est quo ? et Cicéron explique à Atticus comment il a pu obtenir des<br />

nouvelles concernant Octave Ŕ le 18, il est venu à Naples et Balbus l’a rencontré le<br />

lendemain matin (mane postridie, focus de la proposition). Puisque Cumes est très<br />

proche de Naples, Balbus a pu rapporter la nouvelle le jour même. Il ne s’agit donc pas<br />

de dire quand Octave est venu, mais où. L’élément saillant, Neapolim, est placé ici<br />

devant le verbe, et le complément de temps, XIIII Kal., après lui, en d’autres termes,<br />

l’organisation de la phrase ne relève pas du dynamisme communicatif selon Firbas<br />

(1992). Il convient de comparer, à ce propos, l’exemple cité par H. Pinkster (1995 : 231)<br />

témoignant aussi d’un complément de temps, placé à la finale 37 .<br />

Dans la correspondance de Cicéron, les compléments de lieu sont souvent, on l’a<br />

vu, en compétition avec les compléments qui expriment le temps (cf. les exemples 3 et<br />

4). Il serait intéressant d’étudier en détail ces derniers pour savoir si la place des<br />

compléments de temps est en rapport avec leur fonction. Plus concrètement, il s’agirait<br />

de vérifier si l’on peut appliquer au latin la distinction entre le cadre et la spécification<br />

selon Firbas (1992) Ŕ les compléments de temps qui expriment le cadre seraient placés à<br />

l’initiale alors que les compléments qui fonctionnent comme une spécification<br />

occuperaient une position ultérieure.<br />

37 Il s’agit de : Pater nobis decessit a. d. VIII Kal. Dec. (Cic., Att. 1.6.2) « Notre père est mort le 23<br />

décembre ». H. Pinkster considère l’indication de temps comme l’élément saillant bien qu’on soit tenté de<br />

prendre le fait de mourir pour le plus informatif. Il ajoute que les compléments de temps ne semblent pas<br />

occuper une place fixe chez Cicéron.<br />

230


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

3.2. Les verbes adsentior, utor…<br />

Parmi les verbes bivalents intransitifs nécessitant un objet indirect, globalement<br />

peu fréquents, ont été examinés : adsentior « approuver » (15 occ.), careo « être privé<br />

de » (8 occ.), praesum « commander » (2 occ.) et utor « se servir » (8 occ).<br />

Leurs compléments, en particulier lorsqu’ils ne sont pas liés au contexte,<br />

représentent de forts candidats à la fonction de focus. Tel est le cas de etesiis en (34), en<br />

position préverbale, et de oculis (35) en position postverbale :<br />

(34) Et si, cum processerimus, exploratiora uidebuntur, etesiis utemur. (Cic., Att.<br />

16.4.4)<br />

« Et, quand nous aurons avancé, si la voie semble vraiment sûre, nous<br />

profiterons des vents étésiens. »<br />

(35) Haec, opinor, incommoda sunt carentis : caret oculis, odiosa caecitas ; liberis,<br />

orbitas. (Cic., Tusc. 1.87)<br />

« Voici, je crois, les malheurs de celui qui sent un manque : il a manque du côté<br />

de la vue, c’est l’effroyable cécité ; du côté des enfants, c’est être sans famille. »<br />

Or, le second exemple emprunté aux Tusculanes de Cicéron présente un verbe<br />

contextuellement lié : il s’agit d’un passage consacré à la privation et careo (à noter<br />

également carentis dans la phrase immédiatement précédente) ne véhicule pas<br />

l’information essentielle ; en outre, il est élidé dans la proposition qui suit. En outre, un<br />

rapport sémantique hypothétique lie implicitement les deux contenus en ce sens que s’il<br />

est vrai que… (caret oculis), il est vrai que… (odiosa caecitas).<br />

En (36), peditatu, à l’initiale, est mis en contraste avec equites :<br />

(36) (Saburra aciem constituit…) Sed peditatu dumtaxat procul ad speciem utitur,<br />

equites in aciem inmittit. (Caes., Ciu. 2.41.2)<br />

« (Saburra forme la ligne de bataille...) Mais il n’utilise l’infanterie qu’en arrière,<br />

pour faire nombre, et il envoie en ligne la cavalerie seule. »<br />

César offre un passage intéressant avec le verbe praesum où il nous dit, qui<br />

commandait quelle troupe :<br />

(37) (…eiusque rei causa omni ora maritima classem disposuerat.) Praeerat<br />

Aegyptiis nauibus Pompeius filius, Asiaticis D. Laelius et C. Triarius, Syriacis<br />

C. Cassius, Rhodiis C. Marcellus cum C. Coponio, Liburnicae atque Achaicae<br />

classi Scribonius Libo et M. Octauius. Toti tamen officio maritimo M. Bibulus<br />

praepositus cuncta administrabat ; ad hunc summa imperii respiciebat. (Caes.,<br />

Ciu. 3.5.6)<br />

« (…dans ce but, il avait disposé sa flotte sur toute la côte.) À la tête des<br />

vaisseaux d’Égypte se trouvait Pompée le fils, des vaisseaux d’Asie D. Lélius et<br />

C. Triarius, de ceux de Syrie C. Cassius, de ceux de Rhodes C. Marcellus et C.<br />

Coponius, de la flotte liburnienne et grecque Scribonius Libon et M. Octavius.<br />

Cependant, le commandement général de la flotte était aux mains de M.<br />

Bibulus ; les autres étaient subordonnés à ses ordres. »<br />

Praeerat, placé initialement, découle du contexte. Les compléments au datif ne<br />

véhiculent pas l’information essentielle ; en effet, il a été dit plus haut d’où Pompée<br />

avait tiré sa flotte (Ciu. 3.3.1-2). Les sujets (Pompeius filius, D. Laelius…), venant en<br />

231


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

dernier, sont les plus informatifs. On notera que dans la phrase subséquente, toti officio<br />

maritimo, topique reprenant tous ces éléments, est suivi par M. Bibulus, focus de la<br />

phrase. Ce passage répond alors à la question quis ?<br />

On peut rencontrer d’autres configurations, dans lesquelles, par exemple, le<br />

focus est sur l’adjectif qualificatif, venant en dernier ; cependant, animis et consiliis ne<br />

sont pas contextuellement dépendants :<br />

(38) Animis enim usi sumus uirilibus, consiliis, mihi crede, puerilibus 38 . (Cic., Att.<br />

15.4.2)<br />

« Car nous avons mis en œuvre un courage d’hommes, une tactique d’enfants,<br />

crois-moi. » (trad. C.U.F.)<br />

Le verbe adsentior Ŕ les cas d’ellipse mis à part Ŕ est, à deux exceptions près,<br />

complété par un pronom personnel. Deux configurations se rencontrent :<br />

(39) De Herode tibi adsentior. (Cic., Att. 14.18.4)<br />

« Je suis d’accord avec toi pour Hérodès. »<br />

(40) Adsentior tibi ut nec duces simus nec agmen cogamus, faueamus tamen. (Cic.,<br />

Att. 15.13.1)<br />

« Je partage ton avis que je ne dois ni prendre la tête ni fermer la marche, mais<br />

néanmoins marquer ma sympathie. » (trad. C.U.F.)<br />

Dans ces cas, il ne s’agit pas de dire « avec qui ? », les pronoms tibi n’y sont<br />

donc pas porteurs de focus. La phrase en (39) nous informe sur le fait d’être d’accord<br />

(adsentior), et tibi adsentior pourrait également être considéré comme une unité<br />

pragmatique. En (40), le contenu concerné par l’accord est exprimé par une<br />

subordonnée et tibi, dépourvu de fonction pragmatique, suit le verbe adsentior. En<br />

revanche, en (41), tibi est mis en contraste avec mihi (question « avec qui ? ») :<br />

(41) De Pompeio adsentior tibi, uel tu potius mihi. (Cic., Q. frat. 2.12.1)<br />

« Pour Pompée, je partage ton avis, ou plutôt tu partages le mien. »<br />

À deux reprises, Cicéron utilise le verbe adsentior avec un complément nominal,<br />

placé en dernier :<br />

(42) Nunc prorsus adsentior tuis litteris speroque meliora. (Cic., Att. 14.15.2)<br />

« Maintenant, je suis entièrement d’accord avec ta lettre et j’espère une<br />

amélioration. »<br />

(43) Sed quoniam perterriti omnes sumus, adsentior Seruio. (Cic., Att. 14.19.4)<br />

« Mais, puisque nous sommes tous frappés d’épouvante, j’approuve Servius. »<br />

Il est difficile de se prononcer sur la valeur pragmatique de ces phrases. Dans le<br />

contexte donné, la phrase en (42) semble avoir adsentior pour focus : après une<br />

réflexion, Cicéron finit par être entièrement d’accord. En outre, tuis litteris est lié à la<br />

situation du discours (ce qui ne l’empêcherait pas d’être focal). En (43), Seruius est<br />

38 Cf. Acta enim illa res est animo uirili, consilio puerili. (Cic., Att. 14.21.3) « De fait, cette entreprise a<br />

été menée avec un courage d’homme, une cervelle d’enfant. »<br />

232


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

contextuellement lié et encore dans ce cas, nous penchons pour l’interprétation du verbe<br />

comme focus.<br />

4. LES VERBES DE COMMUNICATION<br />

Dans cette section, plusieurs verbes de communication seront étudiés : dico<br />

« dire », aio « dire » et nuntio « annoncer », nego « nier », inquam « dire », loquor<br />

« parler », quaero, rogo « demander » et respondeo « répondre ». Bien que leur valence<br />

soit différente, ils appellent des compléments comparables et apparaissent dans de<br />

contextes similaires.<br />

4.1. Le verbe dico<br />

Trivalent, le verbe dico « dire » (105 occurrences) offre des emplois assez<br />

variés 39 . Or, nous n’en avons noté aucune occurrence avec les actants 2 et 3 nominaux ;<br />

en effet, dans la plupart des cas, l’actant 2 est exprimé par une proposition et l’actant 3<br />

n’apparaît pas. La question du placement relatif de ces deux compléments ne se pose<br />

donc pas dans notre corpus. Nous essaierons de classer les occurrences du verbe dico en<br />

nous appuyant sur les données relevées puis de décrire les tendances observées pour les<br />

types syntaxiques les plus représentés.<br />

Occurrences<br />

dico + proposition infinitive (AcI) 46<br />

dico : discours direct 11<br />

dico + complétive en ut 2<br />

dico + relative 5<br />

dico + interrogative indirecte 1<br />

nihil (aliud, aliquid…) dico 10<br />

de… dico 6<br />

dico + actant 2 (nominal, pronominal) 9<br />

dico + actant 3 1<br />

dico + actant 2 et actant 3 1<br />

autres 40 13<br />

Les emplois les plus fréquents sont, comme on peut l’observer, ceux avec la<br />

subordonnée dite l’accusatif et l’infinitif (46 occurrences). Le verbe dico se positionne<br />

devant ou après la subordonnée à proportions presque égales (17 et 19 occ.<br />

respectivement). Considérons les exemples suivants :<br />

(1) (Quaesiuit ex me pater qualis esset fama.) Dixi nihil sane me audisse –<br />

nesciebam enim cur quaereret – nisi de ore et patre. (Cic., Att. 15.29.2)<br />

« (Le père m’a demandé ce qu’on disait d’elle ;) j’ai répondu Ŕ car je ne savais<br />

pas pourquoi il me questionnait Ŕ que je n’avais, assurément, rien entendu dire,<br />

sauf sur sa bouche et son père. »<br />

(2) Tabellarius quem ad Brutum miseram ex itinere rediit VII Kal. ; ei Seruilia dixit<br />

eo die Brutum H. II S profectum. (Cic., Att. 15.24)<br />

« Le courrier que j’avais envoyé à Brutus s’en est retourné le 25 ; Servilia lui a<br />

dit que Brutus était parti ce jour même à la deuxième heure et demie. »<br />

39 Deux occurrences de salutem dico, par exemple : tu Atticae salutem dices (Cic., Att. 14.19.6) « Salue,<br />

s’il te plaît, Attica de ma part » n’ont pas été prises en considération car il s’agit de locutions.<br />

40 Les autres emplois incluent les emplois absolus ou avec un adverbe, par exemple : Dicam, si potero,<br />

Latine. (Cic., Tusc. 1.15) « Je te la dirai en latin, si je puis. »<br />

233


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(3) Quoniam me uerbo premis, posthac non ita dicam, miseros esse, sed tantum<br />

miseros, ob id ipsum, quia non sint. (Cic., Tusc. 1.13)<br />

« Puisque tu te fais une arme d’un mot, je ne dirai plus désormais qu’ils sont<br />

malheureux, mais seulement les malheureux, pour la raison précisément qu’ils<br />

n’existent plus. » (trad. C.U.F.)<br />

Nous pouvons observer d’abord que dans l’exemple (1), le verbe dixi découle du<br />

contexte car si l’on est interrogé (quaesiuit), on répond ; ensuite, que dico antéposé à sa<br />

subordonnée admet l’actant 3 (exemple 2) qui n’apparaît pas dans le cas de la<br />

postposition. En outre, dico peut être accompagné d’un adverbe tel ita, comme le<br />

montre l’exemple (3). Ces deux explications mises à part, les conditions qui influencent<br />

le choix entre le placement devant ou après la subordonnée ne nous sont pas claires.<br />

Le verbe dico peut également s’intercaler dans la subordonnée, par exemple :<br />

(4) Cum filofro/nwj ex eo quaererem quid opus esset, Atticum se dixit quaerere.<br />

(Cic., Att. 15.15.2)<br />

« Comme je lui demandais aimablement ce qui pouvait lui être utile, il me dit<br />

qu’il cherchait Atticus. »<br />

Si la construction de la subordonnée infinitive (AcI) admet des variabilités de<br />

placement, dico introducteur d’un discours direct précède les propos reproduits 41 . Des<br />

cataphoriques tel hoc sont admis :<br />

(5) Cum igitur ‘nosce te’ dicit, hoc dicit : ‘nosce animum tuum’. (Cic., Tusc. 1.52)<br />

« Lorsque donc il dit : ‘connais-toi’, il dit ceci : ‘connais ton âme’. »<br />

Bien que notre corpus ne nous offre que peu d’occurrences de dico suivi d’une<br />

complétive en ut, il convient de noter que dico se positionne devant la subordonnée :<br />

(6) Et M. Messallae et ipsi Attico dixit ut sine cura esset. (Cic., Att. 16.16a.3)<br />

« Il dit à M. Messala et à Atticus lui-même de ne pas se faire de souci. »<br />

L’emploi d’un adverbe tel aliquid, nihil… entraîne quelquefois une autre expression<br />

adverbiale, par exemple amplius :<br />

(7) Nihil dico amplius, hoc quod satis est huic tempori dico. (Cic., Dom. 17)<br />

« Je n’en dis pas davantage, je dis ce que le moment présent exige. »<br />

Les actants 2 du verbe dico exprimés par un nom ne sont pas attestés dans un<br />

nombre suffisant d’occurrences pour opposer les configurations et pour déterminer la<br />

valeur pragmatique de ces phrases. Le verbe dico peut être employé avec un nom à<br />

l’accusatif (« dire quelque chose »). Or cet emploi est concurrencé par les syntagmes<br />

prépositionnels en de au sens de « parler de ». On a par exemple :<br />

41 Cf. ThLL, s. u. (982 sqq.) où la position du verbe dico en combinaison avec un discours direct est<br />

mentionnée. Il apparaît que le verbe dico précède habituellement le discours direct ; s’il le suit, il s’agit Ŕ<br />

selon l’auteur de l’article dans le ThLL Ŕ d’un discours fictif. Tel serait le cas de nosce te dicit (Cic., Tusc.<br />

1.52) que nous citons sous le numéro (6). En outre, le verbe dico peut encore être inséré dans un discours<br />

direct. Malheureusement, dans le ThLL, on ne trouve aucune indication concernant la place de dico<br />

appelant un discours indirect.<br />

234


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(8) Nam tribunis plebis referentibus sententiam de me designatus consul saepe<br />

dixisti. (Cic., Dom. 70)<br />

« Car comme consul désigné, tu as souvent exprimé ton avis sur moi, à<br />

l’invitation des tribuns de la plèbe. »<br />

(9) De iure rei publicae dicam. (Cic., Dom. 32)<br />

« Je parlerai du droit public. »<br />

Dans le premier cas, sententiam de me est lié, le focus est porté sur le verbe. De iure est<br />

indépendant du contexte. Les phrases comportant le verbe dico accompagné d’un<br />

syntagme prépositionnel servent à lancer un nouveau sujet et à indiquer explicitement la<br />

transition. Il ne s’agit pas de constituants de thème (cf. chapitre V, Le thème), le<br />

syntagme prépositionnel fait bien partie intégrante de la phrase. Sa place n’est pas<br />

nécessairement à l’initiale, comme le montre l’exemple cité en (10), où les verbes dixi et<br />

dicam sont mis en contraste et occupent de ce fait la position initiale privilégiée.<br />

(10) Dixi de Caesare. Nunc dicam de temporum rerumque natura. (Cic., Fam.<br />

6.6.10)<br />

« J’ai parlé de César ; je passe maintenant à la nature des circonstances et des<br />

réalités. »<br />

4.2. Le verbe nego<br />

Le verbe nego « nier » (39 occ. au total) 42 est essentiellement complété par une<br />

infinitive. L’ordre relatif du verbe et de sa subordonnée (AcI) est présenté dans le<br />

tableau suivant :<br />

Occurrences<br />

AcI + nego 4<br />

nego + AcI 21<br />

nego intercalé 3<br />

autre 43 5<br />

Dans le cas du verbe nego, il est remarquable qu’il précède assez souvent la<br />

proposition infinitive (64 %). En effet, il s’agit d’un terme négatif qui est enclin à porter<br />

une certaine emphase. On comparera ainsi (11) avec l’emphase sur negat et sa répétition<br />

dans la proposition subséquente Ŕ Epicurus dépend du contexte 44 Ŕ avec (12) où le<br />

verbe non emphatique suit le sujet, indépendant du contexte. Emphatique, le verbe nego<br />

n’est pas le focus de la phrase Ŕ c’est la complétive qui véhicule l’information nouvelle.<br />

(11) Negat Epicurus iucunde posse uiui, nisi cum uirtute uiuatur, negat ullam in<br />

sapientem uim esse fortunae… (Cic., Tusc. 3.49)<br />

« Épicure nie qu’on puisse vivre agréablement sans la vertu : il nie que la fortune<br />

ait pris sur le sage... »<br />

(12) Consules designati negabant se audere in senatum uenire. (Cic., Phil. 1.6)<br />

« Les consuls désignés déclaraient qu’ils n’osaient se rendre au Sénat. »<br />

42<br />

À six reprises, le complément est élidé.<br />

43<br />

La rubrique « autre » concerne l’emploi de nego avec un nom ou un pronom à l’accusatif (3 occ.) et<br />

avec des adverbes recte et ualde (2 occ.).<br />

44<br />

Cicéron défend la vertu et condamne la cupidité en se référant à l’autorité d’Épicure.<br />

235


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Le verbe nego, contrairement aux autres verbes de déclaration, figure devant sa<br />

subordonnée Ŕ et non pas en fin de la phrase Ŕ même dans le cas de phrases complexes<br />

(13). Cependant, à trois reprises, nego occupe la position finale (14).<br />

(13) Tum ego, etsi e)bdelutto/mhn, tamen negaui putare me illa esse uera. (Cic., Att.<br />

15.29.2)<br />

« Alors, malgré mon dégoût, j’ai déclaré cependant que je croyais que cela<br />

n’était pas vrai. »<br />

(14) Lentulus sententiam Calidi pronuntiaturum se omnino negauit. (Caes., Ciu.<br />

1.2.5)<br />

« Lentulus déclara qu’il se refusait absolument à mettre aux voix l’avis de<br />

Calidius. »<br />

Il est intéressant de signaler un bel exemple d’un negat emphatique qui se lit<br />

chez Cicéron ; hoc résomptif, reprenant le fait d’accorder le titre de consul à Antoine,<br />

est placé après lui, puis élidé. La phrase répond à la question « qui le nie ? »<br />

(15) (Si consulem illa prouincia putaret…) Negat hoc D. Brutus imperator, consul<br />

designatus, natus rei publicae ciuis ; negat Gallia, negat cuncta Italia, negat<br />

senatus, negatis uos. (Cic., Phil. 4.9)<br />

« (Si cette province le considérait comme consul…) Mais ce titre lui est refusé<br />

par le général en chef et D. Brutus, consul désigné, citoyen né pour la<br />

république ; il lui est refusé par la Gaule, refusé par toute l’Italie, refusé par le<br />

sénat, refusé par vous. » (trad. C.U.F.)<br />

4.3. Les verbes aio et nuntio<br />

Les verbes aio « dire » (27 occurrences) et nuntio « annoncer » (6 occurrences)<br />

se comportent comme bivalents et sont complétés par une subordonnée infinitive AcI<br />

(aio 24 occ. ; nuntio 5 occ.) ou par un complément à l’accusatif (aio et nuntio 1 occ.).<br />

Aio introduit également un discours direct (2 occ.). Dans leur emploi le plus fréquent,<br />

on rencontre les configurations suivantes :<br />

aio nuntio<br />

verbe + AcI 12 occ. 2 occ.<br />

AcI + verbe 5 occ. 1 occ.<br />

verbe intercalé 7 occ. 2 occ.<br />

Le verbe aio précède donc le plus souvent l’accusatif et infinitif qu’il régit (16) 45 . Il<br />

s’intercale également dans la subordonnée, auquel cas il est précédé d’un constituant<br />

porteur de la fonction de topique (Sextum en 17) :<br />

(16) Is hinc VII Id. ; ait enim attributionem in Idus, se autem urgeri acriter. (Cic., Att.<br />

16.1.6)<br />

« Il s’en va d’ici le 9 ; en effet, il affirme avoir une délégation de créance pour le<br />

15 et être serré de près. »<br />

(17) Sextum autem nuntiant cum una solum legione fuisse ad Carthaginem… (Cic.,<br />

Att. 16.4.2)<br />

« D’autre part, ils annoncent que Sextus a été devant Carthagène avec une seule<br />

légion... »<br />

45 Cf. également ThLL, s. u. (1455-1456) ; l’antéposition de aio semble le placement le plus fréquent.<br />

236


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Aio se rencontre également postposé à la subordonnée :<br />

(18) Quid quaeris ? Perisse omnia aiebat. (Cic., Att. 14.1.1)<br />

« Que veux-tu ? Il disait que tout était perdu. »<br />

La variabilité de placement des verbes aio et nuntio s’explique par le fait qu’ils ne<br />

véhiculent pas, à eux seuls, l’information essentielle : celle-ci est contenue dans la<br />

subordonnée.<br />

4.4. Le verbe inquam<br />

Le verbe inquam « dis-je » (54 occurrences au total) fonctionne comme une<br />

expression parenthétique. Le tableau ci-dessous regroupe les formes relevées dans notre<br />

corpus ; le verbe inquam apparaît en particulier dans les Tusculanes et dans les discours<br />

de Cicéron, il est absent de la prose historique de Salluste.<br />

Tableau 1 : Le verbe inquam (corpus)<br />

Forme César Tusculanes Discours Corresp. Total<br />

inquam 0 2 5 5 12<br />

inquit 6 17 14 4 41<br />

inquiunt 0 1 0 0 1<br />

Total 6 20 19 9 54<br />

Le verbe inquam ou inquit 46 accompagne un discours direct, une interrogation<br />

ou une phrase déclarative. Considérons d’abord la première catégorie dont trois<br />

exemples typiques sont donnés en (19-21) :<br />

(19) ‘Quas tu mihi,’ inquit, ‘intercessiones ? Quas religiones ?’ (Cic., Phil. 1.25)<br />

« ‘De quelles oppositions, dit-il, de quel pouvoir sacré tu parles ?’ »<br />

(20) Cum ille diceret ita futurum, ‘quid igitur festinamus ?’ inquam. (Cic., Att.<br />

16.15.3)<br />

« Lorsqu’il m’a répondu que ce serait le cas, je lui dis : ‘Alors pourquoi nous<br />

presser’ ? »<br />

(21) Reliqua studio itineris conficiendi quaerere praetermittit proximaque respiciens<br />

signa, ‘uidetisne,’ inquit, ‘milites, captiuorum orationem cum perfugis<br />

conuenire ?’ (Caes., Ciu. 2.39.2)<br />

« Pressé qu’il est d’achever sa marche, il néglige de s’informer du reste, et, se<br />

tournant vers les enseignes voisines : ‘Voyez-vous, soldats, s’écria-t-il, comme<br />

les dires des prisonniers s’accordent avec ceux des déserteurs ?’ »<br />

46 Dans notre corpus, nous n’avons rencontré aucune occurrence où le sujet de inquit soit explicite. Un<br />

examen de tous les emplois chez Cicéron à l’aide de la BTL montre que s’il est exprimé, le sujet (nom<br />

propre, ille ou nom commun tel magister) se postpose au verbe, par exemple inquit Calenus (Cic., Phil.<br />

12.4). On relève également des disjonctions : ‘Licet,’ inquit, ‘rogare ?’ Philippus. (Cic., De orat. 2.245)<br />

« Est-il permis de poser des questions ? demanda Philippe. » Cependant, nous avons noté six occurrences<br />

de l’antéposition du sujet, en particulier dans le De oratore, par exemple : ‘Nos uero et ualde quidem’<br />

Catulus inquit ‘putamus…’ (Cic., De orat. 2.31) « À coup sur, nous le croyons, protesta Catulus… ».<br />

L’antéposition du sujet s’explique par le changement de la personne qui parle.<br />

237


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Inquam ou inquit employés avec une interrogation (12 occ.) s’intercalent<br />

généralement dans la phrase (19) ; ce n’est qu’à trois reprises qu’un inquam suit<br />

l’interrogation (20), et ce, dans la correspondance de Cicéron 47 . Inséré dans<br />

l’interrogation, il est le plus souvent précédé par plusieurs constituants (8 occurrences) ;<br />

nous n’avons noté qu’une seule occurrence d’un terme porteur de focus qui le précède<br />

(exemple 21, uidetisne).<br />

Ensuite, le verbe inquam ou inquit se rencontre dans les phrases déclaratives qui<br />

reproduisent les paroles d’un locuteur (41 occurrences). Ici encore, il est intercalé dans<br />

la phrase (36 occurrences), et ne la suit qu’à cinq reprises. Il en résulte que inquam et<br />

inquit, qu’ils soient employés dans une phrase interrogative ou déclarative, ne la<br />

précèdent jamais (Berger, 1942 : 346) 48 .<br />

Intercalé dans la phrase déclarative, inquam/inquit se positionne, à douze<br />

reprises (soit 33 %) après le terme porteur de l’information essentielle ; on a ainsi in<br />

umbra en (22) et libertas en (23).<br />

(22) E quibus unus, cum Perses hostis in conloquio dixisset glorians : ‘solem prae<br />

iaculorum multitudine et sagittarum non uidebitis’, ‘in umbra igitur’ inquit<br />

‘pugnabimus’. (Cic., Tusc. 1.101)<br />

« L’un d’eux ayant entendu qu’un Perse ennemi disait par bravade : ‘Vous ne<br />

verrez pas le soleil, tant nous lancerons de traits et de flèches’, ‘Eh bien !, repritil,<br />

‘nous nous battrons à l’ombre’. »<br />

(23) At quae dea est ?... ‘Libertas,’ inquit, ‘est.’ (Cic., Dom. 110)<br />

« Mais de quelle déesse s’agit-il ?… ‘C’est, dit-il, la Liberté.’ »<br />

De cet emploi de inquit, on pourrait rapprocher le placement de dixit inséré dans la<br />

subordonnée infinitive (cf. exemple 4 Atticum se dixit, cité ci-dessus), par exemple :<br />

(24) Xenocrates animi figuram et quasi corpus negauit esse ullum, numerum dixit<br />

esse, cuius uis, ut iam ante Pythagorae uisum erat, in natura maxuma esset.<br />

(Cic., Tusc. 1.20)<br />

« Xénocrate déclara que l’âme n’avait point de forme et était pour ainsi dire<br />

incorporelle ; il dit qu’elle était un nombre, dont l’influence, ainsi que Pythagore<br />

déjà l’avait pensé, serait souveraine dans la nature. »<br />

De même, inquam peut être placé après un terme porteur d’emphase Ŕ tel magna :<br />

(25) ‘Dedicatio magnam,’ inquit, ‘habet religionem.’ (Cic., Dom. 127)<br />

« ‘Une dédicace, dit-il, a un puissant effet religieux.’ » (trad. C.U.F.)<br />

Cependant, il semble incorrect de dire que tout inquam/inquit qui figure après le<br />

premier mot identifie le terme focal ; en effet, il se rencontre placé par exemple après un<br />

si ou un idcirco 49 , comme dans l’exemple suivant. Au contraire, c’est le mot qui suit<br />

inquit Ŕ fuero Ŕ qui s’avère porteur du focus 50 :<br />

47 Cf. ThLL, 1787-1797.<br />

48 Cf. les occurrences de inquam et inquit chez Cicéron enregistrées par la BTL (1999). ThLL (1795 sq.)<br />

ne donne que quelques exemples, empruntés au latin non classique et surtout tardif, où inquam ou inquit<br />

précèdent la phrase citée.<br />

49 Cf. le chapitre IV, Les ellipses, § 3.2.2.2, l’exemple (32).<br />

50 On pourrait également envisager que si et fuero forment une unité pragmatique ; or, si tout seul n’est<br />

pas porteur de focus.<br />

238


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(26) Ne aegrotus sim ; ‘si,’ inquit, ‘fuero, sensus adsit, siue secetur quid siue<br />

auellatur a corpore.’ (Cic., Tusc. 3.12)<br />

« Puissé-je ne pas tomber malade ; si cela arrivait, je ne voudrais pas être<br />

insensible, qu’il s’agisse d’une opération ou d’une amputation. » (trad. C.U.F.)<br />

Dans l’ensemble de l’œuvre de Cicéron, on ne rencontre que quelques autres exemples<br />

de ce type, comme (27) dont l’élément le plus informatif est iratus est 51 :<br />

(27) At ille : ‘sed me maxime angit auunculus’. ‘Quidnam ?’ inquam. ‘Quod mihi’<br />

inquit ‘iratus est’. (Cic., Att. 13.42.1)<br />

« Il dit : ‘Mais c’est surtout mon oncle maternel qui me tourmente. Ŕ Comment<br />

cela ? Ŕ Il est en colère contre moi. »<br />

Lorsque le verbe inquam/inquit suit la phrase (5 occ.), il s’agit non seulement de<br />

réponses de type minime « pas du tout » ou de mots phrases comme en (28), mais aussi<br />

de phrases « complètes » (29) :<br />

(28) At quae est ista tertia decuria ? ‘Centurionum’ inquit. (Cic., Phil. 1.20)<br />

« Mais quelle est cette troisième décurie ? ‘Celle des centurions’, dit-il. »<br />

(29) Isti ordini iudicatus lege Iulia, etiam ante Pompeia, Aurelia, non patebat ? –<br />

‘Census praefiniebatur’, inquit. (Cic., Phil. 1.20)<br />

« La loi Julia, et même auparavant les lois Pompeia et Aurelia, ne donnaientelles<br />

pas à cette classe le droit de juger ? Ŕ ‘Le cens était déterminé’, dit-il. »<br />

En outre, la forme inquam connaît un emploi spécifique : cette expression<br />

accompagne un terme ou un syntagme repris après une digression. Un exemple typique<br />

est donné en (30). La phrase citée en (31) montre un tel emploi sans l’intervention<br />

d’autres éléments. Inquam sert à accompagner la répétition d’un terme, a te, porteur de<br />

l’emphase.<br />

(30) Hanc tu, P. Dolabella, – magno loquor cum dolore – hanc tu, inquam, potuisti<br />

aequo animo tantam dignitatem deponere ? (Cic., Phil. 1.31)<br />

« Une telle considération, P. Dolabella, Ŕ je le dis avec un profond chagrin Ŕ oui,<br />

une telle considération, as-tu pu te résigner à l’abandonner ? »<br />

(31) Haec iniusta est a te, a te, inquam, mortuo Caesari nota ad ignominiam<br />

sempiternam. (Cic., Phil. 1.32)<br />

« Telle a été la flétrissure imprimée par toi Ŕ oui, je dis bien par toi Ŕ à la<br />

mémoire de César mort, pour un éternel déshonneur. » (trad. C.U.F.)<br />

Le verbe inquam n’est habituellement pas accompagné d’un pronom personnel<br />

qui renvoie à l’allocutaire 52 .<br />

51 Cf. encore (les éléments saillants sont soulignés) : ‘Rhodi enim,’ inquit, ‘ego non fui’ - me uult fuisse -,<br />

‘sed fui,’ inquit - putabam in Vaccaeis dicturum - ‘bis in Bithynia’. (Cic., Planc. 84) « Moi, dit-il, je ne<br />

suis jamais allé à Rhodes Ŕ il veut dire que moi, j’y suis allé Ŕ mais je suis allé, dit-il, Ŕ je pensais qu’il<br />

allait dire chez les Vaccéens Ŕ à deux reprises en Bithynie. » Ou : ‘Homines,’ inquit ‘emisti, coegisti,<br />

parasti’. Quid uti faceret ? Senatum opsideret, ciuis indemnatos expelleret… (Cic., Sest. 84) « Mais, dit<br />

l’accusation, tu as acheté, rassemblé, armé des hommes ? À quelle fin ? Pour bloquer le sénat, expulser<br />

des citoyens sans condamnation… »<br />

52 Les exemples comme le suivant sont extrêmement rares : Tum Quintus ‘en’ inquit mihi, ‘haec ego<br />

patior cottidie’. (Cic., Att. 5.1.3) « Alors Quintus, en s’adressant à moi : ‘Voilà ce que j’ai à supporter<br />

239


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

4.5. Le verbe loquor<br />

Le verbe loquor « parler » (21 occ.) se comporte comme un verbe monovalent<br />

ou bivalent et partage, de ce fait, certains emplois avec les autres verbes de<br />

communication.<br />

Loquor introduit un discours indirect ou direct (4 occ.). Il est intéressant<br />

d’observer certaines occurrences du sujet exprimé par un nom propre placé à la fin de la<br />

phrase (2 occ. chez César). Les phrases de type (32), avec le sujet en tête, nous<br />

informent sur l’action de celui-ci. En revanche, lorsque le sujet est postposé (33), la<br />

phrase nous dit qui parle car plusieurs personnes sont éligibles comme sujet 53 .<br />

(32) M. Varro… diffidens Pompeianis rebus amicissime de Caesare loquebatur<br />

praeoccupatum sese... (Caes., Ciu. 2.17.1)<br />

« M. Varron… sans confiance dans le succès des Pompéiens, commençait à<br />

parler de César avec beaucoup d’amitié. Il disait qu’il était saisi... »<br />

(33) (Venitur in eum locum quem Caesar delegit.) Audiente utroque exercitu loquitur<br />

Afranius non esse aut ipsis aut militibus suscensendum… (Caes., Ciu. 1.84.3)<br />

« (On arrive à l’endroit désigné par César.) En présence des deux armées,<br />

Afranius prend la parole : ‘On ne doit pas, dit-il, s’indigner ni contre euxmêmes,<br />

ni contre les soldats… »<br />

Le syntagme prépositionnel introduit par de (8 occurrences) indique ce dont on parle ;<br />

dans les phrases que nous avons relevées, il figure à la place préverbale (4 occ.),<br />

postverbale (3 occ.) comme de re publica en (34) qui annonce un nouveau sujet, et<br />

initiale (1 occ.).<br />

(34) Nunc quoniam illis, quantum mei mores, non illorum flagitia poscebant,<br />

respondi, pauca de re publica loquar. Primum omnium de Numidia bonum<br />

habete animum, Quirites. (Sall., Iug. 85.44)<br />

« Et maintenant, puisque je leur ai répondu aussi longuement que l’exigeait mon<br />

caractère et non leurs dérèglements, je parlerai en quelques mots de l’État. Tout<br />

d’abord, à propos de la Numidie, n’ayez aucune inquiétude, citoyens. »<br />

(35) (Quis tam esset amens, qui semper in laboribus et periculis uiueret ?) Loquor de<br />

principibus. (Cic., Tusc. 1.34)<br />

« (Qui serait assez fou pour vivre toujours dans des fatigues et des dangers ?) Je<br />

parle d’hommes d’État. »<br />

Ces compléments semblent véhiculer l’information essentielle, en nous disant<br />

« de quoi » le locuteur parle ou parlera. En outre, le premier des exemples montre<br />

clairement que la phrase marque une transition entre la réponse apportée et un nouveau<br />

sujet qui concernera les affaires publiques.<br />

Le verbe loquor apparaît également avec des adverbes qui représentent<br />

l’information saillante 54 .<br />

chaque jour. » L’emploi de mihi s’y justifie parfaitement, car c’est seulement au locuteur que les paroles<br />

de Quintus sont adressées, et non pas à toute l’audience.<br />

53 À comparer également l’exemple emprunté à Cicéron, avec un contraste entre Thésée et Euripide :<br />

Quod autem Theseus a docto se audisse dicit, id de se ipso loquitur Euripides. (Cic., Tusc. 3.30) « Quand<br />

Thésée dit qu’il tient cela d’un sage, c’est Euripide qui parle pour son compte. »<br />

54 Par exemple : et ille optime loquitur (Cic., Att. 14.20.4) « en paroles, il est très bien ».<br />

240


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

4.6. Les verbes quaero et rogo<br />

Le verbe quaero « chercher à savoir, demander » (26 occurrences) introduit le<br />

plus souvent une interrogation indirecte (18 occ.), tout comme le verbe rogo<br />

« demander » (6 occ. sur un total de 10). L’interrogation indirecte se postpose<br />

généralement au verbe régissant quaero, comme le montrent l’exemple (36). La<br />

personne à laquelle on demande une information s’exprime à l’accusatif ou par un<br />

syntagme prépositionnel ex… (36). La phrase répond à la question « que s’est-il<br />

passé ? » ; ainsi s’explique la place initiale de quaesiuit :<br />

(36) (Sed tu quid ais ? Scio enim te familiarem esse Othonum. Ait hic sibi Tutiam<br />

ferre…) Quaesiuit ex me pater qualis esset fama. (Cic., Att. 15.29.2)<br />

« (Mais que dis-tu ? Je sais, en effet, que tu es en relations amicales avec les<br />

Othons. Il dit que Tutia lui fait des propositions…) Le père m’a demandé ce<br />

qu’on disait d’elle. »<br />

À deux reprises seulement, le verbe se positionne après l’interrogation indirecte comme<br />

en (37) 55 où l’auteur reprend les paroles de son interlocuteur :<br />

(37) Rusne iam redierim quaeris. An ego, cum omnes caleant, ignauiter aliquid<br />

faciam ? (Cic., Att. 15.6.2)<br />

« Tu me demandes si je suis déjà retourné à la campagne. Suis-je homme à faire<br />

preuve d’indolence, quand tout le monde est sur des charbons ? » (trad. C.U.F.)<br />

En revanche, le verbe rogo (6 occ.) se rencontre majoritairement en position<br />

finale ; cela est dû au fait que la phrase s’ouvre par un topique (id, quod) et que le<br />

verbe représente le focus (38). On notera l’insistance produite par etiam répété et<br />

coordonné. En outre, dans sa correspondance, Cicéron utilise ce type de formules à<br />

plusieurs reprises.<br />

(38) (Rogo te… ut totum hoc negotium ita agas… ut…) idque ut facias te uehementer<br />

etiam atque etiam rogo. (Cic., Att. 16.16b.2)<br />

« (Je te demande… de mener… toute cette affaire de telle façon…) ; encore et<br />

encore, je te demande instamment de le faire. »<br />

L’information essentielle est véhiculée par la complétive en ut et dans les exemples<br />

attestés 56 , le pronom te n’est pas contrastif. Il est intéressant d’observer que, dépourvu<br />

de la fonction pragmatique, te figure à l’intérieur de la phrase, par exemple 57 :<br />

(39) Hoc mihi gratius facere nihil potes, idque ut facias te uehementer rogo. (Cic.,<br />

Fam. 13.74.1)<br />

(40) Hoc mihi gratius facere nihil potes, idque ut facias uehementer te rogo. (Cic.,<br />

Fam. 13.44.1)<br />

55 L’autre exemple concerne un contraste entre les verbes, cf. : Nam aut ipsius rei natura qualis et quanta<br />

sit, quaerimus…, aut a disputandi subtilitate orationem ad exempla traducimus. (Cic., Tusc. 3.56) « Ou<br />

nous examinons la nature de la chose considérée en soi…, ou bien, renonçant aux finesses de la<br />

dialectique, on recourt à la méthode des exemples. »<br />

56 Grâce au corpus de la BTL, on peut relever, dans la correspondance de Cicéron, 43 occ. de phrases<br />

comportant les termes suivants : te + uehementer + rogo.<br />

57 Il s’agit de deux lettres, adressées à des destinataires différents, écrites à la même période (voir J.<br />

Beaujeu, 1988 : 247-248, et Shackleton Bailey 1977 : 438), écrites à la même période.<br />

241


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Tu ne peux rien faire dont je te sache plus de gré et je te demande instamment<br />

de le faire. »<br />

L’actant nominal figure le plus fréquemment devant le verbe, et peut véhiculer<br />

l’information saillante :<br />

(41) Postremo meo iure te hoc beneficium rogo. (Cic., Att. 14.13a.3)<br />

« Enfin, j’ai un droit à te demander cette faveur. »<br />

4.7. Le verbe respondeo<br />

Le verbe respondeo « répondre », offrant 23 occurrences, est attendu, en<br />

particulier, avec un actant 3 exprimé par un nom ou par un syntagme nominal, et avec<br />

un actant 2 exprimé par une complétive. Le verbe respondeo apparaît dans les<br />

configurations syntaxiques suivantes :<br />

Occurrences<br />

respondeo + discours direct 1<br />

respondeo + AcI 7<br />

respondeo + discours indirect 4<br />

respondeo + actant 3 5<br />

respondeo + adverbe 5<br />

respondeo absolu 1<br />

L’emploi le plus fréquent est celui avec une proposition infinitive qui, à deux<br />

exceptions près, suit le verbe régissant. L’actant 3 exprimant la personne à qui on<br />

répond apparaît à deux reprises. Un exemple pour l’illustrer :<br />

(42) Tu M. Bibulum in contionem, tu augures produxisti, te interrogante augures<br />

responderunt, cum de caelo seruatum sit, cum populo agi non posse, tibi M.<br />

Bibulus quaerenti se de caelo seruasse respondit… (Cic., Dom. 40)<br />

« C’est toi qui fis paraître à l’assemblée M. Bibulus et les augures, c’est à tes<br />

interrogations que les augures répondirent qu’il n’était pas permis de faire<br />

délibérer le peuple, quand on a pratiqué l’observation du ciel ; c’est à ta<br />

demande que M. Bibulus répondit avoir observé le ciel… »<br />

Le verbe responderunt régit ici une subordonnée infinitive, postposée au verbe,<br />

ainsi que respondit dont la complétive précède le verbe régissant. Dans ce cas, on<br />

pourrait parler d’un contraste. On notera également le contraste porté sur le pronom tu,<br />

te et tibi et, en conséquence, sa place en tête de la proposition.<br />

Il convient de citer l’exemple (43) qui peut être interprété comme témoignant<br />

d’une ellipse du verbe à l’infinitif (praeesse) ; la réponse, Saburram, se réduit ainsi à<br />

l’élément le plus informatif.<br />

(43) (Progressus milia passuum VI equites conuenit rem gestam cognouit ;) ex<br />

captiuis quaerit quis castris ad Bagradam praesit, respondent Saburram. (Caes.,<br />

Ciu. 2.39.1)<br />

« Après une marche de six milles, il rencontra les cavaliers, il apprit leur<br />

succès ;) il demande aux prisonniers qui commande au camp du Bagrada : ils<br />

répondent Saburra. »<br />

242


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Dans ce cas, aussi bien que dans d’autres, le verbe respondeo accompagne un discours<br />

indirect ou direct et il marque le changement de rôles dans un dialogue. On comprend<br />

alors pourquoi le verbe respondeo se positionne devant le discours indirect qu’il<br />

introduit (44) ; il peut suivre un discours direct lorsqu’il est court, comme le montre<br />

l’exemple (45).<br />

(44) Ad ea Caesar respondit nulli omnium has partis uel querimoniae uel<br />

miserationis minus conuenisse… (Caes., Ciu. 1.85.1)<br />

« À ces paroles, César répondit qu’il n’est personne au monde à qui il convienne<br />

moins de se plaindre et d'implorer la pitié. »<br />

(45) Num immunitates datae ? – ‘Nullae,’ respondebat. (Cic., Phil. 1.3)<br />

« Des exemptions ont-elles été accordées ? Ŕ ‘Pas une’, répondait-il. »<br />

Le verbe respondeo se rencontre également accompagné d’un syntagme tel ad ea,<br />

référant aux propos exprimés auparavant et placé en tête de la phrase, et d’un adverbe<br />

de manière en position préverbale (4 occ.). On comparera cette configuration avec celle<br />

exemplifiée en (46) où le complément circonstanciel de manière figure à l’initiale de la<br />

phrase et ad ea est complété par une relative.<br />

(46) Summa constantia ad ea quae quaesita erant respondebat. (Cic., Phil. 1.2)<br />

« Il répondait à ce qu’on lui demandait avec un parfait esprit de suite. »<br />

Le complément au datif qui apparaît auprès du verbe respondeo renvoie non<br />

seulement au destinataire de la réponse mais également à des entités inanimées ; dans ce<br />

cas, il exprime ce à quoi on répond, par exemple avec une disjonction du syntagme<br />

nominal, porteur du focus :<br />

(47) Nondum de mea sententia dico, impudentiae primum respondebo tuae. (Cic.,<br />

Dom. 4)<br />

« Je ne parlerai pas encore de mon avis ; je répondrai d’abord répondre à ton<br />

impudence. »<br />

L’absence de configurations récurrentes empêche de se prononcer quant à l’ordre relatif<br />

des compléments obligatoires exprimés par un nom.<br />

4.8. Conclusions<br />

Les phrases comportant un verbe de communication présentent des dispositions<br />

variées, ce qui s’explique par la valeur sémantique des verbes et par leur rôle dans le<br />

discours.<br />

Les verbes dico, aio, nuntio, loquor et respondeo ont souvent une fonction<br />

introductive : ils signalent des propos reproduits ou rapportés. Cependant, ils admettent<br />

d’autres types de compléments. Cela étant, les verbes de communication ne sont pas<br />

porteurs de la fonction de focus Ŕ cette dernière est remplie par le contenu du message,<br />

par l’adverbe qualifiant l’action ou par un autre élément.<br />

Dans le groupe étudié, les verbes rogo et nego peuvent constituer le focus ; ce<br />

dernier, en particulier, privilégie le placement à gauche dans la phrase. Le verbe inquam<br />

possède un statut spécifique et rejoint, par ses caractéristiques, les termes parenthétiques<br />

davantage que les verbes de communication.<br />

243


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Faute d’exemples attestés, il est difficile de se prononcer quant à l’ordre relatif<br />

des actants 2 et 3 nominaux accompagnant les verbes de communication trivalents. En<br />

effet, nous avons rencontré très peu d’occurrences de type : « Il m’a dit son avis. »<br />

4.9. Perspectives<br />

L’étude du corpus nous a montré de grandes variations concernant le<br />

positionnement de la subordonnée dépendante d’un verbe de communication. Nous<br />

avons vu qu’il s’agit majoritairement des subordonnées infinitives (AcI). Voici un<br />

tableau à titre récapitulatif (voir §§ 4.1 dico, 4.2 nego, 4.3 aio et nuntio), auquel il<br />

convient d’ajouter les verbes « penser » (voir § 2.4) :<br />

verbe + AcI AcI + verbe<br />

dico 17 47 % 19 53 %<br />

nego 21 84 % 4 16 %<br />

aio et nuntio 14 70 % 6 30 %<br />

puto, arbitror… 16 26 % 46 74 %<br />

Total 68 48 % 75 52 %<br />

Ces données disparates montrent clairement, d’une part, qu’il n’y a pas une préférence<br />

pour l’antéposition ou pour la postposition de l’infinitive par rapport au verbe (48 % vs.<br />

52 %), d’autre part, qu’il y a des variations d’un verbe à l’autre. En outre, dans le<br />

tableau, les cas d’intercalation du verbe dans l’infinitive n’ont pas été inclus. Nous<br />

laisserons alors à une recherche complémentaire les questions qui s’imposent : celle de<br />

la valeur pragmatique de la subordonnée et celle de la présence du topique. Cette<br />

dernière pourrait, selon nous, expliquer l’apparition du verbe à l’intérieur de l’infinitive.<br />

Les données récapitulées dans cette section sont importantes encore d’un autre<br />

point de vue qui a été mis en lumière par Machtelt Bolkestein dans son article de 1989.<br />

Elle s’est interrogée sur le rapport entre la complexité des constituants et leur<br />

positionnement dans la phrase. En effet, selon la théorie de la grammaire fonctionnelle,<br />

les constituants syntaxiquement complexes manifestent une tendance à se positionner à<br />

droite de la phrase, indépendamment de leur statut saillant ou contextuellement donné 58 .<br />

Bien que, selon M. Bolkestein (1989 : 24 sqq.), les subordonnées AcI montrent moins<br />

nettement le placement à droite de la phrase que les subordonnées conjonctives<br />

comportant un verbe conjugué, les statistiques qu’elle fournit s’accordent avec les<br />

nôtres. En effet, l’on peut observer les tendances opposées du placement de l’AcI à<br />

gauche et à droite de la phrase chez Cicéron : 32 % vs. 68 %, et chez Tite-Live : 84 %<br />

vs. 16 %. Aussi, la question sur la valeur pragmatique de l’infinitive en corrélation avec<br />

le type sémantique du verbe et sa valeur pragmatique invite-t-elle à un examen<br />

complémentaire détaillé. De même, il serait intéressant de confronter les résultats avec<br />

les données obtenues pour les subordonnées conjonctives dont le corpus ne nous a pas<br />

offert des occurrences suffisantes.<br />

5. LES VERBES TRIVAL<strong>EN</strong>TS<br />

À la différence des autres sections, l’étude des verbes trivalents consistera en un<br />

examen de verbes singuliers et ce, pour deux raisons : d’abord, parce que tous n’ont pas<br />

les mêmes propriétés combinatoires, ensuite, parce qu’ils offrent, à eux seuls, un<br />

nombre assez grand d’occurrences. Il s’agit de mitto « envoyer » (§ 5.1), duco<br />

58 Cette tendance est formulée comme la règle nommée LIPOC (Language independent preferred order<br />

of constituents), voir S. C. Dik (1997, I : 411 sqq.).<br />

244


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« conduire » (§ 5.2), do « donner » (§ 5.3), scribo « écrire » (§ 5.4), iubeo « ordonner »<br />

(§ 5.5), attribuo « attribuer » et praeficio « préposer » (§ 5.6) et appello « appeler » (§<br />

5.7).<br />

5.1. Le verbe mitto<br />

Le verbe mitto « envoyer », en particulier l’expression « envoyer une délégation<br />

à quelqu’un » est très fréquente chez les historiens, et D. Panhuis (1982 : 117 sqq.) a<br />

analysé ses valeurs pragmatiques dans la Guerre de Gaule de César. Son analyse prend<br />

comme point de départ l’idée du dynamisme communicatif croissant (thème > rhème,<br />

verbe) ; dans cette perspective, l’élément le plus informatif se rencontre devant le verbe<br />

qui, lui, n’est pas sensible au dynamisme communicatif dans le cas du verbe mitto. Si<br />

une partie d’exemples se laisse expliquer ainsi (1), l’autre partie (2), appelle à des<br />

remarques.<br />

(1) Caesar acceptis litteris hora circiter undecima diei statim nuntium in Bellouacos<br />

ad Marcum Crassum quaestorem mittit, cuius hiberna aberant ab eo milia<br />

passuum XXV. Iubet… (Caes., Gall. 5.46.1)<br />

« César, ayant reçu la lettre vers la onzième heure du jour, envoie aussitôt un<br />

courrier chez les Bellovaques, auprès du questeur M. Crassus, dont les quartiers<br />

d’hiver étaient éloignés de vingt-cinq milles. Il lui ordonne de… »<br />

(2) Heluetii… legatos ad eum mittunt. Cuius legationis Diuico princeps fuit, qui<br />

bello Cassiano dux Heluetiorum fuerat. Is ita cum Caesare egit :… (Caes., Gall.<br />

1.13.2)<br />

« Les Helvètes… lui envoient des députés. Le chef de cette députation était<br />

Divico qui avait commandé aux Helvètes dans la guerre contre Cassius. Il tint à<br />

César ce langage : … »<br />

Dans le premier cas, la phrase semble effectivement répondre à la question ad<br />

quem ? et son élément saillant est ad Marcum Crassum quaestorem (1) à la place<br />

préverbale. Ce personnage n’est pas lié au contexte et la relative en cuius donne des<br />

précisions sur lui. Or, ad eum en (2) ne peut avoir une telle interprétation (cf. Pinkster<br />

1995 : 236). C’est un constituant contextuellement dépendant, exprimé par<br />

l’anaphorique eum renvoyant à César. Si ad eum était saillant, la phrase devrait<br />

répondre à la question ad quem ? et, lié, ce constituant devrait impliquer un contraste<br />

avec une autre personne. Tel n’est pas le cas. En revanche, à en juger à partir du<br />

contexte suivant où on parle du chef de la délégation, c’est le constituant legatos,<br />

contextuellement indépendant, qui possède la plus grande force informative. Cependant,<br />

il ne se rencontre pas à la place immédiatement préverbale 59 .<br />

5.1.1. Les données<br />

Le verbe mitto « envoyer » nécessite trois actants : l’actant 1 (sujet), l’actant 2<br />

(objet direct) et l’actant au datif ou un complément directionnel (syntagme nominal<br />

introduit par la préposition ad) 60 . Dans la prose historique de César et Salluste, le<br />

59 Cf. également : Pirustae legatos ad eum mittunt, qui doceant… (Caes., Gall. 5.1.7) « Les Pirustes lui<br />

envoient des députés pour lui dire que… » et Ubii… ad eum legatos mittunt, qui doceant… (Caes., Gall.<br />

6.9.6) « Les Ubiens… lui envoient des députés pour se justifier… »<br />

60 Il convient de signaler également une cooccurrence de deux compléments directionnels. Ils sont<br />

disposés dans le sens de spécification croissante (cf. Pinkster, 1972 : 1972), par exemple ad castra<br />

hostium > ad flumen Baghradam : His rebus impulsus equitatum omnem prima nocte ad castra hostium<br />

mittit ad flumen Bagradam, quibus praeerat Saburra… (Caes., Ciu. 2.38.3) « Sous l’impulsion de ces<br />

245


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

complément directionnel est toujours indiqué, tandis que dans la correspondance de<br />

Cicéron, nous lisons tantôt des datifs de pronoms personnels (3), tantôt des syntagmes<br />

prépositionnels (4).<br />

(3) Eum libellum tibi misi. (Cic., Att. 15.24)<br />

« Je t’ai envoyé ce plaidoyer. »<br />

(4) ‘De gloria’ librum ad te misi. (Cic., Att. 16.6.4).<br />

« Je t’ai envoyé mon livre ‘De la gloire’. »<br />

Le tableau suivant qui résume les ordres relevés inclut, sous AD (complément<br />

directionnel), les datifs de pronoms personnels 61 . Seules les configurations attestées sont<br />

indiquées.<br />

Tableau 1 : Le verbe mitto (corpus)<br />

Modèle Caesar Salluste Cicéron Total Pourc.<br />

A1 A2 AD V 0 4 2 6 50 %<br />

A2 AD V 10 4 11 25<br />

A1 AD A2 V 3 2 2 7 25 %<br />

AD A2 V 4 1 3 8<br />

A2 V AD 1 0 4 5 8 %<br />

A1 V AD A2 1 0 1 2 11 %<br />

V AD A2 1 0 4 5<br />

AD A1 A2 V 1 0 0 1 2 %<br />

A2 A1 AD V 0 1 0 1 2 %<br />

AD V A2 0 0 1 1 2 %<br />

Total 21 12 28 61 100 %<br />

Nous pouvons observer qu’au point de vue statistique, l’ordre (actant 1 >) actant<br />

2 > complément directionnel > verbe est le plus fréquent (31 occ., soit 50 %). Il est<br />

toutefois concurrencé par l’ordre (actant 1 >) complément directionnel > actant 2 ><br />

verbe (15 occ., soit 25 %), ainsi que par les autres configurations (15 occ. au total, soit<br />

25 %). Les exemples typiques des deux ordres fréquents sont donnés en (5) et (6). Il<br />

convient de signaler que l’ordre schématisé comme A1 A2 AD V, par exemple, ne<br />

signifie pas que le complément directionnel se rencontre à la place préverbale (cf. plus<br />

loin, les exemples 11 et 12).<br />

(5) (Caesar) Itaque ab Arimino M. Antonium cum cohortibus V Arretium mittit ;<br />

ipse Arimini cum duabus subsistit. (Caes., Ciu. 1.11.4)<br />

« Aussi, des abords d’Ariminum, César envoie M. Antoine avec cinq cohortes à<br />

Arrétium ; lui reste à Ariminum avec deux. »<br />

(6) Quintus filius ad patrem acerbissimas litteras misit, quae sunt ei redditae cum<br />

uenissemus in Pompeianum. (Cic., Att. 14.17.3)<br />

« Quintus fils a envoyé à son père une lettre très dure qui lui a été remise après<br />

notre arrivée à Pompéi. »<br />

sentiments, il fait marcher dès le début de la nuit toute la cavalerie sur le camp ennemi au bord du<br />

Bagrada, camp à la tête duquel était Saburra. »<br />

61 Il s’agit, au total, de 13 occurrences, du pronom tibi, dans l’ordre majoritaire A2 AD V (7 occ.).<br />

246


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Les actants 2 désignent des personnes (34 occ.) ou des objets (27 occ.) ; plus<br />

précisément, on rencontre des noms récurrents tels legatos ou nuntios (11 occ.),<br />

epistulam ou litteras (10 occ.) et librum ou exemplum (14 occ.). Les compléments<br />

directionnels, en revanche, référent majoritairement aux entités animées (48 occ.) ; les<br />

localités sont moins souvent concernées (13 occ.).<br />

5.1.2. L’analyse des résultats<br />

Les constituants exprimés par un pronom anaphorique ou par un syntagme le<br />

contenant se positionnent en tête de la phrase s’ils renouent avec le contexte en<br />

reprenant un constituant saillant de la phrase précédente. Ils fonctionnent comme des<br />

topiques. On a ainsi :<br />

(7) (Varro) Pecuniam omnem omniaque ornamenta ex fano Herculis in oppidum<br />

Gadis contulit. Eo sex cohortes praesidii causa ex prouincia misit Gaiumque<br />

Gallonium… oppido Gadibus praefecit. (Caes., Ciu. 2.18.2)<br />

« Il leur fit transporter tout l’argent et tous les objets précieux du temple<br />

d’Hercule dans la ville de Gadès. Il y envoya comme garnison six cohortes de la<br />

province, et nomma au commandement de la ville de Gadès C. Gallonius… »<br />

(8) (Silius ad me non uenerat.) Causam composui ; eum libellum tibi misi. (Cic., Att.<br />

15.24)<br />

« (Silius n’est pas venu me voir.) J’ai rédigé un plaidoyer ; je t’envoie le texte. »<br />

Eo en (7) renvoie à in oppidum Gadis, la place où Varro a déposé des objets<br />

précieux. La phrase suivante nous informe qui était envoyé à cet endroit. Eum libellum<br />

en (8) reprend causam 62 donné dans la phrase précédente et fonctionne comme le<br />

topique ; le pronom tibi étant lié à la situation (et n’impliquant pas de contraste),<br />

l’élément le plus informatif est l’action d’envoyer. Cette phrase répond à la question<br />

« qu’ai-je fait avec ce document ? » 63 .<br />

Dans beaucoup de phrases comportant le verbe mitto, on dit que quelqu’un<br />

envoie une délégation, une lettre ou un livre à quelqu’un. L’actant 2 ou le complément<br />

directionnel sont alors de forts candidats à la fonction de focus et en tant qu’éléments<br />

les plus informatifs, ils sont attendus à la fin de la phrase, à la place préverbale ou<br />

postverbale. Afin de vérifier ce point, nous examinerons leur place (préverbale,<br />

postverbale ou autre), ainsi que la dépendance du contexte et la continuation<br />

anaphorique (+ An., ou son absence Ŕ An.). Le premier tableau présente les résultats<br />

obtenus dans le cas des compléments directionnels, le second est consacré aux actants 2.<br />

62 Cicéron annonce l’envoi du plaidoyer pour Silius dans la lettre précédente (Att. 15.23).<br />

63 De même, eum seruum dans : Vestorius ad me scripsit ut iuberem mancipio dari seruo suo pro mea<br />

parte Hetereio cuidam fundum Brinnianum, ut ipse ei Puteolis recte mancipio dare posset. Eum seruum,<br />

si tibi uidebitur, ad me mittes ; opinor enim ad te etiam scripsisse Vestorium. (Cic., Att. 13.50.2)<br />

« Vestorius m’a écrit pour me demander de céder par mancipation ma part du domaine de Brinnius à l’un<br />

de ses esclaves au profit d’un certain Hétérius… Tu m’enverras cet esclave, si tu es d’accord Ŕ car je<br />

suppose que Vestorius t’a également écrit. »<br />

247


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Tableau 2 : Compléments directionnels de mitto : dépendance contextuelle et<br />

continuation anaphorique (corpus)<br />

Place Liés Non liés Total Pourc.<br />

+ An. Ŕ An. + An. Ŕ An.<br />

Préverbale 1 6 0 1 8 28 %<br />

Postverbale 0 0 1 1 2 7 %<br />

Autre 1 10 3 5 19 65 %<br />

Total 2 16 4 7 29 100 %<br />

Pourcentage 7 % 55 % 14 % 24 % 100 %<br />

Les compléments directionnels exprimés par un nom 64 sont majoritairement liés<br />

au contexte (7 + 55 %) et se positionnent à la place préverbale (28 %), rarement<br />

postverbale (7 %), mais surtout à une autre place (65 %). La continuation anaphorique<br />

pronominale est faiblement représentée (2 + 4 occ.).<br />

Tableau 3 : Actants 2 de mitto : dépendance contextuelle et continuation anaphorique<br />

(corpus)<br />

Place Liés Non liés Total Pourc.<br />

+ An. Ŕ An. + An. Ŕ An.<br />

Préverbale 1 2 6 7 16 27 %<br />

Postverbale 0 0 1 2 3 5 %<br />

Autre 2 9 11 19 41 68 %<br />

Total 3 11 18 28 60 100 %<br />

Pourcentage 5 % 18 % 30 % 47 % 100 %<br />

Les actants 2 65 , en revanche, ne dépendent pas du contexte dans la plupart des<br />

cas (30 + 47 %) et un tiers est repris à l’aide d’un anaphorique (18 occ., soit 30 %). Par<br />

exemple :<br />

(9) Ad Dolabellam Tironem misi cum mandatis et litteris. Eum ad te uocabis et si<br />

quid habebis quod placeat scribes. (Cic., Att. 15.4.5)<br />

« J’ai envoyé Tiron à Dolabella avec un message et une lettre. Tu le convoqueras<br />

et, si tu as une idée satisfaisante, tu m’écriras. »<br />

En outre, nous avons noté trois occurrences de reprise par l’anaphore pleine, par<br />

exemple le nom legati qui reprend legatos :<br />

(10) Itaque paucis diebus cum auro et argento multo Romam legatos mittit, quis<br />

praecipit, primum uti ueteres amicos muneribus expleant… Sed ubi Romam<br />

legati uenere… (Sall., Iug. 13.6-7)<br />

« Aussi quelques jours après il envoie à Rome des députés chargés d’or et<br />

d’argent ; il leur donne ordre de combler d’abord de présents ses anciens amis…<br />

Mais une fois arrivés à Rome, ces députés… »<br />

64<br />

Les pronoms n’ont pas été inclus dans le tableau ; il s’agit de ad eum/eos (6 occ.), ad te/me (10 occ.),<br />

tibi (13 occ.) et huc/eo (3 occ.).<br />

65<br />

Une occurrence du relatif de liaison quem n’a pas été prise en compte.<br />

248


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Comme le tableau 3 le montre, la place des actants 2 peut être préverbale (16<br />

occ., soit 27 %), mais le plus souvent, ils se positionnent ailleurs (41 occ., soit 68 %).<br />

Cette observation appelle à un examen complémentaire de la place de l’actant 2. Si ce<br />

dernier n’oscille pas dans la proximité du verbe, il est probablement à chercher à<br />

l’initiale de la phrase. Considérons les résultats obtenus :<br />

Tableau 4 : Place de l’actant 2 du verbe mitto (corpus)<br />

Place Occurrences<br />

Initiale absolue ou après connecteur 19<br />

Après le topique 18<br />

Autre place 66 24<br />

Total 41<br />

En effet, les objets du verbe mitto se rencontrent assez souvent à l’initiale de la phrase,<br />

éventuellement précédés par un connecteur (exemple 11), ou après le topique (12,<br />

Bocchus) ou après une proposition participiale qui exprime le cadre (13) :<br />

(11) Igitur legatos ad consulem cum suppliciis mittit, qui tantummodo ipsi liberisque<br />

uitam peterent. (Sall., Iug. 46.2)<br />

« Il expédie donc au consul des députés avec des suppliques pour demander<br />

seulement la vie sauve pour lui-même et ses enfants. »<br />

(12) Nam Bocchus nuntios ad eum saepe miserat : uelle populi Romani amicitiam…<br />

(Sall., Iug. 88.5)<br />

« Car Bocchus lui avait souvent envoyé des députations : il désirait l’amitié du<br />

peuple romain… »<br />

(13) Dein breui Vticam adpulsi litteras ad Iugurtham mittunt : quam ocissume ad<br />

prouinciam adcedat, seque ad eum ab senatu missos. (Sall., Iug. 25.5)<br />

« Puis, ayant bientôt abordé à Utique, ils envoient à Jugurtha une lettre : qu’il se<br />

rende immédiatement dans la province, c’est le Sénat qui les envoie auprès de<br />

lui. »<br />

Il en résulte qu’en analysant les occurrences concrètes, nous pouvons être<br />

confrontés à d’importantes variations. Pour cette raison, nous examinerons de près les<br />

cas récurrents : les expressions utilisées pour dire « envoyer une délégation à<br />

quelqu’un », et les expressions signifiant « envoyer un(e) lettre/livre à quelqu’un ». Les<br />

premières se lisent chez les historiens, les secondes dans la correspondance de Cicéron.<br />

5.1.3. Legatos ad Caesarem mittunt<br />

L’expression « envoyer une délégation à quelqu’un » est très fréquente chez les<br />

historiens et D. Panhuis (1982 : 117-149) a étudié les phrases comportant le verbe mitto<br />

et dimitto chez César dans la perspective fonctionnelle de la phrase 67 . Pour notre part, en<br />

faisant intervenir le critère de la dépendance contextuelle, nous nous concentrerons sur<br />

les compléments du verbe mitto dans l’ensemble de l’œuvre de César et de Salluste afin<br />

d’examiner la position occupée par legatos ou nuntios, employés comme actant 2 (les<br />

emplois attributifs n’ont pas été pris en considération), et celle du complément<br />

directionnel, et ce dans l’œuvre de César et de Salluste. En effet, nous partons du<br />

66 Par exemple, après le verbe : Mittit P. Vatinium legatum ad ripam ipsam fluminis…(Caes., Ciu. 3.19.1)<br />

« César envoie son légat, P. Vatinius, sur le bord même du fleuve… ».<br />

67 Cf. ci-dessus, § 5.1.<br />

249


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

principe que ces expressions récurrentes peuvent avoir une même valeur pragmatique.<br />

Si tel est le cas, nous assisterons à des variations de placements qui correspondent à une<br />

valeur communicative similaire.<br />

Les résultats de cette enquête, les configurations types, sont présentés dans le<br />

tableau qui suit, sans considération du sujet et des propositions subordonnées. Sept<br />

occurrences ont été relevées chez Salluste, vingt-huit chez César. Ad X signifie que la<br />

personne est exprimée par un nom propre (par exemple, ad Caesarem). D’autres<br />

constituants peuvent intervenir entre ces termes.<br />

Tableau 5 : Place des compléments du verbe mitto chez César et Salluste (BTL)<br />

Modèle Occ. Pourc.<br />

legatos ad X mittunt (disc. ind./rogatum) 10 42 %<br />

legatos ad eum mittunt (disc. ind.) 5<br />

ad X legatos mittunt (ut…, rogatum) 8 26 %<br />

ad eum legatos mittunt (qui…) 1<br />

mittunt ad eum legatos (disc. ind.) 1 3 %<br />

legatos ad X de pace mittunt 5 14 %<br />

legatos de pace ad X mittunt 2 9 %<br />

legatos de deditione ad eum mittunt 1<br />

ad X legatos de pace mittunt 1 6 %<br />

ad eum legatos cum his mandatis mittunt 1<br />

Total 35 100 %<br />

Ce tableau met en évidence les variations rencontrées pour des configurations<br />

syntaxiques comparables. Envoyer une délégation à quelqu’un va de pair avec la<br />

transmission d’un message ; pour cette raison, ces expressions sont suivies d’un<br />

discours indirect, d’un supin (rogatum, postulatum…), d’un syntagme prépositionnel<br />

annonçant un discours indirect (cum mandatis), d’une finale ou d’une relative. Le<br />

modèle de type legatos ad X/ad eum mittunt (rogatum) se rencontre dans 42 % des cas,<br />

celui de type ad X/ad eum legatos mittunt (rogatum) dans 26 % des cas. Si l’objet de la<br />

mission est exprimé à l’aide d’un syntagme prépositionnel tels de pace, de deditione,<br />

nous pouvons remarquer que celui-ci précède le verbe : legatos ad X de pace mittunt (5<br />

occ.), ou suit legatos : legatos de pace ad X/ad eum mittunt (3 occ.). En outre, d’autres<br />

configurations sont attestées. La question à laquelle il faut chercher une réponse est de<br />

savoir si ces variations sont liées à des valeurs pragmatiques particulières.<br />

D’abord, il convient d’examiner les exemples où les syntagmes prépositionnels<br />

indiquant l’objet de la mission n’interviennent pas ; il s’agit des données indiquées dans<br />

la première moitié du tableau. La personne à qui on envoie une délégation est dans tous<br />

les cas connue du contexte. En revanche, legatos ou nuntios représente l’élément<br />

nouveau et les propos rapportés sont généralement reproduits par la suite à l’aide d’un<br />

discours indirect ; un supin formé à partir d’un verbe de communication (rogatum,<br />

oratum, postulatum…) qui explicite l’acte de la députation est parfois introduit. Une<br />

subordonnée finale peut également être employée, et l’on ne perdra pas de vue que ces<br />

subordonnées ont leur propre focus.<br />

Lorsque la personne à qui l’on envoie une délégation est exprimée par un nom<br />

propre (ad Caesarem se rencontre à neuf reprises), l’ordre legatos > ad X (10 occ.,<br />

exemple 14) est légèrement un peu plus fréquent que l’ordre inverse ad X > legatos (8<br />

occ., exemple 15). Or, la valeur informative de ces phrases semble être la même : elles<br />

répondent à la question quem ? et legatos représente, dans les deux cas, l’élément<br />

saillant. Parfois, on pourrait envisager que les deux personnes concernées sont<br />

250


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

rapprochées (Ariouistus – ad Caesarem) 68 mais c’est précisément dans ces cas que<br />

legatos figure à la place préverbale.<br />

(14) Indutiomarus ueritus, ne ab omnibus desereretur, legatos ad Caesarem mittit :<br />

sese idcirco ab suis discedere… (Caes., Gall. 5.3.5)<br />

« Indutiomarus, craignant d’être abandonné de tous, envoie des députés à César :<br />

‘il n’a pas quitté les siens parce que... »<br />

(15) Biduo post Ariouistus ad Caesarem legatos misit : uelle se… (Caes., Gall.<br />

1.47.1)<br />

« Le lendemain, Arioviste envoie à César des députés : ‘il veut...’ »<br />

Lorsque la personne est exprimée par l’anaphorique (ad) eum, l’ordre le plus<br />

fréquemment reproduit est legatos ad eum mittit (5 occ.), en d’autres termes, ad eum<br />

figure à la place immédiatement préverbale. Comparons l’exemple (16) qui illustre cet<br />

ordre avec l’exemple (17).<br />

(16) Qua re nuntiata Pirustae legatos ad eum mittunt, qui doceant nihil earum rerum<br />

publico factum consilio… (Caes., Gall. 5.1.7)<br />

« Quand ils apprennent cela, les Pirustes lui envoient des députés pour lui dire<br />

que rien de ce qui s’était passé n’était le résultat d’une délibération publique... »<br />

(17) Ubii… purgandi sui causa ad eum legatos mittunt, qui doceant neque ex sua<br />

ciuitate auxilia in Treueros missa… (Caes., Gall. 6.9.6)<br />

« Les Ubiens… lui envoient des députés pour se justifier, et lui dire qu’ils n’ont<br />

ni prêté des secours aux Trévires... »<br />

La deuxième moitié du tableau 5 a montré qu’un syntagme tel de pace se<br />

positionne à la place préverbale (5 occ.) ou après legatos (2 occ.). Cependant, il ne<br />

semble pas que ces syntagmes soient dotés d’une saillance particulière. Ils forment<br />

plutôt une unité pragmatique avec legatos et les cas comme (19) apparaissent comme<br />

des disjonctions de cette unité. Les phrases répondent, encore ici, à la question quem ?<br />

(18) (Atuatuci) … noua atque inusitata specie commoti legatos ad Caesarem de pace<br />

miserunt, qui ad hunc modum locuti : non se existimare… (Caes., Gall. 2.31.1)<br />

« Les Atuatuques…, vivement frappés de ce spectacle nouveau et étrange,<br />

envoyèrent à César des députés, pour traiter de la paix, qui lui tinrent à peu près<br />

ce langage : ‘Ils n’estiment pas...’ »<br />

(19) Heluetii omnium rerum inopia adducti legatos de deditione ad eum miserunt.<br />

Qui cum eum in itinere conuenissent… (Caes., Gall. 1.27.1)<br />

« Les Helvètes, réduits à la dernière extrémité, lui envoyèrent des députés pour<br />

traiter de leur reddition. L’ayant rencontré en marche... »<br />

Les supins (5 occ.) sont placés après le verbe mitto 69 ; cependant, leur fonction<br />

n’est pas la même. Ils explicitent le caractère des propos tenus par la délégation Ŕ tel<br />

oratum marquant une requête (20) Ŕ ou bien, accompagnés d’un objet direct Ŕ<br />

68 Cf. également, sans discours indirect par la suite : Illi ad Caesarem legatos mittunt oppidoque<br />

recipiunt. (Caes., Ciu. 3.12.3) « Les habitants envoient une députation à César et le reçoivent dans la<br />

place. »<br />

69 À la seule exception de legatos ad Iugurtham de iniuriis questum misit (Sall., Iug. 20.5) « il envoya des<br />

députés à Jugurtha pour se plaindre des violences commises ».<br />

251


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

subsidium rogatum (21) Ŕ, ils représentent l’information saillante. La phrase<br />

exemplifiée en (20) répond à la question quem ?, celle en (21) à la question cur ? 70 .<br />

(20) Segni Condrusique, ex gente et numero Germanorum…, legatos ad Caesarem<br />

miserunt oratum, ne se in hostium numero duceret… (Caes., Gall. 6.32.1)<br />

« Les Sègnes et les Condruses, peuples de race germanique…, envoyèrent des<br />

députés à César pour le prier de ne pas les mettre au nombre de ses ennemis. »<br />

(21) Eius aduentu Bituriges ad Haeduos, quorum erant in fide, legatos mittunt<br />

subsidium rogatum, quo facilius hostium copias sustinere possint. (Caes., Gall.<br />

7.5.2)<br />

« À son arrivée, les Bituriges envoient des députés aux Héduens, dont ils étaient<br />

les clients, pour leur demander de les aider à soutenir l’attaque des troupes<br />

ennemies. »<br />

En outre, nous avons noté trois occurrences d’un complément circonstanciel de<br />

cause (dont deux à la place préverbale) Ŕ de telles phrases répondent à la question cur ?,<br />

l’élément informatif étant pacis petendae causa par exemple (mais cf. l’exemple 17, cité<br />

ci-dessus) :<br />

(22) Quibus rebus coacti Menapii legatos ad eum pacis petendae causa mittunt.<br />

Ille… (Caes., Gall. 6.6.2)<br />

« Suite à ces événements, les Ménapes se voient contraints de lui envoyer des<br />

députés pour lui demander la paix. »<br />

5.1.4. Premières conclusions<br />

L’analyse de l’expression « envoyer une délégation à quelqu’un » dans la prose<br />

historique de César et de Salluste amène à conclure que dans la majorité des cas, les<br />

phrases répondent à la question quem ? et leur élément saillant est legatos, quelle que<br />

soit sa place dans la phrase. Cette expression est suivie d’un discours indirect ou le<br />

constituant legatos est développé par une relative. Une autre configuration informative<br />

se rencontre moins souvent (à cinq reprises) lorsque l’élément saillant est représenté par<br />

un supin ou par un syntagme prépositionnel exprimant le motif.<br />

5.1.5. Ad te litteras misi<br />

Dans la correspondance de Cicéron, l’expression « envoyer une lettre à<br />

quelqu’un » se rencontre à plusieurs reprises. Il convient d’en examiner les<br />

configurations, plus particulièrement dans les lettres à Atticus. Les emplois<br />

pronominaux seront dissociés des emplois nominaux désignant la personne qui reçoit la<br />

lettre. En tant qu’actants 2, on a considéré les noms litteras, epistulam et epistulas.<br />

Seuls les emplois dans les propositions non dépendantes syntaxiquement sont indiqués.<br />

Le tableau suivant présente les résultats, de manière schématique, à la base des<br />

occurrences attestées, avec intervention possible d’autres constituants.<br />

70 Cf. également : Nam Leptitani iam inde a principio belli Iugurthini ad Bestiam consulem et postea<br />

Romam miserant amicitiam societatemque rogatum. Deinde ubi ea impetrata… (Sall., Iug. 77.2) « Les<br />

habitants de Leptis en effet, dès le commencement de la guerre contre Jugurtha, avaient envoyé une<br />

ambassade d’abord au consul Bestia, puis à Rome, solliciter l’amitié et l’alliance romaine. »<br />

252


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Tableau 6 : Place des compléments du verbe mitto chez Cicéron, Ad Atticum (BTL)<br />

Modèle Occurrences Pourc.<br />

ad te/tibi litteras misi 11 46 %<br />

Quinto/ad Faberium litteras misi 3<br />

litteras ad te/tibi misi 9 29 %<br />

ad te misi litteras 1 3 %<br />

litteras misi ad Brutum 1 6 %<br />

litteras misi ad te 1<br />

misi ad Pompeium litteras 1 16 %<br />

misi ad eum litteras 4<br />

Total 31 100 %<br />

Bien que des modèles variés soient attestés chez Cicéron, on peut relever, en<br />

particulier, l’ordre ad te litteras misi (11 occ.), ou, ad Faberium litteras misi (3 occ.)<br />

quand le constituant est exprimé par un nom propre ; soit en somme 46 %. Cet ordre est<br />

en compétition avec litteras ad te misi (9 occ., soit 29 %). Il convient de mentionner<br />

également misi ad eum/Pompeium litteras (5 occ., 16 %).<br />

Les modèles les plus fréquemment rencontrés sont exemplifiés ci-dessous.<br />

Epistulam en (23), à la place préverbale, est l’élément nouveau, indépendant du<br />

contexte, développé par la suite. Le constituant litteras (24) à l’initiale, non lié au<br />

contexte, est déterminé par une relative. Epistulam ad Ciceronem « lettre pour<br />

Cicéron » en (25), également à l’initiale mais son statut dans le discours se détermine<br />

moins aisément. En effet, Cicéron aurait pu en faire mention dans une lettre précédente,<br />

auquel cas il s’agirait d’un élément relevant du savoir partagé. Cependant, sans<br />

indication contraire, on attribuera une lecture indéfinie à epistulam en (25). Ces deux<br />

phrases répondent donc à la question quid ? Si cette analyse est correcte, ad me en (23)<br />

ainsi que tibi en (24-25) n’ont pas de valeur pragmatique particulière.<br />

(23) Varro autem noster ad me epistulam misit sibi a nescio quo missam – nomen<br />

enim delerat – in qua scriptum erat… (Cic., Att. 15.5.3)<br />

« De son côté, notre cher Varron m’a fait parvenir une lettre envoyée par je ne<br />

sais qui, car il avait effacé le nom. Dans cette lettre, il était écrit que... »<br />

(24) Litteras quas ad Pompeium scripsi tibi misi. (Cic., Att. 3.9.3)<br />

« Je t’ai envoyé la lettre que j’ai écrite à Pompée. »<br />

(25) (Heri enim misi qui uideret ; cui etiam ad te litteras dedi.) Epistulam ad<br />

Ciceronem tibi misi. (Cic., Att. 12.49.3)<br />

« (En effet, j’ai envoyé quelqu’un le (Tiron) voir ; je lui ai aussi donné une lettre<br />

pour toi.) Je t’ai envoyé une lettre pour Marcus. »<br />

L’ordre ad te litteras misi, identifié comme le plus fréquemment reproduit, inclut<br />

des disjonctions du groupe nominal (4 occ.), ce qui confirme sa saillance ; l’exemple<br />

(26) apparaît en début d’une lettre :<br />

(26) Bruti ad te epistulam misi. Di boni, quanta a)mhxani/a ! Cognosces cum legeris.<br />

(Cic., Att. 15.29.1)<br />

« Je t’ai envoyé une lettre de Brutus. Bonté divine, quelle impuissance ! Tu<br />

comprendras quand tu l’auras lue. »<br />

253


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

La phrase exemplifiée en (26) répond à la question quid ? ; la disjonction de<br />

Bruti… epistulam (26) n’entraîne pas nécessairement la question cuius ? En revanche,<br />

une telle question est sous-jacente dans les cas suivants, où meam est coordonné à illius<br />

(27) à l’initiale de la proposition, Antoni est placé à la fin de la phrase et est continué<br />

par ei (28) :<br />

(27) Pansa si quae rescripserit, et meam tibi et illius epistulam mittam. (Cic., Att.<br />

15.23.5)<br />

« Si Pansa me donne une réponse, je t’enverrai ma lettre et la sienne. »<br />

(28) Me caecum qui haec ante non uiderim ! Misi ad te epistulam Antoni. Ei cum ego<br />

scripsissem… (Cic., Att. 10.10.1)<br />

« Aveugle que j’étais de n’avoir pas prévu ce qui m’arrive. Je t’ai envoyé une<br />

lettre d’Antoine. De mon côté, je lui ai écrit… » (trad. C.U.F.)<br />

On comparera l’exemple dernièrement cité avec (29) : epistulas y forme une<br />

unité avec le syntagme prépositionnel ad Marcianum et ad Montanum, placé à la fin de<br />

la phrase.<br />

(29) Misi ad te epistulas ad Marcianum et ad Montanum. Eas in eundem fasciculum<br />

uelim addas… (Cic., Att. 12.53.6)<br />

« Je t’ai envoyé des lettres pour Marcianus et pour Montanus. Ajoute-les, s’il te<br />

plaît, à la même liasse… »<br />

En conclusion, le constituant litteras est généralement l’élément le plus<br />

informatif de la phrase. Il se rencontre accompagné d’expansions (syntagmes<br />

prépositionnels, génitifs, adjectifs qualificatifs et déterminatifs) dont il peut être disjoint.<br />

Il figure à la place préverbale, initiale ou finale. Dans deux cas seulement, un autre<br />

constituant que l’actant 2 (et/ou son expansion) est porteur de l’information essentielle,<br />

par exemple la phrase en (30) répondant à la question ad quem ? 71 :<br />

(30) Ego litteras misi ad Brutum ; cuius de itinere etiam ex te uelim si quid scies<br />

cognoscere. (Cic., Att. 15.23.1)<br />

« De mon côté, j’ai envoyé une lettre à Brutus ; de toi aussi j’aimerais recevoir<br />

des informations sur son voyage, si tu en as. »<br />

La correspondance de Cicéron offre d’autres exemples qui méritent attention, en<br />

particulier parce qu’il s’agit de phrases contenant le verbe mitto, un pronom personnel<br />

(ad te, tibi…), renvoyant à Atticus et lié à la situation du discours et un objet direct<br />

référant à une entité inanimée tel exemplum, accompagné d’un déterminant, par<br />

exemple :<br />

(31) Leptae litterarum exemplum tibi misi, ex quo mihi uidetur Stratu/llac ille<br />

deiectus de gradu. (Cic., Att. 16.15.3)<br />

« Je t’ai envoyé copie d’une lettre de Lepta, d’où il me semble ressortir que notre<br />

général à la manque a lâché pied. » (trad. C.U.F.)<br />

(32) (Reliqua pars epistulae…) Quod quale tibi uideretur ut posses interpretari, misi<br />

ad te exemplum epistulae. (Cic., Att. 15.26.2)<br />

71 L’autre exemple est Cic., Att. 13.47a.1.<br />

254


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« (Le reste de la lettre…) Pour que tu puisses en juger à ta guise, je t’ai envoyé<br />

copie de la lettre. »<br />

La particularité de ces exemples est que les déterminants de exemplum – Leptae<br />

litterarum (31) 72 Ŕ représentent des éléments contextuellement liés 73 . On notera que<br />

exemplum se positionne après ces déterminants et que tibi à la place préverbale n’est pas<br />

saillant. En (32) exemplum apparaît à la place finale, suivi de epistulae avec la lecture<br />

définie (« de la lettre en question »). Toutes ces phrases répondent à la question quid ?<br />

et exemplum, l’élément le plus informatif, se positionne à l’initiale (après le déterminant<br />

lié) ou à la fin de la phrase.<br />

En revanche, lorsque le déterminant n’est pas lié au contexte (33) ou n’est pas<br />

exprimé du tout (34), la configuration suivante se rencontre avec exemplum à droite de<br />

la phrase :<br />

(33) Misi ad te exemplum litterarum mearum ad Caesarem, quibus me aliquid<br />

profecturum puto. (Cic., Att. 9.11.4)<br />

« Je t’ai envoyé copie de la lettre que j’ai adressée à César : je pense qu’elle me<br />

permettra d’avancer un peu. »<br />

(34) (cum mihi epistula adfertur a Lepta…) Misi ad te exemplum. (Cic., Att. 9.12.1)<br />

« (lorsqu’on m’apporte une lettre de Lepta…) Je t’ai envoyé la copie. »<br />

5.1.6. Problèmes d’analyse rencontrés dans la correspondance de Cicéron<br />

L’interprétation du statut contextuel des constituants relevés dans la<br />

correspondance de Cicéron pose parfois problème. Considérons l’exemple suivant :<br />

(35) (Duas a te accepi litteras…) Orationem tibi misi. Eius custodiendae et<br />

proferendae arbitrium tuum. (Cic., Att. 15.13.1)<br />

« (J’ai reçu deux lettres de toi…) Je t’ai envoyé le discours. Libre à toi de le<br />

garder ou de le faire paraître. »<br />

Le discours (oratio) n’est pas mentionné dans le contexte immédiat mais il s’agit de la<br />

Deuxième Philippique (voir Beaujeu, 1988 : 83 et notice, p. 64) ; il est toutefois possible<br />

que Cicéron l’ait signalé dans une des lettres précédentes. Là réside la principale<br />

difficulté de la correspondance de Cicéron : il est quelquefois difficile de décider si les<br />

éléments de la phrase sont liés au contexte ou non. De même, on peut avoir affaire à des<br />

informations de type « que ferai-je ? », comme en (36) où les actions sont au futur<br />

(scribam, mittam) et Cicéron énumère, ce qu’il compte faire. Toutefois, la question<br />

quid ? y est sous-jacente : la disjonction de librum… de gloria confirme que c’est<br />

l’élément saillant 74 .<br />

(36) (De Bruto scribam ad te omnia.) Librum tibi celeriter mittam de gloria.<br />

(Excudam aliquid (Hraklei/deion quod lateat in thesauris tuis.) (Cic., Att.<br />

15.27.2)<br />

72 De même, earum/quarum exempla, par exemple Cic., Att. 14.17.4.<br />

73 La lettre de Lepta (Leptae litterarum) n’est pas mentionnée dans le contexte précédent mais on peut<br />

supposer que Cicéron en a parlé à Atticus auparavant.<br />

74 Cicéron a probablement promis l’envoi du livre De gloria à Atticus. Cf. également Att. 16.2.6 et 16.6.4<br />

où il dit qu’il l’a envoyé : De Gloria misi tibi.<br />

255


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« (Je ne te cacherai rien concernant Brutus.) Je t’enverrai rapidement mon livre<br />

De la gloire. (Je vais fabriquer quelque chose dans le genre d’Héraclide à<br />

enfouir dans tes trésors !) » (trad. C.U.F.)<br />

Malgré ces difficultés d’analyse, il est remarquable que Cicéron positionne des<br />

constituants de ce type à l’initiale (6 occ. à l’initiale, 4 à la fin), à moins qu’ils ne soient<br />

parfois liés implicitement au contexte (37). Epistulam serait ainsi à interpréter « je t’ai<br />

envoyé (une copie de) sa lettre » 75 :<br />

(37) (Cassius uero uehementer orat ac petit ut Hirtium quam optimum faciam. Sanum<br />

putas ? o( gnafeu_j a)/nqrakaj.) Epistulam tibi misi. (Cic., Att. 15.5.1)<br />

« Cassius, pour sa part, me demande, m’implore instamment de faire d’Hirtius le<br />

meilleur possible des citoyens. A-t-il son bon sens, selon toi ? Un teinturier (ne<br />

peut blanchir) le charbon. Je t’envoie sa lettre. » (trad. C.U.F.)<br />

En tout cas, il apparaît qu’il est impossible d’attribuer mécaniquement une<br />

lecture définie aux constituants placés à gauche, et une lecture indéfinie aux constituants<br />

à droite de la phrase. Il est plus fructueux de chercher leur statut contextuel.<br />

5.2. Le verbe duco<br />

Le verbe duco (ad) « conduire quelque part » a été considéré ensemble avec ses<br />

composés adduco (ind) « amener », deduco (in, ex) « emmener d’un lieu », educo (ex)<br />

« faire sortir », reduco (in, ad) « ramener » et traduco (ad) « faire passer » 76 . Les<br />

compléments de direction expriment le lieu où l’on conduit quelqu’un ou l’endroit d’où<br />

l’on fait sortir quelqu’un…, selon les cas. À deux exceptions près (voir exemples ad<br />

Brutum et ad eum), le complément de direction réfère à une entité inanimée, à un<br />

endroit ou à une localité. Le tableau ci-dessous montre les ordres relevés :<br />

Tableau 7 : Le verbe duco<br />

Modèle Caesar Salluste Cicéron Total Pourc.<br />

A1 A2 AD V 14 1 0 15 73 %<br />

A2 AD V 8 1 1 10<br />

A1 AD A2 V 4 0 0 4 15 %<br />

AD A2 V 1 0 0 1<br />

A2 V AD 1 0 0 1 3 %<br />

V A2 AD 0 0 2 2 6 %<br />

V AD A2 1 0 0 1 3 %<br />

Total 29 2 3 34 100 %<br />

Attesté en particulier chez César, le verbe duco et ses composés présentent<br />

majoritairement l’ordre (actant 1 >) actant 2 > complément > verbe (15 + 10 occ., soit<br />

73 %). Cette disposition correspond à la valeur pragmatique exemplifiée ci-dessous :<br />

75 Pour la lettre en question, voir J. Beaujeu (1988 : 150).<br />

76 Le nombre d’occurrences relevées est le suivant : 3 occ. de duco, 2 occ. de adduco, 10 occ. de deduco,<br />

9 occ. de educo, 7 occ. de reduco, et 3 occ. de traduco.<br />

256


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(38) Qua opinione adductus Varus postero die mane legiones ex castris educit. Facit<br />

idem Curio atque una ualle non magna interiecta suas uterque copias instruit.<br />

(Caes., Ciu. 2.27.3)<br />

« Persuadé par ces paroles, Varus fait sortir le lendemain matin ses légions du<br />

camp. Curion fait de même et, n’étant séparés que par un vallon de peu<br />

d’étendue, ils rangent l’un et l’autre leurs troupes en bataille. »<br />

(39) Cuius aduentu cognito diffisus municipii uoluntati Thermus cohortes ex urbe<br />

reducit et profugit. (Caes., Ciu. 1.12.2)<br />

« Ayant appris leur arrivée, Thermus, se défiant des dispositions du municipe,<br />

retire ses cohortes de la ville et s’enfuit. »<br />

Les compléments obligatoires du verbe sont dépendants du contexte : les sujets<br />

(Varus, Thermus), topiques du discours, les objets (legiones, cohortes) qui en sont<br />

déductibles, ainsi que les compléments (ex castris, ex urbe). D’autres compléments qui<br />

apparaissent, tel postero die mane en (38), expriment le cadre. Dans ce type de phrases,<br />

l’information essentielle est véhiculée par l’unité pragmatique formée par le verbe et<br />

son (ses) complément(s) et l’action est généralement coordonnée à une autre (reducit et<br />

profugit). En effet, il ne s’agit pas de dire quis ?, quem ? ou quo/unde ?, mais « que faitil<br />

? ». La première phrase (38) en apporte une preuve explicite : l’action de Varus est<br />

comparée à celle de Curion : facit idem Curio « Curion fait de même ». Le complément<br />

de direction sert ici à spécifier l’action exprimée par le verbe et de ce fait, il se trouve<br />

dans sa proximité.<br />

Il est intéressant de mentionner une occurrence relevée chez Cicéron : il informe<br />

Atticus sur ce qu’il a fait (à noter non fecissem…) mais une autre question y est sousjacente,<br />

ad quem ? :<br />

(40) Nisi…, non fecissem id quod dicturus sum. Duxi enim mecum adulescentem ad<br />

Brutum. Sic ei… (Cic., Att. 16.5.2)<br />

« Si…, je n’aurais pas fait ce que je vais te dire : j’ai emmené le jeune homme<br />

chez Brutus. Ainsi... »<br />

L’histoire que Cicéron raconte s’ouvre par l’action de conduire, duxi ; suivent<br />

des éléments liés au contexte, me et adulescentem « le jeune homme » (il s’agit de<br />

Quintus fils) et ad Brutum, contextuellement indépendant, se retrouve à la fin de la<br />

phrase.<br />

D’autres configurations pragmatiques se rencontrent : lorsqu’on veut exprimer la<br />

direction où l’on conduit quelqu’un, le complément directionnel ne se rencontre pas<br />

devant le verbe, mais après le topique (3 occ.). Par exemple intra hanc fossam indique<br />

la direction (à noter ibi dans la phrase subséquente).<br />

(41) Sub uesperum Caesar intra hanc fossam legiones reducit atque ibi sub armis<br />

proxima nocte conquiescit. (Caes., Ciu. 1.41.6)<br />

« Au soir tombant, César retire ses troupes derrière la tranchée et passe là, sous<br />

les armes, la nuit suivante. »<br />

257


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

À deux reprises, nous avons noté les cas où le focus est porté sur l’objet direct,<br />

captiuos dans l’exemple (42) 77 ; on remarquera que la première proposition répond à la<br />

question « que font les légions ? » :<br />

(42) Quo facto ad Curionem equites reuertuntur captiuosque ad eum reducunt.<br />

(Caes., Ciu. 2.38.5)<br />

« Après cela, les cavaliers reviennent vers Curion et lui emmènent les<br />

prisonniers. »<br />

On conclura que le verbe duco figure majoritairement dans les phrases répondant<br />

à la question « que fait-il ? ». Ses compléments obligatoires sont, la plupart du temps,<br />

dépendants du contexte.<br />

5.3. Le verbe do<br />

Trivalent, le verbe do « donner quelque chose à quelqu’un » 78 et ses composés<br />

addo « ajouter » et reddo « rendre » 79 apparaît avec trois compléments obligatoires :<br />

actant 1, actant 2 et actant 3 au datif (8 occ.) 80 ou exprimé par un syntagme<br />

prépositionnel ad (6 occ.) 81 . Le tableau ci-dessous présente les modèles relevés dans le<br />

corpus :<br />

Tableau 8 : Le verbe do (corpus)<br />

Modèle Caesar Salluste Cicéron Total Pourc.<br />

A1 A2 A3 V 0 2 0 2 46 %<br />

A2 A3 V 5 3 4 12<br />

A1 A3 A2 V 0 0 1 1 26 %<br />

A3 A2 V 1 0 6 7<br />

A3 A1 A2 V 0 1 1 2 6 %<br />

A3 A1 V A2 0 0 1 1 3 %<br />

A2 A1 A3 V 0 0 1 1 3 %<br />

A3 V A2 0 0 3 3 10 %<br />

V A3 A2 0 0 2 2 6 %<br />

Total 6 6 19 31 100 %<br />

77 Pour l’autre exemple, voir unam à la place préverbale (Caes., Ciu. 2.3.2).<br />

78 D. Panhuis (1982 : 31-57) a analysé les phrases comportant les verbes do et reddo dans les comédies de<br />

Plaute, ce qui est un texte de nature très différente par rapport à notre corpus. Selon lui, elles<br />

correspondent à l’organisation thème > rhème (ordre normal), par exemple (p. 44) : Alias me poscit pro<br />

illa triginta minas, alias talentum magnum. (Plaut., Curc. 62) « Il me demande pour elle tantôt trente<br />

mines, tantôt un grand talent. » En effet, triginta minas et talentum magnum y sont contextuellement<br />

indépendants. Il convient d’ajouter que non seulement cette phrase répond à la question sous-jacente<br />

quid ? mais encore représente une information complexe car elle répond à la question explicite<br />

« pourquoi ? », cf. le contexte précédent : Is me excruciat. – Quid est ? « Il me tourmente. Ŕ Pourquoi ? ».<br />

Panhuis a le mérite d’avoir identifié les phrases dont le verbe représente l’information saillante (rhème<br />

propre, p. 41), par exemple : Nunc ibo in tabernam, uasa atque argentum tibi referam. (Plaut., Men.<br />

1035) « Pour le moment, je cours à l’auberge, et je te rapporte les bagages et l’argent. » On a ici une<br />

information sur ce que le locuteur fera ensuite (ibo, referam) ; uasa atque argentum dépendent du<br />

contexte, et tibi est lié à la situation du discours.<br />

79 Le nombre d’occurrences relevées est le suivant : 21 occ. de do, 7 occ. de addo et 3 occ. de reddo.<br />

80 Il s’agit de mihi (3 occ.), tibi, nobis, sibi, ei et isti.<br />

81 Des locutions, par exemple operam do « s’appliquer » ou fabulam do « faire jouer une pièce de<br />

théâtre » n’ont pas été incluses dans le calcul.<br />

258


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Attesté en particulier chez Cicéron, le verbe do montre le plus fréquemment<br />

l’ordre (actant 1 >) actant 2 > actant 3 > verbe (14 occ.) ; cependant, l’actant 3 peut<br />

précéder l’actant 2 (8 occ.). Dans sept cas seulement, on note une continuation<br />

anaphorique dans la phrase subséquente.<br />

Si l’on considère le statut contextuel des actants 2 et 3 du verbe do, on constate<br />

que la majorité d’actants 2 sont contextuellement indépendants (20 occ., soit 65 %),<br />

alors que les actants 3 sont liés au contexte ou à la situation (25 occ., soit 81 %). Les<br />

modèles (sans considération du sujet) qui se reproduisent à plusieurs reprises sont<br />

indiqués ci-dessous :<br />

A2 lié A3 lié V 7 occ.<br />

A2 non lié A3 lié V 5 occ.<br />

A3 lié A2 non lié V 4 occ.<br />

A3 lié V A2 non lié 4 occ.<br />

Le tableau suivant nous indique où se positionnent les actants 2 et 3 liés et non liés. La<br />

catégorie « première place » inclut les occurrences à une première position de la<br />

phrase/proposition qui peut être la place initiale 82 . Les pronoms personnels, qui ne<br />

manifestent pas une tendance uniforme de placement, ont été pris en considération :<br />

Tableau 9 : Le verbe do Ŕ place de l’actant 2 (corpus)<br />

Place A2 non A3 non A2 liés A3 liés Total Pourc.<br />

liés liés<br />

Préverbale 8 3 2 12 25 40 %<br />

Postverbale/finale 6 0 0 0 6 10 %<br />

Autre 6 3 9 13 31 50 %<br />

Total 20 6 11 25 62 100 %<br />

Pourcentage 32 % 10 % 18 % 40 % 100 %<br />

Comme nous pouvons l’observer, les actants 2 et 3 non liés se rencontrent à la<br />

place préverbale, à une première position, ou après le verbe à la fin de la phrase. En<br />

revanche, les actants contextuellement liés évitent la place finale et figurent le plus<br />

souvent à gauche de la phrase ou à la place immédiatement préverbale.<br />

Les phrases comportant le verbe do montrent des configurations pragmatiques<br />

variées. Elles répondent à la question quem/quid ?, cui ?, mais concernent également les<br />

actions elles-mêmes. Considérons d’abord les cas où la phrase répond à la question<br />

quem/quid ?<br />

(43) Ad tuum enim iudicium, quod mihi erat notum, addidisti Peducaei auctoritatem,<br />

magnam eam quidem apud me et in primis grauem. (Cic., Att. 15.13.3)<br />

« En effet, à ton sentiment, que je connaissais, tu as ajouté l’autorité de<br />

Péducéus, grande à mes yeux et surtout puissante. »<br />

82 Nous avons inclus ici deux occurrences des actants 3 qui suivent le verbe mais précèdent les actants 2<br />

non liés.<br />

259


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(44) (Natura) Nunc paruulos nobis dedit igniculos, quos celeriter malis moribus<br />

opinionibusque deprauati sic restinguimus... (Cic., Tusc. 3.2)<br />

« (La nature) Or, elle ne nous a donné que de faibles rayons de lumière, que nous<br />

éteignons bientôt, soit par la corruption des moeurs, soit par l’erreur des<br />

préjugés... »<br />

L’actant 3 en (43), ad tuum iudicium, découle du contexte, alors que auctoritatem,<br />

venant après le verbe et étant plus amplement développé, en est indépendant. L’exemple<br />

(44) montre également un actant 2 non lié contextuellement et disjoint, placé après le<br />

verbe ; une emphase est portée sur l’adjectif qualificatif paruulos, relevant d’un<br />

jugement subjectif.<br />

cui ? :<br />

Les deux exemples suivants présentent des phrases répondant à la question<br />

(45) (simulacrum… hoc quidam homo nobilis… deportauit… Is… collocauit ;)<br />

signum de busto meretricis ablatum isti (Clodio) dedit, quod esset signum magis<br />

istorum quam publicae libertatis. (Cic., Dom. 112)<br />

« (Un homme noble… fit emporter la statue… Il la plaça... ;) il fit cadeau de la<br />

statue enlevée sur le tombeau de la courtisane à celui-ci (Clodius), parce qu’elle<br />

symbolisait mieux la conduite de ces gens-là que la liberté publique. »<br />

(46) Tu autem quasi iam recuperata re publica uicinis tuis Massiliensibus sua reddis.<br />

(Cic., Att. 14.14.6)<br />

« Tu rends à tes chers voisins marseillais ce qui leur appartient, comme si la<br />

République était restaurée. » (trad. C.U.F.)<br />

Signum dépend du contexte et est traité comme le topique ; isti « à cet homme » dépend<br />

de la situation mais il remplit ici la fonction de focus. En effet, le verbe collocauit,<br />

exprimé dans la phrase précédente, laisse entendre qu’avec la statue, l’homme en<br />

question a fait quelque chose d’autre que de la conserver. Pour cette raison, on pourrait<br />

également envisager une autre interprétation selon laquelle isti dedit forment une unité<br />

pragmatique et que la phrase nous dit ce qu’il a fait de la statue. L’exemple (46)<br />

emprunté à Cicéron semble également répondre à la question cui, étant donné que<br />

uicinis n’a pas été mentionné dans le contexte immédiatement précédent.<br />

Dans la prose narrative de César et de Salluste, le verbe do se rencontre en<br />

particulier dans les configurations de ce type, s’inscrivant dans une suite d’actions.<br />

Deux exemples sont donnés en (47) et (48) :<br />

(47) Cum... oppidani autem etiam sua sponte Caesarem recipere conarentur,<br />

desperatis omnibus auxiliis portas aperuit et se atque oppidum Caesari dedidit<br />

incolumisque ab eo conseruatus est. (Caes., Ciu. 3.11.3)<br />

« Cependant que les habitants essayaient spontanément de recevoir César, il<br />

(Torquatus), n’espérant plus aucun secours, ouvrit les portes et livra la ville et<br />

lui-même aux mains de César, qui ne lui fit aucun mal. »<br />

(48) (Dimittit omnes incolumes…) HS LX, quod aduexerat Domitius atque in publico<br />

deposuerat, adlatum ad se ab quattuoruiris Corfiniensibus, Domitio reddit ne…<br />

(Milites… iubet…) (Caes., Ciu. 1.23.4)<br />

« (Il renvoie tous sans leur faire aucun mal...) Une somme de six millions de<br />

sesterces, que Domitius avait apportée et déposée au trésor, lui ayant été<br />

260


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

présentée par les quatuorvirs de Corfinium, il la restitue à Domitius, ne voulant<br />

pas… (Il ordonne aux soldats…) »<br />

En (47), les actant 2 et 3 sont contextuellement liés (oppidum « la ville » y a une lecture<br />

définie). L’action dedidit fait partie de l’enchaînement d’actions aperuit, dedidit,<br />

conseruatus est : la phrase nous informe sur ce que Torquatus a fait. La même valeur<br />

pragmatique se rencontre en (48) bien que la somme de six millions de sesterces (HS<br />

LX) soit contextuellement indépendante ; on notera que ce constituant figure à l’initiale<br />

absolue et est assez amplement développé par une relative expliquant les circonstances.<br />

La prose narrative nous a également offert des occurrences de type (49) :<br />

(49) Tirones enim multitudine nauium perterriti… se Otacilio dediderunt, qui omnes<br />

ad eum producti… crudelissime interficiuntur. (Caes., Ciu. 3.28.4)<br />

« Les jeunes soldats, effrayés par le nombre des navires… se rendirent à<br />

Otacilius ; tous furent amenés devant lui… et mis cruellement à mort. »<br />

Le constituant tirones n’est pas déductible du contexte : cette phrase donne<br />

l’information sur ce qui se passe. Tirones « les jeunes soldats » sont posés comme<br />

topique et une action leur est attribuée (se dediderunt) ; la phrase subséquente dit ce qui<br />

leur est arrivé par la suite. Otacilius, l’actant 3, est donné par le contexte.<br />

En conclusion, les phrases comportant le verbe do montrent des configurations<br />

pragmatiques variées qui se laissent difficilement ramener à un modèle dominant. Par<br />

exemple, on ne peut pas dire que l’actant 2 précède l’actant 3 ou vice versa. En<br />

revanche, l’examen du statut contextuel permet de saisir les<br />

constituants contextuellement indépendants qui sont les meilleurs candidats à la<br />

fonction de focus. Ils se positionnent devant le verbe, à la fin de la phrase/proposition<br />

ou à l’initiale.<br />

Un examen complémentaire des compléments du verbe do à la première<br />

personne du singulier, dedi, dans la correspondance à Atticus de Cicéron (19<br />

occurrences complètes avec les actants 2 et 3 exprimés) nous a permis de relever des<br />

phrases répondant à la question cui ?, faiblement représentées dans notre corpus. Deux<br />

exemples complémentaires sont donnés en (50) et (51) :<br />

(50) Sed totum hoc Bruto dedi ; qui de me ad te humanissimas litteras scripsit…<br />

(Cic., Att. 6.1.7)<br />

« Mais j’ai donné tout cela à Brutus ; il t’a écrit à mon sujet une lettre fort<br />

aimable. »<br />

(51) Properantibus tabellariis alienis hanc epistulam dedi. Eo breuior est, et quod<br />

eram missurus nostros. (Cic., Att. 11.17.1)<br />

« J’ai donné cette lettre à des courriers pressés, qui ne sont pas de mes gens.<br />

C’est pourquoi elle est si brève, et aussi parce que j’en enverrai une autre avec<br />

mes courriers. »<br />

En (50), Cicéron dit à qui il a donné toutes ces concessions ; l’élément le plus<br />

informatif, Bruto (contextuellement lié) se trouve à la place préverbale. La phrase en<br />

(51) explique pourquoi la lettre est si brève : le focus y est porté sur properantibus<br />

tabellariis en tête de la phrase.<br />

261


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

5.4. Le verbe scribo<br />

Le verbe scribo « écrire » est attesté en particulier dans la correspondance de<br />

Cicéron (87 occurrences). Il présente des constructions assez variées ; parmi elles, nous<br />

avons dénombré 31 emplois de scribo comme verbe trivalent, 46 emplois comme verbe<br />

bivalent et 10 cas d’ellipses.<br />

Trivalent, le verbe scribo appelle un complément à l’accusatif commutable avec<br />

une complétive et avec le syntagme prépositionnel en de, et un complément au datif<br />

commutable avec le syntagme prépositionnel en ad. On peut alors attendre des<br />

combinaisons variées. L’expression du sujet mise à part, on peut observer deux<br />

configurations principales schématisées ci-dessous :<br />

Schéma 1 : Le verbe scribo et ses compléments (modèles observés) (BTL)<br />

(sujet) (de…) tibi/Quinto scripsit accusatif et infinitif<br />

ad me/Brutum complétive en ut<br />

(sujet) scripsit ad me/Brutum accusatif et infinitif<br />

complétive en ut<br />

Le premier modèle se produit à onze reprises, le second à cinq. Ils sont illustrés<br />

par deux exemples typiques (52) et (53) ; les deux destinataires semblent<br />

contextuellement indépendants :<br />

(52) Ego autem et eius librum arcessiui et ad Athenodorum Caluum scripsi ut ad me<br />

ta_ kefa/laia mitteret. (Cic., Att. 16.11.4)<br />

« J’ai commandé son (de Posidonius) livre et j’ai écrit à Athénodore le Chauve<br />

de m’envoyer le résumé. »<br />

(53) Quod autem aditus ad eum (Antonium) difficilior esse dicitur, scripsi ad<br />

Eutrapelum ut is ei meas litteras redderet. (Cic., Att. 15.8.1)<br />

« Et, comme on dit qu’il est plutôt difficile d’accéder jusqu’à lui (Antoine), j’ai<br />

écrit à Eutrapélos, pour lui demander de remettre ma lettre à Antoine. »<br />

Toutefois, il n’est pas exclu qu’Athénodore le Chauve (52) appartienne au savoir<br />

partagé ; en tout cas, Eutrapélos (53) est entièrement indépendant du contexte. Dans les<br />

deux cas, le destinataire est l’information saillante (ad quem ?) ; les compléments se<br />

rencontrent à la place préverbale et postverbale. En (53), la proposition comportant<br />

scripsi est précédée par une subordonnée.<br />

Or Quinto en tête de la phrase dans l’exemple suivant (54) est lié au contexte,<br />

d’abord parce qu’il a été mentionné au préalable, ensuite parce que le destinataire luimême,<br />

Atticus, a adressé une lettre à Quintus :<br />

(54) Quinto scripsisti te ad eum litteras. Nemo attulerat. (Cic., Att. 15.21.2)<br />

« Tu as écrit à Quintus que tu lui envoyais une lettre. Personne ne l’a apportée. »<br />

À l’initiale de la phrase, on rencontre également les constituants relevant du<br />

savoir partagé entre Cicéron et Atticus qui servent à lancer un nouveau sujet : le<br />

syntagme de Terentiae nomine (55) ; de même, de Antonio en (56). En outre, ad me<br />

(55), renvoyant au locuteur, est dépourvu de fonction pragmatique, car il n’est pas mis<br />

en contraste.<br />

262


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(55) Nam de Terentiae nomine Tiro ad me scripsit te dicere nummos a Dolabella<br />

fore. (Cic., Att. 16.15.5)<br />

« Quant à la créance de Térentia, Tiron m’a écrit que, à t’entendre, l’argent<br />

viendrait de Dolabella. » (trad. C.U.F.)<br />

(56) De Antonio iam antea tibi scripsi non esse eum a me conuentum. (Cic., Att.<br />

15.1.2)<br />

« À propos d’Antoine, je t’ai déjà écrit précédemment que je ne l’avais pas<br />

rencontré. »<br />

Selon nous, il ne s’agit pas ici de thèmes Ŕ constituants extraposés (cf. le chapitre V, Le<br />

thème). En effet, ils s’intègrent syntaxiquement dans la phrase et le syntagme en de peut<br />

très bien constituer un complément du verbe scribo. On notera également que<br />

l’anaphorique eum (57) représente non pas une reprise de de Antonio mais le sujet de la<br />

complétive.<br />

Les termes indépendants du contexte occupent une position à droite dans la<br />

phrase, comme en (57) ; cette phrase précède directement celle qui a été citée sous (53) :<br />

(57) Misi igitur Tironem… atque etiam scripsi ad Antonium de legatione… (Cic., Att.<br />

15.8.1)<br />

« J’ai donc envoyé Tiron… et j’ai même écrit à Antoine au sujet de ma<br />

mission… »<br />

Cicéron informe ici Atticus sur ce qu’il a fait : il a envoyé (misi) Tiron, il a même<br />

(etiam) écrit (scripsi) Ŕ c’est ainsi que s’explique sa place initiale Ŕ à Antoine au sujet<br />

de sa mission. Ad Antonium suivi de legatione représentent des spécifications<br />

ultérieures de ce procès. Il s’agit d’éléments nouveaux, non liés contextuellement.<br />

L’exemple suivant montre également le placement final de l’élément<br />

indépendant du contexte (de restitutione). Il est intéressant de noter que cette phrase<br />

répond à la question « que s’est-il passé ? » avec une autre question sous-jacente (« à<br />

propos de quoi ? »). Le sujet, M. Antonius, est en tête de la phrase, posé comme topique,<br />

de restitutione Sex. Cloeli est l’élément saillant.<br />

(58) (Redeo enim ad miseram seu nullam potius rem publicam.) M. Antonius ad me<br />

scripsit de restitutione Sex. Cloeli. (Cic., Att. 14.13.6)<br />

« (J’en reviens, en effet, à notre République défaillante, ou plutôt inexistante.)<br />

Marc Antoine m’a écrit au sujet du rappel de Sex. Cloelius. »<br />

Or, dans la correspondance de Cicéron, il est souvent difficile de reconnaître le<br />

statut contextuel des constituants : non mentionnées précédemment, certaines entités<br />

peuvent appartenir au savoir partagé entre Cicéron et Atticus. On considérera les<br />

exemples (59) et (60).<br />

(59) Ad Brutum nostrum, ad Cassium, ad Dolabellam epistulas scripsi. Earum<br />

exempla tibi misi... (Cic., Att. 14.17.4)<br />

« J’ai écrit à notre cher Brutus, à Cassius, à Dolabella ; je t’ai envoyé copie de<br />

mes lettres... »<br />

263


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(60) Quid censes nisi Alsium ? Et quidem ad Murenam de hospitio scripseram, sed<br />

opinor cum Matio profectum. (Cic., Att. 13.50.4)<br />

« Que proposes-tu en dehors d’Alsium ? J’ai même écrit à Muréna pour lui<br />

demander l’hospitalité, mais je le crois déjà parti avec Matius. » (trad. C.U.F.)<br />

Cicéron dit ici ce qu’il a fait : il a écrit des lettres ; la continuation (earum exempla) en<br />

serait un indice. Il est bien possible qu’Atticus lui ait recommandé de le faire. De même,<br />

on peut se demander comment interpréter ad Murenam en (60).<br />

Bivalent, le verbe scribo atteste un certain nombre de constructions. En<br />

particulier, il est complété par une subordonnée infinitive : il la précède (5 occ.), la suit<br />

(2 occ.) ou s’y intercale (3 occ.). Deux exemples sont donnés en (61) et (62).<br />

(61) Scribit autem Statius illum cum patre habitare uelle (hoc uero mirum), et id<br />

gaudet. (Cic., Att. 15.21.1)<br />

« Statius, de son côté, écrit que le garçon veut vivre avec son père (ce qui est<br />

étonnant), et celui-ci en est ravi. »<br />

(62) Pompeium Carteia receptum scribis ; iam igitur contra hunc exercitum. (Cic.,<br />

Att. 15.20.3)<br />

« Tu m’écris que Pompée a été reçu à Cartéia ; il va donc aller contre cette<br />

armée. »<br />

Le premier exemple montre bien que le contenu de la complétive est l’élément le plus<br />

informatif Ŕ en effet, il est repris par id. Or en (62), avec le verbe placé après la<br />

complétive, le contenu de celle-ci n’est pas entièrement nouveau : ce sont les paroles<br />

reprises d’Atticus. En outre, Pompeium (aussi bien que ad Plancum dans l’exemple 63)<br />

peut représenter un changement de topique. Il n’est peut-être pas sans importance que<br />

les cas de postposition du verbe par rapport à la complétive ou son insertion dans celleci<br />

se produisent lorsque le verbe est à la deuxième personne du singulier (6 occ.). Une<br />

recherche complémentaire est néanmoins nécessaire pour confirmer cette hypothèse.<br />

Le verbe scribo apparaît encore avec l’accusatif d’un nom ou d’un pronom, avec<br />

les syntagmes en ad et en de, comme l’illustrent les exemples (63) et (64) :<br />

(63) Iucundissimas tuas legi litteras. Ad Plancum scripsi, misi. (Cic., Att. 16.16.1)<br />

« J’ai lu ta très charmante lettre. J’ai écrit à Plancus et j’ai envoyé la lettre. »<br />

(64) Haec scripsi ; statim enim Cassi tabellarius. (Cic., Att. 14.20.5)<br />

« Voilà ce que j’ai pu écrire : en effet, le courrier de Cassius part à l’instant. »<br />

Le premier exemple montre le focus sur l’action (scripsi « je l’ai fait ») : telle<br />

était probablement la demande d’Atticus. Le second concerne la clôture de section au<br />

sens de « voilà ce que j’ai pu écrire » 83 .<br />

5.6. Le verbe iubeo<br />

Dans notre corpus, le verbe iubeo « ordonner » (67 occ.) est employé avec un<br />

infinitif ou avec une subordonnée infinitive (AcI). Il se rencontre en premier lieu dans la<br />

83 On comparera cette fonction de haec avec le passage suivant : Ego e Formiano exiens XVII Kal. ut inde<br />

altero die in Puteolanum scripsi haec. (Cic., Att. 14.7.1) « Je t’écris ces lignes en quittant ma propriété de<br />

Formies, le 15, avec l’espoir d’arriver demain chez moi, à Pouzzoles. » Haec n’y signale pas la fin de la<br />

lettre mais fait partie du récit concernant les circonstances dans lesquelles Cicéron écrivait sa lettre.<br />

264


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

prose historique de César (34 occ.) et de Salluste (27 occ.). Un exemple typique est<br />

donné en (65) :<br />

(65) His paratis rebus milites silentio naues conscendere iubet, expeditos autem ex<br />

euocatis cum sagittariis funditoribusque raros in muro turribusque disponit.<br />

(Caes., Ciu. 1.27.5)<br />

« Ces préparatifs terminés, il ordonne à ses troupes de s’embarquer sans bruit, et<br />

il place aux remparts et sur les tours, à grands intervalles, quelques soldats<br />

légèrement équipés, choisis parmi les rengagés, les archers et les frondeurs. »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

En effet, à quelques exceptions près, le verbe iubeo suit sa subordonnée ou son<br />

infinitif. Avec ou sans ancrage topical, les phrases ainsi formulées s’inscrivent dans la<br />

ligne principale du récit (cf. disponit) ; ce type de phrases répond à la question « que<br />

fait-il ? ».<br />

À trois reprises seulement, le verbe iubeo est intercalé dans la subordonnée<br />

infinitive (par exemple, Caes., Ciu. 1.70.4). Nous n’avons noté que deux cas 84 où le<br />

verbe iubeo figure devant la subordonnée qu’il introduit :<br />

(66) Quae postquam sine mora facta sunt, iubet omnis perfugas uinctos adduci.<br />

Eorum magna pars, uti iussum erat, adducti. (Sall., Iug. 62.6)<br />

« Ces conditions une fois exécutées sans délai, il ordonne qu’on lui amène<br />

enchaînés tous les transfuges. La plupart d’entre eux furent livrés, conformément<br />

à l’ordre. »<br />

Tout particulièrement dans une phrase complexe ouverte par une subordonnée<br />

temporelle, on attendrait le verbe iubeo en fin de phrase, venant après l’infinitive (AcI),<br />

véhiculant l’information essentielle. Or la place semble s’expliquer ici par le fait que le<br />

contexte d’après concerne perfugas (eorum magna pars et pauci), ou, pourrait-on dire<br />

également, l’accomplissement de l’ordre donné par Jugurtha. En d’autres termes, iubet<br />

n’est pas focal ici et peut ainsi occuper la place avant ou après sa subordonnée.<br />

5.7. Les verbes attribuo et praeficio<br />

Le verbe attribuo « attribuer » n’offre pas beaucoup d’occurrences (7 occ.) ;<br />

cependant, elles permettent d’opposer deux dispositions avec une même valeur<br />

pragmatique : les deux exemples concernent la réponse à la question quem ? :<br />

(67) Prouinciae Q. Cassium praeficit ; huic IIII legiones adtribuit. (Caes., Ciu.<br />

2.21.4)<br />

« Au gouvernement de la province, il nomme Q. Cassius, il lui attribue quatre<br />

légions. »<br />

(68) (Erat multo inferior numero nauium Brutus.) Sed electos ex omnibus legionibus<br />

fortissimos uiros, antesignanos, centuriones Caesar ei classi attribuerat qui sibi<br />

id muneris depoposcerant. (Caes., Ciu. 1.57.1)<br />

« (La flotte de Brutus était très inférieure en nombre.) Mais César avait ajouté à<br />

cette flotte des hommes choisis dans toutes les légions, des gens très vigoureux,<br />

des troupes d’élite, des centurions, qui l’avaient eux-mêmes demandé. »<br />

84 Voir Cic., Tusc. 3.35.<br />

265


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Huic en (67) topicalise Q. Cassium, donné comme saillant dans la phrase précédente.<br />

En revanche, en (68), le contexte d’avant concerne Brutus ; ei classi à la place<br />

préverbale n’est pas le topique, mais est dépourvu de fonction pragmatique. Les objets<br />

directs énumérés et placés en tête de la phrase (uiros, antesignanos, centuriones)<br />

fonctionnent comme focus ; on notera la relative en qui qui apporte une information<br />

complémentaire.<br />

Le verbe praeficio « préposer » (8 occ.) se rencontre surtout dans la prose<br />

historique dans les phrases reposant sur la question sous-jacente quem ?, par exemple :<br />

(69) His castris Curionem praefecit. (Caes., Ciu. 1.18.5)<br />

« Il nomma Curion au commandement de ce camp. »<br />

(70) (Pecuniam omnem… in oppidum Gadis contulit…) Gaiumque Gallonium,<br />

equitem Romanum, familiarem Domiti qui… oppido Gadibus praefecit… (Caes.,<br />

Ciu. 2.18.2)<br />

« (Il fit transporter tout l’argent… dans la ville de Gadès…) et nomma au<br />

commandement de la ville de Gadès C. Gallonius, un chevalier romain, ami<br />

intime de Domitius, qui… »<br />

Les compléments au datif sont contextuellement liés, les compléments à<br />

l’accusatif peuvent être liés Ŕ tel Curionem en (69) Ŕ, ou indépendants (Gaium<br />

Gallonium). Fonctionnant comme focus, l’actant 2 se rencontre devant le verbe (5 occ.),<br />

ou à l’initiale (1 occ.). Dans l’ensemble des œuvres de César, de Salluste et de Cicéron,<br />

nous avons noté un exemple (71) de la disposition reposant sur la question cui ? :<br />

Decimus Brutus est indépendant du contexte, aussi bien que la flotte. Dans le passage<br />

donné, César nous informe quel commandant reçoit quelle troupe.<br />

(71) Decimum Brutum adulescentem classi Gallicisque nauibus, quas ex Pictonibus<br />

et Santonis reliquisque pacatis regionibus conuenire iusserat, praeficit et…<br />

(Caes., Gall. 3.11.5)<br />

« Il donne au jeune D. Brutus le commandement de la flotte et des vaisseaux<br />

gaulois qu’il avait fait venir de chez les Pictons et les Santons et autres régions<br />

pacifiées… »<br />

5.8. Le verbe appello<br />

Le verbe appello offre quelques occurrences (au nombre de cinq), fort<br />

intéressantes, car il s’agit d’emplois avec un objet direct et un attribut.<br />

(72) Omnis autem perturbationes animi morbos philosophi appellant negantque…<br />

(Cic., Tusc. 3.9)<br />

« Or, tous les troubles de l’âme, les philosophes les qualifient de maladies, et ils<br />

nient… » (trad. C.U.F.)<br />

(73) Qui est enim animus in aliquo morbo – morbos autem hos perturbatos motus, ut<br />

modo dixi 85 , philosophi appellant Ŕ… (Cic., Tusc. 3.10)<br />

85 Haec enim fere sunt eius modi, quae Graeci pa/qh appellant ; ego poteram ‘morbos’… (Cic., Tusc. 3.7)<br />

« Car c’est bien là ce que les Grecs appellent pa/qh, et j’aurais pu dire maladies… »<br />

266


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« En effet l’âme atteinte d’une maladie Ŕ et, je viens de le dire, les philosophes<br />

appellent maladie les mouvements désordonnés dont nous parlions. » (trad.<br />

C.U.F.)<br />

Dans le premier cas, l’objet direct (omnes perturbationes, avec l’emphase sur<br />

omnes) est placé en premier, l’attribut (morbos) vient après, sans toutefois être<br />

directement attaché au verbe appellant à cause de la présence de philosophi. La<br />

configuration en (73), avec l’attribut en tête de phrase, se justifie par le fait qu’il s’agit<br />

d’une explication complémentaire de morbo, d’un rappel de ce qui a été dit auparavant.<br />

On notera également le placement de appellarunt entre l’actant 2 et l’attribut,<br />

porteur de focus en (74) :<br />

(74) His rebus mentem uacuam appellarunt insaniam, propterea quod… (Cic., Tusc.<br />

3.9)<br />

« L’état de la pensée où ces qualités faisaient défaut, ils l’ont appelé insania,<br />

parce que… »<br />

6. LE PASSIF<br />

6.1. Introduction<br />

Le passif personnel consiste en une réduction de l’actant 1 et peut concerner les<br />

verbes bivalents transitifs aussi bien que les verbes trivalents transitifs. J. N. Adams<br />

(1976b : 121 sqq., cf. 1976a : 95) a le mérite d’avoir signalé la fréquence de l’ordre<br />

verbe > sujet dans des textes tardifs et de l’avoir mise sur le compte de l’organisation<br />

pragmatique de la phrase en ce sens que le sujet, placé à droite dans la phrase,<br />

représente l’information nouvelle. Les investigations de D. Panhuis (1984b) vont dans<br />

le même sens : dans la prose historique, le passif est un moyen utilisé pour des<br />

changements de topique et le sujet, en tant qu’élément nouveau, peut occuper une place<br />

à droite de la phrase. M. Bolkestein (1996b : 19) a montré pour le latin classique qu’au<br />

passif, l’ordre verbe > sujet se rencontre plus fréquemment qu’à l’actif 86 (cf. également<br />

Risselada, 1991). En outre, cette disposition est en corrélation avec les fonctions<br />

introductoire et annonciatrice de l’ordre verbe > sujet, décrites dans son article.<br />

Cependant, les sujets dans la disposition sujet > verbe sont susceptibles également<br />

d’apporter l’information nouvelle (Bolkestein, 1995 : 39 sq.) 87 .<br />

Dans cette section, nous nous interrogerons sur le statut contextuel des sujets<br />

dans les constructions passives (§ 6.2-3) et analyserons les principales fonctions<br />

pragmatiques des exemples relevés dans le corpus. Des verbes de sémantisme varié<br />

seront considérés ensemble bien qu’un groupement qui sépare les verbes d’action<br />

(comme interfectus est) des verbes d’événement (inuentus est, factus est…) conduise à<br />

des résultats statistiques plus tranchés 88 . La dernière section (§ 6.4) sera consacrée aux<br />

formes analytiques du parfait passif et sera accompagnée d’une brève comparaison avec<br />

le parfait des verbes déponents.<br />

86 À la voix active, l’ordre sujet > verbe atteint 93 %, l’ordre verbe > sujet 7 %, alors qu’à la voix passive,<br />

le pourcentage est de 75 % pour sujet > verbe et 25 % pour verbe > sujet (Bolkestein, 1996b : 19).<br />

87 Sur le passif, cf. également l’article de H. Pinkster (1985).<br />

88 Voir <strong>Spevak</strong> (2005a : 251 sq.) sur le passif dans l’Itinerarium Egeriae, et cf. Adams (1976b : 122).<br />

267


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

6.2. Les données<br />

La place occupée par l’actant 2 89 nominal, animé ou inanimé, par rapport au<br />

verbe est indiquée dans les deux tableaux suivants.<br />

Tableau 1 : Le passif : actant 2 nominal animé, dépendant ou indépendant du contexte<br />

(corpus)<br />

Modèle César Salluste Cicéron Total<br />

A2 V dépendant 12 4 6 22 32 %<br />

indépendant 12 1 15 28 41 %<br />

V A2 dépendant 2 1 0 3 4 %<br />

indépendant 10 2 4 16 23 %<br />

Total 36 8 25 69 100 %<br />

Tableau 2 : Le passif : actant 2 nominal inanimé, dépendant ou indépendant du contexte<br />

(corpus)<br />

Modèle César Salluste Cicéron Total<br />

A2 V dépendant 25 3 24 52 31 %<br />

indépendant 39 8 38 85 50 %<br />

V A2 dépendant 2 0 3 5 3 %<br />

indépendant 7 0 21 28 16 %<br />

Total 73 11 86 170 100 %<br />

Comme on peut l’observer, les actants 2 inanimés sont beaucoup plus nombreux<br />

que les actants 2 animés (170 vs. 69 occ.). L’actant 2 d’un verbe au passif est le plus<br />

souvent contextuellement indépendant ; il manifeste une tendance à précéder (41 et 50<br />

%) le verbe mais il peut également le suivre (23 et 16 %). Cette dernière donnée mérite<br />

notre attention : on notera le nombre d’actants 2 animés chez César (10 occ.) et<br />

d’actants 2 inanimés chez Cicéron (21 occ.). En revanche, les actants 2, animés et<br />

inanimés, dépendants du contexte se positionnent régulièrement à une première position<br />

dans la phrase (32 et 31 %) ; ils apparaissent rarement après le verbe (4 et 3 %).<br />

6.3. L’analyse des données<br />

6.3.1. Actant 2 indépendant du contexte<br />

On a vu que la disposition actant 2 > verbe se rencontre le plus fréquemment.<br />

Deux exemples typiques sont donnés en (1) et (2), avec des sujets indépendants, l’un<br />

animé (L. Pupius), l’autre inanimé. Les phrases répondent respectivement aux questions<br />

quis ? et quid ? On notera la place préverbale dans le premier cas, et initiale dans le<br />

second :<br />

(1) … reliqui ad Caesarem perueniunt atque una cum iis deprensus L. Pupius, primi<br />

pili centurio, adducitur qui hunc eundem ordinem in exercitu Cn. Pompei antea<br />

duxerat. (Caes., Ciu. 1.13.4)<br />

« … les autres vont trouver César, et en même temps qu’eux est amené un<br />

prisonnier, L. Pupius, centurion primipile, qui avait déjà eu ce même grade dans<br />

l’armée de Cn. Pompée. »<br />

89 Le sujet d’une construction passive est nommé actant 2 (cf. Pinkster, 1995 : 25 sq.).<br />

268


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(2) Duae primum trabes in solo aeque longae distantes inter se pedes IIII<br />

conlocantur inque eis columellae pedum in altitudinem V defiguntur. (Caes.,<br />

Ciu. 2.10.2)<br />

« Tout d’abord, on pose sur le sol deux pièces de bois d’égale longueur, à quatre<br />

pieds de distance l’une de l’autre, et on y fixe des piliers de cinq pieds de<br />

hauteur. »<br />

Cicéron, en particulier dans ses Tusculanes et dans ses discours, introduit des<br />

exemples pour appuyer son argumentation et évoque des cas précédents pour montrer ce<br />

qui est arrivé auparavant à quelqu’un. Il s’agit de phrases où tout est nouveau 90 et<br />

l’actant 2, indépendant du contexte, figure en tête. Le sujet ainsi posé, l’information<br />

véhiculée est « que lui est-il arrivé ? », par exemple :<br />

(3) M. Flaccus quia cum C. Graccho contra salutem rei publicae fecerat, ex senatus<br />

sententia est interfectus, eius domus euersa et publicata est. (Cic., Dom. 102)<br />

« M. Flaccus, pour avoir conspiré avec C. Gracchus contre la sûreté de l’État, fut<br />

mis à mort en vertu d’un sénatus-consulte ; sa maison fut démolie et<br />

confisquée. » (trad. C.U.F.)<br />

Les actants 2 contextuellement indépendants peuvent se rencontrer à droite de la<br />

phrase dans l’ordre verbe > actant 2, comme le montrent les exemples (4) et (5). Les<br />

verbes au passif ne sont pas nécessairement pourvus d’un sémantisme faible (facio,<br />

habeo…) mais il s’agit assez souvent de verbes d’action comme creantur (4) ou datur<br />

(5) :<br />

(4) Dictatore habente comitia Caesare, consules creantur Iulius Caesar et P.<br />

Seruilius. (Caes., Ciu. 3.1.1)<br />

« Pendant que César préside les comices en qualité de dictateur, Jules César et P.<br />

Servilius sont élus comme consuls. »<br />

(5) Vbi id a Caesare negatum et palam si conloqui uellent concessum est, datur<br />

obsidis loco Caesari filius Afrani. (Caes., Ciu. 1.84.2)<br />

« Lorsque César a refusé cette proposition et a consenti de les entendre<br />

publiquement, on lui donne alors comme otage le fils d’Afranius. »<br />

Les sujets à la place postverbale apparaissent dans des énumérations (4). En<br />

outre, il s’agit d’un bilan des pertes pendant une bataille tout comme en (6) ; le<br />

constituant ex Afranianis est déductible et contrastif par rapport à nostri ; de même, le<br />

verbe interficiuntur découle du contexte :<br />

(6) (Nostri… LXX ceciderunt…) Ex Afranianis interficiuntur T. Caecilius, primi pili<br />

centurio et praeter eum centuriones IIII, milites amplius CC. (Caes., Ciu. 1.46.5)<br />

« (Nous perdîmes… environ soixante-dix hommes…) Parmi les Afraniens sont<br />

tués T. Cécilius, centurion primipile, quatre autres centurions et au moins deux<br />

cents soldats. »<br />

Les sujets se placent après le verbe lorsqu’ils sont amplement développés et<br />

présentés comme une addition (7) ; on notera la présence de etiam et l’expression<br />

explicitement indéfinie, quaedam, auprès de fabella (8).<br />

90 Elles ne se limitent naturellement pas au passif.<br />

269


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(7) Subicitur etiam L. Metellus tribunus plebis ab inimicis Caesaris qui hanc rem<br />

distrahat. (Caes., Ciu. 1.33.3)<br />

« De plus, L. Métellus, tribun de la plèbe, est suscité par les adversaires de César<br />

pour écarter ce projet. »<br />

(8) Adfertur etiam de Sileno fabella quaedam ; qui cum a Mida captus esset…<br />

(Cic., Tusc. 1.114)<br />

« On allègue aussi certaine histoire concernant Silène. Ayant été capturé par<br />

Midas… »<br />

6.3.2. Actant 2 dépendant du contexte<br />

Liés au contexte, les actants 2 occupent le plus souvent une place à gauche de la<br />

phrase et fonctionnent comme topique. Par exemple, M. Cato en (9) et hoc consilium en<br />

(10) :<br />

(9) Sic M. Cato inuisus quasi per beneficium Cyprum relegatur. (Cic., Dom. 65)<br />

« Ainsi M. Caton, odieux, est relégué à Chypre apparemment par faveur. »<br />

(10) Hoc consilium Caesaris plerisque non probabatur. (Caes., Ciu. 1.72.4)<br />

« Cette proposition de César était désapprouvée par la plupart. »<br />

Des sujets contextuellement liés peuvent apparaître à une place à droite dans la<br />

phrase. Les exemples (11) et (12) montrent le focus sur le verbe (question « que se<br />

passe-t-il ? »). L’expression du sujet animé, Varus, semble être un simple rappel, car ce<br />

personnage représente le topique du paragraphe.<br />

(11) (Varus… profugit. Hunc… Caesaris milites consistere coegerunt.) Commisso<br />

proelio deseritur a suis Varus. (Caes., Ciu. 1.13.4)<br />

« (…Varus s’enfuit… Quelques soldats de César… l’obligèrent de s’arrêter.) Le<br />

combat engagé, Varus est abandonné par les siens. »<br />

(12) Producitur tamen res aciesque ad solis occasum continentur inde utrique in<br />

castra discedunt. (Caes., Ciu. 1.83.3)<br />

« Cependant, les choses traînent et les deux armées sont maintenues en position<br />

jusqu’au coucher du soleil. » (trad. C.U.F.)<br />

6.3.3. D’autres dispositions<br />

Il convient de mentionner que le focus peut concerner un autre constituant. Voici<br />

un exemple pour l’illustrer avec un complément d’agent : l’information surprenante y<br />

est a P. Rutilio legato (focus contrastif) car on attendrait que ce soit Métellus qui<br />

transmette l’armée à Marius :<br />

(13) Exercitus ei traditur a P. Rutilio legato ; nam Metellus conspectum Mari<br />

fugerat… (Sall., Iug. 86.5)<br />

« L’armée lui est remise par le lieutenant P. Rutilius ; en effet, Métellus avait<br />

évité la présence de Marius… »<br />

L’analyse des valeurs pragmatiques des phrases renfermant un passif n’a<br />

présenté jusqu’ici que celles qui comportent un sujet nominal exprimant une entité<br />

animée ou inanimée. Le corpus nous a également offert un nombre de sujets<br />

pronominaux dont nous ne citerons que quelques exemples.<br />

270


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Les sujets exprimés par des anaphoriques fonctionnent comme topique (14) ou<br />

reprennent une information connue (15). On remarquera qu’en (15), la proposition nous<br />

informe sur la personne à qui (Curioni) le message a été annoncé. Cette phrase signale<br />

un changement de topique du discours ; le contexte d’après concernera en effet Curion.<br />

(14) Dolabella me sibi legauit A. d. III Non. Id mihi heri uesperi nuntiatum est.<br />

(Cic., Att. 15.11.4)<br />

« Le 3, Dolabella m’a nommé son légat ; on me l’a annoncé hier soir. »<br />

(15) (Quae res eorum perterritos animos confirmauit.) Nuntiabantur haec eadem<br />

Curioni sed aliquamdiu fides fieri non poterat. (Caes., Ciu. 2.37.1)<br />

« (À cette nouvelle, les esprits effrayés reprirent courage.) Les mêmes<br />

renseignements étaient donnés à Curion, mais pendant quelque temps, il ne<br />

pouvait y croire. »<br />

Les sujets tels que omnes, multi, plures… figurent généralement à l’initiale.<br />

Cependant, il est intéressant de mentionner les exemples comme (16), comportant le<br />

mot négatif nemo, fonctionnant comme focus à la fin de la phrase (2 occ.) :<br />

(16) Itaque hoc qui postularet reperiebatur nemo. (Caes., Ciu. 3.20.4)<br />

« Voilà pourquoi, pour faire une pareille réclamation, on ne trouvait personne. »<br />

6.4. Les formes analytiques du passif<br />

Étant composé d’un participe passé passif et du verbe auxiliaire sum, le parfait et<br />

le plus-que-parfait du passif représentent des formes analytiques. Bien que ces deux<br />

composantes fonctionnent comme une unité, le verbe auxiliaire n’est pas porteur de<br />

focus à lui seul, sauf dans des cas particuliers de focalisation sur l’expression du temps<br />

(cf. Marouzeau, 1938 : 24) 91 . Cependant, le participe et l’auxiliaire ne manifestent pas<br />

un ordre fixe, comme l’ont déjà fait remarquer Jules Marouzeau (1938 : 23 sq.), pour<br />

lequel le groupe participe + sum obéit aux mêmes règles que l’attribut + sum, et F. Hoff<br />

(1996). Traditionnellement, l’ordre factus est est considéré comme « normal », l’ordre<br />

est factus comme « marqué » (Marouzeau, ibid. ; Szantyr, 1972 : 403). Pour James<br />

Adams (1994a : 40 sqq.), est s’attache, dans les cas de disjonctions, à un terme « fort »<br />

(ou « emphatique »), par exemple à un membre d’antithèse, à un mot négatif, à un<br />

démonstratif… ; les variations factus… est et est… factus restent toutefois difficiles à<br />

expliquer. François Hoff (1996), qui a par ailleurs étudié l’état de la question 92 , s’est<br />

concentré tout particulièrement sur la séquence factus… est, très peu fréquente par<br />

rapport aux autres configurations 93 . En comparaison avec son analyse, nous allons,<br />

d’une part, inclure l’emploi du participe seul sans le verbe auxiliaire afin d’évaluer sa<br />

fréquence, d’autre part, observer la capacité du participe et de l’auxiliaire à occuper les<br />

places initiale et finale de la phrase. Les données qui seront présentées dans cette<br />

91 Il introduit comme exemple : Est istuc datum profecto. (Ter., Eun. 395). « C’est vraiment chez moi un<br />

don. » Or on ne peut pas considérer tout auxiliaire en tête de la phrase comme porteur du focus (cf. cidessous,<br />

§ 6.4.2). La même réserve vaut pour le participe : tout participe n’est pas focal. Ainsi, la<br />

constatation que « factus est sert à définir l’action, est factus sert à affirmer ou à confirmer la réalité de<br />

l’action » (Marouzeau, 1910 : 113) ne s’applique qu’à une partie des emplois.<br />

92 F. Hoff (1996 : 373) se réfère également à l’ouvrage de W. S. Vogel (1938), qui classe les positions de<br />

sum selon la forme monosyllabique ou non du verbe, et selon sa position finale ou non. Or, aucune<br />

régularité perceptible ne se dégage.<br />

93 Or selon nous, si cette séquence est peu fréquente, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle est<br />

« interdite ».<br />

271


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

section ont été puisées dans la Base de données des lemmes latins du LASLA 94 ; seules<br />

les occurrences de l’indicatif dans la proposition « principale » ont été prises en<br />

considération.<br />

6.4.1. Les données<br />

Le placement du participe et du verbe auxiliaire est considéré dans les<br />

combinaisons conjointes (de type factus est et est factus) ainsi que disjointes (factus…<br />

est et est… factus) ; le participe seul (factus) est également inclus. Le tableau suivant 95<br />

réunit les résultats, avec l’indication du nombre d’occurrences à l’initiale (I) et à la<br />

finale (F) de la phrase :<br />

Tableau 3 : Le parfait passif : placement du participe et du verbe auxiliaire (LASLA)<br />

factus est factus… est est factus est… factus factus Total<br />

Combinaison occ. dont occ. dont occ. dont occ. dont occ. dont<br />

I F I F I F I F I F<br />

Caes., Ciu. 31 3 7 2 0 1 23 2 6 8 0 5 12 1 3 76<br />

Sall., Iug. 31 0 12 2 0 1 0 0 0 0 0 0 60 0 1 93<br />

Cic., De off. 42 0 12 12 2 2 10 0 3 14 0 3 8 0 1 86<br />

Cic., Dom. 15 1 4 3 2 1 12 1 1 6 0 1 5 0 0 41<br />

Cic. Phil.1-4 31 1 6 7 0 0 10 0 1 6 1 1 18 1 7 72<br />

Total 150 5 41 26 4 5 55 3 11 34 1 10 103 2 12 368<br />

Pourcentage 41% 7% 15% 9% 28% 100%<br />

La séquence participe + auxiliaire de type factus est est la plus fréquente dans<br />

chaque œuvre Ŕ à l’exception de Salluste qui fait assez souvent l’ellipse du verbe<br />

auxiliaire (factus). On remarquera au passage l’uniformité chez Salluste 96 : ses choix se<br />

limitent à l’ordre factus est 97 , qui ne figure jamais à l’initiale, et à l’emploi du participe<br />

seul ; les autres auteurs, en revanche, ont recours à des variations importantes.<br />

L’ordre est factus atteint un pourcentage élevé (15 %), et dans le discours De<br />

domo sua de Cicéron, il concurrence fortement factus est (12 : 15 occurrences). Il est<br />

intéressant de noter qu’à la fin de la phrase, la séquence …factus est se rencontre<br />

globalement plus souvent que …est factus (41 vs. 11 occurrences), mais le nombre de<br />

cas est pratiquement le même chez César (7 vs. 6 occurrences). S’il n’est point étonnant<br />

de trouver Factus est à l’initiale d’une phrase (5 occurrences, à noter également<br />

Factus… est disjoint, 4 occ.), on s’attend moins à des phrases ouvertes par l’auxiliaire<br />

de type Est factus (3 occurrences ; de même, Est… factus disjoint, 1 occurrence).<br />

Les disjonctions de type factus… est ainsi que est… factus se rencontrent chez<br />

César et Cicéron, et représentent 7 % et 9 % respectivement. Le participe peut occuper<br />

94 Toutes les œuvres de notre corpus ne sont pas disponibles sur cette base ; nous avons effectué une<br />

sélection représentative pour le latin classique.<br />

95 En combinant les données concernant le parfait passif (tableau 1) et le déponent (tableau 2, voir cidessous,<br />

§ 6.4.3), sans considération du participe seul, on obtiendrait le pourcentage suivant : factus est 61<br />

%, est factus 20 %, factus… est 8 %, est… factus 11%. Nos résultats s’accordent, dans les grandes lignes,<br />

avec ceux obtenus par F. Hoff (1996 : 374) qui relève, pour le parfait passif et le déponent chez César, la<br />

Guerre des Gaules, le pourcentage suivant : factus est 48 %, est factus 33 %, factus… est 4 %, est…<br />

factus 14 %.<br />

96 Nous constatons avec étonnement que les analyses avec orientation typologique de l’ordre des<br />

constituants se concentrent, pour ainsi dire, sur César alors que Salluste offre encore moins de variations.<br />

Les différences entre César et Salluste ont été déjà signalées par Vogel (1938 : 66).<br />

97 L’unique occurrence de l’ordre inverse dans Salluste est …sum secutus (Cat. 35, 4), placé en fin de<br />

phrase.<br />

272


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

la position initiale ou finale, aussi bien que, dans une moindre mesure, le verbe<br />

auxiliaire.<br />

6.4.2. Analyse des données<br />

L’examen des occurrences relevées permet de formuler quelques observations<br />

concernant le placement du participe et de l’auxiliaire.<br />

1° Le verbe, placé en tête de la phrase, peut découler du contexte, comme<br />

interfectus est en (17) 98 ; en effet, l’auteur dresse le bilan d’une bataille et fait état des<br />

pertes. De même, l’apparition en tête de la phrase de pugnatum est (3 occ. chez César),<br />

exemple (18) s’explique non pas parce que cette position signale le début de la<br />

description d’une bataille (Luraghi, 1995 : 372 ; cf. Marouzeau, 1938 : 78), mais parce<br />

que le verbe découle du contexte immédiatement précédent (confligunt « ils engagent la<br />

bataille » implique pugnatum est) 99 , comme l’ont déjà fait remarquer Kühner et<br />

Stegmann (1914, II : 600). Les informations saillantes sont, dans ces cas, Crastinus<br />

(question quis ?) et fortissime atque acerrime (question quo modo ?). Avec l’auxiliaire<br />

en tête, la phrase présente un contenu entièrement nouveau 100 , comme en (19) est<br />

inuentus 101 . L’élément saillant y est tribunus plebis. En d’autres termes, les verbes en<br />

(17-19) n’ont rien de focal ni d’emphatique :<br />

(17) (In eo proelio non amplius ducentos milites desiderauit…) Interfectus est etiam<br />

fortissime pugnans Crastinus, cuius mentionem supra fecimus, gladio in os<br />

aduersum coniecto. (Caes., Ciu. 3.99.2)<br />

« (Dans cette bataille, il ne perdit pas plus que deux cents soldats…) Il fut tué<br />

aussi Crastinus, dont nous avons fait mention plus haut, en combattant avec une<br />

bravoure héroïque, d’un coup d’épée lancé en plein visage. »<br />

(18) (…cum Massiliensibus confligunt.) Pugnatum est utrimque fortissime atque<br />

acerrime… (Caes., Ciu. 1.57.3)<br />

« (... ils engagent la bataille avec les Marseillais). On combattit de part et d’autre<br />

avec beaucoup de courage et d’acharnement… » (trad. C.U.F.)<br />

(19) Est inuentus tribunus plebis qui, consularibus copiis instructus, omni impetu<br />

furoris in eum ciuem inruerit quem… (Cic., Dom. 119)<br />

« Il s’est trouvé un tribun de la plèbe qui, soutenu par les forces des consuls,<br />

s’est rué, de toute l’impétuosité de sa fureur, contre un citoyen que… »<br />

Or, placé en tête de la phrase, le participe peut également être mis en contraste (cf.<br />

Marouzeau, 1953 : 38), comme l’illustre bien l’exemple suivant (il s’agit d’une<br />

métaphore) :<br />

98<br />

Cf. encore desiderati sunt (Caes., Ciu. 1.51.6) et pugnatum est (Caes., Gall. 3.21.1 et 4.26.1), parmi<br />

d’autres exemples.<br />

99<br />

Cf. Kühner et Stegmann (1914, II : 600) qui font remarquer que pugnatum est renoue avec confligunt<br />

immédiatement précédent.<br />

100<br />

Cf. également est animaduersum (Caes., Ciu. 2.8.1).<br />

101<br />

Mais cf. inuentus est : (Erant in magna potentia qui consulebantur…) Inuentus est scriba quidam Cn.<br />

Flauius qui cornicum oculos confixerit et singulis diebus discendis fastos populo proposuerit (Cic., Mur.<br />

25) « (Une grande autorité s’attachait alors aux interprètes de droit…) Mais il s’est trouvé un certain<br />

greffier, nommé Cn. Flavius pour crever, comme l’on dit, les yeux aux corneilles. Afin que le peuple<br />

retînt la nature de chacun de ces jours, il lui révéla le calendrier… ». Il se peut que le participe y soit<br />

porteur d’une emphase afin de souligner la ruse du greffier (scriba).<br />

273


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(20) Excisa enim est arbor, non euulsa ; itaque quam fruticetur uides. (Cic., Att.<br />

15.4.2)<br />

« L’arbre a été coupé, et non extirpé ; aussi, tu vois comme il fructifie. »<br />

2° Pour J. Marouzeau (1938 : 26), les disjonctions de type factus… est soulignent l’idée<br />

exprimée par le participe. Les éléments intervenant entre le participe et l’auxiliaire dans<br />

la séquence de type factus… est ont été étudiés en particulier par F. Hoff (1996 : 377<br />

sq.). Il a observé qu’il s’agit de propositions brèves, constituées de trois ou quatre<br />

éléments ; les coordonnants et les connecteurs mis à part, l’élément inséré entre le<br />

participe et l’auxiliaire est un adverbe, complétant le participe, ou un sujet. Or si F. Hoff<br />

a minutieusement décrit la séquence factus… est, on peut se demander également quels<br />

éléments produisent la disjonction dans est… factus. Selon nos données 102 , factus… est<br />

est certes la solution la moins fréquente mais son nombre d’occurrence ne diffère pas<br />

sensiblement de est… factus.<br />

La disjonction produite par le sujet 103 (8 occ.) concerne surtout les sujets<br />

contextuellement non liés comme tabula en (21), lapidatio en (22) ou genus radicis (23)<br />

qui véhiculent une information nouvelle. En outre, il s’agit de phrases présentatives :<br />

(21) Nuper fixa tabula est qua ciuitates locupletissimae Cretensium uectigalibus<br />

liberantur. (Cic., Phil. 2.97)<br />

« Récemment a été affichée une tablette, qui affranchit de leurs redevances les<br />

cités les plus riches de la Crète. »<br />

(22) Non est satis : facta lapidatio est. (Cic., Dom. 12)<br />

« Ce n’est pas tout : il y eut jet de pierres. »<br />

(23) Est autem genus radicis inuentum ab eis, qui fuerant uacui ab operibus, quod<br />

appellatur chara… (Caes., Ciu. 3.48.1)<br />

« Mais il a été découvert, par des troupes auxiliaires, une espèce de racine<br />

appelée chara… »<br />

Un autre élément (24-25) peut intervenir entre le participe et l’auxiliaire, de même,<br />

plusieurs constituants (26). En (24), le focus est porté sur la modalité de l’action<br />

(tanta… contentione), en (25), sur la direction (ad templum Concordiae), et non pas sur<br />

l’action elle-même. En revanche, le participe appellatus (26), en fin de proposition,<br />

contraste avec iudicatus.<br />

(24) Itaque tanta est contentione actum, quanta agi debuit… (Caes., Ciu. 3.111.5)<br />

« Aussi mit-on à la lutte tout l’acharnement qu’on y devait mettre…» (trad.<br />

C.U.F.)<br />

(25) Nam cum ingrauesceret annona…, concursus est ad templum Concordiae<br />

factus, senatum illuc uocante Metello consule. (Cic., Dom. 11)<br />

« Comme la crise devenait plus aiguë…, on se rendit en foule au temple de la<br />

Concorde, où le consul Métellus avait convoqué le sénat. » (trad. C.U.F.)<br />

102 Cf. tableau 1 et 2 ainsi que la note 37.<br />

103 La disjonction par le sujet, signalée par Kühner et Stegmann (1914, II : 603) ne nous semble pas, à la<br />

différence de F. Hoff (1996 : 376 sq.), représenter une rareté. Il convient de souligner que le sujet s’insère<br />

non seulement dans la séquence factus… est mais également dans est… factus.<br />

274


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(26) Nam est hostis a senatu nondum uerbo appellatus, sed re iam iudicatus<br />

Antonius. (Cic., Phil. 4.1)<br />

« Car Antoine n’a pas encore été déclaré explicitement ennemi public par le<br />

Sénat, mais il a déjà été jugé tel en fait. »<br />

On comparera enfin les dispositions citées en (27) et (28). En dressant le bilan d’une<br />

bataille, l’auteur nous informe sur le nombre d’enseignes (signa, déductible du<br />

contexte) apportées ; ce nombre représente le focus de la phrase et se retrouve à la place<br />

préverbale et postverbale respectivement :<br />

(27) …signaque sunt militaria sex relata. (Caes., Ciu. 3.53.1)<br />

« ... et six enseignes militaires ont été rapportées. »<br />

(28) …signaque militaria ex proelio ad Caesarem sunt relata CLXXX et aquilae<br />

VIIII. (Caes., Ciu. 3.99.4)<br />

« ...et 180 enseignes militaires et 9 aigles ont été rapportées à César après la<br />

bataille. »<br />

3° Les exemples précités montrent que le participe et l’auxiliaire peuvent occuper<br />

des places variées et que, les cas du contraste (29) et (30) mis à part, les verbes ne sont<br />

pas porteurs de focus. Il convient de se concentrer maintenant sur la place finale de la<br />

phrase et sur les séquences factus est et est factus dont la première, on l’a vu, est<br />

statistiquement la plus fréquente. Il semble difficile de distinguer quelle nuance sépare<br />

les deux ordres. Cependant, considérons les exemples suivants :<br />

(29) Quibus submotis omnes sagittarii funditoresque destituti inermes sine praesidio<br />

interfecti sunt. (Caes., Ciu. 3.93.7)<br />

« Eux partis, tous les archers et les frondeurs, restés sans défense, sans<br />

protection, furent tués. »<br />

(30) L. Domitius ex castris in montem refugiens, cum uires eum lassitudine<br />

defecissent, ab equitibus est interfectus. (Caes., Ciu. 3.99.5)<br />

« L. Domitius, fuyant le camp pour se réfugier dans la montagne, alors que ses<br />

forces l’abandonnaient sous l’effet de la fatigue, fut tué par les cavaliers. »<br />

La différence entre (29) et (30) ne semble pas résider en ce que l’un ou l’autre se<br />

rencontre à la fin d’une section, représentée par exemple par un paragraphe. La phrase<br />

en (29) nous dit ce qui s’est passé Ŕ les archers et les frondeurs ont été massacrés<br />

(interfecti sunt), le focus est porté sur l’action 104 . En revanche, en (30), on apprend<br />

comment ou par qui L. Domitius a été tué 105 . En effet, le contexte d’avant parle des<br />

pertes de Pompeius (suite directe de aquilae VIIII cité plus haut, exemple 28).<br />

L’examen des exemples attestés de ce type porte à conclure que si les modalités ou les<br />

circonstances de l’action sont exprimées, le passif analytique se rencontre dans l’ordre<br />

auxiliaire > participe. Il convient d’introduire davantage d’exemples pour illustrer le fait<br />

que l’ordre factus est semble être choisi là où l’action elle-même est exprimée, quand<br />

104 Cf. également, avec deux actions coordonnées : (frater) incitato equo se hostibus obtulit atque<br />

interfectus est. (Caes., Gall. 4.12.6) « Son frère se jeta au galop sur l’ennemi et se fit tuer aussi. »<br />

105 Chez César, on relève quatre occurrences de type est interfectus si le complément d’agent est exprimé.<br />

Cf. également : M. Flaccus… ex senatus sententia est interfectus. (Cic., Dom. 102) « M. Flaccus… fut<br />

mis à mort en vertu d’un sénatus-consulte. »<br />

275


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

l’ordre est factus apparaît lorsqu’un autre constituant qui spécifie l’action est présent<br />

(cf. Marouzeau, 1938 : 26) 106 :<br />

(31) … atque ibi reliqua pars exercitus dimissa est. (Caes., Ciu. 1.87.5)<br />

« … et là, le reste de l’armée fut licencié. »<br />

(32) Multa autem de hoc genere scripta sunt. (Cic., Att. 16.7.3)<br />

« Or beaucoup a été écrit sur cette question. »<br />

(33) … subito ui uentorum et aquae magnitudine pons est interruptus et reliqua<br />

multitudo equitum interclusa. (Caes., Ciu. 1.40.3)<br />

« … tout à coup, sous la violence du vent et l’effet d’une forte crue, le pont fut<br />

rompu, et une bonne partie de la cavalerie fut séparée. »<br />

(34) Pompeio, nostro familiari, cum grauiter aegrotaret Neapoli, melius est factum.<br />

(Cic., Tusc. 1.86)<br />

« Pompée, mon ami intime, se trouvait à Naples gravement malade, quand un<br />

mieux se fit sentir. » (trad. C.U.F.)<br />

On comparera également pugnatum est et est pugnatum 107 :<br />

(35) Eodem tempore duobus praeterea locis pugnatum est. Nam plura castella<br />

Pompeius pariter distinendae manus causa temptauerat. (Caes., Ciu. 3.52.1)<br />

« Le même jour, on combattit encore sur deux autres points. Car Pompée avait<br />

tenté l’attaque à la fois sur plusieurs fortins pour diviser nos forces. »<br />

(36) (Erat obiectus portis ericius.) Hic paulisper est pugnatum, cum inrumpere<br />

nostri conarentur, illi castra defenderent. (Caes., Ciu. 3.67.5)<br />

« (Il y avait pour barrer les portes un cheval de frise.) On combattit quelques<br />

instants à cet endroit ; lorsque nos troupes cherchaient à forcer l’entrée, l’ennemi<br />

défendait le camp. »<br />

Bien qu’il soit difficile d’opposer ces deux configurations, dans le premier cas, on<br />

apprend ce qui s’est passé là-bas, dans le second, ce qui s’est passé ensuite.<br />

4° Chez Salluste, c’est le participe seul qui est souvent employé, placé en fin de<br />

phrase, comme l’illustre l’exemple (37). L’action représente le focus (question « que<br />

s’est-il passé ? ») et le participe seul semble être un équivalent de fusi fugatique sunt :<br />

(37) Amisso loco Numidae fusi fugatique. (Sall., Iug. 52.4)<br />

« Chassés de cette position, les Numides furent dispersés et mis en déroute. »<br />

6.4.3. Les verbes déponents<br />

Comme les verbes déponents présentent des affinités morphologiques avec le<br />

passif, il convient d’examiner le placement de leurs participes et auxiliaires. Les<br />

résultats sont réunis dans le tableau ci-dessous :<br />

106 Cf. l’observation de J. Marouzeau à propos de : Per ecastor scitus puer est natus Pamphilo. (Ter.,<br />

Andr. 486) « C’est un bien bel enfant, par Castor, qui est né à Pamphile. » ; il interprète l’ordre est natus<br />

comme résultant de l’insistance portée sur la qualité (scitus).<br />

107 Chez César, pugnatum est apparaît à treize reprises, est pugnatum à deux reprises.<br />

276


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Tableau 4 : Le déponent au parfait : placement du participe et du verbe auxiliaire<br />

(LASLA)<br />

profectus est profectus…est est est…profectus profectus Total<br />

Combinaison<br />

profectus<br />

occ. dont occ. dont occ. dont occ. dont occ. dont<br />

I F I F I F I F I F<br />

Caes., Ciu. 14 1 5 3 1 0 9 0 4 1 0 0 7 1 1 34<br />

Sall., Iug. 11 0 4 0 0 0 0 0 0 0 0 0 17 0 2 28<br />

Cic., De off. 19 1 3 1 0 0 3 0 1 2 0 0 2 1 1 27<br />

Cic., Dom. 9 0 2 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 10<br />

Cic. Phil.1-4 17 2 4 1 1 0 6 0 2 3 0 2 0 0 0 27<br />

Total 70 4 18 5 2 0 19 0 7 6 0 2 26 2 4 126<br />

Pourcentage 57% 4% 16% 5% 18% 100%<br />

L’ordre de type profectus est (57 %) domine et est encore plus significatif que<br />

dans le cas du parfait passif ; est profectus et le participe seul profectus restent des<br />

variations usitées (16 et 18 % respectivement). Salluste, comme dans le cas du passif,<br />

n’a recours qu’à profectus est et au participe seul, sans les placer à l’initiale.<br />

Chez César, les nombres du participe ou du verbe auxiliaire placés en fin de la<br />

phrase, profectus est (5 occurrences) et est profectus (4 occurrences) ne semblent<br />

montrer une différence notable. D’une manière globale, l’auxiliaire tombe à la fin (18<br />

occ.) plus souvent que le participe (7 occ.). En revanche, ce corpus n’a pas offert<br />

d’occurrences où la phrase soit ouverte par le verbe auxiliaire 108 .<br />

Dans le cas des verbes déponents, les disjonctions sont un peu moins fréquentes<br />

que dans le cas du parfait passif : profectus… est constitue 4 % et est… profectus 5 %.<br />

Pour le déponent, les mêmes tendances de placement s’observent que pour le<br />

passif mais dans une moindre mesure. Les exemples qui suivent présentent l’emploi<br />

d’un verbe contextuellement lié (profectus est) en tête de phrase en (37) ; une<br />

disjonction par un sujet indépendant du contexte (Scaurus en 39) ; un sujet<br />

contextuellement non lié (hospitalitas en 40) et le focus sur un complément du verbe<br />

(beneficio tuo en 41).<br />

(38) (Proficiscitur in Hispaniam Caesar…) Profectus est aliquando tandem in<br />

Hispaniam. (Cic., Phil. 2.75)<br />

« (César part pour l’Espagne…) Un jour, il partit enfin pour l’Espagne. »<br />

(39) (Omnes autem P. Lentulus me consule uicit superiores.) Hunc est Scaurus<br />

imitatus. (Cic., De off. 2.57)<br />

« (Mais P. Lentulus, sous mon consulat, l’emporta sur tous.) Scaurus l’imita. »<br />

(40) Recte etiam a Theophrasto est laudata hospitalitas. (Cic., De off. 2.64)<br />

« De même, Théophraste loue l’hospitalité à bon droit. »<br />

(41) At beneficio sum tuo usus. Quo ? (Cic., Phil. 2.5)<br />

« Mais je te suis, dis-tu, redevable d’un bienfait. Lequel ? »<br />

Dans le cas d’un verbe monovalent comme proficiscor, on peut se demander<br />

quelle est la différence entre profectus est (42) et est profectus (43) :<br />

108 Cf. le chapitre VII, Les enclitiques, § 5.2, les exemples (43-45).<br />

277


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(42) Sed paucis ante diebus L. Domitius… unam ipse conscenderat... turbidam<br />

tempestatem profectus est. (Caes., Ciu. 2.22.2)<br />

« Mais quelques jours plus tôt, Domitius… s’étant lui-même embarqué sur un<br />

vaisseau, profitant d’une violente tempête, est parti. »<br />

(43) His litteris acceptis quos aduocauerat dimittit ; ipse iter in Macedoniam parare<br />

incipit paucisque post diebus est profectus. (Caes., Ciu. 3.33.2)<br />

« Au reçu de cette lettre, il renvoie ceux qu’il avait convoqués ; lui-même, il se<br />

met au préparatifs pour passer en Macédoine et partit peu de jours après. »<br />

Le premier exemple montre que profectus est est employé pour signifier une<br />

action (« que fait Domitius ? »). Dans le second, César se prépare à partir et<br />

l’information concerne le moment auquel le départ a lieu (paucisque post diebus).<br />

6.4.4. Conclusions<br />

On sait que les composantes des formes analytiques du parfait passif et des<br />

verbes déponents ne manifestent pas un ordre fixe : elles peuvent être permutées ou<br />

disjointes. Or le point de vue de la dépendance ou de la non-dépendance contextuelle<br />

permet d’éclairer le positionnement du verbe et des autres compléments. En effet, on<br />

peut observer que le verbe déductible du contexte se positionne à l’initiale de la phrase ;<br />

l’ordre est factus (ou est… factus), avec l’auxiliaire en tête, se rencontre dans les phrases<br />

où tout est nouveau. La place initiale peut également être occupée par un participe<br />

contrastif. Un constituant indépendant du contexte Ŕ comme le sujet d’une construction<br />

passive Ŕ occupe, dans un bon nombre des cas, une position non initiale et est<br />

susceptible de disjoindre le parfait passif analytique qui, lui, n’apporte pas l’information<br />

essentielle. Lorsque l’action elle-même représente le focus de la phrase, la forme<br />

analytique, dans l’ordre factus est, se rencontre à la fin de la phrase/proposition. Les<br />

variations et les disjonctions se rencontrent Ŕ les cas du contraste porté sur le participe Ŕ<br />

lorsque le verbe n’est pas focal. L’analyse du parfait passif et des verbes déponents a<br />

montré également qu’encore ici, la valeur sémantique du verbe joue un rôle<br />

considérable et qu’un verbe comme est inuentus se rencontre plus souvent à l’initiale<br />

(car il introduit une nouvelle entité) qu’un verbe signifiant une action, tel profectus est.<br />

7. LES VERBES MONOVAL<strong>EN</strong>TS<br />

7.1. Introduction<br />

Les verbes monovalents Ŕ qui, ensemble avec les verbes bivalents intransitifs<br />

(voir § 3) et le verbe sum d’existence (voir § 8.4), font partie de verbes dits intransitifs Ŕ<br />

ont retenu une attention particulière des linguistes parce qu’ils sont susceptibles de<br />

présenter assez fréquemment l’ordre verbe > sujet. En outre, le verbe en tête de la<br />

phrase latine est communément considéré comme « emphatique » (voir Kühner et<br />

Stegmann, 1914, II : 590, parmi d’autres) 109 et l’on parle d’une « inversion » du sujet et<br />

du verbe. D’une manière générale, plusieurs explications se rencontrent : d’abord,<br />

l’ordre verbe > sujet est pris pour une marque de discontinuité, de rupture dans le<br />

discours (Chausserie-Laprée, 1969 : 347 sqq. ; S. Luraghi, 1995 : 370 ; cf. M.<br />

Bolkestein, 1996b : 11 sur la fonction « interruptive » 110 ) Ŕ voir l’exemple (1). Ensuite,<br />

l’ordre verbe > sujet se rencontre dans des passages descriptifs (Luraghi, 1995 : 367 sq.)<br />

109 Pour une étude détaillée de la question concernant le verbe à l’initiale, voir <strong>Spevak</strong> (2005b).<br />

110 Les fonctions discursives proposées par M. Bolkestein (1996) s’appuient sur la distinction entre les<br />

énoncés « thétiques » et « catégoriels » établie par H.-J. Sasse (1995) ; cf. cependant les remarques de I.<br />

Rosengren (1997).<br />

278


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Ŕ voir l’exemple (2). Enfin, le phénomène du verbe > sujet est mis en rapport avec le<br />

caractère intransitif des verbes Ŕ cela a été signalé en particulier par J. Adams (1976b :<br />

126). M. Bolkestein (1995 : 35) a montré clairement que les propriétés sémantiques et<br />

syntaxiques des verbes intransitifs sont responsables de l’ordre verbe > sujet, car il y<br />

apparaît plus fréquemment (27 %) que dans le cas des verbes transitifs (13 %).<br />

(1) Surgit pulchellus puer. (Cic., Att. 1.16.10) 111<br />

« Le beau mignon se lève. » (trad. C.U.F.)<br />

(2) Relinquit animus Sextium grauibus acceptis uulneribus. (Caes., Gall. 6.38.4) 112<br />

« Grièvement blessé, Sextius perd connaissance. »<br />

Les phrases comportant des verbes monovalents, étudiés dans ce chapitre,<br />

recouvrent partiellement 113 ce qu’on nomme « les phrases présentatives » (Hannay,<br />

1985a), phrases qui introduisent une nouvelle entité dans le discours. Elles contiennent<br />

un verbe signifiant « être », « apparaître », « rester »… Sans qu’on puisse dresser une<br />

liste exhaustive des verbes concernés, les phrases présentatives se distinguent par<br />

certaines propriétés : en particulier, leur sujet, contextuellement non lié, se positionne à<br />

droite de la phrase (S. C. Dik, 1997, I : 315), cf. (a) et (b). La place postverbale est<br />

possible seulement dans le cas du sujet indéfini, et en français, la fonction du sujet est<br />

remplie par un sujet apparent (voir Vet, 1981 : 151 ; cf. Vincent, 1988 : 60) 114 :<br />

(a) È partito un treno. Il est parti un train.<br />

(b) Il treno è partito. Le train est parti.<br />

En latin, cette tendance s’observe également, comme l’ont montré H. Pinkster<br />

(1991 : 78 et 1995 : 237), M. Bolkestein (1996b : 10) ainsi que H. Rosén (1998) ; cf.<br />

également F. Jones (1991 : 91).<br />

(3) Relinquebatur una per Sequanos uia, qua… (Caes., Gall. 1.9.1) 115<br />

« Il ne leur restait plus qu’une route, celle qui… »<br />

Dans ce chapitre, nous examinerons les verbes monovalents répartis en trois<br />

catégories sémantiques : les verbes de type accuro « accourir » (§ 7.3), de type nascor<br />

« naître » (§ 7.4) et de type permaneo « rester » (§ 7.5), afin d’observer le statut<br />

contextuel et le positionnement de leur sujet. Le chapitre sera clôturé par l’étude des<br />

verbes monovalents impersonnels (§ 7.6).<br />

7.2. Les données<br />

Dans le corpus ont été relevés des verbes monovalents variés (154 occurrences<br />

au total) qui appellent un seul actant, le sujet. Bien qu’ils diffèrent quant à leur<br />

sémantisme, des tendances principales se laissent observer, comme on le verra plus loin.<br />

111<br />

Cet exemple est cité par M. Bolkestein (1996 : 12) ; puer est dépendant du contexte.<br />

112<br />

Cet exemple est cité par S. Luraghi (1995 : 371).<br />

113<br />

Voir ci-dessous, § 8.5.<br />

114<br />

Cf. également J. Perrot (1978b : 97) sur « il reste trois places » ; il identifie le constituant nominal<br />

comme l’élément saillant (le « rhème » dans la terminologie de Firbas).<br />

115<br />

Cet exemple est cité par H. Rosén (1998 : 737).<br />

279


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Les verbes monovalents Ŕ ou se comportant comme monovalents Ŕ peuvent être répartis<br />

dans trois catégories 116 :<br />

1° les verbes monovalents exprimant des procès dynamiques contrôlables : accurro<br />

« accourir », discedo « s’en aller », profugio « s’enfuir », uenio « venir »... ;<br />

2° les verbes monovalents exprimant des procès dynamiques incontrôlables : fio<br />

« devenir », morior « mourir », nascor « naître », uiuo « vivre »… ;<br />

3° les verbes monovalents exprimant des états, permanents ou passagers : desum<br />

« manquer », permaneo « rester », ualeo « se porter bien ».<br />

Le tableau suivant présente les résultats. L’ordre relatif du verbe et de l’actant 1<br />

ne concerne que les verbes à la troisième personne (sg. ou pl.). En revanche, les verbes<br />

qui apparaissent à la première personne (sg. ou pl.) 117 Ŕ que le pronom personnel soit<br />

exprimé ou non Ŕ sont considérés à part, ainsi que les verbes à la troisième personne<br />

dont le sujet n’est pas exprimé.<br />

Tableau 1 : Les verbes monovalents (corpus)<br />

Modèle César Salluste Cicéron Total<br />

actant 1 > verbe 23 32 20 75<br />

verbe > actant 1 11 5 24 40<br />

verbe 1 ère pers. 0 1 16 17<br />

verbe 3 e pers. 8 8 6 22<br />

Total 42 46 65 154<br />

Le tableau met en lumière deux phénomènes. D’abord, le sujet auprès des verbes<br />

monovalents est assez souvent exprimé (75 + 40 occurrences). Ensuite, sans<br />

considération des phrases sans sujet exprimé, l’ordre majoritairement attesté est actant 1<br />

> verbe et ce, dans 65 % des cas (75 occ.) ; néanmoins, l’ordre inverse, se rencontre<br />

dans 35 % des cas (40 occ.), ce qui est un nombre assez élevé.<br />

Il convient de procéder à un examen complémentaire concernant le statut<br />

contextuel des sujets, tout particulièrement exprimés par un nom ou un syntagme<br />

nominal. On distinguera entre les actants 1 liés et non liés au contexte, ainsi qu’entre les<br />

entités animées et inanimées. Ces paramètres sont réunis dans le tableau qui suit.<br />

Tableau 2 : Les actants 1 nominaux des verbes monovalents (corpus)<br />

Modèle liés non liés Total<br />

actant 1 > verbe animés 29 12 41<br />

inanimés 5 16 21<br />

verbe > actant 1 animés 5 9 14<br />

inanimés 9 12 21<br />

Total 48 49 97<br />

116 Voici leur liste complète avec le nombre d’occurrences : 3 accurro, 13 adsum, 1 appropinquo, 4 cado,<br />

2 concurro, 13 desum, 24 discedo, 6 festino, 10 fit, 1 floreo, 1 hiemo, 2 euado, 5 eo, 3 incedo, 2 incipio, 2<br />

morior, 6 nascor, 3 orior, 3 perfugio, 3 permaneo, 16 profugio, 2 uado, 6 ualeo, 13 uenio, 4 uinco et 6<br />

uiuo.<br />

117 Dans cette rubrique a été comptée l’unique occurrence de la deuxième personne.<br />

280


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

On peut observer que les résultats obtenus, qui ne semblent pas influencés par le<br />

genre littéraire, ne conduisent pas à des conclusions nettes 118 . Il n’y a qu’une légère<br />

préférence pour placer les sujets contextuellement liés dans l’ordre actant 1 > verbe (34<br />

occ. vs. 28) et inversement, les sujets contextuellement non liés privilégient la place<br />

après le verbe (21 occ. vs. 14). On remarquera également que dans l’ordre actant 1 ><br />

verbe, les sujets animés dépendants du contexte se rencontrent assez souvent (34 occ.),<br />

alors que les inanimés sont fréquemment indépendants du contexte (28 occ.).<br />

7.3. Type accurro : les procès dynamiques contrôlables<br />

Les verbes monovalents dynamiques impliquant un mouvement ont<br />

généralement pour sujet un nom animé agentif. Les phrases en (4) et en (5), montrant<br />

l’ordre actant 1 > verbe, comportent des sujets dépendants du contexte (Maurus,<br />

Romani) et répondent à la question « que se passe-t-il ? » (à noter la présence de repente<br />

en 4). Cependant, la phrase exemplifiée en (5) pourrait également constituer une<br />

réponse à la question « que font les Romains ? ».<br />

(4) Post ubi castra locata et diei uesper erat, repente Maurus incerto uoltu pauens<br />

ad Sullam adcurrit dicitque… (Sall., Iug. 106.2)<br />

« Puis, au moment où l’on vient d’établir le camp et où le soir tombe, tout à coup<br />

le Maure épouvanté, le visage bouleversé, accourut vers Sulla en disant : … »,<br />

(5) Denique Romani, ubi intellegunt…, aduorso colle, sicuti praeceptum fuerat,<br />

euadunt. (Sall., Iug. 52.3)<br />

« Enfin, les Romains, lorsqu’ils comprennent..., se réfugient, comme ils en<br />

avaient reçu l’ordre, sur la colline qui leur faisait face. »<br />

En revanche, la phrase en (6) montrant l’ordre inverse n’a pas la même valeur<br />

pragmatique : elle nous dit qui accourrait (quis ?). Les légats, les centurions et les<br />

tribuns sont à considérer comme non dépendants du contexte, car on ne pourrait<br />

déterminer qui précisément a agi ainsi.<br />

(6) Concurrebant legati, centuriones tribunique militum, ne dubitaret proelium<br />

committere. (Caes., Ciu. 1.71.2)<br />

« Les légats, les centurions, les tribuns militaires accouraient en l’engageant à ne<br />

pas hésiter à livrer bataille. »<br />

Le placement des sujets dépendants et indépendants du contexte apparaît bien<br />

dans les deux exemples suivants empruntés à Salluste, auteur qui privilégie fortement le<br />

placement du verbe à la fin de la phrase :<br />

(7) (Igitur Carthagine duo fratres missi, quibus nomen Philaenis erat, maturauere<br />

iter pergere.) Cyrenenses tardius iere. (Sall., Iug. 79.5)<br />

« (En conséquence, Carthage envoya deux frères, du nom de Philènes, qui<br />

poursuivirent le trajet en hâte.) Les Cyrénéens allèrent plus lentement. »<br />

(8) (Is missus cum praesidio equitum atque funditorum Baliarium.) Praeterea iere<br />

sagittarii et cohors Paeligna… (Sall., Iug. 105.2)<br />

« (Il partit avec une garde de cavalerie et de frondeurs baléares.) À cette escorte<br />

se joignirent des archers, et une cohorte de Péligniens… »<br />

118 Cette conclusion s’accorde avec les observations de M. E. Hoffmann (1991 : 377) à propos du verbe<br />

excipio au sens de « venir après ».<br />

281


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

En (7), les Cyrenenses sont liés au contexte et contrastent avec duo fratres<br />

« deux frères ». L’action en elle-même (iere) découlant du contexte, c’est la modalité du<br />

procès (tardius « plus lentement ») qui est le focus de la phrase. En (8), il s’agit d’une<br />

énumération des troupes de Sylla et l’auteur nous informe qui allait avec lui. Le verbe<br />

iere découle du contexte.<br />

Or il s’avère impossible de conclure que les sujets liés se rencontrent dans<br />

l’ordre actant 1 > verbe et que les sujets non liés privilégient l’ordre inverse. Les<br />

exemples suivants le montrent bien.<br />

(9) L. Manlius praetor Alba cum cohortibus sex profugit, Rutilius Lupus praetor<br />

Tarracina cum tribus ; quae procul equitatum Caesaris conspicatae… (Caes.,<br />

Ciu. 1.24.3)<br />

« Le préteur L. Manlius s’échappe d’Albe avec six cohortes, le préteur Rutilius<br />

Lupus Terracine avec trois. Ces troupes, apercevant au loin la cavalerie de<br />

César… »<br />

(10) Quorum cognita uoluntate clam profugit Apollonia Staberius. (Caes., Ciu.<br />

3.12.3)<br />

« Après avoir connu leur résolution, Stabérius s’enfuit secrètement<br />

d’Apollonie. »<br />

L. Manlius aussi bien que Rutilius Lupus (9) sont indépendants du contexte ; il<br />

s’agit de personnages secondaires qui ne joueront pas un rôle important par la suite 119 .<br />

Ces sujets sont pour ainsi dire « posés », et figurent à l’initiale de la proposition (cf. de<br />

Jong, 1989 : 536 cf. chapitre VI, Le focus, § 3). La phrase apporte une information de<br />

type « que se passe-t-il ? ». Staberius en (10) est lié au contexte, sans toutefois être le<br />

topique du paragraphe. La phrase répond à la question « que fait-il ensuite ? » et le<br />

placement final de Staberius s’explique par ce qu’il s’agit d’un rappel, « à savoir<br />

Staberius », car une confusion pourrait se produire avec le topique du paragraphe,<br />

César. En outre, on notera la coréférence avec l’ablatif absolu Ŕ Stabérius y est l’agent.<br />

Le placement d’un sujet dépendant du contexte après le verbe, ou même à la fin de la<br />

phrase, est remarquable, comme l’a déjà signalé M. Bolkestein (1995 : 38).<br />

Il convient de mentionner l’exemple suivant avec un focus initial (in duas<br />

partes), constituant qui est plus amplement développé dans le contexte d’après qui<br />

spécifie les deux parties. Numidae est lié au contexte et figure à la place postverbale :<br />

(11) In duas partes discedunt Numidae : plures Adherbalem secuntur, sed illum<br />

alterum bello meliores. (Sall., Iug. 13.1)<br />

« Les Numides se divisent en deux partis : le plus grand nombre se range autour<br />

d’Adherbal, mais les meilleurs soldats, autour de l’autre. » (trad. C.U.F.)<br />

Les deux exemples suivants montrent les placements initial et final des sujets<br />

indépendants du contexte :<br />

(12) (Sestius VI Id. exspectabatur sed non uenerat, quod sciam.) Cassius cum<br />

classicula sua uenerat. Ego cum eum uidissem, IIII in Pompeianum cogitabam.<br />

(Cic., Att. 16.2.4)<br />

119 Cf. chapitre II, Le topique, § 2.1, exemple (6).<br />

282


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« (On attendait Sestius le 10, mais il n’est pas venu, que je sache.) Cassius est<br />

venu avec sa flottille ; après l’avoir vu, je pense me rendre le 12 à Pompéi. »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

(13) VIIII Kal. H. VIII fere a Q. Fufio uenit tabellarius. (Cic., Att. 15.4.1)<br />

« Le 23, vers la huitième heure est venu un courrier envoyé par Q. Fufius. »<br />

Dans ces deux phrases, tout est nouveau (question « que s’est-il passé ? »),<br />

Cassius 120 aussi bien que tabellarius sont indépendants du contexte. Or dans le premier<br />

cas, Cassius est en même temps posé comme topique et implique une autre question<br />

sous-jacente « qu’a fait Cassius? », si l’on considère cum classicula sua uenerat comme<br />

une unité pragmatique. Dans le second cas, la phrase est de type présentatif et introduit<br />

un nouveau personnage sur la scène en répondant à la question sous-jacente quis ?<br />

Les sujets auprès des verbes monovalents dynamiques ne sont pas fréquemment<br />

continués par un pronom anaphorique par la suite ; en revanche, ils sont souvent plus<br />

amplement développés par une relative comme en (14) :<br />

(14) Haec cum agerentur nuntii praemissi ab rege Iuba uenerunt qui illum adesse<br />

cum magnis copiis dicerent… (Caes., Ciu. 2.36.3)<br />

« Pendant que cela se passait, il arriva des députés envoyés par le roi Juba, qui<br />

disaient que le roi approchait avec des troupes nombreuses. »<br />

Les verbes monovalents dynamiques peuvent apparaître avec un sujet inanimé,<br />

comme le montrent les exemples suivants. Les deux premières phrases répondent à la<br />

question quid ? L’ordre actant 1 > verbe dans les expressions indiquant le temps de type<br />

(16) semble normal en latin (cf. <strong>Spevak</strong>, 2004). La phrase exemplifiée en (17) répond à<br />

la question « que se passe-t-il ? », avec une autre question, quid ? sous-jacente, et<br />

l’ordre actant 1 > verbe s’avère usuel pour exprimer le commencement de quelque<br />

chose :<br />

(15) Veniet tempus, et quidem celeriter, siue retractabis siue properabis ; uolat enim<br />

aetas. (Cic., Tusc. 1.76)<br />

« Le moment viendra et même il viendra rapidement, soit que tu marches à<br />

contre-cœur, soit que tu forces l’allure, car le temps vole. » (trad. C.U.F.)<br />

(16) Iamque hiems adpropinquabat et… Dyrrachium sese ad Pompeium recepit.<br />

(Caes., Ciu. 3.9.8)<br />

« Déjà l’hiver approchait, et Octavius… se replia auprès de Pompée à<br />

Dyrrachium. »<br />

(17) Numidae ab Iugurtha pro tempore parati instructique, dein proelium incipitur.<br />

(Sall., Iug. 74.2)<br />

« Conformément aux circonstances, les Numides furent préparés et disposés par<br />

Jugurtha ; puis le combat commence. »<br />

On notera également le placement postverbal de oratio avec une lecture définie<br />

en (18), le focus de la proposition étant ad singulare… factum.<br />

(18) Multa praetereo eaque praeclara ; ad singulare enim M. Antoni factum festinat<br />

oratio. (Cic., Phil. 1.3)<br />

120 À moins que la mention de Sestius n’entraîne Cassius (cf. Att. 16.4.4, lettre chronologiquement<br />

précédente Ŕ voir Beaujeu, 1988 : 243 et 249), auquel cas Cassius serait déductible et mis en contraste<br />

avec Sestius.<br />

283


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Je passe quantité de faits et des plus remarquables, car mon discours a hâte<br />

d’en venir à un acte de Marc Antoine de valeur exceptionnel. » (trad. C.U.F.)<br />

7.4. Type nascor : les procès dynamiques incontrôlables<br />

Les verbes monovalents exprimant les procès incontrôlables, non agentifs, ont<br />

des sujets animés ou inanimés. Des exemples concernant les sujets animés sont donnés<br />

en (19-21) :<br />

(19) Micipsa paucis post diebus moritur. (Sall., Iug. 11.2)<br />

« Micipsa mourut peu de jours après. »<br />

(20) Eorum plerique inermes cadunt, multi capiuntur, nemo omnium intactus<br />

profugit. (Sall., Iug. 54.10)<br />

« La plupart d’entre eux, sans armes, sont tués ; beaucoup sont faits prisonniers,<br />

pas un ne s’échappe indemne. »<br />

(21) V Id. cum… uenissemque diluculo ad pontem Tirenum… obuiam mihi fit<br />

tabellarius, qui me offendit dolixo_n plo/on o(rmai/nonta. (Cic., Att. 16.13.1)<br />

« Le 9... j’avais atteint le pont Tyrrhénien…, quand vient à ma rencontre un<br />

courrier qui m’aborde comme je méditais sur un lointain voyage. » (trad. C.U.F.)<br />

Les phrases exemplifiées ci-dessus répondent à la question « que se passe-t-il ? » ;<br />

Micipsa en (19) 121 est lié au contexte, plerique, multi et nemo (20) peuvent être<br />

considérés comme des sub-topiques, tabellarius (21) est indépendant et plus amplement<br />

développé par une relative. Les sujets en (19) et (20) sont pris pour topiques et ces<br />

phrases nous renseignent sur ce qui leur est arrivé. En revanche, la phrase en (21)<br />

répond à la question quis ?<br />

Des noms référant à des entités inanimées, abstraites ou concrètes, se rencontrent<br />

souvent avec ce type de verbes monovalents, par exemple :<br />

(22) Qua ex lege primum caritas nata est, deinde inopia. (Cic., Dom. 25)<br />

« De cette loi naquit d’abord la cherté, puis la disette. »<br />

(23) Haec uincit in consilio sententia et prima luce postridie constituunt proficisci.<br />

(Caes., Ciu. 1.67.6)<br />

« Ce dernier avis triomphe au conseil, et ils décident de partir le lendemain aux<br />

premières lueurs du jour. »<br />

La première phrase répond à la question quid ? ; caritas et inopia, à la place<br />

préverbale et postverbale, sont indépendants du contexte. La seconde montre une<br />

configuration très intéressante : le syntagme disjoint haec… sententia reprend un<br />

élément qui vient d’être donné dans le contexte précédent ; l’anaphorique haec figure à<br />

l’initiale, sententia à la fin de la proposition. C’est alors le verbe uincit, placé après<br />

l’anaphorique, qui est focal. Le focus sur le verbe peut encore être illustré par l’exemple<br />

suivant. Il s’agit d’un commentaire de Cicéron à propos d’un événement connu :<br />

(24) O di boni ! Viuit tyrannis, tyrannus occidit ! Eius interfecti morte laetamur cuius<br />

facta defendimus ! (Cic., Att. 14.9.2)<br />

121 La mort de Micipsa était attendue, cf. : cum sibi finem uitae adesse intellegeret (Sall., Iug. 9.4) « et<br />

sentant sa mort prochaine ». Cependant, dans le contexte donné, nous ne pencherions pas pour<br />

l’interprétation de la phrase comme répondant à la question « quand Micipsa mourut-il ? ».<br />

284


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Bonté divine ! La tyrannie survit et le tyran est mort ! Nous nous réjouissons<br />

du meurtre d’un homme dont nous validons les actes ! » (trad. C.U.F.)<br />

Le verbe fio « devenir », sémantiquement faible, apparaît généralement (8 occ.<br />

sur 10) à gauche de la phrase, le sujet se positionnant alors à droite de la phrase 122 :<br />

(25) Fit celeriter concursus in praetorium. (Caes., Ciu. 1.76.2)<br />

« Aussitôt, il y eut un rassemblement au prétoire. »<br />

Les sujets d’un verbe monovalent sont rarement continués à l’aide de l’anaphore<br />

pronominale par la suite, par exemple quasi collis en position préverbale :<br />

(26) Sed ex eo medio quasi collis oriebatur, in inmensum pertingens, uestitus<br />

oleastro… Igitur in eo colle… (Sall., Iug. 48.3)<br />

« Du centre se détachait une sorte colline, s’étendant à perte de vue, et revêtue<br />

d’oliviers sauvages… Sur cette colline… »<br />

7.5. Type permaneo : les états permanents ou passagers<br />

Les verbes monovalents exprimant les états permanents ou passagers<br />

concernent, selon les cas, les entités animées et inanimées. Les phrases les contenant<br />

répondent à la question quis/quid ? Ŕ voir l’exemple (27) Ŕ ou expriment la situation<br />

elle-même, comme en (28), avec musici découlant du contexte :<br />

(27) (... deinde multis audientibus, Seruilia, Tertulla, Porcia, quaerere quid placeret.)<br />

Aderat etiam Fauonius. (Cic., Att. 15.11.1)<br />

« (... puis, devant de nombreux témoins, dont Servilia, Tertulla, Porcia,<br />

demander mon avis.) Il y avait aussi là Favonius. »<br />

(28) (Summam eruditionem Graeci sitam censebant in neruorum uocumque<br />

cantibus…) Ergo in Graecia musici floruerunt, discebantque id omnes. (Cic.,<br />

Tusc. 1.4)<br />

« (Chez les Grecs, savoir chanter et jouer des instruments à corde était considéré<br />

comme l’éducation parfaite…) De là vient qu’en Grèce, les musiciens eurent un<br />

grand éclat et que tout le monde étudiait la musique. »<br />

La phrase suivante comporte un sujet (hae aquae) dépendant du contexte ; la<br />

situation (permanserunt) est spécifiée à l’aide d’un complément de temps (dies<br />

complures) qui, lui, apporte l’information essentielle :<br />

(29) Hae permanserunt aquae dies complures. (Caes., Ciu. 1.50.1)<br />

« Cette crue dura plusieurs jours. »<br />

Le verbe desum « manquer » (13 occ.), qui fait partie de cette catégorie, apparaît<br />

souvent accompagné de la négation et figure, à une exception près 123 , à la fin de la<br />

phrase. Son sujet est majoritairement une entité inanimée, indépendante du contexte.<br />

Deux exemples typiques sont donnés en (30) et (31) :<br />

122 Pour l’autre placement de fio, cf. Legatis potestas Romam eundi fit (Sall., Iug. 104.2) « l’ambassade<br />

est autorisée par le consul à se rendre à Rome », et decretum fit, ut… (Sall., Iug. 16.2) « on décréta<br />

que… ».<br />

123 Voir Non deest negotio Curio… (Caes., Ciu. 2.41.3) « Curion est à la hauteur de sa tâche… ».<br />

285


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(30) Ne militibus quidem ut defessis neque equitibus ut paucis et labore confectis<br />

studium ad pugnandum uirtusque deerat. (Caes., Ciu. 2.41.3)<br />

« Certes, ni les fantassins, tout harassés qu’ils fussent, ni les cavaliers, bien que<br />

peu nombreux et épuisés par l’effort, ne manquaient pourtant d’ardeur pour se<br />

battre, ni de courage. » (trad. C.U.F.)<br />

(31) (Alcidamas) Cui rationes eae quae exquisitius a philosophis colliguntur<br />

defuerunt, ubertas orationis non defuit. (Cic., Tusc. 1.116)<br />

« (Alcidamas) Il lui manque la profondeur d’argumentation à laquelle s’attachent<br />

les philosophes, mais il ne manque pas d’abondance oratoire. » (trad. C.U.F.)<br />

L’analyse présentée plus haut concerne le placement des sujets exprimés par un<br />

nom ou un syntagme nominal ; les sujets pronominaux (18 occ.) Ŕ les pronoms<br />

personnels mis à part Ŕ tels ille, hoc, nihil… occupent une place à gauche de la phrase.<br />

Les relatives fonctionnant comme sujet, éventuellement annoncées par un corrélatif<br />

prennent une place à droite. Deux exemples pour illustration :<br />

(32) Hoc idem fit ex castris Caesaris. (Caes., Ciu. 1.66.3)<br />

« On fait de même au camp de César. »<br />

(33) Adsunt enim, qui haec non probent. (Cic., Tusc. 1.76)<br />

« Il se trouve ici des gens qui ne l’approuvent pas. »<br />

7.6. Conclusions<br />

L’examen des verbes monovalents confirme, dans les grandes lignes, les<br />

observations qui ont déjà été faites à propos du placement des sujets des verbes<br />

monovalents à droite de la phrase. Pour notre part, nous avons essayé de montrer, d’une<br />

part, que le sémantisme du verbe joue un rôle important pour le placement des actants 1,<br />

d’autre part, que les phrases comportant un verbe monovalent peuvent revêtir des<br />

valeurs pragmatiques variées. Bien qu’il soit impossible de donner une seule règle de<br />

placement, tel que « le sujet non lié se place à droite et le sujet lié à gauche de la<br />

phrase », le corpus permet de dire qu’une tendance s’y manifeste. En particulier, la<br />

place à droite de la phrase est occupée par les sujets figurant dans les phrases répondant<br />

à la question quis/quid ? Tels sont également les sujets multiples ou plus amplement<br />

développés.<br />

Le placement d’un sujet non lié à droite de la phrase, observé dans de<br />

nombreuses langues, peut donc très bien être observé en latin sans qu’on puisse parler<br />

d’une règle générale. En effet, le latin utilise également la position préverbale, initiale<br />

ou post-topicale pour accueillir ce type de sujets. Les verbes à l’initiale peuvent être<br />

contextuellement liés (ex. iere, aderat) ou indépendants (ex. fit, ueniet), auquel cas la<br />

phrase est dépourvue de topique et présente un contenu entièrement nouveau.<br />

7.7. Les verbes monovalents impersonnels<br />

7.7.1. Type licet<br />

Les verbes monovalents impersonnels, tels fit « il arrive que » (9 occ.), libet « il<br />

plaît » (2 occ.), licet « il est permis » (24 occ.) et oportet « il faut » (5 occ.) sont<br />

complétés, selon les cas, par une subordonnée ou par un infinitif.<br />

Le verbe fit est toujours suivi de sa complétive en ut 124 (voir Kühner et<br />

Stegmann, 1914, II : 600) :<br />

124 Dans l’ensemble des œuvres de César, Salluste et Cicéron, nous n’avons rencontré aucune occurrence<br />

où fit soit précédé par la subordonné en ut.<br />

286


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(34) Ita fit ut fortitudini aegritudo repugnet. (Cic., Tusc. 3.14)<br />

« Il s’ensuit que le chagrin est incompatible avec le courage. »<br />

Le cas de libet, licet et oportet est plus complexe car leurs capacités syntaxiques<br />

sont plus variées. Nous nous limiterons à signaler les configurations rencontrées à<br />

plusieurs reprises, ainsi que quelques exemples particulièrement intéressants.<br />

Complétés par un infinitif, libet et licet s’y postposent (12 occ. sur 17) et<br />

occupent la place finale de la phrase/proposition. Cela se produit en particulier lorsque<br />

la phrase contient un topique exprimé par un pronom anaphorique, par exemple hic en<br />

(35), le focus étant sur l’infinitif cognosci. Stultitiam en (36) est un élément nouveau.<br />

(35) Hic cognosci licuit quantum esset hominibus praesidii in animi firmitudine.<br />

(Caes., Ciu. 3.28.4)<br />

« De là, on put apprendre quelles ressources l’homme puise dans la fermeté de<br />

l’esprit. »<br />

(36) (Sunt enim ista non naturae uitia, sed culpae.) Stultitiam autem accusare<br />

quamuis copiose licet. (Cic., Tusc. 3.73)<br />

« (En effet, ce sont les défauts non pas de notre nature, mais de notre<br />

responsabilité.) Or on peut accuser la sottise autant qu’on veut. »<br />

Le verbe impersonnel peut précéder l’infinitif, par exemple :<br />

(37) Honestior est uotiua, sed licet uti utraque. (Cic., Att. 15.8.1)<br />

« Une mission ‘votive’ est plus honorable, mais l’une ou l’autre sorte ferait mon<br />

affaire. » (trad. C.U.F.)<br />

Le verbe impersonnel n’est généralement pas porteur du focus Ŕ cette fonction<br />

est attribuée à son complément. Cependant, il est possible de rencontrer des cas où un<br />

licet est focal. En (38), on remarquera l’ellipse du complément de licet ainsi que la<br />

coordination d’un licet au présent et d’un licebit au futur. Dans la proposition<br />

subséquente, le focus réside dans les unités pragmatiques dignitatem tueri et mortem<br />

contemnere.<br />

(38) De reliquis rei publicae malis licetne dicere ? Mihi uero licet et semper licebit<br />

dignitatem tueri, mortem contemnere. (Cic., Phil. 1.14)<br />

« Est-on libre de parler des autres maux politiques ? Moi, je suis libre de le faire<br />

et je serai toujours libre de défendre ma dignité et de mépriser la mort. »<br />

Les verbes impersonnels étudiés apparaissent peu fréquemment (6 occ.) avec<br />

une subordonnée subjonctive. Il convient de signaler une occurrence de oportet intercalé<br />

dans la subordonnée 125 , précédé par le topique (eas, reprenant epistulae) et par le<br />

pronom personnel (ego), employé par contraste ; le focus est sur perspiciam et<br />

corrigam (« que faut-il que je fasse avec elles ?) :<br />

(39) (Mearum epistularum nulla est sunagogh/ ; sed habet Tiro instar septuaginta...)<br />

Eas ego oportet perspiciam, corrigam ; tum denique edentur. (Cic., Att. 16.5.5)<br />

125 Cf. Sznajder (2003 : 63) sur l’intercalation de verbes dans les subordonnées sans subordonnant.<br />

287


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« (Il n’existe pas de recueil de mes lettres ; mais Tiron en a environ soixantedix...)<br />

Il me faut les examiner de près, les corriger ; alors seulement elles seront<br />

publiées. »<br />

7.7.2. Type necesse est<br />

Les constructions impersonnelles formées à l’aide d’un neutre et du verbe sum,<br />

telles necesse est, incertum est, mirum est… se distinguent par certaines propriétés.<br />

D’abord, le groupe adjectif + sum est généralement maintenu ensemble dans la<br />

séquence directe de type necesse est (47 occ., soit 80 %) ; l’ordre inverse, est necesse,<br />

n’apparaît que dans 15 % des cas (9 occ.). L’unité est rarement séparée par d’autres<br />

éléments intervenants (est… incertum : 3 %, et incertum… est : 2 %). Des exemples<br />

typiques sont donnés ci-dessous :<br />

(40) O factum male de Alexione ! Incredibile est quanta me molestia adfecerit. (Cic.,<br />

Att. 15.1.1)<br />

« Quel dommage pour Alexio ! On ne saurait croire à quel point je suis affligé. »<br />

(trad. C.U.F.)<br />

(41) Erat enim incertum uisurusne te esset tabellarius. (Cic., Att. 15.9.2)<br />

« En effet, il n’était pas sûr que le messager parvienne jusqu’à toi. »<br />

(42) Licet quod cuique libet loquatur, credere non est necesse. (Cic., Phil. 1.33)<br />

« Libre à chacun de dire ce qu’il veut, il n’est pas nécessaire d’y croire. »<br />

Ensuite, ces constructions impersonnelles admettent des compléments variés :<br />

interrogation indirecte, accusatif et infinitif, infinitif seul ou une subordonnée<br />

subjonctive. Quel que soit le complément, la construction impersonnelle se positionne<br />

devant, à 69 % des cas (41 occ.), comme le montrent les exemples (40) et (41). Il<br />

convient d’ajouter que la présence de la négation non produit la séquence non est<br />

necesse (exemple 42, 3 occ. de ce type) 126 .<br />

8. LE VERBE SVM<br />

La section consacrée au verbe sum ne présentera pas tous les emplois possibles<br />

de ce verbe mais elle se concentrera sur l’adjectif (§ 8.1) et le substantif (§ 8.2) attribut,<br />

sur les phrases comportant des anaphoriques et des cataphoriques (§ 8.3) et sur sum<br />

d’existence (§ 8.5) comprenant les phrases existentielles et locatives.<br />

8.1. L’adjectif attribut<br />

J. Marouzeau, dans son étude consacrée au verbe sum (1910) ainsi que dans sa<br />

synthèse (1953 : 34) constate, d’une part, que la « mobilité de la copule est extrême : on<br />

la trouve à toutes les places possibles », d’autre part, que « la place du verbe copule se<br />

définit par rapport à l’attribut ». Cependant, J. Marouzeau traite la phrase attributive<br />

sans faire la distinction entre l’attribut représenté par un substantif, par un adjectif, par<br />

un pronom ou par un syntagme prépositionnel. Selon lui (1938 : 9 et 23 et 1953 : 35),<br />

l’attribut précède normalement le verbe copule 127 . Le même ordre, par exemple<br />

126<br />

Pour les prosateurs classiques, le corpus de la BTL donne 14 occ. de non est necesse, et seulement une<br />

de necesse non est (voir Caes., Ciu. 3.66.7).<br />

127<br />

Il convient d’ajouter que les types d’attributions distingués par Marouzeau (1953 : 34) :<br />

« énonciative » (cette rose est belle) avec l’ordre attribut > sum, « discriminative » (cette rose est belle,<br />

mais n’est pas odorante) et « affirmative » (c’est surtout à son déclin que la rose est belle) avec l’ordre<br />

sum > attribut, nous semblent insuffisantes pour expliquer les configurations relevées. En effet, pour<br />

288


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

nauigatio perdifficilis fuit, est postulé par J. Adams (1994a : 84). Les autres<br />

dispositions, selon lui, impliquent un contraste (nauigatio fuit perdifficilis et perdifficilis<br />

fuit nauigatio) ; le verbe en tête (fuit nauigatio perdifficilis) aurait une valeur de verum<br />

focus (« il était effectivement » ou « il était, contrairement aux attentes »).<br />

Le corpus étudié nous a offert 221 occurrences au total du verbe copule sum<br />

avec un adjectif attribut. Afin de vérifier la distribution de ces constituants, nous avons<br />

examiné le placement de l’adjectif par rapport au verbe sum dans les séquences directes<br />

(adjectif sum et sum adjectif) ainsi qu’indirectes (adjectif… sum et sum… adjectif). Les<br />

résultats, présentés dans le tableau suivant, concernent toutes les occurrences, que le<br />

sujet soit exprimé ou non.<br />

Tableau 1 : Le verbe sum et l’adjectif attribut (corpus)<br />

Modèle César Salluste Cicéron Total %<br />

adjectif sum 10 37 65 112 50 %<br />

adjectif… sum 2 6 23 31 14 %<br />

sum adjectif 10 2 29 41 18 %<br />

sum… adjectif 9 1 31 41 18 %<br />

Total 31 46 148 225 100 %<br />

Le plus fréquemment, on rencontre la séquence directe « adjectif sum » (50 %) ;<br />

on notera cependant que Salluste l’utilise presque exclusivement (37 occ., soit 80 % des<br />

cas). La postposition de l’adjectif au verbe est moins fréquente (18 %). Cependant, les<br />

deux composantes peuvent être séparées par d’autres constituants (14 % et 18 %).<br />

Il importe de se concentrer à présent sur l’expression du sujet et d’introduire les<br />

configurations relevées pour ce type de phrases/propositions, avec le sujet, nominal ou<br />

pronominal, exprimé. D’autres éléments peuvent intervenir entre les constituants.<br />

Tableau 2 : Le verbe esse, l’actant 1 et l’adjectif attribut (corpus)<br />

Modèle César Salluste Cicéron Total %<br />

A1 adjectif sum 2 25 31 58 37 %<br />

A1 sum adjectif 8 2 23 33 22 %<br />

adjectif sum A1 8 0 15 23 15 %<br />

adjectif A1 sum 1 4 15 20 13 %<br />

sum adjectif A1 5 1 3 9 6 %<br />

sum A1 adjectif 3 0 7 10 7 %<br />

Total 27 32 94 153 100 %<br />

Comme on peut l’observer, toutes les possibilités sont attestées ; en premier lieu,<br />

on rencontre l’ordre actant 1 > adjectif > esse (37 %). Ici encore, l’œuvre de Salluste ne<br />

manifeste pas beaucoup de variations (25 occ., soit 78 %). Les autres modèles<br />

apparaissent en quantité non négligeable. Les points suivants résumeront nos<br />

observations issues de l’analyse du corpus.<br />

l’attribution « énonciative », l’ordre sum > attribut peut très bien se rencontrer. De même, on ne peut pas<br />

dire qu’à chaque fois que la copule précède l’attribut, il y a une insistance sur le verbe (Marouzeau 1938 :<br />

9).<br />

289


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Le verbe copule sum n’est généralement pas porteur de focus. Les actants 1<br />

contextuellement liés se positionnent en tête de phrase s’ils fonctionnent comme<br />

topiques Ŕ tels domus en (1) et ea laus en (2). La propriété qui leur est attribuée,<br />

exprimée par l’adjectif, véhicule l’information essentielle : uacua en (1) et praeclara<br />

atque diuina en (2) :<br />

(1) Domus illa mea prope tota uacua est ; uix pars aedium mearum decima ad<br />

Catuli porticum accessit. (Cic., Dom. 116)<br />

« Ma maison a presque entièrement échappé à la consécration : à peine la<br />

dixième de ma propriété fut ajouté au portique de Catulus. » (trad. C.U.F.)<br />

(2) (…haec omnia subire conseruandorum ciuium causa…,) ea laus praeclara<br />

atque diuina est. (Cic., Dom. 98)<br />

« (… supporter tous ces maux pour sauver ses concitoyens…,) ce mérite est<br />

remarquable et digne des dieux. »<br />

L’adjectif peut se rencontrer à l’initiale de la phrase 128 , comme stulta Ŕ emphatique Ŕ en<br />

(3), venant après la particule conclusive itaque ; l’idée d’une consolation apportée par<br />

les Ides de mars relève du savoir partagé entre Cicéron et Atticus 129 . De même,<br />

gratissimae et bellae, placé après le constituant contrastif (patri quidem) :<br />

(3) (Quod scribis te nescire quid nostris faciendum sit, iam pridem me illa a)pori/a<br />

sollicitat.) Itaque stulta iam Iduum Martiarum est consolatio. (Cic., Att. 15.4.2)<br />

« (Tu m’écris que tu ne sais pas ce que nos amis devraient faire : cette difficulté<br />

me tourmente déjà un certain temps.) Aussi la consolation tirée des Ides de mars<br />

n’a-t-elle plus de sens. » (trad. C.U.F.)<br />

(4) (De Quinto filio tibi adsentior ;) patri quidem certe gratissimae et bellae tuae<br />

litterae fuerunt. (Cic., Att. 15.1.4)<br />

« (Je suis d’accord avec toi concernant Quintus fils ;) pour son père, en tout cas,<br />

ta lettre a été certainement très plaisante et appréciable. »<br />

Les adjectifs intensifs Ŕ talis et tantus en particulier Ŕ occupent souvent la place<br />

initiale ; Cassius en (5) dépend du contexte :<br />

(5) Talis ea tempestate fama de Cassio erat. (Sall., Iug. 32.5)<br />

« Tant était grande alors la réputation de Cassius. »<br />

Or l’adjectif en tête apparaît également lorsque le sujet n’est pas<br />

contextuellement lié ; dans ce cas, la phrase répond à la question quis/quid ?, par<br />

exemple :<br />

(6) Cetera loca usque ad Mauretaniam Numidae tenent, proxumi Hispania[m]<br />

Mauri sunt. (Sall., Iug. 19.4)<br />

« Les autres régions jusqu’à la Maurétanie sont occupées par les Numides ; les<br />

plus près de l’Espagne sont les Maures. »<br />

128 On notera également la place de l’attribut miser dans l’exemple donné par Cicéron (Tusc. 1.13) : Non<br />

dicis igitur : ‘miser est M. Crassus’, sed tantum : ‘miser M. Crassus’ « tu ne dis donc pas : ‘Marcus<br />

Crassus est malheureux’, mais seulement : ‘malheureux Marcus Crassus’. »<br />

129 Cf., par exemple : itaque me Idus Martiae non tam consolantur quam antea. (Cic., Att. 14.22.2) « Et<br />

voilà pourquoi les Ides de mars m’apportent moins de consolation qu’avant. »<br />

290


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Lorsque la phrase/proposition contient la négation non portant sur le verbe<br />

copule, l’adjectif précède le verbe qui, lui, clôture la phrase (5 occ.). Si un plus ample<br />

développement (de l’adjectif ou de l’idée) a lieu, l’adjectif suit le verbe (6 occ.), par<br />

exemple :<br />

(7) Buthrotia tibi causa ignota non est. (Cic., Att. 16.16a.2)<br />

« Le cas de Buthrote ne t’est pas inconnu. »<br />

(8) Quod cum ita sit, hortatio non est necessaria, gratulatione magis utendum est.<br />

(Cic., Fam. 9.14.7 = Att. 14.17a.7)<br />

« Dans ces conditions, une exhortation n’est pas nécessaire ; il vaut mieux<br />

recourir aux félicitations. »<br />

Le verbe copule peut être placé à l’initiale absolue ou non absolue (après<br />

connecteur) de la phrase/proposition (26 occ. 130 ). Il s’agit, en particulier, de phrases<br />

d’ordre explicatif : sum est assez souvent (11 occ.) accompagné de la particule enim<br />

« en effet » (exemples 9 et 11). Il convient de souligner que le verbe sum n’est pas<br />

porteur de focus, ce qui signifierait « est réellement ». De même, on a affaire à des<br />

phrases appartenant au second plan et non pas à la ligne narrative Ŕ exemple (10) 131 ,<br />

Brutus est lié au contexte. Le verbe initial sum n’est pas porteur de focus : cette fonction<br />

est remplie par les adjectifs. L’exemple (11) comportant une structure « certes… mais »<br />

le montre bien car tarda et magna sont ainsi opposés.<br />

(9) (De meo itinere uariae sententiae...) Dubitemus igitur. Est enim hiberna<br />

nauigatio odiosa, eoque ex te quaesieram mysteriorum diem. (Cic., Att. 15.25)<br />

« (Sur mon voyage, les avis sont partagés…) Réservons nos choix. En effet la<br />

navigation d’hiver est détestable et c’est pourquoi je t’ai demandé la date des<br />

Mystères. » (trad. C.U.F.)<br />

(10) Erat multo inferior numero nauium Brutus. (Caes., Ciu. 1.57.1)<br />

« La flotte de Brutus était très inférieure en nombre. »<br />

(11) (auxilium… inueterati doloris) Est enim tarda illa quidem medicina, sed tamen<br />

magna, quam adfert longinquitas et dies. (Cic., Tusc. 3.35)<br />

« (secours contre la douleur enracinée) En effet, ce remède est lent, mais<br />

puissant, remède qu’apporte l’écoulement des jours. »<br />

De même, l’exemple emprunté à César qui parle de la place de Salones. Une autre<br />

interprétation de est Ŕ existentielle ou d’identification 132 Ŕ peut être écartée grâce à la<br />

lecture définie de oppidum « cette place » 133 :<br />

(12) … oppidum oppugnare instituit. Est autem oppidum et loci natura et colle<br />

munitum. (Caes., Ciu. 3.9.2)<br />

« … il entreprit d’assiéger la place. Cette place est, à la vérité, défendue par la<br />

nature du terrain et par le coteau sur lequel elle est assise. »<br />

130<br />

Y compris les cas où le sujet n’est pas exprimé.<br />

131<br />

Ce fait est en rapport étroit avec le sémantisme même du verbe sum.<br />

132<br />

Cf. la traduction récente de Budé : « c’est une place que défend, outre sa position naturelle, une<br />

colline ».<br />

133<br />

Dans l’exemple (12), munitum est un participe pris adjectivement ; il ne s’agit pas d’un parfait passif.<br />

291


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

8.2. Le substantif attribut<br />

Il convient d’examiner à présent les constructions avec un substantif attribut. Les<br />

configurations relevées, dans les cas où l’actant 1 est exprimé, sont indiquées dans le<br />

tableau suivant :<br />

Tableau 2 : Le verbe esse, l’actant 1 et le substantif attribut (corpus)<br />

Modèle Salluste Cicéron Total Pourcentage<br />

A1 attribut sum 2 18 20 57 %<br />

A1 sum attribut 3 3 6 17 %<br />

attribut sum A1 0 5 5 14 %<br />

attribut A1 sum 0 1 1 3 %<br />

sum A1 attribut 0 3 3 9 %<br />

Total 5 30 35 100 %<br />

Le plus fréquemment, la phrase attributive apparaît chez Cicéron dans son traité<br />

philosophique (12 occ.) et dans ses discours (11 occ.), et présente l’ordre actant 1 ><br />

substantif attribut > sum (57 %), dont deux exemples typiques sont donnés en (13) et<br />

(14). Toutefois, les autres ordres sont possibles et il ne semble pas qu’un seul soit<br />

réservé à ce type de constructions.<br />

(13) At aegritudo perturbatio est animi. (Cic., Tusc. 3.16)<br />

« Mais le chagrin est un trouble de l’âme. »<br />

(14) Nam corpus quidem quasi uas est aut aliquod animi receptaculum. (Cic., Tusc.<br />

1.52)<br />

« Car le corps n’est qu’une sorte de vase, un récipient qui renferme l’âme. »<br />

On sait que le latin ne dispose pas de moyens spécifiques pour distinguer formellement<br />

les noms fonctionnant comme sujets des noms fonctionnant comme attributs. Ce n’est<br />

que le contexte qui nous permet de distinguer que, dans un passage consacré au chagrin,<br />

aegritudo a plus de chances d’être pris pour sujet que perturbatio, contextuellement<br />

indépendant. De même, corpus en (14). En outre, on remarquera que les attributs en<br />

(14) sont accompagnés d’expressions comme quasi, exprimant une similitude, et<br />

aliquod indéfini.<br />

Les propriétés sémantiques des noms impliqués dans les constructions<br />

attributives jouent un rôle important : les noms indiquant des fonctions et statuts<br />

(princeps « chef », censor « censeur », ciuis « citoyen »…) ainsi que les noms<br />

génériques (res « chose », species « prétexte »…) sont éligibles à la fonction d’attribut<br />

plus que les noms dotés d’un degré élevé d’individuation comme les noms propres ou<br />

les objets singuliers. On a ainsi (animus en 16 est contextuellement indépendant) :<br />

(15) Causa fuit ambulatio et monumentum et ista Tanagraea oppressa libertate<br />

Libertas. (Cic., Dom. 116)<br />

« Il a pris pour prétexte un promenoir, un monument et, après avoir écrasé la<br />

liberté, cette Liberté tanagréenne. » (trad. C.U.F.)<br />

(16) Sed dux atque imperator uitae mortalium animus est. Qui… (Sall., Iug. 1.3)<br />

« Or, c’est l’âme qui guide et qui commande la vie des hommes. »<br />

Deux noms du même ordre, en particulier ceux qui désignent des concepts<br />

abstraits, peuvent se rencontrer dans la même phrase Ŕ tel est le cas de gloria et laus en<br />

292


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(17). On peut alors être confronté à des difficultés d’interprétation pour décider quel<br />

nom est le sujet et quel est l’attribut. L’exemple suivant permet, grâce au contexte,<br />

d’accorder le rôle du sujet à gloria, contextuellement lié ; l’attribut véhicule<br />

l’information nouvelle. On notera que la phrase attributive est susceptible de présenter<br />

le verbe sum à l’initiale.<br />

(17) (credo enim uos… gloriam concupiuisse.) Est autem gloria laus recte factorum<br />

magnorumque in rem publicam meritorum. (Cic., Phil. 1.29) 134<br />

« (En effet, je crois que… vous avez convoité la gloire.) Or, la gloire est la<br />

louange de belles actions et de grands services rendus à la patrie. »<br />

De même :<br />

(18) Atqui, quem ad modum misericordia aegritudo est ex alterius rebus aduersis, sic<br />

inuidentia aegritudo est ex alterius rebus secundis. (Cic., Tusc. 3.21)<br />

« Or, de même que la pitié est un chagrin provoqué par le malheur, de même<br />

l’envie est un chagrin provoqué par le bonheur d’autrui. » (trad. C.U.F.)<br />

Non seulement qu’en (18), nous avons une confrontation entre misericordia et<br />

inuidentia, mais encore, dans le contexte d’avant, l’auteur a déjà parlé de misereri<br />

« avoir pitié » et de inuidere « envier ». Le nom aegritudo, contextuellement<br />

indépendant, peut alors aisément être déterminé comme l’attribut.<br />

8.3. Les phrases comportant des anaphoriques et des cataphoriques<br />

8.3.1. Les phrases d’identification<br />

Les phrases d’identification comportent un anaphorique fonctionnant comme<br />

sujet et un nom ou un syntagme nominal en position d’attribut. L’anaphorique, accordé<br />

avec l’attribut, figure en tête de phrase, vient ensuite le verbe sum et enfin l’attribut Ŕ<br />

quinze occurrences (sur 20) de cet ordre ont été relevées (exemple 19). Or une autre<br />

disposition est également possible (20).<br />

(19) Hae sunt meae imagines, haec nobilitas… (Sall., Iug. 85.30)<br />

« Voilà mes portraits, voilà ma noblesse… »<br />

(20) Sunt enim ista non naturae uitia, sed culpae. (Cic., Tusc. 1.11)<br />

« En effet, ce sont les défauts non pas de notre nature, mais de notre<br />

responsabilité. »<br />

8.3.2. Les phrases comportant un cataphorique<br />

Les phrases contenant un cataphorique ont pour sujet un nom ou un syntagme<br />

nominal et le cataphorique, accordé avec le nom, fonctionne comme l’attribut. Pour huit<br />

occurrences relevées, il est difficile de formuler des tendances à portée plus générale.<br />

Cependant, on peut observer que le cataphorique occupe une position non initiale (6<br />

occ.), comme le montre l’exemple (21). À deux reprises chez Cicéron, il est placé en<br />

tête de la phrase, dépourvue de topique (22).<br />

(21) Sic locutus cum litteris eum, quas Micipsae redderet, dimisit. Earum sententia<br />

haec erat : … (Sall., Iug. 9.1)<br />

134 Comme le mentionne l’éditeur de la Première Philippique (p. 70), ce lieu est cité par Isidore de Séville<br />

(Etym. 2.30.2) ainsi : Gloria est laus… meritorum, avec le sujet en tête de la phrase.<br />

293


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

« Sur ces mots, il lui remit une lettre pour Micipsa et lui donna congé. Voici quel<br />

était le sens de ce message :… »<br />

(22) Haec, opinor, incommoda sunt carentis : caret oculis, odiosa caecitas ; liberis,<br />

orbitas. (Cic., Tusc. 1.87)<br />

« Voici, je crois, les malheurs de celui qui sent un manque : il lui manque la vue,<br />

c’est l’effroyable cécité ; il lui manque des enfants, c’est être sans famille. »<br />

8.4. Conclusions<br />

L’attribut, le sujet et le verbe sum peuvent se placer selon toutes les<br />

combinaisons possibles et, d’après nous, il est difficile de résumer le placement dans<br />

trois formules qu’on trouve généralement. Selon nous, la dépendance contextuelle est<br />

un facteur important qui permet de mieux comprendre ces structures syntaxiques. Le<br />

modèle récurrent actant 1 > attribut > sum s’explique par le fait que l’attribut véhicule<br />

l’information nouvelle. Le verbe à l’initiale, et il faut le souligner, n’est pas en soi un<br />

signal de la valeur « véridique » du verbe sum.<br />

8.5. Sum d’existence<br />

J. Lyons (1967 : 390) fait une distinction entre les phrases existentielles (a),<br />

constructions qui comportent le verbe esse au sens d’ « exister » et un syntagme<br />

nominal, et entre les phrases locatives, contenant en plus une expression indiquant la<br />

localisation 135 . Dans la deuxième catégorie, deux sous-types se laissent dissocier avec<br />

une fonction pragmatique différente (Lyons, 1968 : 495 ; cf. Clark, 1978 : 87 et<br />

Cabrillana, 2001 : 276). Les deux spécifient la localisation d’une entité dans l’espace<br />

mais le premier (b) décrit ce qui est localisé (un livre), l’autre (c) précise l’endroit (sur<br />

la table).<br />

(a) Il y a des ours blancs.<br />

(b) Il y a un livre sur la table.<br />

(c) Le livre est sur la table.<br />

Le français, dont l’ordre des constituants est assez fixe Ŕ aussi bien que l’anglais,<br />

l’allemand… Ŕ dispose d’une formule spécifique pour les types (a) et (b) (il y a) qui<br />

permet, grâce au sujet apparent, de positionner le terme indéfini à droite de la phrase.<br />

C’est, en effet, sa place privilégiée (Dik, 1997, I : 316). Dans les langues slaves (voir<br />

ibid. et Siewierska, 1988 : 78), la place à droite est l’indicateur de la nouveauté, du<br />

caractère indéfini de kniha (tchèque) :<br />

(b’) Na stole je kniha.<br />

sur la table 3.PRES NOM.SG<br />

être (un) livre<br />

(c’) Kniha je na stole.<br />

NOM.SG 3.PRES sur la table<br />

(le) livre être<br />

Les phrases existentielles et locatives de type (b) ont pour fonction d’introduire<br />

une nouvelle entité dans le discours 136 : il s’agit de phrases présentatives (Hannay,<br />

135 J. Lyons considère, dans cette catégorie, les phrases possessives. Ce type syntaxique ne sera pas<br />

analysé ici, faute d’exemples en nombre suffisant pour formuler des tendances plus générales.<br />

136 Cf. également B. Löfstedt (1966, en particulier p. 259) sur la structure clivée est… qui… « c’est lui…<br />

qui ».<br />

294


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

1985a : 10 et Hannay 1991 : 144 sq. ; cf. Lambrecht, 1988). Leurs propriétés en latin<br />

ont été étudiées par H. Pinkster (1991 : 78) et H. Rosén (1998) ; cf. également l’analyse<br />

de quidam de A. Orlandini (1995 : 15 sq.). Leur sujet, animé ou inanimé, est<br />

typiquement indéfini, caractère qui peut être signalé par un mot spécifique (quidam « un<br />

certain », exemple 22). Dans la majorité des cas, il apparaît à droite de la phrase sans<br />

que cette place soit obligatoire (Rosén, 1998 : 732, et <strong>Spevak</strong>, 2004 : 392) 137 Ŕ voir<br />

l’exemple (23) 138 . Les phrases présentatives sont souvent ouvertes par le verbe sum, ce<br />

qui est à mettre sur le compte du caractère descriptif de ces phrases (voir Bolkestein,<br />

1996b : 12 ; cf. Luraghi 1995 : 367 sq.).<br />

(23) Est autem C. Herennius quidam, tribunus plebes… Is… (Cic., Att. 1.18.4)<br />

« Il y a aussi un certain C. Hérennius, tribun de la plèbe... Il... »<br />

(24) Palus erat non magna inter nostrum atque hostium exercitum. Hanc… (Caes.,<br />

Gall. 2.9.1)<br />

« Entre notre armée et l’armée ennemie, il y avait un marais de peu d’étendue.<br />

Ce marais... »<br />

8.5.1. Les phrases existentielles<br />

Le verbe sum signifiant l’existence a offert 27 occurrences dans des phrases/<br />

propositions positives. Le sujet peut être exprimé par un substantif ou par un syntagme<br />

nominal. Voici les modèles relevés :<br />

occurrences<br />

sum + actant 1 19 (70 %)<br />

actant 1 + sum 7 (26 %)<br />

sum intercalé 1 ( 4 %)<br />

Le plus souvent, le verbe sum figure à gauche et l’actant 1 figure à droite de la<br />

phrase (70 %) ; à quatorze reprises (soit 52 %), sum est à l’initiale absolue (ou<br />

éventuellement après connecteur). Le placement à droite des sujets des phrases<br />

existentielles s’explique par leur indépendance contextuelle car ils véhiculent une<br />

information nouvelle (Pinkster 1991 : 78, et <strong>Spevak</strong>, 2004). Deux exemples typiques<br />

sont donnés en (25) et (26), où les actants 1 (unum iter…, alterum ; nauigia luculenta)<br />

véhiculent l’information nouvelle :<br />

(25) Erat unum iter Ilerdam si reuerti uellent, alterum si Tarraconem peterent.<br />

(Caes., Ciu. 1.73.2)<br />

« Il y avait un chemin, s’ils voulaient retourner à Ilerda, et un autre, s’ils<br />

voulaient aller à Tarraco. »<br />

(26) Paratiorem enim offendi Brutum quam audiebam ; nam et ipse et Domitius bona<br />

plane habet dicrota suntque nauigia praeterea luculenta Sesti, Buciliani,<br />

ceterorum. (Cic., Att. 16.4.4)<br />

« De fait, j’ai trouvé Brutus mieux équipé qu’on ne me l’avait dit : lui et<br />

Domitius possèdent d’excellents bâtiments à deux rangs de rames, auxquels<br />

s’ajoutent les beaux bateaux de Sestitus, Bucilianus et autres. » (trad. C.U.F.)<br />

137 Comme H. Rosén (1998 : 732) l’a fait justement remarquer, l’ordre des constituants ne peut servir de<br />

critère pour identifier les phrases présentatives. Elles n’ont pas d’ordre fixe avec le verbe à l’initiale<br />

comme le constate Marouzeau (1910 : 107).<br />

138 C’est une différence remarquable par rapport aux langues slaves (voir <strong>Spevak</strong>, 2005a : 257).<br />

295


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

L’ordre « inverse » est possible également (26 %), par exemple avec duos sinus<br />

et certae scholae contextuellement indépendants. Cet ordre est choisi en particulier pour<br />

introduire des entités inanimées (voir Rosén, 1998 : 732) 139 .<br />

(27) Illud satis opportune : duo sinus fuerunt quos tramitti oporteret, Paestanus et<br />

Vibonensis. (Cic., Att. 16.6.1)<br />

« La chance nous a souri : il y avait deux baies à traverser, celles de Paestum et<br />

de Vibo. » (trad. C.U.F.)<br />

(28) Separatim certae scholae sunt de exilio, de interitu patriae, de seruitute… (Cic.,<br />

Tusc. 3.81)<br />

« Il existe des cours spéciaux consacrés à l’exil, à la destruction de la patrie, à<br />

l’esclavage… »<br />

Lorsque l’actant 1 est représenté par un nom complété par un adjectif Ŕ comme<br />

le montrent les exemples (27) et (28) Ŕ, on peut de demander quelquefois si l’on a<br />

affaire à une construction existentielle ou attributive. En effet, l’adjectif attribut se<br />

positionne souvent, on l’a vu (§ 8.1, tableau 1), dans la proximité immédiate du verbe<br />

copule, en le précédant (50 %) ou en le suivant (18 %), mais il ne s’agit nullement d’une<br />

contrainte : d’autres dispositions sont possibles. Il s’en suit qu’il n’y a aucune<br />

différenciation formelle et ce n’est pas la place des constituants mais leur statut<br />

contextuel qui permet de décider quelle interprétation lui attribuer. Il convient de<br />

comparer les exemples (27) et (28) avec l’exemple suivant :<br />

(29) (et sub montem in quo erat oppidum positum Ilerda succedunt…). Praeruptus 140<br />

locus erat, utraque ex parte derectus ac tantum in latitudinem patebat, ut tres<br />

instructae cohortes eum locum explerent. (Caes., Ciu. 1.45.4)<br />

« (ils s’avancent jusqu’au pied de la hauteur où était située la ville d’Ilerda…)<br />

L’endroit était escarpé, entre deux à pics, et tout juste assez large pour contenir<br />

trois cohortes en ligne. »<br />

Locus renvoie sans doute à l’endroit où les soldats se sont avancés (sub montem…) ; il<br />

reçoit une lecture définie (« l’endroit ») et praeruptus fonctionne comme l’adjectif<br />

attribut et non pas épithète.<br />

Il est possible de rencontrer un verbe sum d’existence porteur de focus 141 . Dans<br />

ce cas, il s’agit d’un verum focus au sens de « il existe vraiment », placé en tête de la<br />

phrase, comme le montre l’exemple suivant (à noter la présence de profecto) :<br />

(30) (Qui uero probari potest ut sibi mederi animus non possit… ?) Est profecto<br />

animi medicina, philosophia ; cuius auxilium… (Cic., Tusc. 3.6)<br />

« (Qui d’ailleurs peut admettre que l’âme ne puisse pas se guérir elle-même… ?)<br />

Assurément il existe un remède de l’âme, la philosophie ; pour en avoir le<br />

secours… »<br />

139 Comme H. Rosén (1998 : 732) le fait remarquer, chez César, Tite-Live et Tacite, les phrases<br />

présentant des personnes manifestent l’ordre verbe > sujet, alors que pour l’introduction des entités<br />

inanimées, l’ordre sujet > verbe se rencontre aussi. Cf. chapitre VI, Le focus, § 3, exemple (16).<br />

140 Cependant, l’éditeur Madvig propose de supprimer le mot praeruptus.<br />

141 Cf. également le bel exemple cité par Marouzeau (1953 : 47) : Est, est illa uis profecto. (Cic., Mil. 84)<br />

« Car elle existe évidemment, elle existe, cette puissance. » Sur l’emploi véridique de sum, voir<br />

également Adams (1994a : 69 sqq.)<br />

296


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Négative, la phrase existentielle présente souvent le verbe à la fin, le terme<br />

négatif se trouvant alors à la place préverbale ou initiale, par exemple :<br />

(31) De bello Punico agitur ? De quo ipso cum aliud M. Catoni, aliud L. Lentulo<br />

uideretur, nulla inter eos concertatio umquam fuit. (Cic., Tusc. 3.51)<br />

« S’agit-il de la guerre punique ? Caton et Lentulus furent presque toujours<br />

d’avis contraire sur cette guerre, sans que cela ait causé le moindre conflit entre<br />

eux. »<br />

(32) Herodi autem mandaram ut mihi kata_ mi/ton scriberet ; a quo adhuc nulla<br />

littera est. (Cic., Att. 14.16.3)<br />

« D’autre part, j’avais chargé Hérodès de m’écrire au jour le jour ; or, jusqu’à<br />

présent, je n’ai reçu aucune lettre de lui. »<br />

8.5.2. Les phrases locatives<br />

Le verbe sum se rencontre accompagné d’un complément de lieu (CL). Les<br />

configurations relevées dans le corpus sont résumées dans le tableau suivant :<br />

Tableau 3 : Les phrases locatives (corpus)<br />

Modèle Occurrences Pourcentage<br />

sum CL A1 14 26 %<br />

CL sum A1 12 21 %<br />

A1 sum CL 10 23 %<br />

sum CL 3<br />

A1 CL sum 4 11 %<br />

CL sum 2<br />

sum A1 CL 3 5 %<br />

CL A1 sum 8 14 %<br />

Total 56 100 %<br />

Il est intéressant d’observer que l’actant 1 se positionne, dans un grand nombre<br />

de cas (26 et 21 %), après le verbe sum et le complément de lieu. Ce dernier figure à<br />

droite de la phrase dans 23 + 5 % des cas. Le verbe sum peut se rencontrer à la fin de la<br />

phrase (14 occ.), mais il occupe plus souvent la place initiale absolue ou après<br />

connecteur (17 occ., soit 30 %) 142 .<br />

La phrase locative revêt, en particulier, deux valeurs pragmatiques, et répond à<br />

la question quis/quid ? ou ubi ?<br />

Lorsqu’il s’agit de dire que quelqu’un ou quelque chose était quelque part, le<br />

sujet est contextuellement indépendant et occupe généralement une place à droite de la<br />

phrase. Les deux exemples cités ci-dessous montrent oppidum en fin de phrase et uallis<br />

venant après le verbe erat et avant le complément de lieu 143 . Dans les deux cas, les<br />

phrases sont dépourvues de topique 144 :<br />

142 Nos données diffèrent considérablement de celles présentées par C. Cabrillana (2001 : 285) ; elle<br />

relève, dans le corpus de Tite-Live, le verbe sum en fin de la phrase dans 86 % des cas. Cela peut être dû<br />

au fait que les propositions subordonnées ont été incluses dans ses statistiques.<br />

143 Sur cet exemple, voir le chapitre premier, § 5, exemple (27).<br />

144 Duae acies est un élément contextuellement donné sans fonctionner comme le topique.<br />

297


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

(33) Erat haud longe ab eo itinere, quo Metellus pergebat, oppidum Numidarum<br />

nomine Vaga, forum rerum uenalium totius regni maxime celebratum… Huc<br />

consul… praesidium imposuit. (Sall., Iug. 47.1)<br />

« Il y avait non loin de la route que suivait Métellus une ville numide nommée<br />

Vaga ; c’était le marché le plus important de tout le royaume… Le consul y<br />

établit une garnison. » (trad. C.U.F.)<br />

(34) Erat uallis inter duas acies, ut supra demonstratum est, non ita magna, at<br />

difficili et arduo ascensu. Hanc uterque, si aduersariorum copiae transire<br />

conarentur, exspectabat… (Caes., Ciu. 2.34.1)<br />

« Entre les deux armées, il y avait une vallée, comme on l’a dit plus haut, qui<br />

n’était pas très large, mais sa pente était escarpée et difficile à gravir. Chacun<br />

attendait que les troupes adverses entreprennent la traversée. »<br />

Les dispositions de type (33), qui s’appliquent à des entités animées aussi bien<br />

qu’inanimées, semblent les plus usuelles (9 occ.) et se rencontrent en particulier dans la<br />

prose historique. Une seule occurrence de la configuration de type (34), reposant sur la<br />

question quid ?, a été relevée. En outre, le verbe sum n’est pas nécessairement initial<br />

dans des cas similaires, comme le montre la phrase empruntée à Salluste (1 occ. de ce<br />

type), ouverte par un complément de temps (ea tempestate) 145 :<br />

(35) Ea tempestate in exercitu nostro fuere complures noui atque nobiles, quibus<br />

diuitiae bono honestoque potiores erant… qui Iugurthae non mediocrem<br />

animum pollicitando accendebant. (Sall., Iug. 8.1)<br />

« À cette époque, il y avait dans notre armée nombre d’hommes nouveaux et<br />

nobles, qui préféraient la richesse au bien et à l’honneur… qui, par leurs<br />

promesses, enflammaient l’ambition vive de Jugurtha. »<br />

Les phrases locatives comportant un ancrage topical dans le contexte<br />

immédiatement précédent (tel hoc itinere en 36) présentent la configuration exemplifiée<br />

ci-dessous (8 occ.) :<br />

(36) (Abest derecto itinere ab Vtica paulo amplius passus mille.) Sed hoc itinere est<br />

fons quo mare succedit longius lateque is locus restagnat. (Caes., Ciu. 2.24.4)<br />

« (Il est éloigné d’Utique en ligne droite d’un peu plus de mille pas.) Mais sur<br />

cet itinéraire, il y a un ruisseau, dans lequel la mer pénètre à une certaine<br />

distance, et cet endroit est largement inondé. »<br />

En revanche, le verbe sum en fin de phrase se rencontre aussi bien (6 occ.), par<br />

exemple :<br />

(37) Igitur ad Catabathmon, qui locus Aegyptum ab Africa diuidit, secundo mari<br />

prima Cyrene est, colonia Theraeon, ac deinceps duae Syrtes interque eas<br />

Leptis… (Sall., Iug. 19.1)<br />

« Donc, à Catabathmos, qui sépare l’Égypte de l’Afrique, en suivant la mer se<br />

trouvent d’abord Cyrène, colonie de Théra, ensuite les deux Syrtes, et entre eux,<br />

Leptis … »<br />

145 Cf. Erat ea tempestate Romae Numida quidam nomine Massiua, Gulussae filius, Masinissae nepos,<br />

qui… (Sall., Iug. 35.1) « Il y avait alors à Rome un Numide nommé Massiva, fils de Gulussa, petit-fils de<br />

Masinissa, qui… »<br />

298


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

La phrase répond à la question quis/quid ? mais l’actant 1 n’est pas plus amplement<br />

développé par la suite. On notera au passage que dans la phrase citée en (37), tout est<br />

nouveau, Catabathmos n’a pas été mentionné auparavant.<br />

Les phrases locatives peuvent véhiculer l’information reposant sur la question<br />

ubi ? L’actant 1 est alors contextuellement lié comme is (38) ou Pompeius (39) et,<br />

fonctionnant comme topique, figure en tête de la phrase (8 occ.). Les localités,<br />

Rauennae et in Candauia, sont indépendantes du contexte. En outre, on notera la place<br />

du complément de temps sans fonction pragmatique, eo tempore, devant et après le<br />

verbe erat :<br />

(38) (Caesar) Is eo tempore erat Rauennae exspectabatque suis lenissimis postulatis<br />

responsa. (Caes., Ciu. 1.5.5)<br />

« (César) Il était alors à Ravenne et attendait une réponse à ses demandes très<br />

modérées. »<br />

(39) Pompeius erat eo tempore in Candauia iterque ex Macedonia in hiberna<br />

Apolloniam Dyrrachiumque habebat. (Caes., Ciu. 3.11.2)<br />

« Pompée était à ce moment en Candavie et il marchait de Macédoine aux<br />

quartiers d’hiver situés à Apollonie et à Dyrrachium. »<br />

Or il convient de citer l’exemple suivant emprunté à une lettre de Cicéron, écrite à<br />

Pouzzoles ; il présente la même disposition que (40) et (41) mais non pas la même<br />

valeur pragmatique :<br />

(40) Sed casu, cum legerem tuas litteras, Hirtius erat apud me in Puteolano. Ei legi<br />

et egi. (Cic., Att. 15.1.2)<br />

« Mais le hasard a voulu qu’Hirtius fût chez moi, à Pouzzoles, alors que je lisais<br />

ta lettre. Je lui en fis la lecture et un exposé. »<br />

En effet, Cicéron dit ici qui était chez lui à Pouzzoles : Hirtius, auquel il a lu et<br />

commenté la lettre. Dans le contexte d’après, on apprend la réaction de Hirtius sur le<br />

contenu de la lettre.<br />

Négative, la phrase locative (5 occ.) concerne en particulier des concepts<br />

abstraits ; les termes négatifs se rencontrent en tête de phrase, et le verbe se positionne à<br />

la fin, par exemple :<br />

(41) Numquam in maiore a)pori/a| fui. (Cic., Att. 16.8.2)<br />

« Je n’ai jamais été en plus grand embarras. »<br />

8.5.3. Conclusions<br />

Dans notre corpus, les phrases existentielles et locatives manifestent le<br />

positionnement du sujet à droite de la phrase dans 70 % et 47 % respectivement. Dans<br />

les phrases existentielles, le sujet apporte l’information nouvelle, dans les phrases<br />

locatives, c’est le sujet ou le complément de lieu qui représente l’élément saillant. La<br />

place typique du sujet contextuellement indépendant est donc à droite de la phrase, sans<br />

que ce positionnement soit obligatoire. De ce point de vue, il est incorrect de parler d’<br />

« ordre inverse » à propos de la séquence verbe > sujet. Le verbe à l’initiale absolue (ou<br />

après connecteur) est assez fréquent dans le cas de phrases existentielles (52 %), et<br />

relativement fréquent dans le cas des phrases locatives (30 %). Cela s’explique par le<br />

fait que les phrases locatives ont un autre candidat à la fonction de focus : le<br />

299


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

complément de lieu. Le verbe, souvent placé à l’initiale, ne porte pas d’emphase : cette<br />

disposition est choisie lorsque la phrase est dépourvue d’ancrage topical. En outre, il n’y<br />

a aucune différence formelle qui distingue les phrases attributives comportant un<br />

substantif et un adjectif attribut des phrases existentielles/locatives constituées d’un<br />

substantif accompagné d’un adjectif en épithète. Seul le statut contextuel du substantif<br />

permet de décider à quelle structure l’on a affaire : de manière générale, les substantifs<br />

dans les constructions attributives sont liés, alors que dans les constructions<br />

existentielles/locatives, ils sont indépendants du contexte.<br />

9. LES VERBES MODAUX ET SEMI-MODAUX<br />

Les verbes modaux et semi-modaux sont complétés par un infinitif qui, lui, est<br />

censé les précéder (Berger, 1942 : 321 ; cf. Szantyr 1972 : 405). Dans cette section, on<br />

se concentrera à la place relative des verbes (semi-)modaux et de leur infinitif mais<br />

surtout à la valeur pragmatique des phrases les comportant.<br />

9.1. Les données<br />

Le corpus nous a offert de nombreuses occurrences de verbes semi-modaux :<br />

audeo « oser », coepi et incipio « commencer » et soleo « avoir coutume », ainsi que<br />

modaux : debeo « devoir », malo « préférer », nolo « ne pas vouloir », possum<br />

« pouvoir » et uolo « vouloir ». Le premier groupe (au nombre total de 60 occ.) a une<br />

distribution équilibrée dans les différents genres littéraires (César 38 %, Salluste 18 %,<br />

Cicéron 44 %), alors que le second (186 occ. au total) se rencontre en particulier chez<br />

Cicéron (85 % ; César 11 %, Salluste 4 %).<br />

Les verbes semi-modaux et modaux sont complétés d’un infinitif 146 . Leur<br />

position relative est indiquée dans les deux tableaux suivants ; les deux premières lignes<br />

(infinitif verbe, verbe infinitif) indiquent les séquences contiguës ; la présence d’autres<br />

éléments entre l’infinitif et le verbe est signalée par les points de suspension.<br />

Tableau 1 : Les verbes semi-modaux (corpus)<br />

Modèle audeo coepi incipio soleo Total Pourc.<br />

infinitif verbe 4 17 10 10 41 68 %<br />

verbe infinitif 3 1 0 3 7 12 %<br />

infinitif… verbe 0 1 1 2 4 7 %<br />

verbe… infinitif 2 1 0 5 8 13 %<br />

Total 9 20 11 20 60 100 %<br />

Tableau 2 : Les verbes modaux (corpus)<br />

Modèle debeo malo nolo possum uolo Total Pourc.<br />

infinitif verbe 9 6 7 79 11 112 60 %<br />

verbe infinitif 3 2 0 10 4 19 10 %<br />

infinitif… verbe 3 3 2 16 9 33 18 %<br />

verbe… infinitif 0 0 2 14 6 22 12 %<br />

Total 15 11 11 119 30 186 100 %<br />

146 Des emplois absolus ou des ellipses de l’infinitif ont été relevés : 1 occ. pour debeo, 3 pour malo, 2<br />

pour nolo, 9 pour possum, 5 pour uolo. À deux reprises, une subordonnée subjonctive apparaît : 1 occ.<br />

pour malo, 1 pour uolo.<br />

300


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

Les verbes semi-modaux et modaux montrent un ordre majoritaire où l’infinitif<br />

est directement suivi du verbe (68 et 60 % respectivement) ; l’ordre inverse (verbe ><br />

infinitif) est moins fréquent (12 et 10 %). D’autres éléments peuvent intervenir entre le<br />

verbe et son infinitif.<br />

9.2. Les verbes semi-modaux<br />

Les verbes semi-modaux ne sont pas, à eux seuls, porteurs de focalité. Les<br />

exemples suivants montrent bien cet aspect :<br />

(1) Pueros uero matres et magistri castigare etiam solent, nec uerbis solum, sed<br />

etiam uerberibus… (Cic., Tusc. 3.64)<br />

« Pour les enfants, mères et maîtres vont jusqu’à les punir et recourent non<br />

seulement aux réprimandes, mais aussi aux coups… » (trad. C.U.F.)<br />

(2) Huc frumentum comportare, castra munire, materiam conferre coepit statimque<br />

in Siciliam misit uti… (Caes., Ciu. 2.37.4)<br />

« Il commença à y faire apporter du blé, fortifier le camp, transporter du bois, et<br />

envoya aussitôt des ordres en Sicile pour que… »<br />

L’exemple (1) concerne le focus sur l’action de punir Ŕ castigare, et est<br />

accompagné, par ailleurs, de la particule focalisante postposée etiam. Les actions<br />

(comportare, munire et conferre en 2) forment une unité pragmatique avec les objets<br />

directs (frumentum, castra, materiam).<br />

En revanche, dans les cas comme (3), ce n’est pas nominare qui représente<br />

l’information saillante, mais la relative fonctionnant comme l’objet :<br />

(3) Graeci enim in conuiuiis solent nominare, cui poculum tradituri sint. (Cic.,<br />

Tusc. 1.96)<br />

« Les Grecs ont coutume, dans les festins, de nommer la personne à laquelle ils<br />

veulent faire passer la coupe. »<br />

9.3. Les verbes modaux<br />

Les verbes modaux présentent des caractéristiques similaires que les verbes<br />

semi-modaux : dans beaucoup de cas, l’action elle-même est l’élément saillant de la<br />

phrase, par exemple en (4), l’action d’assister (subuenire) ; on notera la présence du<br />

topique huic. L’exemple (5) présente un contraste entre les procès (dominari – liberi<br />

esse), dans la proposition subséquente, le verbe uolunt est omis.<br />

(4) Huic subuenire debemus. (Cic., Tusc. 3.44)<br />

« (la veuve d’Hector) Nous devons lui venir en aide. »<br />

(5) Dominari illi uolunt, uos liberi esse ; facere illi iniurias, uos prohibere. (Sall.,<br />

Iug. 31.23)<br />

« Ils veulent dominer, vous voulez être libres ; ils veulent commettre l’injustice,<br />

vous l’empêcher. »<br />

Un autre constituant est éligible à la fonction de focus, comme le sujet en<br />

(6) dans une construction passive ; fortuna et dignitas coordonnés (et… et…) sont<br />

contextuellement indépendants, l’un en position préverbale, l’autre postverbale :<br />

(6) In iudice enim spectari et fortuna debet et dignitas. (Cic., Phil. 1.20)<br />

« Car, pour un juge, il faut considérer la fortune et le rang. »<br />

301


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Chapitre X : La phrase déclarative<br />

De même, le focus est porté sur un complément de l’infinitif comme hominem<br />

neminem (pléonasme), disjoint, avec le terme porteur d’emphase (neminem) en position<br />

préverbale (7), ou un adverbe comme multum à l’initiale (8) :<br />

(7) Hominem inuenire ista labes, tum cum omnia tenebat, neminem potuit cui meas<br />

aedis addiceret, cui traderet, cui donaret. (Cic., Dom. 107)<br />

« Or cette crapule, alors toute-puissante, n’a pu trouver aucun être humain pour<br />

lui adjuger, lui livrer, lui donner ma demeure. » (trad. C.U.F.)<br />

(8) Multum potes nos apud Plancum iuuare. (Cic., Att. 16.16f.1)<br />

« Tu peux beaucoup nous aider auprès de Plancus. »<br />

Un verbe modal Ŕ possum en particulier Ŕ peut représenter le focus de la phrase,<br />

lorsqu’il s’agit d’exprimer la modalité du procès. Cela s’observe dans les exemples de<br />

type (9) où l’infinitif (audere) est élidé :<br />

(9) (Ego autem quid scribam ?… Vt moliantur aliquid ?) Nec audent nec iam<br />

possunt. (Cic., Att. 15.10.4)<br />

« (Et moi, que lui écrire ?... De monter un coup ?) Ils n’en ont ni l’audace ni<br />

désormais le pouvoir. » (trad. C.U.F.)<br />

9.4. Conclusions<br />

L’ordre infinitif > verbe, statistiquement majoritaire (68 % pour les verbes semimodaux<br />

et 60 % pour les verbes modaux), s’explique par le fait que les verbes semimodaux<br />

et modaux ne sont pas, dans la plupart des cas, porteurs de l’information<br />

saillante. Le verbe (semi-)modal clôture fréquemment la phrase et l’infinitif, à la place<br />

préverbale, apporte l’information essentielle. D’autres dispositions sont également<br />

possibles.<br />

9.5. Perspectives<br />

Les verbes (semi-)modaux se rencontrent dans des structures plus complexes,<br />

par exemple :<br />

(10) De quo quid sperem non audeo scribere. (Cic., Att. 15.13a.3)<br />

« Je n’ose écrire à quoi je m’attends sur ce point. »<br />

(11) (Exsultant laetitia in municipiis.) Dici enim non potest quanto opere gaudeant,<br />

ut ad me concurrant… (Cic., Att. 14.6.2)<br />

« (Ils sautent de joie dans les municipes.) En effet, on ne peut dire à quel point<br />

l’allégresse est grande, comme ils se précipitent vers moi… »<br />

En effet, ni le verbe (semi-)modal, ni son infinitif n’y sont porteurs de l’information<br />

essentielle Ŕ celle-ci est véhiculée par la complétive. Ces cas appartiennent alors à<br />

l’étude concernant le statut informatif des subordonnées qui contribuent à constituer la<br />

phrase complexe. Une telle étude reste à faire.<br />

302


CONCLUSION<br />

La présente étude sur l’ordre des constituants dans la prose latine classique<br />

(César, Salluste et Cicéron), menée dans la perspective de la grammaire fonctionnelle<br />

(S. C. Dik, 1997), a pour objectif de montrer les aspects pragmatiques, sémantiques et<br />

syntaxiques de la phrase latine. Les fonctions pragmatiques principales : le topique (« ce<br />

dont on parle »), le focus (« information saillante ») semblent convenir à la description<br />

du latin davantage que le concept de la perspective fonctionnelle de la phrase<br />

développée par l’École pragoise, en particulier par Firbas, pour plusieurs raisons.<br />

D’abord, il s’avère difficile d’attribuer des degrés de thématicité et de rhématicité aux<br />

constituants de la phrase et d’affirmer qu’ils se disposent dans le sens de la rhématicité<br />

croissante. Ensuite, la place finale ou préverbale (dans le cas des phrases clôturées par le<br />

verbe) ne semble pas réservée uniquement aux constituants véhiculant l’information<br />

essentielle et, de ce fait, l’élément le plus informatif ne peut être déterminé à partir de la<br />

position qu’il occupe dans la phrase.<br />

L’étude proposée est fondée sur l’analyse d’un corpus concret ; partant, elle ne<br />

vise pas la vérification et l’exemplification de thèses préétablies. Elle se subdivise en<br />

neuf chapitres consacrés aux constituants obligatoires du verbe fonctionnant comme<br />

topiques, thèmes et focus, ainsi qu’à leur distribution dans la phrase interrogative,<br />

impérative et déclarative. Les subordonnées ne font pas l’objet de cette étude. Une<br />

attention particulière est portée à la détermination de la valeur pragmatique des phrases<br />

ainsi qu’à l’identification des constituants assumant la fonction pragmatique de topique<br />

et de focus.<br />

La distinction entre plusieurs types de topiques est nécessaire afin de décrire leur<br />

positionnement. Le topique de la phrase Ŕ l’entité sur laquelle le locuteur donne une<br />

information Ŕ occupe la place initiale de la phrase, qu’il soit exprimé par un nom ou par<br />

un pronom (1). Le rôle de topique de la phrase peut être assumé également par des<br />

noms, des pronoms ou des syntagmes qui expriment un cadre spatial (2) ou temporel.<br />

La place initiale est aussi réservée aux sub-topiques, déduits à partir d’un terme donné<br />

dans la phrase précédente (3). En revanche, le topique du discours, renvoyant à une<br />

entité bien établie dans le discours, figure à l’initiale seulement lorsque, contrastif, il<br />

marque un changement de topique (4). Or il peut occuper la place après le topique de la<br />

phrase (s’il est présent), après un complément circonstanciel, après une subordonnée ou<br />

encore une autre place car sa fonction est parfois celle d’un simple rappel.<br />

(1) Marius ad Zamam peruenit. Id oppidum, in campo situm, magis opere quam<br />

natura munitum erat… (Sall., Iug. 57.1)<br />

« Marius arrive devant Zama. Cette place, située en plaine, était plus fortifiée par<br />

l’art que par la nature… »<br />

(2) (mons) Sed ex eo medio quasi collis oriebatur, in immensum pertingens… (Sall.,<br />

Iug. 48.3 Ŕ 49.1)<br />

« (chaîne de montagnes) Mais au milieu se dresse une sorte de colline, dont la<br />

pente se prolonge au loin... »<br />

(3) Milites... ad Thalam perueniunt. Oppidani… nihilo segnius bellum parare.<br />

(Sall., Iug. 75.9-10)<br />

303


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

« Les soldats... arrivent à Thala. Les habitants... se préparèrent néanmoins à bien<br />

combattre. »<br />

(4) Interim Albinus renouato bello commeatum... maturat in Africam portare… At<br />

contra Iugurtha trahere omnia… (Sall., Iug. 36.1-2)<br />

« Cependant, après la reprise des opérations militaires, Albinus se hâte de faire<br />

transporter en Afrique approvisionnement... Jugurtha, au contraire, faisait traîner<br />

les choses en longueur… »<br />

Le schéma ci-dessous illustre les organisations possibles de la phrase ; si une<br />

(des) composante(s) font défaut, les autres prennent leur place :<br />

Topique de la<br />

phrase<br />

eum, quem, hos<br />

montes, in eo<br />

loco…<br />

Topique du<br />

discours<br />

Caesar<br />

Cadre<br />

re cognita<br />

eo tempore<br />

dum… sic certatur<br />

304<br />

Cadre<br />

exploratis<br />

regionibus<br />

ubi… cognouit<br />

Topique du<br />

discours<br />

Caesar<br />

Autres éléments<br />

Autres éléments<br />

Le futur topique marquant l’entité nouvellement introduite dans le discours<br />

représente une catégorie spécifique. Focal, il peut se positionner à la fin aussi bien qu’à<br />

l’initiale de la phrase ; dans la phrase subséquente, située au même plan discursif, le<br />

nouveau référent est repris au moyen de l’anaphore Ŕ à l’aide d’un pronom anaphorique<br />

(5), d’un syntagme en contenant un ou, moins souvent, à l’aide d’un nom.<br />

(5) Cuius legationis princeps fuit L. Opimius, homo clarus et tum in senatu potens…<br />

Eum Iugurtha... accuratissime recepit. (Sall., Iug. 16.2)<br />

« Le chef de cette délégation était L. Opimius, personnage célèbre et influent alors au<br />

Sénat… Jugurtha... le reçut très formellement. »<br />

Il s’avère nécessaire de séparer les constituants fonctionnant comme topiques de<br />

la phrase des constituants qui reprennent simplement une entité mentionnée dans le<br />

contexte d’avant Ŕ des constituants contextuellement liés, auxquels la place initiale n’est<br />

pas réservée. Ceux-ci se positionnent à l’intérieur de la phrase (6).<br />

(6) Reducitur ad eum… N. Magius Cremona… Quem Caesar ad eum remittit…<br />

(Caes., Ciu. 1.24.4-5)<br />

« On lui amène… N. Magius, de Crémone… César le lui renvoie… »<br />

Cela s’observe nettement dans le cas d’anaphoriques pronominaux ou<br />

adnominaux. Placés en tête de phrase, les anaphoriques reprennent un constituant<br />

saillant de la phrase précédente pour le faire fonctionner comme topique de la phrase<br />

subséquente. La topicalisation Ŕ au sens de la transformation d’un terme saillant en<br />

topique dans le contexte d’après Ŕ s’effectue, en particulier, par is et hic. Le statut<br />

informatif (saillant/non saillant) et contextuel (lié/non lié) d’un constituant joue donc un<br />

rôle important pour le traitement dans le contexte d’après. Lorsqu’un terme saillant est<br />

élu topique par la suite, il est repris au moyen de l’anaphore pronominale (ou, moins


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

souvent, nominale). La fonction pragmatique d’un constituant a donc une incidence sur<br />

le positionnement de l’anaphorique dans la proposition subséquente. L’anaphore zéro<br />

n’est pas exclue dans le cas des entités contextuellement non liées ; or ces entités ne<br />

sont alors pas traitées comme topiques par la suite.<br />

En effet, l’ellipse d’un constituant est un signal du fait qu’il n’a pas de fonction<br />

pragmatique dans la phrase donnée. Les constituants donnés par le contexte aussi bien<br />

que ceux qui en sont indépendants peuvent être omis ; or si le locuteur sélectionne un<br />

élément comme topique, l’anaphore pleine est indispensable.<br />

Les constituants de thème ont une fonction spécifique : il s’agit de constituants<br />

extra-phrastiques qui indiquent dans quelle perspective la phrase entière est à interpréter<br />

(7).<br />

(7) De Herode faciam ut mandas... (Cic., Att. 16.3.2)<br />

« Pour Hérodès, je m’acquitterai de ta commission... »<br />

Leur distribution dépend du type de texte : évités dans la prose narrative, ils se<br />

rencontrent dans des textes relevant de l’interactivité (telle que la correspondance).<br />

Les constituants de focus représentent les éléments saillants de la phrase qui<br />

véhiculent l’information nouvelle. La saillance d’un terme découle de sa nouveauté (8)<br />

ou du contraste qui est porté sur lui.<br />

(8) Et forte in eo loco grandis ilex coaluerat inter saxa, paulum modo prona. (Sall.,<br />

Iug. 93.4)<br />

« Le hasard a voulu qu’à cet endroit, un grand chêne avait poussé entre les<br />

rochers, chêne légèrement incliné. »<br />

Les constituants indépendants du contexte sont les plus forts candidats à la fonction de<br />

focus ; cependant, cette fonction peut également être attribuée à un constituant<br />

contextuellement lié. Dans un texte littéraire, il est parfois difficile de décider quel<br />

terme représente le focus. D’abord, parce que sa place ne semble pas être fixe : en effet,<br />

le focus montre une tendance à se positionner à droite de la phrase, mais il peut se<br />

rencontrer à une autre position, en particulier après le topique. Ensuite, parce que dans<br />

de nombreux cas, il n’y a pas un seul constituant saillant : l’information essentielle peut<br />

être véhiculée par une unité pragmatique, représentée par exemple par le verbe et son<br />

complément (9), ou bien la phrase représente un contenu entièrement nouveau de type<br />

« que se passe-t-il ? » (10). Cependant, dans ce dernier cas, une autre question se laisse<br />

souvent identifier comme sous-jacente, qui permet de déterminer le terme le plus<br />

saillant parmi les autres, contextuellement indépendants, et ce, en fonction du contexte<br />

d’après.<br />

(9) Milites in itinere ab eo discedunt ac domum reuertuntur. (Caes., Ciu. 1.12.2)<br />

« Pendant l’étape, les soldats désertent et rentrent chez eux. »<br />

(10) M. Antonius ad me scripsit de restitutione Sex. Cloeli. (Cic., Att. 14.13.6)<br />

« Marc Antoine m’a écrit au sujet du rappel de Sex. Cloelius. »<br />

Le focus peut être marqué par des particules, telles etiam ou quidem. Du focus, il<br />

importe de distinguer l’emphase Ŕ appréciation subjective portée sur un constituant. Le<br />

procédé d’emphase permet de placer un constituant à la place initiale, privilégiée sans<br />

que cette position soit requise.<br />

305


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

Trois types de phrases, interrogative, impérative et déclarative sont soumis à un<br />

examen détaillé. Les phrases interrogatives partielles ont un ordre de constituants<br />

particulier qui est dû au caractère focal du mot interrogatif. Ce dernier occupe le plus<br />

souvent la position initiale de la phrase, mais il peut également se placer après le<br />

topique ou devant le verbe. La place à la finale absolue semble exclue (sauf quelques<br />

cas particuliers de l’ellipse). Les mêmes possibilités de placement se confirment pour<br />

les interrogations totales comportant la particule enclitique -ne qui marque le focus. En<br />

revanche, l’ordre des constituants dans les phrases interrogatives doubles et totales<br />

comportant un mot interrogatif tel que num et nonne peut être le même que celui de la<br />

phrase déclarative. Ces particules ouvrent la phrase interrogative ou repèrent le focus,<br />

éventuellement la partie focale.<br />

Il serait incorrect de dire que la phrase impérative se distingue par le verbe placé<br />

à l’initiale. En effet, la phrase impérative montre les mêmes tendances de placement que<br />

la phrase déclarative : sont positionnés en premier les constituants avec la fonction de<br />

topique (11) ou de thème. Or, à la différence de la phrase déclarative, le constituant<br />

saillant occupe une place à droite de la phrase ; en d’autres termes, il suit le verbe à<br />

l’impératif (12). Les constituants qui véhiculent l’information nouvelle se placent<br />

devant l’impératif, en particulier s’ils sont porteurs de l’emphase.<br />

(11) Ad haec rescribe. (Cic., Att. 16.9)<br />

« Réponds-moi à cela. »<br />

(12) Euolue diligenter eius eum librum, qui est de animo. (Cic., Tusc. 1.24)<br />

« Lis attentivement celui de ses livres qui est consacré à l’âme. »<br />

La distinction entre les impératifs utilisés dans les périphrases, les impératifs<br />

métadirectifs et les impératifs directifs formés à partir de verbes variés permet de mieux<br />

saisir l’organisation de la phrase impérative. Sans qu’il y ait une différence structurale<br />

de placement des constituants dans les différents types des phrases impératives, il est<br />

relativement rare que celles comportant des impératifs périphrastiques et métadirectifs<br />

contiennent des constituants de topique (autre que contrastif) ou de thème ; cela<br />

explique pourquoi, dans la majorité des cas, l’impératif se retrouve à l’initiale (13).<br />

(13) ‘Vide’, inquit ‘ne ueteranos offendas’. (Cic., Phil. 11.37)<br />

« Prends garde, me dit-il, d’offenser les vétérans. »<br />

L’importance du type sémantique et syntaxique du verbe pour la question de<br />

l’ordre des constituants se confirme dans l’étude de la phrase déclarative. Plusieurs<br />

groupes y sont considérés : les verbes bivalents transitifs et intransitifs, les verbes<br />

trivalents, les verbes monovalents et les verbes (semi-)modaux. Les propriétés de<br />

l’actant 2 Ŕ animé, inanimé, avec haut/faible degré d’individuation Ŕ auprès des verbes<br />

bivalents constituent un facteur indispensable pour l’analyse de l’ordre des constituants.<br />

En effet, les actants 2 animés avec un haut degré d’individuation montrent une plus<br />

grande variabilité de placement que les actants 2 dépourvus de ces caractéristiques. Les<br />

verbes bivalents intransitifs sont représentés en particulier par les verbes de mouvement<br />

dont le complément de direction véhicule souvent l’information essentielle. Les phrases<br />

dans lesquelles ils apparaissent se distinguent relativement fréquemment par le<br />

placement postverbal de ce complément. Les verbes trivalents, renfermant des verbes<br />

variés, ne montrent pas un placement uniforme des compléments obligatoires. Les<br />

phrases au passif, aussi bien que les phrases contenant des verbes monovalents,<br />

306


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

manifestent un nombre important de sujets occupant une place à droite de la phrase, ce<br />

qui s’explique par leur indépendance du contexte. Cependant, cette place n’est pas<br />

exclusive.<br />

La présente étude confirme l’importance de la place initiale au sein de la phrase<br />

latine. Cette place est susceptible d’accueillir les constituants porteurs de la fonction de<br />

topique (topique de la phrase, sub-topique, topique du discours), les constituants de<br />

focus contrastif ou les constituants emphatiques. Or il serait incorrect de vouloir<br />

considérer tout mot en tête de phrase comme privilégiée. Cela apparaît nettement dans<br />

le cas du verbe. Sa place ne s’avère importante que là où le verbe lui-même assume une<br />

valeur pragmatique. Ainsi, la place initiale peut accueillir un verbe saillant (verum focus<br />

au sens de « vraiment »), contrastif ou encore contextuellement dépendant. De même, la<br />

phrase ouverte par un verbe est susceptible de répondre à la question « que se passe-til<br />

? ».<br />

En revanche, la place finale et la place préverbale ne semblent pas être réservées<br />

aux constituants saillants. Les constituants porteurs de la fonction pragmatique de focus<br />

peuvent s’y rencontrer mais ces deux places sont susceptibles d’accueillir des<br />

constituants sans fonction pragmatique. Les places finale et préverbale ne s’avèrent<br />

alors être un indicateur ni de la saillance informative, ni de l’indépendance contextuelle<br />

d’un terme. En effet, la phrase latine peut être articulée selon le principe hiérarchique<br />

suivant (X = autre(s) constituant(s)) :<br />

topique > X > focus<br />

Or, elle peut recouvrir encore d’autres dispositions :<br />

topique > focus > X<br />

topique > X > focus > X<br />

Des connecteurs (et, sed…) ainsi que certaines particules connectives (nam,<br />

itaque…) occupent obligatoirement la place initiale et les constituants assumant une<br />

fonction pragmatique se positionnent après eux. Les particules connectives enim, autem<br />

et uero obéissent à la règle de placement en deuxième position dans la phrase. Les<br />

particules enclitiques -que, -ue et -ne s’accrochent au mot concerné respectivement par<br />

la coordination, la disjonction et l’interrogation. Les particules focalisantes<br />

accompagnent le mot sur lequel elles portent : elles y sont antéposées (et et etiam) ou<br />

postposées (quoque et quidem). Les autres mots latins n’obéissent pas à des règles de<br />

placement.<br />

D’une manière générale, il semble impossible de postuler un ordre de base pour<br />

la phrase latine. D’abord, parce qu’une disposition des constituants peut recouvrir<br />

plusieurs valeurs pragmatiques, ensuite, parce que la valeur sémantique et les propriétés<br />

syntaxiques du verbe jouent un rôle important. La place du topique à l’initiale mise à<br />

part, la position d’un constituant ne permet pas de déterminer sa saillance. De même, on<br />

ne peut pas présumer de la dépendance ou de l’indépendance contextuelle à partir des<br />

placements respectifs à gauche et à droite de la phrase. Bien que le statut contextuel ne<br />

soit pas signalé par la place qu’un constituant occupe dans la phrase, il représente un<br />

principe fiable pour comprendre le sens de la phrase ; en effet, le nombre de variations<br />

possibles qu’offre la phrase latine est assez grand.<br />

307


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

La présente étude se limite à l’examen de constituants obligatoires dans les<br />

phrases syntaxiquement non dépendantes. Elle aspire à ouvrir des perspectives pour des<br />

recherches ultérieures, menées dans le domaine des compléments facultatifs de verbes Ŕ<br />

en particulier, des compléments de temps et de lieu Ŕ dans celui du syntagme nominal,<br />

conjoint ou disjoint. De même, l’ordre des mots dans les subordonnées et dans les<br />

phrases complexes les contenant offre des sujets de recherches prometteurs.<br />

308


BIBLIOGRAPHIE<br />

Abréviations<br />

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1. Éditions de textes<br />

Pour les citations de textes latins, nous avons puisé dans la « Collection des<br />

Universités de France » (C.U.F.), publiée sous le patronage de l’Association Guillaume<br />

Budé, Paris, Les Belles Lettres et dans la Bibliotheca scriptorum Romanorum<br />

Teubneriana, Leipzig, Teubner. Voici seulement les références aux textes qui<br />

constituent notre corpus :<br />

César, Guerre civile, tome I-II, Livres I-II et III, texte établi et traduit par P. Fabre,<br />

Paris, Les Belles Lettres, 1936.<br />

Cicéron, Correspondance, tome VIII et IX, texte établi, traduit et annoté par J. Beaujeu,<br />

Paris, Les Belles Lettres, 1983-1988<br />

Cicéron, Discours, tome XIII, 1, Au sénat. – Au peuple. – Sur sa maison, texte établi et<br />

traduit par P. Wuilleumier, Paris, Les Belles Lettres, 1952<br />

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et P. Wuilleumier, Paris, Les Belles Lettres, 1959<br />

Cicéron, Tusculanes, tome I-II, livres I-II et III-V, texte établi par G. Fohlen et traduit<br />

par J. Humbert, Paris, Les Belles Lettres, 1930-1931<br />

Salluste, La Conjuration de Catilina. La Guerre de Jugurtha, texte établi et traduit par<br />

A. Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1941<br />

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Lovanii Novi, Brepols. = BTL<br />

Laboratoire d’Analyse Statistique des Langues Anciennes, Université de Liège,<br />

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379<br />

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314


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

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315


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

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<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

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317


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

Conclusion<br />

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318


An. anaphore<br />

<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

ABRÉVIATIONS ET SYMBOLES<br />

* selon les cas, anaphore zéro ou cas inexistant<br />

AcI subordonnée l’accusatif et l’infinitif<br />

A1 actant 1 (sujet)<br />

A2 actant 2 (objet direct)<br />

A3 actant 3 (objet indirect)<br />

AD complément directionnel<br />

CL complément de lieu<br />

P particule<br />

V verbe<br />

X > Y X suit Y<br />

319


1. Sallustius, Bellum Iugurthinum<br />

2. Caesar, Bellum ciuile<br />

ANNEXE<br />

Données statistiques globales selon les œuvres<br />

Phrases déclaratives 873 92 %<br />

Phrases non déclaratives 77 8 %<br />

Total 950 100 %<br />

Phrases déclaratives 873 92 %<br />

Phrases interrogatives 22 2 %<br />

Phrases impératives 24 3 %<br />

Phrases exclamatives 1 0 %<br />

Phrases autres (au subjonctif) 30 3 %<br />

total 950 100 %<br />

Phrases déclaratives 927 96 %<br />

Phrases non déclaratives 35 4 %<br />

Total 962 100 %<br />

Phrases déclaratives 927 97 %<br />

Phrases interrogatives 27 3 %<br />

Phrases impératives 3 0 %<br />

Phrases exclamatives 1 0 %<br />

Phrases autres (au subjonctif) 4 0 %<br />

Total 962 100 %<br />

320<br />

Nombre de mots : 21 380<br />

Nombre de phrases : 950<br />

Nombre de mots : 21 492<br />

Nombre de phrases : 962


<strong>Olga</strong> SPEVAK, L’ordre des constituants en latin<br />

3. Cicero, Discours (De domo sua, Philippica I, IV)<br />

4. Cicero, Ad Atticum<br />

Phrases déclaratives 498 58 %<br />

Phrases non déclaratives 360 42 %<br />

Total 858 100 %<br />

Phrases déclaratives 498 58 %<br />

Phrases interrogatives 302 35 %<br />

Phrases impératives 22 3 %<br />

Phrases exclamatives 19 2 %<br />

Phrases autres (au subjonctif) 17 2 %<br />

Total 858 100 %<br />

Phrases déclaratives 1457 79 %<br />

Phrases non déclaratives 391 21 %<br />

Total 1848 100 %<br />

Phrases déclaratives 1457 78 %<br />

Phrases interrogatives 163 9 %<br />

Phrases impératives 55 3 %<br />

Phrases exclamatives 65 4 %<br />

Phrases autres (au subjonctif) 108 6 %<br />

Total 1848 100 %<br />

5. Cicero, Tusculanae disputationes<br />

Phrases déclaratives 754 68 %<br />

Phrases non déclaratives 347 32 %<br />

Total 1101 100 %<br />

Phrases déclaratives 754 68 %<br />

Phrases interrogatives 229 21 %<br />

Phrases impératives 19 2 %<br />

Phrases exclamatives 20 2 %<br />

Phrases autres (au subjonctif) 79 7 %<br />

Total 1101 100 %<br />

321<br />

Nombre de mots : 20 439<br />

Nombre de phrases : 858<br />

Nombre de mots : 21 119<br />

Nombre de phrases : 1 848<br />

Nombre de mots : 21 516<br />

Nombre de phrases : 1101

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